22 THÉÂTREMARTIGUES | AUBAGNE | CANNES | VALBONNE© Ko<strong>en</strong> BroosMescal maniéristeLe roman de Malcolm Lowry est puissant, épique,macho, excessif comme son héros le consul anglaisqui aime pénétrer les cercles de l’<strong>en</strong>fer. Le film deHuston est moite et littéraire, populaire et mythiquecomme la fête des morts, désespéré et résignécomme ceux qui s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t que la fin approche, et qu’ilsn’ont jamais été aussi vivants. La mise <strong>en</strong> scène deSous le Volcan par Guy Cassiers réussit l’exploit deproposer une lecture personnelle qui ne trahit jamaisle roman, et rappelle judicieusem<strong>en</strong>t le meilleur dufilm. La manière du metteur <strong>en</strong> scène repose sur desprocédés d’amplification qui plong<strong>en</strong>t le spectateurdans une intimité proche de salles de cinéma.Murmures, démultiplications des images, montages,plans serrés, voix off qui s’incarn<strong>en</strong>t, cohabit<strong>en</strong>tpourtant avec des corps émouvants -les acteurs sontépoustouflants- et un jeu sur la profondeur impossibleau cinéma. Les cercles de l’<strong>en</strong>fer sont ainsi évoquéscomme autant de plans séparés de cloisonstranspar<strong>en</strong>tes qui font écran ou révèl<strong>en</strong>t. Lesrelations amoureuses triangulaires déploi<strong>en</strong>t leursfigures géométriques et le texte, réduit à sesdialogues et ses monologues intérieurs, retracesimplem<strong>en</strong>t la desc<strong>en</strong>te vers l’<strong>en</strong>fer halluciné etdésiré auquel s’abandonne obstiném<strong>en</strong>t le consul,offrant son v<strong>en</strong>tre au couteau. Les grands thèmes duroman, la guerre, les fournaises, les floraisonsdélétères, le corps qui trahit, sont à peine suggérés.Qu’importe : on les voit, et les odeurs parfoissembl<strong>en</strong>t se propager dans l’espace…A.F.Sous le Volcan a été jouéle 28 janvier à Martigueset les 1 er et 2 février à SèteFi la mort !Antigone n’échappera pas à son destintragique. Emmurée vivante par sononcle Créon, nouveau roi de Thèbes, lafille d’Œdipe et de Jocaste refusera delaisser le cadavre de son frère sanssépulture. La voilà qui se terre à côtéde son cercueil. Difficile d’imaginerpire scénario ! Difficile d’imaginerpitreries, facéties et danse macabre !Sauf qu’avec Adèll Nodé-Langlois,tout peut arriver : le meilleur comme lemeilleur. Nez rouge écarlate, cheveux<strong>en</strong> bataille, le teint blanc de l’Auguste,toute de noir vêtue -c’est decirconstance, non ?-, socquettesblanches et escarpins <strong>en</strong> cuir à boutcarré -vite délaissés pour des sabotsnoirs-, elle se lance dans uninénarrable monologue clownesque.On rit de tant de bravade, de perfidie,de roulem<strong>en</strong>ts d’yeux, de ruades (sesdéplacem<strong>en</strong>ts équins autour de la pistesont prétextes à des questionsC’est long la nuitOmbre. Le faisceau d’une lampe anime l’espace deses mouvem<strong>en</strong>ts. «Dans la vie, il y a deux choses quiéclair<strong>en</strong>t les g<strong>en</strong>s, la philosophie et les lampes.»Monologue drôle, léger, de la lampe, marionnetted’un nouveau g<strong>en</strong>re… on s’installe avec plaisir dansce début de spectacle, résultat du travail collectif desept auteurs, cinq compagnies de Paca et d’Île deFrance et autant de metteurs <strong>en</strong> scène. Le projets’est déroulé <strong>en</strong> trois phases, commandes puisrésid<strong>en</strong>ces d’écriture, lectures publiques etmaquette, résid<strong>en</strong>ce (à la distillerie d’Aubagne) etcréation du spectacle. Nous y sommes… Projetambitieux et difficile, avec trop peu de temps pour lamise <strong>en</strong> commun peut-être… Un patchwork demonologues se succède avec plus ou moins debonheur, des longueurs imm<strong>en</strong>ses, des élém<strong>en</strong>ts quipourrai<strong>en</strong>t être intéressants mais qui s’avort<strong>en</strong>td’eux-mêmes. Cela manque d’une patte qui resserreles li<strong>en</strong>s, apporte une t<strong>en</strong>sion dramatique réelle,donne un rythme à ce travail décousu, filandreux.Certains textes ne sont visiblem<strong>en</strong>t pas écrits pourle théâtre, d’autres demanderai<strong>en</strong>t une puissanceabs<strong>en</strong>te. On reti<strong>en</strong>dra les joyeux passages de laserveuse de nuit d’un Mac Drive, «la mouette du drivein» (!), et son monde nourri de référ<strong>en</strong>cesmacdonalesques, de l’infirmière qui organisel’escapade des «vieilles» du c<strong>en</strong>tre médicalisé,quelques bons mots du philosophe frustré, le superbeAntigone © Alain Juli<strong>en</strong>ingénues «quelqu’un a perdu quelquechose ?») et de lucidité brûlante. Car lamort est décomplexée, le destindérisoire et la poisse qui l’<strong>en</strong>glue vautbi<strong>en</strong> un ultime pied de nez… Antigone-Adèll Nodé-Langlois délire, minaude,s’inv<strong>en</strong>te une vie de princesse, sedéhanche sur des riffs de guitare rocket chevauche à califourchon le cercueilcomme s’il s’agissait de jouer aux autotamponneuses.Le pire (<strong>en</strong>fin lemeilleur vous a-t-on dit), c’est qu’on ycroit. On vit là nos dernières heuresavant que la mort ne nous emporteavec elle. Et lorsqu’elle craque ledernier morceau de chocolat ducondamné on est t<strong>en</strong>té de lui <strong>en</strong>demander un carré !MARIE GODFRIN-GUIDICELLIAntigone a été joué du 1 er au 3 févrierau Théâtre des Salins, Martiguesciel étoilé de lettres de la fin. On souhaite à ce travailde trouver son rythme, et de savoir manier lesciseaux avec discernem<strong>en</strong>t.MARYVONNE COLOMBANIMétiers de nuit,prés<strong>en</strong>té par la Cie Le Bruit des Hommeset sequor a été donné au Comœdia d’Aubagnele 12 février. Il sera donné de nouveau le 19 févrierau Théâtre Alexandre 3 à Cannes,et du 1 er au 5 mars à GareAu Théâtre à Vitry-Sur-Seyne (94),le 7 juillet à Valbonne au Festival Arts de la rue
Peterson le glas ?Librem<strong>en</strong>t adaptée du docum<strong>en</strong>taire éponyme deJean-Xavier de Lestrade par Dorian Rossel, Soupçonsretrace une affaire judiciaire comme les États-Unis<strong>en</strong> viv<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t, spectaculaire, longue, chère, oùles notions de culpabilité et d’innoc<strong>en</strong>ce sont parfoisreléguées au second plan, au profit notamm<strong>en</strong>t del’emballem<strong>en</strong>t médiatique. Ce procès est celui deMichael Peterson, écrivain, éditorialiste critique contrela police et le procureur du comté de Durham,bourgade conservatrice de Caroline du Nord, reconnucoupable d’avoir tué sa femme retrouvée morteARLESTHÉÂTRE23au pied de l’escalier de la maison familiale. Partantd’une réécriture des dialogues du docum<strong>en</strong>taire,Dorian Rossel et Carine Corajoud n’ont pas cherchéà r<strong>en</strong>dre compte du réel avec exactitude, mais plus àdéconstruire l’id<strong>en</strong>tité sociale et médiatique crééelors du procès. Très réussie, la première partie, parune scénographie ingénieuse qui joue avec un décormodulable et introduit la vidéo dans laquelle s’incrust<strong>en</strong>tles personnages, multiplie les points de vue,faisant que tous les comédi<strong>en</strong>s jou<strong>en</strong>t tous les rôles,<strong>en</strong> introduisant <strong>en</strong> sus un humour perturbant. Un versantludique qui brouille hélas le propos, et ne permetpas de s’attacher à cette si controversée personnalité,ni de saisir la charge émotionnelle de faitabs<strong>en</strong>te. La deuxième partie, c<strong>en</strong>trée sur le procès,perd de sa pertin<strong>en</strong>ce, au profit d’une prise de paroleun brin mécanique qui fait se succéder toutes lesparties sans réelle distanciation. Et Peterson ?Condamné à la prison à vie.Soupçons a été joué le 25 janvierau théâtre d’Arles© Carole ParodiDétournem<strong>en</strong>ts imaginairesEntièrem<strong>en</strong>t dévolue à l’exploration de la magi<strong>en</strong>ouvelle, thème c<strong>en</strong>tral du temps fort proposé par lethéâtre d’Arles dans le cadre de la programmationTerritoire de cirque commune aussi à Port-de-Boucet Martigues, 14:20 prés<strong>en</strong>tait Notte, voyage <strong>en</strong> clairobscur<strong>en</strong> compagnie de jongleurs et danseurs.Étrange ballet <strong>en</strong> vérité que celui qui se crée surscène, composé de «visions» plus ou moins courtes,impressions de rétines qui racont<strong>en</strong>t une histoire…Des balles lumineuses, seules visibles, ont uneMoins perruqué que Simon Baker, le m<strong>en</strong>talist de lasérie télévisée à audi<strong>en</strong>ce expon<strong>en</strong>tielle, ThierryCollet est non seulem<strong>en</strong>t un acteur qui maîtriseparfaitem<strong>en</strong>t sa partition -le déroulé de sa confér<strong>en</strong>ce-démonstrationest réglée au cordeau- mais unaussi un habile prestidigitateur de nos consci<strong>en</strong>ces.«Ceci n’est pas un spectacle» prévi<strong>en</strong>t-il <strong>en</strong> intro. Etpourtant. Durant plus d’une heure, il utilise la magiem<strong>en</strong>tale pour démontrer à son auditoire que la manipulationest une chose courante. «Il est dans la naturedes choses et des êtres d’être soumis à influ<strong>en</strong>ce». Àtravers un dispositif d’expéri<strong>en</strong>ces collectives, auxquellesse soumett<strong>en</strong>t volontiers les spectateurs, lemaître s’amuse, très sérieusem<strong>en</strong>t, à les manipuler.Par son discours et ses adresses tutoyées, il agit surla p<strong>en</strong>sée et soumet le jugem<strong>en</strong>t de ses cobayes.trajectoire aléatoire sur fond de bande son estivale àbase de criquets, puis animées par des bras àl’ampleur démesurée voilà qu’elles se font tracespersistantes ; mom<strong>en</strong>t de grâce avec un numérod’habillage-déshabillage qui invite la vidéo à brouillerla vision de deux personnages superposés (c’estdonc possible !) ; mélange d’images agrandies dedétail du corps d’un danseur virtuose qui exécute aupremier plan une folle chorégraphie qui nous perd…Tout est relatif, le temps s’étire, les lumièresLe M<strong>en</strong>talist inquisiteurUne manipulation collective, amusante, épatante même,mais qui fait froid dans le dos. La preuve qu’unesociété peut être modélisée par la psychologiesociale, que le prét<strong>en</strong>du libre arbitre est orchestrableet prévisible… Lorsqu’une spectatrice accepte de selaisser planter une longue aiguille dans la gorge, <strong>en</strong>confiance aveugle avec l’orateur qu’elle ne connaîtque depuis 30 minutes, cela devi<strong>en</strong>t proprem<strong>en</strong>t hallucinant.Les derniers mots du spectacle, car il s’agitbi<strong>en</strong> de cela, sont ceux du Grand Inquisiteur deDostoïevski, <strong>en</strong> conclusion d’une hypothèse de lasoirée écrite <strong>en</strong> amont, dans laquelle descriptionsphysiques, choix guidés et déroulé exact étai<strong>en</strong>tconsignés. Spectaculaire !DELPHINE MICHELANGELIdessin<strong>en</strong>t sur les corps des mouvem<strong>en</strong>ts bi<strong>en</strong> réelset pourtant complètem<strong>en</strong>t imaginaires. La magiealors se loge dans d’infimes digressions visuelles quifont ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t dévier le réel, le transformesuffisamm<strong>en</strong>t pour réinv<strong>en</strong>ter nos perceptions.Troublante réalité.DO.M.Notte a été proposé le 4 févrierpar le théâtre d’ArlesInflu<strong>en</strong>ces s’est joué au théâtre d’Arlesle 11 février© X-D.R