C1-40-MMP001 22/11/03 16:59 Page 35Mondotek 35Patrice MarzinSoïg SiberilJean-Charles Guichen(COOP BREIZH CD937)La Bretagne entre les trois fois sixcordes de trois des meilleurs guitaristesdu coin. En acoustique,avec l’appui ponctuel d’une pousséeélectrique, ces trois musiciens s’amusent à faire rebondir les sonsd’un manche à l’autre pour un répert o i re où traditions et compositionss’épousent dans un même élan, celui de sentir la Bretagne et de la fairev i b re r. Les trente doigts font merveille, entre finesse et fougue, entre dentelleset accords rock. Pas une seconde d’ennui dans ce son d’enfer.É. B.Hadouk TrioNOW(CELLULOID/MÉLODIE)Voyageuse, inspirée, la musiquedu trio Hadouk est à l’image deses auteurs, défricheurs insatiablesde nouvelles routes etmétissages sonores. Sorte deconte philosophique instru m e n t a l ,“Now” livre onze compositionsfusionnelles, définitivement“hadoukiennes”.Saxophones etclaviers se mêlent subtilement auxsonorités chaleureuses des instrumentsgnaoui, arméniens, mandingues…Jazz espiègle, coursese ffrénées au sax sopranino, bluesextra-lents s’enchaînent dans unalbum sensuel d’une parfaite fluiditéqui se clôt par une explosiveÉchappée belle où surgit la voixhallucinée de Danyel Wa ro .L u m i n e u x .NaabSALAM HALEIKOUM(BLOOM RECORDS/UNIVERSAL JAZZ)Chants orientaux, gembri,tablas, bruitages electro sur unbreakbeat jungle, drum’nbass… Le premier album de ceberbère de Brest inspiré par sesrencontres entre Paris etOuarzazate rend hommage àses racines. Sur scène, Naab(la tchatche en marocain)surprend tantôt en MC, tantôten chant, ou derrière lesmachines. À noter le featuringde l’émouvant chanteur SofianeSaïdi. Un mélange d’énergie,de mélancolie pour vousamener aux portes du désert…La spiritualité de Naab dans unalbum troublant.Karine PenainPatrick TiernayAU NOM DE LA CIVILISATION —COMMENT ANTHROPOLOGUES ET JOURNALISTES ONTRAVAGÉ L’AMAZONIE(GRASSET)Encore un rêve quidisparaît. Nousavions tous imaginéles formidables rencontresentre despeuples hors d’atteintede la civilisationavec des aventuriers,desjournalistes ouencore mieux, desethnologues voiredes ethnomusicologues.Ces confrontationssemblaientformidables. Descivilisations dialoguaiententre elles, pour la première fois. C’était commesi nous avions pu remonter le temps à la rencontre despeuples premiers. Quelles aventures ! Nous aurions tantvoulu en être. Pouvoir côtoyer des tribus vierges detoutes les tares pesant sur nos modernes civilisations.Vivre quelque temps auprès d’hommes et de femmesfaisant partie de la nature…Et patatras, voilà le livre dePatrick Tierney, “Au nom de la civilisation”. Dans lespages de ce gros livre, on croise autour des célèbresYanomani nombre de journalistes, d’affairistes, descientifiques, entre autres l’incroyable NapoléonChagnon. Un, anthropologue éminemment trouble. Aufil des pages de cette enquête longue et documentée,l’auteur nous entraîne dans une profonde déprime parfoisdans une forte révolte. Il est comme un voyou quicasserait nos beaux jouets. Mais peut-être est-ce pour labonne cause. Il est bon de rêver mais surtout, en cesmoments difficiles, indispensable de nous remettre lespieds dans la terre et de nous faire passer brutalementà l’âge adulte. Fini le rêve, bonjour la réalité, celle oules derniers « Yanomami sont devenus des ethnographesexperts en matière de folie des anthropologues ».Philippe KrümmÉtienne BoursDICTIONNAIRE THÉMATIQUE DES MUSIQUES DU MONDE(FAYARD)Ce livre est celuid’un collectionneurde mots. Passionnéde musiques traditionnelles,ÉtienneBours a très tôt nonseulement appréciéles musiques despeuples du mondemais en plus il futséduit par le vocabulairequi l’identifiait.Chaque motétait beau, avait unson particulier. Delà à connaître leursignification, il yavait un grand fossé que pendant sept ans, notre auteura choisi de franchir. Il lui a fallu sept ans où, semaineaprès semaine, il prit de nouveaux mots, les étudia, lesassimila pour nous proposer une définition. Cette œuvreest un éclairage fondamental pour les amateurs demusiques du monde. Ce gros livre renferme 1 500notices, toutes enrichies de références de disques. Unouvrage incontournable, à lire tranquillement pour comprendreles mots des mondes que l’on aime écouter.Sous la direction deFrançois BensignorGUIDE TOTEM — LES MUSIQUES DU MONDE(LAROUSSE)P. K.F a i re le point surl’état des musiquesdu monde n’est pasune mince aff a i re .Pour cela, il suffit dep romener avec unepetite équipe sonre g a rd et ses ore i l l e ssur la planète bleue.Puis de cette quête,s e reinement, extrairedes articles documentéset clairs. Et ainsicréer pour la pre m i è refois un vrai dictionna i re où, de A à Z,défilent les noms et les musiques qui font le grandc o n c e rt des musiques du monde. Illustré par de nombre u xdocuments photos et pochettes de disques, ce livre est labonne façon de re n c o n t rer les musiques du monde en sebalançant lascivement vautré dans un moelleux hamac.P. K .
C1-40-MMP001 22/11/03 16:59 Page 3636 IciMusiquebretonne, justeun coup de froid?Février 2003. Est-Bretagne.Froidure persistante. Je viensdécouvrir Jhaptal, un triobombarde, biniou coz et tablaconcocté par trois savantsroutiers de la scène bretonne.Les gammes et les mélodiespakistanaises ou fisel semétissent naturellement.Cela ferait un beau disque...S’il voit le jour. Ce sacré paysse paie une crise de croissanceen matière culturelle.Les musiciens n’ont jamaisété aussi bons, aussi inventifs.Ils savent désormaisqu’on ne peut ouvrir sesoreilles vers le jazz ou lesmusiques d’autres mondesqu’en ayant d’abord les piedssolidement plantés dans sespropres racines. Tout a été ditet compris sur ce sujet.Mais ces musiciens ne sontpas seuls dans la nébuleuseé c o n o m i c o - c u l t u relle du pays !Il y a d’abord les gens, qu’onappelle le Public, et puis lesproducteurs. Les premiers,volontiers avides de festounozhebdomadaires, traînentles pieds pour écouter desconcerts de musique bretonne.Les seconds ont, pourcertains, réalisé que lamusique irlando-américainese vendait mieux que celled’ici. D’autres ont constatéque cela coûtait cher de produireun bel album et ne rapportaitpas toujours beaucoupplus que la mise de fonds.Alors ça renâcle. Les concertsde musique se signentaujourd’hui hors Bretagne.L’essentiel de la productionbretonne est autoproduite etmême, et cet aspect estlamentable, autodiffusée.À moins que cela ne soitl’avenir, justement ? Depuisdeux ans, pourtant, quelquesréunions et bonnes volontéstentent d’installer un discourset une stratégie communeentre tous les labels bretons.Presque en vain. Ça cafouille,ça hésite, ça frissonne.Février 2003, les Bretonsn’aiment pas la froidure...Vivement le printemps, leshirondelles et les premiersfestivals.Ronan ManuelMerciSaint Patricke a n - P i e re Pichard, le patron du “Festival interceltique” deJLorient, rêve toujours en XXXL. Aussi, quand le Stade deFrance lui proposa de réaliser à la puissance dix ce qu’il élaboraitavec brio dans son stade breton, il ne put qu’accepter. Pourcette deuxième édition, le 15 mars 2003, c’est avec un budgetde 2,2 M d’euros qu’il a mitonner cette soirée. On y attend quarantemille personnes. Déjà plus de 45 000 billets sont vendus.On y croisera en vedette le Galicien Carlos Nunez, sa gaita et sesflûtiaux, Denez Prigent (l’autre voix de la gwerz), pour l’IrlandeSinead O’connor (joli ovni) et Lyam O’Flynn au uilleann pipesaccompagné par un orc h e s t re symphonique, et l’historique AlanStivell. Autour de ces cinq stars de la celtique attitude, le metteuren scène Pichard fera évoluer nombre de cornemuses, bomba rdes et autre binious venant des quatre coins des terres celtes.Trois heures d’un son et lumière hypert rophié. À vos jumelles.Sinead O’Connor — La voix libre de l’IrlandeDans le dernier album “Sean-Nós Nua” (Keltia Musique), levieux chant nouveau de Sinead O’ Connor semble pro u v e rqu’elle replonge profondément dans ses traditions. Il fautdire que le parcours de la dame est riche de voyages de rencontreset d’expériences. Pensez donc, elle a croisé dans sadense carrière entre autres : Prince, Peter Gabriel, MassiveAttack, Moby ou The Chieftains.Denez Prigent — Jeune et vieux à la foisChant dramatique traditionnelle breton, la gwerz prend faro u-chement de la profondeur et une amplitude mystique quandLes sœursGoadecTrois voix pour une partitionDenez l’interprète a cappella. Seul, le petit jeune homme à lavoix ancienne vit chaque chant. Il semble souffrir ) chaque mot.Mais quelle forc e ! On ne peut qu’écouter, sans compre n d re mot,mais l’histoire chemine dans nos esprits. Il la façonne et nousentraîne toujours très loin. Aujourd’hui, Denez a choisi d’êtreaccompagné, de se confro n t e r, lui le soliste, à d’autres art i s t e s ,à d’autres instru m e n t s: les traditionnels (cornemuse, bombard e ,vielle à roue) mais aussi les actuelles machines électro n i q u e s .Pour parler de son pays de son histoire, Denez ne se refuse rien.Philippe Krümmvec la disparition d’Eugénie Goadec, un siècle d’histoire et deAmutations défile devant nos yeux et dans nos mémoires. Évoquerles sœurs Goadec, c’est avant tout mettre en avant leur qualitéa rtistique. Il y a bien sûr le répert o i re. Et dans une société rurale, onchante pour raconter une histoire, un fait divers, un drame, une aventu re… La plus âgée des trois, Maryvonne, le rappelait d’ailleurs souve n t: « Me ouia ur bern kanavennou. (Je sais beaucoup de chansonset un air pour chaque chanson) » Ceci est la plus grande re c o n n a i s-sance que l’on puisse re n d re à un chanteur. Dans le contexte d’unedanse, la société toute entière se re t rouve sur son cercle, coude àcoude, sur un pas d’égalité, dans un même mouvement, sous l’impulsionde deux ou trois voix. Il suffit d’écouter les enre g i s t re m e n t sdes sœurs Goadec, notamment le disque publié à l’occasion de leurpassage à Bobino, pour voir combien le plaisir était au rendez-vous. Lepublic, venu nombreux, était en pleine osmose avec leurs “vedettesd’un soir”. C’était l’heure des re t rouvailles et du partage. Des spectateursn’hésitent pas à les interpeller. Ce à quoi elles répondent : « I l sveulent telle chanson ? On leur donne. » Le premier morceau est égalementémouvant. Elles cherchent l’air. Tout naturellement, elles chantentcelui de leur mère. Dès les premiers mots, on est séduit et port épour un magnifique voyage, tout en rythme et volupté. Telle aura étéleur vie de chanteuses. Humbles, joyeuses, rieuses, malicieuses parfois,mais toujours dignes, respectueuses et soucieuses du part a g e .Dans l’après-guerre, elles ont recommencé à chanter et à se fairec o n n a î t re hors de leur région de Carhaix. La vague folk et la mouvancedes années 1970 les portent au sommet de la notoriété. En puisantdans leur répert o i re, Alan Stivell contribue à les mettre en avant. Desmilliers de re g a rds se tournent alors vers cette génération, prenant àla fois conscience d’un trésor musical, linguistique et patrimonial, à lafois vivant et sur le point de disparaître. À cet instant, elles auro n tjoué un rôle essentiel : celui de relier et de perm e t t re le passage. Pourma part, moi qui les ai rencontrées et connues, elles ont pro f o n d é-ment marqué ma démarche d’homme et d’artiste. Pour ce cadeauqu’elles ont laissé, merci encore et kenavo.Yann-Fanch Kemener