Homályzónák Zones d' Ombre - MEK - Országos Széchényi Könyvtár

dont la famille s’était établie en Basse-Autriche. Embarqué sur les galères de Malte à vingt
ans, il rêva toute sa vie de pourfendre hérétiques et mécréants. Son passage à l’Université
de Vienne à partir de 1667 ne devait pas modérer ses sentiments à l’égard des Juifs.
Vingt ans plus tard, il les considérait encore comme un mal nécessaire (tanquam malum
necessarium) pour le royaume de Hongrie et estimait que le but à atteindre était de les
en chasser purement et simplement 21 . Mais surtout à ce moment, l’empereur était influencé
par sa jeune épouse, l’infante Marguerite Thérèse et par le confesseur de cette
dernière, un Franciscain espagnol – le témoignage de l’ambassadeur vénitien Marino
Zorzi est accablant à ce sujet 22 .
A cela venait s’ajouter l’hostilité déclarée de la population viennoise, qui avait toujours
critiqué la politique tolérante des Habsbourg. Aussi le moindre incident risquait de mettre
le feu aux poudres. Le prétexte fut au printemps 1665, un meurtre mystérieux. Le 12 mai
1665, des passants découvrirent une femme coupée en morceaux ; elle avait été ficelée
dans un sac qui avait été déposé dans l’abreuvoir du ghetto. Des rumeurs incontrôlées
prétendaient que la victime avait été vue pour la dernière fois dans la Judenstadt (c’està-dire
le ghetto). De là à conclure à un meurtre rituel, il n’y avait qu’un pas 23 , que l’opinion
franchit allègrement. Les habitants du ghetto, accusés sans preuves, bénéficièrent d’un
non-lieu, mais en 1667 le négociant juif Hirschel Mayer, accusé de malversations par la
Chambre des Comptes, dénonça, pour se sauver, certains de ses coreligionnaires avec
lesquels il était en mauvais termes 24 . L’accusation était sans fondement, mais l’opinion
viennoise accusa de nouveau les Juifs et réclama, non sans tumulte, leur départ 25 . C’est
pourquoi Léopold 1 er nomma une commission d’enquête qui opina dans ce sens, fortement
appuyée par le magistrat de Vienne. Seul le chef du Conseil privé, le prince Lobkowitz,
de tendance libérale, était hostile à cette mesure, mais la commission, qui était
dirigée par Hocher et Kollonich, accumula les arguments les plus hétéroclites, où étaient
mêlés les reproches d’ordre moral et religieux aux critiques d’ordre financier 26 . En mars
1670 l’ordonnance de bannissement et les efforts désespérés de la communauté ne purent
obtenir que des délais dérisoires 27 . Le « pardon » acheté à prix d’or ne fut pas, comme
tant d’autres fois, accordé par le souverain. Il est vrai que la jeune impératrice attribuait
la série de fausses couches dont elle était victime à la présence des Juifs dans sa
21
Léopold Kollonich, Einrichtungswerk des Königreichs Ungarn,1688, Édité et traduit de l’allemand par Jean Berenger, Paris Champion, 2011. Il
s’agissait d’un vaste plan de réorganisation de la Hongrie libérée de l’occupation ottomane. Rédigé en allemand, ce rapport était censé résumer les
travaux d’une commission de conseillers d’Etat que présidait Kollonich. En fait c’était l’œuvre de ce dernier.
22
Dépêche de Marino Zorzi du 8 mars 1670 au Sénat de Venise, Venise Archivio di Stato, Senato, Dispacci da Germania Filza (liasse) 135. L’antisémitisme
castillan est une tradition qui remonte au XVe siècle : les Juifs d’Espagne et du Portugal avaient été obligés de s’exiler après 1492.
23
David Kaufmann, Die letzte Vertreibung…, op. cit., pp. 89-90.
24
Theatrum Europæum, t. X, p. 758 BnF, Paris, G 903, ainsi que David Kaufmann, Die letzte Vertreibung …, op. cit., pp. 97-105.
25
Dépêche de Grémonville (ministre de France à Vienne) en date du 9 mai 1669. M.A.E Paris, Correspondance Politique Autriche, vol. 55, f° 10.
26
Rapport de l’année 1669, cité par David Kaufmann, Die letzte Vertreibung…, op. cit., pp. 109-110.
27
Theatrum Europæum, t. X, pp. 528-529.
22 Je an Bérenger