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orientations. Le corps propre est également le support du libre mouvement et l’organe du<br />
vouloir. Le toucher encore rend possible cette orientation du corps, et le mouvement<br />
corporel spontané est essentiellement contraint par les virtualités du corps tactile: c’est la<br />
main qui heurte, soulève, saisit, tout comme le pied qui touche et met en mouvement le<br />
corps selon les obstacles mondains. Husserl n’hésite pas à élargir encore par<br />
transposition la signification du corps propre, par conséquent du toucher, pour des<br />
sphères d’objectités supérieures comme les actes d’évaluation et les vécus intentionnels<br />
sophistiqués. L’appréhension tactile reste pour Husserl le “modèle” de n’importe quelle<br />
saisie intentionnelle et évaluative.<br />
Puisque je me suis proposé de réfléchir sur “l’oeil qui caresse” (l’occhio che<br />
accarezza), je m’étendrai un instant sur la caresse et la main qui caresse. La<br />
phénoménologie du toucher comporte une véritable apologie de la main et de ses traces<br />
durables, profondes. Merleau-Ponty, dans L’oeil et l’esprit, ne manque pas de constater<br />
que dans la peinture, “l’oeil est ce qui a été ému par un certain impact du monde. [Il] le<br />
restitue au visible par les traces de la main” (L’oeil et l’esprit, 26), et voici un excellent<br />
commentaire à propos de cette position de Merleau-Ponty: “Le feu de l’apparaître<br />
embrase la main qui, dans le geste de peindre, restitue au monde visible l’invisible par<br />
lequel elle a été touchée”; “l’oeil et la main du peintre jouent [...] le rôle essentiel d’un<br />
relais ou d’une médiation dans le circuit de l’apparaître qui va de la chose à la peinture”<br />
(R. Bernet, “Voir et être vu. Le phénomène invisible du regard et de la peinture”, Revue<br />
d’esthétique, 33, 1999, 40-43). L’apologie de la main chez Husserl est telle que,<br />
contrairement à Merleau-Ponty, il tend à dissocier la main de l’oeil. Non seulement il y a<br />
chez Husserl une excellence du toucher parmi les sens, mais également de la main parmi<br />
les parties ou organes du corps propre tactile, et des doigts au bout des mains. La main et<br />
ses doigts sont omniprésents dans les textes de Idées II. Non pas le doigt pointé qui<br />
montre et signale mais le doigt qui touche, en toute excellence réflexive. Derrida a bien<br />
remarqué cette hypostase de la main et de ses doigts chez Husserl: “Là où il est question<br />
du toucher, il n’est pratiquement question que des doigts de sa main” (J. Derrida, Le<br />
toucher. Jean-Luc Nancy, Paris: Galilée, 2000, 193).<br />
J’ouvre une brève parenthèse pour montrer que la grande tradition philosophique<br />
‘tactiliste’ ou ‘haptocentrique’, jusqu’à Husserl, a toujours reconnu la signification<br />
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