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Anne-Christine Habbard « De l'illégitimité de la frontière ou ... - Ipam

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mais aussi, et surt<strong>ou</strong>t, un « p<strong>ou</strong>r-soi », dont les membres sont conscients et décidés à formerune unité collective. Or <strong>de</strong> même que dans <strong>la</strong> vie individuelle, le ret<strong>ou</strong>r réflexif sur soi n’estpossible qu’à partir d’une « matière », d’une substance, qu’est <strong>la</strong> vie concrètement vécue,dans sa corporéité, sa socialité, etc… I<strong>de</strong>ntiquement, il faudra p<strong>ou</strong>r cette auto-saisie <strong>de</strong> soi par<strong>la</strong> communauté politique une « substance », une matérialité – le sol.c) La propriété du sol comme réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>verainetéCette personnification <strong>de</strong> l’Etat est d’une singulière importance p<strong>ou</strong>r n<strong>ou</strong>s, puisqu’elleéc<strong>la</strong>ire le lien complexe entre s<strong>ou</strong>veraineté et propriété. Je pense en effet que <strong>la</strong> s<strong>ou</strong>verainetéétatique, du fait <strong>de</strong> cet isomorphisme, <strong>de</strong>meure prise dans une conception qui ne peut pas nepas <strong>de</strong>venir propriétariste. En ce sens, le dilemme s<strong>ou</strong>vent analysé entre un Etat propriétaire etun Etat <strong>de</strong>s propriétaires ne peut être résolu, puisque l’Etat, en tant qu’il a un territoire, estinévitablement conduit à se comporter comme propriétaire.P<strong>ou</strong>rtant, t<strong>ou</strong>s s’accor<strong>de</strong>nt p<strong>ou</strong>r dire que le droit d’un Etat sur son territoire ne saurait êtredu même ordre que celui <strong>de</strong> l’individu sur son domaine privé : en effet, le droit <strong>de</strong> propriétéest conçu comme absolu, exclusif et perpétuel, et le possédant doit p<strong>ou</strong>voir j<strong>ou</strong>ir <strong>de</strong> <strong>la</strong> totalité<strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> propriété sur son bien (usus, abusus, fructus). Or si l’Etat était égalementpropriétaire <strong>de</strong> ce bien, ce<strong>la</strong> diminuerait d’autant les droits du propriétaire privé, ce qui n’estpas le cas. Les individus qui sont propriétaires du sol, non l’Etat – qui ne peut être que legardien et le garant <strong>de</strong> ces propriétés privées. L’Etat n’est pas propriétaire du sol, il est chargé<strong>de</strong> faire respecter les droits <strong>de</strong>s propriétaires que sont les personnes physiques.Cette conception, abondamment reprise <strong>de</strong>puis le 19 ème siècle, repose justement sur <strong>la</strong>distinction entre s<strong>ou</strong>veraineté et propriété : le p<strong>ou</strong>voir sur les hommes n’a rien à voir avec lerapport sur les choses. Celui-ci naît d’un libre accord, celui-là précè<strong>de</strong> t<strong>ou</strong>te convention ;celui-ci a p<strong>ou</strong>r fin le bien commun, celui-là l’utilité personnelle ; celui-ci est un p<strong>ou</strong>voir régléet limité par <strong>de</strong>s droits inaliénables, celui-là un p<strong>ou</strong>voir absolu.Cette position est appelée par <strong>de</strong>ux faits n<strong>ou</strong>veaux dans <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnité : le retrait <strong>de</strong> Dieu(qui auparavant avait un dominium sur les hommes comme sur les choses, en tant quecréateur), et <strong>la</strong> re-définition du sujet, après <strong>De</strong>scartes, qui opère une césure radicale entrel’esprit et <strong>la</strong> matière. Il faut donc tr<strong>ou</strong>ver un n<strong>ou</strong>veau fon<strong>de</strong>ment au p<strong>ou</strong>voir sur les choses, carcelles-ci n’entrent désormais plus dans <strong>la</strong> longue hiérarchie qui les reliaient aux êtreshumains. Il faudra donc l’intervention d’un fait humain, quelle qu’en soit <strong>la</strong> nature (travail,occupation, accord mutuel…), p<strong>ou</strong>r justifier <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l’homme aux choses, re<strong>la</strong>tion qui<strong>de</strong>vient elle-même à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté humaine : infinie, exclusive, absolue. <strong>De</strong> sorte quele p<strong>ou</strong>voir divin se revit, infiniment démultiplié, en chacun <strong>de</strong>s propriétaires privés.En d'autres termes, l’individu privé a le droit <strong>de</strong> propriété, tandis que l’Etat, le droit <strong>de</strong>s<strong>ou</strong>veraineté – à l’individu privé le p<strong>ou</strong>voir sur les choses, à l’Etat le p<strong>ou</strong>voir sur les hommes.L’Etat n’aurait dès lors plus besoin d’être matérialisé et substantialisé par un territoire,puisqu’en t<strong>ou</strong>te logique il ne fait plus que g<strong>ou</strong>verner <strong>de</strong>s personnes.Or cette version ne tiendra pas : s<strong>ou</strong>s diverses formes, chez Pufendorf, Hobbes, Kant <strong>ou</strong>d’autres, <strong>de</strong>meure l’idée ancienne d’un « domaine éminent » 26 <strong>de</strong> l’Etat sur son territoire,c'est-à-dire d’une forme <strong>de</strong> propriété par l’Etat sur les choses – pas tant sur les choses que surle sol. T<strong>ou</strong>t se passe comme si le fait que l’Etat se désengage <strong>de</strong> <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>s les biensmeubles ne posait aucun problème – sauf dans le cas du sol. Est maintenue à t<strong>ou</strong>t prix <strong>la</strong>1626 Il s’agit d’un héritage médiéval : le « domaine éminent », propriété du seigneur, s’oppose au « domaine utile »,que possè<strong>de</strong> le gérant, qui travaille <strong>la</strong> terre, etc.

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