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Programme de soirée - Génération danse

Programme de soirée de la pièce Génération danse, présentée du 10 octobre au 18 novembre 2023, au Théâtre La Licorne. Une production de La Manufacture.

Programme de soirée de la pièce Génération danse, présentée du 10 octobre au 18 novembre 2023, au Théâtre La Licorne. Une production de La Manufacture.

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Théâtre La Licorne • <strong>Génération</strong> <strong>danse</strong><br />

Mot <strong>de</strong> l'autrice<br />

Il y a quelque chose d’un peu paralysant à créer une œuvre<br />

portant sur le « genre », en ce moment. Pire encore d’avoir<br />

à en parler. Mais je vais quand même essayer.<br />

Cette pièce parle <strong>de</strong> filles <strong>de</strong> 13 ans. Elle parle aussi <strong>de</strong><br />

femmes, d’ambition et <strong>de</strong> désir. Je voulais l’écrire, car<br />

je tenais à offrir une représentation différente d’adolescentes<br />

sur scène. Une pièce où le traumatisme ne serait<br />

pas le point central. Mais où « être la meilleure » le serait.<br />

Les jeunes filles sont jouées par <strong>de</strong>s femmes allant <strong>de</strong><br />

la vingtaine à la soixantaine, parce que j’étais fatiguée<br />

<strong>de</strong> cette convention qui consiste à choisir <strong>de</strong>s jeunes<br />

femmes toutes menues <strong>de</strong> 25 ans pour incarner <strong>de</strong>s<br />

filles <strong>de</strong> 13 ans. Je ne voulais pas que les personnages<br />

d’adolescentes correspon<strong>de</strong>nt à l’image qu’on se fait<br />

<strong>de</strong>s adolescentes – parce que les adolescentes ne ressemblent<br />

pas vraiment à ça ! Aussi, parce que le vrai sujet<br />

<strong>de</strong> la pièce est ce qu'il nous reste <strong>de</strong> nos 13 ans et que<br />

l’on porte avec nous toute notre vie.<br />

En ce qui me concerne, je suis encore en lutte avec plusieurs<br />

<strong>de</strong>s mêmes enjeux.<br />

Je me souviens d’avoir participé à un point <strong>de</strong> presse<br />

pour parler d’une pièce que j’avais écrite. Le journaliste<br />

m’a <strong>de</strong>mandé si j’étais actrice. J’ai répondu : « Non, j’ai<br />

écrit la pièce. » Il a sursauté : « Toute seule ? » Au lieu <strong>de</strong><br />

lever les yeux au ciel ou <strong>de</strong> le remettre à sa place, j’ai ri,<br />

timi<strong>de</strong>ment, et je lui ai souri : « Oh, bon, vous savez, j’ai eu<br />

beaucoup, beaucoup d’ai<strong>de</strong>. »<br />

À cet instant, le réconforter lui, quant à ses actions, ses<br />

mots et son point <strong>de</strong> vue — m’assurer qu’il ne se sente pas<br />

mal –, était plus important pour moi que <strong>de</strong> me défendre<br />

moi et mon travail. Et je pense vraiment qu’il s’agit là d’un<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement qui m’a hantée.<br />

Parfois, je me dis que le sous-titre <strong>de</strong> ma vie professionnelle<br />

et personnelle pourrait être « Clare Barron ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

hommes médiocres à se sentir mieux ».<br />

C’est une chose que je dois changer. Et je tiens à préciser<br />

que je reconnais qu’il est autant question ici d’attentes<br />

venant <strong>de</strong> l’extérieur – être agréable aux yeux <strong>de</strong>s autres,<br />

polie, gentille, impuissante et humble – que <strong>de</strong> mon<br />

propre échec à m’assumer véritablement comme agent<br />

<strong>de</strong> changement dans le mon<strong>de</strong> – ce que nous sommes<br />

tous.<br />

Dans mon cas, cette « impuissance » ou apparente<br />

impuissance m’a parfois permis <strong>de</strong> fonctionner à l’intérieur<br />

même du système et <strong>de</strong> réussir.<br />

Nous transigeons constamment en <strong>de</strong>vises corrompues.<br />

Je ressens un grand malaise quand je reçois une quelconque<br />

reconnaissance. En partie, parce que je n’aime<br />

pas prendre trop <strong>de</strong> place. En partie aussi, car je suis<br />

consciente d’avoir eu une vie relativement facile. Qu’il y<br />

a quelque chose <strong>de</strong> précaire à se montrer agréable aux<br />

gardiens du temple dans un mon<strong>de</strong> aussi profondément<br />

injuste.<br />

C’est ce qui est un peu délicat dans le fait <strong>de</strong> récompenser<br />

l’excellence. Comment peut-on en célébrer une poignée,<br />

alors qu’il y en a tant sans tribune, sans privilèges<br />

et qui sont confrontés à <strong>de</strong> profonds biais institutionnels ?<br />

Ou même, d’un point <strong>de</strong> vue plus psychologique :<br />

Je me souviens quand j’ai commencé à écrire du théâtre,<br />

mes collègues masculins se mettaient en colère lorsqu’ils<br />

ne décrochaient pas une chose convoitée (une rési<strong>de</strong>nce<br />

d’écriture, un cercle d’auteurs). J’étais troublée – moi, je<br />

n’étais pas en colère. Et c’est là que j’ai compris la différence.<br />

Eux, ils considéraient qu’ils la méritaient ; moi, je<br />

m’étais convaincue du contraire.<br />

Les filles <strong>de</strong> ma pièce sont aux prises avec les mêmes<br />

considérations : qui est la meilleure, qui mérite reconnaissance,<br />

que faire quand le système (i.e. Pat le Prof <strong>de</strong><br />

Danse) est injuste, comment être amies tout en étant en<br />

compétition, comment se défendre soi-même quand on<br />

a été formée à ne pas le faire…<br />

La différence, c’est qu’elles n’ont que 13 ans.<br />

La différence, c’est qu’elles sont encore un peu naïves.<br />

Elles croient que tout est encore possible.<br />

Dans la pièce, les filles auditionnent pour un « rôle spécial »<br />

dans une compétition <strong>de</strong> <strong>danse</strong>. Après l’audition, une <strong>de</strong>s<br />

filles, Amina, court vers sa meilleure amie, Zuzu. Elles se<br />

félicitent toutes les <strong>de</strong>ux pour leur performance, ignorant<br />

le fait qu’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sera inévitablement déçue. Puis<br />

Amina a une idée : « Peut-être qu’on va juste l’avoir toutes<br />

les <strong>de</strong>ux ! »<br />

Zuzu s’illumine. L’idée ne l’avait pas effleurée. « Oh mon<br />

Dieu ! Ça serait parfait ! »<br />

Et pourquoi pas.<br />

Clare Barron<br />

Ce texte a été originalement publié par le Playrights Horizons en 2018.

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