mais un trou sous terre. À cette époque, quel que fût leurnombre, vivants, ils devaient tous tenir dans le ghetto, et,morts, tous se coucher dans le cimetière. On n’agrandissait pasdavantage l’un que l’autre. Il était déjà beau qu’on leur eûtconcédé une parcelle du sol chrétien.Chargées de leurs caractères hébraïques, les stèles se livrentbataille, se saisissant à bras-le-corps pour mieux se déraciner.Il en <strong>est</strong> qui s’épaulent, lasses de l’effort ; vaincues, beaucoupsont tombées et le tas qu’elles forment témoigne de l’âpreté dela lutte. D’autres, pour assurer définitivement leur position,sont entrées carrément en terre. <strong>Le</strong>s plus acharnées foncent entous sens, piquant de droite, de gauche, se chevauchant farouchement.Et nous ne parlons que du dernier étage, de celui quia fini par avoir le dessus, sept ou huit couches de morts meublantl’enclos. Ce n’<strong>est</strong> pas un lieu de repos, mais un tumultemacabre.Des pigeons, des lions, des ours, des bouquets, une fleur, desraisins, des petits pots, des mains croisées, des coqs, des loups,des petites vaches, tout cela, sculpté sur ces pierres, signalesoit la tribu, soit le nom. Avant Marie-Thérèse d’Autriche, les<strong>Juif</strong>s n’avaient pas de nom officiel. Quand l’impératrice décidade les enregistrer, il fallut bien les baptiser (je parle au civil).Mais, pour eux, l’Allemagne, la Bohême, la Hongrie n’ouvrirentpas le calendrier. Qu’un <strong>Juif</strong> eût un nom, n’était-ce pas déjàune dangereuse condescendance ? Pour en atténuer la portée,on ne leur donnerait que des noms de choses ou d’animaux.<strong>Le</strong>s pauvres n’avaient droit qu’à un nom de bête vulgaire. Ceuxqui possédaient quelques kreutzers étaient autorisés à choisirpour patron un animal noble, voire féroce. <strong>Le</strong>s favorisés de l’orpouvaient s’offrir un nom de fleur. Ainsi le riche devenait Blumet le prolétaire n’était qu’un Schwein, c’<strong>est</strong>-à-dire un pourceau.<strong>Le</strong>s plus heureux de tous ces morts étaient ceux de la tribud’Aaron. <strong>Le</strong>ur noblesse leur interdisant de séjourner en deslieux malpropres, on les avait enterrés sur les bords de cechamp de bataille.Près du cimetière, à cent mètres, on voit la synagogue. Elle<strong>est</strong> petite. Mais là n’<strong>est</strong> pas le fait qui la distingue. Qu’<strong>est</strong>-cedonc ? Elle a l’air de se présenter sous un masque. En effet,elle <strong>est</strong> gothique. On leur avait construit, à ces malheureux,une synagogue ressemblant à une église ! L’architecte, un34
chrétien, en croisant les ogives, leur avait dessiné des croix auplafond ! Ce temple démentait son idole. Plus tard, ils ajoutèrentune cinquième branche, aux motifs, pour brouiller l’implacablesigne.Il ne faut pas grande imagination pour voir rôder près de cespauvres pierres la détresse du peuple maudit. L’esprit les rassembleaisément tels qu’ils étaient, et tels qu’ils sont encoreailleurs, autour de cette maison de prières. Chassés, battus,moqués, ne pouvant sortir de leur camp de concentration, accusésde magie, de sorcellerie, de maladies, leurs habits marquésd’une rouelle, ils allaient, le dos voûté, pâles et maigres,la barbe désenchantée, dans les petites rues d’alors, à grandspas et tête baissée, vers cette première synagogue. C’était leurunique patrie. Là seulement ils se réchauffaient le cœur. Sousces voûtes, ils oubliaient les méchants rois du jour dans l’attenteexaltée du Messie. C’était pour eux et pour quelquesheures seulement <strong>com</strong>me notre Trêve de Dieu de l’an mille quisuspendait les violences du mercredi au lundi. En sortant, ilslevaient de grands yeux interrogateurs et regardaient l’heure àcette horloge juive dont les aiguilles tournent à l’envers.Comment n’eussent-ils pas marché à reculons ?Il y a le Christ du pont Charles-IV aussi. C’<strong>est</strong> le troisième témoinde l’ancienne vie juive de Prague. C’était en 1692. Un <strong>Juif</strong>qui traversait la Voltava cracha sur Jésus en croix. On condamnal’imposteur à mort et le ghetto à réparer l’outrage. <strong>Le</strong>s <strong>Juif</strong>sdorèrent le christ, et depuis ce jour – suprême réparation – lacroix porte en lettres hébraïques : « Saint, trois fois saint, lenom de Jésus-Christ. »** *Je vais prendre le train. Je quitte le monde civilisé et je descendsau pays des ghettos. <strong>Le</strong> portier de l’hôtel m’a donné unepetite bouteille que j’ai là, dans ma poche. Ce n’<strong>est</strong> pas bon àboire ; ce n’<strong>est</strong> pas pour me piquer le nez, mais pour me le frotter: c’<strong>est</strong> du pétrole. Dès que le bout de mon nez deviendrablanc, cela voudra dire que l’heure de la friction aura sonné.Mais je n’ai pas de glace ; <strong>com</strong>ment surveillerai-je la couleurde mon appendice ? Peut-être de bienveillants voyageurs mepréviendront-ils ?35
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Rue de la Synagogue : n° 1, neuf f
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poids. On les écrase, on les bâil
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après, il eût fait son apparition
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polonais, après avoir touché la p
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pénétré dans une Mesybtha. Rien
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d’eux n’a grossi ! Le caftan, d
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Chapitre 17LA BOURSE OU LES MEUBLES
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L’immeuble retentissait de la pr
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statue. Tout homme qui a perdu un s
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Marmaroches. D’autres sont resté
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chacun des peuples, et comment me t
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ma gloire ! » sans risquer sur-le-
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iblique, prenant le nom de Chovév
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dans le divin, mais dans le terrest
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faisaient-ils entre les deux ? Les
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Le nez dans la Thora, les hommes se
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J’en ai fini avec la douane. Le s
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son cheval, avant de le chevaucher
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Ils tuent. Ils chantent.Deux Anglai
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de grande taille, étendu sur le se
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Je les connaissais tous. Tous étai
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Les neuf autres approuvent par des
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L’ouvrier juif travaille huit heu
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Sibérie, la Mandchourie, la Chine
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maison. En 1921, lors des premiers
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Chapitre 27JUIF ERRANT ES-TU ARRIV
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