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des
POUTINE
INE,
LA GUERRE
ET NOUS
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine
implique forcément l’Afrique.
Par ses immenses conséquences politiques
et économiques. Mais aussi par ce que
cela implique sur notre conception
du monde, de la multipolarité,
des nouveaux impérialismes.
REPORTAGE
L’EXCEPTION MAURITANIE
ARCHITECTURE
DIÉBÉDO FRANCIS KÉRÉ
OU LE FORMIDABLE TALENT DURABLE
ÉMANCIPATION
PAP NDIAYE
ET LA LONGUE LUTTE
DES NOIRS AMÉRICAINS
INTERVIEW
FELWINE SARR
« LA FICTION N’EST PAS
UN REPORTAGE »
FASHION
NADIA DHOUIB, L’AUTRE FIGURE
DE LA MODE PARISIENNE
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C
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N°427 - AVRIL 2022
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©Photograph: Laurent Ballesta/Gombessa Project
COLLECTION
Fifty Fathoms
édito
LE POUVOIR PAR LA FORCE
PAR ZYAD LIMAM
Tout début avril 2022. C’est la guerre en Europe.
L’Ukraine combat héroïquement. La « technoguérilla
» de ses combattants est redoutable, face
à la rigidité toute soviétique des bataillons russes. Le
pays a survécu plus d’un mois, et, en soi, c’est déjà
comme une première victoire. Mais la terre d’Ukraine
est dévastée par les bombes. Des villes sont sous siège,
rayées de la carte, comme Marioupol devenue cité
martyre. Des millions de réfugiés. Des hommes et des
femmes, des civils, abattus dans la rue. Un carnage
et une tragédie humaine sans nom. On évoque des
crimes de guerre.
Vladimir Poutine et son état-major politicomilitaire
ont décidé de régler la « question ukrainienne
» de la pire des manières, par l’invasion et
la « découpe ». Pourtant, ce qui ne devait durer que
quelques jours tourne à la guerre d’attrition. L’armée
russe prend des coups, perd beaucoup d’hommes,
elle piétine, elle enrage. L’« opération militaire spéciale
» vire au semi-fiasco. Elle provoque une réaction
quasi unanime de l’Occident, de l’OTAN, de ces pays
« décadents et irrésolus ». Avec un régime de sanctions
comme rarement vu dans l’histoire. La répression
s’abat sur la Russie, les journaux indépendants
ferment, seule la vérité officielle doit s’imposer.
On essaie de comprendre les motivations
réelles, profondes d’une telle stratégie… Le renforcement
du poutinisme (le chef et ses alliés) ? Couper
court à l’expérience démocratique aux frontières du
Kremlin (comme en Biélorussie) ? Certainement, et
repousser l’OTAN, faire une démonstration de force
vis-à-vis de l’« Ouest ». Surtout réintégrer dans la mère
patrie l’Ukraine, « État illégitime », cette « fiction » issue du
démembrement de l’URSS. Une décision, une guerre
donc fondamentalement impérialiste et coloniale.
Le monde occidental regarde, effaré, à juste
titre, ces images moyenâgeuses de violence et
de destruction, de massacre de civils. Le monde
occidental a la mémoire courte aussi. La déstabilisation
de l’ordre global, la « dérégulation de la force »
pour reprendre l’expression de Ghassan Salamé, est
venue par la guerre d’Irak, en 1991 – une invasion
américaine, construite sur un mensonge immense,
avec un coût humain et politique stupéfiant.
Ce n’est pas une nouvelle guerre froide qui
commence, avec un alignement des blocs, mais
comme un éclatement du monde. Avec, aux portes
de l’Europe, une Russie isolée, instable, explosive. Pour
Moscou, « ne pas gagner », c’est déjà « perdre ». Et la
Russie ne peut pas « perdre ». Ce serait l’effondrement
possible, l’affaire deviendrait existentielle… Les États-
Unis, qu’on le veuille ou non, resteront la plus grande
puissance (financière, militaire, politique, culturelle)
de la planète. Et l’Europe, le continent le plus riche.
La Chine jouera son jeu, à la fois prudente et audacieuse,
utilisant au mieux ce conflit pour contester la
prédominance de l’Occident. Cet Occident qui ne
sera plus l’alpha et l’oméga de la construction internationale.
Des puissances moyennes ou régionales
ont déjà pris de l’autonomie. Elles privilégient leurs intérêts
propres. Tout en ménageant les vrais centres de
décision. Pour les plus habiles, y compris en Afrique, il
y aura des espaces de liberté, une sorte de nouveau
non-alignement, plus prosaïque, moins idéologique.
Et puis, en toile de fond de ces fracas, il y a
aura le choix. La question essentielle de la démocratie
contre l’autoritarisme. La guerre en Ukraine,
c’est aussi l’influence d’un seul homme, un « strong
man », Vladimir Poutine, sur son pays. La Chine aussi
est aux mains d’un « homme fort », Xi Jinping, qui a
pris tout le pouvoir. En Inde, Narendra Modi s’appuie
sur le populisme et l’islamophobie pour asseoir sa
puissance. Cela aurait pu être le cas aux États-Unis,
situation absolument stupéfiante, si les manœuvres
postélectorales de Donald Trump avaient abouti… Les
démocraties dites illibérales prospèrent (en Turquie, en
Hongrie, en Afrique aussi), et c’est aussi le retour des
militaires et des coups d’État.
Ce pouvoir par la force, qui chaque jour s’accentue
un peu plus aux quatre coins du monde,
qui s’alimente du populisme, des identités, du nationalisme,
est au cœur des conflits et des guerres à venir.
Ce pouvoir par la force, toxique, n’apporte rien pour
résoudre les complexités du monde. ■
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 3
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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N°427 AVRIL 2022
3 ÉDITO
Le pouvoir par la force
par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,
DE LA MODE ET DU DESIGN
Abd el-Kader,
l’homme aux mille vies
26 PARCOURS
Omar Mahfoudi
par Fouzia Marouf
29 C’EST COMMENT ?
Bas les masques !
par Emmanuelle Pontié
46 PORTFOLIO
World Press Photo 2022 :
Dans l’œil des cyclones
par Zyad Limam
90 VINGT QUESTIONS À…
Maïmouna Coulibaly
par Astrid Krivian
P.40
TEMPS FORTS
30 Poutine, la guerre
et nous
par Cédric Gouverneur
et Hussein Ba
40 La méthode
Nouakchott
par Pierre Coudurier
52 Felwine Sarr :
« La fiction n’est
pas un reportage »
par Astrid Krivian
58 Pap Ndiaye,
le récit puissant
de l’émancipation
par Astrid Krivian
64 Nadia Dhouib,
une autre
idée du style
par Frida Dahmani
70 Diébédo Francis Kéré,
le talent durable
par Luisa Nannipieri
P.06
POUTINE,
LA GUERRE
ET NOUS
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine
implique forcément l’Afrique.
Par ses immenses conséquences politiques
et économiques. Mais aussi par ce que
cela implique sur notre conception
du monde, de la multipolarité,
des
des nouveaux impérialismes.
REPORTAGE
L’EXCEPTION MAURITANIE
ARCHITECTURE
DIÉBÉDO FRANCIS KÉRÉ
OU LE FORMIDABLE TALENT DURABLE
ÉMANCIPATION
PAP NDIAYE
ET LA LONGUE LUTTE
DES NOIRS AMÉRICAINS
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FELWINE SARR
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N°427 - AVRIL 2022
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Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande
nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement
de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
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4 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Pierre
Coudurier, Frida Dahmani, Catherine
Faye, Cédric Gouverneur, Dominique
Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf,
Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
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avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
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P.52
P.46
FAIZ ABUBAKER MOHAMED - BASSO CANNARSA/OPALE.PHOTO - LÉA CRESPI/PASCO - IWAN BAAN
BUSINESS
78 Le blé, une urgence
africaine
82 Diane Mordacq :
« Nous allons assister
à un retour du
protectionnisme »
84 La hausse des métaux
bouleverse la donne
85 Le conflit en Europe
nuit au tourisme
par Cédric Gouverneur
VIVRE MIEUX
86 Mal de dos : Bouger est
le meilleur traitement !
87 Bien hydrater
son visage
88 Un appareil dentaire
n’est pas qu’esthétique !
89 Douleurs : Quand
la chaleur ou le froid
fait du bien
par Annick Beaucousin
et Julie Gilles
P.64
P.70
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ
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EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR
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SAS au capital de 768 200 euros.
PRÉSIDENT : Zyad Limam.
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Média, Bagnolet.
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
Commission paritaire : 0224 D 85602.
Dépôt légal : avril 2022.
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant
dans les pages rédactionnelles sont données à titre
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.
© Afrique Magazine 2022.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 5
ON EN PARLE
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
HOMMAGE
ABD EL-KADER,
Embarquement
d’Abd el-Kader à Bordeaux,
Stanislas Gorin, 1850.
l’homme aux mille vies
D’une richesse exceptionnelle, le parcours de l’ÉMIR COMBATTANT,
fondateur de la nation algérienne, est mis à l’honneur au Mucem de Marseille.
CHEF DE GUERRE ARABE, leader spirituel soufi,
père de la nation algérienne, cet émir combattant
(1808-1883) est considéré comme l’une des icônes les plus
marquantes de l’histoire du pays. Si le chef nationaliste,
proclamé « sultan des Arabes » par les tribus de l’Oranie
en 1832, défie les armées françaises de 1832 à 1847,
avant de créer les bases d’un premier État national, il
est aussi un homme d’une grande tolérance religieuse,
qui sauve des milliers de chrétiens d’Orient d’un massacre
certain. Sa personnalité se démarque dans le monde
musulman du XIX e siècle et lui vaut un très grand prestige
en France, où il est autant redouté qu’admiré, inspirant
d’illustres auteurs, tels que Victor Hugo, Arthur Rimbaud
ou encore Gustave Flaubert. C’est l’un des grands esprits
de son temps, que l’on découvre à travers 250 œuvres
et documents issus de collections prestigieuses, publiques
et privées. Et un homme aux multiples facettes, sans cesse
en mouvement, qui, spirituellement et dans son érudition,
n’a jamais cessé d’apprendre ni d’évoluer. ■ Catherine Faye
« ABD EL-KADER », Musée des civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille (France),
jusqu’au 22 août 2022. mucem.org
RMN-GRAND PALAIS/A. DANVERS
6 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
RMN-GRAND PALAIS (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/HERVÉ LEWANDOWSKI
Abd el-Kader, en pied,
Jean-Baptiste-Ange
Tissier, 1853.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 7
ON EN PARLE
FOLK
MÉLISSA LAVEAUX
Contes féministes
Dans son quatrième album,
L’ARTISTE ENGAGÉE revisite
ses racines haïtiennes avec un bagage
musical occidental. Brillant !
NOUS L’AVIONS QUITTÉE sur la poésie folk anglo-créole de Radyo
Siwèl, en 2018. On la retrouve aujourd’hui avec un quatrième album
studio tout aussi exigeant : Mama Forgot Her Name Was Miracle. Et
confectionné dans sa ville d’adoption, Paris, choisie après des années
passées au Canada, où ses parents haïtiens avaient trouvé refuge. C’est
une affirmation musicale qu’elle signe ici, en
tant que femme, noire, humaine perdue dans
un monde toujours patriarcal et violent.
En guide d’antidotes, des berceuses,
des contes, mais aussi des mythologies
ancestrales – en témoigne « Lilith ». Sont
convoquées Audre Lorde, Jackie Shane,
Ana Mendieta, Alice Walker ou encore
Faith Ringgold. Difficile
de ne pas se laisser porter
par le groove et la spiritualité
de « Papessa », la sensibilité
vaporeuse de « Tears » ou
la pop percussive de « Faith
Meets Ana ». Toujours
nourrie de son énergie
punk, la musicienne
s’est en outre entourée
de la crème des
réalisateurs, invitant
au micro November
Ultra, Dope Saint Jude
et Oxmo Puccino. Gloire à
Mélissa ! ■ Sophie Rosemont
MÉLISSA LAVEAUX,
Mama Forgot Her Name
Was Miracle,
Twanet/ADA.
❶Corneille
SOUNDS
À écouter maintenant !
Encre rose, Wlab
Déjà le neuvième album
pour Cornelius Nyungura,
né en Allemagne et
miraculeux rescapé du génocide des Tutsis,
découvert avec « Parce qu’on vient de loin »
au début des années 2000. Aujourd’hui,
Corneille a 44 ans et a eu envie de
retourner aux sources de la musique
entraînante et groovy qu’il écoutait
enfant, la pop et le R’n’B des années
1980. Dont cet Encre rose qui porte
bien son nom, en ces temps moroses.
❷Ibibio Sound
Machine
Electrocity,
Merge Records
Depuis le milieu des
années 2010, on suit avec
beaucoup d’intérêt ce formidable groupe
londonien, doté d’une chanteuse en or,
l’Anglo-Nigériane Eno Williams. Pour ce
nouvel album qui profite de la production
d’une référence de la scène électro-brit, Hot
Chip, l’afrofuturisme est toujours de mise, se
nourrissant de jazz comme de disco. Funky,
onirique, nourri de synthés comme de
korego. Électrique, oui, et très bien troussé !
❸Ÿuma
Hannet Lekloub,
Ada/Warner
Après les déjà très réussis
Chura et Poussières
d’étoiles, Hannet Lekloub
réussit le virage crucial du troisième
album. Et devrait confirmer pour de bon
l’alchimie qui règne entre la chanteuse
Sabrine Jenhani et le guitariste Ramy
Zoghlami. Deux esprits libres de Tunis,
passés par l’électro ou le rock, et qui ont
décidé de chanter toutes les possibilités
créatives de leur terre natale, quelque
part entre folk et électro. Superbe. ■ S.R.
DR - ADELINE RAPON - DR (3)
8 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
De gauche
à droite, l’actrice
Khanyi Mbau
et la rappeuse
Nadia Nakai,
toutes deux
sud-africaines.
TÊTES À CLASHES
SÉRIE
La première TÉLÉ-RÉALITÉ AFRICAINE DE NETFLIX se vautre
dans le luxe au cœur de Johannesbourg. Des stars des réseaux sociaux
rivalisent d’extravagances sur fond de querelles bien artificielles…
MOSA HLOPHE/NETFLIX - DR
KIM KARDASHIAN n’a qu’à bien se tenir ! Netflix a fait
appel à des people panafricains particulièrement bling-bling,
aux tenues délirantes, pour sa première télé-réalité tournée
sur le continent ! Dans un déluge de champagne, entre
deux jets privés, se recevant pour des soirées thématiques
sur les rooftops de Johannesbourg, ce petit groupe apprend à
se connaître en sept épisodes, entre amitiés, flirts et disputes
futiles. Le spectacle est surtout assuré par les femmes, car les
hommes, qui jonglent avec épouses et enfants et ne savent pas
toujours quelle grosse cylindrée choisir, semblent bien éteints
face à des businesswomen sûres d’elles, riches et autonomes.
En tête d’affiche : la rappeuse sud-africaine Nadia
Nakai, l’entrepreneuse ougandaise Zari Hassan, l’actrice
nigériane (les sous-titres français parlent systématiquement
de « nigérienne »…) Annie Macaulay-Idibia. Sans oublier
l’impériale Khanyi Mbau, actrice sud-africaine aux
décolletés échancrés d’où manque à chaque instant de
s’échapper un sein refait, et dont les cils sont aussi longs
que ses faux ongles. Côtés messieurs : le présentateur
télé sud-africain Andile Ncube, tiré à quatre épingles
et très peu monogame, le rappeur tanzanien Diamond
Platnumz (qui ose la coiffure à double chignon), le chanteur
nigérian 2Baba, ainsi que le styliste haut en couleur
Swanky Jerry, nigérian lui aussi, qui habille avec beaucoup
d’inventivité chanteuses et premières dames, sans omettre
de soigner ses propres looks. La parité règne car, comme
le dit Khanyi Mbau, « nos comptes en banque ont le même
niveau ». « Je suis milliardaire, je n’ai pas besoin d’un
homme », renchérit Zari Hassan, dite The Boss Lady…
La promesse du titre, Young, Famous & African,
est presque tenue : plus vraiment jeunes (les principaux
personnages ont entre 30 et 46 ans), mais célèbres car suivis
par des millions de followers sur Instagram. Une Afrique
d’hôtels de luxe et d’appartements immenses, que l’on
quitte pour une escapade à Soweto expédiée en trois
plans, ou un safari nocturne au plus près des lions qui
effraient l’une des participantes : « Je n’aime pas ces trucs
de Blancs ! » L’argent n’est définitivement pas un problème,
la pauvreté non plus car le propos se veut radical : « Il
est temps pour nous, jeunes Africains noirs, de s’unir et
de dire au monde : on n’est pas le tiers-monde que vous
imaginez. » De là à copier sans recul les pires travers
de la société de consommation… ■ Jean-Marie Chazeau
YOUNG, FAMOUS & AFRICAN (Afrique du Sud),
de Martin Asare Amankwa et Peace Hyde. Avec Khanyi
Mbau, Nadia Nakai, Diamond Platnumz. Sur Netflix.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 9
ON EN PARLE
Ci-contre, le batteur américain Marque Gilmore.
Ci-dessous, le claviériste malien Cheick Tidiane Seck.
RYTHMES
BLACK LIVES
POWER TO
THE PEOPLE
Au service d’un message antiraciste,
ce COLLECTIF DE MUSICIENS
de haut vol propose des compositions
aussi mélodiques que poétiques.
Le slameur américain
Sharrif Simmons.
CHEICK TIDIANE SECK AU MICRO et aux claviers, David et
Marque Gilmore à la guitare et à la batterie, Immanuel Wilkins
et Jacques Schwarz-Bart au saxo, Grégory Privat au piano,
Reggie Washington à la basse, Yul aux percussions, mais aussi
la mezzo-soprano Alicia Hall Moran au chant… Au total, ce sont
25 artistes qui se fédèrent autour de 20 morceaux autant réussis
les uns que les autres pour lutter contre le racisme. Et quoi de
mieux que la musique, dans ce qu’elle a de plus riche et hybride ?
Entre mélopées traditionnelles africaines, jazz, blues et spoken
word, ces artistes racontent la diaspora africaine en remontant
jusqu’à la déportation de celles et ceux qui devinrent esclaves
loin de chez eux. Parmi les influences, James Brown, Fela Kuti ou
encore Abbey Lincoln et Max Roach. Si le rythme prend aux tripes,
les paroles aussi, l’émotion se faufile ici et là et renforce d’autant
plus le message de ce disque, qui reste crucial aujourd’hui. ■ S.R.
BLACK LIVES, FROM GENERATION TO GENERATION,
Jammin’colorS/L’Autre Distribution.
DAREM BOUCHENTOUF - DR (3)
10 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
LITTÉRATURE
ORHAN PAMUK
Le magicien des mots
Le PRIX NOBEL TURC signe une fresque
onirique où s’amorce la chute de l’empire
ottoman, confronté aux ravages d’une épidémie.
LEA CRESPI/PASCO - DR
AU CŒUR DE CE ROMAN, il y a une île imaginaire,
Mingher, « perle de la Méditerranée orientale ».
Nous sommes en 1901, et la peste s’y est déclarée.
Sur cette île multiculturelle, où musulmans
et orthodoxes tentent de cohabiter, la maladie
agit comme un accélérateur des tensions. Dès lors,
ce microcosme, situé au large de Rhodes, sur la
route d’Alexandrie, devient le théâtre d’une crise
sanitaire et communautaire sans précédent. Si ce
texte romanesque, où se mêlent fiction et réalité,
semble coller à l’actualité, le démarrage de son
écriture remonte pourtant à 2016, bien avant que
ne débute la pandémie. Ce n’est qu’au moment où
l’auteur, connu pour son engagement intellectuel
et politique, terminait de rédiger les dernières pages,
que le Covid-19 a fait son apparition. Le sentiment
de peur éprouvé lui faisant ainsi clore son récit dans
l’émotion et l’urgence. En réalité, cela fait quarante ans que
l’auteur turc le plus lu au monde s’intéresse aux épidémies.
Des personnages spécialistes de la peste étaient déjà au centre
de deux de ses livres, La Maison du silence et Le Château blanc.
Pour l’élaboration de ce roman d’amour, policier et historique,
l’éthique existentialiste et notamment La Peste, d’Albert Camus,
ont été ses premières inspirations. Ainsi que les théories
du Palestino-Américain Edward Saïd, pionnier
du post-colonialisme, l’orientalisme et la lecture
erronée que l’Ouest a de l’Est lorsqu’il lui attribue
un fatalisme inné. Si Pamuk pensait au départ faire
de Mingher une Turquie miniature, son envie de
réalisme est venue l’amender. Il s’est donc inspiré
de la Crète et de l’île de Kastellórizo, le point le plus
oriental de la Grèce actuelle. Dans un subtil mélange
de références, chaque détail, chaque personnage,
chaque mouvement a été pensé, travaillé, examiné.
Ce récit nous entraînant ainsi dans un tourbillon.
Celui du sort hasardeux de l’humanité. ■ C.F.
ORHAN PAMUK,
Les Nuits de la peste,
Gallimard,
688 pages, 25 €.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 11
ON EN PARLE
LA FEMME
DU FOSSOYEUR
(Finlande-Allemagne-
France), de Khadar
Ayderus Ahmed.
Avec Omar Abdi,
Yasmin Warsame,
Kadar Abdoul-Aziz
Ibrahim. En salles.
DRAME
CREUSER SA TOMBE
ÉTALON D’OR DE YENNENGA au Fespaco 2021, ce film somalien, tourné
à Djibouti, raconte une émouvante histoire d’amour entre cimetière et désert…
GULED EST FOSSOYEUR, il attend pelle à la main,
aux portes de l’hôpital, que soient livrés des cadavres.
Nasra, son épouse, atteinte d’une maladie mortelle, cuisine,
allongée près de leur jeune fils, Mahad. Pour soigner sa
femme, Guled doit trouver l’équivalent d’un an de salaire…
Les sacrifices seront douloureux pour y arriver. Il lui faudra
revenir dans son village natal et vendre un troupeau qui
lui appartient, mais jalousement gardé par sa famille
qui voulait le marier à une autre et refuse de le revoir.
Cette course contre la montre dans le désert est sobrement
racontée, baignée de mélancolie mais aussi parfois de joie
et de couleurs, comme lorsque le couple, avant la maladie,
s’invite dans un riche mariage grâce à… une chèvre.
Toute l’énergie du film est portée par cet amour pour
une femme forte mais diminuée et par l’urgence à pouvoir
la guérir. Jusqu’où aller pour y parvenir ? Dans le rôle de la
souffrante magnifique, la top-modèle canadienne d’origine
somalienne, Yasmin Warsame, que le réalisateur finlandais,
lui-même d’origine somalienne, avait remarqué dans une
campagne publicitaire pour H&M sur les murs d’Helsinki.
Même si le récit illustre l’absence d’accès aux soins de bien
des Africains, on n’est pas dans un documentaire sur le Djibouti
d’aujourd’hui. D’ailleurs, les chansons de la bande originale sont
sénégalaises, et aucun aspect moderne de ce pays n’apparaît
à l’écran. Comme pour mieux rendre intemporel ce conte
pourtant ancré dans une terrible réalité sociale… ■ J.-M.C.
PATRIMOINE
L’art du divin Un parcours conçu comme une plongée
au cœur de la société bamiléké, au quai Branly.
CALEBASSE PERLÉE MULTICOLORE, trône royal décoré de cauris, masques, ou encore sculptures
sur bois, les 300 œuvres présentées – dont 260 trésors précieusement conservés par des chefs
traditionnels – célèbrent l’art des communautés des hauts plateaux des Grassfields, à l’ouest du
Cameroun. Ponctuées d’œuvres d’artistes contemporains camerounais qui ont puisé dans leurs
techniques traditionnelles, elles illustrent l’influence culturelle des chefferies, piliers sociaux,
économiques et politiques dès le XVI e siècle, et leur dimension vivante. Considérées comme des
contre-pouvoirs et investies de pouvoirs quasi divins, ces congrégations assurent encore aujourd’hui
le lien entre le monde des vivants et celui des ancêtres, et veillent au respect des traditions et de la
culture bamiléké. Plus encore, elles invitent à un dialogue de l’humain avec tout ce qui l’entoure, au sein
d’un système dans lequel politique, religion et organisation sociale sont intrinsèquement liées. ■ C.F.
« SUR LA ROUTE DES CHEFFERIES DU CAMEROUN : DU VISIBLE À L’INVISIBLE »,
Musée du quai Branly, Paris (France), jusqu’au 17 juillet 2022. quaibranly.fr
ARTTU PELTOMAA - DR (2)
12 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
Ci-contre, Mémoriel Sétif Guelma Kherrata,
Kamel Yahiaoui, 1995. Œuvre réalisée en hommage
aux victimes des massacres du 8 mai 1945.
Ci-dessus, La Kahena, Jean Atlan, 1958.
Ci-dessous, Cité des Sablons (composée
de 620 appartements), Patrick Zachmann, 1989.
DR - CNAC/MNAM DIST. RMN-ADAM RZEPKA - PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS
EXPO AMOURS ET DÉSAMOURS
Voyage dans les méandres de l’histoire des relations
entre JUIFS ET MUSULMANS DE FRANCE.
C’EST UNE RÉFLEXION et une présentation passionnantes
que proposent les historiens Mathias Dreyfuss, Karima
Dirèche et Benjamin Stora, également commissaire
général de l’exposition, à travers plus de 100 œuvres d’art
historiques et contemporaines et de nombreux documents
et archives. Un regard neuf sur les unions et les désunions
des juifs et des musulmans dans l’Hexagone, ainsi que sur
le rôle essentiel du pays et de l’État dans la transformation
de ces rapports, tant en Afrique du Nord qu’en France
métropolitaine. Elle est aujourd’hui le pays d’Europe
qui compte les populations juive et musulmane les plus
importantes du continent. Si leurs relations apparaissent
aujourd’hui plus distendues et dégradées que jamais, il n’en
a pas toujours été ainsi. Des deux côtés de la Méditerranée,
une histoire commune relie ces deux communautés,
qui tirent leur force de traditions et de savoirs partagés.
Comment alors réinventer cette relation historique malgré
les mémoires douloureuses et les chaos de l’actualité ? ■ C.F.
« JUIFS ET MUSULMANS DE LA FRANCE
COLONIALE À NOS JOURS », Musée national
de l’histoire de l’immigration, Paris (France),
jusqu’au 17 juillet 2022. histoire-immigration.fr
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 13
ON EN PARLE
Son film,
Les rêves n’ont
pas de titre, sera
exposé jusqu’au
27 novembre.
ARTZINEB SEDIRA,
LA FRANCE À VENISE
L’artiste visuelle franco-algérienne
proposera une expérience humaniste
immersive à la 59 E BIENNALE.
L’ARTISTE INVESTIRA le pavillon français à la 59 e Biennale
internationale d’art contemporain de Venise, qui ouvre ses
portes le 23 avril. Née en France de parents algériens, Zineb
Sedira travaille entre Paris, Londres et Alger, où elle soutient
le développement de la scène contemporaine. Son installation
cinématographique pour le pavillon français, Les rêves n’ont
pas de titre, est une expérience humaniste immersive qui
brouille les frontières entre fiction et réalité : elle y mêle
éléments biographiques et scènes de films emblématiques
qui rappellent l’élan militant, culturel et politique des cinémas
français, italien et algérien des années 1960 et 1970.
Un hommage à l’influence du septième art sur le désir
d’émancipation post-colonial. On y retrouve tous les thèmes
chers à l’artiste, comme la lutte contre le racisme, la liberté,
la solidarité, l’identité ou encore la famille. ■ Luisa Nannipieri
labiennale.org
DR - THIERRY BAL ET ZINEB SEDIRA (2)
14 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
MUSIQUE
PONGO
La nouvelle
diva du
kuduro
Avec son premier album
qui convoque les sonorités
d’aujourd’hui mais aussi
ses origines, la CHANTEUSE
ANGOLAISE fait monter
la température.
AXEL JOSEPH - DR
CETTE ANNÉE, Pongo fête ses 30 ans avec
un premier album qui synthétise son passé
et ses désirs avec une rare énergie. Née
en Angola, exilée à Lisbonne, cette danseuse
et chanteuse a été bercée par une diversité
de musiques assez épatante, se ressentant
aujourd’hui dans sa musique, et qu’elle
a distillé au gré de plusieurs singles et EP,
dont le remarqué UWA. Entre rythmiques
brésiliennes, zouk antillais et mélopées
ancestrales angolaises, elle a trouvé un
ton qui n’appartient qu’à elle. Ayant fait
ses armes au sein du groupe Denon Squad,
où, non contente de danser, elle s’empare
du micro, Pongo découvre l’ivresse de la
scène aux côtés du groupe Buraka Som
Sistema. Une décennie plus tard, elle est
devenue une référence du kuduro portugais
et n’hésite pas à clamer haut et fort ses
convictions antiracistes et universalistes.
Lesquelles se ressentent tout au long de
Sakidila, où sa passion pour l’afrobeat et le
funk se laisse également sentir. Polyglotte,
optimiste mais lucide, Pongo fait entendre sa
voix affirmée et son sens viscéral du groove,
sans manières ni postures. Irrésistible. ■ S.R.
PONGO, Sakidila,
Virgin/Universal.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 15
ON EN PARLE
IBN
EL FAROUK
Juste une
illusion
EXPOSITION
Le photographe franco-marocain
donne une DIMENSION
ABSTRAITE à ses œuvres.
VÉRITABLE PASSEUR D’ART, Ibn El Farouk incarne
un entre-deux, à la croisée de la France et du royaume
chérifien. Né en 1964, cet artiste qui a étudié la philosophie
est considéré comme le fer de lance de la photographie
expérimentale au Maroc. Avec son exposition « Informe »,
il allie esthétique et amplitude de la matière à travers
l’expression de la couleur. Au cours de sa déambulation,
le visiteur s’interroge tant l’art d’Ibn El Farouk oscille
entre l’éclat de la photographie et la tonalité de la peinture,
imprimant une autre dimension à ses œuvres. Lancée en
premier lieu à Bois-Colombes (en région parisienne) depuis
le 29 mars, l’exposition s’inscrit à la lisière de l’Europe
et de l’Afrique pour un dialogue fécond, fédérateur et
novateur. Ce solo show fera ensuite halte à Casablanca à
partir du 26 mai et sera présenté au sein de l’emblématique
galerie Shart, sous la houlette du directeur Hassan
Sefrioui, indéniable défricheur de talents. Le huitième art
permet à l’artiste de développer une plastique abstraite
tout en parlant au plus grand nombre. ■ Fouzia Marouf
«INFORME», Salle Jean Renoir, Bois-Colombes (France),
jusqu’au 8 mai. Puis à la galerie Shart, Casablanca
(Maroc), du 26 mai au 26 juin. galerie-shart.ma
ESSAI
EXPLORATION
DE LA LANGUE
La question de la traduction,
de l’universel et du pluriel
par le philosophe
Souleymane Bachir Diagne.
« POUR COMPRENDRE l’autre,
il ne faut pas se l’annexer
mais devenir son hôte. »
En mettant en exergue une
citation de Louis Massignon,
l’un des plus grands savants
du XX e siècle, pionnier du
dialogue islamo-chrétien, le
non moins brillant philosophe
et professeur à l’université
Columbia, à New York, où
il dirige également l’Institut
d’études africaines, s’inscrit
dans le sillage engagé de
ce passeur. Son sujet ici :
explorer la langue et ses
voyages ; les langues,
dominantes et dominées,
TÉMOIGNAGE
LEÇON DE VIE
L’acteur et réalisateur béninois
Jean Odoutan se souvient de
la création de son premier film.
IL A LES DENTS du bonheur.
Ces fameuses incisives du
haut écartées, qualifiées
ainsi au temps des guerres
napoléoniennes chez les soldats
qui étaient dans l’incapacité
de les utiliser pour recharger
leur arme, si lourde qu’il fallait
la tenir à deux mains : un
sésame pour échapper au pire.
Et une chance. Comme celle
que le réalisateur de Barbecue-
Pejo (1999), l’histoire d’un
cultivateur de maïs qui use de
mille et un stratagèmes pour
sortir de la misère, a su saisir
malgré un parcours jonché de
galères. Il nous narre dans
SOULEYMANE
BACHIR DIAGNE,
De langue à langue :
L’Hospitalité
de la traduction,
Albin Michel,
180 pages, 19,90 €.
et leur interprétation, leur
transposition. Fort de sa triple
culture – africaine, française
et américaine –, il se fait
le chantre de la traduction,
comme décentrage et source
de dialogue. Un espace
de rencontre et d’éthique,
où l’interprète, de simple
auxiliaire, devient un
médiateur culturel. Et où, en
faisant que de langue à langue
l’on se parle et se comprenne,
la traduction puisse assumer
un rôle humaniste, en créant
une relation d’équivalence
et de réciprocité entre
les identités. ■ C.F.
JEAN
ODOUTAN,
Le Réalisateur
nègre, 45rdlc,
268 pages,
19,90 €.
ce témoignage plein de dérision
l’accouchement difficile de
ce premier film et ses débuts
d’autodidacte dans le septième
art. Presque un making-of,
ourdi de rebondissements
et de poésie. Le récit d’un
tournant de vie décisif, à la fois
majeur et burlesque, pour
celui dont plusieurs films ont
été primés dans des festivals
internationaux, et dont le
prochain s’intitule Grand Frère
Tambour-Tam-Tam. Un créateur
polyvalent, à la joie de vivre
communicative. ■ C.F.
DR (3)
16 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
DR (3)
CINÉMA
UN VILLAGE ARABE
Des comédiens palestiniens sont dirigés
par un réalisateur israélien dans un film
mélangeant ABSURDE ET POLITIQUE.
ERAN KOLIRIN avait raconté avec succès la
tournée en Israël d’un orchestre égyptien (La
Visite de la fanfare, 2007). Ici, tous ses comédiens
sont des Palestiniens qui incarnent les habitants
d’un village arabe soudainement encerclé
par l’armée israélienne, sans aucune raison
officielle. Problème : un couple et leur fils, venus
de Jérusalem pour un mariage, se retrouvent
prisonniers et ne peuvent plus rentrer ni prévenir
personne, coincés dans la vaste maison familiale
en construction. Checkpoint, scellés… même
les téléphones portables ne passent plus. Cet
enfermement dans une habitation en chantier
et un bourg aux abois va créer bien des tensions.
C’est également l’occasion de scènes cocasses
ou absurdes, qui font penser au cinéma du
Palestinien Elia Suleiman (Intervention divine,
2002). Voulant embrasser plusieurs thèmes dans
ce quasi-huis clos, le film peine parfois à décoller,
tels ces colombes qui refusent de s’envoler lors
du mariage. Mais porté par des comédiens
impeccables, il illustre parfaitement une situation
politique plus que jamais au point mort. ■ J.-M.C.
Les habitants d’un petit
bourg se retrouvent encerclés
par l’armée israélienne.
ET IL Y EUT
UN MATIN
(France-Israël),
d’Eran Kolirin.
Avec Alex Bachri,
Juna Suleiman,
Salim Daw.
En salles.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 17
ON EN PARLE
MODE
MOSSI
De la douceur
avec du caractère
Détails et volumes originaux
donnent vie à une collection
sculpturale qui associe
ÉLÉGANCE ET CONFORT.
CELA FAIT DÉJÀ QUELQUES ANNÉES que le nom de Mossi
Traoré a intégré le calendrier officiel de la Fashion Week
parisienne, la créativité de ses collections séduisant un
public toujours plus large. Adepte d’une mode architecturale,
épurée et linéaire, le designer d’origine malienne, élevé
en banlieue parisienne, dans une cité de Villiers-sur-Marne,
enchaîne les collaborations artistiques pour donner vie
à des lignes exclusives. Depuis le lancement de son label
éponyme, en 2018, il a travaillé avec la sculptrice sur textile
française Simone Pheulpin, le calligraphe irakien Hassan
Massoudy, l’artiste sud-coréen Lee Bae ou encore le peintre
malien Ibrahim Ballo. Des artistes qu’il expose à côté de ses
créations au cœur du Carrousel du Louvre, où il a installé
sa galerie. Pour sa collection automne-hiver 2022-2023,
il s’est associé à la sculptrice française Angélique Lefèvre,
dont les œuvres deviennent alors des motifs imprimés sur
des vêtements fonctionnels et adaptables. Pour l’occasion,
Le styliste Mossi Traoré.
elle a peint des aquarelles, qui ont ensuite été scannées
puis fixées aux tissus. Avec leurs nuances de bleu, comme
le bleu nuit, elles enrichissent la palette de couleurs du
styliste, qui travaille d’habitude le noir et le blanc. La coupe
évasée des jupes en biais, déjà esquissée dans des collections
précédentes, s’associe à un élément nouveau dans le catalogue
de la marque : la doudoune. Travaillée en matelassage, elle
apporte du relief et de la douceur à des créations qui jouent
avec les volumes. À côté de ces survêtements sculpturaux,
Mossi propose également des hauts tout en délicatesse : des
chemises et des robes réalisées en coton, laine tissée et fibre
de lait (une matière durable et innovante), avec des pans
de tissus, que l’on peut adapter à son style ou son humeur.
Pouvoir exprimer sa personnalité à travers ses vêtements,
sans renoncer au confort, est l’un des principes créatifs du
trentenaire, qui invite à superposer les éléments pour habiller
des silhouettes floues et volumineuses. ■ L.N. mossi.fr
DR (4)
18 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
DESIGN
OHIRI, BIJOUX MYSTIQUES
Des ACCESSOIRES CONTEMPORAINS ivoiriens inspirés
par l’esthétique et l’art du peuple akan.
POUR LA CRÉATRICE franco-ivoirienne Akébéhi Kpolo,
les bijoux ne sont pas de simples ornements mais de
véritables objets d’art. En créant Ohiri en 2012, elle a réussi
à donner corps à une passion d’enfance tout en célébrant
le savoir-faire et la culture du peuple akan à travers
des pièces uniques, voire avant-gardistes. Ses trois
dernières collections explorent et réinterprètent
dans un style contemporain l’esthétique
et le symbolisme des bijoux en pays akan
(notamment au Ghana et en Côte d’Ivoire).
Après avoir évoqué les techniques et les
formes utilisées par les orfèvres dans « Lines »
et avoir mis en avant la matière la plus utilisée
par le passé avec la ligne « Sika » (qui signifie
« or »), elle aborde désormais la symbolique
des ornements dans le dernier volet de cette
trilogie, « Outlines ». Du collier d’épaule comme
des bracelets – réalisés artisanalement en Côte d’Ivoire et
au Kenya – se dégage la silhouette, majestueuse, à moitié
submergée du crocodile. Un animal qui, dans la culture
animiste akan, a une signification complexe et mystérieuse.
La collection est aussi un hommage à la capitale
ivoirienne Yamoussoukro, où le président Félix
Houphouët-Boigny avait créé un lac pour
accueillir ces grands reptiles au
charme envoûtant. ■ L.N.
ohiristudio.com
MATTOS BERGER
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 19
ON EN PARLE
Au mur sont accrochées des images
du Sénégal, dans un décor d’inspiration wax.
Chez Tantie, on propose du Sodabi
arrangé, une liqueur de palmier,
disponible au shot ou au mètre.
SPOTS
DES NOUVELLES
TABLES À COTONOU
Si vous êtes de passage au Bénin, voici DEUX ADRESSES à tester sans délai.
OUVERT À L’AUTOMNE dernier par le Béninois
d’origine ivoirienne Assad Alao dans le quartier
sénégalais Scoa Gbeto, Chez Tantie est
une cantine de qualité à des tarifs abordables,
au cadre chaleureux et confortable. Assis sur
la terrasse en bois ou dans la salle à la déco
d’inspiration wax, en regardant les images
du Sénégal accrochées au mur et bercés par
du bon jazz, on y goûte des classiques comme
le thiéboudiène (rouge, blanc ou diaga),
le mafé ou le yassa. Mention spéciale pour
le foutou de Tantie, à la sauce graine
au bœuf, et le poulet kédjénou. Et
pour le Sodabi arrangé, une liqueur
béninoise de palmier, disponible
au shot ou au mètre.
UNE AUTRE ADRESSE de
la ville fait, elle, la part belle au
poisson. Mi-restaurant, mi-poissonnier,
La Pirogue sert depuis juin 2021 des produits de la mer frais
et responsables en plein cœur de Cotonou. Les clients peuvent
choisir parmi les arrivages du jour, rigoureusement pêchés
avec des méthodes artisanales le long des côtes du Bénin,
en respectant les périodes de reproduction. Ici, on ne trouve
La Pirogue est à la fois un restaurant et un poissonnier.
par exemple pas de moules sénégalaises, mais à la bonne
période, on goûte aux huîtres locales. Une fois son poisson
choisi, on peut l’emporter ou le déguster sur place avec sauce
et accompagnement : poêlé, frit, en papillote ou au barbecue,
entier ou en filet, à vous de choisir ! La carte propose aussi des
salades et des sandwiches fast good, un simple fish and chips
ou des snacks savoureux. À tester, selon les jours, les plats
Mama Africa : du monyo (une spécialité du sud du Bénin) au
thiéb sénégalais, en passant par l’attiéké ivoirien à base de
poisson. ■ L.N. restaurant-la-pirogue.com
DR (4)
20 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
ARCHI
Célébrer la grande
pyramide de Gizeh
DR
Avec l’Observatoire
de Khéops,
le STUDIO MALKA
a construit une
résidence d’artistes
au pied de la
première merveille
du monde.
L’OBSERVATOIRE DE KHÉOPS est une résidence d’artistes nichée dans le village
préservé de Nazlet El-Samman, un site égyptien fondé au VII e siècle par des tribus
du désert fascinées par les pyramides de Gizeh. Construit dans l’axe de la seule
merveille du monde à avoir survécu depuis l’Antiquité, le bâtiment est orienté
est-ouest, ce qui permet de contempler les phénomènes célestes dans toute leur
ampleur. Le jardin, la piscine, les chambres, et même le mobilier sont disposés de
façon à offrir une vue optimale sur la pyramide de Khéops. La salle du temps, un
lieu d’observation méditative, est recouverte par un toit textile qui se plie et se déplie
très rapidement, en prise directe avec son environnement. Et la charpente à forme
pyramidale, conçue sans poinçon central, crée presque un portail tridimensionnel,
qui cadre la grande pyramide et lui fait écho au sein de l’habitat. Dans un souci
d’engagement socio-environnemental, le projet intègre les techniques de construction
locales, le savoir-faire ancestral ainsi que l’artisanat des villageois. La philosophie
de l’architecte et ancien graffeur Stéphane Malka, connu pour ses recherches sur le
renouveau urbain, se retrouve jusque dans les façades, composées d’une accumulation
de briques de terre crue, de fenêtres et de volets traditionnels recyclés, strictement issus
de l’économie circulaire du village. Un hommage à l’architecture informelle, qui ajoute
une touche onirique et décalée à ce belvédère habité. ■ L.N. stephanemalka.com
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 21
ON EN PARLE
GALAAfrica is the future
AU NOM DES FEMMES
ET DES ENFANTS
La 8 e édition de la soirée
de bienfaisance de la FONDATION
CHILDREN OF AFRICA s’est
tenue le 11 mars à Abidjan. Près
de 900 invités et généreux donateurs
ont répondu présent à l’invitation
de sa fondatrice, la Première dame
ivoirienne Dominique Ouattara.
par Emmanuelle Pontié
Ce 8 e dîner de gala de la fondation
Children of Africa (COA), plusieurs
fois repoussé pour cause de pandémie,
était très attendu. Près de 900 convives
étaient au rendez-vous de la Première
dame Dominique Ouattara, ce vendredi
11 mars au Palais des congrès du Sofitel Abidjan Hôtel
Ivoire. À l’image des éditions précédentes, autour du
couple présidentiel de Côte d’Ivoire, de nombreuses
stars internationales et locales avaient répondu présent,
comme les comédiennes Emmanuelle Béart ou Aure Atika,
la top-model Adriana Karembeu, les acteurs Samuel
DR
22 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
Accueil au groupe scolaire COA d’Abobo,
avec, au centre, Madame Dominique
Ouattara et la princesse Ira de Fürstenberg,
marraine de la fondation.
DR
Le Bihan, Tomer Sisley, Gary Dourdan ou Isaach de Bankolé,
la réalisatrice Yamina Benguigui, et les artistes Alpha Blondy,
Youssou N’Dour, Singuila, Magic System, Michel Gohou,
Vegedream, Kaaris, Toumani et Sidiki Diabaté, Charlotte
Dipanda, MC Solaar, Kamel Ouali ou encore Fally Ipupa.
Côté sport, on peut citer Didier Drogba, Murielle Ahouré,
Cheikh Cissé… Et bien d’autres, dont le président français
Nicolas Sarkozy en invité surprise ou encore le professeur
Marc Gentilini, soutien de la première heure de la fondation.
Le but du gala de charité cette année : récolter 6 millions
d’euros pour financer, entre autres, la construction d’un
centre d’accueil pour femmes victimes de violences dans
la ville d’Adiaké en bordure de lagune, à 94 kilomètres
d’Abidjan. « Il sera bâti sur une superficie de 1,6 hectare,
et sa capacité d’accueil sera de 80 places. Ce centre offrira
à des pensionnaires et leurs enfants toutes les commodités
nécessaires à leur prise en charge holistique et à leur
bien-être », a annoncé Madame Dominique Ouattara sur
scène. Une partie de la somme permettra aussi de rénover
et d’agrandir la Case des enfants, le foyer d’accueil de la
fondation qui a recueilli des milliers de petits en difficulté
Ci-contre, la jeune
présidente des élèves,
qui a fait un discours
de remerciements.
depuis sa création il y a vingt-quatre ans. Grâce aux généreux
donateurs et amis du monde du business, dont Pierre
Fakhoury, Cyrille Bolloré ou Martin Bouygues, la somme
a pu être réunie dans sa totalité. En partie grâce à la vente
traditionnelle, où des objets luxueux sont mis aux enchères.
Comme cette parure bracelet et boucles d’oreilles en or
et diamants d’une valeur de 53 000 euros offerte par le
maître joaillier Edouard Nahum ou encore une œuvre de
l’artiste Aboudia, emportée pour 280 millions de francs CFA
(426 000 euros). Une soirée haute en couleur, avec un menu
savoureux concocté par les chefs Yannick Alléno et Prisca
Gilbert et un spectacle de qualité, des tableaux créés par
le chorégraphe Georges Momboye aux prestations de Magic
System ou d’Alpha Blondy. Le thème de la soirée : Africa is
the future. Le matin, l’ensemble des invités de la Première
dame s’était rendu au groupe scolaire d’excellence Children of
Africa d’Abobo, financé grâce aux recettes du gala précédent,
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 23
ON EN PARLE
qui s’était tenu en 2018. Située dans l’une des communes
les plus peuplées du district d’Abidjan, l’école accueille
700 élèves, dont 100 à la maternelle et 600 au primaire.
Elle est dotée d’équipements modernes, d’une cantine,
d’une bibliothèque, d’une aire de jeu pour les plus
petits et d’un grand terrain de sport. Ce groupe scolaire
est entièrement gratuit pour les élèves, y compris les
tenues, les fournitures et la cantine. La Première dame, le
ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan Robert
Beugré Mambé et plusieurs membres du gouvernement
de Côte d’Ivoire, dont la ministre de l’Éducation nationale
et de l’Alphabétisation Mariatou Koné, ont été accueillis
par les danses et les chants des élèves. Depuis sa création
en 1998, la fondation Children of Africa a construit
l’Hopital mère-enfant Dominique Ouattara de Bingerville,
et a fait de l’éducation des enfants son premier cheval de
bataille. Elle distribue à chaque rentrée des classes des kits
scolaires aux enfants défavorisés, équipe les écoles et les
cantines à travers tout le pays et a, entre autres, construit
un lycée dans la ville de Kong, dans le nord du pays. ■
Une soirée
haute en couleur.
La table présidentielle
du dîner de gala,
au Palais des congrès
du Sofitel Abidjan
Hôtel Ivoire.
Le président
de Côte d’Ivoire
Alassane
Ouattara et
son épouse,
Dominique.
Nicolas Sarkozy
et Dominique
Besnehard,
avec Dominique
Ouattara.
Loïc Folloroux
et Claire
Guena.
Le couple présidentiel entouré, de gauche à droite,
par Mamadou Diagna Ndiaye, Martin Bouygues,
Mireille Fakhoury, Nathalie Delapalme et Pierre Fakhoury.
Alpha Blondy
sur scène.
Le professeur
Marc Gentilini.
DR
24 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
Marc
Socquet
et son
épouse,
Nathalie
Folloroux.
Youssou N’Dour et
Nadine Sangaré.
Selfie de Fally Ipupa
avec Dominique Ouattara.
Le Premier ministre Patrick
Achi et son épouse,
Florence.
Elisabeth Gandon
et Yannick Alléno.
MC Solaar.
Didier
Drogda
et Gabrielle
Lemaire.
Danielle
Ben Yahmed,
Cyrille Bolloré
et Aure Atika.
La Première
dame entourée
de Masséré Touré
et de Bruno Koné.
Le couple présidentiel entouré, de gauche à droite, par Amira Cazar, Emmanuelle Béart,
Yamina Benguigui, Samuel Le Bihan, Aure Atika, Tomer Sisley et Sandra Zeitoun.
DR
Martin Bouygues
et Adriana Karembeu.
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 25
PARCOURS
Omar Mahfoudi
COLORISTE, CET ENFANT DE TANGER
ravive la nature dans son œuvre poétique. Il participe en avril à la foire
d’art contemporain africain 1-54, à Paris, pour la galerie Afikaris,
qui promeut les artistes émergents du continent. par Fouzia Marouf
Sourire en bannière, il se promène entre les colonnes ivoire de la galerie parisienne
Afikaris. Omar Mahfoudi allie la singularité du dessin à l’effusion de la couleur : ses silhouettes
singulières, auréolées de doré, ses reliefs pastel sont autant de signes qui constellent ses
toiles monumentales de la série Golden Painting et le connectent à sa mémoire ancestrale et
à sa ville natale, Tanger, terre de brassage, d’errance et d’exil. Né en 1981 dans la mythique
cité du détroit, il grandit entouré du souvenir vivace de la Beat Generation : « La maison
de mes parents se trouvait en face de celle de Barbara Hutton, près de celle de Paul Bowles.
Et comme nombre de Marocains, j’ai été profondément marqué par Mohamed Choukri,
avec lequel je discutais souvent, adolescent. Tanger était une ville internationale qui nous
fascinait tous. J’y ai fait d’incroyables rencontres artistiques, ne connaissant pas l’Europe », se souvient-il.
Enfant touche-à-tout, habile de ses mains, il transforme tous les objets en jouets. « J’ai grandi dans
la kasbah, en passant mon temps à dessiner, à faire le portrait de mes amis. À l’époque, nous avions
une chaîne de télé espagnole en plus de la chaîne marocaine nationale. Influencé par la culture
manga, je reproduisais mes héros de dessins animés sur du carton que je peignais. » Son destin semble
tout tracé. Passionné, curieux, il incarne la nouvelle école et participe activement à l’efflorescence
de la jeune scène du Nord marocain, où nombre de plasticiens se sont succédé, en quête de la bonne
lumière à Asilah ou à Tétouan, qui abrite l’emblématique Institut national des beaux-arts.
Omar Mahfoudi se consacre définitivement à son art : « J’avais conscience d’être au cœur d’un lieu
emblématique, où avaient vécu Matisse, Bacon. Je passais d’atelier en atelier, avant le boom économique,
nourri par une mixité et un héritage culturels très présents. Je peignais au contact d’une vitalité et d’une
émulation constantes », indique-t-il. Rebelle, revêche, la région est ainsi aux prises avec les mouvements
de contestation depuis 2011. En 2015, il participe au group show Désordre, présenté à la galerie Delacroix,
à l’Institut français de Tanger. Dans sa série de grands formats consacrés à des figures militaires, il dépeint la
chute de dictateurs vieillissants : « Je me suis inspiré de Moubarak et de Kadhafi afin de dénoncer la symbolique
de la répression. C’était aussi un prétexte pour aborder l’abstrait, qui traverse encore mon œuvre aujourd’hui. »
En quête d’un ailleurs, l’âme voyageuse, en 2012, il passe par les États-Unis : « Cela m’a mené au
septième art. New York me fascinait pour le Nouvel Hollywood, mais la ville était trop froide et urbaine,
j’étais heureux de retourner au Maroc », confie-t-il. Arrivé à Paris en 2016, il intègre la galerie Afikaris en y
exposant en 2020 un travail renvoyant à l’après-confinement, « Quitter la ville »: « J’ai découvert cet espace
à 1-54 Marrakech, en 2019. Nous grandissons ensemble, entre écoute et observation. » Depuis, il a présenté
en 2021, à la foire 1-54 London, des œuvres de son exposition « El Dorado », inspirée par la peinture
italienne du Moyen-Âge. Et en 2023, il exposera à la galerie L’Atelier 21, à Casablanca, dans un solo show.
Ses nouveaux travaux, qui font écho à la poésie de la nature, et leurs variations et explosions de couleurs
seront exposés du 7 au 10 avril à 1-54 Paris, avec la galerie Afikaris. ■ 1-54.com / afikaris.com
26 AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022
AMMAR ABD RABBO
« J’ai grandi
dans la kasbah,
en passant mon temps
à dessiner, à faire
le portrait de
mes amis. »
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avec cette Afrique
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C’EST COMMENT ?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
BAS LES MASQUES !
DOM
Le 26 mars dernier, un événement – car c’en est un – est un peu passé inaperçu.
Un masque en bois du peuple Fang, spécimen rarissime de la société secrète des justiciers
du Ngil, s’est envolé à 5,25 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Montpellier, dans
le sud de la France. Un record qui talonne de peu celui de 2006 pour un autre masque de
la même ethnie, qui avait été adjugé à 5,9 millions d’euros, à Paris.
À Montpellier, dans la salle, un membre de la communauté gabonaise locale
s’est exclamé : « Le voleur doit être pris avec l’objet volé. Ne vous inquiétez pas, on va porter
plainte. On va récupérer cet objet, c’est un bien mal acquis colonial. » Dans ce cas précis,
et selon le commissaire-priseur, ce masque a été collecté vers 1917 par un gouverneur
français en poste à Dakar, et a dormi dans un grenier durant plus de cent ans. Alors oui,
c’est probablement un vol. Mais la vente s’est faite en
toute légalité. À l’heure où certains pays d’Afrique de
l’Ouest, comme le Bénin ou le Nigeria, demandent (et
ont commencé à obtenir) la restitution de leurs œuvres
d’art pillées, la réaction de l’agitateur gabonais est bien
entendu légitime.
Pour autant, ce fait divers ouvre un débat
assez compliqué. Sur le plan du droit, d’abord. Comment
prouver que ces pièces aient été offertes ou
pillées ? La plupart du temps, plus aucun témoin n’est
là pour en attester. Comment changer le droit à la
propriété ?
Par ailleurs, dans le cas de l’Afrique centrale,
il semble qu’aucune nation n’ait à ce jour montré une
velléité très prononcée pour récupérer son patrimoine.
Elle n’a pas construit de musée d’envergure, sécurisé,
capable d’accueillir des pièces aussi exceptionnelles.
Alors, certes, la plupart de ces œuvres ont été volées
et devraient être restituées à leur propriétaire ou à leur
pays. Et le mouvement ayant été lancé, on peut supposer qu’il va se poursuivre. On le
souhaite en tout cas.
Mais ce que l’on souhaite aussi, c’est que l’Afrique en général montre un peu
plus de passion pour son art ancien. Que les milliardaires du continent s’y intéressent
davantage, par exemple. À ce jour, les vrais collectionneurs africains se comptent sur les
doigts d’une main, et souvent, ils sont plutôt séduits par l’art contemporain. Quant aux
peuples, l’art ancien n’est pas non plus une priorité pour eux. Loin de là. C’est dommage,
car il faudrait peut-être commencer par là. Afin de faire pression et de favoriser des retours,
privés ou publics, plus massifs. Un peu plus passionnés, quoi ! ■
AFRIQUE MAGAZINE I 427 – AVRIL 2022 29
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