Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Olivier Twist II<br />
Chapitre XXXIV<br />
viennent se mêler à nos visions avec un à-propos étonnant, et le réel et<br />
l’imagination se confondent si bien ensemble qu’il nous est presque impossible<br />
ensuite de faire la part de l’un et de l’autre. Ce n’est même pas là<br />
le phénomène le plus frappant de cee torpeur momentanée. Il n’est pas<br />
douteux que, bien que les sens de la vue et du toucher soient alors paralysés,<br />
nos rêves et les scènes bizarres qui s’offrent à notre imagination<br />
subissent l’influence, l’influence matérielle de la présence silencieuse de<br />
quelque objet extérieur qui n’était pas à nos côtés au moment où nous<br />
avons fermé les yeux, et que nous étions loin de croire dans notre voisinage<br />
avant de nous endormir.<br />
Olivier savait parfaitement qu’il était dans sa petite chambre, que ses<br />
livres étaient posés devant lui sur la table, et que le vent du soir soufflait<br />
doucement au milieu des plantes grimpantes autour de sa fenêtre ;<br />
et pourtant il était assoupi. Tout à coup la scène change, il croit respirer<br />
une atmosphère lourde et viciée ; il se sent avec terreur enfermé de nouveau<br />
dans la maison du juif ; il voit l’affreux vieillard accroupi à sa place<br />
habituelle, le montrant du doigt, et causant à voix basse avec un autre<br />
individu, assis à ses côtés, et qui tourne le dos à l’enfant.<br />
Il croit entendre le juif dire ces mots : « Chut ! mon ami ; c’est bien<br />
lui, il n’y a pas de doute, allons-nous-en.<br />
— Lui ! répondait l’autre ; est-ce que je pourrais m’y méprendre ? Mille<br />
diables auraient beau prendre sa figure, s’il était au milieu d’eux, il y a<br />
quelque chose qui me le ferait reconnaître à l’instant ; il serait enterré à<br />
cinquante pieds sous terre, sans aucun signe sur sa tombe, que je saurais<br />
bien dire que c’est lui qui est enterré là. N’ayez pas peur. »<br />
Les paroles de cet homme respiraient une si affreuse haine, que la<br />
crainte réveilla Olivier, qui se leva en sursaut.<br />
Dieu ! comme tout son sang reflua vers son cœur, et lui ôta la voix et<br />
la force de faire un mouvement !... Là, là, à la fenêtre, tout près de lui, si<br />
près qu’il aurait presque pu le toucher, était le juif explorant la chambre<br />
de son œil de serpent, et fascinant l’enfant ; et à côté de lui, pâle de rage<br />
ou de crainte, ou des deux à la fois, était l’individu aux traits menaçants<br />
qui l’avait accosté dans la cour de l’auberge.<br />
Il ne les vit qu’un instant, rapide comme la pensée, comme l’éclair, et<br />
ils disparurent. Mais ils l’avaient reconnu. Et lui aussi il ne les avait que<br />
49