Dumas Volume 3

Elle ne l’a pas voulu
trop tard, on ne les prit plus : ils étaient jugées « inutiles
pour le front. »
Personne ne s’occupait de lui. Il rôdait librement
dans les rues désertes de Leningrad, en suivant des yeux
des ombres noires traînant derrière eux de longs sacs
glacés: des morts. Parfois une des ombres tombait près
de son sac et y restait jusqu’à ce qu’une autre ombre ne
se soit approchée des deux premières en essayant, à son
tour, de les traîner jusqu’au cimetière. Parfois personne
ne venait. Une fois, Samuel s’approcha et vit un visage
bleu sortant de la déchirure d’un sac. Ce n’était même
pas un visage, ce n’était qu’une joue, dure comme pierre,
mais cette joue exprimait le reste du visage aussi bien
que tous les visages dans tous les autres sacs. Samuel
regardait, penché, cette joue bleue dans le trou du sac, et
la pitié mortelle, immense, douce et belle comme
l’amour, lui entra dans l’âme.
Ils restèrent alors seuls dans l’appartement, sa
mère, son frère et lui, la méchante voisine étant morte la
première, ne s’étant jamais emparé de leurs meubles si
longtemps convoités. La mère de Samuel ressemblait de
plus en plus à une des ombres de la rue et Samuel
essayait d’éviter de la regarder, honteux de son
impuissance d’enfant. Au début, elle se souciait pour que
le pain soit partagé également: elle donnait la moitié du
sien à Eugène. Ensuite, ses yeux se vidèrent de sens et
elle vivait par inertie. Samuel mangeait son morceau et
ne demandait jamais rien. La faim ne le torturait plus: il
s’éteignait. Au début on avait peur des bombes. Après,
non.
Cependant ce n’était pas fini. À travers le
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