18 THÉÂTRE LA CRIÉE | LE LENCHE | LE GYPTISInsurrection !Bioscénographied’un génieL’<strong>en</strong>treprise de Fabrice Melquiot estsingulière : mettre <strong>en</strong> scène JacksonPollock pour approcher peut-être del’ess<strong>en</strong>ce du génie… Son échec mêmesigne sa paradoxale réussite : car c’est<strong>en</strong> montrant combi<strong>en</strong> le génie d’unartiste est irréductible à sa vie, etsurtout à la représ<strong>en</strong>tation de celle-ci,que la pièce révèle tout à trac que cetruc là, cette force inv<strong>en</strong>tive qui permetde faire des œuvres puissantes etincontournables, est au fond incompréh<strong>en</strong>sible.Il montre Pollock comme un sale gosse.Viol<strong>en</strong>t, de mauvaise foi, compr<strong>en</strong>antmal ce qu’il fabrique mais fort bi<strong>en</strong> cequ’il rejette, obsédé par la stupeur stupidedu sexe et de l’alcool, y cherchantla folie nécessaire à ses éruptionscréatives. À côté de lui Lee Krasner,admirative de l’œuvre plus que del’homme, vouée au sacrifice de sonpropre tal<strong>en</strong>t, pour un couple voué auxdéchirures. Jusqu’à ce qu’un autrepeintre, Mondrian, reconnaisse <strong>en</strong> ellele tal<strong>en</strong>t qu’elle avait mis de côté. Pasle génie ? Quant à l’autre génie, le vrai,de débordem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> virée il finira parse tuer d’un excès de vitesse volontairedont il ne fut pas la seule victime…Lam<strong>en</strong>table ? L’œuvre est là. Pas surscène, même si Paul Desveaux parvi<strong>en</strong>tà évoquer sans les reproduire lesgestes, les empâtem<strong>en</strong>ts et les couleursdes peintres. Le portrait le plusattachant est nettem<strong>en</strong>t celui de Krasner,magnifiquem<strong>en</strong>t interprétée parClaude Perron. Serge Biavan, rocbrut qui divague, baise dans les arrièrecours et frappe sa femme, donne peu<strong>en</strong>vie de connaître l’œuvre. On auraittort.A.F.Pollock a été joué à la Criéedu 25 au 29 janvierPollock © E. CarecchioSolorigolo© V. ArbeletWe are la France avait un petit côté cynique: le constat du pourrissem<strong>en</strong>t dumonde contemporain était net, maischacun semblait s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur l’impossibilitéd’action, et donc la nécessitéde faire avec… Avec Que faire ? B<strong>en</strong>oitLambert et Jean-Charles Masseraabandonn<strong>en</strong>t les tr<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aires et s’attach<strong>en</strong>tà un couple plus âgé, retraité etpopulaire. R<strong>en</strong>tre dans sa cuisine etses souv<strong>en</strong>irs… ceux de 68, du militantisme,de l’insurrection. Et c’est touteune littérature révolutionnaire qu’ils pass<strong>en</strong>t<strong>en</strong> revue, comm<strong>en</strong>tant ce qu’ils<strong>en</strong> conserv<strong>en</strong>t, de Marx à Lénine <strong>en</strong>comm<strong>en</strong>çant par Descartes pour finirpar Deleuze… Le tout agrém<strong>en</strong>té debelles analogies avec les insurrectionsartistiques (Joseph Beuys), quelquesmises au panier réjouissantes (le droitinaliénable à la propriété, le surhommede Nietzsche, la démocratie américaineet toute la Révolution Française !),de chansons et de pantomimes (un peusystématiques et pas toujours drôles,aspect le moins réussi du spectacle).Vers la fin cela pr<strong>en</strong>d un tour plus viol<strong>en</strong>t,et le couple qui est passé de l’interrogationà l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t, s’acheminevers la révolte. Grâce à Nina Hag<strong>en</strong> !que Martine Schambacher incarneavec une spl<strong>en</strong>dide furie… et que FrançoisChattot-Mouloudji apaise <strong>en</strong>chantant Faut vivre… R<strong>en</strong>oncem<strong>en</strong>tt<strong>en</strong>dre ? Sûrem<strong>en</strong>t pas ! Le couple,après être sorti de «l’amortissem<strong>en</strong>tque nous vivons depuis 68», fabrique<strong>en</strong>semble, et <strong>en</strong> chansons, de beauxcocktails Molotov prêts à l’emploi !AGNES FRESCHELQue faire ? le retour a été jouéà La Criée du 1 er au 12 févrierOn avait fort apprécié, <strong>en</strong>2008, la prestation deRoland Peyron dansMonsieur Armand ditGarrincha. Le revoici surle plateau du théâtre deL<strong>en</strong>che, jusqu’à la fin dumois, dans un nouveaumonologue écrit surmesure pour lui parSerge Valletti. À pleingaz, c’est le titre, dont on© Kevin Louviotne compr<strong>en</strong>d le s<strong>en</strong>squ’<strong>en</strong> cours de route, et qu’il serait dommage de dévoiler. Une heure, c’est ladurée du spectacle, qu’on pourrait définir comme un récit de vie ; une de ceshistoires à tiroirs et à digressions dont Valletti raffole. Sauf que ce n’est pas toutà fait ça. Car qui est-il, ce drôle de bonhomme <strong>en</strong> costume-cravate-manteau quisemble sorti de nulle part et qui y retournera à la fin, <strong>en</strong> traînant derrière lui sonsac de voyage à roulettes ? Est-il celui qu’il raconte, un personnage d’assassindoublé d’un escroc, un minable affabulateur ? Est-il l’acteur qui l’incarne et necesse de pr<strong>en</strong>dre le public à témoin ? La pièce joue constamm<strong>en</strong>t de cette doubleposture du comédi<strong>en</strong>, comme si Valletti voulait ici r<strong>en</strong>dre hommage à l’illusionthéâtrale et au travail d’acteur. Une mise <strong>en</strong> scène sobrissime, des accessoiressimples, quelques jeux de lumière, et on <strong>en</strong>tre dans «ce fragm<strong>en</strong>t de cerveauouvert» qui se livre. On joue le jeu, tout au plaisir de retrouver le s<strong>en</strong>s de la formulede Valletti, ses ruptures de ton et de rythme, auxquels les acc<strong>en</strong>ts de Peyrondonn<strong>en</strong>t tout leur relief. Un bon mom<strong>en</strong>t de théâtre donc, de franche rigoladeparfois, même si la fin manque un peu de tonus.FRED ROBERTLe texte de la pièce vi<strong>en</strong>t d’être publiéavec celui de Roméa et Joliette aux éditions de L’Atalante.À noterÀ plein gaz, mes Eric Louviot, se joue jusqu’au 26 février au Théâtre de L<strong>en</strong>che04 91 91 52 22www.theatredel<strong>en</strong>che.info
L’abondance nuitComme on aimerait que les int<strong>en</strong>tions louables fass<strong>en</strong>t les bons spectacles !Germaine Tillion a écrit une opérette à Rav<strong>en</strong>sbrück pour survivre. Si l’œuvrea valeur de témoignage, c’est aussi une mosaïque mal écrite dans un contexteplus que particulier par une ethnologue qui s’improvise auteur dramatique, etlyrique. Le texte n’est pas bon, trop long, démonstratif, décousu, répétitif, à l’ironielourde –on le serait à moins. Le monter sans distance, intégralem<strong>en</strong>t, n’a pas des<strong>en</strong>s. Heureusem<strong>en</strong>t l’écriture musicale subtile d’Alain Aubin vi<strong>en</strong>t donner un peud’épaisseur à ce qui s’appar<strong>en</strong>te à des songs, mais ils sont trop semblables,redondants… Quant aux comédi<strong>en</strong>nes on ne sait pas très bi<strong>en</strong> ce qu’elles jou<strong>en</strong>t :les prisonnières du camp ou les personnages d’une fiction interne ? Les rôles sontmal distribués, la m<strong>en</strong>euse de jeu ral<strong>en</strong>tit le rythme <strong>en</strong> campant une sorte declown triste décharné, ri<strong>en</strong> n’est vraim<strong>en</strong>t drôle ou vraim<strong>en</strong>t tragique et labourgeoise soignée, personnage ess<strong>en</strong>tiel, est t<strong>en</strong>ue par une comédi<strong>en</strong>ne quin’a ri<strong>en</strong> du rôle. Les chanteuses et musici<strong>en</strong>nes parl<strong>en</strong>t un peu faux, ce qui estpardonnable, celles qui ne chant<strong>en</strong>t pas aussi, hélas… et la mise <strong>en</strong> scènemanque d’idées simples, de décisions, de parti pris. Vraim<strong>en</strong>t dommage pourcette production régionale, féminine, ambitieuse… qu’il faudrait resserrer de touteurg<strong>en</strong>ce !AGNES FRESCHELLe Verfügbar aux Enfers a été créé au Gyptis, Marseille, du 8 au 12 février,puis joué le 12 mars au Comoedia, à Aubagne, et le 16 au Vitez, à Aix© Agnès MellonAntichambre 18 èmeLe Jeu de l’amour et du hasard est unedes pièces les plus innocemm<strong>en</strong>t perversesde Marivaux : sous prétexted’une intrigue pré-conjugale classique-deux jeunes g<strong>en</strong>s veul<strong>en</strong>t se connaîtreavant le mariage sans se dévoilermutuellem<strong>en</strong>t leur id<strong>en</strong>tité véritable-,ne voilà t’il pas qu’une noble se retrouvecourtisée, et amoureuse, d’un (faux)valet qui n’<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>t pas d’aimer une(fausse) servante ? Et que le frère et lepère de la belle assist<strong>en</strong>t, voyeurs amusés,au spectacle de ces vrais émoisancillaires ? Marivaux balaye ici de trèsbelle manière les interdits sociaux,prouvant qu’on peut s’av<strong>en</strong>turer à aimerhors de classe même si, finalem<strong>en</strong>t,l’éducation des nobles les distingue<strong>en</strong>core de leurs proches serviteurs.Faire de ceux-ci des nigauds ridicules,obsédés de sexe et d’arg<strong>en</strong>t, peupleaux désirs torves comme le fait Calvarioest donc très drôle, mais sujet àcontres<strong>en</strong>s douteux. Le public lycé<strong>en</strong>se tordait de rire à leurs caricatures.Pas sûr qu’ils ai<strong>en</strong>t compris la forcerévolutionnaire de cette comédie où,pour la première fois, un noble à boutd’amour propose le mariage à uneprét<strong>en</strong>due roturière !A.F.Le jeu de l’amour et du hasarda été joué au Gyptisdu 19 au 21 janvier