17_01_2024_EB_SY_Médecine et idéologie

Soigner le corps du peuple. L’éthique médicale nazie
Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne
et du nazisme, Sorbonne Université
L’exposé du Pr. Johann Chapoutot historien et spécialiste de l’Allemagne contemporaine et du
nazisme explore la pensée nazie à l’aune de la pratique médicale en la contextualisant. En partant
du principe que le nazisme n’est pas un accident de l’histoire mais un système de pensée
rationnel et cohérent qui vise à réaliser une révolution conservatrice et culturelle. La pensée
nazie, si elle a une généalogie, a aussi une filiation dans le management moderne.
Dans un premier temps « Prendre les nazis aux sérieux en embrassant l’univers mental des
acteurs des crimes nazis » sera la démarche de l’historien : nous avons à faire à des êtres
humains qui évoluent dans un univers de sens et de valeurs et la tentation est forte de les
cataloguer dans le supra, infra, para humain, psycho pathologique.Or ce sont des gens qui ont
besoin de raison pour faire ce qu’ils font, pour justifier l’assassinat d’enfant notamment.
L’explication psycho pathologique souvent soulevée ne tient pas. Cette approche est donc exclue
par l’historien. Ces acteurs ne sont pas affectés de problèmes psychologiques et la quasi-totalité
de ceux-ci sont normaux. Les nazis s’inscrivent donc dans un univers de légitimation et de
légalisation de leurs actes.
Le nazisme devient une religion de substitution dans une période de déchristianisation accrue.
En effet, après la première guerre mondiale l’Allemagne n’existe plus. Dieu tend à disparaître, la
crise chez les protestants et les catholiques constitue un terrain propice à une religion de
substitution. Le nazisme apparait comme un système de « désangoissement ». C’est un discours
de sens qui vient expliquer les raisons de vivre /de se battre /et de mourir pour que l’Allemagne
vive …
Comment expliquer la contradiction entre le serment d’Hippocrate et la nazification de la
profession médicale ?
Il est nécessaire de se replacer dans le contexte du III e Reich. Les médecins sont une élite sociale
qui va à l’université et obtiennent des doctorats. La bourgeoisie Allemande est une bourgeoisie
de culture particulariste attirée par les thèses d’anthropologie raciale. Les nazis se sont coulés
dans un moule qui préexistait dans la société. L’université des années 20 constitue un bastion de
réactionnaires. Syndicats de droite et d’extrême droite prédominent. Le nationalisme ethnique
sévit, avec des cours tels que l’hygiène raciale, l’anthropologie raciale. La race est un concept
scientifique.
« Le positivisme bio politique » est le maître mot : on croit à la science et on doit écouter les
médecins pour la protection de la race. Les nazis donnent ainsi les clefs aux médecins. L’appareil
nazi saisit l’état le 30 janvier 1933, la corporation médicale s’y joint.
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La loi du 7 avril 1933 restaure la fonction publique allemande ; deux décrets de lois suivent :
- Interdiction du pluralisme
- Création des tribunaux de santé héréditaires
Ces derniers examinent les dossiers de malades avec des pathologies héréditaires et afin de ne
pas transmettre cette hérédité, mettent en place une politique de stérilisation forcée dont 400 000
personnes seront victimes (contre 80 000 aux US). Ils considèrent que l’Allemagne est en voie
d’extinction démographique et biologique. L’addition de l’effondrement de la natalité et du terrible
bilan de la première guerre mondiale suscitent une peur panique de l’extinction biologique de
l’Allemagne. Ceci ajouté au contexte du traité de Versailles, nourrit la droite nationaliste.
Dans ce contexte, la biopolitique nazie offre des solutions ; la création des Lebens Born, qui
accueillent les filles mères allemandes, ont ainsi vu naître 10 000 enfants de « bonne race » …
Le serment d’Hippocrate aurait donc été mal compris. On ne doit pas soigner l’individu, qui
n’existe pas en tant que tel. Le réfèrent n’est pas l’individu mais le grand tout. Il s’agit de « soigner
le corps du peuple - le grand tout de la race ». Le corps du peuple allemand est un corps
organique et non un corps métaphorique. Les SS sont les médecins du corps allemand avec
comme objectif de lutter contre la dégénérescence du peuple. Le potentiel de légitimation est
immense pour les médecins, à l’image du Docteur Gerhard Wagner. Il permet d’agir en criminel
en toute bonne conscience. Le concept de performance est central dans l’univers normatif des
nazis. Seule la vie germanique vaut la peine d’être vécue et doit être évaluée en fonction de sa
capacité de procréation et de performance économique.
On passe donc de la stérilisation forcée à l’assassinat de masse (alcooliques, malades
incurables)
Quid des personnes âgées et des mutilés de guerre ?
Bibliographie
Le National-socialisme et l'Antiquité, PUF, 2008 (rééd. coll. « Quadrige », 2012 (ISBN
213060899X)).
L'Âge des dictatures. Régimes autoritaires et totalitarismes en Europe (1919-1945), Presses
universitaires de France, 2008
Réédition : Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe (1918-1945), PUF, coll. «
Quadrige », 2013 (ISBN 2130618758).
Le Meurtre de Weimar, PUF, 2010, coll. « Quadrige », 2015 [ (ISBN 2130653049)
Prix Eugène-Colas 2011 de l'Académie française.
Le Nazisme. Une idéologie en actes, La Documentation française, 2012.
Histoire de l'Allemagne (1806 à nos jours), PUF, coll. « Que-sais-je », 2014, 2e édition, 2017
(ISBN 2130787967)
La Loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires
», 2014, 567 p. (ISBN 978-2-07-014193-7 et 2-07-014193-4)
Prix Émile Perreau-Saussine 201519.
Avec Jean Vigreux, Des soldats noirs face au Reich : Les massacres racistes de 1940, PUF,
2015.
La Révolution culturelle nazie, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires »,
2017, 288 p. (ISBN 978-2-07-011769-7 et 2070117693).
Comprendre le nazisme, Paris, Éditions Tallandier, 2018, 426 p. (ISBN 979-10-210-3042-8).
Avec Christian Ingrao, Hitler, Paris, PUF, 2018, 212 p.
Libres d'obéir : le management, du nazisme à aujourd'hui, Paris, Éditions Gallimard, coll. « NRF
Essais », 2020, 176 p. (ISBN 978-2-07-278924-3)
Les 100 mots de l'histoire, Que sais-je ?, PUF, Paris, 2021, 128 p. (ISBN 978-2130735175).
Le Grand Récit. Introduction à l'histoire de notre temps, Paris, PUF, 2021, 380 p. (ISBN 978-
2130825364).
"Chaque geste compte". Manifeste contre l'impuissance publique, avec Dominique Bourg,
Gallimard (Tracts), 2022, 64 p. (ISBN 978-2073020246)
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