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ARND WIEGMANN/REUTERS<br />

balance des paiements est déficitaire. Pourtant, des pistes<br />

existent. Par exemple, le Forum économique mondial,<br />

à Davos – qui est tout sauf un repère de gauchistes –,<br />

a réfléchi cette année à l’économie « solidaire et sociale ».<br />

Des pays tentent de promouvoir cette approche, qui se<br />

veut indépendante des exigences de rentabilité, mais il faut<br />

pour cela une volonté économique globale. Le vrai problème<br />

est le caractère insoutenable du capitalisme financier tel<br />

qu’il existe aujourd’hui. Cependant, une fois la chose dite,<br />

quelles politiques, quelles doctrines peuvent émerger ?<br />

Ces dernières années, la construction d’infrastructures<br />

sur le continent s’est faite au prix d’un endettement<br />

massif, en particulier envers la Chine. Comment<br />

sortir du piège éternel de la dette ?<br />

C’est une question sans réponse satisfaisante. Les pays<br />

ont des besoins, il faut qu’ils se développent, qu’ils aient<br />

des infrastructures. Comment faire quand les moyens<br />

sont faibles ? La dette est une calamité, parce qu’elle<br />

entrave un pays sur plusieurs générations.<br />

De manière régulière, on appelle à son<br />

annulation pour les pays les moins avancés,<br />

mais lorsque cela arrive, une décennie<br />

suffit pour que le processus soit de nouveau<br />

relancé. L’utopie serait des financements<br />

gratuits, au nom de la solidarité<br />

internationale, mais il ne faut pas rêver…<br />

Les banques et les financiers ne l’accepteront<br />

jamais. Lutter contre la corruption<br />

permettrait déjà d’atténuer le fardeau de<br />

la dette, mais ce qui est certain, c’est que<br />

cette question est liée à celle du modèle<br />

de développement économique. Répéter<br />

à l’envi que « le marché réglera tout »,<br />

comme le font certains économistes<br />

africains, est criminel. Cela pousse<br />

le continent vers moins de solidarité<br />

et – surtout – vers moins d’autonomie.<br />

En parlant d’autonomie, avec une<br />

dépendance excessive à quelques<br />

greniers à blé, des pénuries aggravées<br />

par la spéculation et de fortes<br />

sécheresses, faut-il s’attendre à un retour<br />

durable de la faim ?<br />

La question est bien plus structurelle qu’on ne le croit.<br />

La faim est une menace à moyen terme. Quel sera l’état<br />

des terres agricoles pour une planète de 10 milliards<br />

d’habitants ? À court terme, pour nombre de pays<br />

africains, c’est la question du modèle alimentaire qui<br />

se pose. Pourquoi importer – au prix fort – des céréales<br />

d’Europe, d’Australie ou encore d’Argentine, alors que<br />

l’on dispose de modes de culture traditionnels et qu’il<br />

est souhaitable de généraliser une agriculture moins<br />

intensive ? Actuellement, on assiste à la mise en coupes<br />

réglées des terres du continent, même par des ONG<br />

occidentales, qui plaident pour une agriculture intensive,<br />

à l’image de ce qu’a fait l’Inde dans les années 1950 et 1960.<br />

Or, l’Afrique est aussi un berceau de l’agriculture, qui<br />

a ses traditions, ses propres cultures : c’est le moment<br />

de réhabiliter cela, en explorant d’autres voies que<br />

l’approche intensive, qui pollue et épuise les sols.<br />

Le conflit en Ukraine signe le retour de la guerre<br />

froide. Chaque pays du continent va-t-il devoir<br />

choisir un « camp »? Ou jouer sur les rivalités ?<br />

La tentation serait de miser sur un camp contre l’autre.<br />

Or, l’Afrique a besoin du multilatéralisme, seul atout dont<br />

disposent les pays les moins puissants. Se jeter dans les<br />

bras des Russes, après avoir longtemps tiré des bénéfices<br />

de la Françafrique, est une erreur. De nombreux pays<br />

jouent la prudence, et ils ont raison. Ce conflit doit leur<br />

parler, car il remet en cause le caractère indéniable de<br />

Au Forum économique et mondial, le 26 mai,<br />

à Davos, en Suisse. On y a réfléchi pour la première<br />

fois au thème de l’économie « solidaire et sociale ».<br />

la frontière. Aussi est-il important de défendre la légalité<br />

internationale, même si cette dernière est régulièrement<br />

foulée aux pieds par ceux qui, aujourd’hui, la revendiquent.<br />

Ce n’est pas parce que les Américains ont envahi l’Irak<br />

en 2003 sans respecter le droit international qu’il faudrait<br />

accepter que la Russie en fasse autant aujourd’hui en<br />

Ukraine. Mais il est tout aussi important pour les pays<br />

africains de montrer leur indépendance et de ne plus accepter<br />

que les Occidentaux – la France en tête – les considèrent<br />

juste comme des réserves dociles de voix à l’ONU. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 35

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