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diaboliser qui que ce soit, explique Joel Edgerton. Cela aurait<br />
été simpliste et mensonger. » Loin d’être des monstres, les<br />
parents de Jared apparaissent comme démunis face à la révélation<br />
de la sexualité de leur fils et se tournent vers l’institution<br />
qui les a guidés toute leur vie pour obtenir de l’aide. C’est<br />
donc en toute bonne foi et sur les conseils de leur paroisse,<br />
qu’ils emmènent leur fils au centre Love in Action et le jettent<br />
dans la gueule du loup.<br />
La révélation Lucas Hedges<br />
Un tel sujet, chez d’autres réalisateurs, aurait entraîné une<br />
mise en scène sensationnaliste, à la violence emphatique et<br />
complaisante. Craintes, ici, vite balayées dès les premières<br />
i<strong>mag</strong>es du film concentrées sur les visages, qui laissent<br />
apparaître les émotions retenues et contradictoires des protagonistes<br />
: un mélange de résignation, d’angoisse, et d’incertitude.<br />
Parmi ces visages, celui si marquant de Lucas Hedges,<br />
l’interprète de Jared. Révélé par le <strong>mag</strong>istral Manchester By<br />
the Sea, Hedges s’est rapidement imposé comme un talent à<br />
suivre après des seconds rôles remarqués dans 3 Billboards<br />
– <strong><strong>Le</strong>s</strong> Panneaux de la vengeance et Lady Bird, où son rôle<br />
de lycéen découvrant son homosexualité fait aujourd’hui<br />
figure de préambule à Boy Erased. À fleur de peau, désarmant<br />
de sincérité, Hedges accomplit la tâche difficile de<br />
transmettre en silence les questions qui l’assaillent. Car Jared<br />
est contraint au coming out suite à une agression sexuelle<br />
qui le laisse dans un état de fragilité absolue. « Comme de<br />
nombreuses victimes, il en vient à se demander s’il mérite ce<br />
qui lui est arrivé », explique Edgerton. Au centre de conversion,<br />
on lui impose la notion d’homosexualité comme une<br />
déviance responsable de maladie (le sida) ou de criminalité<br />
(viols, pédophilie). Pour mettre à jour les dégâts provoqués<br />
par ces méthodes, Edgerton s’est entouré d’acteurs ouvertement<br />
homosexuels et militants, comme l’acteur-réalisateur<br />
Xavier Dolan, l’artiste Troye Sivan, ou l’actrice Cherry Jones.<br />
De même, ce n’est pas un hasard qu’aient été choisis pour<br />
interpréter les parents les acteurs australiens (comme le<br />
cinéaste), Russell Crowe, qui a construit sa carrière sur des<br />
rôles très virils tandis que Nicole Kidman a été elle-même –<br />
au temps de son premier mariage – témoin des agissements<br />
d’une secte.<br />
Violences psychologiques<br />
« Quand j’étais petit, raconte Joel Edgerton, mes plus<br />
terribles peurs étaient liées à des situations dans lesquelles<br />
j’aurais pu me retrouver privé de liberté : la guerre, la prison,<br />
les sectes, les enlèvements par des extraterrestres, être séparé<br />
de mes parents… » À travers l’histoire de Jared, cette peur<br />
enfantine se concrétise. Lorsqu’il pénètre dans les murs de<br />
Love in Action, le jeune homme entre dans une véritable prison.<br />
Son téléphone lui est retiré et tout numéro enregistré se<br />
trouve susceptible d’être appelé. Confisqué son carnet d’écriture,<br />
arrachées les pages jugées problématiques par le directeur<br />
du centre, le glaçant Victor Sykes. Sous une apparence<br />
bienveillante, la prétendue conversion sexuelle s’opère au<br />
moyen d’intimidations et humiliations diverses. On enseigne<br />
« comment devenir un homme » à travers des exercices de<br />
postures et autres performances physiques véhiculant une<br />
idée de la masculinité fort caricaturale. Devant le groupe,<br />
Russell Crowe<br />
et Joel Edgerton sur le tournage.<br />
chacun doit détailler ses fantasmes « coupables », ses rencontres<br />
sexuelles passées. Des jeux de rôles leur imposent des<br />
paroles de haine à l’encontre de leurs propres parents, jugés<br />
fautifs par l’institution d’avoir créé ces penchants par leurs<br />
propres vices. Dans une mise en scène horrifiante, on simule<br />
l’enterrement d’un jeune homme bien vivant. Ces tortures<br />
psychologiques n’ont d’autre but que d’insinuer à ces jeunes,<br />
de marteler qu’il leur faut changer ou bien mourir. Garrard<br />
Conley insiste sur les dégâts de ces violences : « Vous n’avez<br />
pas besoin de montrer une tuerie de masse ou cinquante<br />
lobotomies pour faire surgir une terreur réelle. Ces moments<br />
chargés de silence lorsque vous êtes assis en face de<br />
quelqu’un dont vous savez qu’il n’a pas votre bien-être à<br />
cœur, ça aussi c’est de la terreur. »<br />
Au pays de la liberté<br />
Il n’est pas anodin que la chambre où le destin de Jared bascule<br />
porte le nombre alarmant de 237, en référence à The<br />
Shining. Un nombre qui apparaissait déjà dans le premier<br />
film de Joel Edgerton, le très réussi The Gift, un thriller sur<br />
les traces laissées à l’âge adulte par le harcèlement scolaire :<br />
« Quand j’étais enfant, je brutalisais les autres mais j’étais<br />
aussi victime de harcèlement. Je sais qu’au lycée, j’ai utilisé<br />
des insultes homophobes. » Voilà ce qui a décidé le réalisateur<br />
à interpréter lui-même l’intrigant Victor Sykes dont on apprend<br />
qu’avant d’être le thérapeute en chef de Love in Action il en<br />
était un client… soit une victime devenue bourreau. C’est<br />
face à cette brutalité que Jared se rebelle, lui qui sait ce que<br />
l’amour véritable réserve, de la tendresse inattendue d’un<br />
jeune homme croisé lors d’une soirée, à la protection maternelle<br />
qui, malgré ses faiblesses, sera salvatrice. « Comme tous<br />
les “films de prison”, notre film est d’abord un film sur le désir<br />
de liberté », conclut Joel Edgerton. Une liberté de devenir qui<br />
l’on veut et d’aimer qui l’on souhaite, ce qui pour Jared et<br />
beaucoup d’autres s’obtient encore aujourd’hui trop souvent<br />
au prix de nombreuses souffrances. Laissant loin, loin derrière<br />
elle l’insouciance de l’enfance. Voilà ce que le titre de Boy<br />
Erased signifie : le garçon effacé, l’enfant supprimé.<br />
BOY ERASED<br />
Réalisation : Joel Edgerton<br />
Avec : Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe...<br />
Genre : Drame<br />
Durée : 1 h 55<br />
SORTIE : 27 MARS<br />
LES CINÉMAS PATHÉ ET GAUMONT 23