Dumas Volume 3

Elle ne l’a pas voulu
un cri si effrayant que le docteur se pencha
involontairement au-dessus du nouveau-né : qu’avait-il
donc? Il ne vit qu’un petit corps chétif et inerte.
« Il ne vivra pas », constata généreusement la
meme voisine après l’avoir examiné. En effet, il tétait
mal et ne pleurait jamais. Il ouvrait à peine les yeux mais
quand il les ouvrait, il n’y avait que ces yeux-là : grands,
lucides et transparents yeux d’un petit vieillard.
Le nouveau-né était sans illusion, il ne
demandait rien, ne voulait rien. Il fallait le réveiller en le
pinçant, histoire de le nourrir. Si elle en avait marre, il
n’insistait jamais et arrêtait de téter tout de suite, comme
effrayé de l’embêter. Elle le méprisait pour ça. Pâle,
maigre et trop petit, il faisait la caricature de son frère, la
honte de sa famille, l’embarras de leur quartier. Tout
aurait pu finir en douceur si ce n’avait pas été le regard
soupçonneux du père et les visites quotidiennes de la
jeune pédiatre trop consciencieuse. L’enfant survécut,
sans hâte, sans joie, sans une lutte vulgaire et basse de
gros nourrissons, sans insister sur son droit de vivre.
Mais il était décidé une fois pour toutes qu’aucun de ses
efforts ne lui gagnera jamais une goutte d’amour
maternel.
Le premier fils s’appelait Eugène, un nom
ordinaire, neutre, pour ne pas lui attirer des ennuis, pour
qu’il puisse se perdre, un espoir ridicule, parmi d’autres
Eugène avec des origines acceptables. Celui-là, elle
appela Samuel. Même leur voisine antisémite
désapprouva un tel choix : « À quoi bon faire porter une
telle croix à un enfant? Vos gueules, ne vous suffisentelles
pas? »
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