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Herman Parret

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de l’artiste. Cette passion de l’artiste consistait entre autres à figurer le philosophe<br />

Garroni: c’est l’énigmatique Autoritratto de 1984, exposé récemment à Rome. Qu’il me<br />

soit permis de contempler à ma manière cet autoportrait, même si aucuns vont m’accuser<br />

de Hineininterpretierung. Polyptique d’un univers sectionné, d’objets anodins – ciseaux,<br />

tipex, interrupteur, couteau, lampe de bureau, collier enfantin de perles – dans une<br />

architecture quotidienne aux coins carrés, un ensemble d’instruments d’intellectuel,<br />

bande dessinée, roman et deux fois la Critique de la faculté de juger, lumière blatarde et<br />

tonalité d’une paleur grisaille, jaunâtre. Ce rébus rassemble toutes ces parcelles et se<br />

présente en outre comme un corps fragmenté, comme une taxinomie des organes des cinq<br />

sens. Les deux yeux cyclopiques, monstrueux dans leur animalité voyeuriste, sont<br />

enfermés dans les bocaux de pharmacie, comme pour conjurer le pouvoir des regards, les<br />

bannir, les domestiquer. Le nez est bien planté au centre, sur une assiette tel qu’est offert<br />

un amuse-gueule, et les deux oreilles ne manquent pas, l’oreille droite tout en écoute de<br />

la leçon kantienne, l’oreille gauche appuyée sur la beauté simple de ces perles d’enfant.<br />

(Ill. 17) La main, organe du toucher, se cramponne sur la tablette comme une main de<br />

noyé, main sans bras, sans corps, sans source vitale par conséquent. La main, dans<br />

l’univers soigneusement ordonné de ce polyptique, figure évidemment comme emblème<br />

du toucher. Rien de plus traditionnellement philosophique d’ailleurs. Je m’autorise de<br />

citer un court passage de Jacques Derrida. Derrida s’y étonne que les grandes<br />

philosophies du toucher - la phénoménologie husserlienne, l’anthropologie kantienne -<br />

n’invoquent que la main et les doigts comme organes-symboles du toucher (Le toucher,<br />

Paris, Galilée, 2000, 188) ((Ill. 18).<br />

Mais pourquoi seulement la main et le doigt? Et pourquoi pas mon pied et les doigts de mon<br />

pieds? Ne peuvent-ils toucher une autre partie de mon corps et se toucher les uns les autres? Et les lèvres,<br />

surtout? Toutes les lèvres sur les lèvres? Et la langue sur les lèvres? Et la langue sur le palais ou bien<br />

d’autres parties de ‘mon corps’ [...] Et les paupières dans le clin d’oeil? Et les parois de l’orifice anal ou<br />

génital...?<br />

Les lèvres et la bouche, les voici dans l’autoportrait, sur un vulgaire lavabo de<br />

salle de bain, une bouche entrouverte, aux lèvres voluptueuses, à la peau meurtrie,<br />

incroyablement obscène, bouche gourmande qui aspire de l’air, fissure dans la surface<br />

solide, orifice animal, vaginal, anal, et si la surface n’est pas solide, elle est aquatique,<br />

ridée par l’écume des vagues, d’où sort en désespoir la bouche du naufragé, bouche<br />

incroyablement sensuelle, bouche de baiser, le baiser de Galathée pour Pygmalion et sa<br />

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