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Ton nouvel album commence<br />
avec Montagnes<br />
Russes. On a l’impression<br />
que tu y donnes le ton<br />
pour toute la suite de l’album.<br />
Quel est le message<br />
principal de cet album ?<br />
Cet album parle beaucoup d’amour, que ça soit<br />
l’amour de soi, l’amour que tu portes aux autres, l’amour<br />
amoureux ou l’amour du collectif. C’est une thématique<br />
que j’aborde énormément, même si ça ne fait pas longtemps<br />
que je fais de la musique. Mais avant tout, j’ai<br />
l’impression que dans cet album, ça parle beaucoup de<br />
renaissance, de métamorphose, de transcendance et de<br />
ce passage de l’ombre vers la lumière, de ce clair-obscur<br />
constant. En tout cas, je suis passée par pas mal<br />
d’étapes personnelles et professionnelles, des petites<br />
cascades, un peu déceptives, un peu violentes, un peu<br />
compliquées à vivre, mais j’en ai fait des chansons.<br />
Dans tes chansons,<br />
on trouve toujours<br />
une dimension optimiste,<br />
même quand tu<br />
parles de situations<br />
tristes. C’est important<br />
pour toi ?<br />
Oui, c’est vrai ! Il y a trois jours, j’étais en tournage,<br />
je suis partie avec mon meilleur pote Zenzel qui a<br />
réalisé mes deux derniers clips, Focus et Crop Top. Bref,<br />
à quatre dans une voiture, à vadrouiller, Zenzel nous a<br />
demandé : « C’est quoi vos défauts et vos qualités ? ». On<br />
en vient à mes qualités, et je lui ai demandé: « Toi qui me<br />
connais, c’est quoi ma qualité ? ». Je m’attendais à plein de<br />
réponses, mais il m’a dit : « Toi, tu as la foi, pas religieuse, la<br />
foi dans la vie, dans la transcendance, dans l’éthique, la foi<br />
en l’être humain. » Et pour moi, ce rapport à la foi, il est lié<br />
avec l’espoir, et j’essaie de retranscrire ça dans mes chansons.<br />
C’est cette luminosité que j’essaie de toujours avoir<br />
en conclusion, même sur des thématiques plus sombres.<br />
Je sens que les gens me renvoient ça, que ça donne envie<br />
de vivre, de faire des choses, que ça donne de l’espoir<br />
et pour moi, ça c’est royal ! Ça me touche énormément.<br />
Après, quand je fais ce genre de chansons, ce n’est<br />
pas pour faire de la pédagogie, c’est avant tout pour<br />
exprimer ce que je ressens. J’ai une colère qui vient<br />
de situations vécues, ça se transforme en images et<br />
ça devient une chanson.<br />
Dans tes chansons, tu<br />
parles de sentiments<br />
et de situations quotidiennes<br />
auxquels la<br />
majorité des gens peuvent<br />
s’identifier. Mais le fait que<br />
tu les exprimes à<br />
travers ton prisme<br />
d’artiste ouvertement<br />
queer et lesbienne te transforme<br />
de facto en<br />
artiste militante. Tu en<br />
penses quoi ?<br />
Je l’accepte en tout cas, c’est une responsabilité,<br />
mais aussi un honneur qu’on me fait. C’est important.<br />
Là où j’avais du mal au début de mon parcours,<br />
c’est qu’on me demandait sans cesse si j’étais<br />
militante. J’avais du mal avec cette question, car<br />
j’écrivais depuis mon canapé sur mes découvertes,<br />
mes peines de cœur, je ne me sentais pas du tout<br />
légitime qu’on me labellise ainsi.<br />
Aujourd’hui je peux dire que oui, je suis militante,<br />
je suis une femme blanche lesbienne, c’est une<br />
minorité. C’est important pour moi que les artistes<br />
queer soient des porte-drapeaux, plus nous serons<br />
nombreux·ses·x, moins il y aura besoin de porte-drapeaux.<br />
Du coup, je pense que je n’ai pas trop le choix.<br />
Que je le veuille ou non, ce que je fais est politique,<br />
je suis engagée émotiellement, mais puisque je suis<br />
une jeune femme ouvertement queer, je suis engagée<br />
politiquement. Je pense que mon parcours parle de<br />
moi, on ne peut pas en faire des généralités, mais il<br />
parle aussi pour tous·tes·x les autres qui n’ont peutêtre<br />
pas la parole.<br />
Par contre, je sais aussi qu’on va toujours<br />
me poser ces questions-là en premier. Parce que les<br />
journalistes ont besoin de définir, de mettre les gens<br />
dans des cases : Aloïse Sauvage, c’est l’artiste toucheà-tout,<br />
féministe et lesbienne. Du coup, je réponds aux<br />
questions qu’on me pose et je pense que ça a accéléré<br />
mon processus de déconstruction et de réflexion.<br />
J’essaie de m’instruire pour pouvoir dire des choses<br />
sensées qui font avancer un petit peu le débat. Tout ça<br />
fait que j’accepte qu’on me voie à travers ce prisme,<br />
et je vais continuer de revendiquer mon identité queer<br />
haut et fort !<br />
Est-ce qu’il y a eu de<br />
déclics qui t’ont permis<br />
d’appréhender l’importance<br />
de cette visibilité ?<br />
Un déclic personnel, pour moi, ç’a été de<br />
faire le podcast Coming Out sur Spotify, qui est sorti<br />
en février 2021. C’était un gros déclic, premièrement<br />
car je n’osais pas avant, on m’avait proposé un an<br />
auparavant, et je ne me sentais pas prête. Du coup,<br />
j’étais déjà fière de le faire. À ce moment-là, mon coming<br />
out était public mais le fait d’en parler comme<br />
ça, intimement, c’était différent.<br />
Et puis j’ai eu… c’est impossible à expliquer…<br />
une vague de messages, qui a duré toute l’année, des<br />
gens super différents qui se sentaient aidés, touchés,<br />
célébrés et compris. Et c’est là que je me suis dit, à<br />
partir de maintenant je vais le clamer haut et fort,<br />
c’est primordial !<br />
Il y a des chansons<br />
J’ai lu que tu disais que cet<br />
carrément gouines sur cet<br />
album était comme un<br />
album, c’est vraiment<br />
deuxième premier album.<br />
super ! Comme tu le dis, tu<br />
C’est quoi la différence Dans ton super 2 e single,<br />
te sens lesbienne<br />
entre ces deux Aloïse ? Crop Top, hymne au<br />
aujourd’hui. Comment te<br />
Je dis surtout que le premier album n’a pas consentement, tu répètes<br />
sens-tu par rapport à<br />
vécu, enfin il n’a pas vécu physiquement, il n’y a pas<br />
« Nan c’est nan c’est nan,<br />
l’utilisation de ce mot qui,<br />
eu de tournées. J’étais aux Victoires de la musique<br />
comme révélation scène, j’ai sorti mon album, et trois quand on dit nan nan » On<br />
par un passé pas si lointain,<br />
jours après c’était le confinement. Ça a été une première<br />
cascade qui m’a obligée à prendre du recul et<br />
en a pas marre de devoir<br />
avait une connotation<br />
à reconsidérer ce que je voulais faire, ce que j’étais. prendre du temps pour<br />
assez négative ?<br />
Après plusieurs reports de concerts, j’ai fait le choix<br />
Moi je me définis en tant que lesbienne,<br />
éduquer les bons hommes<br />
d’annuler la tournée, notamment car j’avais changé<br />
et j’ai pas de problème à l’utiliser. Pour qu’énergétiquement<br />
notre affirmation intérieure s’exprime à<br />
d’équipe. Il fallait que je reprenne les rênes de ma vie au bout d’un moment ?<br />
professionnelle et artistique. Donc ce ressenti par rapport<br />
à ce 2e album, c’est : « Maintenant on y est !» Avant,<br />
c’était l’introduction et maintenant on peut y aller !<br />
Je suis très fière des titres Dévorantes et<br />
Jimy, mais il y avait une effervescence autour de moi<br />
à ce moment-là et j’ai pris moins de recul. Par contre,<br />
pour cet album, j’ai eu le temps de construire ce que<br />
je voulais faire, j’ai réussi à reprendre confiance en<br />
moi, à m’affirmer et à retrouver la lumière dans les<br />
choses. Tout cela a impacté et nourri le rapport à mon<br />
projet. Cet album, je l’ai coréalisé avec mon ingé son,<br />
j’étais de A à Z dans le processus, je me suis complètement<br />
investie. C’est pas pour rien que cet album<br />
s’appelle SAUVAGE, je reviens en cheffe de meute,<br />
avec mon noyau dur, avec les gens avec qui j’ai réellement<br />
envie de fonctionner, avec mes valeurs et zéro<br />
compromis. SAUVAGE, c’est cette pierre-là que je<br />
pose à l’édifice.<br />
Ha ben moi, j’en ai carrément marre, sauf que tu<br />
sais, on ne nous laisse pas vraiment le choix. J’aimerais<br />
ne pas avoir à le faire, mais je ne peux pas juste dire<br />
non, ça me fait chier, et ne pas le faire. J’ai pris du recul<br />
par rapport à ça. Au début je ne savais pas comment<br />
m’y prendre, j’étais aussi dans mon parcours de jeune<br />
femme, de jeune citoyenne, de jeune lesbienne, je ne<br />
me sentais pas forcément légitime. Mais je me rends<br />
compte maintenant que je suis obligée de prendre cette<br />
place, je suis obligée de faire de la pédagogie parce qu’<br />
il y a une petite lucarne qui fait que moi, je suis visible.<br />
Quand je vois les commentaires que je reçois<br />
sur une chanson comme Crop Top, d’une majorité<br />
d’hommes qui se sentent sûrement concernés,<br />
mais qui ne voient pas où est le problème, je me dis<br />
qu’il y a encore du boulot. J’aimerais que ces gens<br />
prennent leurs responsabilités et s’éduquent euxmêmes,<br />
mais on n’y est pas encore.<br />
l’extérieur et donc s’exprime au monde, qui n’est pas<br />
majoritairement lesbien, je pense qu’il convient qu’on<br />
soit fières des mots employés pour nous représenter.<br />
Mais moi aussi avant j’avais cette homophobie intériorisée,<br />
qui fait que j’osais pas trop employer ce mot,<br />
« lesbienne ». Mais par contre, l’Aloïse d’aujourd’hui<br />
trouve que c’est un très joli mot et pense qu’il ne faut<br />
pas avoir honte de le dire !<br />
Suite de l'interview en p. 30<br />
26 RENCONTRE<br />
ALOÏSE SAUVAGE<br />
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