Raphael Hefti, Thermit Welding, juin 2012, à SALTS, Birsfelden (vue d’installation).© Photos : Gunnar Meier et Raphael Hefti
mai-juillet 2013 / le phare n° 14 / littérature • 23Jérôme Meizoz a quitté le Valais pour Lausanne etdes études de lettres. À Paris, il a suivi le séminaire dusociologue Pierre Bourdieu, également issu d’un milieude paysans et de petits fonctionnaires. Il y a apprisà lire les textes littéraires à la lumière de la sociologie.Une thèse est issue de cette formation : L’Âge d’or du romanparlant, 1919-1939 (Droz, 2001). Après la guerre de1914-1918, dans la foulée du cinéma parlant, est né cedéfi à la langue classique : illustré par Céline, mais aussipar Jean Giono, Raymond Queneau, Henry Poulailleet par l’auteur <strong>suisse</strong> Charles-Ferdinand Ramuz, le romanparlant revendique l’usage d’une langue vivante,proche de celle du « peuple », libérée des contraintes dela grammaire. Pour des auteurs de Suisse romande,toujours soucieux de se voir reconnaître par Paris, prisdans la tension entre le désir de légitimation et la revendicationd’une singularité, la question est centrale,et Charles-Ferdinand Ramuz n’a cessé d’en cerner lescontours.<strong>Le</strong>ttresde campagnes© Simon <strong>Le</strong>tellierL’auteur de Séismes dialogue avec deux orfèvres de la mémoiresociale : Marie-Hélène Lafon et Pierre Bergounioux, qui ont su faire vivredans leurs livres un « terroir » en voie de disparition. Par Isabelle RüflittératureMardi 04.06.13 / 20 HJérôme MeizozD’un monde à l’autreavec Pierre Bergouniouxet Marie-Hélène LafonModération : Francesca Isidori,journaliste, « 28’ », ArteSAMEDI 01.06.13 / 20 H<strong>Le</strong>cture deAu point d’effusion deségouts de Quentin MouronNuit de la littérature, Quartier latin,sous l’égide du FICEP.Jérôme Meizoz est né au pied des montagnes valaisannes,en 1967, quand le monde où ses parents et sesgrands-parents avaient grandi se fissurait et vacillait.Son dernier livre, Séismes (Zoé, 2013), peut se lire commele sismographe des minuscules déflagrations qui ontfait bouger une société figée. Qu’il rende hommage à ungrand-père socialiste, dans Jours rouges (Éditions d’enbas, 2003), ou qu’il recueille des fragments d’autobiographiedans Destinations païennes (mini Zoé, 2013),c’est toujours l’enfance qui est scrutée, réinventée. Onentend parfois dans ces notations les sonorités du patois.Rien d’étonnant donc à ce qu’il ait choisi d’inviterMarie-Hélène Lafon et Pierre Bergounioux à partagerune soirée au <strong>Centre</strong> <strong>culturel</strong> <strong>suisse</strong> : deux provinciauxdéracinés de leur terroir, deux auteurs de langue française,formés au moule de la carrière académique, maisqui ont gardé un rapport organique au monde paysandont ils sont issus.Inspiration provincialeJérôme Meizoz a publié de nombreux travaux universitaires.Dans le domaine littéraire, il excelle dans lesproses brèves. « Dans mes récits et essais, ce sont desmotifs proches qui sont interrogés de manière différente: la langue parlée, l’expérience populaire de la dépossession<strong>culturel</strong>le, le rôle de la mémoire », dit-il dansune interview. Pierre Bergounioux et Marie-HélèneLafon pourraient souscrire à ces propos. Elle est néeen 1962, dans la ferme familiale, au cœur d’un pays deloups, fermé, austère, dont toute son œuvre garde lamarque. Son dernier ouvrage, <strong>Le</strong>s Pays (Buchet-Chastel,2012), se lit comme un roman d’éducation dans lequelelle retrace le parcours d’une bonne élève, farouchementdécidée à s’approprier le savoir interdit à sesaïeux. Après l’internat, c’est la vie sévère d’une étudiantefauchée à Paris, en décalage avec les jeunes fillesdes beaux quartiers. <strong>Le</strong>s rares retours au pays confirmentl’éloignement. Il faudra de longues années, unecarrière heureuse d’enseignante, la conquête de l’écritureet de nombreux livres écrits au couteau, dans unstyle épuré, dépouillé – qui parlent du lieu d’enfance –pour que la tension entre l’origine et la nouvelle vie débouchesur la réconciliation que représentent <strong>Le</strong>s Payset Album qui l’accompagne.Autre provincial, Pierre Bergounioux est né en 1949en Corrèze. Il appartient à cette génération d’aprèsguerrequi a opéré une rupture radicale avec les précédenteset avec son milieu, celle qui a accédé aux étudeset qui a payé le prix de cette ascension sociale. Sonœuvre, en grande partie autobiographique, compte unesoixantaine d’ouvrages, publiés le plus souvent chezVerdier et chez Fata Morgana. Avec Pierre Michon etPascal Quignard, il est un des grands auteurs vivants delangue française. Il connaît le succès avec Miette (1996).<strong>Le</strong>s trois volumes de son Carnet de notes (Verdier, 2006,2007 et 2011) forment un journal où il inscrit minutieusementdepuis 1980 les faits de sa vie quotidienne, sesinterrogations et ses réflexions. Professeur de lettres encolère contre l’école, il est également un sculpteur quidompte les déchets métalliques.Comme le dit Jérôme Meizoz, « Bergounioux restituela “grande temporalité” dans des récits portant surles transmissions familiales et l’entrée des provincesdans la modernité ». Marie-Hélène Lafon, elle, « explorele basculement des univers traditionnels vers lechangement, dans des récits lucides et cruels. Tousdeux sont d’impeccables stylistes et des “ethnologues”d’eux-mêmes ».Isabelle Rüf collabore à la rubrique <strong>culturel</strong>le du quotidien<strong>Le</strong> Temps à Genève comme critique littéraire.