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Eugenio CAJÉS, La Visitation

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<strong>Eugenio</strong> <strong>CAJÉS</strong> (Madrid, 1576-1634, Madrid) et son atelier ? École madrilène<br />

(v.1590-1620).<br />

<strong>La</strong> Visita(on<br />

Huile sur bois, H. 179 cm ; L. 190 cm<br />

Paris, église Saint-Hippolyte<br />

HISTORIQUE<br />

Vente, Paris, 15 mars 1894 (n°73). Donné à l’église Saint-Hippolyte avant 1923<br />

A\ribuée successivement à l’école italienne de la fin du XVI e siècle puis à l’école française du<br />

XVII e siècle, ce tableau est en fait une œuvre espagnole, tout-à-fait typique de la peinture des années<br />

1590-1620. C’était l’époque de la mise en place en Espagne de la réforme catholique issue du concile<br />

de Trente qui s’accompagna d’un renouvellement de la producdon picturale. Celle-ci était, à Madrid et<br />

dans sa région, fortement influencée par le foyer ardsdque que représentait le tout récent Palais-<br />

Monastère de l’Escorial (1563-v.1598) avec son décor peint en grande parde vers par des ardstes venus<br />

d’Italie.<br />

<strong>La</strong> première mendon de ce\e Visita&on en France correspond au n° 73 d’une vente aux<br />

enchères anonyme organisée à Paris, le 15 mars 1894, par le commissaire-priseur Duchesne et l’expert<br />

Henri Haro dont on sait qu’il vendait souvent des tableaux « venus d’Espagne ». Le catalogue précisait<br />

que l’œuvre venait d’une église d’Avila. Probablement donnée par un paroissien, elle était déjà dans<br />

l’église paroissiale Saint-Hippolyte en 1923 lors de l’achèvement des travaux d’agrandissement de ce<br />

nouvel édifice commencé en 1909 et consacré en 1910.<br />

L’œuvre est structurée par une architecture tripardte feignant la pierre qui imite celle adoptée<br />

alors très fréquemment en Casdlle pour les nombreux nouveaux retables, en ce\e période d’intense<br />

construcdon religieuse. On retrouve aussi ce schéma dans les illustradons des pages de garde des livres<br />

de l’époque. Ce\e imitadon de l’architecture d’un retable architectural tout comme le fait que le<br />

support soit en bois et que les dimensions soient assez modestes suggère que le tableau, se trouvait<br />

probablement dans une église, au-dessus d’un autel dans une chapelle latérale, peut-être concédée à<br />

une famille ou une confrérie. Les aigles placés en vis-à-vis dans un cartouche au registre inférieur des<br />

travées latérales ne semblent être qu’un modf décoradf qui pourrait être une udlisadon maladroite de<br />

l’emblème héraldique des Habsbourg en Espagne depuis Philippe II.<br />

Inseré dans une arche feinte et occupant toute la hauteur du tableau, le panneau central<br />

représente avec toute la clarté et simplicité iconographique encouragées par la réforme catholique le<br />

récit de la Visitadon selon l’évangéliste saint Luc (Lc 39-45). Traité de manière monumentale par<br />

rapport au reste du tableau, le premier plan illustre le moment où Elisabeth, remplie du Saint Esprit à<br />

la vue de Marie, lui dit : « Tu es bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de ton sein ! Et comment<br />

m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? » Le peintre a traduit cet acte de foi par la<br />

génuflexion que fait Élisabeth, plus agée, également enceinte, devant sa jeune cousine dont la<br />

grossesse est beaucoup plus visible. C’est un geste assez rare dans l’iconographie du sujet que l’on<br />

retrouve d’ailleurs aussi dans la Visita&on avec Marie-Jacobie et Marie-Salomé du florendn Domenico<br />

Ghirlandaio (1491, Paris, Musée du Louvre). Leurs bras qui s’entrelacent et leur intense échange de<br />

regard semblent accompagner leurs prières mutuelles de louange à Dieu. L’arrière-plan complète<br />

l’illustradon du récit néo-testamentaire avec un paysage montagneux qui évoque ce voyage que fit<br />

Marie, peu après l’Annonciadon, vers « le haut pays, dans une ville de Juda » pour visiter sa cousine<br />

Elisabeth. Ce paysage, traité de de manière presque monochrome, rappelle ceux, bien connus en


Espagne, qu’avaient gravés le hollandais Cornelis Cort (vers 1533-1578). Sur la gauche du tableau,<br />

faisant la transidon entre l’arrière-plan et le premier, Zacharie sur le pas de sa porte nous rappelle que<br />

« [Marie] entra chez Zacharie et salua Elisabeth ». Placée un peu plus en avant, sur la droite, la<br />

compagne de voyage de la Vierge se dent en discret retrait du groupe central. Le récit biblique ne<br />

mendonne pas sa présence, que le simple bon sens rend évidente. Elle apparait, seule ou en groupe,<br />

vieille ou jeune, paysanne ou citadine, dès le début du Qua\rocento. L’emploi sobre des couleurs, sans<br />

fioriture décoradve, qui permet une vision immédiate du sujet et ne détourne pas l’a\endon est une<br />

autre caractérisdque de la peinture post-tridendne adoptée ici.<br />

En se fondant sur les couleurs rouge et bleu tradidonellement udlisées pour les vêtements de<br />

la Vierge, le peintre a simplement joué sur les trois couleurs primaires et les deux secondaires pour<br />

me\re en valeur le groupe des trois femmes. <strong>La</strong> composidon des deux travées latérales avec, au-dessus<br />

des modfs décoradfs du soubassement, un registre médian occupé par un saint en pied dans une niche<br />

surmontée au registre supérieur d’une effigie féminine coupée un peu plus qu’à mi-corps est une<br />

typologie très fréquente dans la Casdlle de ce\e époque. Traitées à une échelle beaucoup plus réduite<br />

que les autres personnages du tableau, les figures des deux grands patrons de l’Église, saint Pierre et<br />

saint Paul, munis de leurs a\ributs spécifiques et vêtus de leurs couleurs tradidonelles, sont peintes<br />

avec beaucoup plus de finesse que le reste de l’oeuvre mais semblent cependant de la même main.<br />

Pour simuler des statues en ronde-bosse, le peintre a udlisé un jeu d’ombre et de lumière dans la<br />

niche, une posidon en contrapposto et un effet de trompe l’œil dans la posidon des mains et des pieds.<br />

On retrouve au registre supérieur la manière plus épaisse caractérisdque du panneau central. <strong>La</strong><br />

représentadon de Salomé portant le trophée qu’elle a tant désiré, la tête de Jean le Bapdste qu’elle a<br />

réussi à faire décapiter, permet certes d’évoquer la figure du saint Précurseur, fils d’Élisabeth mais<br />

semble un choix un peu naïf car elle est bien loin d’être une sainte et d’avoir droit aux honneurs des<br />

autels. Les nombreuses peintures consacrées à ce sujet sont en général des œuvres indépendantes.<br />

Sa posidon par rapport au tableau central s’harmonise avec celle de saint Pierre au registre inférieur<br />

mais pas avec celle, au même registre qu’elle, de Sainte Catherine d’Alexandrie, traitée de manière<br />

frontale.<br />

Ce tableau est donc caractérisdque de la producdon ardsdque de l’école madrilène au début<br />

du XVII e siècle fortement influencée par les peintures de l’Escorial et l’esprit de la réforme posttridendne.<br />

Plusieurs éléments suggèrent un rapprochement avec l’œuvre d’un des principaux<br />

représentants de ce\e école, le peintre <strong>Eugenio</strong> Cajés (1576-1634) fils d’un ardste toscan axré en<br />

Espagne par le chander de l’Escorial. Des similitudes sont en effet évidentes aussi bien dans l’udlisadon<br />

des couleurs que dans le canon allongé des corps, issu du maniérisme italien. <strong>La</strong> pose de sainte<br />

Élisabeth rappelle celle de sainte Anne dans une œuvre majeure de Cajés, <strong>La</strong> Rencontre à la Porte<br />

Dorée (Madrid, Real Academia de Bellas Artes de San Fernando). Les deux apôtres sont proches de<br />

ceux de l’Assomp&on de la Vierge (Madrid, musée du Prado). Mais le traitement plus lourd des autres<br />

corps, le dessin assez schémadque des visages et certaines maladresses, notamment dans les<br />

propordons des registres des panneaux latéraux, obligent à éme\re des réserves sur une a\ribudon<br />

totalement convaincante à <strong>Eugenio</strong> Cajés.<br />

Véronique Gerard Powell<br />

Nodce de l’œuvre dans le cadre du Recensement des peintures ibériques dans les collecdons publiques<br />

en France : h\ps://agorha.inha.fr/ark:/54721/73e23d9f-471a-4cfd-8888-b8aa4ce3ae92

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