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Anne-Christine Habbard « De l'illégitimité de la frontière ou ... - Ipam

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difficiles paradoxes. Je crois que les contradictions s<strong>ou</strong>vent relevées au sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>l’Etat-nation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté proviennent précisément <strong>de</strong> cet « angle mort » <strong>de</strong> <strong>la</strong>frontière.La contradiction bien connue <strong>de</strong> <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté est en effet <strong>la</strong> suivante, dont il existeplusieurs versions ; je donne ici les <strong>de</strong>ux les plus célèbres :i) Le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> légitimité <strong>de</strong> l’Etat est le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté et <strong>de</strong> l’autonomie<strong>de</strong>s personnes, en simplifiant, <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'homme. En « interne », donc, l’Etatn’a <strong>de</strong> légitimité qu’au regard <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'homme, qui incluent aussi le droit à<strong>la</strong> paix – l’Etat pacifie donc <strong>la</strong> communauté interne, alors qu’au même moment ilne peut pas ne pas être « belligérant » en externe, car il n’existe pas, sur le p<strong>la</strong>ninternational, <strong>de</strong> tierce instance capable <strong>de</strong> régler les conflits (et s<strong>ou</strong>lignons-le, iln’est pas anodin que le terme même <strong>de</strong> frontière provienne du vocabu<strong>la</strong>iremilitaire : <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> front). L’Etat est à <strong>la</strong> fois irénogène puisqu’il vise à garantir<strong>la</strong> paix dans l’espace délimité par son territoire, et polémogène puisqu’il induitnécessairement <strong>de</strong>s rapports agonistiques avec les aures Etats. « La s<strong>ou</strong>verainetécristallise <strong>la</strong> volonté autotélique <strong>de</strong> l’Etat. Mais par là-même culmine <strong>la</strong> logiqued’exclusion <strong>de</strong> l’Etat, car elle signifie que celle-ci ne peut s’imposer qu’ens’opposant aux autres Etats. L’ennemi n<strong>ou</strong>s limiterait et en même temps n<strong>ou</strong>sfon<strong>de</strong>rait » écrit A<strong>la</strong>in Cambier 14 . Il y a donc contradiction entre <strong>la</strong> logiqued’inclusion <strong>de</strong> <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté, et sa logique d’exclusion.ii) Secon<strong>de</strong> version <strong>de</strong> <strong>la</strong> contradiction : <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté <strong>de</strong> l’Etat est absolue sur sonterritoire, puisqu’il ne peut pas lui-même être assujetti aux lois qu’il promulgue (ily aurait sinon une régression à l’infini – puisqu’il faudrait une instance supérieureà l’Etat p<strong>ou</strong>r vérifier son respect <strong>de</strong>s lois, et donc une instance supérieure àl’instance <strong>de</strong> vérification p<strong>ou</strong>r contrôler sa propre application <strong>de</strong>s lois, et ainsi <strong>de</strong>suite – problème c<strong>la</strong>ssique du « Who will watch the watchmen ? »). L’Etat est le« Dieu mortel », dans les termes <strong>de</strong> Hobbes. Quelle que soit l’égalité entrecitoyens, <strong>de</strong>meurera t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs cette inégalité structurelle du p<strong>ou</strong>voir. C’est lepropre <strong>de</strong> <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté.En même temps, sur le p<strong>la</strong>n international, l’Etat n’est pas s<strong>ou</strong>verain : il n’instituepas <strong>la</strong> loi, il n’est qu’égal aux autres dans sa promulgation. Comme le s<strong>ou</strong>ligneKelsen, <strong>la</strong> coexistence d’Etats s<strong>ou</strong>verains s<strong>ou</strong>s un droit <strong>de</strong>s Gens est unecontradiction, car les Etats sont précisément les sujets <strong>de</strong> droit du droit <strong>de</strong>s gens ;en tant que sujets, ils ne sont donc pas s<strong>ou</strong>verains, mais seulement égaux dans leurparticipation à <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi. F. Cheneval écrit à ce propos : « Selon leconcept normatif <strong>de</strong> droit, <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté <strong>de</strong> l’Etat particulier est aussiimpossible que <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>veraineté <strong>de</strong> l’individu dans l’Etat particulier. C’est <strong>la</strong>raison p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> distinction entre s<strong>ou</strong>veraineté intérieure et extérieure n’estpas viable » 15 .La contradiction est donc celle entre intérieur et extérieur, entre une s<strong>ou</strong>veraineté illimitéesur le territoire <strong>de</strong> l’Etat et une s<strong>ou</strong>veraineté limitée par d’autres s<strong>ou</strong>verainetés égales sur lep<strong>la</strong>n international ; entre les droits <strong>de</strong> l'homme universels fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>te communautépolitique et <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre (donc <strong>la</strong> négation même <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'homme) commeprincipe même <strong>de</strong> l’Etat dans ses re<strong>la</strong>tions à d’autres. L’Etat alterne donc entre avoir à être« transparent » (simple « c<strong>ou</strong>rroie <strong>de</strong> transmission » entre l’individu sujet <strong>de</strong> droits absolus et1214 Qu’est-ce que l’Etat ?, Vrin, coll. Chemins philosophiques, 2004, p. 18.15 La Cité <strong>de</strong>s Peuples - Mémoires <strong>de</strong> cosmopolitismes, Cerf 2005, p. 82.

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