You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Gaymap théâtre
Trois petits tours
et puis s’en vont…
Le Théâtre de Vidy sort de la pandémie
d’une pirouette magistrale grâce à
« Boîte noire - Théâtre fantôme pour
1 personne », émouvante création
de Stefan Kaegi
Par Katja Baud-Lavigne
Dans la vie, il y a ce que l’on anticipe. Et puis il y a
ce qui nous tombe dessus sans prévenir. Du côté
de Vidy, on avait bien prévu de baisser le rideau.
Au 1er septembre 2020, pour une durée de deux ans. Le
temps nécessaire à un sérieux lifting intérieur, la carcasse
du centre dramatique – construit en 1964 par l’architecte
Max Bill à l’occasion de l’exposition nationale –, devant
être préservée.
Mais voilà. Covid-19 oblige, le couperet tombe le 16
mars: tous les lieux de divertissement se doivent de fermer
leurs portes au public jusqu’à nouvel ordre. Le metteur
en scène Stefan Kaegi se trouve alors à Lausanne, en
train de répéter sa « Société en chantier », dont la première
doit se tenir trois jours plus tard sur les planches
de Vidy.
Compte tenu de la situation, il renonce à rentrer à
Berlin, où il vit habituellement. Comme tout le monde,
il prend son mal en patience. Il lit, cuisine et s’interroge.
Que reste-t-il du théâtre quand on ne peut plus le
partager physiquement ? « Avec ‹ Boîte noire - Théâtre
fantôme pour 1 personne ›, j’ai surtout cherché à recréer
tout ce qui m’a manqué ces trois derniers mois dans le
théâtre », confie le metteur en scène dans l’émission
« Vertigo ». « Parce que le live streaming ne le remplace
pas du tout. C’est trop bidimensionnel et pas du tout ce
que je recherche. J’adore les bons textes. Mais le théâtre,
c’est beaucoup plus que ça. C’est être avec des gens, des
odeurs, des hormones. »
De son côté, Vincent Baudriller, directeur du Théâtre
de Vidy, cherche une manière de continuer à faire vivre le
lieu. Quand Alain Berset annonce que les musées pourraient
rouvrir le 8 juin (date avancée par la suite au 11
mai), il y voit une occasion à ne pas manquer. « Nous
nous sommes dit qu’il fallait inventer quelque chose
qui permettrait d’ouvrir comme les musées, en attendant
qu’on puisse travailler normalement », confie-t-il
au journal « Le Temps ». « Stefan Kaegi était confiné à
Lausanne, je lui ai proposé d’imaginer un circuit pour
nous. »
Et parce qu’à quelque chose, malheur est bon, naît
alors un concept unique, qu’aucun théâtre ne peut se
permettre en temps normal: métamorphoser l’édifice
vide en héros représentatif d’une foule qui manque.
« Stefan Kaegi a visité le bâtiment dans tous ses recoins »,
poursuit Vincent Baudriller. « Il a été sensible à ses
odeurs, aux vestiges de ses créations. »
Si le théâtre est vide, on y croise pourtant beaucoup
de monde. Le foyer, la scène, les loges, la régie lumière,
tout bruisse encore des rires, des larmes et des applaudissements,
des critiques, du trac et des bravos. Qu’il soit
technicien·ne, comédien·ne, agent de sécurité, journaliste,
dramaturge, costumière, spectateur·trice, chaque
protagoniste a marqué les lieux de son empreinte.
Ces gentils fantômes ont d’ailleurs particulièrement
inspiré Stefan Kaegi. En s’appuyant sur un système binaural
– la technique de spatialisation sonore la plus
proche de l’écoute naturelle – il plonge son spectateur
dans un univers d’une réalité saisissante. Casque sur
les oreilles, le visiteur déambule dans les entrailles du
théâtre comme il se promènerait dans le jardin d’Alice
au Pays des Merveilles.
Lumières mouvantes, machine à fumée et petits systèmes
robotisés permettent de l’immerger un peu plus
dans ce monde parallèle où il fait bon flâner. De temps
à autre, quelques interactions lointaines avec d’autres
spectateurs sont possibles. Mais pas suffisamment pour
quitter sa bulle.
Et Vincent Baudriller de conclure sur les ondes de
Couleur 3 : « C’est un spectacle qui est né de ce moment
un peu inédit, qui en fait à la fois un spectacle de réouverture
post crise sanitaire et un spectacle d’au revoir à la
mémoire de ce bâtiment qui a tant de souvenirs depuis
une cinquantaine d’années ».
Au moment de refermer les portes de cette intense
expérience immersive, on ressent un petit pincement au
cœur, identique à celui qui point lorsque l’on referme la
maison de famille après de longues et belles vacances.
On sait que l’on reviendra, mais quand ? Avec qui ? D’icilà,
qu’est-ce qu’elle nous manquera !
« Boîte noire, Théâtre-fantôme pour 1 personne »,
de Stefan Kaegi. Jusqu’au 12 juillet au Théâtre de Vidy
Lausanne. vidy.ch
32 360° juillet-août 2020 - N°196 360° juillet-août 2020 - N°196 33