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insiste que le peintre, esprit géométrique déployant la compétence de l’”oeil mental”, est<br />
également un homme de goût dans la composition harmonieuse de l’istoria et dans la<br />
disposition des couleurs. En plus, le peintre doit être capable de plaire et de séduire, et<br />
c’est ainsi que le voir de l’artiste est bien plus qu’une simple faculté de géométrisation: il<br />
est enchâssé dans un conglomérat socio-psychologique. L’oculocentrisme d’Alberti est<br />
mis en question dans Della Pittura même et la possibilité d’un “voir pur” nettement<br />
relativée.<br />
(Ill. 3) Si l’on passe du regard “qui voit” au regard “qui regarde”, on enrichit le<br />
regard d’une pouvoir herméneutique, capable d’une analyse de la sémantique interne<br />
d’un objet d’art. On a souvent suggéré que l’apologie du regard “qui regarde” culmine<br />
dans le modernisme, à partir de Manet, là justement où les personnages du tableau, en<br />
regardant intensément vers l’extérieur, entrent en dialectique avec le regard du spectateur.<br />
Telle est l’esthétique dialogique du Chemin de fer, de 1872, un Manet parmi les plus<br />
prophétiques. Victorine, la jeune femme figurée dans ce tableau, semble interpellée par<br />
un passant dans la rue, elle est visiblement surprise et affectée, elle rougit... La rougeur<br />
sur les joues intensifie la force de l’appel de son regard, et ainsi le passant lui-même,<br />
extérieur au tableau, est intégré dans l’oeuvre. La présence du regard “qui regarde”<br />
analytiquement et dialogiquement, regard subjectivé et subjectivant, serait par conséquent<br />
la stratégie moderniste par excellence.<br />
L’apologie du toucher: Canova, Nietzsche, Husserl<br />
(Ill. 4) Non pas le regard qui voit ou le regard qui “regarde” mais le regard qui<br />
touche est le thème de l’exposé d’aujourd’hui que je place sous le patronage d’Antonio<br />
Canova. Il convient de saisir comment l’expérience esthétique peut être déterminée<br />
comme une expérience du toucher. Ainsi l’omnipuissance de la vue (vision) comme point<br />
de rattache de notre sensibilité au monde y est mise en question. Nietzsche déjà<br />
condamnait férocement l’oculocentrisme de la métaphysique occidentale et le mythe<br />
dominant de la ‘transparence’, de la ‘pureté’, de la ‘neutralité’ du regard. Pour<br />
concrétiser, le dégoût de Nietzsche pour l’impressionisme en peinture était dicté par la<br />
méfiance pour une esthétique oculocentrique et, plus en général, pour le paradigme<br />
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