ICI MAG - JUIN 2019

Contes et légendes
La malédiction de la lette
des Landes
D’après un texte
de Sylvie PONTIER
Biscarrosse Plage
Entendez-vous ce bruit devenu familier
maintenant, c’est le grand livre des histoires
qui vient de s’ouvrir. Écoutons ce
qu’il va nous raconter.
Derrière la dune océane, au nord de Biscarrosse
plage, se cache un endroit très
spécial. Une lette connue pour ses points
d’eau. Une grande plaine de sable entre
océan et forêt, rendez-vous connu des
assoiffés. L’eau y est claire et limpide.
On raconte que c’est la lune qui lui donne
cette transparence. On dit même qu’au
solstice d’été, lorsqu’elle est bien ronde,
elle donne à l’eau des vertus médicinales
et magiques à qui savait les utiliser. Et
c’est bien pour cela que tous les étés, le
soir venu, sorciers, rebouteux, guérisseurs
s’y réunissent.
Le grand soir était arrivé. Une procession
d’hommes et de femmes se dirigeait
vers la lette. Tous marchaient en ordre,
en psalmodiant des louanges à la lune.
On reconnaissait leur fonction grâce à
la couleur de leurs capes. Les sorciers
en noir ouvraient la marche, les rebouteux
en vert et les guérisseurs en pourpre
fermaient la procession. En tête le plus
ancien du groupe, habillé de blanc, se
trouvait le maître. En fin de cortège, on
trouvait les apprentis de dernière année
vêtus de rouge.
Arrivés à la lette, tous prirent place autour
de la mare principale. Les chants s’arrêtèrent
et le maître prit la parole. D’une
voie tremblante, il remercia le disque lunaire
de son éclat et de sa protection. Puis,
chacun s’avança dans l’eau pour y remplir
ses fioles. C’est alors que trois jeunes gens
de capes différentes, un peu trop empressés,
se téléscopent et tombent à la renverse.
Dans leur chute, leurs uniques récipients
de verre, tombent et se fracassent
en morceaux. Catastrophe ! Il n’y aura pas
d’autres occasions de ramener le précieux
liquide cette année. Ils s’invectivent,
s’empoignent et rapidement en viennent
aux mains. Dans leur colère, rien ne peut
les arrêter. Ni les suppliques de l’assemblée,
ni même les ordres du maître, à demi
étouffés par le vacarme de leur lutte.
Une jeune fille vêtue de rouge s’élance
alors et intervient. Elle se frait rapidement
un chemin dans la mêlée et se retrouve
au centre du combat. Elle crie
qu’on arrête !. « Que c’est sacrilège en ce
jour sacré ! » mais rien n’y fait. Ivres de
colère, nos trois possédés redoublent de
violence et se jettent les uns sur les autres
dans un tourbillon de capes colorées. Emportés
par cette vague guerrière, les voici
tous les quatre projetés dans la marre. La
lutte continua encore quelques instants
puis cessa d’un coup. Un silence de plomb
s’était abattu sur la plaine marécageuse.
Seul se relevèrent les 3 jeunes hommes.
On rapprocha les torches pour mieux y
voir. Nos trois combattants étaient pétrifiés.
Devant eux, seule la cape de la jeune
fille flottait encore à la surface.
Un silence pesant s’installa. Des nuages
envahissaient le ciel, cachant la lune emplie
de larmes. Une brise se leva au-dessus
de l’eau et tous baissèrent les yeux
vers la mare. Là, dans un tourbillon de
gouttelettes, la jeune fille s’élevait peu
à peu des eaux. Sa cape semblait flamboyer
dans l’obscurité. Son visage et sa
chevelure étaient maintenant aussi pâles
que la lune. Elle se retourna vers les trois
hommes et d’une voix calme, elle leur dit
: « Pour votre geste, je vous maudit. Dès
cet instant, sachez que cette eau restera
douce pour épancher la soif des animaux
mais sera mortelle pour les humains, ainsi
sera votre châtiment.» Elle fixa l’assemblée
un instant et disparut dans l’eau.
Une onde s’étira de marre en marre. Depuis
ce jour personne ne boit plus à la lette
et seuls les animaux sauvages y étanchent
encore leur soif.
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