Spectrum #5 2018
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DOSSIER<br />
Scoring et Laogaï : le système répressif en Chine<br />
Nous pensons souvent aux conséquences d’un pouvoir répressif sans pourtant connaître les règles qui le<br />
justifient. Bien que les contextes diffèrent, la logique du processus, elle, se répète.<br />
ENEA BACILIERI ET SOPHIE SCIBOZ<br />
Au-delà des centaines de millions de<br />
caméras de surveillance qui arpentent<br />
les rues du pays, le gouvernement chinois<br />
prévoit d’instaurer d’ici 2020 un scoring<br />
comportemental afin de régir la vie de ses<br />
citoyen∙ne∙s. Le principe est simple : votre<br />
crédit social est influencé par vos actions<br />
quotidiennes. En prenant soin de votre famille,<br />
il augmente ; en critiquant le gouvernement<br />
sur internet, il baisse. Vos points<br />
vont ensuite déterminer vos avantages<br />
en société (obtenir plus facilement une<br />
promotion) ou vos peines (impossibilité<br />
d’inscrire ses enfants en école privée). Il<br />
n’est plus question de garder des dossiers<br />
secrets sur les individus comme on savait<br />
si bien le faire en URSS, mais d’en faire<br />
des livres ouverts disponibles à toutes et<br />
à tous. Si l'on ne sait pas trop quoi faire<br />
de cette information, à part qu’elle nous<br />
rappelle un certain épisode de Black Mirror,<br />
des questions morales se posent tout<br />
de suite ; que peut-on justifier sous couvert<br />
de respect des normes et de sécurité<br />
sociale ? Et où sont les opposant∙e∙s à ce<br />
genre de mesures ?<br />
Si la première interrogation peut être sujette<br />
à débat, la deuxième est tragiquement<br />
simple : les détracteur∙ice∙s sont<br />
petit à petit éliminé∙e∙s dès lors qu'ils<br />
et elles s’écartent de la norme. En 2017,<br />
Amnesty International recense 993 exécutions<br />
dans 23 pays (dont quatre sont<br />
responsables de 84% des mises à mort<br />
enregistrées), avec la Chine en première<br />
tête . Les chiffres réels restent impossibles<br />
à obtenir car, au-delà des décès officiels,<br />
il nous faut compter les milliers d’exécutions<br />
qui se déroulent dans les divers<br />
camps de rééducation (Laogaï), implantés<br />
dans les villes chinoises depuis l’époque<br />
de Mao Zedong. Ce ne sont pas les prisonnier∙ère∙s<br />
de droit commun qui sont<br />
visés en premier, mais des opposants∙e∙s<br />
politiques, des dissident∙e∙s ou encore des<br />
journalistes. Ces camps ne sont pourtant<br />
pas illégaux, mais font partie intégrante<br />
de la société chinoise et sont utiles au<br />
bon fonctionnement de cette dernière<br />
en assurant son harmonie. Si ce n’est pas<br />
officiellement mis en avant par le gouvernement<br />
pour des raisons évidentes, c’est<br />
officieusement inscrit dans les normes et<br />
au niveau pénal.<br />
Manifestant à Bruxelles pour les minorités musulmanes ouïghoures détenues dans des camps<br />
de concentration<br />
La justice à l’appui de la terreur<br />
La fonction d’un système juridique est<br />
de rassembler les structures et modes de<br />
fonctionnement des instances reliées à<br />
l'application des règles de droit ainsi que<br />
les services qui en découlent. Le régime<br />
autoritaire appliqué par le Parti communiste<br />
chinois permet de confondre les<br />
pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.<br />
Il est donc aisé d’entreprendre de telles<br />
opérations afin de s’assurer que la pensée<br />
unique soit conservée. En tant qu’instrument<br />
de terreur, ces camps sont une composante<br />
permanente du système. C’est<br />
pourquoi ils restent en temps de « paix »<br />
(traduisez par « état de guerre continu »)<br />
et veillent à l’anéantissement et à la rééducation<br />
par la torture de citoyen∙enne∙s<br />
soi-disant peu vertueux∙euse∙s. La loi met<br />
en place les châtiments, les fonctionnaires<br />
les exécutent. Au final, ce n’est plus tant<br />
l’individu qui compte, mais bien le groupe ;<br />
c’est ainsi qu’une transgression publique<br />
est considérée comme trop dangereuse<br />
pour l’harmonie sociale et est donc à éviter<br />
au plus haut point. On peut résumer<br />
la justice chinoise avec la phrase suivante:<br />
« En Chine, le droit a constamment eu<br />
pour fonction de maintenir l’ordre public<br />
et non de garantir les droits de l’individu<br />
face à l’État ou face aux autres individus ».<br />
Ainsi, tant que les actes perpétrés par l’Etat,<br />
aussi meurtriers soient-ils, servent au bon<br />
fonctionnement de la société, les droits humains<br />
peuvent passer au second plan.<br />
Sources utilisées:<br />
Source citation : https://www.universalis.fr/<br />
encyclopedie/chine-droit/<br />
Source chiffres Amnesty : https://www.amnesty.<br />
ch/fr/themes/peine-de-mort/docs/<strong>2018</strong>/faitset-chiffres-2017<br />
© Photo: : Emmanuel Dunand<br />
© Foto: wikimedia commons<br />
14 spectrum 11.<strong>2018</strong>