Leituras de Bocage - Repositório Aberto da Universidade do Porto
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0 leituras <strong>de</strong> bocage<br />
les vues <strong>de</strong> Lucrèce entrent en résonance, par l’entremise du mot “cause”, avec les célèbres variations<br />
du chapitre Des Boyteux insistant sur la distinction entre discours sur les “causes” (tenues à distance) et<br />
discours sur les “choses”.<br />
A la source <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> l’épicurisme, il y avait eu, aussi, l’hé<strong>do</strong>nisme “libertin” <strong>de</strong>s années<br />
Théophile <strong>de</strong> Viau, fortement teinté <strong>de</strong> naturalisme renaissant et faisant la part belle à la liberté <strong>de</strong><br />
l’imagination - la réhabilitation du plaisir sous toutes ses formes, et au premier chef, <strong>de</strong>s plaisirs en<br />
mouvement, renvoyant alors à toute une vision baroque du cosmos et <strong>de</strong> ses forces. Dans un passage<br />
d’une étrange beauté, Francion, héros du grand roman <strong>de</strong> Charles Sorel, s’en était fait l’écho en déclarant,<br />
au cœur <strong>de</strong> l’orgie <strong>de</strong>s “Généreux”: “Mon naturel n’a <strong>de</strong> l’inclination qu’au mouvement […]<br />
mon souverain plaisir est <strong>de</strong> frétiller, je suis tout divin, je veux être toujours en mouvement comme le<br />
ciel”.<br />
Il y avait eu, surtout, après les affirmations hétéro<strong>do</strong>xes <strong>de</strong> ce premier libertinage, stigmatisé par<br />
Garasse et traumatisé par le procès <strong>de</strong> Théophile, la constitution progressive d’un modèle <strong>de</strong> haute<br />
dignité philosophique: celui que Pierre Gassendi, pour sa part, s’était employé à réhabiliter et à réinterpréter.<br />
Par sa diversité même, l’œuvre <strong>de</strong> Gassendi ne fut sans <strong>do</strong>ute pas étrangère aux variations ultérieures<br />
<strong>de</strong> la pensée du Jardin. On a souvent confondu, du reste, l’immense entreprise philologique, visant<br />
à restituer le vrai visage d’Épicure, contre <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> défigurations calomnieuses, et ce que Gassendi<br />
nomme “sa propre philosophie”: celle qui trouve son point d’aboutissement <strong>da</strong>ns le Syntagma philosophicum<br />
posthume, publié après sa mort, en 1658, <strong>da</strong>ns les <strong>de</strong>ux premiers tomes <strong>de</strong>s Opera Omnia.<br />
Dans le premier type d’œuvres, Gassendi traduit, commente, compare la <strong>do</strong>ctrine d’Epicure ou<br />
encore la “met en scène”, comme il le dit au seuil du Philosophiae Epicuri Syntagma: défi herméneutique<br />
qui aboutit à la publication <strong>de</strong>s 1768 pages <strong>de</strong>s Animadversiones in <strong>de</strong>cimum librum Diogenis Laertii (1649),<br />
vaste chantier où l’éthique se trouve réinscrite <strong>da</strong>ns un dispositif théorique <strong>do</strong>nt l’amplitu<strong>de</strong> avait été<br />
perdue <strong>de</strong> vue.(L’éthique d’Epicure n’y constitue que la quatrième section d’un commentaire envisageant<br />
d’abord successivement logique, physique et métaphysique, astronomie et météorologie ). Dans<br />
la philosophie que Gassendi élabore en son nom propre, l’épicurisme se trouve mêlé à <strong>de</strong>s éléments<br />
d’autres provenances en fonction <strong>de</strong> chaque type <strong>de</strong> question abordée. Cet atomisme “christianisé”<br />
prend son sens et sa force sur fond <strong>de</strong> Révolution scientifique. Il s’inscrit <strong>da</strong>ns une épistémologie<br />
probabiliste complexe et fécon<strong>de</strong>, faisant en permanence dialoguer les modèles, au sein d’une science<br />
“expérimentale ou pour ainsi dire apparentielle” où il s’agit <strong>de</strong> graduer le plausible et où il a valeur<br />
d’hypothèse. Mais entre activité philologique et élaborations philosophiques nouvelles, les frontières<br />
sont souvent difficiles à cerner et les passerelles se multiplient: <strong>de</strong>s blocs entiers du commentaire <strong>de</strong>s<br />
Animadversiones seront disséminés au fil du Syntagma, <strong>do</strong>nt l’Ethique, notamment, <strong>de</strong>vra beaucoup au<br />
travail d’analyse consacré à la Lettre à Ménécée et aux Sentences Capitales restituées par Diogène Laërce.<br />
Même si le lecteur ne <strong>do</strong>it jamais oublier que ce discours moral affirmant la primauté <strong>de</strong> la Voluptas se<br />
développe sur <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments éloignés <strong>de</strong> ceux du Jardin “originel”: un relativisme d’inspiration fidéiste<br />
pour lequel la saisie <strong>de</strong> la vérité sera toujours incomplète et n’atteindra qu’à <strong>de</strong>s ombres <strong>de</strong> vérité<br />
(mais toutes ne sont pas également vaines); une anthropologie chrétienne insistant sur la faiblesse <strong>de</strong><br />
l’homme et les limites <strong>de</strong> sa raison.<br />
Inversement, si la philosophie néo-épicurienne <strong>de</strong> Gassendi dut beaucoup au travail préalable du<br />
philologue, l’activité philogique elle-même ne prit tout son intérêt et toute sa force qu’au sein <strong>de</strong>s<br />
débats philosophiques suscités par les interrogations <strong>de</strong> la science nouvelle <strong>de</strong> Bacon, <strong>do</strong>nt Gassendi<br />
est un admirateur fervent, et <strong>de</strong> Galilée, <strong>do</strong>nt il est un correspon<strong>da</strong>nt enthousiaste. A bien <strong>de</strong>s égards,<br />
le commentaire d’Epicure, d’abord fortement encouragé par Peiresc, premier mécène <strong>de</strong> Gassendi,<br />
prend le relai <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> lutte engagée contre le <strong>do</strong>gmatisme scolastique, il participe pleinement <strong>de</strong><br />
cet apprentissage <strong>de</strong> la libertas philosophandi <strong>do</strong>nt Gassendi veut dégager les conditions <strong>de</strong> possibilité,<br />
comme le signalait déjà <strong>de</strong> manière programmatique, la lettre à Gaultier qui précé<strong>da</strong>it les Exercicatione<br />
Para<strong>do</strong>xicae Adversus Aristoteleos.(1624). Mais s’il fournit, aux côtés du scepticisme, tout un arsenal<br />
théorique dirigé contre diverses formes <strong>de</strong> <strong>do</strong>gmatismes (aristotéliciens, cartésiens...) et <strong>de</strong> pensées<br />
qualifiées d’”obscures” (Fludd, Herbert <strong>de</strong> Cherbury...), le néo-épicurisme <strong>de</strong> Gassendi, par ses aménagements<br />
propres, permet également <strong>de</strong> dépasser certaines formes <strong>de</strong> relativisme sceptique, comme<br />
en témoigne, avec une remarquable <strong>de</strong>nsité théorique, le chapitre consacré à la productivité dynamique