12POLITIQUE CULTURELLE ENTRETIEN AVEC GÉRARD NOIRELL’Histoire, intimem<strong>en</strong>t<strong>Zibeline</strong> : Vous êtes un histori<strong>en</strong> universitaire reconnumais vous cherchez à trouver un large public.Pourquoi ?Gérard Noiriel : Aujourd’hui ce qui me préoccupe c‘estla finalité de mes travaux : pour qui ai-je écrit, dans uncontexte de division du travail qui s’acc<strong>en</strong>tue ? Dansla recherche <strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales, il existe des réseauxmondiaux de cinquante ou c<strong>en</strong>t personnes, isolés dureste du monde. C’est extrêmem<strong>en</strong>t regrettable ! Aussi,je développe des activités me permettant de conserverdes relations avec la société, au travers d’un public quin’est pas fait uniquem<strong>en</strong>t de spécialistes. J’ai toujoursagi ainsi : c’est ce que j’appelle la fonction civique demon métier. Je peux à prés<strong>en</strong>t m’y consacrer davantage: il y a une période où il faut s’investir dans sontravail pour être reconnu, mais j’<strong>en</strong> suis quitte aveccet aspect-là ! Je peux m’ouvrir à autre chose.Une fois le statut acquis, c’est évidemm<strong>en</strong>t plus facilede donner une consistance à la parole ! Pourtant celan’a pas dû être aisé...La s<strong>en</strong>sibilité que l’on a sur certains aspects de la réalitéest déterminée par sa propre expéri<strong>en</strong>ce. Je suiss<strong>en</strong>sible à la question du racisme et à la stigmatisation,parce que je les ai vécues, sous différ<strong>en</strong>tes formes,dans mon <strong>en</strong>fance. Lorsque je suis arrivé, jeune <strong>en</strong>seignantdans la Lorraine sidérurgique, je me suis r<strong>en</strong>ducompte que les g<strong>en</strong>s ne compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pas le prés<strong>en</strong>tde ces ouvriers car ils n’<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pas l’histoire.J’ai été frappé par le rôle que jouait l’immigration etje m’<strong>en</strong> suis préoccupé à une époque où l’on me disaitqu’un tel sujet de thèse ne permettrait pas de fairecarrière ! Ma thèse, consacrée aux ouvriers mineurs deLongwy, m’a permis de tisser des li<strong>en</strong>s avec ce groupe,et a profondém<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cé ma trajectoire, même sij’étais déjà issu d’un milieu populaire. Je me suis plongédans cet univers, dans cette culture populaire. J’aiaussi réalisé que je pouvais concilier deux aspirationstrès fortes <strong>en</strong> moi : le désir de connaissance et la volontéd’action. Le rapport <strong>en</strong>tre histoire et mémoirepermettait de les concilier. J’y suis toujours restéfidèle, et ce que je fais maint<strong>en</strong>ant dans le théâtre <strong>en</strong>est le prolongem<strong>en</strong>t.En participant à la vie de cette communauté ouvrière,comme dans vos émissions à la radio sur l’histoireouvrière, n’avez-vous pas pris le risque de perdre votredistance critique ?Au début j’étais parti pour faire une thèse sur la classeouvrière dans l’<strong>en</strong>tre-deux-guerres, puis j’ai remarquél’importance des fractures, notamm<strong>en</strong>t sur la nationalitéou sur l’origine des ouvriers. Cela m’a obligé à faireun travail de déconstruction pour montrer les clivageset leurs déplacem<strong>en</strong>ts. Mais cette question était perturbantepour les militants qui préférai<strong>en</strong>t décrirel’unité ou l’<strong>en</strong>tité «classe ouvrière». De même, Aigues-Mortes n’a pas de place dans la mémoire ouvrière : cesont des ouvriers qui se sont tapé dessus. Il se trouveque le propre de la recherche n’est pas d’aller faireplaisir aux militants, mais de restituer, dans une dialectiquede proximité et de distance, la logique desacteurs sociaux.Après cette thèse vous auriez pu vous satisfaire de lareconnaissance universitaire…Je ne suis pas représ<strong>en</strong>tatif de mon milieu, ni par mesorigines sociales, ni par mon regard. Je n’ai jamais puDirecteur d’Etudesà l’EHESS, Gérard Noiriels’intéresse depuislongtemps à la questiondu national. L’irruption del’extrême droite sur la scènepolitique l’a convaincu dec<strong>en</strong>trer ses recherchessur l’État-Nation et surl’immigration. Il est v<strong>en</strong>udans notre région l’andernier pour participerà une confér<strong>en</strong>ce surl’immigration itali<strong>en</strong>neaux ABD, pour le spectacleChocolat à la Minoterie,puis à ceux à proposd’Aigues-Mortes, à la Criée(voir Zib 37). Il livre iciune partie du matériauqui l’a transformé <strong>en</strong>histori<strong>en</strong>, et revi<strong>en</strong>tsur le rôle civiqueque peuv<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>irles travaux historiquesm’investir dans des logiques de carrière, je n’ai jamaisvoulu avoir le moindre pouvoir, je ne dirige pas unlabo ou autre… J’ai toujours eu un pied dehors ! Jele regrette parfois, cela n’est pas du tout péjoratifdans mon esprit. Mais je ne peux pas être complètem<strong>en</strong>tà l’intérieur de ce milieu là, j’étouffe! D’où lesrelations que j’ai avec les artistes, avec le monde politiqueet l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t civique. La politique celapasse aussi par la connaissance, par tout un travailcritique, sur des thèmes comme l’id<strong>en</strong>tité nationale.Les mouvem<strong>en</strong>ts sociaux ont-ils pour vous un s<strong>en</strong>sparticulier ?Mon premier réflexe est un mouvem<strong>en</strong>t de culpabilité.On est sept <strong>en</strong>fants dans la famille et mes deux frèressont ouvriers. Lorsqu’on se retrouve <strong>en</strong>semble, je m’interrogetoujours sur le fait que je gagne plus qu’eux.Lorsque vous n’avez plus de mythe explicatif -c’estDieu qui l’a voulu, c’est l’intellig<strong>en</strong>ce…- vous ress<strong>en</strong>tezl’inégalité mais, <strong>en</strong> même temps, c’est difficile dedev<strong>en</strong>ir l’abbé Pierre : le peu que vous avez, vous y t<strong>en</strong>ez.Ces contradictions-là, personnelles, sont revivifiéeschaque fois qu’il y a des mouvem<strong>en</strong>ts sociaux.Évidemm<strong>en</strong>t, il y a des tas de moy<strong>en</strong>s pour s’<strong>en</strong> tirer.L’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> est un pour moi, et il a toujours faitpartie de ma vie. Les formes ont pu changer : j’ai étémembre du Parti communiste et, c’est banal dans magénération, exclu <strong>en</strong> 1980. Aujourd’hui j’ai opté pourdes mouvem<strong>en</strong>ts associatifs ou par le travail avec lethéâtre. J’insiste sur le collectif DAJA que l’on a créé:il lance des passerelles ! Et aujourd’hui il faut retisserdes li<strong>en</strong>s car le pouvoir atomise les g<strong>en</strong>s, et les g<strong>en</strong>satomisés se décourag<strong>en</strong>t.J’ai eu la chance d’être étudiant à la grande époque,dans les années 70, où la politique, très prés<strong>en</strong>te,fournissait ces passerelles. C’est ce qui m’a permis dem’<strong>en</strong> sortir. Initialem<strong>en</strong>t je ne voyais pas d’intérêt auxétudes et puis je me suis r<strong>en</strong>du compte que travailler,dev<strong>en</strong>ir savant, avait aussi un s<strong>en</strong>s politique. Quandje regarde les problèmes des étudiants d’aujourd’hui,je ne peux pas croire que tout provi<strong>en</strong>ne d’une questionmatérielle, même si je ne veux pas la sous-estimer.Ce n’est pas un système de bourses parfait, dans cetunivers coupé du reste du monde, qui donnera auxétudiants la petite étincelle qui r<strong>en</strong>verse les montagnes,celle qui donne le goût de travailler.Ce sont ces li<strong>en</strong>s à créer qui m’import<strong>en</strong>t. Je sais quel’on travaille souv<strong>en</strong>t à la marge, mais cela peut-êtretrès précieux car ce sont les marges qui boulevers<strong>en</strong>tles choses établies.Finalem<strong>en</strong>t le li<strong>en</strong>, <strong>en</strong>tre vos sujets de recherches,c’est vous !La logique de la recherche c’est d’élargir. Je suis partide l’immigration, des discriminations et du mondeouvrier, je me suis intéressé à l’épistémologie car j’étaispréoccupé par la question de la vérité et de l’objectivitéde l’histoire ; pour les intellectuels, il s’agit demon milieu. Même si j’élargis mon champ, le c<strong>en</strong>trereste les classes populaires.Parlons donc de ces recherches, comme celles surl’id<strong>en</strong>tité nationale. Y a-t-il un li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre la constructionde la France comme nation et l’apparition duFrançais comme individu ? Le sujet semble dev<strong>en</strong>ir uncitoy<strong>en</strong> qui <strong>en</strong>dosse un rôle politique.Le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t c’est la Révolution Française. Lasouveraineté nationale et le peuple comme nationsont institués. C’est aussi le début de la citoy<strong>en</strong>neté.À partir de 1870, on voit se manifester le li<strong>en</strong> <strong>en</strong>trele développem<strong>en</strong>t de l’État-Nation et celui de l’individu.Notion d’individualité qui peut paraître paradoxalecar on parle de communauté nationale et les g<strong>en</strong>ssont intégrés dans l’État-Nation. Les discours des partisnationalistes le montr<strong>en</strong>t : ils réduis<strong>en</strong>t ou occult<strong>en</strong>tl’individu au profit de la masse et du collectif. Or, <strong>en</strong>même temps, se produit un développem<strong>en</strong>t de l’individu,de l’individualisme, de l’émancipation individuelle.L’id<strong>en</strong>tité nationale -je ne récuse pas forcem<strong>en</strong>t l’expressionmais ses usages politiques- fait partie desid<strong>en</strong>tités lat<strong>en</strong>tes de l’individu. Quand l’id<strong>en</strong>tité nationalese constitue, cela veut dire que les personnessont rattachées à d’autres groupes, à une classe
POLITIQUE CULTURELLE13et pour toussociale, etc… cela se produit à un mom<strong>en</strong>t de fortmom<strong>en</strong>t de développem<strong>en</strong>t de l’autonomie de l’individu,par le rejet de l’Église, des croyances religieuses,du développem<strong>en</strong>t de l’esprit critique… C’est tout leparadoxe de la République : l’intégration à la nationcoïncide avec le développem<strong>en</strong>t des libertés individuelles!Le rejet, la peur du migrant, à la fin du XIX e , sontellesun moy<strong>en</strong> de recoller tous ces morceaux de lasociété qui sont épars ?Les id<strong>en</strong>tités lat<strong>en</strong>tes peuv<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ir des id<strong>en</strong>titésexplicites, viol<strong>en</strong>tes. Le développem<strong>en</strong>t de l’immigrationpermet de nourrir des discours de rejet desétrangers (L’inv<strong>en</strong>tion de l’immigration, éd. Agone, voirZib’ 15). Mais <strong>en</strong> France le principal clivage demeure<strong>en</strong>tre nation et classe. Le processus d’id<strong>en</strong>tité de classea toujours été fort et a permis d’atténuer le discoursxénophobe. En même temps, le discours sur la nationpermet de souder, de dépasser les contradictions <strong>en</strong>treindividus. Et c’est une fonction explicitem<strong>en</strong>t avancéepar la droite française. On exalte la nation pour souderdes g<strong>en</strong>s qui n’ont aucun intérêt commun.La disparition du discours sur les classes sociales a-tilchangé le discours global que ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les élites surla société, ou que la société fait sur elle-même, depuisles années 80 ?En réalité, cela n’a pas vraim<strong>en</strong>t changé mais cela apermis de réactiver ce que l’on croyait dépassé. Après1945, tous les démocrates t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à distance lesdiscours id<strong>en</strong>titaires parce qu’ils étai<strong>en</strong>t responsablesd’horreurs comme les guerres mondiales, le nazisme…À partir des années 80, on assiste à un changem<strong>en</strong>tavec l’émerg<strong>en</strong>ce du Front national. La résurg<strong>en</strong>ce dudiscours nationaliste s’est faite de façon différ<strong>en</strong>te deson apparition, et c’est ce qui est difficile à compr<strong>en</strong>dre.Il y a des points communs, le rejet de l’immigration,mais cela s’intègre dans un système politique où l<strong>en</strong>ationalisme n’est plus perçu comme une m<strong>en</strong>acedirecte pour la démocratie. Auparavant le nationalismeétait un discours révolutionnaire : il voulait,comme le communisme, détruire les institutions démocratiques.Aujourd’hui, dans les discours du F.N. celane transparait plus. Même si, parv<strong>en</strong>u au pouvoir, ilfinirait par le faire.La reprise de ces thèmes id<strong>en</strong>titaires se fait aussi àdroite, dans un cadre démocratique. C’est là le plusgrave ! Dans les années 30, la limite du discours nationalistet<strong>en</strong>ait <strong>en</strong> ce que les g<strong>en</strong>s se disai<strong>en</strong>t «si onlaisse faire ça, ça va nous retomber dessus». C’est cequi s’est passé avec la création du Front antifasciste<strong>en</strong> 1934. La mobilisation ne se faisait pas sur la questionde l’étranger, dont on se foutait, mais sur les dangerspour la démocratie. Aujourd’hui, c’est beaucoup plusdifficile de faire compr<strong>en</strong>dre aux citoy<strong>en</strong>s qu’ils doiv<strong>en</strong>têtre solidaires, même pour leur intérêt propre.Le nationalisme se combine avec une logique médiatico-politiquequi a intégré son discours.On a troqué arabe contre musulman : est-ce opératoire ?Le nationalisme a besoin de l’actualité pour être efficace.Les stéréotypes, charriés par la logique dufait-divers, se trouv<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t politisés. Commel’islam est à la première page de l’actualité depuisl’Ayatollah Khomeiny (1979), cela a abouti à la généralisationet a ancré des préjugés. Alors qu’au l<strong>en</strong>demainde la guerre d’Algérie, c’était plutôt «arabe» qui étaitévoqué, aujourd’hui il est question d’Islam. C’est lerécit d’actualité qui a ici la place primordiale.Vous avez étudié Aigues-Mortes comme un faisceauconverg<strong>en</strong>t de raisons pour provoquer l’événem<strong>en</strong>t.Pourquoi la mémoire réhabilite-t-elle cet événem<strong>en</strong>tmaint<strong>en</strong>ant ?La r<strong>en</strong>aissance du nationalisme, qu’on appelle <strong>en</strong>corele populisme, se r<strong>en</strong>contre partout <strong>en</strong> Europe. C’estun processus global que l’on a du mal à expliquer etcontre lequel on a du mal à lutter parce que l’on restedans des formes de résistance à l’intérieur de l’État-Nation. Alors que le capitalisme est mondialisé, vouspouvez voir que la lutte contre les plans de rigueur sefait à l’intérieur des États : il n’y a pas de coordination<strong>en</strong> Europe. Pourquoi n’est-on pas capable de dépasserces bornes ? À ce titre je souhaite que l’on s’interroge,et c’est mon cas, sur notre incapacité à aller del’avant. Si l’on compare avec l’époque du massacred’Aigues-Mortes, nous sommes moins internationalistesqu’on ne l’était : Labriola et Guesde t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>tdes meetings communs où ils dénonçai<strong>en</strong>t le capitalismeet ses responsabilités.Les histori<strong>en</strong>s permett<strong>en</strong>t de regarder le passé maisleur rôle d’expert auprès des tribunaux n’est-il pas ambigu? Ne justifi<strong>en</strong>t-ils pas un certain cons<strong>en</strong>susidéologique ?J’ai toujours été hostile à l’interv<strong>en</strong>tion dans les procès-il s’agit surtout du procès Papon. Ce n’est pasaux histori<strong>en</strong>s d’aller témoigner dans un procès carles questions posées sont de nature judiciaire et nonpas sci<strong>en</strong>tifique.N’y a-t-il pas un problème de confusion <strong>en</strong>tre mémoireet histoire ?L’histori<strong>en</strong> qui se r<strong>en</strong>d au tribunal sort de l’histoire pour<strong>en</strong>trer dans la mémoire. Il sort de ses prérogatives caril ne peut y aller avec sa casquette «sci<strong>en</strong>tifique».Il sort de sa distanciation ?BIBLIOGRAPHIECo-fondateur de la revue G<strong>en</strong>èses.Sci<strong>en</strong>ces sociales et histoire, il participeà de nombreuses institutionsnationales et internationales sur lethème de l’id<strong>en</strong>tité nationale. Parmiles nombreux et importants ouvragesqu’il a publiés, on peut citer Lecreuset français, (Seuil, 1988), surla France pays d’immigration ; Les filsmaudits de la République (Fayard,2005) sur les intellectuels ; À quoisert l’id<strong>en</strong>tité nationale (Agone, 2007,voir Zib 3) ; ou <strong>en</strong>core, récemm<strong>en</strong>t,Le massacre des Itali<strong>en</strong>s (Fayard,2010, voir Zib 37). Sa volonté d<strong>en</strong>ourrir le débat citoy<strong>en</strong> se traduitpar la participation à de nombreusesassociations (comme le DAJA) et àla mise <strong>en</strong> scène de faits historiques,qu’il déf<strong>en</strong>d dans Histoire, théâtre etpolitique, (Agone, 2009, voir Zib22).C’est surtout que le questionnem<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique n’estpas du même ressort que le questionnem<strong>en</strong>t judiciaireou politique. On peut faire la même remarque pourl’expertise. J’ai très souv<strong>en</strong>t affaire avec des journalistesqui me demand<strong>en</strong>t si les musulmans immigréss’intègr<strong>en</strong>t. Pour moi, ce n’est pas une question sci<strong>en</strong>tifique! C’est une question politique. Qu’elle que soitla réponse que l’on pourrait donner, on construit lasuspicion à l’égard d’un groupe. Cela ne peut pas êtr<strong>en</strong>eutre !Avec la floraison des statistiques, les sociologues sontsouv<strong>en</strong>t mis à contribution comme experts. Ne fautilpas se méfier de ce g<strong>en</strong>re d’approche ?Il faut faire att<strong>en</strong>tion car il existe une grande diversitéparmi les sociologues et ceux qui se prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tels !En fait, une partie des sociologues remet <strong>en</strong> cause cesdémarches statistici<strong>en</strong>nes. Là <strong>en</strong>core, ceux qui sort<strong>en</strong>tleurs prérogatives pour faire de l’expertise cour<strong>en</strong>t ungrave danger. Ils confort<strong>en</strong>t un regard porté sur lasociété qui n’est pas neutre mais politiquem<strong>en</strong>tintéressé. Je fais partie de ceux qui appell<strong>en</strong>t à lavigilance à l’intérieur des disciplines. Cette vigilanc<strong>en</strong>écessite des li<strong>en</strong>s avec «la société civile». Le propredes experts c’est de se positionner <strong>en</strong> surplomb. Ilscré<strong>en</strong>t un fossé avec le reste de la société, ce qui esttrès négatif pour leurs propres recherches d’ailleurs.Ils <strong>en</strong> arriv<strong>en</strong>t à cautionner des croyances, commecelle de la corrélation inévitable <strong>en</strong>tre immigration etdélinquance.L’histoire a la capacité d’analyser les situations et deles déconstruire. Si p<strong>en</strong>dant longtemps elle a pu ass<strong>en</strong>erdes vérités, notamm<strong>en</strong>t avec la III e République,peut-elle aujourd’hui permettre un regard plus civique,aider le citoy<strong>en</strong> à pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce de la sociétédans laquelle il vit ?L’exemple de la nation est assez parlant. P<strong>en</strong>dant touteune période, l’histori<strong>en</strong> a légitimé la nation alorsqu’aujourd’hui on est passé à une autre approche. Cequ’il faut faire c’est donner les différ<strong>en</strong>ts aspects d’uneréalité de façon à ce que les citoy<strong>en</strong>s se les appropri<strong>en</strong>tet <strong>en</strong> fass<strong>en</strong>t usage avec une dim<strong>en</strong>sion critique. C’estce que j’appelle une désid<strong>en</strong>tification par le fait. C’esttrès important de privilégier la compréh<strong>en</strong>sion. Dansla lecture prés<strong>en</strong>tée au public du Massacre des Itali<strong>en</strong>s(voir Zib 37) on a mis l’acc<strong>en</strong>t, à dessein, sur l’assassinparce que cela décale les choses : on se demandecomm<strong>en</strong>t ce type <strong>en</strong> est arrivé là ! Les différ<strong>en</strong>ts éclairagesdes personnages permett<strong>en</strong>t de compr<strong>en</strong>dre,mais aussi de montrer, les contradictions. On n’<strong>en</strong> tirepas de morale. Notre travail d’histori<strong>en</strong> s’arrête à c<strong>en</strong>iveau-là. Ensuite c’est le ressort de la politique, ducivique, de la citoy<strong>en</strong>neté. C’est aux personnes, auxspectateurs ici, de continuer.Aller au théâtre c’est donc sortir de la salle de cours ?Si on veut aller vers la compréh<strong>en</strong>sion, il faut se tournervers des artistes. Cela permet de toucher d’autrespublics. J’ai voulu éviter de tomber dans la routinedu discours antiraciste. Il ne faut pas hésiter à lierparti avec les militants. C’est une manière de résistercollectivem<strong>en</strong>t, avec les intérêts que l’on a <strong>en</strong> commun(la remise <strong>en</strong> cause, l’information…). Il est important decréer ces passerelles avec les différ<strong>en</strong>ts milieux, nonseulem<strong>en</strong>t conjoncturellem<strong>en</strong>t mais aussi durablem<strong>en</strong>t.ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RENÉ DIAZ