Fanzine n°1 - 1740

colère pour servir de moteur à la recherche de la vérité et de l’action,
de la réaction, de la révolution. L’humour la désarme, et disperse cette
belle énergie en vains gloussements.
On m’objectera que l’humour constitue précisément le moyen d’obtenir
le décalage nécessaire, parfois, pour se libérer d’attachements
trop aveuglants. Peut-être. Mais je soutiens pour ma part que, ce
détachement passé, l’humour ne fait qu’en annuler l’effet après l’avoir
mis au jour, car l’attachement passé est reconnu avec bonhommie,
presque tendresse, et il n’y a plus de problème finalement à s’y laisser
aller ; ce qui annule définitivement le bénéfice de la prise de conscience.
Car l’humour est le contraire de la prise de conscience claire et nette.
L’humour implique de l’implicite, du non-dit, du presque formulé.
Et donc du malentendu. L’humour déplace les lignes, apporte de la
confusion, perturbe l’entendement, détruit la tension nécessaire à
exercer un jugement réellement objectif.
Bien sûr, on pourrait m’objecter que tous les types d’humour ne se
valent pas, qu’ils font appel à des facultés bien différentes de l’esprit.
On pourrait ainsi argüer que certains types d’humour sont déplacés,
l’humour grivois, l’humour de corps de garde, l’humour noir, celui qui
fait rire jaune, mais que certains autres sont tout à fait honorables,
appréciables, voire qu’ils sont une marque de délicatesse, que c’est une
affaire de tact et de raffinement de l’esprit.
Peut-on rire de tout ? C’est la grande question des moralistes
de l’humour, ceux qui essayent de ménager la chèvre et le chou.
Certainement non, on ne peut pas rire de tout. Peut-on rire tout
court ? Je serais tenté d’être radical, et de dire tout simplement Non.
On ne peut pas rire du tout. Le rire est le propre de l’homme ? Non, au
contraire. Le rire nous ravale à un état de bête, où la pensée se relâche
complètement, où ce sont les réflexes physiques qui prennent le relais
de l’intellect lorsque celui-ci, pas assez fort sans doute pour supporter
la tension, laisse le reste de l’être en proie à la confusion.
Est-ce que tout ça n’est pas un peu déplacé ? Moi j’irais jusqu’à dire que
tout humour est déplacé, parce que l’humour est intrinsèquement un
déplacement. Un déplacement de sens, un déplacement de valeur, un
déplacement de notre sens du réel, une altération. En fin de compte,
l’humour ne mène qu’à la dépréciation, à la moquerie, au mépris, à
l’aberration, et, in fine, à la déshumanisation.
Pour revenir à l’une des valeurs humaines universelles que j’évoquais
plus haut, force est de constater l’humour est également un tuel’amour.
Comment espérer mener une relation amoureuse à son
terme, si on laisse toute la place à l’humour? Non, amour et humour
ne font pas bon ménage. Comment l’acte sexuel, au cœur de la relation
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