12.07.2015 Views

Numéro 52 - Le libraire

Numéro 52 - Le libraire

Numéro 52 - Le libraire

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Stanley Péan estrédacteur en chef du<strong>libraire</strong>, écrivain,animateur radio etprésident de l’Uniondes écrivaines etécrivains québécois.I CI COMME AILLEURSLA CHRONIQUE DE STANLEY PÉANlittérature québécoiseEn marge du poèmeLE LIBRAIRE • AVRIL - MAI 2009 • 20« Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? », chantait le regretté Sylvain <strong>Le</strong>lièvre, à justetitre attristé par le déclin des utopies. Où trouver refuge dans un monde de plus enplus abandonné aux caprices cyniques de la droite anthropophage? Dans la poésiequi se dresse contre ce monde, tout contre, ainsi que le suggèrent chacun à leurmanière Pierre Gobeil, Jean-François Poupart et José Acquelin en filigrane de leursrécents ouvrages.De retour à Neverland« La poésie est partout et surtout en dehors des livres de poésie! »,m’avait un jour lancé Pierre Gobeil, au cours d’une entrevue qu’il m’accordaitpour la télévision. Nonobstant le côté provocateur de laboutade, il m’a toujours semblé manifeste que la poésie imprégnait aumoins les romans de l’auteur de Tout l’été dans une cabane à bateauet de Dessins et cartes du territoire, l’un des ténors qui ont émergé surla scène littéraire québécoise dans les années 80. Son œuvre,vigoureuse dans sa discrétion, a justement comme thèmerécurrent le tragique sacrifice de la magie, de la poésie de l’enfanceà l’autel d’un monde en deuil de rêve.Dans <strong>Le</strong> jardin de Peter Pan, ce « monde [qui] reste une chosebien étrange » nous est présenté par le biais d’un microcosmesemblable à l’Éden de la Genèse ou, mieux, le Neverland de J.M. Barrie: l’archipel desÎles-de-la-Madeleine, sorte de réplique nordique des Marquises de Brel, véritable« jardin de Peter Pan », terrain de jeux où défilent les figures attachantes de Liam,Bénédicte, Maurice Longuépée et quelques autres, des natifs et des citadins en mald’horizon. Gobeil connaît ces îles pour y avoir séjourné souvent, longtemps. Au fil decette chronique de dérive, il présente ce paysage et sa faune, battus par les vents, chaufféspar les percées de soleil et bercés par l’illusion que rien ne se passe en ce pays-là, querien ne changera jamais sur ces grèves. Chimères, bien sûr, ainsi que le démontre sansostentation le romancier, dont la plume a gagné en lyrisme avec chaque livre.S’il ne se passe en apparence rien, c’est parce qu’en marge du mondeurbain les enjeux de l’existence se font parfois plusfondamentaux. Porté par une langue magnifique, TOUJOURS VERTJean-Françoishabitée par l’appel du large, <strong>Le</strong> jardin de Peter Pan dePoupart,Gobeil m’a fait l’effet d’une vivifiante bouffée d’air salinCoups de tête,dans la saison littéraire actuelle.110 p. | 10,95$LE JARDINDE PETER PANPierre Gobeil,Triptyque,104 p. | 17$Ode à l’éternelle jeunesseJ’ai connu Jean-François Poupart à la fin des années 90, simultanément comme poèteet comme leader d’un groupe de rock alternatif, les Los Guidounos. S’il a abandonné(à ma connaissance) la scène musicale, c’est pour mieux se consacrer à la littératureen poursuivant son œuvre et en devenant éditeur; depuis des années, Poupart dirigeavec Kim Doré la maison Poètes de brousse, l’une des principales tribunes pour lesvoix émergentes de la poésie d’ici. En marge du poème, il publie sous le label décapantdes Coups de tête son premier roman, Toujours vert.Situé dans un futur pas trop lointain, ce polar satirique met en scène les habitantsd’une de ces gated communities qui, chez nos voisins du Sud, se sont multipliéescomme des champignons (magiques) au lendemain des attentats du 11 septembre2018, à l’occasion desquels l’Airbus piraté par Oussama Ben Laden a percuté la Statuede la Liberté. Baptisé « Evergreen », ce havre est devenu celui où les has been durock’n’roll viennent passer les dernières années de leur vieillesse lubrique.L’âge d’or, vous croyez? Certainement pas depuis que l’on a repêché le cadavre de JohnLord, ex-claviériste de Deep Purple, dans la piscine de Lou Reed. Désireux d’étoufferl’affaire avant que la presse jaune s’en empare, l’éminence grise de la communauté,Ray Manzarek (autrefois des Doors) fait appel à Mike Burns, un détective privé toxicomanequi n’a pas froid aux yeux. Pour autant qu’il sache se faire servir par une GraceSlick (ex-Jefferson Airplane/Starship) recyclée en barmaid ou repousser les avancesd’une Blondie nymphomane, Mike Burns a bien des chances de pouvoir élucider lemystère… Mais à quel prix?C’est Mick Jagger, il me semble, qui, dans les glorieuses sixties, avait affirmé qu’il nes’imaginait pas en train de chanter « Satisfaction » passé 50 ans. Dans cette parodiede whodunnit* menée tambour battant et, surtout, nourrie par une connaissance approfondiede la culture rock, Jean-François s’attaque aux mythes véhiculés par cettefaune. Avec Toujours vert, il signe un réquisitoire drolatique, qui ne fait pas l’économied’une belle réflexion sur la vie, la faillite et la mort d’un rêve et d’un esprit de révoltedepuis fort longtemps débauchés par les sirènes du showbiz.PARADOXES DE LAFRAGILITÉJosé Acquelin,Québec Amérique,104 p. | 17,95$La pleine mesure de l’existence« J’écris pour mieux aimer le monde en acceptant ce qu’il m’a donnépour se faire », nous confie José Acquelin sur le ton de la confidencedans Paradoxes de la fragilité, un superbe recueil de ses carnets d’écriturequi m’accompagne depuis décembre dernier. « J’écris quand je nesais pas vivre ou quand j’ai la sensation de vivre trop dans un seul sens,fût-il le mien. » Florilège de méditations, d’esquisses de poèmes,d’extraits de correspondance et de fragments divers rédigés « enmarge » de son œuvre de créateur, ce livre constitue à lafois une parfaite introduction et un prolongement du travail deJosé Acquelin.M’en voudriez-vous si je vous répétais combien j’aime la voix de José Acquelin, entenduesur scène lors de ces innombrables soirées de lecture qu’il anime ou auxquelles ilparticipe depuis des lunes? J’aime beaucoup cette voix qui s’exprime avec une faussedésinvolture, lucidité, humour, sensibilité et intelligence; cette voix, aérienne et profonde,que l’on retrouve avec bonheur dans tous ses livres et, donc, dans ce nouvelajout à l’admirable collection « Mains libres » que dirige Normand de Bellefeuille; elley tient des propos judicieux sur l’écriture, la culture, l’identité, la culture, la vie, l’amouret la mort.Tenez, en guise de conclusion, cette autre citation tel un écho de l’envoûtante petitemusique de nuit signée Acquelin: « La nature n’est jamais indifférente à nous, mêmesi elle ne comprend pas toujours notre culture du malheur. » Amen.* <strong>Le</strong> whodunnit (de who has done it?) désigne ce sous-genre du roman policier où un détective, leplus souvent amateur, doit enquêter sur un crime et déterminer, à partir d'indices dissimulés parl’auteur dans la trame narrative, qui a fait le coup. C'est à ce genre qu’appartiennent notamment lesromans d’Agatha Christie.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!