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Les Cinémas Pathé Gaumont - Le mag - Mars 2019

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diaboliser qui que ce soit, explique Joel Edgerton. Cela aurait<br />

été simpliste et mensonger. » Loin d’être des monstres, les<br />

parents de Jared apparaissent comme démunis face à la révélation<br />

de la sexualité de leur fils et se tournent vers l’institution<br />

qui les a guidés toute leur vie pour obtenir de l’aide. C’est<br />

donc en toute bonne foi et sur les conseils de leur paroisse,<br />

qu’ils emmènent leur fils au centre Love in Action et le jettent<br />

dans la gueule du loup.<br />

La révélation Lucas Hedges<br />

Un tel sujet, chez d’autres réalisateurs, aurait entraîné une<br />

mise en scène sensationnaliste, à la violence emphatique et<br />

complaisante. Craintes, ici, vite balayées dès les premières<br />

i<strong>mag</strong>es du film concentrées sur les visages, qui laissent<br />

apparaître les émotions retenues et contradictoires des protagonistes<br />

: un mélange de résignation, d’angoisse, et d’incertitude.<br />

Parmi ces visages, celui si marquant de Lucas Hedges,<br />

l’interprète de Jared. Révélé par le <strong>mag</strong>istral Manchester By<br />

the Sea, Hedges s’est rapidement imposé comme un talent à<br />

suivre après des seconds rôles remarqués dans 3 Billboards<br />

– <strong><strong>Le</strong>s</strong> Panneaux de la vengeance et Lady Bird, où son rôle<br />

de lycéen découvrant son homosexualité fait aujourd’hui<br />

figure de préambule à Boy Erased. À fleur de peau, désarmant<br />

de sincérité, Hedges accomplit la tâche difficile de<br />

transmettre en silence les questions qui l’assaillent. Car Jared<br />

est contraint au coming out suite à une agression sexuelle<br />

qui le laisse dans un état de fragilité absolue. « Comme de<br />

nombreuses victimes, il en vient à se demander s’il mérite ce<br />

qui lui est arrivé », explique Edgerton. Au centre de conversion,<br />

on lui impose la notion d’homosexualité comme une<br />

déviance responsable de maladie (le sida) ou de criminalité<br />

(viols, pédophilie). Pour mettre à jour les dégâts provoqués<br />

par ces méthodes, Edgerton s’est entouré d’acteurs ouvertement<br />

homosexuels et militants, comme l’acteur-réalisateur<br />

Xavier Dolan, l’artiste Troye Sivan, ou l’actrice Cherry Jones.<br />

De même, ce n’est pas un hasard qu’aient été choisis pour<br />

interpréter les parents les acteurs australiens (comme le<br />

cinéaste), Russell Crowe, qui a construit sa carrière sur des<br />

rôles très virils tandis que Nicole Kidman a été elle-même –<br />

au temps de son premier mariage – témoin des agissements<br />

d’une secte.<br />

Violences psychologiques<br />

« Quand j’étais petit, raconte Joel Edgerton, mes plus<br />

terribles peurs étaient liées à des situations dans lesquelles<br />

j’aurais pu me retrouver privé de liberté : la guerre, la prison,<br />

les sectes, les enlèvements par des extraterrestres, être séparé<br />

de mes parents… » À travers l’histoire de Jared, cette peur<br />

enfantine se concrétise. Lorsqu’il pénètre dans les murs de<br />

Love in Action, le jeune homme entre dans une véritable prison.<br />

Son téléphone lui est retiré et tout numéro enregistré se<br />

trouve susceptible d’être appelé. Confisqué son carnet d’écriture,<br />

arrachées les pages jugées problématiques par le directeur<br />

du centre, le glaçant Victor Sykes. Sous une apparence<br />

bienveillante, la prétendue conversion sexuelle s’opère au<br />

moyen d’intimidations et humiliations diverses. On enseigne<br />

« comment devenir un homme » à travers des exercices de<br />

postures et autres performances physiques véhiculant une<br />

idée de la masculinité fort caricaturale. Devant le groupe,<br />

Russell Crowe<br />

et Joel Edgerton sur le tournage.<br />

chacun doit détailler ses fantasmes « coupables », ses rencontres<br />

sexuelles passées. Des jeux de rôles leur imposent des<br />

paroles de haine à l’encontre de leurs propres parents, jugés<br />

fautifs par l’institution d’avoir créé ces penchants par leurs<br />

propres vices. Dans une mise en scène horrifiante, on simule<br />

l’enterrement d’un jeune homme bien vivant. Ces tortures<br />

psychologiques n’ont d’autre but que d’insinuer à ces jeunes,<br />

de marteler qu’il leur faut changer ou bien mourir. Garrard<br />

Conley insiste sur les dégâts de ces violences : « Vous n’avez<br />

pas besoin de montrer une tuerie de masse ou cinquante<br />

lobotomies pour faire surgir une terreur réelle. Ces moments<br />

chargés de silence lorsque vous êtes assis en face de<br />

quelqu’un dont vous savez qu’il n’a pas votre bien-être à<br />

cœur, ça aussi c’est de la terreur. »<br />

Au pays de la liberté<br />

Il n’est pas anodin que la chambre où le destin de Jared bascule<br />

porte le nombre alarmant de 237, en référence à The<br />

Shining. Un nombre qui apparaissait déjà dans le premier<br />

film de Joel Edgerton, le très réussi The Gift, un thriller sur<br />

les traces laissées à l’âge adulte par le harcèlement scolaire :<br />

« Quand j’étais enfant, je brutalisais les autres mais j’étais<br />

aussi victime de harcèlement. Je sais qu’au lycée, j’ai utilisé<br />

des insultes homophobes. » Voilà ce qui a décidé le réalisateur<br />

à interpréter lui-même l’intrigant Victor Sykes dont on apprend<br />

qu’avant d’être le thérapeute en chef de Love in Action il en<br />

était un client… soit une victime devenue bourreau. C’est<br />

face à cette brutalité que Jared se rebelle, lui qui sait ce que<br />

l’amour véritable réserve, de la tendresse inattendue d’un<br />

jeune homme croisé lors d’une soirée, à la protection maternelle<br />

qui, malgré ses faiblesses, sera salvatrice. « Comme tous<br />

les “films de prison”, notre film est d’abord un film sur le désir<br />

de liberté », conclut Joel Edgerton. Une liberté de devenir qui<br />

l’on veut et d’aimer qui l’on souhaite, ce qui pour Jared et<br />

beaucoup d’autres s’obtient encore aujourd’hui trop souvent<br />

au prix de nombreuses souffrances. Laissant loin, loin derrière<br />

elle l’insouciance de l’enfance. Voilà ce que le titre de Boy<br />

Erased signifie : le garçon effacé, l’enfant supprimé.<br />

BOY ERASED<br />

Réalisation : Joel Edgerton<br />

Avec : Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe...<br />

Genre : Drame<br />

Durée : 1 h 55<br />

SORTIE : 27 MARS<br />

LES CINÉMAS PATHÉ ET GAUMONT 23

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