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<strong>Anonyme</strong>, fin du XVI e siècle (?)<br />
<strong>La</strong> <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong><br />
Huile sur toile, H. 124 ; L. 110cm<br />
Paris, collections diocésaines<br />
HISTORIQUE<br />
Don de Madame André à l’Association Diocésaine de Paris, 2010<br />
<strong>La</strong> Vierge, assise sur un parapet de pierre, tient l’Enfant endormi dans le berceau de<br />
son bras droit. A ses côtés, Joseph s’incline avec respect vers le nouveau-né. Entré il y a un<br />
peu plus d’une dizaine d’années dans les collections diocésaines, cette <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong><br />
constitue un exemple caractéristique de la production de tableaux de dévotion au tournant<br />
des XVI e et XVII e siècles, dont les modèles les plus appréciés faisaient l’objet d’une multitude<br />
de répliques, copies, et dérivations, qui alimentaient un vaste marché à l’échelle européenne.<br />
Notre tableau est connu par deux autres répliques de facture légèrement différente :<br />
la première [fig.1] (peut-être rognée dans sa partie droite) a été léguée en 1953 au musée<br />
Bernard-d’Agesci de Niort, la seconde [fig.2] a été vue sur le marché de l’art à Fréjus en 1951,<br />
et nous est connue par la photographie de l’ancienne documentation d’Hermann Voss,<br />
aujourd’hui à la documentation des peintures du musée du Louvre. Elles procèdent toutes<br />
d’un même prototype, peint ou gravé, qui n’a pas encore été identifié. Bien que le tableau<br />
niortais ait été autrefois rapproché de l’œuvre de Jacopino del Conte – par comparaison avec<br />
la <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong> du musée du Prado (dont l’attribution est aussi sujette à débats) – puis plus<br />
prudemment de l’école lombarde, c’est bien dans l’orbite nordique qu’il faut placer l’origine<br />
de cette composition. Le visage porcelainé de la Vierge, aux contours ciselés et à l’arcade<br />
sourcilière fine et arquée rappelle le métier élégant de Michel Coxcie, et invite à situer l’œuvre<br />
dans l’univers flamand de la seconde moitié du XVI e siècle. Le pan de voile blanc retombant<br />
en fins tuyaux sur le côté du visage de la Vierge est un motif récurent chez les peintres du<br />
nord, particulièrement chez Joos van Cleve et son fils Cornelis, et se retrouve au début du<br />
XVII e siècle chez Abraham Janssen, et en France chez Martin Fréminet et Georges <strong>La</strong>llemant.<br />
Le tableau parisien surprend par sa qualité inégale, entre le traitement méticuleux du visage<br />
de la Vierge, et celui beaucoup plus fruste et simplifié des drapés de son manteau, dont les<br />
plis semblent parfois mal compris, trahissant l’œuvre d’un copiste. <strong>La</strong> version autrefois à<br />
Fréjus – d’une qualité supérieure semble-t-il, et qui laisse apparaître sur un banc de pierre<br />
une inscription empruntée au Cantique des cantiques 1 – suggère des liens avec l’œuvre de<br />
Willem Key (1516-1568) et de son fils Adriaen Thomasz Key (vers 1545-après 1589), en<br />
particulier avec la <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong> du musée de Philadelphie (inv.cat.430) 2 , et celle récemment<br />
1 Ego dormio, et cor meum vigilat (Ct 5:2), « je dors et mon cœur veille ».<br />
2 Nous remercions Koenraad Jonckheere, spécialiste de Willem Key, pour avoir confirmé sur<br />
photographie la proximité du tableau avec l’œuvre de ce peintre.
apparue sur le marché de l’art à Cologne 3 . L’artiste a animé son sujet – pourtant récurent chez<br />
les artistes de son temps – par quelques détails assez recherchés, tel le geste délicat de la<br />
Vierge caressant affectueusement du bout des doigts le petit pied de son fils, et le corps de<br />
l’Enfant dans la souplesse inerte d’un profond sommeil. Le peintre joue même avec le voile<br />
translucide surgissant sous la tunique de la Vierge, dont l’un des pans vient glisser sur le front<br />
de l’Enfant (un détail présent dans la version fréjusienne, mais absent dans celle de Niort).<br />
Faut-il percevoir comme un indice ou une simple coïncidence l’apparition des trois<br />
versions connues en France ? L’auteur du tableau parisien peut-il être l’interprète français<br />
d’un modèle nordique, ou l’œuvre d’un expatrié septentrional ? <strong>La</strong> présence de peintres<br />
originaires des Pays-Bas est un phénomène général sur tout le territoire français du XV e au<br />
début du XVII e siècle. Réputés pour leur métier minutieux et leur attention aux détails 4 , ils<br />
étaient fréquemment sollicités pour des travaux très divers, du décor éphémère commandé<br />
à l’occasion de réjouissances officielles, jusqu’à la production de petits tableaux de valeur<br />
variable, destinés au commerce et fréquemment plagiés par les peintres locaux. Cette <strong>Sainte</strong><br />
<strong>Famille</strong> à l’Enfant endormi souligne le succès des compositions conçues par les peintres<br />
nordiques et les nombreuses copies qui étaient proposées à une clientèle plutôt aisée, ce que<br />
suggère ici le format honorable de l’œuvre et son haut degré d’exécution.<br />
Vladimir Nestorov<br />
Fig.1 : <strong>Anonyme</strong>, <strong>La</strong> <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong>, fin du XVI e siècle<br />
(?), huile sur toile, 100 x 81 cm, Niort, musée Bernardd’Agesci<br />
(inv.000.0.5)<br />
Fig.2 : <strong>Anonyme</strong>, <strong>La</strong> <strong>Sainte</strong> <strong>Famille</strong>, fin du XVI e siècle (?),<br />
huile sur toile (?), 117 x 98 cm, localisation actuelle<br />
inconnue<br />
3 Huile sur bois, 79,5 x 64 cm, vente Lempertz, 16 mai 2015, n°1020.<br />
4 En 1611 encore, l’avocat Raoul Boutray célébrait les qualités des peintres flamands, qui exposaient à la<br />
foire de Saint-Germain-des-Prés.