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charles gounod - cercle lyrique de metz

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2011-2012CERCLE LYRIQUEFaustDE METZFaust<strong>de</strong> Charles GounodN° 205 Par Danielle PISTER


FaustCharles Gounod1859parDanielle PISTER1


SOMMAIRECharles Gounod (1818-1893) p. 07Le mythe <strong>de</strong> Faust p. 10Gounod et Faust p. 15Argument p. 19Faust, hier et aujourd'hui p. 22Accueil p. 27Entre tradition et innovation p. 32Gounod et l'opéra français p. 40Entretiens avec le chef d'orchestre et le metteur en scène p. 41A lire p. 43A écouter p. 43A voir p. 49Les artistes <strong>de</strong> la distribution p. 503


Longtemps, Faust fut l'opéra le plus joué <strong>de</strong> tout le répertoire <strong>lyrique</strong>, bienau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s frontières hexagonales : l'ancien Metropolitan Opera, sur la39 ème rue à Broadway, mérita le surnom <strong>de</strong> Faustspielhaus, vu le nombre <strong>de</strong>représentations du chef-d'œuvre <strong>de</strong> Gounod données en ce lieu. Il eut leshonneurs <strong>de</strong> la soirée inaugurale <strong>de</strong> cette prestigieuse maison new-yorkaise,le 22 octobre 1883, et fut le <strong>de</strong>rnier opéra donné, le 9 avril 1966, avantl'inauguration la salle actuelle du Lincoln Center. Si, <strong>de</strong>puis une cinquantained'années, les lyricomanes du mon<strong>de</strong> entier semblent préférer auMaître son élève, Bizet et sa Carmen, jamais Faust n'a disparu totalementdu répertoire. Ceci en dépit <strong>de</strong> choix, au disque comme à la scène, quirévèlent parfois plus le savoir-faire <strong>de</strong>s impresarios que la réelle pertinenceartistique <strong>de</strong>s interprètes choisis. À cela s'ajoutent les effets désastreux,pour la compréhension <strong>de</strong> l'œuvre, <strong>de</strong>s "relectures" proposées parquelques metteurs en scène à la mo<strong>de</strong>, et les réticences d'une certaine critique<strong>de</strong>vant la musique <strong>de</strong> Gounod. Mais Faust « est toujours <strong>de</strong>bout ! ».Gounod partagerait-il, avec Méphistophélès, les secrets <strong>de</strong> l'élixir <strong>de</strong>Jouvence ?5


Méphisto apparaissant à Faust dans son cabinet.Eugene Delacroix - Gravure6


CHARLES GOUNOD(1818-1893)Portrait <strong>de</strong> Charles Gounodpar IngresLe compositeur avait cinq ans lorsque son père,artiste peintre et graveur, qui avait obtenu un secondprix <strong>de</strong> Rome, mourut. Il laissait sa femme sans fortuneavec leurs <strong>de</strong>ux enfants à élever. Excellentemusicienne, elle dut donner <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> pianoauxquelles assistait le jeune Charles. Il raconte que,grâce à sa mère, son oreille se familiarisa encoreplus vite avec la musique qu’avec les mots. Il poursuit parallèlement uneexcellente scolarité classique. Il gar<strong>de</strong> trois souvenirs marquants <strong>de</strong>s spectacles<strong>lyrique</strong>s qu’il découvre avec sa mère : le Freischütz <strong>de</strong> Weber, à sixans et <strong>de</strong>mi ; l’Otello <strong>de</strong> Rossini, chanté par la Malibran, à douze ans et<strong>de</strong>mi et, surtout, à treize ans et <strong>de</strong>mi, le Don Giovanni <strong>de</strong> Mozart. Ce drammagiocoso fascine l’enfant. Une sorte <strong>de</strong> terreur sacrée le saisit dès l’entréedans le théâtre, renforcée par « les premiers accents <strong>de</strong> ce sublime etterrible prologue », dont les solennels accords sonnent à nouveau pouraccompagner la <strong>de</strong>rnière apparition du Comman<strong>de</strong>ur. Le roulement <strong>de</strong> tonnerre<strong>de</strong>s gammes ascendantes et <strong>de</strong>scendantes, sévère et implacablecomme un arrêt <strong>de</strong> mort, provoque un frisson <strong>de</strong> peur : « Il me semblaqu’un dieu me parlait ; je tombais dans une sorte <strong>de</strong> prostration douloureusementdélicieuse, et, à <strong>de</strong>mi suffoqué par l’émotion :«Ah! maman,m’écriai-je, ça c’est la musique ! » J’étais littéralement éperdu… ». Toutesa vie, Gounod vouera à Mozart un véritable culte. On remarquera, en pensantà Faust, l’intervention du surnaturel dans les premier et troisièmeouvrages cités et, dans le second, la présence d’un personnage maléfique,Iago, qui brise la vie <strong>de</strong> l’innocente héroïne, Desdémone.Les premiers pas du musicienContre la volonté <strong>de</strong> sa mère qui voulait en faire un notaire, l’adolescentobtient d’entrer au Conservatoire : « je ne vois rien <strong>de</strong> plus imposant ni<strong>de</strong> plus touchant qu’une belle création musicale. Pour moi la musique estune compagne si douce qu’on me retirerait un bien grand bonheur si onm’empêchait <strong>de</strong> la sentir », plai<strong>de</strong>-t-il. Il eut au conservatoire comme professeursJacques-Fromental Halévy, l’auteur à succès <strong>de</strong> La Juive, Jean-7


François Lesueur, Ferdinando Paër, troisimportants compositeurs d’opéra dans leurtemps et, en outre, pour les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers, <strong>de</strong>smaîtres <strong>de</strong> chapelle qui ont laissé une importanteœuvre religieuse. Au bout d’un an,Gounod obtient le second prix <strong>de</strong> Rome et, àla troisième tentative, en 1839, le premiergrand prix. Il a vingt et un ans.Ses premiers ouvrages sont essentiellementreligieux. Il aimait particulièrement, pendantson séjour romain, aller écouter, dans la chapelleSixtine, la musique <strong>de</strong> Palestrina, touten contemplant les fresques <strong>de</strong> Michel-Ange,car « on dirait que ce qu’on entend est l’écho<strong>de</strong> ce qu’on regar<strong>de</strong>. » Il retrouve la foi <strong>de</strong> sonC. Gounod par Nadarenfance. Négligeant le répertoire du théâtre àRome, exclusivement consacré à Bellini, Donizetti, Mercadante, il préfèrelire les partitions <strong>de</strong> l’Alceste <strong>de</strong> Lully, <strong>de</strong>s Iphigénie <strong>de</strong> Gluck, du DonJuan <strong>de</strong> Mozart, du Guillaume Tell <strong>de</strong> Rossini.Pendant son séjour, en 1840, il rencontre Fanny Hensel, la sœur <strong>de</strong> FélixMen<strong>de</strong>lssohn qui juge le jeune homme « passionné et romantique àl’excès ». Elle l’invite à <strong>de</strong>s réunions intimes où elle joue du Bach, lessonates et le Fi<strong>de</strong>lio <strong>de</strong> Beethoven. Gounod a l’occasion d’entendre prêcherle Père Lacordaire, ancien avocat parisien entré en 1840 au couvent<strong>de</strong>s dominicains <strong>de</strong> Rome où il œuvre à la restauration <strong>de</strong> l’Ordre. Son éloquencemanque <strong>de</strong> faire abandonner au jeune compositeur la musique pourl’Église. Sous son influence, Gounod compose un Requiem et, dans le style<strong>de</strong> Palestrina, une Messe <strong>de</strong> Rome, jouée le 1 er mai 1841, à l’église Saint-Louis-<strong>de</strong>s-Français à Rome, pour la fête du roi Louis-Philippe. Elle seraredonnée, à Vienne, en 1842, alors qu’il y séjourne. Devant le succès obtenu,on lui comman<strong>de</strong> une nouvelle messe. À la fin d’avril 1843, il rencontreMen<strong>de</strong>lssohn à Leipzig qui lui fait entendre sa Symphonie écossaise etcommente une pièce <strong>de</strong> son jeune confrère en la comparant à du Cherubini.À son retour à Paris, Gounod est nommé Maître <strong>de</strong> chapelle <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong>sMissions. De plus en plus attiré par la religion, il suit les cours <strong>de</strong> théologieà Saint-Sulpice et signe ses lettres : Abbé Gounod. Mais ne pouvant sepasser <strong>de</strong> son art, il revient à la musique, essentiellement religieuse, pourlaquelle il se croit doué et il continue à écrire messes et autres pages liturgiques.Jusqu’en 1850, Gounod n’a écrit en fait que <strong>de</strong> la musique religieuse.8


Les débuts <strong>lyrique</strong>sEn 1849, il retrouve Pauline Viardot, fille du fameux ténor Manuel Garciaet sœur ca<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> la Malibran, dont il a fait connaissance à Rome, en 1840,alors qu’elle y passait son voyage <strong>de</strong> noces. Musicienne consommée,excellente pianiste et compositrice <strong>de</strong> talent, célèbre cantatrice elle-même,dont la voix s’étendait du Sol grave au Si aigu, elle prend le jeune compositeursous sa protection. Elle jouera un rôle certain dans sa vocation<strong>lyrique</strong> en le mettant en relation avec <strong>de</strong>s personnes qui le pousseront versle théâtre, et en l’aidant à surmonter ses scrupules religieux. Il obtient ainsiune comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Opéra pour une œuvre <strong>de</strong> lever <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>au en <strong>de</strong>uxactes, sur un livret d’Émile Augier, Sapho. Ce premier opéra connaît unaccueil mitigé à sa création en 1851, malgré la présence <strong>de</strong> la Viardot dansle rôle titre. La partition parut prometteuse mais encore maladroite, si l’onen croit Berlioz lui-même : « C’est une large et poétique conception. Si les<strong>de</strong>ux premiers actes étaient égaux en valeur au III e acte, M. Gounod eûtdébuté par un chef d’œuvre. » Malgré les fameuses Stances qui closentl’ouvrage et dont la ligne mélodique pure et noble, suscite l’émotion, cetteécriture déroute les auditoires habitués au style italien ou à l’emphase <strong>de</strong>Meyerbeer. Il paraît trop sérieux, trop savant, trop symphoniste. Le livret,pauvre en action, confrontant sacré et profane, paraît ennuyeux. La partitionachevée pendant l’été 1850, alors qu’il vient <strong>de</strong> perdre son frère aîné,et créée à l’Opéra <strong>de</strong> Paris, bien que dépourvue <strong>de</strong> ballet, le 16 avril 1851,ne fait pas grand bruit et sa reprise à Londres le 8 août est catastrophique.L’héroïne est la synthèse entre la poétesse saphique <strong>de</strong> l’Antiquité et laSapho, amante malheureuse qui, <strong>de</strong> désespoir, se jeta du haut d’un rocher.Le sujet choqua la censure et on supprima les couplets d’Alcée où passaientles accents <strong>de</strong> la Marseillaise. Notons l’existence d’un personnagecomique, Pithéas dont le cynisme annonce celui <strong>de</strong> Méphistophélès.L’ensemble relève <strong>de</strong> l’opéra-comique avec <strong>de</strong>s passages d’un genre plusélevé.Le 20 avril 1852, Gounod épouse la fille du professeur <strong>de</strong> piano duConservatoire, Anna Zimmermann. Il est nommé directeur <strong>de</strong> l’Orphéon<strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong>stinée à la distraction <strong>de</strong> la classe ouvrière. Il y restehuit ans, composant, outre l’air national du second Empire, <strong>de</strong> nombreusesœuvres chorales dont le savoir-faire se retrouve dans Faust. Il écrit également<strong>de</strong>s musiques d’accompagnement pour les pièces créées à laComédie-Française. À ce titre, il fut joué par Jacques Offenbach, alors chefd’orchestre attitré du lieu. Gounod gagne une certaine notoriété. On luiconfie le livret <strong>de</strong> La Nonne sanglante, tiré par Scribe et Delavigne d’un9


oman <strong>de</strong> Lewis, Le Moine, et successivement refusé ou abandonné, parBerlioz, Meyerbeer, Halévy, Verdi, notamment. Créée en 1854, l’œuvrechuta à cause d’un livret médiocre, <strong>de</strong> la défection <strong>de</strong> la soprano prévueet en dépit <strong>de</strong> Théophile Gautier qui jugea la partition comme « une <strong>de</strong>sœuvres les plus belles, les plus grandioses » <strong>de</strong> son temps.Pour se consoler <strong>de</strong> l’échec <strong>de</strong> son opéra, Gounod se mit à la compositiond’une première Symphonie en Ré, bientôt suivie d’une secon<strong>de</strong> en Mibémol. Leur exécution aux concerts Pas<strong>de</strong>loup suscita <strong>de</strong>s applaudissementsenthousiastes et sa Messe <strong>de</strong> Sainte-Cécile fut saluée par la critique.Il réussit également à vendre quelques mélodies. Il commence à mettre enmusique un Ivan le Terrible. Malheureusement, le livret comportait unattentat contre le tsar à une époque où l’Empereur réchappa <strong>de</strong> peu, avecson épouse, à une tentative d’assassinat. Gounod abandonna le projet en1857 pour se consacrer tout entier à un nouvel opus pour lequel il réutiliseraune marche nuptiale en forme <strong>de</strong> chœur, prévue pour l’opéra abandonné.Elle <strong>de</strong>vint le Chœur <strong>de</strong>s soldats, à l’acte IV <strong>de</strong> Faust. Joué en 1859, cenouvel opéra <strong>de</strong>vait valoir à son auteur un succès qu’il ne <strong>de</strong>vait jamaisretrouver avec ses opéras ultérieurs les mieux accueillis, comme Mireille(1864) ou Roméo et Juliette(1867). Les Français y trouvèrent une musiquemoins guindée que celle <strong>de</strong>s grands opéras à la mo<strong>de</strong>, mais plus soutenueque celle <strong>de</strong> leurs opéras-comiques habituels, à la fois intime, familière etpoétique. Elle <strong>de</strong>vait déci<strong>de</strong>r du style <strong>de</strong> l’opéra français à venir.LE MYTHE DE FAUSTIl remonte au XVI e siècle. Le Doctor Johannes Faustus aurait réellementexisté entre 1480 et 1540 et serait né à Knittlingen, dans le Wurtemberg ouà Roda près <strong>de</strong> Weimar. Le théologien luthérien Melanchthon fait allusionà lui vers 1550. Mais c’est un autre luthérien, l’imprimeur Jean Spiess, <strong>de</strong>Francfort -sur-le- Main, qui lui donne vie en publiant, en 1587, un livre qui<strong>de</strong>vint populaire sur ce personnage : Histoire du Docteur Faust, le fameuxmagicien et maître <strong>de</strong> l’art ténébreux ; comme il se vendit au diable pourun temps marqué, quelles furent, pendant ce temps-là, les étranges aventuresdont il fut témoin ou qu’il réalisa et pratiqua lui-même, jusqu’à cequ’enfin il reçut sa récompense bien méritée. Recueillie surtout <strong>de</strong> ses propresécrits qu’il a laissés comme un terrible exemple et une utile leçon àtous les hommes arrogants, insolents et athées. Selon Thomas Mann, lemythe apparaît dans « un siècle d’exaltation, d’enthousiasme, <strong>de</strong> trouble<strong>de</strong>s esprits, où les charlatans, les amateurs <strong>de</strong> sectes, les exploiteurs <strong>de</strong> reli-10


Le Faust <strong>de</strong> GoetheLe XVIII e siècle change le regard sur Faust : ses recherches et sa révolte enfont le représentant <strong>de</strong> la pensée humaine qui poursuit inlassablement sonbut, et qui trouve sa noblesse dans cette obstination. Le romantisme s’emparedu mythe. Le héros <strong>de</strong>vient un rêveur alchimiste. Faust-Méphistoexprime le conflit opposant le moi à la nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses aspirations,d’une pulsion <strong>de</strong> mort, ou un exemple d’hallucination ou <strong>de</strong> folie sensorielle.Lessing fut le premier à comprendre le parti que l’on pouvait tirer <strong>de</strong> lalégen<strong>de</strong> ainsi renouvelée : Faust était délivré, par les anges, <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong>Satan. C’est la conclusion à laquelle arrivera aussi un poète plus jeune queLessing, et qui déjà s’occupait du sujet en même temps que lui, puisanttous <strong>de</strong>ux à la même source, « la remarquable pièce <strong>de</strong> marionnettes » :Goethe (1749-1832) qui se reconnaît dans le personnage. « Comme Faust,j’avais parcouru tout le <strong>cercle</strong> du savoir humain, et j’en avais reconnu <strong>de</strong>bonne heure la vanité. J’avais pris la vie par tous les côtés, et j’étais toujoursrevenu <strong>de</strong> mes tentatives plus mécontent et plus tourmenté. » Plusd’un <strong>de</strong>mi-siècle s’écoula entre l’année 1774, où il écrivit les premièresscènes <strong>de</strong> Faust : Eine Tragödie, parues en 1808 et le mois <strong>de</strong> janvier 1831,où il scella le manuscrit du second Faust, achevé en 1831 et publié en1833. Ce fut l’œuvre <strong>de</strong> sa vie. Son œuvre effaça tous les Faust précé<strong>de</strong>ntset imposa sa conception <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong>. Elle rénovait l’art idéaliste, remettaità leurs places logiques le Mon<strong>de</strong>, qui est l’apparence, et l’Idée, qui estl’être. Contrairement à Christophe Marlowe pour qui son héros, coupable<strong>de</strong> rechercher la puissance divine, allait directement en enfer, Goethe sauveFaust, « l’âme qui aspire toujours plus haut », et il réhabiliteMéphistophélès lui-même, « l’esprit qui nie sans cesse ». Les <strong>de</strong>ux personnagessont, pour lui, les <strong>de</strong>ux éléments indispensables à toute vie humaineet les <strong>de</strong>ux facteurs nécessaires à son accomplissement. Ce qui appartienten propre à Goethe, et ce qui humanise le plus son poème, c’est le drame<strong>de</strong> Marguerite, dans la première partie. Jeune fille sensible, tendre doncsusceptible <strong>de</strong> défaillances, notamment face à l’amour. Il ramène la discussionphilosophique aux réalités <strong>de</strong> la vie. Le Faust <strong>de</strong> Goethe, est centré surun héros qui aspire à une connaissance et une sagesse toujours plusgran<strong>de</strong>s, fût-ce au péril <strong>de</strong> son salut. Le récit <strong>de</strong> Goethe commence par lepacte entre Dieu et Méphistophélès : jusqu’à quel point Faust pourra-t-ilêtre tenté ? La séduction et l’abandon <strong>de</strong> Gretchen (Margot, qui <strong>de</strong>vientMarguerite chez Gounod) ont lieu dans la première partie. Dans l’imposantesecon<strong>de</strong> partie, surviennent <strong>de</strong> nombreuses aventures surnaturelles etl’ultime tentative <strong>de</strong> Faust <strong>de</strong> s’assurer la maîtrise <strong>de</strong> la nature en contrô-12


lant la mer. Plus étonnant, Faust ne vend pas immédiatement son âme.Il n’acceptera <strong>de</strong> la cé<strong>de</strong>r que s’il trouve ce qu’il cherche, -un objectifinaccessible. Aussi, est-il sauvé chez Goethe.À côté <strong>de</strong> Goethe ou après lui, quelques écrivains, romanciers ou dramaturges,se contentèrent <strong>de</strong> répéter la vieille légen<strong>de</strong>. Nicolas Lenau seul,dont le Faust parut en 1836, renouvela une <strong>de</strong>rnière fois le sujet : <strong>de</strong> mêmeque Lessing et Goethe reflétaient les idéaux d’une époque confiante dansla victoire <strong>de</strong> l’esprit, <strong>de</strong> même Lenau personnifia, dans son héros, lesdéfaillances du romantisme mourant, auxquelles s’ajoutait son propre désespoir.Philippe Fénelon, en 1952, en tira un opéra.On a pu dire qu’il y avait une sorte d’affinité secrète entre le sujet <strong>de</strong> Faustet le génie allemand, qui s’y serait incarné à toutes les phases <strong>de</strong> son développement.Les autres avatars <strong>de</strong> FaustLes artistes, peintres ou musiciens, se sont occupés <strong>de</strong> Faust presque autantque les poètes. Une belle eau-forte <strong>de</strong> Rembrandt montre le docteur dansson cabinet <strong>de</strong> travail, tenant un livre <strong>de</strong> magie ouvert <strong>de</strong>vant lui, et selevant pour regar<strong>de</strong>r le signe <strong>de</strong> l’Esprit qui lui apparaît dans une lumière.Après le succès universel du Faust <strong>de</strong> Goethe, il <strong>de</strong>vint la source d’inspirationessentielle pour toute autre expression artistique <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong>,d’abord dans les pays germaniques. Pierre <strong>de</strong> Cornélius, le premier, luiemprunta le sujet <strong>de</strong> douze gravures (1810).Faust a captivé plusieurs compositeurs majeurs qui conçurent leur propreversion. Parmi les œuvres musicales, inspirées par le poème <strong>de</strong> Goethe, ilfaut citer Schubert avec Marguerite au rouet (1814), Schumann et sesScènes <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong> Faust, écrites entre 1844 et 1848. Elles ouvrent la voieaux hardiesses harmoniques néoromantiques et sont remplies d’une tensiondramatique très gran<strong>de</strong>. Wagner, tenté par le sujet dès 1831, met enmusique quelques extraits du texte <strong>de</strong> Goethe mais il n’ira pas plus loin,après une ouverture <strong>de</strong> Faust <strong>de</strong> 1841, reprise en 1855 ; Liszt ajoutera à saMéphisto Valse, en fait quatre valses écrites entre 1859 et 1885, une paraphrasesur la valse du Faust <strong>de</strong> Gounod, en 1861. Spohr fut le premier, àécrire, un opéra en 1813, représenté en 1816. Il ne s’inspire pas <strong>de</strong> Goethemais du poète Klinger.La France n’échappe pas à l’engouement pour Faust. Le texte a été traduit<strong>de</strong>ux fois, en 1823, par Louis <strong>de</strong> Sainte-Aulaire et par Albert Stapfer. C’estpour une réédition <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière que Delacroix a réalisé, en 1828, unesérie <strong>de</strong> dix-sept lithographies. Le peintre Ary Scheffer, Hollandais <strong>de</strong>naissance mais travaillant en France, dès 1825, lui avait consacré onze13


tableaux, dont huit illustraient l’histoire <strong>de</strong> Gretchen. En 1827, à dix-huitans Nerval donne sa traduction dont Goethe reconnaît la qualité. La factureshakespearienne <strong>de</strong> l’œuvre, par sa nature composite, lui attire lesfaveurs <strong>de</strong>s romantiques et influe sur la culture française du milieu du XIX esiècle.Les théâtres <strong>de</strong>s boulevards parisiens s’étaient précipités sur le sujet.Certaines versions accentuaient le côté démoniaque qui favorisait la productiond’effets spéciaux dont raffolait le public qui avait pu découvrir, en1824, au théâtre <strong>de</strong> l’Odéon, une adaptation du Freischütz (1821) <strong>de</strong>Weber. Créé sous le titre Robin <strong>de</strong>s bois ou les Trois balles, le personnage<strong>de</strong> Kaspar qui a vendu son âme au mauvais esprit Samiel en constitue toutl’intérêt. En 1827, au Théâtre <strong>de</strong>s Nouveautés et, ensuite, au Théâtre <strong>de</strong> laPorte-Saint-Martin, est présenté un Faust : aucune préoccupation métaphysiqueou philosophique. Le pacte avec le Diable n’est qu’un prétexte à <strong>de</strong>smachineries diverses, pour apparitions ou disparitions surnaturelles etautres effets monstrueux <strong>de</strong> sorcelleries diverses. Cela n’a pas été sans effetsur le livret qu’écrit Scribe pour l’opéra <strong>de</strong> Meyerbeer dont Goethe, quisouhaitait que son Faust <strong>de</strong>vînt une œuvre <strong>lyrique</strong>, pensait qu’il serait leplus apte à la réaliser. Meyerbeer s’en tiendra à ce Robert le Diable (1831),premier succès du compositeur à l’Opéra. Cette sombre histoire met enscène le fils d’un démon et d’une humaine, poursuivi par son père,Bertram, qui a reçu l’ordre <strong>de</strong>s Enfers <strong>de</strong> faire signer à son fils un pacteavec le Diable. On y trouve une chanson à boire, une bacchanale, <strong>de</strong>sscènes fantastiques.La première adaptation musicale du texte <strong>de</strong> Goethe, hors d’Allemagne, estun Fausto <strong>de</strong> Louise Bertin pour le Théâtre-Italien, en 1831, qui ne tint pasl’affiche. Berlioz publie, dès 1829, Huit Scènes <strong>de</strong> Faust qu’il reniera maisqu’il reprendra en partie dans La Damnation <strong>de</strong> Faust, présentée en 1846et dans laquelle Faust tient le rôle principal. Le musicien décrit un philosopheen quête <strong>de</strong> sagesse et prend le contrepied <strong>de</strong> Goethe chez qui lehéros est sauvé. Berlioz renvoie le pacte entre le héros et Méphisto à la fin<strong>de</strong> l’œuvre : pour sauver Marguerite, Faust accepte <strong>de</strong> le signer. Si le sortmalheureux <strong>de</strong> Marguerite constitue l’essentiel <strong>de</strong> l’opéra <strong>de</strong> Gounod, larupture du héros avec la nature est le centre du drame <strong>de</strong> Berlioz. Il qualifieson œuvre <strong>de</strong> « légen<strong>de</strong> dramatique » et ne la <strong>de</strong>stine pas à la scène. Ilréduit la trame à trois personnages et ne se soucie pas <strong>de</strong> liaisons entre lesscènes. Il songe brièvement à développer cette partition sur un livret <strong>de</strong>Scribe, en 1847, mais il y renonce.14


GOUNOD ET FAUSTUn sujet dans l’air du tempsCharles Gounod prend connaissance du Faust <strong>de</strong> Goethe à l’âge <strong>de</strong> 20 ans,au moment <strong>de</strong> son départ comme pensionnaire <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> France àRome, en décembre 1839. Il glisse dans ses bagages, la traduction française<strong>de</strong> Gérard <strong>de</strong> Nerval, offerte par sa mère, <strong>de</strong> la première partie du Faust<strong>de</strong> Goethe. Dans ses Mémoires, Gounod rappelle combien cette lecture,reste son passe-temps favori. Sa réaction face au poème Goethe est semblableà celle rapportée par Berlioz lorsqu’il découvrit Faust : il l’emportepartout et le lit sans cesse. Il avoue à sa mère que l’argument lui paraîtadmirable pour un musicien et qu’il rêve <strong>de</strong> Marguerite et s’i<strong>de</strong>ntifie à elle,il dit le trouble qui envahit inlassablement son cœur à l’évocation <strong>de</strong> lajeune fille. À 22 ans, Gounod tombe amoureux du personnage <strong>de</strong>Marguerite, ce qui implique un déplacement d’accent lors d’une adaptationpour l’opéra. C’est en contemplant la voûte étoilée, à Naples et à Capri,que, pour la première fois, s’imposent à lui les premières images <strong>de</strong> la Nuit<strong>de</strong> Walpurgis et qu’il se promet d’en faire un opéra. En 1849, il tenta unepremière fois <strong>de</strong> mettre la scène <strong>de</strong> l’église en musique. Un voyage enAllemagne, avec ses paysages hugoliens, toute imprégnée <strong>de</strong> vieilleslégen<strong>de</strong>s, renforce le projet. En 1842, dans son Requiem, on trouve lethème <strong>de</strong> Marguerite implorant la miséricor<strong>de</strong> céleste. C’est peut-être l’audition<strong>de</strong> La Damnation <strong>de</strong> Faust <strong>de</strong> Berlioz, qui le bouleverse profondément,qui le déci<strong>de</strong> à écrire à son tour, malgré le prestige du grand aîné.Goethe et Berlioz auraient pu définitivement influencer Gounod. Mais lejeune compositeur ne se déci<strong>de</strong>ra réellement à se mettre à la tâche qu’enassistant, en 1850, à Paris, à la création d’une médiocre représentation duFaust et Marguerite, <strong>de</strong> Michel Carré (1821-1872), au Théâtre duGymnase-Dramatique. L’œuvre d’une gran<strong>de</strong> banalité, jouée à l’époquepar <strong>de</strong>ux gloires du théâtre, Bressant et Rose chéri, circonscrit l’action à lapremière partie du Faust <strong>de</strong> Goethe. La transformation en « drame fantastique» et la réunion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux protagonistes dans le titre donnent une bonneindication <strong>de</strong> l’orientation et du ton du livret. Il ne s’agit pas d’une tragédiemais d’un divertissement. Valentin ne mourrait pas dans son duel avecFaust. Quant à Marguerite, elle ne tuait pas son enfant, et donc n’était pascondamnée. Elle obtenait son salut par son simple refus <strong>de</strong> fuir avec Faust.Malgré la faiblesse du texte et la platitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> scène, compo-15


Marguerite sortant <strong>de</strong> l'égliseAry Scheffer - huilesée par un certain Cou<strong>de</strong>r, Gounod y trouvel’inspiration pour sa Chanson du Roi <strong>de</strong>Thulé. Il semble que Carré, pour son personnage<strong>de</strong> Marguerite ait eu à l’esprit, au moinsune <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> Scheffer, Marguerite sortant<strong>de</strong> l’église, qui la montre le visageempourpré d’un air <strong>de</strong> naïveté détachée, justeavant sa première rencontre avec Faust. Cettescène n’existe pas chez Goethe. En effet,l’œuvre <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ayant inspiré les artistesfrançais <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, leurstoiles, bien connues, circulaient sous la forme<strong>de</strong> lithographies. Les représentations théâtralesleur avaient emprunté l’image d’uneGretchen à tresses blon<strong>de</strong>s, habillée d’unerobe blanche, inspirée par les toiles <strong>de</strong>Scheffer. Le peintre avait, d’ailleurs, été présentéà Gounod par Pauline Viardot. Il étaitdonc en terrain connu.En 1856, Gounod rencontra Jules Barbier qui avait déjà écrit l’argumentd’un Faust dont la profon<strong>de</strong>ur et la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s personnages convenaientbien à un opéra. Il ne restait donc à Gounod qu’à obtenir les droitspermettant d’adapter l’œuvre <strong>de</strong> Carré pour son livret. Mais ce <strong>de</strong>rnier préférantse consacrer à une collaboration avec Giacomo Meyerbeer, Barbierfinit par travailler seul sur le livret et connut son plus grand succès avec ceFaust mis en musique par Gounod.Une pério<strong>de</strong> propiceDans le Paris du Second Empire dont les efforts pour développer l’économierenforcent l’influence <strong>de</strong> la bourgeoisie dans la société, l’enthousiasmedu Romantisme cè<strong>de</strong> le pas à <strong>de</strong>s thèmes plus pragmatiques. Un Faust,plus moral que philosophique, répondait mieux à l’attente <strong>de</strong> ce public,grâce à la naïveté <strong>de</strong> son héroïne, le piquant <strong>de</strong> la transgression sexuelle,tempérée par le triomphe final <strong>de</strong> la religion, l’ensemble étant soutenu par<strong>de</strong>s mélodies inspirées. Cette version <strong>de</strong> Faust, moins subversive que l’originalet centrée sur la religion, arrivait à point nommé. L’attirance <strong>de</strong>Gounod pour l’aspect religieux <strong>de</strong> l’histoire tenait à son tempérament quiresta toujours partagé entre le théâtre et l’Église. À Rome, il avait fait levœu <strong>de</strong> travailler au renouveau <strong>de</strong> la musique sacrée française.Dans son adaptation <strong>de</strong> Faust et Marguerite, le librettiste <strong>de</strong> Gounod, Jules16


Barbier (1825-1901), qui fut un collaborateur régulier <strong>de</strong> Carré, obtint <strong>de</strong>ce <strong>de</strong>rnier le droit d’utiliser son texte dont il conserva la structure et dontil réduisit les dimensions, en éliminant ou en regroupant les personnages etles événements, pour qu’elles puissent convenir au rythme plus lent <strong>de</strong>l’opéra. Il étoffa l’histoire <strong>de</strong> Marguerite, incarnation <strong>de</strong> l’innocence trahie,et finalement rachetée, en empruntant certains éléments à l’œuvre <strong>de</strong>Goethe. La scène <strong>de</strong> la prison et l’apothéose finale, qui ne figuraient pasdans l’œuvre <strong>de</strong> Carré, furent rajoutées, <strong>de</strong> même que la mort <strong>de</strong> Valentindont il renforça le rôle, ainsi que celui <strong>de</strong> Siébel. Parmi les personnagessurnaturels, seuls Méphistophélès et quelques démons furent retenus. Lapsychologie complexe <strong>de</strong> Faust se réduisit à une lutte entre le désir charnelet l’amour pur.Le début <strong>de</strong> la carrière <strong>de</strong> Gounod avait coïncidé avec la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> croissanceet <strong>de</strong> stabilité créée par la politique du Second Empire, qui avait provoqué,dans la capitale, une soif <strong>de</strong> distractions. Ce que comprit et exploitaparfaitement Jacques Offenbach. La vie musicale se partageait alorsentre cinq salles. Les grands chefs-d’œuvre <strong>de</strong> Meyerbeer, Halévy etRossini, populaires <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s décennies, tenaient toujours le haut <strong>de</strong>l’affiche à l’Opéra ou au Théâtre-Italien. Mais, d’autres conception<strong>lyrique</strong>s se faisaient jour. En 1856, l’imprésario Léon Carvalho (1825-1897) avait pris la direction du Théâtre-Lyrique, fondé une dizaine d’annéesplus tôt, et en rehaussa le niveau <strong>de</strong> qualité. Personnage passionné,intransigeant et envahissant, il lança Bizet, créa Les Troyens <strong>de</strong> Berlioz,ainsi que les grands succès <strong>de</strong> Gounod, Faust, Mireille, et Roméo etJuliette.Début 1856, Gounod avait reçu une nouvelle comman<strong>de</strong> pour un opérahistorique intitulé Ivan le terrible qu’il finit par abandonner (et qui futrepris, avec beaucoup <strong>de</strong> modifications, par Bizet). Gounod s’attèle àFaust, en songeant à l’Opéra, puisque <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses œuvres y avaient étédéjà montées, fait remarquable pour un compositeur inconnu. PaulineViardot n’y était sans doute pas pour rien. Dès 1856, Barbier et Gounodauraient proposé Faust à l’Académie Nationale <strong>de</strong> Musique, ce qui impliqueraitl’existence <strong>de</strong> récitatifs, et non <strong>de</strong> dialogues parlés, ainsi que d’unballet, obligatoires pour cette scène. Mais, c’est le Théâtre-Lyrique, quiaccepte, la même année, l’idée <strong>de</strong> produire un nouveau Faust : le nom <strong>de</strong>Gounod est connu, Michel Carré et Jules Barbier sont déjà <strong>de</strong> célèbreslibrettistes. De plus, l’empressement <strong>de</strong> Léon Carvalho s’explique sansdoute, en partie, parce qu’il y voyait une occasion <strong>de</strong> donner à son théâtreplus <strong>de</strong> prestige artistique et parce que sa femme, Marie Miolan Carvalho,<strong>de</strong>vait y tenir le premier rôle, d’où l’importance accordée à Marguerite17


dans la partition.En réalité, la collaboration <strong>de</strong> ces quatre personnalités ne sera pas toujoursfacile et les répétitions ne commenceront que trois ans après. En février1857, après avoir rédigé trois actes, Gounod renonce à son sujet parce queCarvalho soutenait qu’il ne pouvait continuer à le produire en raison <strong>de</strong> laconcurrence d’un spectacle sur Faust, d’Adolphe d’Ennery, -en fait il y eneut trois cette même année-, au Théâtre <strong>de</strong> la Porte Saint-Martin. Cet établissement,surnommé « l’opéra du peuple », cherchait à répondre auxgoûts du public pour les machines à grand spectacle : le Théâtre-Lyrique,<strong>de</strong> création plus récente, ne pouvait s’offrir <strong>de</strong>s mises en scène colossalesou <strong>de</strong>s fééries. Sacrifiant à la mo<strong>de</strong> du temps pour les éruptions volcaniques,cette pièce transportait l’action en l’an 79, à Pompéi, et Faust, exotismeoblige, apparaissait dans une scène habillé en maharajah indien !Aussi Gounod et Carvalho décidèrent pru<strong>de</strong>mment d’adapter un autresujet, avec Barbier et Carré, tiré du Mé<strong>de</strong>cin malgré lui <strong>de</strong> Molière. Ceprojet fut près d’échouer. Cette fois, le problème venait d’un jugementadministratif qui stipulait que le texte <strong>de</strong> Gounod et ses collaborateursempiétait sur le privilège <strong>de</strong> la Comédie-Française parce qu’il était tropproche <strong>de</strong> l’original <strong>de</strong> Molière. Seule l’intervention <strong>de</strong> la nièce <strong>de</strong>Napoléon I er , la princesse Mathil<strong>de</strong>, en faveur <strong>de</strong> Gounod sauva la situation.Même si Le Mé<strong>de</strong>cin fut loin <strong>de</strong> conquérir Paris après sa création le15 janvier 1858, et si Bizet se scandalisa qu’une musique qui lui rappelaitles meilleures pages <strong>de</strong> Grétry soit si peu goûtée du public, Gounod leconsidéra comme son premier succès dans le domaine <strong>de</strong> l’opéra et réussità le vendre à un éditeur.En 1858, Carvalho accepte <strong>de</strong> reprendre Faust car le spectacle, au Théâtre<strong>de</strong> la Porte Saint-Martin, n’a pas rencontré le succès. Gounod termine sonopéra à l’automne et les répétitions commencent. Il fallut encore reporterla première car le ténor <strong>de</strong>vant chanter Faust, <strong>de</strong>vint aphone lors <strong>de</strong> la généraleet il dut être remplacé. Il fallut également omettre la scène <strong>de</strong> l’église,comme ce fut souvent le cas pendant un certain temps, du fait que la Francevoulait éviter <strong>de</strong> se brouiller avec le Vatican, à une époque où l’unification<strong>de</strong> l’Italie semblait proche. Jusqu’au jour <strong>de</strong> la première, les remaniementsincessants du livret et <strong>de</strong> la partition font peser les plus gran<strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>ssur la réussite <strong>de</strong> cet opéra. En témoignent les écrits <strong>de</strong> Carvalho à cesujet. L’histoire <strong>de</strong> la genèse et <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> cet opéra est un longet complexe cheminement, semé <strong>de</strong> nombreux et grands malentendus. Ontente, aujourd’hui, <strong>de</strong> retrouver ce qui correspond le plus exactement àl’idée d’origine <strong>de</strong> Charles Gounod. Pour comprendre les métamorphoses<strong>de</strong> l’œuvre, il faut rappeler comment elle se présente, généralement,aujourd’hui.18


ARGUMENTIntroductionActe 1. Le cabinet <strong>de</strong> Faust.Le vieux docteur Faust (ténor), lassé par une vie <strong>de</strong> vaines recherches et nepouvant plus goûter à ses plaisirs, songe au suici<strong>de</strong> (Salut ! ô mon <strong>de</strong>rniermatin). Au moment où il s’apprête à boire un poison, les chants <strong>de</strong> jeunesvillageois, célébrant la Nature et le Créateur, arrêtent le désespéré.Repoussant ces « vains échos <strong>de</strong> la joie humaine », Faust invoque l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>Satan qui apparaît aussitôt sous les traits <strong>de</strong> Méphistophélès (basse, Mevoici), disposé à exaucer ses vœux. Le vieillard repousse ses offres <strong>de</strong>richesse, <strong>de</strong> gloire et <strong>de</strong> puissance pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la jeunesse (À moi lesplaisirs). Méphistophélès met une condition pour le satisfaire : Faust <strong>de</strong>vrale servir dans l’autre mon<strong>de</strong>. Le docteur hésite mais accepte le marchéquand Méphistophélès lui montre Marguerite à son rouet. Transformé enfringant jeune homme, Faust suit son infernal compagnon pour s’élancer àla conquête <strong>de</strong> la jeune fille.Acte II. Une kermesse aux portes <strong>de</strong> la ville.Devant un cabaret à l’enseigne <strong>de</strong> Bacchus, un chœur joyeux d’étudiants,<strong>de</strong> soldats et <strong>de</strong> bourgeois boivent (Vin ou bière), et cherchent à attirerl’attention <strong>de</strong>s jeunes filles, surveillées par les matrones. Entre Valentin(baryton), tenant à la main une médaille donnée par sa sœur Margueritepour le protéger <strong>de</strong>s dangers <strong>de</strong>s combats : sur le point <strong>de</strong> partir à laguerre, il confie la jeune fille à la Provi<strong>de</strong>nce et à ses amis, dont fait partieSiébel (Avant <strong>de</strong> quitter ces lieux). Méphistophélès apparaît et interromptcavalièrement la chanson <strong>de</strong> Wagner (baryton) pour proposer <strong>de</strong> divertir lacompagnie avec le rondo du Veau d’or. Provocateur, il prédit à Wagner età Valentin leurs morts prochaines, et à Siébel qu’il ne pourra plus toucherune fleur sans qu’elle se fane. Dédaignant le vin qu’on lui a offert, il en faitjaillir un meilleur qu’il propose <strong>de</strong> boire en portant un toast à la santé <strong>de</strong>Marguerite. Valentin, offensé, tire son épée mais son fer « ô surprise, dansles airs se brise ! ». Devant ce maléfice, Valentin et ses compagnons brandissentles pommeaux en forme <strong>de</strong> croix <strong>de</strong> leurs épées (De l’enfer), ce quifait reculer Méphistophélès. Faust arrive, impatient <strong>de</strong> voir Marguerite. Lavoici sortant <strong>de</strong> l’église, alors qu’un groupe <strong>de</strong> villageois dansent sur unrythme <strong>de</strong> valse (Ainsi que la brise légère). Faust lui offre son bras. Elle19


l’éconduit avec une grâce touchante, et s’éloigne tandis que la fête reprend.Acte III. Le jardin <strong>de</strong> Marguerite.Siébel (mezzo), amoureux <strong>de</strong> Marguerite, se glisse dans le jardin pour luicueillir un bouquet. Mais le sort jeté par Méphistophélès agit et les fleursfanent sitôt touchées, jusqu’à ce que le jeune homme trempe ses doigtsdans l’eau bénite. Il dépose son offran<strong>de</strong> en espérant que Marguerite comprendrale message (Faites-lui mes aveux) et sort. Méphistophélès, arriveavec Faust et se rit du jeune homme. Il va chercher un riche ca<strong>de</strong>au pouréclipser l’humble présent <strong>de</strong> Siébel. Resté seul, Faust donne libre cours àson émotion en découvrant la « <strong>de</strong>meure chaste et pure » <strong>de</strong> Marguerite(cavatine). Il est prêt à se retirer quand revient Méphisto avec un coffret àbijoux qu’il dépose près du bouquet, avant d’entraîner Faust.Marguerite (soprano) entre, se <strong>de</strong>mandant « quel était ce jeune homme »rencontré plus tôt. Elle s’installe à son rouet et se met à filer en chantantune balla<strong>de</strong> au roi <strong>de</strong> Thulé, qu’elle interrompt par <strong>de</strong>s réflexions révélantl’intérêt qu’a éveillé la « bonne mine » <strong>de</strong> l’inconnu. La vue du bouquetne suscite qu’un bref commentaire à l’adresse <strong>de</strong> Siébel : « Pauvre garçon», tandis que le coffret provoque sa curiosité, et bientôt son ravissement.Elle essaie les boucles d’oreilles et le collier qu’il renferme (Ah ! jeris <strong>de</strong> me voir si belle en ce miroir !). Sa voisine, Dame Marthe, bientôt suivie<strong>de</strong> Méphistophélès et Faust, la rejoignent. Commence alors un quatuorqui combine <strong>de</strong>ux duos amoureux, l’un comique, entre la duègne et le sulfureuxmentor <strong>de</strong> Faust ; le second, émouvant entre ce <strong>de</strong>rnier etMarguerite. Tandis que Méphisto éloigne Dame Marthe en lui annonçantbrutalement la mort <strong>de</strong> son époux et en suggérant qu’il est disponible pourle remplacer, les <strong>de</strong>ux jeunes gens conversent. D’abord assez réservée,Marguerite, se laisse aller aux confi<strong>de</strong>nces (Prenez mon bras), révélant uneâme tendre et naïve. Faust s’attendrit mais quand il se montre pressant, lajeune fille s’échappe. À l’inverse, Méphisto a du mal à se débarrasser <strong>de</strong> savoisine, « un peu mûre » mais <strong>de</strong>venue très entreprenante à son égard.Resté seul, Méphistophélès jette un sort aux fleurs du jardin, afin que leurssubtils parfums achèvent « <strong>de</strong> troubler le cœur <strong>de</strong> Marguerite ». Les <strong>de</strong>uxamoureux reviennent et s’avouent leur amour (Laisse-moi, laisse-moicontempler ton visage). Mais à peine Marguerite a-t-elle dit à Faust, « Jet’appartiens », qu’elle le supplie <strong>de</strong> partir et se réfugie dans la maison, nonsans avoir promis <strong>de</strong> le revoir le len<strong>de</strong>main. Faust ravi s’enfuit. Méphistol’arrête en se moquant <strong>de</strong> sa naïveté et l’invite à écouter ce que Marguerite« va conter aux étoiles ». Celle-ci, dans un grand élan passionné (Queltrouble en mon cœur), exprime son désir <strong>de</strong> voir revenir Faust au plus vite.20


Tandis que ce <strong>de</strong>rnier s’élance vers elle, Méphisto éclate en ricanementssardoniques.Acte IVPremier tableau : La chambre <strong>de</strong> Marguerite.Marguerite, seule et abandonnée par Faust, subit les railleries <strong>de</strong> sesanciennes compagnes (Elles se cachaient ! Ah, cruelles !), et doit pleureren silence. En vain, elle guette le retour <strong>de</strong> l’infidèle (Il ne revient pas).Siébel, son seul soutien, lui rend visite et tente <strong>de</strong> la consoler. Prêt à la vengermais comprenant qu’elle aime encore l’ingrat, il lui promet <strong>de</strong> l’aimertoujours comme un frère (Si le bonheur à sourire t’invite). Touchée,Marguerite sort pour aller prier à l’église pour son enfant et pour Faust.Scène <strong>de</strong> l'égliseEugène Delacroix - gravureDeuxième tableau : L’égliseMarguerite essaie <strong>de</strong> prier, mais elle en esttout d’abord empêchée par la voix <strong>de</strong>Méphistophélès, puis par un chœur <strong>de</strong>démons (Non ! tu ne prieras pas ! Frappez-lad’épouvante !). Avec une féroce ironie,Méphisto lui rappelle le bonheur que sa piétéet sa vertu d’antan lui promettaient, alors quel’Enfer l’attend à présent. Tout aussi cruelpour elle, un chant religieux accompagné àl’orgue s’élève. Affolée, Marguerite arrivecependant à implorer l’ai<strong>de</strong> du ciel (Seigneur,accueillez la prière <strong>de</strong>s cœurs malheureux !).Mais Méphisto la maudit une <strong>de</strong>rnière fois.Dans un grand cri, elle tombe évanouie sur lesol.Troisième tableau : La rue <strong>de</strong>vant la maison<strong>de</strong> MargueriteLes soldats reviennent <strong>de</strong> la guerre et chantent la « Gloire immortelle <strong>de</strong>nos aïeux ». Valentin s’inquiète <strong>de</strong> Marguerite auprès <strong>de</strong> Siébel qui ne peutcacher son embarras. Valentin inquiet se précipite dans la maison. À cetinstant, Faust et Méphistophélès surgissent. Ce <strong>de</strong>rnier ne comprend pas ledésir <strong>de</strong> son protégé <strong>de</strong> revoir Marguerite après l’avoir quittée. Pour ai<strong>de</strong>rà la réconciliation, il se livre à une parodie <strong>de</strong> séréna<strong>de</strong>, ponctuée <strong>de</strong> ricanements,sous les fenêtres <strong>de</strong> Marguerite (Vous qui faites l’endormie).Valentin sort et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> auquel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, il doit son déshonneur. Quoique21


avec quelques scrupules, Faust accepte <strong>de</strong> se battre contre lui; mais c’estMéphisto qui détourne les coups <strong>de</strong> Valentin qui, <strong>de</strong> rage, a jeté loin <strong>de</strong> lui,la médaille offerte par sa sœur. Il tombe bientôt mortellement blessé.Tandis que les <strong>de</strong>ux complices s’enfuient, la foule <strong>de</strong>s badauds accourt,suivie par Marguerite. Le frère moribond, en la repoussant durement,dénonce la responsabilité <strong>de</strong> la jeune femme dans ce qui lui arrive. La maudissantjuste avant d’expirer, il lui annonce que la mort l’attend sur son grabat(Écoute-moi bien Marguerite !).Acte VPremier tableau : Les montagnes du Harz et La nuit <strong>de</strong> Walpurgis.On entend un chœur <strong>de</strong> feux follets lorsqu’apparaît Méphistophélès quientraîne un Faust épouvanté dans son empire (Voici la nuit <strong>de</strong> Walpurgis !).Faust cherche à s’enfuir, mais Méphistophélès se hâte <strong>de</strong> faire disparaîtrele sinistre décor. Il le transporte dans un lieu enchanteur, peuplé <strong>de</strong> reineset <strong>de</strong> courtisanes <strong>de</strong> l’Antiquité, chargées <strong>de</strong> présenter à Faust un breuvagequi lui fera oublier le passé (Jusqu’aux premiers feux du matin). Dans unmagnifique ballet défilent les plus gran<strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> l’histoire. Mais soudainla vision <strong>de</strong> Marguerite, le cou cerclé « d’un ruban rouge étroit commeun tranchant <strong>de</strong> hache », arrache Faust à ces voluptés. Il exige aussitôt queMéphisto le conduise auprès d’elle.IntermezzoDeuxième tableau : L’intérieur d’une prison.Marguerite, incarcérée pour avoir tué son enfant, doit être exécutée àl’aube. Muni <strong>de</strong>s clés que Méphistophélès a subtilisées au geôlier, Faustpénètre dans son cachot. Marguerite s’éveille au son <strong>de</strong> sa voix et retrouveles souvenirs du passé heureux (Ah ! C’est la voix du bien-aimé !). En vainFaust la presse <strong>de</strong> le suivre. Quand Méphistophélès vient leur rappeler quebientôt il sera trop tard, Marguerite reconnaît en lui le démon et en appelleà la protection divine (trio : Anges purs, anges radieux). RepoussantFaust, elle tombe sans vie. Alors que Méphistophélès clame : « Jugée ! »,un chœur céleste répond : « Sauvée ! » et accompagne la montée au ciel <strong>de</strong>l’âme <strong>de</strong> Marguerite.FAUST, HIER ET AUJOURD’HUICe ne fut pas simple pour en arriver à cet état du texte. Gounod avait reprisson projet avec ses librettistes en 1857. Comme le Théâtre-Lyrique ne22


disposait pas <strong>de</strong> danseurs adéquats, le ballet fut supprimé et remplacé parune importante chanson à boire interprétée par Faust. Le 4 août 1858, lapartition est achevée, un an avant que Wagner n’ait fini son Tristan.L’ouvrage n’atteint pas la complexité <strong>de</strong> l’original : ce <strong>de</strong>rnier n’est pas unsimple mythe mais il crée un univers à lui tout seul. D’où les difficultéspour en tirer un opéra. Les nombreux remaniements ren<strong>de</strong>nt chimériquel’espoir <strong>de</strong> reconstituer le Faust rêvé par Gounod. D’autant plus que la partitionautographe est introuvable. Depuis une quarantaine d’années, chaquemise en scène, ou chaque enregistrement, varie sur le choix <strong>de</strong>s récupérations<strong>de</strong> passages longtemps négligés et, même, sur l’ordre <strong>de</strong>s scènes,notamment la question <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> l’église. Les « reconstitutions» s’appuient sur plus <strong>de</strong> 20 extraits pour piano, plus <strong>de</strong> 10 éditionscomplètes <strong>de</strong> la partition, mais il faudrait reconstruire la version scéniqueque le compositeur a imaginée, après sa découverte du Faust <strong>de</strong> Goethe, en1838. Il a mis en fait vingt ans à écrire son opéra. Le Théâtre <strong>lyrique</strong>, le 19mars 1859, présente une version raccourcie, chamboulée par le très interventionnisteCarvalho, metteur en scène imaginatif et directeur <strong>de</strong> théâtreautoritaire.De Carré à BarbierLa pièce <strong>de</strong> Michel Carré, Faust et Marguerite, tout en empruntant <strong>de</strong>ssituations à Goethe, les présentait dans un ordre différent. La principaledifficulté vient du fait que la première partie du premier livre du Faust <strong>de</strong>Goethe met en avant un débat d’idées, aux dépens <strong>de</strong> l’intrigue. D’où ledéveloppement, opéré par Carré, <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> Valentin, et surtout <strong>de</strong>Siébel. Le premier assume le rôle protecteur <strong>de</strong> la mère, personnage suppriméchez Gounod. Marguerite est ainsi exempte du crime <strong>de</strong> matrici<strong>de</strong>qu’elle commet chez Goethe. Quant au second, il se voit confier la gar<strong>de</strong><strong>de</strong> Marguerite par son frère. Il <strong>de</strong>vient ainsi un obstacle aux amours <strong>de</strong>Faust et <strong>de</strong> Marguerite et la source <strong>de</strong> quiproquos. Carré évite la mort <strong>de</strong>Valentin et <strong>de</strong> Marguerite qui résiste aux avances <strong>de</strong> Faust et gagne ainsison salut. La pièce tourne à la bouffonnerie pure et simple.L’auteur, tout en cédant ses droits à Gounod, ne réalise pas l’adaptation <strong>de</strong>sa pièce pour se consacrer au livret du Pardon <strong>de</strong> Ploërmel <strong>de</strong> Meyerbeer.Il laisse cette tâche à Barbier. Ce <strong>de</strong>rnier emprunte essentiellement laChanson du roi <strong>de</strong> Thulé et les couplets <strong>de</strong> Lise, coupés avant la premièrereprésentation. Mais Barbier rétablit la tonalité tragique du Faust <strong>de</strong>Goethe en reprenant les morts <strong>de</strong> Valentin et <strong>de</strong> Marguerite. Le découpageen cinq actes va également dans ce sens « noble ». Carvalho exige du grandspectacle, d’où le maintien <strong>de</strong> « la Nuit <strong>de</strong> Walpurgis », en trois tableaux23


lors <strong>de</strong> la création. Tous les épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinés dans Goethe à être chantés,se retrouvent dans Barbier, même s’ils ne sont pas toujours repris littéralement: le chœur pascal qui réconforte Faust tenté par le suici<strong>de</strong> chezGoethe, est remplacé par une chanson pastorale, « Paresseuse fille » carl’action, chez Gounod, se recentre sur Marguerite ; le chœur pascal seretrouve au moment <strong>de</strong> l’apothéose finale, « Christ est ressuscité ! ». Lethème <strong>de</strong> la résurrection qui symbolisait chez Goethe le pouvoir <strong>de</strong> résistancedu héros à aux forces <strong>de</strong>structrices, est attaché à Marguerite. Barbierne se contente pas du second tableau <strong>de</strong> Carré qui se déroule dans unetaverne et dans l’église, avec Marguerite, il réunit <strong>de</strong>ux scènes <strong>de</strong> Goethe(la « Cave d’Auerbach » et « Vor <strong>de</strong>m Tor »), en situant la taverne prèsd’une porte <strong>de</strong> la ville, ce qui permet un grand brassage <strong>de</strong> groupes sociaux–soldats, bourgeois, étudiants-, et permet un chœur meyerbeerien, danslequel chacun est présenté séparément puis réuni dans une conclusion virtuose.Barbier recourt également à la traduction <strong>de</strong> Nerval, plutôt qu’autexte <strong>de</strong> Carré, comme dans le chœur « Vin ou bière ». De même la cavatine<strong>de</strong> Faust se base sur son monologue dans la chambre <strong>de</strong> Marguerite,chez Goethe, et n’existe pas chez Carré. La suite <strong>de</strong> l’acte revient à Carré.De Barbier à CarvalhoMais il fallut encore passer sous les fourches caudines <strong>de</strong> Carvalho. C’estainsi que la majestueuse scène dans les montagnes du Hartz, amputée unepremière fois, le sera <strong>de</strong> nouveau car le spectacle, qui durait encore quatreheures, fut jugé trop long. Seront supprimés également un trio Faust,Siebel, Wagner, à l’acte I, ce qui fait perdre <strong>de</strong> vue la relation maître élèveentre les trois ; le duo Marguerite-Valentin, à l’acte II, ce qui ne laissait aubaryton que la scène <strong>de</strong> sa mort. D’où le rajout, en 1864, à Londres, <strong>de</strong> lacavatine « Even the bravest heart may swell », sur un texte <strong>de</strong> HenryChorley, ami du compositeur, qui <strong>de</strong>viendra, en français, « Avant <strong>de</strong> quitterces lieux ». La <strong>de</strong>man<strong>de</strong> venait du baryton Charles Santley qui suggérad’utiliser, à cette fin, un thème <strong>de</strong> l’ouverture. Gounod accepta, en reconnaissancepour cet artiste connu qui avait bien voulu chanter ce rôle bref.Mais <strong>de</strong>vant les réticences du compositeur, cette cavatine fut rarement retenuedu vivant <strong>de</strong> Gounod et resta longtemps ignorée à l’Opéra <strong>de</strong> Paris.Pourtant, cet air, chanté par Valentin, va <strong>de</strong>venir, avec l’Air <strong>de</strong>s bijoux <strong>de</strong>Marguerite, et « Salut, <strong>de</strong>meure chaste et pure » <strong>de</strong> Faust, l’un <strong>de</strong>s morceauxles plus connus <strong>de</strong> l’opéra. Disparaissent également <strong>de</strong>s parties dudialogue dans la scène <strong>de</strong> la Kermesse ; l’air <strong>de</strong> Méphisto, MaîtreScarabée, remplacé par Le Veau d’or qui <strong>de</strong>viendra également fameux.Siébel réapparaissait, au milieu <strong>de</strong> la scène du jardin et Dame Marthe,24


sous prétexte <strong>de</strong> décence, le chassait. L’acte IV s’ouvrait sur la chansonrailleuse <strong>de</strong> Lise racontant à ses commères « La fin <strong>de</strong> certain roman »,prélu<strong>de</strong> cruel au : « Elles ne sont plus là ». Elle fut coupée avant même lacréation, ainsi qu’un chœur <strong>de</strong> jeunes filles et <strong>de</strong>s couplets <strong>de</strong> Siébel quifigurent dans la première édition du livret. Perdue également, et c’est dommageablepour parfaire le portrait <strong>de</strong> l’héroïne, la poignante méditation <strong>de</strong>Marguerite, véritable air <strong>de</strong> la folie, « Vole mon cœur, vole », dans sa prison.Certains <strong>de</strong>s fragments cités plus haut ont été retrouvés à laBibliothèque nationale ou dans <strong>de</strong>s éditions américaines.Carvalho avait prévu, en accord avecGounod, que la scène <strong>de</strong> l’église qui <strong>de</strong>vaitsuccé<strong>de</strong>r à la scène <strong>de</strong> la chambre, se passâtaprès la mort <strong>de</strong> Valentin et terminât l’acte IV.Dans une première version, la scène <strong>de</strong>l’église se situait après les couplets <strong>de</strong>Valentin, supprimés pour cé<strong>de</strong>r la place auchœur <strong>de</strong>s soldats. Peut-être ce fut le résultatd’une intervention <strong>de</strong> son épouse, créatrice durôle <strong>de</strong> Marguerite, pour se mettre en valeur àla fin <strong>de</strong> l’acte, alors qu’elle reste muetteaprès la mort <strong>de</strong> Valentin. Peut-être, s’ajoutait-il,le désir d’éviter <strong>de</strong> nombreux changements<strong>de</strong> décors, dans le même acte. Lasuccession <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> l’acte IV suivait, enLéon Carvalho, directeur théâtre <strong>lyrique</strong>fait, celle <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> Carré : Margueriteétait assise à son rouet dans la rue qu’elle traversait pour se rendre à l’église: on suivait ce qui s’y passait à l’intérieur grâce à la transparence dudécor. Retour <strong>de</strong>s soldats et duel se déroulaient dans la rue, sans changement<strong>de</strong> décor. Mais la suppression du chœur <strong>de</strong>s amies <strong>de</strong> Marguerite et<strong>de</strong>s couplets <strong>de</strong> Lise, comme ceux <strong>de</strong> Siébel, « Versez vos chagrins », areplacé la première scène dans la chambre <strong>de</strong> la jeune femme.Lors <strong>de</strong> l’entrée à l’Opéra <strong>de</strong> Paris, la scène <strong>de</strong> l’église reprend sa placeavant le chœur <strong>de</strong>s soldats. Gounod a beaucoup fluctué à ce sujet, tantôtapprouvant le rapprochement avec l’œuvre <strong>de</strong> Goethe, tantôt reconnaissantque la mort <strong>de</strong> Valentin terminait mieux l’acte. La liaison entre la scène <strong>de</strong>la chambre et celle <strong>de</strong> l’église est assurée par l’annonce <strong>de</strong> Marguerite : elleva prier à l’église, dit-elle, pour son enfant et pour Faust. Dans la secon<strong>de</strong>édition <strong>de</strong> la partition vocale, la scène <strong>de</strong> l’église revient avant l’arrivée<strong>de</strong>s soldats. On s’avisa également que la présence <strong>de</strong> Méphisto dans uneéglise était impossible, lui qui reculait <strong>de</strong>vant les croix formées par le pom-25


meau <strong>de</strong>s épées brandies par Valentin et ses compagnons <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> lakermesse. Sans doute, pensait-on, plus encore aux réactions <strong>de</strong> l’Église et<strong>de</strong> la censure. Aussi Carvalho confia-t-il l’intervention <strong>de</strong> Méphisto à undouble du démon, revêtu d’un manteau couleur muraille, véritable incarnation<strong>de</strong> la mauvaise conscience qui tourmente l’héroïne. Le rôle fut brièvementconfié au baryton Petit, puis Méphisto reprit sa place, quand la scènene fut pas, certaines fois, carrément supprimée. De même s’imposa, ounon, suivant les lieux, la tradition du si naturel à la fin d’Anges purs, angesradieux, comme du sol aigu à la fin <strong>de</strong> l’invocation <strong>de</strong> Valentin. Chaquenouveau théâtre qui reprendra l’opéra aura <strong>de</strong> nouvelles exigences : lesdialogues parlés furent remplacés par <strong>de</strong>s récitatifs, dès les représentationsà Strasbourg en 1860, puis ailleurs en province et à l’étranger, pour s’imposernaturellement, lors du passage au Grand Opéra, en 1869, avec lerajout obligé du ballet. Enfin, la plupart <strong>de</strong>s effets surnaturels furent suppriméspour ne pas dévier l’attention <strong>de</strong>s trois personnages et <strong>de</strong> leurdrame.Lorsque la première eut lieu, le 19 mars 1859, environ un quart <strong>de</strong> lamusique avait disparu dont un tiers l’avait été au cours <strong>de</strong>s répétitions. Lescoupures, remaniements, changements et compléments durèrent jusqu’en1869, souvent à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’autoritaire Carvalho. Cela s’explique aussiparce que Faust était l’opéra le plus long jamais écrit jusque là.Rien ne fut épargné à Gounod et son équipe puisque Hector Gruyet Guardi,auquel était <strong>de</strong>stiné le rôle <strong>de</strong> Faust, resta aphone et dut être remplacé, à la<strong>de</strong>rnière minute, par Joseph Barbot. Ce qui provoqua la colère <strong>de</strong> Bizetcontre son maître, car c’est lui qui avait recommandé le premier titulaire.À l’étranger, Angleterre, Italie, Allemagne, États-Unis, se retrouvent lesmêmes interventions permanentes, <strong>de</strong>s ajouts, <strong>de</strong>s interversions. Gounod,que ses amis dépeignent comme anxieux et prévenant, se montre trop docileet trop facilement disposé à échanger un passage contre un autre, àaccepter <strong>de</strong>s suppressions et à se plier à <strong>de</strong>s exigences scéniques, commepar exemple <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> décors entre <strong>de</strong>ux tableaux si longs qu’ilsobligent à une compression et une réduction <strong>de</strong> l’œuvre. Il acceptera quel’Allemagne en change le titre en Margarete, en 1861, au Semper Oper <strong>de</strong>Dres<strong>de</strong>, par déférence envers Goethe, et pour esquiver les objections <strong>de</strong>snationalistes, qui accusaient Gounod d’« éviscérer » un trésor du patrimoinegermanique. Ils modifièrent également certains <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> la traductionpour la rapprocher <strong>de</strong> l’original. D’ailleurs ce titre ne convient-ilpas mieux au livret recentré sur l’héroïne ?Fritz Oeser a publié, en 1972, une édition révisée qui a cherché, à partir <strong>de</strong>l’intégration <strong>de</strong> toutes les sources éparpillées, <strong>de</strong> redonner toute sa logique26


à l’action et son flux musical.Cet opéra, à l’origine en cinq actes, fut longtemps joué en quatre actes, sansêtre officiellement réduit. Les coupures furent particulièrement fréquentesau cours <strong>de</strong> la première moitié du XX e siècle.ACCUEILLa première a lieu le 19 mars 1859, <strong>de</strong>vant un public <strong>de</strong> célébrités :Berlioz, assis à côté <strong>de</strong> Delacroix, plus loin, François-Esprit Auber etErnest Reyer. L’exécution provoque beaucoup <strong>de</strong> remous, mais Berliozparle <strong>de</strong> succès dans le Journal <strong>de</strong>s débats, et l’avenir lui donnera raison.Faust <strong>de</strong>meurera désormais à l’affiche <strong>de</strong> tous les théâtres <strong>lyrique</strong>s ettriomphera aisément <strong>de</strong> près <strong>de</strong> vingt-cinq autres compositions traitant dumême mythe. Joué sous forme d’opéra-comique, avec dialogues parlés,Faust connaît jusqu’en décembre 1859, cinquante-sept représentations.Les créateursLe rôle-titre, Faust, avait été conçu pour un débutant, Hector GruyerGuardi, élève du père <strong>de</strong> Bizet, à la voix exceptionnelle réunissant les capacités<strong>de</strong> la voix <strong>de</strong> ténor et <strong>de</strong> baryton d’où certaines notes graves : « OMort, quand viendras-tu m’abriter sous ton aile ? » Le rôle exige plus <strong>de</strong>musicalité que <strong>de</strong> force et le contre-ut <strong>de</strong> la cavatine, en poitrine ou en voixmixte, n’a pas besoin d’être claironné. Son remplaçant, Joseph-Théodore-Désiré Barbot, élève du fameux ténor Garcia,père <strong>de</strong> la Malibran, avait 35 ans. Il avaitdébuté dans le Comte Ory, puis chanté Robertle Diable à l’Opéra <strong>de</strong> Paris où il resta <strong>de</strong>1848 à 1850. Il fit une carrière internationaleet <strong>de</strong>vint professeur au Conservatoire <strong>de</strong>Paris.Marie Caroline Miolan-Carvalho, épouse duterrible directeur, avait 32 ans. Elle avaitdébuté dans Les Noces <strong>de</strong> Jeannette àl’Opéra-Comique. Son mari lui offrit dansson théâtre tous les rôles qu’elle n’obtenaitpas ailleurs. Son soprano <strong>lyrique</strong> léger, autimbre frais, faisait merveille dans les vocaliseset les trilles dans les aigus. Aussi exigeait-Caroline Carvalho dans Margueriteen 1873 (Gallica)27


Faust dans son cabinetEugène DelacroixFaust et Marguerite dans le jardinAry Scheffer - huileC. Gounod, Faust : Méphisto fait apparaître MargueriteChambre <strong>de</strong> MargueriteAry Scheffer - huile28


Faust - production PE Fourny - Opéra <strong>de</strong> Nice29


elle, pour ses rôles, un air brillant qui la mettrait en valeur. Ce fut l’air <strong>de</strong>sbijoux, dans Faust, la valse <strong>de</strong>s premiers actes <strong>de</strong> Mireille et <strong>de</strong> Romeo etJuliette, rôles dont elle fut la créatrice. Mais, elle avait également un vraitalent <strong>de</strong> comédienne, un charme qui touchait le public. Elle fut une gran<strong>de</strong>Marguerite et fit une carrière internationale.Émile Balanqué, basse chantante <strong>de</strong> 32 ans, était Méphisto. Il a chanté dansLe Roi malgré lui, Béatrice et Bénédicte, Philémon et Baucis, autant <strong>de</strong>rôles qui n’exigent pas une basse profon<strong>de</strong>. Osmond Reynald, baryton,chantait Valentin et Amélie Faivre-Duclos, Siébel.Dans leur sillage, tous les grands noms du mon<strong>de</strong> <strong>lyrique</strong> ont voulu chanterles trois rôles principaux : <strong>de</strong> Caruso à Domingo, <strong>de</strong> Nelly Melba àMirella Freni, <strong>de</strong> Chaliapine à Ghiaurov.Faust a d’emblée assuré la fortune du directeur Carvalho : les 57 représentations<strong>de</strong> 1859 mettent Faust largement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s autres œuvres àl’affiche (Richard Cœur-<strong>de</strong>-Lion, Si J’étais roi, Les Noces <strong>de</strong> Figaro ouL’Enlèvement au sérail couplé avec Abou Hassan). Il fit même <strong>de</strong>l’ombre au Pardon <strong>de</strong> Ploërmel <strong>de</strong> Meyerbeer. Seul l’Orphée <strong>de</strong> Gluck,avec Pauline Viardot, fit courir tout Paris. Dix ans plus tard, la Salle LePeletier <strong>de</strong> l’Opéra, en donne 70 représentations. À partir <strong>de</strong> 1875, Garnierouvre avec La Juive et les quarante saisons suivantes avec Aïda,Lohengrin, Le Freischütz. Ces opéras l’emportent dans l’année commeœuvre la plus jouée dans l’année, mais Faust est seul à l’emporter vingtfois, établissant un record <strong>de</strong> longévité et <strong>de</strong> popularité. Les plus grandsnoms <strong>de</strong> chanteurs nationaux ont marqué les principaux rôles. Les étrangersne sont pas restés en reste. Le Metropolitan Opera choisit Faust poursa soirée inaugurale le 22 octobre 1883, avec Christine Nilsson qui l’avaitcréé à l’Opéra, mais cette fois elle chante en italien.CritiquesBeaucoup <strong>de</strong> critiques <strong>de</strong> l’école mo<strong>de</strong>rne, dont Berlioz et le jeune ErnestReyer, sensibles à la poésie <strong>de</strong> ses thèmes, oublièrent leurs différendsesthétiques avec Gounod et défendirent vigoureusement Faust, faisantcause commune avec lui pour faire exister un style d’opéra français. Dès lapremière, l’œuvre reçut un accueil favorable, notamment grâce à la prestation<strong>de</strong> M me Carvalho.D’autres journalistes lui furent hostiles et il s’avéra, fin 1859, que l’enthousiasmeparisien pour l’opéra ne pesait pas assez lourd face aux problèmes<strong>de</strong> l’attribution <strong>de</strong>s rôles et au départ temporaire <strong>de</strong> Carvalho <strong>de</strong> la directiondu Théâtre-Lyrique. Peu après, Gounod mit le dialogue parlé <strong>de</strong>l’œuvre originale en musique dans l’idée d’éventuelles représentations en30


province et à l’étranger. Ces projets furent considérablement renforcés parles relations professionnelles <strong>de</strong> Gounod avec l’éditeur Antoine <strong>de</strong>Chou<strong>de</strong>ns qui acquit les droits <strong>de</strong> Faust pour une somme modique. Il allait<strong>de</strong>venir, dans les dix années suivantes, un agent dynamique pour le compositeur.Faust fit rapi<strong>de</strong>ment fureur en Allemagne, au grand dépit <strong>de</strong>Richard Wagner qui le dénonça, dans Deutsche kunst und <strong>de</strong>utsche Politik(1867), comme le faible pastiche français d’un monument littéraire allemand.Wagner, tout en reconnaissant le réel talent <strong>de</strong> Gounod, lui reprocheun sentimentalisme <strong>de</strong> surface. Les opinions <strong>de</strong> Gounod sur le musicienallemand, assez positives pendant le séjour <strong>de</strong> celui-ci à Paris, <strong>de</strong> 1859 à1861, tiédirent considérablement après ses attaques contre son opéra.L’ensemble <strong>de</strong>s critiques reconnurent la trahison du poème original <strong>de</strong>Goethe, mais estima que c’était sans importance car le livret s’adaptait parfaitementà la musique. Ils accordèrent à Faust le statut <strong>de</strong> « véritablegrand opéra », c’est-à-dire que sa qualité formelle le mettait au niveau leplus élevé <strong>de</strong> l’art <strong>lyrique</strong>. Certains allèrent jusqu’à trouver sa musique tropsavante, voire dépourvue <strong>de</strong> caractère mélodieux. On accusa Gounod <strong>de</strong>vouloir imiter Wagner, à une époque où ce rapprochement ne passait paspour un compliment.Un succès universelQuatre mois après la première à Paris, Gounod orchestre les récitatifs pourl’opéra <strong>de</strong> Strasbourg. Au cours <strong>de</strong>s dix-huit mois suivants, l’opéra remporte<strong>de</strong>s succès spectaculaires sur la plupart <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s scènes étrangères.L’œuvre est présentée en 1862 à Milan, en italien. Londres est plusréticent et ce n’est qu’en 1863 que Faust y est donné, dans la même langue,à Her Majesty’s Theatre, et rapi<strong>de</strong>ment à Covent Gar<strong>de</strong>n, avecChristine Nilsson, première d’une longue série <strong>de</strong> représentations qui obligerontGounod à faire plusieurs voyages dans cette ville. Ce fut l’occasion<strong>de</strong> modifications apportées par Gounod, dans le quatrième acte, avecd’abord quelques petites variantes dans la rencontre entre Siébel etValentin, puis dans le trio Méphisto-Faust-Valentin, et enfin, avec l’introductiond’un nouvel air pour Siébel, « Si le bonheur », où le jeune hommedéclare son amour sans espoir pour Marguerite. Très vite, dans le <strong>de</strong>rniertiers du XIX e siècle, Faust <strong>de</strong>vient l’opéra le plus joué dans le mon<strong>de</strong>.Dix ans après la création au théâtre <strong>lyrique</strong>, Faust fait une entrée triomphaleà l’Académie Impériale <strong>de</strong> Musique, le 3 mars 1869, avec la mêmeChristine Nilsson dans le rôle <strong>de</strong> Marguerite. Pour l’occasion, Gounod écritle grand ballet, La nuit <strong>de</strong> Walpurgis. Il avait un temps songé, à cause d’unedépression qu’il avait peine à surmonter, à en confier l’écriture à Saint-31


Saëns. Malgré les préventions du public élégant <strong>de</strong> la scène nationale, lesuccès est total et engendre <strong>de</strong> nombreuses parodies, dont Le Petit Faustd’Hervé qui est resté longtemps au répertoire. L’ouvrage <strong>de</strong> Gounod serararement joué dans son intégralité : la scène <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> laMarguerite, essentielle cependant pour une meilleure compréhension <strong>de</strong>l’évolution du personnage, fut souvent supprimée ou maintenue partiellement,sans l’air <strong>de</strong> Siébel. Quant au ballet, il est, à présent, <strong>de</strong> plus en plussouvent délaissé : on lui reproche <strong>de</strong> rompre avec l’atmosphère tragiquevoulue par Gounod. Même l’Opéra <strong>de</strong> Paris, qui confia cette page chorégraphiqueà Georges Balanchine, lors <strong>de</strong> la fameuse reprise <strong>de</strong> 1975 (la2836 e représentation !) décida <strong>de</strong> la supprimer, au grand dam du public.Depuis, même au disque, il est gravé, en annexe. Se pose un autre problème: Gounod en a écrit <strong>de</strong>ux versions, la première, disparue, ayant étéabandonnée avant la création au Théâtre-Lyrique.ENTRE TRADITION ET INNOVATIONPeu d’opéras ont connu une popularité si durable, même si elle a faibli ces<strong>de</strong>rnières décennies. On lui reproche ses conventions opératiques, la banalisation<strong>de</strong> la brillante tragédie <strong>de</strong> Goethe : le livret, même s’il a le mérite<strong>de</strong> la clarté, ne possè<strong>de</strong> ni la profon<strong>de</strong>ur, ni la force, ni le rythme <strong>de</strong>l’œuvre originale. On dénonce la passion transformée en sentimentalité etles personnalités complexes, réduites à <strong>de</strong>s clichés.En fait, il faut resituer le Faust <strong>de</strong> Gounod dans le contexte <strong>de</strong> la tradition<strong>lyrique</strong> franco-italienne du XIX e siècle et non pas par rapport au seul drame<strong>de</strong> Goethe. On mesure alors combien, au contraire, les personnages, sontmusicalement bien caractérisés, particulièrement Marguerite, seule <strong>de</strong>strois protagonistes à évoluer.Un livret habileMichel Carré et Jules Barbier sont <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> théâtre expérimentés.Tous <strong>de</strong>ux, dramaturges et librettistes, sont les auteurs <strong>de</strong> Contesd’Hoffmann (1851), remarqués par Offenbach qui voudra en faire un opéra.Outre les livrets qu’ils continueront <strong>de</strong> donner à Gounod, ensemble ouséparément, ils travailleront pour les grands compositeurs <strong>de</strong> leur temps,jeunes (Bizet) ou confirmés (Meyerbeer).Le découpage <strong>de</strong> Carré, retravaillé par Barbier, ménage un équilibre entreforces statiques et forces dynamiques, particulièrement bien réparties : lesmoments <strong>de</strong> méditation, qui peignent les personnages <strong>de</strong> l’intérieur et32


suspen<strong>de</strong>nt l’action, alternent avec les scènes d’une gran<strong>de</strong> intensité oùl’action progresse, à l’inverse, rapi<strong>de</strong>ment. Cela vaut à l’intérieur d’un actecomme pour le passage <strong>de</strong> l’un à l’autre : la méditation amère <strong>de</strong> Faust,enfermé dans son cabinet, autant que dans sa recherche vaine du savoir, aupremier acte, s’anime peu à peu, jusqu’à l’apparition inattendue <strong>de</strong>Méphisto qui ranime le désir <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> Faust. À l’intérieur même <strong>de</strong> cetteséquence, au ton sarcastique du démon succè<strong>de</strong> le ton élégiaque quiaccompagne l’apparition <strong>de</strong> Marguerite, lui-même brutalement balayé parl’ar<strong>de</strong>ur impatiente <strong>de</strong> Faust. Le cadre confiné du laboratoire <strong>de</strong> Faust cè<strong>de</strong>la place, à l’acte II, au plein air <strong>de</strong> la Kermesse. La scène du jardin, àl’acte III, fait la synthèse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux espaces : lieu ouvert/fermé, circonscritentre la maison et la rue et qui, avec l’arrivée <strong>de</strong> la nuit va être coupé dureste <strong>de</strong> l’univers : le bouleversement <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Marguerite, par l’irruption<strong>de</strong> l’amour, venu <strong>de</strong> l’extérieur, loin <strong>de</strong> la libérer, va l’enfermer dansle mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la passion <strong>de</strong>structrice. Faust était sorti <strong>de</strong> l’obscurité <strong>de</strong> soncabinet pour conquérir un mon<strong>de</strong> chatoyant <strong>de</strong> sensualité ; Marguerites’enfonce dans le désert du désespoir. On ne la verra plus qu’enferméedans sa chambre, dans l’église, dans l’hostilité <strong>de</strong> ses compagnes, <strong>de</strong>Méphisto ou <strong>de</strong> son frère mourant. Très logiquement, elle se retrouve dansle lieu le plus oppressant, qui n’a d’autre issue que la mort : le cachot, oùelle attend son exécution. Or, c’est là que surgit la délivrance : selon ladidascalie du livret, les murs <strong>de</strong> la prison s’ouvrent et la lumière du salutenvahit l’espace. On remarque que, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, la première et la<strong>de</strong>rnière scène <strong>de</strong> l’opéra, se reflètent comme dans un miroir. Mais Faustallait vers sa perte, Marguerite vers son salut. Faust et Méphisto partaientà sa rencontre ; Marguerite les rejette. Le chant pascal, qui accompagnaitFaust, dans Goethe, est réservé ici à Marguerite, au moment <strong>de</strong> sa mort.On pourrait également relever que chaque espace, clos ou ouvert, est toujoursperturbé par l’intrusion d’un élément extérieur : le suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> Faustest empêché par les chants joyeux <strong>de</strong>s paysans, la gaîté <strong>de</strong>s buveurs disparaîtavec les mauvaises plaisanteries <strong>de</strong> Méphisto, étranger à leur groupe ;la prière <strong>de</strong> Marguerite est empêchée par le même personnage.Inversement, les êtres favorables à Marguerite, Siébel, son frère, sont éloignés,d’une manière ou d’une autre, par Méphisto. C’est quand Margueritetrouvera la force <strong>de</strong> chasser Faust et Méphisto, que le pouvoir maléfiquesera anéanti. On pourrait bien sûr considérer, à l’intérieur <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> lakermesse, l’alternance <strong>de</strong> scènes d’introspection -l’invocation <strong>de</strong> Valentinmais aussi la rencontre entre Faust et Marguerite, moment où les <strong>de</strong>uxamoureux littéralement sont seuls au mon<strong>de</strong>-, et celles d’exubérance joyeuse<strong>de</strong> la foule, ou l’instant solennel du choral <strong>de</strong>s épées. Le bref échange33


entre Faust et Marguerite, lors <strong>de</strong> leur première rencontre est particulièrementmis en valeur par la musique : dans le contexte turbulent <strong>de</strong> la fête etle tourbillon <strong>de</strong> la valse entraînante, surgit un thème lent et dépouillé quimarque le passage soudain d’une action extérieure à une émotion intérieure,toute en retenue. L’exclamation passionnée <strong>de</strong> Faust, « je t’aime »,relance la folie rythmique <strong>de</strong> la fête.Mais l’œuvre n’oublie pas ses origines d’opéra-comique et offre un mélange<strong>de</strong> tons, entre tragique et comique, avec les interventions comiques d’unpersonnage ridicule comme Dame Marthe. Siébel, malgré lui, fait sourire.Là aussi, un personnage fait la synthèse du tragique et du comique, c’estMéphisto. Personnage maléfique par ses menaces et ses actes, il amuse entournant tout en dérision, y compris lui-même. Mais la situation la plusemblématique, <strong>de</strong> cette atmosphère ambiguë, entre rire et sérieux, setrouve dans la scène du jardin où s’entrecroisent <strong>de</strong>ux scènes <strong>de</strong> séduction,l’une toute <strong>de</strong> tendresse, sincère et touchante, on le suppose du moins,menée par Faust, l’autre toute en stratégie, pleine d’arrière-pensées, menéed’abord par Méphisto et vite récupérée par Dame Marthe, totalement ridiculedans sa volonté « d’épouser le diable ». Il faut un talent musical supérieurpour que ces moments successifs ne se détruisent pas réciproquement.Là intervient le charme, au sens fort du terme, <strong>de</strong> la partition.Une musique enjôleuseElle l’est parce qu’elle s’impose à l’esprit du spectateur comme malgré lui.Or, s’il n’est pas musicien, il en trouvera difficilement la raison.La succession <strong>de</strong> rythmes et <strong>de</strong> tonalités différentes empêche l’attention <strong>de</strong>se relâcher : on trouve les mélodies les plus raffinées, comme la cavatine<strong>de</strong> Faust ou le duo d’amour du jardin, comme les plus tapageuses (le chœur<strong>de</strong>s soldats) ; <strong>de</strong>s valses entraînantes précè<strong>de</strong>nt les thèmes élégiaques <strong>de</strong> lascène du jardin, une balla<strong>de</strong> du roi <strong>de</strong> Thulé, à peine modulée donne l’illusiond’être chantonnée, quand les chansons à boire semblent braillées. L’airvirtuose et allègre <strong>de</strong>s bijoux n’a rien à voir avec les accents véhéments quiopposent Méphisto et Marguerite dans l’église, ou dans le trio final.L’attente douloureuse <strong>de</strong> Marguerite, dans la scène <strong>de</strong> la chambre, estd’autant plus poignante qu’elle succè<strong>de</strong> immédiatement à la scène du jardindont le finale exprime le violent désir sensuel éveillé chez la sage,jusque là du moins, Marguerite. L’ironie grinçante <strong>de</strong> la séréna<strong>de</strong> <strong>de</strong>Méphisto tient à son propos qui dénonce son objet même : sous prétexte <strong>de</strong>séduire Catherine qu’il dit adorer, il la met en gar<strong>de</strong> contre le dangerqu’elle court : le ton est particulièrement cruel puisqu’il s’adresse à cellequi a déjà commis l’erreur d’ouvrir sa porte, « sans la bague au doigt ».34


Ces variations ne sont jamais gratuites : chaque air correspond à la personnalitéet à la situation <strong>de</strong> chaque personnage. Gounod ne donne jamaisl’impression d’utiliser une structure musicale pour elle-même. Au contraire,il en casse souvent les co<strong>de</strong>s. Le fameux air <strong>de</strong>s bijoux, sans doute exigépar la créatrice, n’est pas un simple prétexte à roula<strong>de</strong>s mais un moment oùla chaste jeune fille sent s’éveiller en elle un désir <strong>de</strong> plaire, prémices <strong>de</strong>l’amour dont elle s’enivre déjà. Quant à la balla<strong>de</strong> qui précè<strong>de</strong>, elle est sanscesse interrompue par un retour au souvenir du jeune inconnu qui l’a abordée.Certes le procédé n’est pas inédit, mais les interruptions venaient classiquemententre chaque couplet, alors qu’ici elles interviennent en pleinmilieu <strong>de</strong> chacun d’eux. Surprenant, également, dans le duo d’amour, lasuspension du développement mélodique après « Éternel ! ». La musiquereprend après un silence, et la tonalité change, comme si les amants revenaientà eux après un moment d’extase. Pour un personnage commeMarguerite, et même Siébel, timi<strong>de</strong>s dans leurs premières interventions, laligne mélodique se fait plus tendue et véhémente, au fur et à mesure etnotamment à l’acte IV. Ce qui pose le problème <strong>de</strong> la tessiture <strong>de</strong>l’héroïne : sa voix doit monter aisément dans l’aigu, mais elle doit êtrecapable aussi d’accents dramatiques. Une Victoria <strong>de</strong> Los Angeles chantaitMarguerite mais aussi Elsa, Desdémone.Toute la partition est ponctuée par <strong>de</strong>s ensembles qui contrastent, par leurtonalité, avec l’état d’esprit <strong>de</strong>s personnages (comme les chœurs joyeuxqui interrompent la méditation morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Faust, acte I), ou qui amplifientleurs sentiments (le chœur <strong>de</strong>s démons qui achèvent <strong>de</strong> plonger Margueritedans la terreur, acte III). Remarquons que l’œuvre est comme encadrée parle chœur profane <strong>de</strong>s paysans du début et celui, céleste, <strong>de</strong> la fin. Autreeffet <strong>de</strong> miroir significatif : au docteur, l’univers <strong>de</strong> la terre ; à la femmebafouée, celui du ciel.On ne saurait non plus oublier que l’opéra tout entier est comme ponctuépar <strong>de</strong>s prières, <strong>de</strong>s invocations, profanes ou religieuses, voire blasphématoires,qui montrent <strong>de</strong>s personnages dépassés par les événements et tendusvers une force supérieure dans laquelle ils placent leurs ultimes espoirs :cela définit un climat oscillant entre sensualité et mysticisme, un déchiremententre <strong>de</strong>ux postulation <strong>de</strong> l’âme : besoins bas et vulgaires contre aspirationsà un idéal inaccessible, qu’il s’agisse d’amour ou <strong>de</strong> foi. Résumé,en somme <strong>de</strong> la condition humaine, <strong>de</strong>puis l’origine <strong>de</strong>s temps et en particulier<strong>de</strong>s problèmes existentiels <strong>de</strong> Gounod lui-même.La musique traduit également les liens qui unissent ou opposent les personnages.Dans le tableau <strong>de</strong> l’église, le prélu<strong>de</strong> à l’orgue et le chœur liturgique,à l’origine sur le Dies Irae, s’allient aux imprécations <strong>de</strong> Méphisto-35


phélès pour former un contraste musical sinistre avec la prière <strong>de</strong>Marguerite. Au « Seigneur accueillez la prière » en Ut majeur <strong>de</strong>Marguerite répond le « Souviens-toi du passé » en Ut mineur <strong>de</strong> Méphistophélès,qui reviennent par <strong>de</strong>ux fois. La phrase inébranlable <strong>de</strong> Marguerite,« Seigneur accueillez la prière », a une forme mélodique, pour ses <strong>de</strong>uxpremières mesures, presque i<strong>de</strong>ntique à celle <strong>de</strong> la cavatine antérieure <strong>de</strong>Faust, glorifiant la « chasteté et <strong>de</strong> la pureté » <strong>de</strong> Marguerite. La lignemusicale resserre le drame sur ces trois personnages, et en résume la portée.La tonalité d’Ut majeur annonce la ré<strong>de</strong>mption finale et l’apothéose <strong>de</strong>Marguerite : l’Ut majeur constitue le point culminant tonal <strong>de</strong> « Angespurs, anges radieux » que l’on entend successivement dans une progressionascendante, par paliers successifs (sol, la et si majeur).Des personnages sculptés par la musiqueOn peut dire que la musique nous fait pénétrer au cœur même <strong>de</strong>s personnages.Or, c’est l’autre point fort <strong>de</strong> l’œuvre, les personnages sont placésdans un mon<strong>de</strong> exceptionnel où l’univers terrestre se mêle à celui <strong>de</strong>sesprits, infernaux ou célestes ; cependant, ils restent parfaitement prochesdu spectateur par leurs émotions qui sont celles qu’éprouvent tout hommeet toute femme.Là aussi la musique les définit exactement : Méphistophélès, ordonnateur<strong>de</strong> tous les événements, change sans cesse <strong>de</strong> tonalité. Moqueur dès sonarrivée, faussement servile à l’égard <strong>de</strong> Faust, menaçant soit <strong>de</strong> façonbadine à l’égard <strong>de</strong> Siébel, soit <strong>de</strong> façon cruelle pour Marguerite, toujourscynique. Il joue tous les rôles, même celui <strong>de</strong> l’amoureux transi, mais ilreste le Maître <strong>de</strong>s enfers. Insinuant comme le serpent, il fascine et révulse.La musique se plie à ses humeurs : c’est presque du parlando pour sesbrefs échanges avec Faust ou avec Dame Marthe ; le rythme s’emballequand il décrit son rôle dans le rondo du Veau d’or, véritable proclamation<strong>de</strong> sa puissance : « Satan conduit le bal ». La balla<strong>de</strong> « Vous qui faites l’endormie» n’est que sarcasme alors que son invocation aux esprits <strong>de</strong> la nuitdégage un vrai charme, très loin <strong>de</strong> la violence <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> l’église. Toutcela se retrouve unifié quand il joue les maîtres <strong>de</strong> maison, à Walpurgis :puissance ténébreuse, il règne en maître et le ton solennel, sans pompeexcessive, exprime le triomphe tranquille du vainqueur. Cette richesseexpressive en fait bien le centre <strong>de</strong> toute l’action.Le Faust <strong>de</strong> Goethe s’adonne à la magie afin <strong>de</strong> percer le mystère <strong>de</strong> lacréation. Esprit infatigable et curieux, il cherche à repousser sans cesse leslimites <strong>de</strong> la connaissance, ce qui le condamne à l’échec. Méphistophélèsraille son esprit « dont l’ambition effrénée néglige les joies terrestres ». S’il36


signe un pacte avec le diable, c’est d’abord par soif <strong>de</strong> connaissances. Cen’est que dans un <strong>de</strong>uxième temps qu’il tombe amoureux <strong>de</strong> Marguerite.Faust est le prototype du savant mo<strong>de</strong>rne qui place très haut le niveau <strong>de</strong>sa réflexion. Celui <strong>de</strong> Carré et Barbier est un vieil homme découragé quidésire mettre fin à une vie qu’il juge inutile. Il fait appel à Satan pour<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> recouvrer la jeunesse. Faust est ramené à une banale conditionhumaine. Quand Méphisto lui fait voir Marguerite, Faust signe aussitôt.D’entrée, musicalement parlant, il est dans la supplique et la révolte,qui <strong>de</strong>viendront exaltation à la fin du premier acte. Le ton tendu entre aiguet grave, le définit comme un personnage instable, peu sûr <strong>de</strong> lui. Un seulmoment élégiaque interrompt cette tonalité paroxystique, celui <strong>de</strong> l’apparition<strong>de</strong> Marguerite : « Ô merveille ! », qui exprime, dans un souffle, sonextase. On peut dire que toute la partition qui lui revient, répète ces données,l’élégie étant à son apogée dans la scène du jardin, le ton brutal caractérisanttous ses échanges avec son mentor. La <strong>de</strong>rnière scène avecMarguerite va mêler tendresse et âpreté du désespoir. C’est Marguerite quiprononce le <strong>de</strong>rnier mot, « horreur », celui <strong>de</strong> Méphisto, « Jugée », étantimmédiatement corrigé, donc nié, par le chœur céleste, « Sauvée ». Faustreste muet, signe <strong>de</strong> son échec définitif. Faust a finalement une partitionplus conventionnelle, même si la célèbre cavatine, qui <strong>de</strong>viendra un modèlepour les opéras à venir, ne correspond pas exactement au modèle canonique.Il n’y a que dans la scène du jardin que la ligne mélodique, qui luiest propre, se libère vraiment et épouse ses moindres émotions. Son cœurest déchiré entre le charme <strong>de</strong> Marguerite, et celui, au sens sorcellerie duterme, qu’exerce Méphisto sur son esprit. Il ne choisit vraiment jamais.Valentin, on l’a dit, s’exprime toujours dans le ton <strong>de</strong> la ferveur, qu’ils’agisse <strong>de</strong> sa sœur, <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong> son honneur <strong>de</strong> soldat ou face à Méphisto.Il incarne l’homme du <strong>de</strong>voir, ce qui le fait tant haïr par une certaine critiqued’aujourd’hui, alors qu’il correspond à la norme du temps (du récitou <strong>de</strong> la création) par rapport au dérèglement incarné par l’irruption duDiable. Il n’y a aucune raison pour que sa ligne mélodique bouge. Gouno<strong>de</strong>t ses librettistes ont beaucoup gommé l’aspect rustre du personnage <strong>de</strong>Goethe. Cela tient, en partie, à la suppression <strong>de</strong> la chanson <strong>de</strong> Valentin« Chaque jour, nouvelle affaire », d’un ton assez matamore, où il cherchaità tirer profit <strong>de</strong> la bonne réputation <strong>de</strong> sa sœur. Elle fut remplacée par lechœur <strong>de</strong>s soldats. L’introduction <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier tiendrait à une réunion quiprécéda la première, chez Gounod. Il fut prié <strong>de</strong> jouer un extrait <strong>de</strong> soninfortuné Ivan le Terrible. L’effet produit fut tel que l’assistance, dontCarvalho et Ingres, lui <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> l’utiliser dans Faust. C’est ainsiqu’une marche nuptiale <strong>de</strong>vint militaire. Plus tard, avec l’ajout d’« Avant37


<strong>de</strong> quitter ces lieux », le côté sentimental du personnage s’accentua.Siébel, écrit pour une dugazon, diffère <strong>de</strong> son modèle allemand, personnageépisodique dans le poème original. Goethe le décrit comme bedonnant,quelque peu ivrogne. Rien à voir avec la can<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l’adolescent <strong>de</strong>« Faites-lui mes aveux ». La sincérité <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier le hisse, dans la scène<strong>de</strong> la chambre, à la hauteur <strong>de</strong> la situation : la ligne mélodique est fermeet claire, comme son âme. À l’air primitif, « Versez vos chagrins » sesubstitua « Si le bonheur ».À Marguerite échoit un vrai chemin <strong>de</strong> croix, qu’elle suit avec vaillance etune foi naïve, en Dieu, en son frère, en Faust. Les <strong>de</strong>ux hommes l’abandonnent,elle s’égare, dans tous les sens du terme. Elle se retrouve en comprenant,à temps, qui est Faust : la marionnette <strong>de</strong> Satan. Elle retourne àDieu. La tragédie <strong>de</strong> Marguerite marginalise un Faust velléitaire. Elle seuletriomphe <strong>de</strong> Méphisto. Elle atteint, ainsi, le statut <strong>de</strong> véritable héroïne <strong>de</strong>l’opéra. D’autant plus que Marguerite, par étapes successives, s’imposeaux spectateurs : simple image muette dans son apparition à Faust, au premieracte ; elle ne chante que huit mesures à l’acte II, « Non, Monsieur, jene suis <strong>de</strong>moiselle… ». Généralement, dans un opéra, la soprano avait,assez rapi<strong>de</strong>ment, un air d’entrée ou un duo. Il est difficile aujourd’hui d’imaginercombien sembla audacieuses à ses contemporains cette premièreapparition discrète <strong>de</strong> Marguerite, comme sa déclamation sur les motifs <strong>de</strong>l’orchestre, à la fin du troisième acte. Avec la suppression <strong>de</strong> son dialogueavec Valentin, elle ne s’exprime vraiment qu’à l’acte III, encore Siébel etFaust passent-ils avant elle. Elle existe, à la fois, comme un personnagetuté-laire, grâce à la médaille donnée à Valentin et comme celle qu’il fautprotéger. Quand elle apparaît enfin en personne, dans toute sa beauté,quand Faust la prie <strong>de</strong> l’autoriser à la raccompagner chez elle, à chaquefois, une musique particulièrement harmonieuse l’accompagne. Cela créeune aura poétique autour <strong>de</strong> ce personnage que tous évoquent, et une attentechez le spectateur, enfin satisfaite par une longue scène solo, avant lelong duo d’amour qui suivra. Traversant toutes les gammes <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong>la souffrance, Marguerite passe du statut <strong>de</strong> victime passive à celuid’héroïne active. Parallèlement, l’étoile <strong>de</strong> Faust pâlit et il <strong>de</strong>vient commeétranger au mon<strong>de</strong> qui l’entoure, notamment avec son indifférence auxfestivités que lui offre Méphistophélès. Littéralement, la musique changela voix <strong>de</strong> Marguerite qui s’enfle et envahit l’espace sonore <strong>de</strong> l’opéra. Iln’est guère gênant que l’œuvre fut rebaptisée Margarete en allemand. Car,mo<strong>de</strong>ste jeune fille au début, Marguerite occupe le cœur même <strong>de</strong> la dramaturgie: enjeu d’une lutte entre Méphisto dont Faust est le bras armé, cetaxe du Mal s’oppose à un axe du Bien, son frère qui délègue ses pouvoirs38


protecteurs à Siébel. Mais elle se sauve seule et se transforme en une guerrièrechrétienne. C’est à Marguerite que le spectateur s’i<strong>de</strong>ntifie et non àFaust, personnage sans la moindre initiative ferme, parce que cette femme,en choisissant son <strong>de</strong>stin, prend figure humaine.RéceptionEntre 1859 et 1869, l’opéra gagne la Province et les pays limitrophes, etmême la Russie. En 1863, Londres et New-York (à l’Académie <strong>de</strong>Musique), l’accueillent. Cette rapi<strong>de</strong> diffusion va imposer la version avecrécitatifs, avant même l’entrée à l’Opéra <strong>de</strong> Paris. Gounod aurait souhaitéque les <strong>de</strong>ux versions cohabitent.À Londres, George Bernard Shaw se plaignait car chaque critique « doitpasser, au cours <strong>de</strong> sa vie, quelques dix années sur douze à écouter Faust.Je ne jurerais pas que la contemplation prolongée du manteau écarlate <strong>de</strong>Méphistophélès et <strong>de</strong> ses projecteurs rouges ne m’ont pas détérioré lavue. »Ce fut sans aucun doute le conformisme <strong>de</strong> l’œuvre qui emporta l’adhésionrapi<strong>de</strong> du public, ses formes musicales étant celles qui étaient familières àtout amateur d’opéra <strong>de</strong> l’époque, en particulier celles <strong>de</strong>s solos <strong>de</strong>Méphistophélès, <strong>de</strong>s couplets, c’est-à-dire avec un refrain répété, et celle<strong>de</strong> la cavatine en trois parties <strong>de</strong> Faust, « Salut, <strong>de</strong>meure chaste et pure »avec une section centrale modulante. Les rythmes <strong>de</strong> marche qui envahissentcertaines parties <strong>de</strong> la partition ne paraîtraient pas déplacés dans lesœuvres <strong>de</strong> Meyerbeer. Gounod a parfois cédé aux attentes du public : lareprise en si majeur d’« Anges purs, anges radieux », était interrompue aubout <strong>de</strong> quatre mesures par le tambour du bourreau. Cette fin était plusfrappante, mais Gounod rétablit la strophe entière dès 1862.Le style <strong>de</strong> Gounod était à l’époque aussi admiré que celui <strong>de</strong> Verdi et <strong>de</strong>Wagner. En Angleterre, on le considérait comme le successeur <strong>de</strong>Men<strong>de</strong>lssohn. Les critiques ne manquèrent pourtant pas. Les principalesfurent d’avoir trahi la dimension philosophique <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Goethe queBerlioz et Boito, plus tard, ont davantage approchée. Suivant son tempéramentet sa formation, Gounod s’intéresse plus à l’aspect moral <strong>de</strong>l’histoire : la chute <strong>de</strong> Marguerite, sa ré<strong>de</strong>mption finale par le repentir,ainsi que la tentative <strong>de</strong> Faust, vouée à l’échec, <strong>de</strong> retrouver la jeunesse ensignant un pacte avec le diable. On lui reprocha <strong>de</strong> faire moins bien queMeyerbeer.Il n’en reste pas moins que l’auteur eut droit à un timbre à son effigie. Lapublicité s’empara <strong>de</strong>s personnages, dont une pour les produits Liebig.Dernière preuve <strong>de</strong> l’immense popularité, l’invention, par Hergé, du per-39


sonnage <strong>de</strong> Bianca Castafiore, cantatrice qui n’a que l’air <strong>de</strong>s bijoux à sonrépertoire.GOUNOD ET L’OPÉRA FRANÇAISLe compositeur et critique Alfred Bruneau définit la spécificité du langagemusical <strong>de</strong> Gounod, comme « un langage tendre d’une sensibilité infinie etd’un raffinement délicieux », alliant la « simplicité pure <strong>de</strong> Mozart » à la« poésie troublante <strong>de</strong> Schumann ». Il souligne, la tendresse créée par unlyrisme sans affectation, la délicatesse <strong>de</strong>s nuances orchestrales et un artvocal qui renonce aux effets. La musique <strong>de</strong> Gounod est française dansl’âme, par la simplicité <strong>de</strong>s accords parfaits, par les figures d’accompagnementsdélicates. Certains motifs attachés à Marguerite, ou au duo d’amour,reviennent, plus ou moins discrètement, à l’orchestre jusqu’à la scène <strong>de</strong> laprison, imprégnant l’ensemble <strong>de</strong> la partition d’une tonalité amoureusedont on se sait plus si elle s’adresse au ciel ou à la chair.A ce lyrisme, véritable signature <strong>de</strong> Gounod, qui s’épanouit au chœur <strong>de</strong>l’acte III, s’ajoute une parfaite maîtrise orchestrale qui lui permet <strong>de</strong>mettre en place le chœur complexe <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> la Kermesse. Preuve <strong>de</strong>l’inventivité <strong>de</strong> Gounod, Faust fourmille <strong>de</strong> mélodies qui sont <strong>de</strong>venues<strong>de</strong>s tubes, non sans raison, car elles sont parfaitement construites, en parfaitaccord avec la vérité dramatique. Verdi, qui appréciait Gounod, regrettaitcependant son manque <strong>de</strong> force dramatique. Gounod n’est pas Berliozpour ce qui est <strong>de</strong> l’innovation musicale, et il ne force pas sur les effetsgrandiloquents à la Meyerbeer, même si le choral <strong>de</strong>s épées, à l’acte II, quin’existe pas chez Goethe ni chez Carré, fait irrésistiblement penser à labénédiction <strong>de</strong>s poignards dans les Huguenots.C’est le musicien d’église qui écrit Faust (la supplique <strong>de</strong> Marguerite dansla scène <strong>de</strong> l’église vient du Dies irae du Requiem écrit à Vienne en 1842).Mais, on peut dire aussi l’inverse : sa musique religieuse est souvent théâtrale,dans l’esprit <strong>de</strong> son temps. Même si nous le percevons mal, Faustn’a rien à voir avec les « diableries » que l’on voyait sur les scènes <strong>de</strong>l’époque, <strong>de</strong>stinées à faire frémir le public à bon compte. Au contraire, ilfait comprendre que Méphistophélès ne vient pas d’ailleurs, il est parminous ; en fait, il est en nous-mêmes.L’œuvre musicale <strong>de</strong> Gounod, dans son ensemble, reflète la double postulation<strong>de</strong> son auteur qui a passé quelques <strong>de</strong>ux ans au séminaire, commeplus tard il passera sensiblement le même temps à Londres, abandonnantfemme et enfants à Paris, pour vivre auprès d’une médiocre cantatrice.40


L’opéra occupe le mitan du XIX e siècle et il crée un pont entre un opérafrançais dont les principes se constituent avec le <strong>de</strong>rnier Rossini,Meyerbeer, Halévy, et celui qui va naître avec le disciple Bizet, Massenet.Gounod abandonne les sujets historiques pour d’autres plus intimes. Au<strong>de</strong>là<strong>de</strong>s scènes <strong>lyrique</strong>s, son sens mélodique va se retrouver chez Franck,Fauré, et sa clarté d’écriture va s’imposer. Même Debussy et Ravel s’ensouviendront.ENTRETIENS AVECLE CHEF D’ORCHESTRE ETLE METTEUR EN SCÈNELe Maître Jacques Mercier s’exprime sur l’écriture musicale <strong>de</strong>Gounod.Jacques Mercier, directeur <strong>de</strong> l’orchestre National <strong>de</strong> Lorraine, gar<strong>de</strong> unsouvenir amusé du premier Faust qu’il a dirigé à Séoul, à la fin <strong>de</strong>s années1970, et pour lequel André Batisse avait fait la mise en scène. Ce n’est pasle fait que l’œuvre fut chantée en coréen, ni la qualité <strong>de</strong> l’équipe musicalelocale, d’ailleurs excellente, qui lui posèrent le plus <strong>de</strong> problèmes. Lecontact fut cependant ru<strong>de</strong>, à la première répétition : confiné dans une sallepeu aérée, face à une cinquantaine <strong>de</strong> choristes chantant à pleine voix, bouchelargement ouverte, il reçut en pleine figure les effluves <strong>de</strong> leur récentdéjeuner dont les composantes exotiques laissaient un parfum particulièrementtenace et peu agréable pour un européen non averti.Ce n’est pas pour cette raison, cependant, que la reprise <strong>de</strong> Faust, à Metz,n’est que la <strong>de</strong>uxième occasion qui est donnée au Maestro <strong>de</strong> diriger l’opéra<strong>de</strong> Gounod. Sans doute est-ce un autre signe <strong>de</strong> la relative raréfactionactuelle <strong>de</strong> l’œuvre sur scène. Mais par ailleurs, Jacques Mercier connaîtparfaitement la musique française, <strong>lyrique</strong> et symphonique du XIX e sièclequ’il dirige et enregistre. Il a donc un regard particulièrement éclairé surcette partition.Pour lui, il n’est guère étonnant que Carmen supplante Faust dans le cœur<strong>de</strong>s lyricophiles car la musique <strong>de</strong> Bizet, dont il a enregistré Djamileh, estbien plus inventif. Gounod tombe parfois dans la facilité qui consiste àreprendre une même structure, <strong>de</strong>ux à trois fois <strong>de</strong> suite, en élevant àchaque fois le ton, ce qui se passe dans le <strong>de</strong>rnier trio <strong>de</strong> l’opéra, et surtoutil a une conception plus mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> la structure musicale, n’hésitant pas àla désarticuler parfois, pour mieux surprendre. Ce qui rend ses partitions41


plus vivantes, en un mot plus attractives et intéressantes. Si le rôle Micaëlarappelle, en partie, la manière <strong>de</strong> Gounod, l’élève a dépassé le maître et saCarmen est logiquement plus universelle.Gounod reflète parfaitement les goûts <strong>de</strong> son temps, d’une France moralisteet catholique, et il y aurait bien <strong>de</strong>s points communs entre le traitement<strong>de</strong> l’orgue, dans la scène <strong>de</strong> l’église, et ce que fait Saint-Saëns dans saSymphonie avec orgue. Si Jacques Mercier apprécie Mors et Vita et laMesse <strong>de</strong> Sainte-Cécile <strong>de</strong> Gounod, très bien écrites, il reste réticent <strong>de</strong>vantun certain côté Saint-sulpicien qu’il retrouve dans l’opéra. À cela s’ajoutel’argument qui lui paraît peu compatible avec la mentalité actuelle.Il n’empêche que lui et ses musiciens trouvent cette musique très agréableà jouer. Gounod orchestre parfaitement et tout sonne idéalement. Il a ungrand sens <strong>de</strong> la ligne vocale. C’est pourquoi cette musique a une grâceindéniable. Elle frappe par son naturel, sa transparence, sans doute apprisechez Mozart. Sa fluidité et l’économie <strong>de</strong>s moyens, sa mesure et son élégance,loin <strong>de</strong> toute esbroufe, imposent ce qu’on appelle la qualité française.Gounod reste un maître pour toute l’évolution <strong>de</strong> l’opéra français à la findu siècle. On retrouve également sa leçon chez Franck, Clau<strong>de</strong> Debussy etmême Ravel qui n’aimait pas qu’on critiquât le compositeur <strong>de</strong> Faust.Regards d’un directeur et metteur en scène d’opéra sur FaustLe Faust proposé par l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz Métropole, en juin 2012, estmis en scène par son directeur actuel, Paul-Émile Fourny. Conçue en 2002,cette production a été reprise <strong>de</strong>puis cette date, douze fois, en France et àl’étranger (Espagne, Tel-Aviv). M. Fourny qui parlait, samedi 12 mai 2012,dans le cadre <strong>de</strong>s conférences du Cercle <strong>lyrique</strong> <strong>de</strong> Metz, sur l’art <strong>de</strong> lamise en scène, a bien voulu ensuite répondre à quelques questions pourpréciser les principes qui guidaient toujours son travail : le respect <strong>de</strong>l’esprit du texte et <strong>de</strong> la partition, quitte à en modifier la lettre. C’est ainsique la scène <strong>de</strong> la kermesse où se côtoient les hommes qui partent à laguerre et ceux qui restent, lui a donné l’idée <strong>de</strong> transposer l’œuvre à laveille du premier conflit mondial.Le spectacle rétablit la scène <strong>de</strong> la chambre, longtemps supprimée, cequi nuisait à la compréhension <strong>de</strong> la progression du drame et à celle <strong>de</strong>l’évolution <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> Marguerite et <strong>de</strong> Siébel. Le grand air <strong>de</strong>l’héroïne, comme la romance du second, traduisent cette mutation : tous<strong>de</strong>ux ont perdu leur innocence première, ont mûri, sans se renier pourautant. Contrairement à d’autres productions récentes, à Paris notamment,le ballet est maintenu mais en essayant <strong>de</strong> l’intégrer dans le propos drama-42


turgique afin qu’il ne soit pas un simple divertissement.Il y a donc une réévaluation du personnage <strong>de</strong> Marguerite, qui la replacesur un plan d’égalité avec Faust : elle se bat seule contre tous, ce quil’amène à la folie. D’où la question du metteur en scène : il est beaucoupquestion <strong>de</strong> Dieu mais il n’intervient guère. Il est vrai que Méphisto, manipulateurcynique et pervers, « conduit le bal » à sa guise afin <strong>de</strong> séparer les<strong>de</strong>ux amants. Sans lui, Faust, qui aime sincèrement Marguerite selon P.-E.Fourny, ne la trahirait pas. D’où l’importance <strong>de</strong> la qualité du jeu scéniquequ’on attend du personnage diabolique, insinuant et persuasif, loin <strong>de</strong>l’histrionisme d’une certaine tradition.Chaque personnage est parfaitement <strong>de</strong>ssiné, y compris Dame Marthe, seulValentin serait plus conventionnel, sans pour autant être l’affreux personnageque dénoncent certains spectacles <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années.M. Fourny insiste sur la mo<strong>de</strong>rnité du livret et <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> Gounod.C’est justement au metteur en scène <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r le spectateur <strong>de</strong> nos jours<strong>de</strong> l’actualité du mythe <strong>de</strong> Faust.À LIREGérard Condé, Charles Gounod, Paris, Fayard, 2009.Steven Hueber, Les Opéras <strong>de</strong> Charles Gounod, Actes Sud, 1993.L’Avant-scène Opéra, Le Mythe <strong>de</strong> Faust/1. Faust <strong>de</strong> Gounod, n° 2,mars-avril 1976.L’Avant-scène Opéra, Faust <strong>de</strong> Gounod, mars-avril 1976, n° 231, 2006.À ÉCOUTERIl est difficile <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> toutes les sélections et intégrales parues<strong>de</strong>puis l’invention du phonographe, même si elles furent relativement raresjusqu’aux années 1950. A partir <strong>de</strong> 1970, la notion « d’intégrale » se diversifieen fonction <strong>de</strong> la réintégration <strong>de</strong> certaines scènes, ou airs, traditionnellementcoupés, <strong>de</strong> l’insertion du ballet au sein <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> Walpurgis ou<strong>de</strong> son rejet en annexe. Plus délicat est la main mise <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s firmesdiscographiques sur les distributions. Elles imposent, certes, <strong>de</strong> grandsnoms mais ces artistes sont trop souvent étrangers à l’esprit <strong>de</strong> l’œuvre ous’expriment dans un improbable volapuk. Aussi, au risque <strong>de</strong> paraîtrepédant, on prendra le risque d’affirmer qu’aucune <strong>de</strong>s intégrales actuelle-43


ment disponibles n’est totalement satisfaisante. Si le quintette -ténor,soprano, baryton, basse, mezzo-, est celui du Trouvère ou <strong>de</strong> l’Aïda <strong>de</strong>Verdi, et compte non tenu <strong>de</strong>s difficultés vocales respectives <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>srôles, il sera toujours plus facile <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s interprètes rompus à la prosodieet à la vocalité italiennes qu’à la prononciation et au style français.C’est le résultat regrettable d’un recul du répertoire français, non seulementsur les scènes étrangères mais surtout sur les scènes nationales. Il va<strong>de</strong> pair avec le déclin <strong>de</strong> l’école du chant français <strong>de</strong>puis quelques décennies.Cela peut expliquer, du moins partiellement, que Faust en fasse lesfrais. Le problème est moins grave pour les chefs d’orchestre, quelle quesoit leur nationalité : ils dirigent, généralement, la musique symphoniquefrançaise, ils en connaissent l’esprit qui se retrouve dans l’écriture <strong>de</strong>Gounod.SélectionsElles ont la vertu d’avoir gardé le témoignage, en studio, <strong>de</strong> chanteurs quiont fait les beau soirs <strong>de</strong> l’Opéra Garnier ou <strong>de</strong>s scènes internationales.On trouve chez Nimbus la réunion d’extraits, enregistrés entre 1906 et1911, par Enrico Caruso, Geraldine Farrar, Antonio Scotti, non francophonesmais confondants <strong>de</strong> pertinence stylistique, <strong>de</strong> beauté vocale etd’engagement, accompagnés par l’une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s basses françaises,Marcel Journet qui <strong>de</strong>vait participer 20 ans plus tard, quelques mois avant<strong>de</strong> disparaître, mais alors moins convainquant, au premier enregistrementintégral « électrique » <strong>de</strong> l’œuvre. Sa leçon <strong>de</strong> chant <strong>de</strong>vrait servir à toutapprenti Méphisto encore <strong>de</strong> nos jours.De façon peu compréhensible, il ne nous reste, chez EMI, que <strong>de</strong>s extraitsenregistrés entre 1929 et 1931, par Georges Thill dont la voix et le styleétaient ceux-là mêmes exigés pour Faust : legato, projection, timbres sontparfaits. Il est un <strong>de</strong>s rares interprètes à conclure sa cavatine sur un Ut émisen voix mixte d’un rayonnement absolu.L’année 1962 voit sortir trois sélections : chez Vega, les jeunes AlainVanzo et Robert Massard, que l’on retrouve en « live » par ailleurs et, pourle second, dans une intégrale prestigieuse chez Decca. Style, articulation,beauté vocale sont au ren<strong>de</strong>z-vous. Chez Orphée, Gustave Botiaux, à quile studio n’a jamais réussi, accompagne l’excellente Marguerite d’AndreaGuiot, si injustement absente <strong>de</strong>s studios par ailleurs, le Valentin <strong>de</strong> RenéBianco et le Méphisto <strong>de</strong> Xavier Depraz. Philips présente le célèbre, etcontroversé, Tony Poncet, la plus jeune Marguerite d’alors, au PalaisGarnier, l’Algéroise Irène Jaumillot et le Constantinois René Bianco, icidans Méphisto. Beaucoup d’amateurs d’opéra les ont aimés, la critique44


jamais.À partir <strong>de</strong> l’avènement du CD, les extraits d’opéra se font rares. Unecuriosité cependant : une version abrégée <strong>de</strong> l’intégrale <strong>de</strong> Michel Plasson,pour restituer les aigus traditionnels, impitoyablement interdits aux solistesdans l’intégrale, parue en même temps chez EMI. Cela concerne notammentle trio final.Intégrales en langues étrangèresPreuve du rayonnement international <strong>de</strong> l’œuvre à la fin du XIX e siècle, en1908, le premier enregistrement intégral <strong>de</strong> Faust paraît en langue alleman<strong>de</strong>,avec la prestigieuse Emmy Destinn, alors âgée <strong>de</strong> 30 ans, créatricerécente <strong>de</strong> Salomé et <strong>de</strong> La Fanciulla <strong>de</strong>l West, aux côtés <strong>de</strong> Caruso. UneMarguerite imposante par les moyens vocaux déployés, loin <strong>de</strong> la frêlejeune fille attendue. Carl Jörn lui tient tête avec éclat (Discophilia). En1920, la première intégrale en italien, avec les forces <strong>de</strong> la Scala, dirigéespar Carlo Sabajno, reste anecdotique (His Master Voice). A la tête d’unedistribution anglaise, neuf ans plus tard, Thomas Beecham dirige son premierFaust avec, dans le rôle titre, Heddle Nash, mozartien distingué.En allemand, le grand ténor danois, Helge Rosvaenge, enregistre plusieursfois le rôle <strong>de</strong> Faust : en 1937, sous la direction <strong>de</strong> Joseph Keilberth, puiscelle <strong>de</strong> Heinrich Steiner en 1938, à la radio berlinoise, dans un son étonnantpour l’époque. Dans ces mêmes années, il incarnait le ténor italien duRosenkavalier, Tamino dans La Flûte enchantée, mais aussi le Florestan <strong>de</strong>Fi<strong>de</strong>lio, au Festival <strong>de</strong> Salzburg et Parsifal au Festival Bayreuth ! C’estdire l’extrême souplesse d’une voix éclatante et généreuse. Difficiled’apprécier le style du célèbre chanteur avec, pour la secon<strong>de</strong> version, unedirection erratique et la présence d’un Méphisto, Michael Bohnen, dont laprestation ahurissante d’histrionisme et son indifférence aux indications <strong>de</strong>la partition, ren<strong>de</strong>nt inaudibles la plupart <strong>de</strong>s scènes. Il existe d’autrestémoignages <strong>de</strong> Rosvaenge, dont une en 1942. Il n’est pas sûr que lespublics, autres que germaniques, les trouvent indispensables ajourd’hui.Deux enregistrements, en russe, datant <strong>de</strong> 1947 (Mez-Kniga) et 1948 (Lys)ont, tous <strong>de</strong>ux sous la direction <strong>de</strong> Vassily Niebolssine, le même coupleve<strong>de</strong>tte, la soprano Yelizavieta Choumskaya et le ténor Ivan Kozlovskydont on peut ne pas aimer la voix un peu nasillar<strong>de</strong>, mais au style racé et àla quinte aiguë impeccable ; Alexan<strong>de</strong>r Pirogov, puis Mark Reizen, sontmarquants dans Méphisto, le second particulièrement. Les Britanniquesn’ayant pas renoncé à publier <strong>de</strong>s opéras dans leur langue nationale, ontrouve une intégrale en anglais, chez Chandos, en 1999, qui offre une belle45


homogénéité tant chez les solistes qu’à l’orchestre.Intégrales en françaisLes Français relèvent le défi allemand <strong>de</strong> la première intégrale, en 1911-1912, avec une intégrale en 56 faces <strong>de</strong> 78 tours. Malgré les problèmestechniques <strong>de</strong> l’époque, on y trouve la scène <strong>de</strong> la chambre, sans la romance<strong>de</strong> Siébel, et l’intégralité du ballet ! Signalons l’élégance stylistique <strong>de</strong>Léon Beyle, alors grand interprète <strong>de</strong> Werther et <strong>de</strong> Des Grieux. Il possè<strong>de</strong>l’exacte tessiture du rôle <strong>de</strong> Faust. La voix <strong>de</strong> Jeanne Campredon passemoins bien la précarité <strong>de</strong> la restitution sonore. Saluons en elle, la créatrice,en France, du rôle <strong>de</strong> la Maréchale du Chevalier à la rose, et la gran<strong>de</strong>pédagogue qu’elle fut, unanimement respectée par ses élèves : auConservatoire d’Oran, elle guida les premiers pas du tout jeune JuanOncina.La première intégrale « électrique », reprise chez Andante, remonte à 1930.Elle est dirigée par le <strong>de</strong>rnier élève <strong>de</strong> Gounod, Henri Busser, nourri à latradition française avec une totale maîtrise du style. C’est la seule intégrale<strong>de</strong> César Vezzani dont on peut ne pas aimer les contre-uts à l’arrachée,mais il est difficile <strong>de</strong> nier la beauté du timbre et la diction impeccable. Iloffre un mélange étonnant entre élégance française et force vériste. Legrand Marcel Journet, à 62 ans, tient le rôle <strong>de</strong> Méphisto qu’il a chanté surtoutes les gran<strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> l’Ancien et du Nouveau Mon<strong>de</strong>. Vraie bassechantante, il a marqué ce rôle qu’il disputait à Pol Plançon et Chaliapine.La difficulté <strong>de</strong> ce rôle est d’en faire ressortir l’ironie subtile qui se mêle àl’affirmation <strong>de</strong> sa puissance, l’humilité feinte au sarcasme assassin, la servilitéaux éclats orgueilleux. La voix <strong>de</strong> Journet savait se faire tour à tourenjôleuse et terrifiante. Sans chauvinisme aucun, les Français, commePernet, ont excellé dans l’art <strong>de</strong> rendre toutes les subtilités <strong>de</strong> ce rôle, talonnéspar certains Italiens, enregistrés sur scène au Metropolitan Opera dontla première captation en direct, avec Ezio Pinza, remonte à 1940. On leretrouve en 1940, 1943, 1944 ; Cesare Siepi lui succè<strong>de</strong> en 1950, 1951,1955, 1959. Certaines <strong>de</strong> ces versions sont reprises dans la collectionNaxos. Dans les mêmes lieux, en 1944, Thomas Beecham dirige le Faust<strong>de</strong> Raoul Jobin qui rappelle quels excellents Roméo et Werther il fut. Cettemême scène voit passer dans le rôle éponyme, Giuseppe Di Stefano, en1949, et Jussi Björling, en 1950 et 1959 : le premier, avec une générositétoute latine ; le second, avec un style impeccable, un timbre exceptionnel,qui fait croire à la tendresse déchirée, mais sincère, du héros pourMarguerite. On regrette qu’il n’ait jamais participé à une intégrale en studio.(Ces rééditions <strong>de</strong> productions du MET sont disponibles chez Myto).46


En 1948, Beecham grave, dans un Londres qui sort difficilement <strong>de</strong> laguerre, l’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières intégrales avec une distribution entièrementfrançais (RCA, Naxos) : le vétéran Georges Noré, la Marguerite préférée<strong>de</strong>s Français, Géori Boué, éblouissante à la scène, mais au style maniéré audisque, son époux d’alors, Roger Bourdin, hors <strong>de</strong> propos dans Valentin, etle Méphisto prometteur <strong>de</strong> Roger Rico. Cela vaut surtout par le souffle quesait insuffler le chef à son équipe.De tous les témoignages laissés par Victoria <strong>de</strong> Los Angeles -notamment,en « live », dirigée par Pierre Monteux-, c’est sa prestation officielle en1953, sous la direction d’un André Cluytens inspiré, avec l’Opéra <strong>de</strong> Paris,Nicolaï Gedda, Boris Christoff, qui reste son témoignage le plus touchant :elle traduit la naïveté sans mièvrerie et l’évolution tragique <strong>de</strong> Marguerite,avec une gran<strong>de</strong> vérité psychologique. Gedda n’a pas encore l’envergurevocale du rôle s’il en a l’intelligence. Reste la prestation <strong>de</strong> Christoff : legrand Boris ou l’impressionnant Philippe II, qu’il a incarnés, n’ont rien àvoir avec Méphisto, créé par une basse chantante au Théâtre-Lyrique et unbaryton, Faure, à l’Opéra <strong>de</strong> Paris. Non seulement, il reste étranger au style<strong>de</strong> Gounod, mais son français reste incompréhensible, son interprétationtourne au grotesque. De plus, il lance, hélas, la mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s basses slaves dansce rôle. Leurs voix plus « gran<strong>de</strong>s », plus sombres, ne peuvent pas toujourstraduire la subtilité du personnage. Certains <strong>de</strong> ces interprètes n’ont pastoujours le sens <strong>de</strong> la mesure qui leur permettrait d’éviter les outrances.Cluytens retrouvera, en 1958, pour la stéréo, la même équipe, sans améliorationnotable.1963 voit la parution, à la Guil<strong>de</strong> internationale du disque, une versionavec Léopold Simoneau et son épouse Pierrette Alarie. Le talent <strong>de</strong> mozartiendu premier, celui <strong>de</strong> soprano <strong>lyrique</strong> <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> ne sont pas encause, mais ils sont sur distribués.La véritable première intégrale paraît en 1966, chez Decca, avec la restitution<strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> la chambre sans coupures et <strong>de</strong> quelques fragmentsretrouvés, sous la direction <strong>de</strong> Richard Bonynge qui inverse l’ordre <strong>de</strong>sscènes <strong>de</strong> l’église et du retour <strong>de</strong>s soldats. La distribution est éblouissante :Franco Corelli, Joan Sutherland. Les voix sont d’or, le style <strong>de</strong> pacotille, ladiction bradée. Seul le Valentin <strong>de</strong> Robert Massard sait ce qu’il chante et lefait magnifiquement. Dans l’entre-<strong>de</strong>ux, Nicolaï Ghiaurov, avec une bellevoix, n’a pas vraiment le style <strong>de</strong> Méphisto. Seule la direction intelligentedu chef emporte l’adhésion.La version d’Alain Lombard, avec l’Opéra du Rhin, Giacomo Aragall etMonserrat Caballé, chez Erato, fut très bien accueillie en 1976. La direction,qui se veut solennelle et impressionnante, respire un ennui profond47


qui gagne tous les interprètes. Le Méphisto <strong>de</strong> Paul Plishka est à fuir, leValentin d’Huttenlocher inexistant. Seule la Dame Marthe <strong>de</strong> JocelyneTaillon retient l’attention, c’est peu.En 1979, le grand chef français, Georges Prêtre, dirige <strong>de</strong>ux monstressacrés, Plácido Domingo et Mirella Freni, avec <strong>de</strong> nouveau un NicolaïGhiaurov sans surprise, chez EMI. Si le premier chante un français d’unequalité qu’il n’a pas toujours eu dans cette langue, ce n’est pas toujours lecas <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong>. Leur prestation vocale est <strong>de</strong> haut niveau. C’est Freniqui, à l’instar <strong>de</strong> ce qu’on peut constater dans d’autres prestations prises surle vif, montre le mieux la transformation <strong>de</strong> la timi<strong>de</strong> jeune fille en femmepassionnée. Cela tient, il est vrai, à une interprétation italianisante <strong>de</strong> lapartition mais qui reste acceptable. Un Thomas Allen, intéressant enValentin complète une équipe bien menée par le chef. C’est la premièreversion qui relègue le ballet en annexe -mais Faust chante sa chansonbachique à Walpurgis.En 1986, la version Colin Davis, chez Philips, est une bonne surprise pourla finesse <strong>de</strong> la lecture <strong>de</strong> la partition. Francisco Araiza ne tient pasjusqu’au bout les promesses que le premier acte laissait espérer. Kiri TeKanawa ne convainc guère et Evgeny Nesterenko n’a rien compris à sonpersonnage. Andreas Schmidt est oubliable en Valentin.EMI publie, en 1991, le témoignage <strong>de</strong> Michel Plasson, grand spécialistedu répertoire français du XIX e siècle, avec le Capitole <strong>de</strong> Toulouse.Richard Leech, Cheryl Stu<strong>de</strong>r, Thomas Hampson sont tous remarquablespar leur style et leur français impeccable. Mais aucune émotion ne passe.Reste le Méphisto <strong>de</strong> José Van Dam. Baryton-basse, ce qui correspond auxintentions du compositeur, au style et à la diction impeccables, il crée unpersonnage énigmatique, très intellectualisé qui frustre un peu l’auditeur àqui manque l’image du grand comédien qu’il est.La version <strong>de</strong> Carlo Rizzi, parue chez Tel<strong>de</strong>c, en 1993, n’a pas d’autre intérêtque sa valeur documentaire : ni Jerry Hadley, ni Cecilia Gasdia, niAlexandru Agache, n’ont la dimension vocale <strong>de</strong> leurs personnages. LeMéphisto <strong>de</strong> Samuel Ramey impressionne par la somptuosité <strong>de</strong> la voixmais il reste extérieur au livret et à la partition. En revanche, à ce jour, c’estle seul essai <strong>de</strong> reconstitution <strong>de</strong> la partition originale par la reprise du travailfait par Oeser pour retrouver toutes les scènes et fragments supprimés,avec toujours le rejet du ballet en annexe.Il serait injuste d’oublier, un « live », dirigé par Paul Ethuin, en 1973, avecAlfredo Kraus, Renata Scotto, fortement engagés, chez HRE.48


À VOIROn peut retrouver Alfredo Kraus, dirigé par Alain Guingal, à Parme, en1986, avec Nicolaï Ghiuselev et la Marguerite d’Anna Maria Gonzales,publié par Hardy Classics Vi<strong>de</strong>o. Un peu tard pour le grand ténor espagnol(et une image <strong>de</strong> très mauvaise qualité).Une fois admis que les archives <strong>de</strong> l’INA, pour la production <strong>de</strong> Lavelli àParis ou celle <strong>de</strong> Nicolas Joël à Toulouse, ne sont pas accessibles au public,il ne reste que <strong>de</strong>s productions étrangères, notamment celle du CoventGar<strong>de</strong>n à Londres, en 2004, qui réunissait sous la baguette d’AntonioPappano, Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, dans la mise en scène hardie<strong>de</strong> David Mc Vicar. Notre star nationale, le seul à rappeler Thill, campeun Faust, ar<strong>de</strong>nt et solaire, qui eût été transcendant quelques années plustôt. Gheorghiu relève le défi <strong>de</strong> la virtuosité et <strong>de</strong> l’émotion. Bryan Terfel,baryton-basse campe, avec brio, un Mephisto cauteleux et puissant à la foi.Un Valentin <strong>de</strong> luxe, Simon Keenlysi<strong>de</strong> et le Siebel <strong>de</strong> Sophie Koch complètentla distribution. A la baguette, Antonio Pappano déploie un lyrisme<strong>de</strong> bon aloi.On disposera <strong>de</strong> la prestation <strong>de</strong> Jonas Kaufmann et <strong>de</strong> René Pape auMetropolitan (décembre 2011) dans un proche avenir.Au total, tous supports confondus, il faudrait une Marguerite avec le tempérament<strong>de</strong> Mirella Freni et le style accompli <strong>de</strong> Los Angeles ; dans Faust,la beauté du timbre <strong>de</strong> Björling, avec le sens dramatique d’un Alagna ; unJournet dans Méphisto et un Massard dans Valentin,. Les chefs, Cluytens,Bonynge, Prêtre pourraient heureusement les diriger.Remarquons pour finir <strong>de</strong>ux contresens dans les distributions : Siébel était<strong>de</strong>stiné à une mezzo. Chez Cluytens, on trouve <strong>de</strong>ux sopranos au timbreclair, Martha Angelici et la délicieuse Liliane Berton. Quel que soit leurgrand talent, elles ne correspon<strong>de</strong>nt pas au personnage. On a distribué égalementle rôle à <strong>de</strong>s ténors (on trouve, en « live », l’inusable Luigi Alva),ce qui ne correspond nullement à la voix d’un adolescent.Le Faust irréprochable reste à venir. Bertrand <strong>de</strong> Billy signe une lecturevivante <strong>de</strong> la partition, en 2009, chez Orfeo, lors d’une représentation donnéeà l’Opéra <strong>de</strong> Vienne, avec dans le rôle principal l’excellent ténor polonais,Piotr Beczala, au style et à la diction impeccables. Souhaitons quecela puisse être repris en studio avec une Marguerite et un Méphisto (pour-49


quoi pas français ?), un cran au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ceux qui ne sont que satisfaisantsdans cette production. Peut-être tiendrions-nous enfin une version qui nenous laisserait pas sur notre faim.L’amateur d’opéra doit écouter, pour <strong>de</strong>s comparaisons utiles, LaDamnation <strong>de</strong> Faust <strong>de</strong> Berlioz, dirigée par Münch chez RCA ; leMefistofele (1864), d’Arrigo Boito qui déplace le centre d’intérêt <strong>de</strong> lalégen<strong>de</strong> sur le personnage diabolique : excellente version chez SonyClassical avec Ramey et Domingo, direction Patané. Il peut compléter sesdécouvertes avec Lili Boulanger qui obtint le prix <strong>de</strong> Rome, en 1913, avecsa cantate Faust et Hélène qui, comme l’indique son titre, s’intéresse à lasecon<strong>de</strong> partie du Faust <strong>de</strong> Goethe. Le Doktor Faustus <strong>de</strong> Ferrucio Busoni,contemporain <strong>de</strong> Mahler, enfant prodige et pianiste exceptionnel, se signalepar son souffle <strong>lyrique</strong> authentique. Il offre la particularité <strong>de</strong> confier lerôle <strong>de</strong> Méphisto à un ténor et celui <strong>de</strong> Faust à une basse. Le compositeurtravailla inlassablement à son opéra, sur le thème <strong>de</strong> la quête <strong>de</strong> l’artiste,<strong>de</strong> 1916 jusqu’à sa mort en 1924, le laissant inachevé. Faust n’a pas fini <strong>de</strong>fasciner les musiciens.LES ARTISTES DE LA DISTRIBUTIONJACQUES MERCIER, CHEF D’ORCHESTRENé à Metz en 1945, Jacques Mercier est Premier prix <strong>de</strong> directiond’orchestre à l’unanimité du Conservatoire supérieur <strong>de</strong> Paris, et Premierprix du Concours international <strong>de</strong>s jeunes chefs d’orchestre <strong>de</strong> Besançon.Assistant <strong>de</strong> Pierre Boulez, il a également bénéficié <strong>de</strong>s conseils d’Herbertvon Karajan. Il se lance rapi<strong>de</strong>ment dans la carrière internationale, dirigeantles grands orchestres, celui <strong>de</strong> Paris, le National <strong>de</strong> France, leLondon Symphony Orchestra, l’Orchestre <strong>de</strong> la Suisse roman<strong>de</strong>. Il estrécompensé du titre <strong>de</strong> « Souveräner Dirigent » à Berlin, se produit auFestival <strong>de</strong> Salzbourg, à Séoul, Montréal, Tokyo, Helsinki. A Madrid, il estcité comme « l’un <strong>de</strong>s meilleurs chefs français et européens <strong>de</strong> sa génération». Directeur artistique et chef permanent <strong>de</strong> l’O.D.I.F. <strong>de</strong> 1982 à 2002,il fut pendant sept ans, chef permanent du Turku Philharmonic en Finlan<strong>de</strong>,et acquiert une expérience <strong>de</strong>s musiques nordiques dont celle <strong>de</strong> Sibéliusqu’il fera mieux connaître à son retour en France. Cependant, son talent luipermet aussi <strong>de</strong> se déployer dans un répertoire qui lui est cher, le répertoirefrançais <strong>de</strong>s XIX e et XX e siècles, et jusqu’aux contemporains dontXenakis, Luis <strong>de</strong> Pablo, Manoury, Wolfgang Rihm…50


Ses enregistrements discographiques lui ont valu <strong>de</strong> prestigieuses récompenses.Il obtiendra le Premier grand prix <strong>de</strong> l’Académie Charles Cros pourBacchus et Ariane d’Albert Roussel et le Prix <strong>de</strong> l’Académie du disque<strong>lyrique</strong> pour Djamileh <strong>de</strong> Georges Bizet. Son Martyre <strong>de</strong> Saint-Sébastien<strong>de</strong> Debussy (RCA) lui a valu le Choc du Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Musique. Son enregistrement<strong>de</strong> L’An Mil <strong>de</strong> Gabriel Pierné lui a permis <strong>de</strong> décrocher leDiapason d’or <strong>de</strong> l’année 2007, <strong>de</strong> même que, l’année suivante, sonAntoine et Cléopâtre <strong>de</strong> Florent Schmitt a été récompensé d’un Diapasond’or.Il dirige par ailleurs, à la fosse, les opéras appartenant au répertoire français.L’Orchestre National <strong>de</strong> Lorraine à la tête duquel il est nommé <strong>de</strong>puisdix ans, s’est produit dans divers festivals : La Chaise Dieu, Brighton, LaCôte Saint-André (Berlioz), El Jem en Tunisie… La presse alleman<strong>de</strong> l’aqualifié <strong>de</strong> « Magicien <strong>de</strong> la baguette ».PAUL-ÉMILE FOURNY, METTEUR EN SCÈNENé à Liège en 1961, Paul-Emile Fourny, Premier prix du ConservatoireRoyal <strong>de</strong> Wallonie à Liège, a rejoint en 1985, l’équipe <strong>de</strong> Gérard Mortier àla Monnaie <strong>de</strong> Bruxelles, avant <strong>de</strong> poursuivre sa carrière en France, <strong>de</strong>puis1989, à l’Opéra d’Avignon puis aux Chorégies d’Orange avant d’êtrenommé directeur général et artistique <strong>de</strong> l’Opéra <strong>de</strong> Nice jusqu’en 2009.Directeur artistique <strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz Métropole <strong>de</strong>puis avril2011, il a développé, dès 1997, une carrière <strong>de</strong> metteur en scène parallèlementà la gestion <strong>de</strong>s structures qui lui ont été confiées. Il a ainsi mis enscène les grands ouvrages du répertoire italien, français, allemand essentiellement.On retiendra Rigoletto, Traviata, Aïda, Lucia di Lammermoor,Turandot, L’Enlèvement au Sérail, Don Juan, Roméo et Juliette, Faust,Werther, Les Contes d’Hoffmann, mais également <strong>de</strong>s ouvrages un peumoins connus, La Vie brève <strong>de</strong> Manuel <strong>de</strong> Falla, Ariane et Barbe-Bleue <strong>de</strong>Paul Dukas, Oedipus Rex <strong>de</strong> Stravinsky, André Chénier <strong>de</strong> Giordano, LeSonge d’une nuit d’été <strong>de</strong> Benjamin Britten… Ces productions ont étémontées non seulement en France, à Nice, Avignon, Antibes, Menton,Toulon, Saint-Etienne, Orange, ainsi qu’à Liège, mais également dans lesgran<strong>de</strong>s maisons d’opéra à l’étranger, <strong>de</strong> New-York à Hong-Kong, <strong>de</strong>Buenos-Ayres à Tel Aviv, <strong>de</strong> Singapour à Savonlina, ainsi qu’en Espagne,au Portugal, en Italie, en Chine, en Argentine… Paul-Émile Fourny réaliseraen juillet prochain une nouvelle production <strong>de</strong> Werther pour le TeatroArgentina <strong>de</strong> La Plata, et une nouvelle production <strong>de</strong> Carmen à l’occasiondu 50 e anniversaire <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> l’Opéra National <strong>de</strong> Séoul, àl’automne 2012.51


DÉCORS, COSTUMES, LUMIÈRES, CHORÉGRAPHIELes décors <strong>de</strong> Faust ont été conçus par Poppi Ranchetti, originaire <strong>de</strong>Milan, diplômé en art pictural. Il a étudié la décoration aux ateliers <strong>de</strong> laScala <strong>de</strong> Milan. Egalement costumier, il enseigne les métiers <strong>de</strong> la mise enscène à Venise et collabore avec les gran<strong>de</strong>s scènes <strong>lyrique</strong>s d’Italie, <strong>de</strong>France et d’Allemagne. Il a réalisé <strong>de</strong> nombreux décors à l’Opéra <strong>de</strong> Nice,pour plusieurs spectacles mis en scène par Paul-Emile Fourny.Très jeune, Véronique Bellone a débuté dans les ateliers <strong>de</strong> costumes <strong>de</strong>l’Opéra <strong>de</strong> Nice. Spécialiste <strong>de</strong>s créations <strong>de</strong> haute couture sur lesquelleselle pose un regard d’artiste, elle adapte <strong>de</strong> nombreuses maquettes <strong>de</strong>costumes à l’intention du décorateur Poppi Ranchetti. Paul-Emile Fournya engagé Véronique Bellone dans plusieurs spectacles qu’il a mis en scène.D’abord directeur technique, Jacques Chatelet, luminariste, a réglé leslumières <strong>de</strong> maintes scènes en France et à l’étranger. Il collabore égalementavec les grands chorégraphes contemporains.Élodie Vella est une chorégraphe qui a réglé <strong>de</strong> nombreux ballets dansdiverses compagnies. Elle a signé la chorégraphie <strong>de</strong> Rigoletto dans la production2011 <strong>de</strong>s Chorégies d’Orange.Chef <strong>de</strong> chant à l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz, Nathalie Marmeuse assure,<strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, les répétitions <strong>lyrique</strong>s <strong>de</strong>s ouvrages produitssur le plateau <strong>de</strong> l’institution messine.LA DISTRIBUTION VOCALEKIMY Mc LAREN, SOPRANO, RÔLE DE MARGUERITEDiplômée <strong>de</strong>puis 2003 du Conservatoire <strong>de</strong> Montréal, où elle a décrochéson prix avec les félicitations du jury, la soprano québécoise Kimy McLaren a remporté le Prix spécial du Concours Mozart à Salzbourg en 2002ainsi que le second prix au Concours Mario Lanza l’année suivante. Elle selance ensuite dans un répertoire très large allant du baroque au contemporain.Dans le domaine vocal, symphonique et d’oratorio, elle a interprétéLe Poème <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> la mer d’Ernest Chausson, les Sieben früheLie<strong>de</strong>r d’Alban Berg, les Italienisches Lie<strong>de</strong>rbuch d’Hugo Wolf, LaDamoiselle élue <strong>de</strong> Debussy, Sur le qui-vive d’Henri Pousseur, le StabatMater <strong>de</strong> Poulenc. En qualité <strong>de</strong> membre <strong>de</strong> l’Atelier <strong>de</strong> l’Opéra Nationaldu Rhin, elle a, entre 2004 et 2005, chanté en récital et en qualité <strong>de</strong> solisteavec l’Orchestre symphonique <strong>de</strong> Mulhouse.Sur le plan <strong>lyrique</strong>, elle a abordé <strong>de</strong>s rôles <strong>de</strong> Mozart (Les Noces <strong>de</strong> Figaro,La Flûte enchantée) ainsi que dans Ariane à Naxos <strong>de</strong> R. Strauss et52


Wozzeck d’Alban Berg. Elle a beaucoup travaillé avec l’Opéra National duRhin dans diverses productions (La Clemenza di Tito <strong>de</strong> Gluck, LesBoréa<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Rameau) et elle y a abordé le répertoire wagnérien : DieWalküre et Die Götterdämmerung. Elle s’est produite également sur diversesscènes d’opéra, à Bor<strong>de</strong>aux, Montpellier, Marseille dans Le Cid avecpour partenaire Roberto Alagna, à Toulon, Avignon, Rouen, ainsi qu’auQuébec, en concert, au Festival d’Oxford (Mozart) avec l’Orchestre <strong>de</strong>chambre <strong>de</strong> Vienne, dans le Requiem <strong>de</strong> Mozart avec l’Orchestre symphonique<strong>de</strong> Montréal…CARINE SÉCHAYE, MEZZO-SOPRANO, ROLE DE SIÉBELDiplômée <strong>de</strong> chant et d’art dramatique du Conservatoire <strong>de</strong> Genève d’oùelle est originaire, elle poursuit ses étu<strong>de</strong>s musicales à l’Opéra StudioInternational <strong>de</strong> Zürich, et sera lauréate <strong>de</strong> divers concours internationaux :3 e Prix aux Voix d’or, Prix du meilleur candidat suisse Ernst Haefliger, PrixZarzuela à Operalia Placido Domingo, 2 e Prix <strong>de</strong> la Mélodie française àToulouse. Carine Séchaye débute à Zürich et à Lausanne, dans Tom Jones<strong>de</strong> Philidor, part en tournée au Japon dans le rôle-titre du Chat botté <strong>de</strong>Montsalvage. Elle tourne également en Allemagne et aux Pays-Bas dansAlbert Herring <strong>de</strong> Benjamin Britten, puis dans Der Rosenkavalier <strong>de</strong>Richard Strauss. Au Grand Théâtre <strong>de</strong> Genève, elle tient le rôle du page <strong>de</strong>Salomé, celui <strong>de</strong> Berta du Barbier <strong>de</strong> Séville, puis chante dans Elektra,dans La Flûte enchantée pour les enfants, et dans Andrea Chénier <strong>de</strong>Giordano. Elle a, au début <strong>de</strong> cette année, fait <strong>de</strong>s débuts appréciés dans lerôle <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong> L’Enfant et les sortilèges <strong>de</strong> Ravel à Monte-Carlo etdans celui <strong>de</strong> La Périchole à Limoges. Elle chantera Mignon d’AmbroiseThomas à Genève et sera Mercédès <strong>de</strong> Carmen aux Arènes <strong>de</strong> Vérone.FLORIAN LACONI, TÉNOR, RÔLE DE FAUSTNé à Metz où il se produit régulièrement, le ténor Florian Laconi fit <strong>de</strong>sétu<strong>de</strong>s d’art dramatique et débuta dans l’art vocal en 1995. Lauréat, en2002, du concours <strong>de</strong>s Voix nouvelles, il se produit ensuite en musiquesacrée, en oratorio, en opéra et en opérette. Il chante régulièrement sur lesscènes françaises et plus particulièrement en Avignon, à Saint-Etienne,Nice, Marseille, Toulouse. Il a, à son répertoire, <strong>de</strong>s rôles dans Le Voyageà Reims, Cenerentola et Le Barbier <strong>de</strong> Séville <strong>de</strong> Rossini, Cosi fan tutte <strong>de</strong>Mozart, Lucia di Lammermoor <strong>de</strong> Donizetti. Il a chanté Paillasse à l’Opéra<strong>de</strong> Paris, Turandot à Monte-Carlo et aux Chorégies d’Orange, et il fit sesdébuts à Los Angeles dans Roméo et Juliette. A son répertoire, il possè<strong>de</strong>également Dialogues <strong>de</strong>s carmélites <strong>de</strong> Poulenc, Le Jongleur <strong>de</strong> Notre-53


Dame <strong>de</strong> Massenet, Le Roi d’Ys <strong>de</strong> Lalo, La Rondine <strong>de</strong> Puccini. 2005 futmarqué par sa participation aux Contes d’Hoffmann, 2006 à Lucia diLammermoor, 2008 dans Carmen, 2009 dans Paillasse, et 2010 dansMireille. Ses <strong>de</strong>rnières prestations sur la scène <strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metzportent sur La Bohème, Matéo Falcone ou Fortunato <strong>de</strong> Théodore Gouvyet dans Falstaff.NIKKA GULIASHVILI, BASSE, RÔLE DE MÉPHISTOPHÈLÈSNé en 1975 à Tbilisi en Géorgie, Nikka Guliashvili entreprend ses étu<strong>de</strong>smusicales en 1997 au Conservatoire Sarajichvili <strong>de</strong> sa ville natale, etobtient sa licence <strong>de</strong> chant en 2002. Par ailleurs il fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> droitdont il est diplômé <strong>de</strong> l’Université en 2005. Soliste au Théâtre Académiqued’Opéra <strong>de</strong> Tbilisi jusqu’en 2007, il intègre ensuite le CNIPAL où il estpensionnaire jusqu’en 2009.L’année précé<strong>de</strong>nte, il fut invité <strong>de</strong> l’émission « Dans la cour <strong>de</strong>s grands »,retransmise <strong>de</strong>puis Marseille dans le cadre <strong>de</strong> la Journée européenne <strong>de</strong>l’opéra. La même année 2008, il fait ses débuts dans Méphistophélès <strong>de</strong>Faust et chante dans Les Puritains <strong>de</strong> Bellini, à Toulon en 2009. Il estBanco du Macbeth <strong>de</strong> Verdi à Bergen, dans la saison 2010-2011, il chantedans Rigoletto au Festival <strong>de</strong> Tbilisi, où il est également basse solo <strong>de</strong> laIXe symphonie <strong>de</strong> Beethoven. Il participe au Freischütz donné à Toulon etSaint-Etienne et fut Raimondo dans Lucia di Lammermoor monté à Metz.ALEXANDRE DUHAMEL, BARYTON, RÔLE DE VALENTINFormé à l’Atelier <strong>lyrique</strong> <strong>de</strong> l’Opéra <strong>de</strong> Paris, <strong>de</strong> 2009 à 2011, AlexandreDuhamel fait ses débuts à l’Opéra <strong>de</strong> Paris dans Gianni Schicci, Werther,Francesca da Rimini, Mireille et Don Carlo. Le baryton avait été nommédans la catégorie Révélation Lyrique <strong>de</strong> l’année 2011 ce qui lui permitd’accé<strong>de</strong>r très vite aux rôles <strong>de</strong> Wagner dans Faust, Ceprano dans Rigolettoet le héraut dans L’Amour <strong>de</strong>s trois oranges <strong>de</strong> Prokofiev. En quelquesannées, il s’est constitué une palette <strong>de</strong> rôles très variés dans DonGiovanni, La Petite renar<strong>de</strong> rusée <strong>de</strong> Janacek, Les Troqueurs <strong>de</strong>Dauvergne, Street Scène <strong>de</strong> Kurt Weil, dans la création française <strong>de</strong>Mirandolina <strong>de</strong> Bohuslav Martinu, L’Heure espagnole <strong>de</strong> Ravel, ainsi quedans Carmen, ces ouvrages ayant été produits sur diverses scènes françaises.En concert et en récital, il est l’invité <strong>de</strong> plusieurs Festivals <strong>de</strong>l’Hexagone ainsi qu’à Bastille. Il s’est également produit en récital, accompagnépar la pianiste d’origine messine Chloé Ghisalberti. AlexandreDuhamel est lauréat <strong>de</strong> divers concours : Prix Marshall du ConcoursInternational U.F.A.M., Premier prix <strong>de</strong> mélodie française et Second prix54


d’opéra au Concours Flame, Révélation <strong>lyrique</strong> <strong>de</strong> l’année 2009 et Prix<strong>lyrique</strong> du Cercle Carpeaux l’an <strong>de</strong>rnier.RÉGIS MENGUS, BARYTON, RÔLE DE WAGNERRégis Mengus a fait ses étu<strong>de</strong>s à Metz et a suivi ses cours <strong>de</strong> chant et d’art<strong>lyrique</strong> dans la classe <strong>de</strong> Juan-Carlos Moralès au Conservatoire National <strong>de</strong>Région <strong>de</strong> Metz où il fait ses débuts sur la scène <strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong>Metz Métropole. Grâce à ses qualités vocales et à sa diction parfaite, ilaccè<strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>ment à <strong>de</strong> nombreux rôles dans Dialogues <strong>de</strong>s carmélites <strong>de</strong>Poulenc, Les Huguenots <strong>de</strong> Meyerbeer, Un Bal masqué <strong>de</strong> Verdi. Il tenaitle rôle- titre dans la création <strong>de</strong> La Légen<strong>de</strong> d’Horus <strong>de</strong> Mario Salis. Il futMalatesta dans Don Pasquale <strong>de</strong> Donizetti, puis donne <strong>de</strong>s récitals enFrance, en Allemagne et au Luxembourg, dans un répertoire <strong>de</strong> mélodiesfrançaises, Ravel, Poulenc… Il entreprend en 2008 une carrière internationalequi le conduira à Athènes dans Cyrano et Roxane adapté <strong>de</strong> Rostand,<strong>de</strong> Stavros Xaracos. Il chanta dans Carmen à Lille et à Caen, Véronique àSaint-Etienne et dans Madame Butterfly à Metz. A la secon<strong>de</strong> BiennaleAmbroise-Thomas <strong>de</strong> 2009, il incarnait le second fossoyeur dans Hamlet.—————————-* Avec les Chœurs et le Ballet <strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz Métropole etl’Orchestre National <strong>de</strong> Lorraine.55


C. Gounod âgé56


FaustOpéra en cinq actes <strong>de</strong> Charles Gounodd’après la légen<strong>de</strong> éponyme et la pièce <strong>de</strong> Goethe.Livret <strong>de</strong> Jules Barbier avec la collaboration <strong>de</strong> Michel Carré.Coproduction <strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre d’Avignon et <strong>de</strong>s Pays <strong>de</strong> Vaucluse,<strong>de</strong> l’Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Saint-Étienne et <strong>de</strong> l’Opéra <strong>de</strong> Nice.La conférence sur Faust par Danielle Pister, Maître <strong>de</strong> conférences honoraire,Vice-prési<strong>de</strong>nte du Cercle Lyrique <strong>de</strong> Metz et <strong>de</strong> l'Association <strong>de</strong>s Amisd'Ambroise Thomas et <strong>de</strong> l'Opéra français, se déroulera au Foyer AmbroiseThomas <strong>de</strong> l'Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz Métropole, le samedi 2 juin à 16 heures.Entrée libre.Représentations <strong>de</strong> « Faust »Les vendredi 8 juin à 20 heures, dimanche 10 juin à 15 heures et mardi 12 juinà 20h.La distributionDirection musicale Jacques Mercier Costumes Véronique BelloneMise en scène Paul-Émile Fourny Lumières Jacques ChateletChorégraphie Élodie VellaChef <strong>de</strong> chant Nathalie MarmeuseDécors Poppi RanchettiDistribution vocale :Marguerite Kimy McLarenMéphistophélès Nikka GuliashviliSiébel Carine SéchayeValentin Alexandre DuhamelMarthe Marie-José DolorianWagner Régis MengusFaust Florian LaconiChœurs et ballet <strong>de</strong> l'Opéra-Théâtre <strong>de</strong> Metz Métropoleet Orchestre National <strong>de</strong> Lorraine.Couverture : Estampe B.N. : Cabinet <strong>de</strong> FaustConception <strong>de</strong> la plaquette : Danielle Pister. Directeurs <strong>de</strong> publication : GeorgesMasson, prési<strong>de</strong>nt et Jean-Pierre Vidit, premier vice-prési<strong>de</strong>nt.Adresse postale du Cercle Lyrique <strong>de</strong> Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Ce<strong>de</strong>x 1Adresse du site : www.association<strong>lyrique</strong><strong>metz</strong>.comEmail : contact@association<strong>lyrique</strong>.comComposition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90.

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