16.11.2018 Views

Spectrum #5 2018

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

DOSSIER<br />

Scoring et Laogaï : le système répressif en Chine<br />

Nous pensons souvent aux conséquences d’un pouvoir répressif sans pourtant connaître les règles qui le<br />

justifient. Bien que les contextes diffèrent, la logique du processus, elle, se répète.<br />

ENEA BACILIERI ET SOPHIE SCIBOZ<br />

Au-delà des centaines de millions de<br />

caméras de surveillance qui arpentent<br />

les rues du pays, le gouvernement chinois<br />

prévoit d’instaurer d’ici 2020 un scoring<br />

comportemental afin de régir la vie de ses<br />

citoyen∙ne∙s. Le principe est simple : votre<br />

crédit social est influencé par vos actions<br />

quotidiennes. En prenant soin de votre famille,<br />

il augmente ; en critiquant le gouvernement<br />

sur internet, il baisse. Vos points<br />

vont ensuite déterminer vos avantages<br />

en société (obtenir plus facilement une<br />

promotion) ou vos peines (impossibilité<br />

d’inscrire ses enfants en école privée). Il<br />

n’est plus question de garder des dossiers<br />

secrets sur les individus comme on savait<br />

si bien le faire en URSS, mais d’en faire<br />

des livres ouverts disponibles à toutes et<br />

à tous. Si l'on ne sait pas trop quoi faire<br />

de cette information, à part qu’elle nous<br />

rappelle un certain épisode de Black Mirror,<br />

des questions morales se posent tout<br />

de suite ; que peut-on justifier sous couvert<br />

de respect des normes et de sécurité<br />

sociale ? Et où sont les opposant∙e∙s à ce<br />

genre de mesures ?<br />

Si la première interrogation peut être sujette<br />

à débat, la deuxième est tragiquement<br />

simple : les détracteur∙ice∙s sont<br />

petit à petit éliminé∙e∙s dès lors qu'ils<br />

et elles s’écartent de la norme. En 2017,<br />

Amnesty International recense 993 exécutions<br />

dans 23 pays (dont quatre sont<br />

responsables de 84% des mises à mort<br />

enregistrées), avec la Chine en première<br />

tête . Les chiffres réels restent impossibles<br />

à obtenir car, au-delà des décès officiels,<br />

il nous faut compter les milliers d’exécutions<br />

qui se déroulent dans les divers<br />

camps de rééducation (Laogaï), implantés<br />

dans les villes chinoises depuis l’époque<br />

de Mao Zedong. Ce ne sont pas les prisonnier∙ère∙s<br />

de droit commun qui sont<br />

visés en premier, mais des opposants∙e∙s<br />

politiques, des dissident∙e∙s ou encore des<br />

journalistes. Ces camps ne sont pourtant<br />

pas illégaux, mais font partie intégrante<br />

de la société chinoise et sont utiles au<br />

bon fonctionnement de cette dernière<br />

en assurant son harmonie. Si ce n’est pas<br />

officiellement mis en avant par le gouvernement<br />

pour des raisons évidentes, c’est<br />

officieusement inscrit dans les normes et<br />

au niveau pénal.<br />

Manifestant à Bruxelles pour les minorités musulmanes ouïghoures détenues dans des camps<br />

de concentration<br />

La justice à l’appui de la terreur<br />

La fonction d’un système juridique est<br />

de rassembler les structures et modes de<br />

fonctionnement des instances reliées à<br />

l'application des règles de droit ainsi que<br />

les services qui en découlent. Le régime<br />

autoritaire appliqué par le Parti communiste<br />

chinois permet de confondre les<br />

pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.<br />

Il est donc aisé d’entreprendre de telles<br />

opérations afin de s’assurer que la pensée<br />

unique soit conservée. En tant qu’instrument<br />

de terreur, ces camps sont une composante<br />

permanente du système. C’est<br />

pourquoi ils restent en temps de « paix »<br />

(traduisez par « état de guerre continu »)<br />

et veillent à l’anéantissement et à la rééducation<br />

par la torture de citoyen∙enne∙s<br />

soi-disant peu vertueux∙euse∙s. La loi met<br />

en place les châtiments, les fonctionnaires<br />

les exécutent. Au final, ce n’est plus tant<br />

l’individu qui compte, mais bien le groupe ;<br />

c’est ainsi qu’une transgression publique<br />

est considérée comme trop dangereuse<br />

pour l’harmonie sociale et est donc à éviter<br />

au plus haut point. On peut résumer<br />

la justice chinoise avec la phrase suivante:<br />

« En Chine, le droit a constamment eu<br />

pour fonction de maintenir l’ordre public<br />

et non de garantir les droits de l’individu<br />

face à l’État ou face aux autres individus ».<br />

Ainsi, tant que les actes perpétrés par l’Etat,<br />

aussi meurtriers soient-ils, servent au bon<br />

fonctionnement de la société, les droits humains<br />

peuvent passer au second plan.<br />

Sources utilisées:<br />

Source citation : https://www.universalis.fr/<br />

encyclopedie/chine-droit/<br />

Source chiffres Amnesty : https://www.amnesty.<br />

ch/fr/themes/peine-de-mort/docs/<strong>2018</strong>/faitset-chiffres-2017<br />

© Photo: : Emmanuel Dunand<br />

© Foto: wikimedia commons<br />

14 spectrum 11.<strong>2018</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!