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Fanzine n°1 - 1740

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amoureuse, pourrait-il survenir s’il est constamment interrompu pas<br />

des fou-rires, des gloussements, qui ne sont finalement qu’autant<br />

de résistances face à l’authenticité de l’acte, aux ramifications de<br />

ses implications symboliques, de la complexité de ses sensations ?<br />

Le plaisir, c’est sérieux. Il y a certaines choses qu’il faut réellement<br />

prendre au sérieux. Moi je voudrais dire : il faut tout prendre au sérieux.<br />

C’est la seule manière de considérer la valeur des choses. Si certaines<br />

choses se révèlent, à la réflexion, comme de peu d’importance, ce n’est<br />

pas pour cela qu’elles doivent se charger du mépris dont les accable,<br />

discrètement mais inévitablement, l’humour.<br />

Bien sûr, toute l’entreprise culturelle et artistique dans son ensemble<br />

connait bien et pratique à l’envi cette posture de l’humour. Le théâtre,<br />

le cinéma, la littérature en offrent des exemples fort nombreux, la<br />

peinture également, la sculpture, pour ne pas parler de la chanson, de<br />

la bande dessinée, et j’en passe. Mais il en est, peu nombreuses, qui<br />

sont absolument hermétiques à l’humour, la plus manifeste étant la<br />

musique. Bien sûr, il y a eu des tentatives de faire rire lors de concerts,<br />

certains humoristes s’en sont d’ailleurs fait une spécialité. Mais c’est<br />

extrêmement marginal, et, surtout, toujours référentiel. Dans ces<br />

cas-là, ce n’est que la musique qui se moque d’elle-même. De ce fait,<br />

l’humour perd tout son potentiel destructeur, subversif, pour renforcer<br />

le caractère inaltérable de la musique. Certains l’ont considérée comme<br />

la discipline artistique la plus élevée. Peut-être par son caractère<br />

universel. Mais sans doute à cause de son imperméabilité à l’humour.<br />

Tordons le cou également à une autre idée reçue : l’humour serait<br />

universel. Rien n’est plus faux. Ce lieu commun est même à la source<br />

de nombreux malentendus entre les cultures, et a eu des conséquences<br />

désastreuses. Ce n’est qu’une fuite. Qu’on y pense un instant : pourquoi<br />

ferait-on semblant de dire autre chose que ce qu’on dit en tenant<br />

pour acquis que l’autre serait au fond le même que nous, et ne peut<br />

que nous comprendre ? C’est projeter un déni de la différence qui ne<br />

fait que renforcer notre désir d’occidentalo-centrisme, c’est-à-dire de<br />

racisme. Si nous voulons réellement comprendre les autres et accepter<br />

les différences, il nous faut commencer par nommer les choses telles<br />

qu’elles sont, et non tergiverser en usant de l’ambigüité, de la dérision,<br />

de l’ironie, du paradoxe, de la confusion ou de la fausse modestie.<br />

Un fait particulier viendra étayer ma thèse : pour commencer une<br />

conférence, dans le monde occidental, un orateur tentera de « détendre<br />

l’atmosphère » par une blague, un trait d’humour. C’est une pratique<br />

tellement courante chez nous qu’il semble qu’elle soit universelle.<br />

Mais au Japon, au contraire — et on connait notre attachement,<br />

à Transquinquennal, à cette culture — l’orateur commencera par<br />

s’excuser. C’est même la façon admise de se saluer : « Excusez-moi. »<br />

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