2023_12_15_Géopolitique_CR
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Intervenants :<br />
Antoine Arjakovsky, Jean-Pierre Filiu, Antoine Fleyfel<br />
Les conflictualités intra-orthodoxes<br />
Intervenants :<br />
Antoine Arjakovsky, docteur en histoire, co-directeur du département de recherche Politique et<br />
religions du Collège des Bernardins, fondateur de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv,<br />
directeur du département Ukraine de l’Institut chrétiens d’Orient<br />
Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant, diplômé de l’INALCO, professeur des universités en<br />
histoire du Moyen-Orient, Sciences Po Paris<br />
Antoine Fleyfel, docteur en théologie (Strasbourg) et en philosophie (Paris I), fondateur et<br />
directeur de l’Institut chrétiens d’Orient, Paris<br />
Coordination : Antoine Arjakovsky<br />
Introduction<br />
Cette séance portera sur les conflictualités entre les Églises orthodoxes du patriarcat de<br />
Constantinople, du patriarcat de Moscou, de l’Église orthodoxe d’Ukraine, des patriarcats<br />
d’Antioche, de Jérusalem, d’Alexandrie, de la métropole de Chypre, des Églises de Grèce, de<br />
Bulgarie, de Roumanie, d’Albanie…, mais aussi plus largement des Églises chrétiennes<br />
orientales présentes en Méditerranée (chalcédoniennes et non-chalcédoniennes). L’enjeu de la<br />
séance consistera dans un premier temps à évaluer le degré de manipulation des Églises dans<br />
les conflits en cours en Europe orientale et au Proche Orient, les deux conflits étant profondément<br />
liés par une même confrontation entre deux visions du monde opposées, post-modernisme et<br />
néo-humanisme. Le président de Russie, Vladimir Poutine, a mentionné en effet le 24 février<br />
2022 la protection des chrétiens orthodoxes en Ukraine comme l’un de ses objectifs de guerre.<br />
On présentera aussi le rôle des Églises d’Orient dans la formation des conflits qui affectent<br />
l’Europe orientale ainsi que le Proche Orient, mais aussi leurs responsabilités dans leur diffusion<br />
dans le monde au-delà même de la zone orientale. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la rivalité<br />
entre le patriarcat de Moscou et le patriarcat d’Alexandrie a conduit à une concurrence acharnée<br />
entre les deux Églises sur tout le continent africain, appuyée la plupart du temps par les<br />
diplomates russes mais aussi les groupements de mercenaires russes. Dans ce contexte, on<br />
essaiera d’évaluer le poids géopolitique des Églises dans les rapports de force existants. Enfin<br />
on cherchera à comprendre s’il existe des forces constructives de paix au sein du monde<br />
orthodoxe et oriental, tant sur un plan interne que sur le plan œcuménique (au sens large transreligieux<br />
du terme). L’Église orthodoxe d’Ukraine joue en l’occurrence une partie bien différente<br />
que sa rivale, l’Église orthodoxe ukrainienne.<br />
Collège des Bernardins - 20 rue de Poissy - 75005 Paris<br />
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Antoine Arjakovsky<br />
<strong>Géopolitique</strong> de l'Église orthodoxe et montée des tensions en Méditerranée<br />
Les Églises orthodoxes sont impliquées dans une nouvelle guerre idéologique prenant une<br />
dimension planétaire. Celle-ci se joue, non pas entre dictatures et démocraties, mais entre une<br />
pensée post-moderne ou anti-moderne désillusionnée et autocratique et une pensée néohumaniste<br />
en quête de nouveaux modèles de gouvernance, tant religieux que politiques.<br />
Parmi les exemples les plus évidents de l’implication des Églises orthodoxes dans cette guerre<br />
des idées, on peut mentionner l’utilisation (consentante) du patriarcat de Moscou par le<br />
gouvernement russe pour justifier l’invasion de l’Ukraine ou encore l’intervention en Syrie de<br />
l’armée russe. Le président Poutine mentionne en particulier comme objectif de guerre la<br />
protection des chrétiens orthodoxes en Ukraine au nom de l’idéologie du « monde russe ». La<br />
Russie se présente également comme la protectrice de la Syrie et des chrétiens d’Orient (au point<br />
que des représentants de l’Eglise russe ont parlé de « guerre sainte » en 20<strong>15</strong>). Le patriarcat de<br />
Moscou, pour sauver le patriarcat d’Antioche de l’influence jugée délétère du patriarcat de<br />
Constantinople, a ainsi obtenu que l’Eglise de Damas annule sa participation au concile panorthodoxe<br />
de Crète.<br />
Il y a peu de travaux sur le sujet. Mentionnons néanmoins l’article récent en novembre <strong>2023</strong> de<br />
l’universitaire américaine Élisabeth Prodromou, du Centre de recherche de Berkeley,<br />
« Diplomacy, geopolitics and global orthodox christianity in the 21st century ».<br />
Pour résumer, il existe aujourd’hui trois lignes de tension majeures actuellement au sein de ces<br />
Églises qui ont des répercussions directes sur la guerre mondiale en cours :<br />
La lutte pour le leadership entre le patriarcat de Moscou et le patriarcat de Constantinople qui a<br />
abouti à un schisme en octobre 2018.<br />
Le schisme en Ukraine, 2e plus importante Église orthodoxe dans le monde, entre l’Église<br />
orthodoxe ukrainienne (relevant du patriarcat de Moscou malgré ses dénégations) et l’Église<br />
orthodoxe d’Ukraine (autocéphale, mais ne disposant que d’une reconnaissance limitée).<br />
La théologie politique des Églises orthodoxes est très différente entre les Églises ayant accepté<br />
la Modernité (liberté de conscience, séparation avec les États, engagement œcuménique ...) et<br />
les Églises nostalgiques de la symphonie byzantine ou désireuses de mettre en place des<br />
Églises-États civilisations.<br />
Parmi les voies possibles de résolution de ces conflits on peut mentionner :<br />
• La théologie nouvelle, dite de l’École de Paris, qui propose une ecclésiologie nouvelle sur<br />
la base d’une métaphysique œcuménique, personnaliste, sapientielle, ternaire et<br />
eschatologique.<br />
• Le rôle que pourraient jouer les autres Églises chrétiennes, à commencer par l’Église<br />
gréco-catholique ukrainienne, pour faciliter la formation des Églises orthodoxes à la<br />
pensée néo-humaniste et à l’ecclésiologie œcuménique.<br />
• Les initiatives de laïcs qui proposent de réanimer, indépendamment des institutions<br />
ecclésiales, des structures pluri-ecclésiales et œcuméniques, telles que Syndesmos,<br />
mouvement de la jeunesse orthodoxe, en vue de relancer le processus conciliaire.<br />
Jean-Pierre Filiu<br />
La reculade américaine d’août 2013, après le bombardement chimique de Damas, a convaincu<br />
Poutine que les réactions occidentales seraient tout aussi modérées face à l’annexion russe de<br />
la Crimée, décrétée six mois plus tard. Un tel coup de force, loin d’être sans lendemain, a marqué<br />
le début de la guerre d’usure du Kremlin contre une Ukraine jugée à la fois trop indépendante et<br />
trop libérale, tandis que la Russie, en septembre 20<strong>15</strong>, passait en Syrie de l’engagement<br />
substantiel, mais indirect, à la campagne militaire d’ampleur. Les techniques offensives que<br />
Moscou a testées, puis banalisées, sur le théâtre syrien ont, depuis l’invasion de février 2022,<br />
démontré leur portée destructrice en Ukraine, afin d’y terroriser la population et de la pousser à<br />
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l’exode. C’est le cas des bombardements d’hôpitaux, d’écoles et d’infrastructures publiques, mais<br />
aussi des bien-mal nommés « corridors humanitaires », où les civils sont piégés pour mieux faire<br />
pression sur la résistance locale. Le parallèle a d’ailleurs été régulièrement tracé entre le siège<br />
dévastateur d’Alep, en 2016, et celui de Marioupol, six années plus tard, avec dans les deux cas<br />
destruction méthodique d’un bastion de la résistance, finalement contrainte à la capitulation sur<br />
un champ de ruines.<br />
Antoine Fleyfel<br />
Quel rôle négatif ou positif jouent dans la guerre entre le Hamas et Israël les Églises du Proche-<br />
Orient y compris dans leurs connexions avec l’islam et le judaïsme ?<br />
Réfléchir à cette question mène à une double investigation qui concerne le positionnement des<br />
Églises et le rôle qu'elles jouent.<br />
D'emblée, il faut éviter toute vision uniforme du positionnement, car celui-ci varie d'une<br />
communauté à une autre. D'un point de vue historique, le positionnement varie énormément en<br />
fonction des constructions identitaires, le nationalisme libanais, le nationalisme arabe, le<br />
nationalisme copte ou le nationalisme assyrien. D'un point de vue géopolitique, les Églises ne<br />
peuvent pas adhérer à des postures contraires à celles des politiques des États où elles se<br />
trouvent, Liban, Syrie, Égypte, Jordanie, Irak, Israël et Palestine. Leur marge de manœuvre<br />
dépend des positions de ces pays vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, et la position<br />
propalestinienne de presque toutes les Églises relèvent plus de la conviction que du devoir. Par<br />
ailleurs, en Palestine, les communautés participent au conflit, et elles sont du côté des victimes<br />
palestiniennes. Cela rend le dialogue avec le judaïsme quasi-inexistant.<br />
Pour investir la question du rôle il faudra examiner trois éléments. Le fait que ces communautés<br />
aient été historiquement instrumentalisées par les grandes puissances au moins depuis la<br />
question d'Orient et jusqu'à aujourd'hui, avec des proportions relatives au poids démographique<br />
et politique des communautés. Leur incapacité à jouer un rôle immédiat eu égard à leur<br />
dépendance d'un contexte plus large qui les dépasse à tous les niveaux et qui les contraint par<br />
sa nature. Le Liban fait sur ce plan figure d'un cas particulier, mais les chrétiens y sont fortement<br />
affaiblis. Enfin, c'est sur le plan d'une vision globale que leur rôle paraît être important, à travers<br />
le dialogue interreligieux (actuellement surtout islamo-chrétien) qui se constitue en antidote à la<br />
violence, et leur quête de la citoyenneté, élément bénéfique pour toutes les communautés.<br />
La question du rôle des Églises dans ce conflit est donc délimitée par leurs milieux de vie.<br />
Cependant, il est certain que le dialogue en tant qu'il ouvre à l'autre, et la citoyenneté en tant<br />
qu'elle le reconnaît comme égale sont des apports positifs et urgents qu'il faudra mettre à<br />
contribution pour trouver une solution de paix.<br />
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