Three i - ViceVersaMag

A M R
Le prix [
du refuge
Une histoire montréalaise, une histoire canadienne, mais
plus pour longtemps. Il y a plusieurs lunes, comme
disent les Sauvages, que je dors mal. Depuis ce maudit
coup de fil m'annonçant que mon ami, Atanas
Georgiev Stoïlov, avait reçu son avis de déportation.
Atanas est musicien, il a fait défection à une troupe d'artistes
bulgares au cours d'une tournée aux Etats-Unis.
Depuis quatre ans, il a fait trois fois appel pour un statut de
réfugié. Ses appels ont été rejetés trois fois. Atanas ne sait pas bien
s'exprimer, il est plutôt timide. Il n'a pas crié suffisamment fort qu'il
était menacé.
Habituellement ses instruments d'expression favoris sont sa
flûte, sa cornemuse ou son accordéon. En plus, la plupart du temps,
ce genre de client n'a pas assez d'argent pour s'offrir une défense
décente et c'est souvent un travail bâclé par les avocats.
En quatre ans, il en a vu de toutes les couleurs, vivant d'expédients
et de solidarité. Il a fait d'avantage connaître, au Canada,
une musique chaleureuse et mélancolique qui nous réchauffait le
cœur. Il a exhibé son art dans plusieurs manifestations dites « de
rapprochement entre les cultures», à part de t'ça. Quoi de plus civilisé,
comme rencontre ?
Au bout de quatre ans, Atanas commence à constituer son
réseau et à avoir des contrats. Mais l'angoisse le talonne. Et pour
cause ! Cette fois-ci le couperet est tombé, il a jusqu'au 14 juin pour
disparaître du territoire canadien. Quatre ans de son existence perdus.
Entre-temps, des artistes canadiens ont reconnu qu'il apportait,
avec lui, un patrimoine musical tout à fait passionnant, à notre
pays. Socialement, il était un voisin discret. En amour, il a rencontré
une blonde avec qui il vivait depuis une couple d'années.
Mais tout cela est très loin des préoccupations des bureaucrates
de Big Brother.... Heureusement qu'aucun psychopathologiste ne
s'est pas penché sur son cas. On aurait pu apprécier les syndromes
et les symptômes que toute cette histoire a provoqué.
KARIM MOUTARRIF
S'il revendique le statut de musicien indépendant, il doit être
plus fort que les musiciens du cru. En effet, en dehors des bills que
tout un chacun assume tant bien que mal, Atanas doit se trouver
quelques milliers de dollars en sus, pour assurer l'instruction de son
dossier. Développe toujours tes ulcères, camarades.
On sait que le coût humain n'a pas de prix. Ça tombe bien !
À mois d'un miracle, Atanas Georgiev Stoïlov sera effacé de
l'histoire du Canada. Il partira humilié, dans le silence et l'indifférence.
Et même si le miracle se produisait, il restera tous ceux et
celles qui ne recevront pas la bénédiction... Ceux dont j'entendrais
jamais parler.
Dans ces moments-là, surgissent de grandes questions, en
désordre, bien sûr : Comment peut-on procéder ainsi, vis-à-vis de
quelqu'un qui, par la force des choses et des procédures, était en
train de s'intégrer, au moment où on décide de le déporter ?
Les droits du Propriétaire ne sont-ils pas exorbitants ? De
quelle humanité parle-t-on dans les beaux discours, « ...Canada,
terre d'accueil....» ? L'humanitaire ne peut pas se contenter de
demi-mesure. L'accueil des réfugiés et des faux réfugiés ne se résume
pas à des procédures à sens unique, il devrait prendre en considération
les chambardements économiques dont nous avons profité
pendant plusieurs décennies, en les encourageant.
Des économies entières ont été mises à sac, pendant qu'on se
dorait la pilule en prenant du bedon. Quand les économies sont à
terre, les gens ont faim, et je comprends qu'ils essayent par tous les
moyens, de survivre. Il y a très longtemps que cette terre accueille
les opprimés d'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi, aujourd'hui,
il faudrait arrêter.
Je ne comprends pas l'amnésie.
La route vers le Village Global semble ben ben chaotique... •
* Nom et prénoms fictifs.
VICE VERSA 52 9
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