24.09.2015 Views

&Armées

&Arm;ées - École du Val-de-Grâce

&Arm;ées - École du Val-de-Grâce

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Médecine<br />

&<strong>Armées</strong><br />

Revue du Service de santé des armées<br />

TOME 36 N°5 Décembre 2008<br />

ISSN 0300-4937


MÉDECINE ET ARMÉES<br />

SOMMAIRE<br />

Revue du Service de santé<br />

des armées<br />

Pages<br />

T. 36 - n° 5 - Décembre 2008<br />

Direction centrale<br />

du Service de santé des armées<br />

Médecine et <strong>Armées</strong><br />

1, Place Alphonse Laveran,<br />

75230 Paris Cedex 05.<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />

MGI J. MARIONNET<br />

RÉDACTEUR EN CHEF<br />

MG F. FLOCARD – Tél. : 01 40 51 47 01<br />

RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS<br />

MC É. DARRÉ – MCS J.-D. CAVALLO.<br />

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION<br />

Mme M. SCHERZI<br />

Tél. : 01 40 51 47 44<br />

Fax : 01 40 51 51 76<br />

Email : mmed.arm@dial.oleane.com<br />

TRADUCTION<br />

MC M. AUDET-LAPOINTE<br />

COMITÉ DE RÉDACTION<br />

MCS B. BAUDUCEAU – CDC A. BENMAN-<br />

SOUR – MCS A.-X. BIGARD – PC P. BURNAT –<br />

MCS J.-D. CAVALLO – MC É. DARRÉ – MCS<br />

S. FAUCOMPRET – MG R. JOSSE – VEGI<br />

J.-C. KERVELLA – MCS. J.-M. ROUSSEAU –<br />

MCS D. VALLET.<br />

COMITÉ SCIENTIFIQUE<br />

MGI J.-L. ANDRÉ – MGI D. BÉQUET –<br />

MGI P. BINDER – MCS P. BONNET – MGA P.<br />

JEANDEL – MGI F. EULRY –MGI G. LAURENT<br />

MGI G. MARTET – MG J.-L. MOREL – MG M.<br />

MORILLON – MG J.-L. PERRET – PGI C.<br />

RENAUDEAU– MGI B. ROUVIER – GB C.<br />

TILLOY – MGI J.E. TOUZE – MG M. VERGOS.<br />

CONSEILLERS HONORAIRES<br />

MGI PH. ALLARD – MGI M. BAZOT – MGI<br />

B. BRISOU – MCS A. CHAGNON – MGI<br />

L. COURT – MGI J.-P. DALY – MGA<br />

J.DE SAINT JULIEN – MGI CL. GIUDICELLI –<br />

MGI J. GUELAIN - CDG PH. KAHL – MGI J.<br />

KERMAREC – MGI CH. LAVERDANT – MGI P.<br />

LEFEBVRE – PGI LECARPENTIER – VEGI R.<br />

LUIGI – VBGI CL. MILHAUD – MGI J. MINÉ –<br />

MCS CL. MOLINIÉ – MCS J.-L. PAILLER – MGI<br />

P. QUEGUINER – MGI J.-M. VEILLARD – MGI<br />

J. VIRET – MGI R. WEY.<br />

ÉDITION<br />

Délégué à l'information et à la communication<br />

de la Défense (DICoD) - BP 33,<br />

00450 <strong>Armées</strong>. Tél. : 01 44 42 30 11<br />

ABONNEMENT (5 NUMÉROS PAR AN)<br />

ECPAD/Service abonnements, 2 à 8 route<br />

du Fort, 94205 IVRY-SUR-SEINE Cedex.<br />

Tél. : 01 49 60 52 44 - Fax : 01 49 60 52 68.<br />

Tarif des abonnements/1 an :<br />

• Métropole : 36,50 €<br />

• DOM-TOM par avion : 59,70 €<br />

• Étranger par avion : 70,00 €<br />

• Militaires et - 25 ans Métropole : 25,00 €<br />

• Militaires et - 25 ans DOM-TOM : 48,00 €<br />

Prix du numéro : 7,50 €<br />

Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’agent<br />

comptable de l’ ECPAD.<br />

387 • Éditorial.<br />

B. LAFONT<br />

TRICENTENAIRE DU SERVICE DE SANTE DES ARMEES<br />

409 • Le Service de santé des armées au centre du champs de bataille.<br />

R. WEY.<br />

421 • Le Service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier militaire en France.<br />

D. MOYS AN, M. BERNICOT.<br />

431 • Le corps technique et administratif du Service de santé des armées. Un aboutissement.<br />

P.-J. LINON.<br />

435 • L’Édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du Service<br />

de santé des armées.<br />

J.-É. TOUZE, J.-J. FERRANDIS.<br />

445 • Trois siècles de recherche et de découvertes au sein du Service de santé des armées.<br />

D. VIDAL, R. DELOINCE.<br />

455 • La recherche au centre de transfusion sanguine des armées.<br />

M. JOUSSEMET.<br />

457 • Chirurgie militaire et blessés des membres.<br />

S. RIGAL.<br />

467 • Psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles.<br />

P. CLERVOY.<br />

475 • De l’apothicaire au pharmacien des armées.<br />

B. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD.<br />

487 • Le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire.<br />

E. DUMAS, M. FREULON, D. DAVID, J.-Y. KERVELLA.<br />

497 • Paramédicaux dans les armées. Trois siècles pour parvenir au statut de Militaires infirmiers<br />

techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008).<br />

F. OLIER.<br />

507 • Trois cents ans de médecine navale : du grand siècle à nos jours.<br />

B. BRISOU.<br />

517 • Des fièvres aux maladies infectieuses. Trois siècles de lutte contre l’infection.<br />

J.-D. CAVALLO.<br />

527 • Trois siècles d’histoire du Service de santé des armées outre-mer.<br />

M. MORILLON.<br />

535 • Le visage social du médecin militaire.<br />

P. CRISTAU.<br />

IMPRIMEUR ET ROUTAGE<br />

Pôle graphique de Tulle – BP 290 –19007<br />

Tulle Cedex.<br />

Tél. : 05 55 93 61 00<br />

Commission paritaire N° 0306 B 05721<br />

ISSN : 0300-4937<br />

COUVERTURE<br />

Ghislaine PLOUGASTEL<br />

gplougastel@graphisme.com<br />

Coordination : MG F. FLOCARD<br />

MCS J.-D. CAVALLO<br />

385


Médecin général des armées B. LAFONT, Directeur central du Service de santé des armées.<br />

386


ÉDITORIAL<br />

Hier, aujourd'hui, demain...<br />

Le Service de santé des armées, qui célèbre en cette année 2008 le<br />

tricentenaire de sa fondation, peut, dans le même temps, faire face sans<br />

inquiétude à son avenir.<br />

Le débat historique sur l’antériorité de la création de telle ou telle<br />

formation qui y fut ultérieurement intégrée ne me paraît pas<br />

spécialement pertinent. L’édit royal de 1708 constitue bel et bien un<br />

acte fondateur par ce qu’il signifie, c'est-à-dire la reconnaissance d’un<br />

devoir de l’État plus que l’avènement d’une nouvelle institution. Cette<br />

commémoration fournit une occasion de nous retourner sur un passé et<br />

une tradition dont nous sommes les dépositaires. Ils ont fait l’essentiel<br />

de la culture de notre service. Centrée sur un idéal humaniste, elle est<br />

encore aujourd’hui ce qui prévaut dans toutes nos actions, et donc aussi<br />

la clé de notre avenir.<br />

Trois cents ans, voilà déjà une longue histoire. Elle n’a jamais été<br />

interrompue par les changements de régime et les événements de toute<br />

nature qui ont jalonné l’histoire de France. Mais ne nous y trompons<br />

pas. Cette longévité n'est ni le fait de la chose sacrée ou intouchable, ni<br />

une prime accordée à l’immuabilité. Ce qui dure, c’est ce qui change,<br />

par volonté de préparer l’avenir, ou, parfois aussi, par simple mais<br />

impérieuse nécessité de s’adapter aux contraintes du présent.<br />

Que de chemin parcouru par notre service depuis ses origines jusqu'à<br />

cette image de modernité portée par l’arrivée de blessés rapatriés par<br />

Morphée depuis les théâtres d’opérations.<br />

Bien entendu, nous vivons sur une autre planète technologique. Ce<br />

constat est d'une évidente banalité. Loin de moi l'idée d'en sous-estimer<br />

l'importance. Car à l'évolution des techniques, répond également une<br />

évolution des concepts, à moins que ce ne soit parfois l'inverse. Celui,<br />

bien classique, de l'obligation de moyens tend à évoluer, par exemple,<br />

vers une obligation de résultats en grande partie à cause de la<br />

sophistication croissante des outils dont dispose la médecine. À quoi<br />

peuvent servir des plateaux techniques de plus en plus modernes si ce<br />

n'est, en effet, à améliorer les performances? Nous devons aujourd'hui,<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 387


comme nos anciens, non seulement sauver la vie de nos blessés, mais<br />

préserver au mieux l'intégrité de leurs fonctions physiques et<br />

psychiques. L'évolution des mentalités et de la culture collective influe<br />

dans ce domaine autant que celle des techniques. Si la notion de qualité,<br />

celle des soins dispensés par les soignants comme celle de la vie des<br />

soignés, est maintenant installée au cœur de l'exercice médical, et donc<br />

du nôtre, c'est qu'elle s'était d'abord révélée comme un fait de société.<br />

Tout le problème est de savoir où se situe le point d'équilibre entre les<br />

moyens et les résultats. La référence aux bonnes pratiques y contribue.<br />

Cette démarche, est devenue routinière dans l'exercice de la médecine<br />

courante mais elle concerne également de plus en plus la pratique en<br />

situation d'exception qu'est la médecine opérationnelle (ainsi d'ailleurs<br />

que la médecine humanitaire), au fur et à mesure que s'élève son niveau<br />

d'environnement technique. Qui pourrait le regretter ? Mais ce<br />

prolongement a des limites. Il faut rappeler que, dans ces circonstances, la<br />

maîtrise de l'ensemble des risques ne dépend pas exclusivement de la<br />

chaîne médicale. Beaucoup de facteurs relèvent des moyens et de la<br />

conduite de la manœuvre opérationnelle. À l'inverse, on peut aussi penser<br />

que la responsabilité qui incombe au Service de santé des armées n'est<br />

pas toute contenue dans l'habileté, la compétence et l'expertise de<br />

ses praticiens, au demeurant parfaitement reconnues. Elles sont le<br />

prérequis de tout exercice médical. La détention des moyens et la capacité<br />

technique de les utiliser ne résument pas la mission opérationnelle<br />

du service. Celle-ci implique également leur organisation en système<br />

cohérent et rationnel, la définition de leur stratégie d'emploi, et<br />

la responsabilité de sa mise en œuvre.<br />

C'est en ce sens que l'histoire du Service de santé des armées,<br />

commencée il y a trois siècles, est perpétuellement relancée au fur et à<br />

mesure des avancées techniques. Au cours de ces 300 ans, le Service de<br />

santé des armées en a bien souvent été l'initiateur dans beaucoup de<br />

domaines. Mais il a dû aussi souvent convaincre, et parfois s'affronter,<br />

afin d'obtenir la capacité de décision nécessaire pour que le résultat<br />

attendu soit à la mesure des moyens mis en œuvre. Car les idées les<br />

plus généreuses et les plus justes ne s'imposent pas d'elles-mêmes.<br />

Elles sont inutiles si elles n'ont pas trouvé la formulation qui leur<br />

permet d'être comprises et adoptées, et finalement, appliquées dans un<br />

cadre qui les adapte aux contraintes de leur temps.<br />

388<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5


Tel est le fil rouge qui nous rattache à une tradition qui, à mon sens,<br />

serait sans intérêt si elle ne servait pas à nous faciliter l'accès à une<br />

vision de l'avenir. Pas plus qu'à la conséquence mécanique du progrès<br />

technique, la leçon de notre histoire ne peut se résumer à la<br />

glorification d'un passé, même indiscutablement prestigieux.<br />

La pérennité de la guerre dans l'histoire de l'humanité engendre un lien<br />

particulier entre les nations et leurs soldats. L’attention que la<br />

communauté porte à leur protection, à leur soutien, à la qualité des soins<br />

qui leurs sont prodigués, et, le cas échéant à leur retour en son sein,<br />

traduit le niveau de reconnaissance qu'elle accorde à leurs sacrifices.<br />

Les événements récents d'Afghanistan ont ravivé douloureusement,<br />

mais d'une façon éclatante, cette vérité un peu oubliée. Ce par quoi le<br />

combattant d'une nation se distingue d'un mercenaire se traduit en<br />

particulier dans l'existence effective d'un service de santé dédié aux<br />

armées qui ne soit pas un simple accessoire parmi les outils de défense.<br />

Il est facile de vérifier la concordance entre les performances<br />

capacitaires et d’organisation des divers services de santé et les valeurs<br />

démocratiques cultivées par les nations qui en disposent.<br />

S'il y a toujours eu, en effet, des secours aux blessés et une médecine du<br />

temps de guerre au cours des âges, l'existence de services de santé<br />

organisés au sein des armées est plus que l'expression d'une compassion<br />

même si, pour chaque personnel impliqué, celle-ci demeure une<br />

référence absolue de motivation à son action propre. En situant celle-ci<br />

dans un cadre institutionnel, on applique aux compétences et aux<br />

dévouements individuels une valeur ajoutée qui est la marque d’un<br />

service d'État. Elle affirme et garantit le respect, en tous lieux et en<br />

toutes circonstances, du contrat moral d’assistance qui lie le corps social<br />

à chacun de ses membres. C'est ce que représente aujourd'hui<br />

parfaitement notre Service de santé des armées, et même plus encore.<br />

Car cette présence dans la guerre d'une humanité organisée, à la portée<br />

de tous, amis ou adversaires, ne traduit pas seulement une valeur<br />

morale, mais elle concrétise une règle de droit dont les forces armées<br />

engagées doivent garantir le respect. L'emploi d'équipements plus lourds<br />

et de meilleur niveau technique sert aussi à aider les populations si bien<br />

que les moyens, que consentent les états afin d'apporter des soins à leurs<br />

blessés de guerre, sont, plus que jamais, ce qui unit encore les hommes<br />

lorsque tout le reste les oppose. Ces deux versants de notre mission, qui<br />

furent associés dès l'origine, le demeurent et le resteront bien au-delà de<br />

toutes les transformations de conjoncture.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 389


Dans les pages qui suivent, on découvrira, en effet, que la véritable<br />

tradition du service est celle d'une extraordinaire plasticité qui lui a<br />

permis d'exprimer partout, pour le perpétuer, l'essentiel de sa mission<br />

humaniste d'assistance. Celle-ci n'est la propriété de personne.<br />

Individus, écoles, corps successifs qui ont composé le service, peuvent<br />

tout au plus se prévaloir de l'avoir accomplie, à leur façon et en leur<br />

temps, et toujours fort bien. Mais ils ne peuvent certainement pas<br />

prétendre en détenir l'exclusivité, et encore moins en prédire<br />

l'extinction. Ni finie, ni immuable, elle n'est pas une relique et la<br />

considérer comme telle serait faire bien peu de cas de la vigueur<br />

créatrice des nouvelles générations. Il est vrai que tout changement<br />

n'est pas, par nature, un progrès, mais c'est à chaque fois une page qui<br />

s'ouvre sur un nouveau chapitre dont le contenu leur appartient. Ne pas<br />

l'admettre, c'est rétrécir son jugement à une dimension privative.<br />

N'oublions pas que ce que nous regardons aujourd'hui avec la déférence<br />

due à l'œuvre de ceux qui nous ont précédés procède de leur capacité à<br />

avoir été de leur temps.<br />

En lisant cette revue, on prend aussi pleinement conscience du rôle qu'a<br />

joué le service, non seulement au sein de la défense, mais dans la vie<br />

de la nation. Le récent Livre Blanc fait apparaître qu'il sera encore<br />

sollicité sur ce terrain. À lui de savoir y répondre.<br />

Même si nous ne sommes pas encore en mesure de discerner<br />

aujourd'hui avec précision ses futurs contours, il est permis d'envisager<br />

un bel avenir pour le Service de santé des armées, indépendamment de<br />

toute inclination affective ou de sollicitude démagogique. Pourquoi<br />

cela ? Parce que l'existence d'appareils d'État de ce type s'avérera de<br />

plus en plus nécessaire dans un monde où le principe de précaution, la<br />

maîtrise des risques et la professionnalisation des domaines de<br />

compétences ne feront que s'accentuer; parce qu'il faudra disposer de<br />

systèmes de réponses aux crises de plus en plus complexes, mais que<br />

ceux-ci devront être aussi de plus en plus réactifs ; parce que les<br />

attributions des compétences de tels systèmes concerneront des<br />

secteurs de la vie sociale et de la vie économique plus larges encore<br />

que cela n'est aujourd'hui le cas.<br />

Or, dans ces domaines, notre Service de santé des armées est bien<br />

placé. Lieu unique de compétences spécifiques, que la diversité des<br />

corps de praticiens, de techniciens et de paramédicaux qui le<br />

390<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5


constituent, étend bien au-delà du champ strictement médical, il est<br />

déjà très ouvert sur de nombreux partenariats universitaires,<br />

scientifiques, professionnels. Il sait produire industriellement des<br />

dispositifs et des médicaments stratégiques. Il possède une culture et<br />

une pratique avancées en conduite de projet et en économie de la santé.<br />

Il se trouve aux avant-postes des évolutions profondes des institutions<br />

qui sont en cours dans notre société. Il n'est pas jusqu'aux modèles<br />

pressentis par la santé publique pour l'organisation future de l'offre de<br />

soins ou de l'hôpital public qui ne pourraient présenter quelques<br />

analogies avec les nôtres. On apprendra dans l'article sur les hôpitaux<br />

des armées qu'il y a, en la matière, des précédents. Peut-on penser qu'ils<br />

sont encore d'actualité ? Oui, parce que les analyses des mêmes<br />

contraintes amènent aux mêmes conclusions. Les solutions qui en<br />

découlent, quand la recherche de l'efficacité et de la fonctionnalité<br />

prévalent, ont un air de famille. L'un de leurs traits communs est l'appel<br />

à une responsabilité professionnelle qui sache s'exercer au-delà de ses<br />

aspects purement techniques en prenant en compte les contraintes<br />

d'environnement. Cette problématique concerne de plus en plus la santé<br />

et il serait inexact de penser que l'identité du service s'estompe dans<br />

cette convergence car l'expérience qu'il a acquise fait au contraire de lui<br />

un exemple examiné avec intérêt.<br />

Alors sommes-nous si loin du propos initial: l'édit royal de 1708? Je ne<br />

le crois pas. Le service s'est construit comme une organisation de<br />

compétences, de dévouements, et parfois d'héroïsmes, tous individuels.<br />

L'une ne va pas sans les autres. Tel est notre paradoxe. Il est bien sûr<br />

difficile de s'identifier à un édit, fut-il royal, ou à sa prolifique<br />

descendance faite de décrets, d'instructions et de directives... Ceux que<br />

leur métier, le (parfois trop) fameux « cœur de métier », place in fine<br />

dans une relation forte d'engagement personnel, dont l'essentiel, pour<br />

nous tous, comme pour ceux qui nous sont confiés, est la relation<br />

médecin-malade, comment leur faire grief de leur posture de première<br />

intention, souvent fondamentalement individualiste?<br />

Cette dualité entre l'individu et l'institution est l'une de nos<br />

particularités sans être toutefois une exclusivité du Service de santé. Il<br />

faut se réjouir d'avoir compté, et de compter encore dans nos rangs des<br />

personnalités d'exception, des caractères trempés, des découvreurs à<br />

l'étroit dans les règles qu'on leur donne. On en trouvera maints<br />

exemples dans les pages qui suivent. Mais c'est aussi notre fragilité<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 391


lorsque certains d'entre eux se prennent à penser que leur action se<br />

suffit à elle-même et que c'est elle qui entraîne l'ensemble de la<br />

communauté. Le service n'est rien sans eux mais, sans lui aucun d'entre<br />

eux n'aurait occupé, ou n'occuperait, la place qui est la sienne.<br />

Il est très probable que si l'on interrogeait chacun de ses membres sur<br />

ce qui, de son point de vue, identifie le plus profondément le service,<br />

l'édit de 1708 serait rarement mentionné, mais bien plutôt la figure<br />

tutélaire d'Ambroise Paré, l'ancêtre absolu de tout médecin des armées.<br />

Eh bien, revenons donc un instant sur la célèbre formule qu'il nous a<br />

transmise : « Je le pansai et Dieu le guérit ». Notre prestigieux<br />

devancier ne relègue certes pas son rôle au second plan (« Je le<br />

pansai... »), mais il le relativise (« ...et Dieu le guérit... »). L'acte de<br />

soigner n'est pas une action humaine comme les autres. Il trouve sa<br />

dignité dans ce qui le dépasse. Et si ce mot fameux est parvenu jusqu'à<br />

nous, c'est que son inaltérable honnêteté défie le temps. Il revient à<br />

chacun d'entre nous de décider si la figure divine invoquée par<br />

Ambroise Paré est ce qui lui convient au sein de son propre système de<br />

valeur. Toutes les réponses sont valables si elles expriment, non pas tant<br />

la modestie, qu'une humilité que je qualifierais de lucide. Celle qui<br />

n'est pas un effacement, mais au contraire une attitude où la prise en<br />

compte réaliste des forces de la nature, des évolutions du monde, de<br />

l'imprévisibilité des choses humaines, de toutes les incertitudes sur<br />

l'avenir, ne paralyse pas mais rehausse la responsabilité à faire face et à<br />

agir, celle où la vérité n'est pas révélée mais démontrée et dégagée au<br />

jour le jour par la raison, l'analyse et le travail.<br />

La voie vers l'avenir est largement ouverte. Elle passe par l'imagination<br />

créatrice et l'innovation. C'est ainsi, j'en suis convaincu, que nous<br />

l'inscrirons dignement dans l'esprit de ceux que nous ont légué les<br />

grandes figures du Service de santé des armées dont les destins ont<br />

parcouru ses trois cents années d'existence.<br />

B. LAFONT<br />

Médecin général des armées<br />

Directeur central du Service de santé des armées<br />

392<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

393


394 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

395


396 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

397


398 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

399


400 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

401


402 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

403


404 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

405


406 médecine et armées, 2008, 36, 5


médecine et armées, 2008, 36, 5<br />

407


L’Édit du roy. Fac-similé F. FLOCARD.<br />

408 médecine et armées, 2008, 36, 5


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES AU CENTRE DU<br />

CHAMP DE BATAILLE<br />

R. WEY<br />

I. INTRODUCTION.<br />

L'Édit signé par Louis XIV le 17 janvier 1708 est l'acte de<br />

naissance reconnu du Service de santé, même si, depuis<br />

1689, une ordonnance royale régissait l'organisation et<br />

le fonctionnement des hôpitaux des armées navales et<br />

dans les ports.<br />

1708 – 2008 : trois siècles d'une histoire en dents de scie<br />

depuis que furent créées les charges de médecins et de<br />

chirurgiens dans les armées françaises. Trois siècles qui<br />

virent la lente maturation d’une organisation rationnelle<br />

des secours aux blessés et malades, avec des périodes<br />

fastes ou sombres, avant de parvenir, aujourd'hui, à<br />

l'évidence de la nécessité de disposer d'une chaîne de<br />

prise en charge thérapeutique cohérente, continue et<br />

adaptée aux besoins des forces armées.<br />

La médecine militaire trouve ses racines, il y a cinq<br />

millénaires, dans les affrontements qui opposèrent les<br />

civilisations alors dominantes. Dès l'Antiquité<br />

apparaissent quelques préoccupations sanitaires,<br />

généralement au bénéfice sinon exclusif, au moins<br />

prioritaire, des grands personnages. Il faut attendre le<br />

règne de l’empereur romain Trajan et la création de<br />

garnisons permanentes jalonnant le Limes pour<br />

qu'apparaisse une véritable organisation sanitaire,<br />

confiée le plus souvent à des médecins d'origine grecque<br />

au statut subalterne, dont le but évident était la<br />

préservation des effectifs aguerris. S'organise alors dans<br />

chaque légion, un soutien médical pourvu de matériels<br />

mobiles permettant d'apporter les premiers soins sur le<br />

champ de bataille, adossé à de véritables hôpitaux<br />

d'évacuation installés dans les camps les plus importants.<br />

Notre Moyen-Âge oubliera toute forme d'organisation<br />

sanitaire avant que n'émergent les ordres<br />

hospitaliers militaires qui fondent, au profit du<br />

combattant, leur démarche sur des valeurs de charité et<br />

de dévouement complétées par des règles rigoureuses<br />

R. WEY, médecin général inspecteur (2s), Spécialiste des techniques d'organisation<br />

et de logistique de la santé.<br />

Correspondance : R. WEY, 5, rue Eugène Renault, 94700 Maisons Alfort.<br />

de fonctionnement. Avec eux s'ouvre une ère nouvelle,<br />

scientifique, qui sera amplifiée par la Renaissance.<br />

L'apparition des armes à feu et la nature nouvelle des<br />

blessures qu’elles provoquent, vont profiter à la chirurgie<br />

de guerre, empiriquement encore, mais déjà par l'apport<br />

des connaissances anatomiques. Ambroise Paré,<br />

chirurgien attaché au Prince mais dévoué au soldat, «le<br />

gain étant éloigné seul demeure l'honneur et l'amitié de<br />

tant de soldats », sera la figure emblématique de cette<br />

évolution et de l'affirmation de la place que prennent les<br />

chirurgiens et, dans une moindre mesure, les médecins<br />

au sein des armées.<br />

Par la suite, les rois vont démontrer leur volonté que soient<br />

assurés aux blessés des secours médicaux. Des offices de<br />

médecins et d’apothicaires sont progressivement ouverts<br />

dans les forces permanentes. L’organisation reste toutefois<br />

élémentaire, les blessés étant répartis dans les<br />

hospices rencontrés sur la route des armées. De même, le<br />

sort des survivants, trop souvent invalides, est pris en<br />

considération, même si cette démarche n'est pas toujours<br />

exempte d’arrière-pensées visant à éviter la dérive de ces<br />

anciens soldats vers le vagabondage et le brigandage.<br />

Dans ce mouvement, la fin du XVI e siècle verra en<br />

germe une première structuration du soutien médical<br />

dans les armées. Lorsque Vauban fortifie les frontières<br />

de la France, des établissements de soins sont prévus,<br />

pas toujours réalisés. De même, il est envisagé que<br />

toute armée dispose d’un hôpital mobile et qu’un navirehôpital<br />

soit gréé pour dix bâtiments. Le service sanitaire<br />

des ports est réglementé.<br />

L’Édit de 1708 est donc un aboutissement, capitalisation<br />

logique de toutes les initiatives réalisées depuis de<br />

nombreuses années. Il est surtout un commencement,<br />

car il représente la première officialisation d’une organisation<br />

étatique visant à assurer la cohérence du système<br />

de prise en charge des blessés et des malades militaires.<br />

Depuis, le Service de santé des armées n'a jamais cessé,<br />

au cours des trois siècles qui nous séparent de cet acte<br />

fondateur, de proposer, malgré les difficultés ou les<br />

aléas conjoncturels, les solutions d'ordre conceptuel ou<br />

matériel qui permettent de porter sur le champ de<br />

bataille toutes les possibilités offertes par la médecine.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 409


II. LE XVIII E SIÈCLE ET L’APPARITION DES<br />

FORMATIONS SANITAIRES MOBILES.<br />

L'analyse des systèmes de soins aux victimes des combats<br />

qui se succèdent au cours de notre histoire, montre qu'ils<br />

ont oscillé, au fil du temps, autour de la prééminence<br />

donnée à l'un ou l'autre des termes d'une alternative sans<br />

cesse reposée: traiter au plus tôt ou évacuer au plus vite.<br />

L’assise sédentaire étant assurée à partir de 1708 par 50<br />

hôpitaux militaires, portés rapidement à 90 mais<br />

malheureusement sous-traités à des entrepreneurs dont la<br />

gestion est souvent hasardeuse, l'accompagnement direct<br />

des troupes en campagne commence à être envisagé. Des<br />

charges de chirurgiens-majors vont être ouvertes au sein<br />

des régiments. Rapidement, les règlements successifs<br />

vont imposer dans chacune de ces unités la disponibilité<br />

d'un chariot pour le transport des blessés. Par la suite,<br />

l’échelon du bataillon sera à son tour renforcé, y compris<br />

en ayant recours à des moyens de fortune, requis par<br />

l'autorité militaire auprès des communes.<br />

Fontenoy (1745), avec ses 5 500 victimes, dont 3 250<br />

blessés, est généralement considérée comme la première<br />

bataille à l’issue de laquelle va vraiment s'imposer la<br />

nécessité d’organiser un Service de santé des armées en<br />

campagne. On prête au Maréchal de Saxe cette adresse à<br />

Louis XV: « Voilà ce que coûte une victoire ».<br />

Est alors ordonnée la création, dans chaque armée, des<br />

« hôpitaux à la suite », selon la terminologie de l'époque,<br />

formations mobiles en mesure d’assurer l’accueil et les<br />

traitements d’urgence à proximité des lieux où se<br />

déroulent les combats. Le ravitaillement de ces hôpitaux<br />

ambulants, ainsi que celui des ambulances régimentaires,<br />

est organisé : des caissons sont affectés au transport<br />

des instruments, des médicaments, des draps et des<br />

couvertures, des brancards, mais aussi d'une tonne à vin<br />

et de pain frais.<br />

Pour autant, à son entrée en campagne en juin 1757,<br />

l'armée de Soubise ne dispose pas d’une telle structure. Il<br />

faut un ordre péremptoire du secrétaire d'État à la Guerre<br />

pour qu'elle soit mise rapidement sur pied à Strasbourg et<br />

puisse être en mesure de soutenir la bataille de Rossbach.<br />

Pendant tout l'hiver de 1757, cet hôpital, sédentarisé,<br />

permettra d'assurer le service sanitaire quotidien de<br />

l'armée au repos.<br />

Pourtant, dès cette époque, Hugues Ravaton,<br />

chirurgien-major de l'hôpital de Landau, praticien<br />

des plus habiles et expérimentés, rêvait déjà de la<br />

constitution de brigades sanitaires indépendantes,<br />

adaptées à chaque armée !<br />

L'apparition à la suite des troupes en campagne de ce type<br />

de formation mobile va ouvrir le débat, qui reprendra<br />

régulièrement, de savoir s’il convient d’opérer aux<br />

échelons les plus avancés ou d’attendre que le blessé ait<br />

été acheminé vers une structure où il trouvera des<br />

conditions meilleures de traitement. La tendance qui<br />

prédomine est de considérer que l’ambulance est un<br />

simple lieu d’attente, première étape vers un hôpital<br />

de charité proche ou vers un hôpital militaire de<br />

l’intérieur où les blessés seront conduits par voie terrestre<br />

ou fluviale.<br />

Évacuation à Fontenoy.<br />

410 r. wey


Despotats.<br />

Cette discussion prendra un tour particulièrement<br />

théorique à partir de 1781, lorsque Louis XVI, confronté<br />

à des difficultés économiques majeures et contraint de<br />

réviser la politique financière du Royaume, prendra<br />

la décision de réduire à huit le nombre des hôpitaux<br />

militaires sédentaires et de limiter le nombre des charges<br />

de praticiens à la suite des armées!<br />

En 1792, lorsque la Révolution viendra tout bouleverser,<br />

il restera surtout des bonnes intentions s’agissant du<br />

soutien sanitaire aux armées, même si la volonté de<br />

remettre en place une organisation rationnelle de soins est<br />

bien réelle.<br />

Le souci le plus évident est de réduire les délais de prise en<br />

charge des blessés, quelle que soit la solution adoptée,<br />

rapprocher l’ambulance des combats ou limiter les durées<br />

des transports vers les structures sédentaires les plus<br />

proches. Dans la réalité quotidienne, tout ceci restera le<br />

plus souvent très théorique et les secours aux blessés des<br />

campagnes qui vont se succéder, y compris jusqu’à la fin<br />

du premier Empire, seront généralement improvisés en<br />

fonction des circonstances!<br />

III. LE XIX E SIÈCLE ET LA QUÊTE DE<br />

L’AUTONOMIE.<br />

Pourtant, les propositions d’améliorations venues des<br />

rangs des chirurgiens et des médecins militaires ne<br />

manqueront pas, cette période étant tout particulièrement<br />

riche en projets ou en initiatives. Pour l'essentiel, elles<br />

viendront buter sur la toute-puissante incompétence des<br />

commissaires des guerres, dont l’imprévoyance le<br />

disputait parfois à la malhonnêteté.<br />

De grandes figures médicales comme Percy, Larrey,<br />

Desgenettes et autres Costes, feront entendre leur voix<br />

pour améliorer le sort des blessés et des malades. Elles<br />

seront trop rarement entendues, malgré la confiance et<br />

parfois l'amitié que leur manifestait l'Empereur. C’est<br />

Percy qui propose la création d’un corps de brancardiers<br />

d’ambulance, les fameux « despotats », afin d'améliorer<br />

la relève des blessés. C'est lui encore qui accroît la<br />

mobilité des équipes chirurgicales à la suite des unités<br />

en transformant un caisson d’artillerie en ambulance<br />

chirurgicale mobile, très vite baptisée par les Grognards<br />

« saucisse ou wurst de Percy ». Étaient rassemblés sur cet<br />

le service de santé des armées au centre du champ de bataille<br />

411


Ambulance volante.<br />

attelage tout le personnel et le matériel indispensables<br />

pour assurer les premiers gestes chirurgicaux salvateurs<br />

sur les lieux même des combats.<br />

Larrey, quant à lui, revendiquera la paternité des<br />

« ambulances volantes » qui firent leur apparition<br />

dès 1797 dans l’armée d’Italie et dans l’armée du Rhin.<br />

Dans son concept, ces ambulances constituent des<br />

unités opérationnelles dans des divisions composées de<br />

voitures légères à 2 ou 4 roues et de voitures pesantes. Une<br />

ambulance volante doit être mise en œuvre par armée et<br />

leur regroupement avec celles de divisions voisines<br />

permettre la constitution, très rapide, d'un ou plusieurs<br />

hôpitaux de premier secours. Des moyens allégés supplémentaires<br />

doivent en outre être disposés là où des combats<br />

particuliers risquent de se dérouler. Enfin, une ambulance<br />

volante est attachée à l’avant-garde. Mais elle pourra être<br />

détachée « sur tous les points où l’action sera la plus vive<br />

afin de donner les secours d’urgence ». Trois lignes de<br />

soutien sanitaire sont organisées dans la profondeur à<br />

l'arrière des combats, le corps d’ambulance principal le<br />

Larrey soignant Rebsomen.<br />

412 r. wey


Ambulanciers.<br />

plus distal devant disposer de suffisamment de brancards<br />

et de voitures pour être en mesure d'évacuer les blessés<br />

vers les hôpitaux temporaires les plus proches.<br />

Cependant, le danger d’évacuer en première intention<br />

certains blessés graves commence à être parfaitement<br />

perçu par les praticiens du corps de santé et, en corollaire,<br />

leur apparaît pour la première fois comme une évidence,<br />

la nécessité d'effectuer un choix dans les priorités de<br />

traitement. Généralement ce seront des amputations<br />

précoces qui seront privilégiées en raison de la gravité des<br />

blessures, du risque rapide de gangrène et de l'excellence<br />

des résultats qu'elles permettent pour la survie de<br />

nombreux blessés. Dans ce domaine, la dextérité de<br />

l’opérateur est déterminante et fera la réputation de<br />

certains opérateurs.<br />

Les propositions du corps médical ne manquent donc<br />

pas au sein de la Grande Armée. Pour l'essentiel, elles ne<br />

trouveront de concrétisation qu'au profit de la Garde<br />

Impériale. Ailleurs, elles seront souvent négligées.<br />

Ainsi, à Friedland, les caissons sanitaires sont arrêtés<br />

à douze kilomètres des combats, sans autre moyen<br />

pour les rejoindre que le brancardage ou le portage. Lors<br />

de la préparation de l'invasion de la Russie, les réserves de<br />

matériels sanitaires rassemblées sur les bases de départ<br />

étaient largement suffisantes pour la campagne envisagée,<br />

mais il n’y avait aucun véhicule pour les transporter.<br />

Certains projets novateurs déplairont et des initiatives<br />

irriteront, tant il est vrai que geste guerrier et geste<br />

médical sont aux antipodes l'un de l'autre. Le Maréchal<br />

Soult vouera ainsi à Larrey une inimitié définitive dont il<br />

Gama.<br />

le service de santé des armées au centre du champ de bataille<br />

413


L.J. Bégin.<br />

poursuivra, au-delà de sa mort, le chirurgien le plus<br />

honoré par l'Empereur.<br />

Ambivalence des hommes et des situations ! Napoléon<br />

apporte une attention particulière à la qualité et au choix<br />

des zones de cantonnement. Il sait l'apport considérable<br />

du médecin aux armées en matière d'hygiène des troupes<br />

en campagne et à la prévention des épidémies.<br />

L'expérience de Desgenettes est là pour le lui rappeler.<br />

Général attentif à toutes les informations concernant<br />

ses soldats, il ne peut ignorer le prix que ceux-ci payent<br />

aux épidémies et aux infections, très supérieur à celui<br />

des combats eux-mêmes. Pourtant, cela ne l'empêchera<br />

pas d'estimer que « le médecin-major dans un corps<br />

d'armée est un être absurde et inutile » et de décréter<br />

qu'il n'y a plus sa place.<br />

Ainsi, pour certains, le premier Empire aura marqué,<br />

globalement, une forme de recul dans le soutien sanitaire<br />

des armées en campagne. Les propositions de Percy<br />

et Larrey avaient un siècle d'avance!<br />

La Restauration ne va pas améliorer la situation, et les<br />

conditions du soutien sanitaire des conflits du XIX e siècle<br />

vont démontrer que les rares occasions où les soins<br />

d'urgence et les évacuations sont réalisés dans de<br />

bonnes conditions, relèvent des seules initiatives<br />

des médecins.<br />

Triage de blessés.<br />

414 r. wey


Embarquement des blessés dans le train sanitaire.<br />

De fait, il faudra attendre la succession des désastres<br />

sanitaires (en contraste saisissant, à la même époque,<br />

avec l'envolée des progrès techniques majeurs<br />

auxquels la médecine et la chirurgie militaires apportent<br />

une contribution exemplaire) que seront les campagnes<br />

de Crimée , d'Italie puis de France en 1871, pour<br />

que les réformes profondes de 1882 puis de 1889,<br />

tirant les enseignements de ces évènements, accordent<br />

l'autonomie technique puis administrative au Service<br />

de santé, l'exonérant enfin de la tutelle de l'Intendance<br />

et libérant son propre potentiel d'innovation et<br />

de réalisation.<br />

IV. LE XX E SIÈCLE ET LA RECONNAISSANCE<br />

DES BESOINS DU SOUTIEN SANITAIRE.<br />

Bégin, Gama, Keraudren, entre autres, seront autant<br />

d’artisans farouches de cette autonomie qui permettra<br />

au Service de santé d'aborder la Grande guerre avec les<br />

capacités techniques de qualité dont il a pu se doter grâce<br />

à cette toute jeune liberté décisionnelle.<br />

Seule ombre au tableau, mais majeure, l'inadaptation<br />

totale aux conditions de la guerre qui s'engage, du<br />

règlement d'emploi du soutien sanitaire de 1910.<br />

Delorme, homme intègre et rigoureux, qui en fut<br />

largement l'inspirateur, a reconnu avec une très grande<br />

honnêteté son inadéquation dès la fin de 1914.<br />

Ce règlement privilégiait l'évacuation systématique<br />

avant traitement des blessés transportables, les autres<br />

étant considérés comme « inévacuables », soit parce<br />

que trop gravement atteints pour supporter un transport,<br />

ils mourront alors au poste de secours central, soit parce<br />

que leur état était estimé pouvoir relever de moyens<br />

thérapeutiques limités, disponibles sur place. Pour les<br />

« transportables », le traitement s'effectuera loin du<br />

front: on emballe, on étiquette et on expédie au loin, sans<br />

surveillance. C'est ainsi que l'on aboutit à ce qui fut<br />

qualifié de « Charleroi sanitaire ».<br />

Heureusement, la leçon porte aussitôt : il faut traiter les<br />

blessés, et d'abord les plus graves, le plus précocement<br />

possible. Un tri est donc indispensable conduisant à<br />

conserver les blessés les plus atteints dans les hôpitaux<br />

les plus avancés et permettant d'évacuer plus loin les<br />

blessés dont on jugeait que l'état permettait l'attente<br />

de la durée du transport. On conserve au maximum<br />

les blessés en zone d'armée. Seuls ceux qui ne peuvent<br />

récupérer rapidement, et ils sont légion, sont envoyés<br />

dans les hôpitaux de l'intérieur, hôpitaux militaires<br />

d'infrastructure ou hôpitaux complémentaires créés<br />

pour la guerre.<br />

Le triage médico-chirurgical venait de naître et d’emblée<br />

il s’impose. Il sera adopté par toutes les armées, avec<br />

des modulations dans ses modalités, mais toujours<br />

conçu comme un acte de diagnostic médical majeur<br />

et difficile, aboutissant à une catégorisation des<br />

blessés en fonction du degré d’urgence du traitement<br />

chirurgical qui détermine la priorité du traitement et<br />

celle de l'évacuation.<br />

Il offre également un moment privilégié pour compléter<br />

la mise en condition de survie réalisée au premier échelon<br />

et effectuer les gestes chirurgicaux salvateurs, rapides<br />

et déterminants.<br />

Il va permettre d’adapter aux circonstances et aux choix<br />

tactiques, les moyens de soutien médical à déployer<br />

dans la zone des combats en les échelonnant dans la<br />

profondeur avec rigueur, qu’ils soient destinés au<br />

traitement ou aux évacuations sanitaires.<br />

Outre l'optimisation du dispositif de soutien, il apporte<br />

enfin l'assurance aux blessés d’être pris en charge dans<br />

les meilleures conditions.<br />

Ce concept de triage deviendra une caractéristique<br />

majeure du soutien sanitaire des forces en opérations et<br />

ce n'est pas l'effet du hasard si cet esprit se retrouve,<br />

aujourd'hui, dans la pratique civile des services d'aide<br />

le service de santé des armées au centre du champ de bataille<br />

415


Wagon pour le transport des blessés graves.<br />

médicale d'urgence, dès lors que la concentration de<br />

victimes, dans le temps et dans l'espace, l'impose.<br />

Mais, l'état-major va devoir aller plus loin dans l'association<br />

des médecins à la conception des engagements en<br />

acceptant, avancée majeure, la création en son sein d'une<br />

direction du Service de santé et la présence de médecins<br />

dans les bureaux chargés d'organiser les opérations et<br />

d’en assurer la conduite. Les impératifs sanitaires seront<br />

désormais pris en considération dès la planification,<br />

permettant ainsi l’anticipation des besoins.<br />

Désormais, les conditions sont réunies pour que la<br />

médecine militaire puisse se faire entendre au plus haut de<br />

la hiérarchie et pousser les décideurs à faire évoluer,<br />

chaque fois que nécessaire, les doctrines d’emploi du<br />

Service de santé en campagne et à financer l'adaptation<br />

aux progrès techniques des matériels mis à la disposition<br />

des praticiens sur le champ de bataille.<br />

Le Service de santé sort profondément rénové de la<br />

Première guerre mondiale. Devenu un conseiller écouté<br />

du commandement à tous les niveaux de décision, il est<br />

doté des structures et des matériels, à l'exemple des<br />

célèbres « autochirs » comme des voitures radiologiques,<br />

qui lui permettent de remplir au mieux ses missions.<br />

Ses qualités sont d’ailleurs unanimement reconnues par<br />

l'ensemble des Nations qui ont participé au conflit. Son<br />

organisation fait école et ses matériels de campagne sont<br />

adoptés à l’étranger. Le mérite de ce succès revient à ses<br />

personnels qui, partout où ils agissaient, ont démontré<br />

leur réactivité et leurs capacités à innover et à proposer des<br />

solutions adaptées aux exigences du moment avec,<br />

comme seule ambition, celle de la qualité des secours<br />

apportés aux blessés.<br />

Comment cette capacité d’imagination ne se serait-elle<br />

pas emparée de l'espace nouveau qui s’est imposé au<br />

cours de la guerre: la troisième dimension et les aéronefs<br />

qui en ont pris possession ? Les premiers avions adaptés<br />

aux évacuations par voie aérienne apparaissent. Il s’agit<br />

encore d’expérimentations limitées, mais l’avenir de ce<br />

mode d’évacuation promet. La confirmation de son<br />

intérêt potentiel, grâce à l'expérience acquise au Maroc et<br />

au Levant, et surtout sous l'impulsion déterminée de<br />

Robert Picqué en métropole, constituera probablement<br />

l'évolution majeure de la courte période qui sépare les<br />

deux conflits mondiaux.<br />

Pourtant, l’entre deux guerres n'est pas le temps privilégié<br />

de l'innovation conceptuelle. En effet, la formidable<br />

évolution enregistrée entre 1914 et 1918, comme<br />

l'exceptionnelle expérience qui en est résultée, ont<br />

enfermé le Service de santé dans la confiance en une<br />

organisation qui a trouvé sa qualification dans des<br />

conditions particulièrement difficiles et dans la<br />

reconnaissance internationale.<br />

En réalité, comme l'armée elle-même, trop confiante<br />

dans la puissance des murailles érigées face à la menace,<br />

le dispositif sanitaire militaire s'est figé. L'échelon<br />

divisionnaire a perdu toute formation de traitement. Le<br />

416 r. wey


Évacuation par hélitreuillage.<br />

triage lui-même est reporté dans les ambulances et les<br />

hôpitaux d'évacuation primaire du corps d'armée,<br />

pourtant dotés de capacités techniques significatives, ont<br />

une mobilité nulle.<br />

Aussi, en quelques jours, compte tenu de la rapidité des<br />

opérations lors de la campagne de France de 1940, les<br />

hôpitaux d'évacuation secondaire se retrouveront en<br />

première ligne. Ils disparaîtront à leur tour dans la<br />

débâcle. Il ne reste plus alors qu'à accompagner la<br />

retraite avec les moyens mobiles résiduels, en laissant<br />

les blessés, quand cela s'avère possible, dans les hôpitaux<br />

de l'infrastructure rencontrés.<br />

Lorsque les forces françaises vont reprendre le combat,<br />

leur Service de santé va être structuré et équipé par les<br />

États-Unis. À partir de 1943, les moyens mis en œuvre et<br />

leur fonctionnement seront ceux de l'impressionnante<br />

logistique de l'armée américaine. Apparaissent alors les<br />

bataillons médicaux divisionnaires, puissantes unités de<br />

soutien sanitaire en mesure tout à la fois de renforcer les<br />

postes de secours des bataillons de combat, d'assurer une<br />

part du ramassage des blessés et, avec des structures<br />

dédiées, d'assurer le triage médico-chirurgical, les<br />

traitements de survie et la mise en condition d'évacuation<br />

vers les formations déployées en zone d'armée.<br />

Dans cette conception, les « sections de triage » sont<br />

devenues des structures autonomes. Elles représentent<br />

le point de passage obligé de tous les blessés où sont<br />

Évacuation aérienne.<br />

le service de santé des armées au centre du champ de bataille<br />

417


déterminées les priorités de traitement et donc d'évacuation,<br />

soit vers les hôpitaux de campagne, formations<br />

« légères », pour les blessés les plus urgents, soit vers un<br />

hôpital d'évacuation motorisé ou semi-motorisé.<br />

Déjà, préfiguration de la période moderne, dans<br />

l'organisation apportée par les Américains les capacités<br />

des bataillons médicaux des divisions d'infanterie sont<br />

différentes de celles des bataillons de division blindée,<br />

adaptées à la structure ternaire et à la manœuvre de ces<br />

grandes unités blindées. Pour autant, le goût français de<br />

l'adaptabilité allait générer quelques aménagements à<br />

l'ordonnancement réglementaire américain, malgré la<br />

sévérité des rappels à l'ordre ! Des circonstances<br />

particulières du combat justifiaient aux yeux des<br />

médecins français les décisions de pousser à l'avant,<br />

jusqu'au poste de secours régimentaire, une « antenne »<br />

chirurgicale, prélevée sur les sections de triage, en<br />

mesure d'y assurer, au plus tôt, la prise en charge des<br />

blessés les plus urgents.<br />

Pour la France, la fin de la Seconde Guerre mondiale ne<br />

signifie pas la paix retrouvée. Elle va devoir faire face à un<br />

nouveau type d'engagement militaire, sans front établi, où<br />

alternent les harcèlements imprévisibles de la guérilla et<br />

les combats organisés. Pour soutenir les forces, les<br />

schémas traditionnels sont inopérants.<br />

L'Indochine présentera le premier défi à relever dans ces<br />

conditions particulières.<br />

Conflit lointain, conflit trop ignoré de la métropole,<br />

conflit sévère pour les hommes, mais conflit qui gravera<br />

à tout jamais dans la mémoire et la reconnaissance des<br />

combattants, le courage, l'abnégation, la compétence,<br />

malgré leur jeunesse, des hommes et des femmes du<br />

Service de santé qui partagent avec eux, jour après jour,<br />

les risques d'un combat éprouvant.<br />

Le soutien va reposer sur les médecins affectés dans chaque<br />

bataillon où ils assurent au plus près, la prise en charge<br />

primaire des blessés, parfois dans un long isolement, avant<br />

que ceux-ci ne puissent être évacués, difficilement, à bras<br />

d'hommes, vers les hôpitaux d'infrastructure.<br />

Il fallait trouver des solutions pour améliorer cette<br />

situation trop précaire : la voie aérienne va d'emblée<br />

s'imposer pour réduire, au moins en partie, les difficultés<br />

d'évacuation dans le milieu fermé que représente la<br />

géographie indochinoise. Elle sera significativement<br />

renforcée par l'emploi de l'hélicoptère qui, lui, peut<br />

accéder au plus près des postes de secours. Pour autant, à<br />

elle seule, elle ne permet pas de toujours garantir aux<br />

blessés la continuité des soins. Il fallait aller plus loin et la<br />

proposition innovante sera de transformer les formations<br />

chirurgicales traditionnelles en les allégeant au maximum<br />

afin de pouvoir les engager le plus à l'avant possible par<br />

aérotransport ou parachutage. Ainsi naissent les antennes<br />

chirurgicales mobiles.<br />

Ces antennes vont prouver leur exemplaire<br />

efficacité. Formations conçues pour ne conserver les<br />

blessés que quelques heures, le temps d'assurer la<br />

stabilisation des fonctions vitales, de traiter les plus<br />

urgents et de conditionner les autres en vue de leur<br />

évacuation, elles devront également « durer » lorsque<br />

les circonstances vont l'exiger.<br />

Avec un type d'échelonnement similaire (service médical<br />

au sein des unités, évacuations vers les hôpitaux<br />

d'infrastructure ou les antennes chirurgicales, par voie<br />

routière et par voie aérienne lorsque celle-ci est accordée)<br />

le soutien des forces en Algérie n'apportera pas de<br />

nouveauté marquante dans l'organisation du soutien<br />

sanitaire en opérations. Il devra assurer une mission<br />

complémentaire en apportant sa contribution essentielle<br />

à l'œuvre de pacification qui est engagée vers les<br />

populations. Cette assistance médicale aux populations,<br />

qui est depuis longtemps une tradition ancrée dans<br />

l'éthique du Service de santé militaire, se poursuivra<br />

d'ailleurs après la fin du conflit. Les médecins des armées<br />

seront, pendant de nombreuses années, les derniers<br />

militaires français présents sur le sol algérien.<br />

L'Europe, pendant ce temps, est entrée dans l'ère de la<br />

Guerre froide. Les forces se sont adaptées aux conditions<br />

prévisibles du combat principal qui pourrait embraser le<br />

continent. Le fait nucléaire apporte ses contraintes<br />

majeures spécifiques. À plusieurs reprises, à partir des<br />

années 1960, sans attendre d'être confronté aux réalités<br />

des combats, le Service de santé va repenser et adapter ses<br />

règles d'engagement en opérations pour être en mesure<br />

d'apporter, à tous les échelons, le meilleur soutien<br />

médical concevable au moment considéré.<br />

Le soutien sanitaire du corps de bataille, véritable corps<br />

expéditionnaire devant s’engager massivement en Centre<br />

Europe, tous moyens réunis, dans un combat d’extrême<br />

intensité mais de durée limitée avant le recours au feu<br />

nucléaire, s’articule autour de quatre étapes échelonnées<br />

dans la profondeur.<br />

Il bénéficie, dans sa conception, de l'expérience des deux<br />

guerres mondiales et de celle de Corée. Le ramassage est<br />

assuré par la section sanitaire des régiments ; le triage,<br />

pierre angulaire de la chaîne des évacuations, est de<br />

la responsabilité de l’échelon divisionnaire ; les évacuations<br />

sanitaires des blessés triés, en fonction de leur<br />

degré d’urgence, sont assurées, soit vers les formations<br />

de traitement organiques au corps d’armée, soit<br />

directement vers les hôpitaux de l’infrastructure<br />

nationale. Ces évacuations s’effectuent par voie de<br />

surface (routière et ferroviaire) mais également par voie<br />

aérienne, car cette dernière étape, celle du traitement,<br />

englobe une vaste zone commençant à la limite avant de<br />

la zone arrière de corps d’armée et incluant l'ensemble<br />

du territoire national.<br />

Cette organisation hiérarchisée est strictement adaptée à<br />

un combat frontal. Sa planification précise est imposée<br />

par la nécessaire interopérabilité avec nos alliés, même si,<br />

dans certains domaines, la doctrine française se démarque<br />

de celle adoptée par les autres forces de l’OTAN.<br />

Par contre, elle laisse des zones d'ombre dont la principale<br />

est ce que Jean Miné décrira comme le « vide médical à<br />

l’avant ». Effectivement, lors du ramassage, le blessé ne<br />

peut recevoir que des soins élémentaires sans pouvoir<br />

bénéficier de toutes les avancées de la médecine d’urgence<br />

qui sont pourtant courantes dans la pratique civile.<br />

418 r. wey


Ce vide est confirmé par l’absence de tout convoyage<br />

sanitaire lors des transports. Enfin, l’étape du traitement<br />

dans les hôpitaux mobiles de campagne déployés<br />

à l'avant, n’offre pas toute la technicité à la fois<br />

indispensable et disponible dans l'infrastructure.<br />

Les règlements d'emploi et l'organisation du soutien<br />

(dans ce qui devient en 1977 la chaîne « santé » des<br />

brigades logistiques de corps d'armée), les formations<br />

sanitaires comme les dotations planifiées seront<br />

repensées de manière itérative afin de les adapter à la<br />

mobilité accrue des forces, à l'augmentation de la<br />

puissance de feu et du caractère vulnérant des armements,<br />

à la continuité des combats de jour comme de nuit. Plus de<br />

blessés sont attendus, plus graves et plus complexes. Il<br />

devient évident, malgré les réticences de certains, que les<br />

névroses de guerre viendront accroître les pertes et que<br />

leur traitement devra être assuré spécifiquement. Tous les<br />

besoins qui découlent de ces contraintes nouvelles sont,<br />

soit satisfaits, soit en cours de comblement lorsque 1989<br />

vient consacrer la fin de la menace militaire soviétique et<br />

modifier profondément les données stratégiques.<br />

Les crises régionales vont alors se multiplier et les<br />

opérations de maintien de la paix ou d'interposition dans<br />

un cadre multinational (ONU ou OTAN) se généraliser.<br />

Le Service de santé avait déjà compris, lors des<br />

engagements de nos forces en Afrique ou au Proche-<br />

Orient ou lors de sa participation aux secours médicalisés<br />

en France, toute l'importance de la médicalisation la plus<br />

précoce possible dans la prise en charge d'un blessé ainsi<br />

que celle de la pérennité des soins au cours de toutes les<br />

évacuations. La technique médicale permet maintenant<br />

d’associer les deux termes de l'alternative historique :<br />

il faut traiter et évacuer le plus tôt possible.<br />

La prise de conscience aux différents niveaux du<br />

commandement que, pour être totalement performante,<br />

la chaîne de soutien santé doit être conçue d'emblée<br />

comme interarmées, que son homogénéité doit être<br />

assurée et qu'il faut matérialiser sur le terrain l’unicité de<br />

la prise en charge médicale, va permettre d'adopter en<br />

1995 un nouveau concept qui s'appuie sur deux constats<br />

sociologiques et éthiques devenus primordiaux:<br />

– le combattant engagé en opération extérieure doit<br />

pouvoir bénéficier des secours d'une médecine ayant une<br />

qualité égale à celle qui est réalisée au quotidien dans<br />

Ophtalmologie, hôpital de Kaboul, Afghanistan 2006 (copyright ECPAD).<br />

le service de santé des armées au centre du champ de bataille<br />

419


les secours publics et la vie professionnelle. L'obligation<br />

de moyens est une réalité qui s'impose à tous;<br />

– il ne suffit plus de sauver les vies, mais il faut désormais<br />

également préserver ou être capable, en bout de chaîne, de<br />

restaurer au maximum les fonctions garantissant aux<br />

blessés la meilleure réinsertion possible dans la société.<br />

Pour parvenir à un tel résultat, il est, dès lors, indispensable<br />

d’amener sur des théâtres même éloignés de la<br />

métropole, au plus près des combats, des compétences<br />

techniques adaptées aux différentes situations : les<br />

médecins, les chirurgiens, les anesthésistes-réanimateurs<br />

nécessaires ou les spécialistes identifiés (ophtalmologistes,<br />

ORL, neurochirurgiens…). Il faut également<br />

évacuer les blessés et les malades, systématiquement et<br />

aussitôt que le permet le traitement d'urgence ou la mise<br />

en condition de survie, sur un hôpital de l'infrastructure<br />

où les conditions de soins seront toujours plus<br />

performantes que celles déployées sur le terrain, même au<br />

sein d'hôpitaux médico-chirurgicaux de nouvelle<br />

génération. Sont donc indispensables des vecteurs<br />

rapides comme l’avion, ou des vecteurs permettant la<br />

continuité des soins dans la durée comme un navire<br />

disposant d'équipements techniques performants<br />

à l’exemple du récent « module de réanimation<br />

pour patients à haute élongation d’évacuation »<br />

pour évacuation sanitaire aérienne ou des capacités<br />

hospitalières à la mer offertes par les « bâtiments<br />

de commandement et de soutien ».<br />

V. CONCLUSION.<br />

Aujourd'hui, nos soldats en opération disposent de<br />

l'assurance d'être protégés par un des meilleurs services<br />

de santé militaire au monde. Dans l'avenir, comme il l'a<br />

réalisé par le passé, le Service de santé des armées devra,<br />

pour conserver cette qualité due aux soldats, poursuivre<br />

une veille active sur les risques, les menaces et les<br />

modifications des conditions d'engagement des<br />

forces. Elle seule lui permettra d'adapter l'organisation<br />

et les moyens qu'il met en œuvre à leur profit pour<br />

leur apporter le meilleur d’une pratique médicale en<br />

évolution permanente.<br />

Le Service de santé a toujours trouvé dans ses rangs les<br />

forces d’imagination et de progrès pour faire en sorte que<br />

chaque blessé puisse bénéficier du meilleur des bonnes<br />

pratiques médicales de son temps. Ne doutons pas que<br />

demain, à l'exemple de la longue lignée de ceux dont ils sont<br />

les héritiers, ses personnels continueront à promouvoir les<br />

réformes qui leur apparaîtront essentielles pour remplir la<br />

mission qui leur incombe et dont ils ne peuvent partager la<br />

responsabilité, parce qu'elle relève dans son intégralité des<br />

exigences éthiques de la médecine militaire.<br />

420 r. wey


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES ET L'ÉVOLUTION<br />

DU CONCEPT HOSPITALIER EN FRANCE<br />

D. MOYSAN, M. BERNICOT<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Si l’histoire n’a pas un sens, du moins a-t-elle du sens,<br />

disait Merleau Ponty. L’histoire du concept hospitalier<br />

militaire en atteste. Né de valeurs empiriques, du progrès<br />

des sciences, de la volonté des hommes, et d’une forte<br />

croyance en des valeurs humanistes, il est en constante<br />

évolution. En cette année 2008, le Service de santé des<br />

armées commémore le tricentenaire de sa fondation.<br />

L'Édit royal du 17 janvier 1708 est en effet considéré<br />

comme son texte créateur. Réfléchir sur l'évolution<br />

du concept hospitalier conduit immanquablement à<br />

une réflexion parallèle sur le positionnement du<br />

Service de santé des armées dans le cours de cette très<br />

longue histoire.<br />

long moment les pratiques médicales. Ces pratiques sont<br />

déjà présentes dans les anciennes civilisations. Ainsi, en<br />

Mésopotamie et en Égypte, les soins sont inséparables de<br />

la praxis magique avec toutefois, pour la civilisation<br />

égyptienne, l'introduction d'un certain rationalisme<br />

avec la prise en compte de l'observation. Ce qui est visible<br />

(les yeux, la peau…) est traité par un médecin, ce qui est<br />

invisible, par un prêtre.<br />

Ce mouvement est repris et amplifié en Grèce où,<br />

au V e siècle avant notre ère, la médecine insiste sur<br />

l'observation clinique et l'expérience. La pensée grecque<br />

tente d'entreprendre une séparation entre l'invisible et le<br />

visible, l'irrationnel et le rationnel, le sacré et le naturel.<br />

Mais qu'en est-il exactement ? L'éventuelle guérison<br />

II. LA GENÈSE DU CONCEPT HOSPITALIER,<br />

UNE NOTION IMPRÉGNÉE DE RELIGIEUX.<br />

À partir du moment où l'homme a pensé, peut-être à ce<br />

moment précis où il a commencé à enterrer ses morts, il a<br />

cherché à comprendre et à combattre la maladie.<br />

Comprendre et agir ont de tout temps constitué une<br />

préoccupation majeure de la pensée humaine.<br />

Empirisme, médecine, magie et religion ont chacun à leur<br />

tour ou le plus souvent concurremment apporté une<br />

réponse à cette inquiétude et joué un rôle prépondérant<br />

dans les domaines de la santé. Les peintures rupestres<br />

ne sont-elles pas là pour attester par des figures<br />

énigmatiques qu'une médecine magique tente de<br />

répondre aux aspirations des hommes de la préhistoire.<br />

Aux confins de l’histoire et de la mémoire humaine,<br />

faisant référence à la mythologie, la magicienne Médée,<br />

petite fille d'Hélios (le soleil) aide Jason à conquérir la<br />

toison d'or avec des onguents magiques et des sortilèges et<br />

donne ainsi son nom à la médecine. Elle marque pour un<br />

D. MOYSAN, général de brigade (2s), Maire de Crozon. M. BERNICOT,<br />

lieutenant-colonel (cr).<br />

Correspondance: D. MOYSAN, 2 allée Bois Quenvel, 29160 CROZON.<br />

Esculape.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 421


étant attribuée la plupart du temps à une intervention<br />

divine, l'empirisme l'emporte. Ainsi, à titre d'exemple,<br />

la physiologie, science qui étudie les fonctions de<br />

l'organisme, est construite à partir de la théorie des<br />

quatre humeurs représentées par les quatre éléments,<br />

l'eau, la terre, le feu, et l'air. La maladie est considérée<br />

comme la résultante d'un déséquilibre entre ces humeurs.<br />

Les malades sont regroupés dans les temples qui<br />

peuvent être considérés comme les ancêtres de nos<br />

premiers hôpitaux. Il s'agit des temples d'Asclépios,<br />

l'Esculape des romains, où le malade est isolé dans une<br />

pièce spéciale, l'Abaton, durant une ou deux nuits, le<br />

temps nécessaire pour recevoir et interpréter le songe<br />

que le dieu envoie pour guérir le patient.<br />

Au début du premier millénaire de notre ère, l'invasion<br />

romaine implique des besoins de soins importants en<br />

raison de la nécessité de disposer d'une armée forte et en<br />

bonne santé. Elle favorise le développement de certaines<br />

pratiques d'hygiène et de santé publique. Ainsi, chaque<br />

légion dispose de soldats ayant une expérience pratique<br />

et qui soignent dans des valétudinaria (infirmeries) –<br />

qui donnent le terme de valétudinaire – Ces soins sont<br />

cependant fermés à la population civile.<br />

L'hôpital, en tant qu'entité géographique distincte,<br />

apparaît au IV e siècle. Les premiers écrits le font naître en<br />

actuelle Turquie vers 370, sur l'initiative de l'évêque<br />

Basile. Il a pour but de secourir les pauvres et les vieux,<br />

d'accueillir les lépreux et de soigner les infirmes. Presque<br />

simultanément, en Italie, le premier hôpital voit le jour<br />

vers 394. Notons, pour la petite histoire, que l'année<br />

suivante l'Empire romain est scindé en deux, celui<br />

d'Occident qui s'achèvera définitivement en 476 après<br />

que Rome ait été mise à sac à plusieurs reprises, et celui<br />

d'Orient qui tombera un millénaire plus tard avec la prise<br />

de Constantinople en 1453.<br />

Que retenir de cette longue période qui s'étend depuis les<br />

grottes préhistoriques jusqu'à la chute de l'empire romain<br />

d'Occident? Essentiellement que chaque culture apporte<br />

bienfaits et superstitions dans la manière de soigner. Cette<br />

longue période polythéiste mélange techniques de<br />

traitement des malades constituées, la plupart du temps,<br />

de médications à base de plantes et de techniques<br />

magiques propres à provoquer une intervention divine.<br />

Les armées quant à elles tentent de disposer de troupes<br />

aguerries et en parfaite santé en créant des petites<br />

structures uniquement destinées aux soldats.<br />

Après la naissance du concept d'hôpital, le IV e siècle<br />

est marqué par un second fait qui revêt une importance<br />

capitale. L'Empereur Constantin se convertit au<br />

christianisme, qui dès lors va devenir religion d'État.<br />

Les dieux, jusqu'alors impliqués au premier chef dans<br />

la guérison depuis la magicienne Médée, ne sont<br />

désormais plus partie prenante dans la santé des<br />

hommes. Ils sont remplacés par le Dieu unique. Mais la<br />

christianisation des sociétés au fond ne change pas<br />

grand-chose, Dieu et ses saints prennent peu à peu la<br />

place des anciennes divinités topiques. La relation<br />

triangulée « maladie/dieux/guérison » évolue en<br />

changeant les dieux par le Dieu unique.<br />

L'extension du christianisme et celle des premiers<br />

hôpitaux, appelés « maisons hospitalières », s'effectuent<br />

progressivement. L'hôpital du Moyen Âge est avant<br />

tout un espace institué pour réaliser concrètement,<br />

publiquement et gratuitement l'obligation de charité,<br />

l'une des trois vertus théologales avec la foi et l'espérance.<br />

Afin de racheter ses fautes, chacun doit accomplir<br />

sur terre les sept œuvres de miséricorde: nourrir ceux qui<br />

ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir les<br />

démunis, soigner les malades, accueillir les pèlerins,<br />

visiter les prisonniers et ensevelir les morts. Il y a lieu<br />

cependant d'observer une divergence entre la partie de<br />

l'empire romain qui est devenue orientale et celle qui est<br />

devenue occidentale.<br />

En Orient, on a réalisé, durant les V e et VI e siècles, des<br />

modalités diversifiées de la charité que l'Occident ne<br />

connaîtra que bien plus tard. Si la notion de l'homme<br />

comme pèlerin, étranger sur cette terre, demeure au<br />

centre de la pratique chrétienne, l'attention de l'église<br />

orientale ne se tourne pas moins vers des réalités<br />

sociales spécifiques faisant une distinction entre les<br />

pauvres, les vieux, les orphelins, les enfants abandonnés<br />

sans oublier les malades. C'est ainsi que sont<br />

créés l'hospice des pauvres, celui des pèlerins, celui<br />

des vieillards, celui des enfants abandonnés,<br />

l'orphelinat et enfin l'hôpital pour les malades. En<br />

Orient, la charité s'organise en privilégiant le lien<br />

entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel, la<br />

médecine profane et la médecine sacrée.<br />

En Occident, l'hôpital est universel et indifférencié, tout<br />

comme les lieux ecclésiastiques dans l'enceinte desquels<br />

il reste enfermé pendant très longtemps. Idéalement, il est<br />

destiné à accueillir et à soigner tout homme considéré<br />

comme pèlerin ou comme infirme, viator ou infirmus.<br />

Mais de fait, il est ouvert à toute personne se trouvant en<br />

situation précaire. La charité publique s'organise dans un<br />

contexte privilégiant non pas le lien, mais l'opposition<br />

entre le corps et l'âme, le matériel et le spirituel. Les<br />

conciles, qui à cette époque règlent la vie religieuse,<br />

rappellent les évêques au devoir d'hospitalité à l'égard des<br />

pauvres. Ainsi, celui de 816 à Aix la Chapelle, sous le<br />

règne de Louis I er dit le Pieux où fut demandé la création<br />

d’hôpitaux, près de l'évêché ou de la cathédrale, des<br />

espaces adaptés avec des lits pour accueillir les infirmes<br />

et les nécessiteux en pourvoyant à leurs besoins. Dans ces<br />

lieux, sont accueillis, de façon indifférenciée pauvres,<br />

pèlerins, vieillards, enfants orphelins ou abandonnés et<br />

malades. C'est dans ces lieux sacrés dédiés à Dieu, où la<br />

prière constitue le premier soin, que se révèlent la<br />

puissance et la miséricorde divine. Contrairement à<br />

l'évolution constatée en Orient, le terme hôpital apparu au<br />

ive siècle ne devient vraiment usité qu'à partir du<br />

ixe siècle. Dans ces sanctuaires, la distinction entre<br />

maladie curable et incurable, maladie chronique et aiguë,<br />

maladie et difformité n'a pas de sens ; comme n'a pas de<br />

sens de parler d'un temps pour la maladie et d'un temps<br />

pour le soin, de la guérison et de la convalescence. Le<br />

temps du médecin est remplacé par l'instantanéité de l'intervention<br />

divine.<br />

422 d. moysan


Vue en perspective de l’Hôtel royal des Invalides.<br />

À côté de ces structures hospitalières situées dans le<br />

domaine de l'évêché, il faut noter le long des routes,<br />

notamment celles des pèlerinages ou proches des<br />

sanctuaires religieux, la présence de monastères. La<br />

charité y est organisée en offrant une halte et de la<br />

nourriture aux pèlerins, mais également quelques soins<br />

dans le but de calmer la douleur, sous l'autorité du frère<br />

hospitalier de la communauté initié à la médecine<br />

d'alors à base essentiellement de plantes et de simples<br />

provenant du jardin du monastère.<br />

Charlemagne, Empereur d'Occident au début du IX e siècle,<br />

en s'engageant aux côtés de l'église catholique tente de<br />

reprendre à son compte l'hospitalité comme valeur<br />

dominante jusqu'alors réservée aux religieux. Il introduit<br />

des laïcs auprès des religieux dans les hôpitaux. Ils seront<br />

plus spécialement chargés de l'administration. Au cours<br />

des siècles qui suivent, l'église et l'État royal tentent tour<br />

à tour de s'approprier le monopole de la charité pour<br />

finalement s'accorder sur un objectif commun :<br />

l'enfermement des pauvres, mendiants, invalides et<br />

malades ou asociaux divers. Pour les gouvernants, le<br />

pauvre menace la paix sociale et pour l'église il doit être<br />

secouru comme s'il était le Christ en personne.<br />

La Renaissance, caractérisée par l'amour du beau et du<br />

vrai et qui voit se répandre des idées nouvelles qui<br />

atteignent même la religion par le biais de la Réforme, ne<br />

changera pas profondément l'hôpital. Notons cependant,<br />

même si elle ne lui est pas propre, que l'idée d'établir<br />

un lien voire un parallèle entre le corps et l'âme devient<br />

à partir de XVI e siècle la marque du protestantisme.<br />

À la veille de la Révolution, l'hôpital quant à lui,<br />

est toujours un lieu ecclésiastique jouissant du droit<br />

d'asile à l'écart des changements, n'ayant pas de<br />

médecins à demeure pour soigner. Chaque homme<br />

bénéficiant de l'hospitalité doit d'abord se confesser,<br />

communier et assister aux offices. Le baiser de la paix<br />

n'est donné qu'en suite.<br />

III. L'HÔPITAL MILITAIRE : L'INTRODUC-<br />

TION DE LA LAÏCISATION ET DE LA<br />

MÉDICALISATION DANS LE CONCEPT<br />

HOSPITALIER.<br />

Le siècle de Louis XIV marque un tournant dans<br />

l'évolution du concept hospitalier. À côté de l'hôpital<br />

universel et religieux apparaît l'hôpital réservé<br />

exclusivement aux militaires.<br />

Plusieurs éléments ont concouru à cette évolution.<br />

En premier lieu, la progressive remise en cause de<br />

l'autorité temporelle et des interdits de l'église a<br />

permis l'essor des sciences, au rang desquelles compte<br />

naturellement la médecine.<br />

Par ailleurs, l'art de la guerre est transformé. Les armes<br />

à feu en effet se généralisent et avec elles leurs cortèges<br />

le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france<br />

423


induits de blessés et d'invalides. Cette avancée<br />

technologique conduit à la mutation des effectifs,<br />

lesquels se doivent désormais d'être nombreux mais<br />

également supérieurement entraînés.<br />

C'est alors que des besoins sanitaires spécifiques aux<br />

militaires apparaissent. Il en va ainsi du traitement des<br />

plaies par armes à feu, à propos desquelles Ambroise Paré<br />

recommande une extraction précoce et un nettoyage<br />

soigneux. De la même façon, les fracas osseux causés par<br />

des projectiles nécessitent des amputations réalisées dans<br />

les règles et avec des moyens rudimentaires. Les effectifs<br />

nombreux et stationnés dans des conditions précaires<br />

sont propices au développement de maladies infectieuses<br />

ou encore du scorbut.<br />

La présence de praticiens spécialisés sur les zones de<br />

guerre ou embarqués à bord des navires de la Marine<br />

constitue une première réponse à ces besoins sanitaires<br />

particuliers. Il s'agit toutefois d'une réponse insuffisante<br />

et des hôpitaux temporaires sont créés dans le<br />

prolongement normal des lieux de recueils improvisés<br />

des malades et des blessés. Mais ces mesures ne suffisent<br />

pas du fait d'un manque de personnel compétent et de<br />

l'absence d'organisation rigoureuse. Les hôpitaux de<br />

charité du royaume, en décadence, redoutent d'accueillir<br />

des malades et des blessés particuliers ainsi que des<br />

invalides. C'est pourquoi les premiers hôpitaux militaires<br />

permanents sont créés sous Louis XIII. Les plus connus<br />

sont ceux de Calais et de Brouage, deux places situées<br />

au cœur d'opérations militaires importantes et durables.<br />

Mais le concept hospitalier militaire prend son véritable<br />

essor sous le règne du roi Louis XIV. Celui-ci fait en effet<br />

de l'armée l'un des instruments de sa gloire et nourrit<br />

vraisemblablement une réelle sollicitude pour les<br />

soldats y compris les blessés et les malades.<br />

Plusieurs évènements vont dès lors dans le sens<br />

d'un Service de santé des armées.<br />

Tout d'abord, Louis XIV, soucieux d'incarner un monarque<br />

puissant et généreux, fait élever en 1670 à l'attention<br />

de nombreux invalides confiés jusqu'alors aux autorités<br />

religieuses l'« Hôtel royal des Invalides ». Les premiers<br />

invalides sont admis en 1674, date de l'Édit de fondation<br />

de cet établissement dont la capacité d'accueil est de 3000<br />

pensionnaires. Cette institution est profondément<br />

novatrice. Elle est pourvue dès sa fondation de médecins,<br />

de chirurgiens et d'apothicaires. L'infirmerie de 300 lits<br />

constitue un véritable hôpital, où le développement de<br />

l'activité chirurgicale est tel qu'il conduit à la création de la<br />

première charge permanente de chirurgien au service des<br />

armées. Elle inaugure la part prééminente du militaire sur<br />

le religieux, les Invalides étant soumis à des gardes et des<br />

exercices. L'empreinte de Saint Vincent de Paul demeure<br />

toutefois présente puisque l'aumônerie est assurée par les<br />

prêtres de la mission ou encore que l'apothicairerie est<br />

assurée par la communauté des Filles de la charité.<br />

Par ailleurs, les hôpitaux militaires permanents se<br />

développent. Ces établissements forment une rupture<br />

avec l'hôpital de charité destiné au « renfermement » des<br />

pauvres. L'autorité royale entre ainsi dans des hôpitaux<br />

réservés exclusivement aux traitements du corps pour la<br />

seule communauté militaire.<br />

À terre, Sébastien le Prestre de Vauban imagine des<br />

systèmes défensifs et conçoit un urbanisme militaire<br />

fonctionnel dans lequel s'intègre l'hôpital. Les hôpitaux<br />

terrestres sont gérés selon le régime de l'entreprise : un<br />

entrepreneur, sous l'autorité de l'intendant d'armée, se<br />

charge de la marche de l'entreprise et rétribue le personnel<br />

y compris les médecins.<br />

Sur mer, l'Ordonnance du 15 avril 1689, qui contient les<br />

bases du fonctionnement de la Marine royale, traite<br />

également de la question de l'organisation des soins aussi<br />

bien sur les navires hôpitaux que dans les hôpitaux des<br />

ports. Les hôpitaux maritimes, contrairement aux<br />

hôpitaux terrestres, sont dirigés par un commissaire<br />

nommé par les autorités de la marine. La responsabilité<br />

médicale incombe au premier médecin et au chirurgienmajor<br />

du port. Dans ces établissements, des soins<br />

efficaces à un moindre coût sont prodigués. Innovants<br />

sur bien des points, directement impliqués dans la vie<br />

du port et de l’arsenal, ces hôpitaux dans lesquels les<br />

responsabilités des médecins, chirurgiens et apothicaires<br />

englobent le service à l’hôpital et le service à bord,<br />

inaugurent un concept hospitalier résolument moderne.<br />

L'innovation essentielle à l'origine de la création d'un<br />

service de santé réside dans l'Édit royal du 17janvier1708.<br />

Les finances du royaume sont alors au plus bas, il est donc<br />

créé des « offices de médecins et de chirurgiens des<br />

armées », assorties de la vente des charges correspondantes.<br />

L’Édit crée un corps de chirurgiens et de médecins<br />

de carrière dans les régiments et dans les hôpitaux,<br />

attestant de la volonté d’assurer un « soutien-santé »<br />

permanent dans les armées. La responsabilité technique<br />

de l’assistance aux blessés et malades militaires est<br />

conférée aux médecins et chirurgiens. Le contrôle est<br />

assuré par les médecins et chirurgiens inspecteurs<br />

généraux, cependant que l'administration des moyens<br />

reste entre les mains de responsables non médicaux.<br />

Sans parler d’un réel statut des personnels de santé, l’Édit<br />

en porte les prémices, créant un corps d’inspection et<br />

un corps d’exécution composé de médecins et<br />

chirurgiens hospitaliers et de médecins des corps de<br />

troupe. Les chirurgiens majors, dont tous les régiments<br />

et vaisseaux sont dotés assurent les soins au plus près<br />

des combats. Les hôpitaux des places et des ports<br />

constituent le recours après l’évacuation des malades<br />

et blessés du champ de bataille.<br />

Les fondements du Service de santé des armées et les<br />

bases d’un concept hospitalier militaire sont posés, même<br />

si ces offices sont des charges vénales et même si les<br />

médecins ne disposent d’aucun pouvoir de décision sur le<br />

fonctionnement des établissements.<br />

Cependant, au cours des dernières années de l'ancien<br />

régime, les hôpitaux militaires font l'objet de vives<br />

critiques portant tant sur le principe même, leur préférant<br />

un exercice régimentaire, que sur les abus évidents qui les<br />

déconsidéraient. En outre, l'image de l'armée se dégrade<br />

et celle du Service de santé en pâtit ipso facto. Mais<br />

finalement, une nouvelle fois c'est un adversaire de poids<br />

424 d. moysan


Hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne.<br />

qui en viendra à bout : la dégradation financière du<br />

Royaume. L'Ordonnance du 22 juillet 1788 dispose dans<br />

son article premier : « À dater du premier du mois de<br />

janvier prochain, l'ancienne administration des<br />

hôpitaux, désignés sous les noms d'hôpitaux militaires<br />

sera et demeurera supprimée. » Mais la Révolution<br />

proche empêchera une exécution complète de cette<br />

mesure. Toutefois, il faudra attendre la première<br />

Restauration et une Ordonnance du 25 novembre 1814<br />

pour enlever aux hôpitaux de charité la charge du<br />

traitement des militaires.<br />

Au terme de cette très longue période au cours de laquelle<br />

l'hôpital est essentiellement religieux, interrogeons-nous<br />

sur la triangulation « Homme/Temps/Espace » et nous<br />

remarquons qu'elle s'établit de la façon suivante:<br />

– l’Homme est dominé corps et âme par le clergé, le corps<br />

doit souffrir pour assurer à l'âme le salut éternel;<br />

– le Temps est rythmé par le découpage chrétien, prièreoffice-communion-actions<br />

de grâces… constituant<br />

autant de temps forts de la vie hospitalière;<br />

– l’Espace est divisé en intra et extra-hospitalier. À<br />

l'extérieur, au domicile des malades, règnent les<br />

inciseurs, sorciers, rebouteux et ceux que l'on appelle les<br />

barbiers, ancêtres des chirurgiens. Le médecin formé à<br />

l'université demeure un théoricien détaché de toute<br />

pratique. À l'intérieur, l'État contrôle l'administration,<br />

vérifie les recettes et les dépenses et s'assure de la qualité<br />

de la population recluse, abandonnant à l'église les soins<br />

des âmes et du corps.<br />

Notons enfin que durant cette période l'architecture<br />

hospitalière est marquée par l'eau, élément indispensable<br />

pour faire fonctionner les établissements recevant<br />

pauvres et malades. La proximité des fleuves ou des<br />

sources était indispensable pour le nettoyage et le lavage<br />

de ces établissements hébergeant pauvres, malades et<br />

indigents et où fièvres et parasites de toutes sortes<br />

proliféraient et se propageaient.<br />

IV. L'AVÈNEMENT D'UN HÔPITAL LAÏC DE<br />

PLUS EN PLUS MÉDICALISÉ.<br />

Le siècle des Lumières marque la fin de l'ancien régime<br />

et sa philosophie influence fortement l'opinion publique<br />

qui s'ouvre aux réalités sociales, à la liberté, à l'égalité et<br />

à la fraternité. La foi en l'homme est forte, le pouvoir ne<br />

vient plus du Roi représentant Dieu sur terre, mais de la<br />

Nation émanation du citoyen. Une nouvelle conception<br />

naît avec l'esprit des Lumières, la société crée la misère,<br />

elle en est donc redevable envers l'individu. Nous<br />

assistons au passage d'une politique de charité à une<br />

politique de prévoyance. Les hôpitaux passent ainsi<br />

lentement d'une exigence de charité à une obligation<br />

d'assistance. Cependant, jusqu'à la III e République, les<br />

conceptions de l'ancien régime demeurent prégnantes et<br />

c'est ainsi qu'à titre d'exemple, les hôpitaux conservent<br />

leur appellation « d'établissements de bienfaisance ».<br />

Ces idéaux révolutionnaires sont repris dans les<br />

cahiers de doléances en 1789 et adoptés dans un plan<br />

d'ensemble de réformes sociales présenté par le comité<br />

de mendicité de l'Assemblée Constituante présidée par<br />

La Rochefoucault-Liancourt. Les rapports qui y sont<br />

présentés en 1790 et 1791 remplacent la charité par<br />

l'assistance et considèrent comme nécessaire la<br />

nationalisation de tous les biens hospitaliers. L'assistance<br />

ne doit pas relever de la charité privée ni de l'aumône, elle<br />

est un devoir de la société envers les indigents. L'ordre<br />

social est détruit, les congrégations religieuses dissoutes<br />

et les privilèges abolis : c'est la « grande peur » sur<br />

l'ensemble du pays.<br />

Pour les hôpitaux, les moyens financiers relevaient<br />

jusqu'alors essentiellement de la charité privée constituée<br />

par des rentes, dons, aumônes, que l'on désignait sous<br />

l'ancien régime par l'expression de la « comptabilité de<br />

l'au-delà ». Les moyens humains étaient fournis en<br />

très grande majorité par l'Église. Aussi, la mutation de<br />

l'hôpital religieux vers l'hôpital laïc est-elle vécue<br />

de façon dramatique, car les établissements manquent<br />

cruellement de tout: moyens financiers et humains.<br />

Les caisses de l'État sont vides et le gouvernement<br />

révolutionnaire proclame alors le principe de la<br />

responsabilité communale. Il appartient désormais<br />

à chacune des communes françaises de prendre en<br />

charge sa propre misère et de gérer ses établissements<br />

de bienfaisance. Cette mesure ne connaît pas plus<br />

de résultat, les caisses des communes n'étant pas plus<br />

remplies que celles de l'État.<br />

Napoléon Bonaparte, en devenant le sauveur de la Patrie,<br />

renfloue les caisses avec l'argent pris à l'étranger et<br />

engage une politique de centralisation des pouvoirs.<br />

Dorénavant, les médecins sont nommés par le ministre de<br />

l'Intérieur. Le XIX e siècle, qui débute avec une volonté de<br />

paix exacerbée par les années de trouble, voit Napoléon<br />

reprendre les œuvres de la Révolution avec plus d'autorité<br />

et de contrôle. La toute puissance de l'Église est maîtrisée<br />

par la signature du concordat avec Pie VII autorisant,<br />

notamment, le retour des religieuses dans les structures<br />

hospitalières. L'enseignement médical devient<br />

le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france<br />

425


universitaire et l'hôpital un lieu d'exercice. La pratique<br />

des soins médicaux est réservée aux docteurs diplômés<br />

ayant satisfait aux examens et titulaires d'une thèse.<br />

Vers le milieu du XIX e siècle, l'hôpital est ainsi en bonne<br />

voie de médicalisation. La procédure d'admission relève<br />

de plus en plus du médecin. Il prononce l'admission<br />

du malade qui dès lors est soumis à une double tutelle,<br />

médicale et administrative. La discipline demeure aussi<br />

sévère que sous l'ancien régime et c'est de cette époque<br />

que date le slogan « Hôpital Silence ». Par ailleurs, la<br />

restriction budgétaire, ce mal universel, permet à l'État de<br />

reprendre le pouvoir dans l'hôpital en restreignant la<br />

rémunération du médecin après l'avoir nommé, au<br />

prétexte « qu'il est déjà rémunéré par l'honneur qui<br />

rejaillit sur lui de son titre de médecin de l'hôpital ».<br />

La vocation soignante s'affirme au cours de la seconde<br />

moitié du XIX e siècle. Comme il est moins coûteux de<br />

secourir les vieillards à domicile, il est conseillé aux<br />

médecins d'être plus sélectifs lors de l'admission. De la<br />

même façon, la surveillance des filles publiques<br />

est transférée aux dispensaires. Dans cette même<br />

logique, des hôpitaux psychiatriques sont construits<br />

grâce à la facturation au prix de journée versée par<br />

la famille ou le département.<br />

Parallèlement, le confort et l'hygiène sont améliorés, les<br />

avancées scientifiques, telles que l'asepsie et l'antisepsie,<br />

font évoluer les pratiques et les comportements. Ces<br />

découvertes modifient l'organisation de l'hôpital,<br />

l'emploi du temps journalier en est l'illustration, tout<br />

comme la multiplication des matériels médicaux. Koch<br />

découvre le bacille du charbon et celui de la tuberculose,<br />

Pasteur le vaccin de la rage. La médecine semble toute<br />

puissante, le diagnostic se fait de plus en plus précis<br />

en ayant recours à la chimie et à la physique.<br />

V. LES DIFFICULTÉS DE L'HÔPITAL<br />

MILITAIRE : UNE PRATIQUE MÉDICALE EN<br />

CONSTANTE AMÉLIORATION MAIS UNE<br />

STRUCTURE ADMINISTRATIVE À INVENTER.<br />

Depuis la Révolution et au cours du XIX e siècle, le concept<br />

hospitalier militaire est malmené. Les gouvernements<br />

successifs ont cherché pendant 150 ans la structure<br />

la plus adaptée aussi bien en temps de guerre qu'en<br />

temps de paix.<br />

Pourtant, au sortir de la Révolution, on aurait pu imaginer<br />

qu'un conquérant comme Napoléon Bonaparte se<br />

doterait d'un Service de santé de nature à répondre<br />

efficacement aux besoins de ses troupes. Or tel n'a pas été<br />

le cas et les hommes qui ont porté le Service de santé des<br />

armées n'ont eu de cesse de tenter de remédier aux<br />

difficultés et aux désorganisations induites par les<br />

décisions adoptées depuis la tourmente révolutionnaire.<br />

Au cours des premières années de la période révolutionnaire,<br />

les facultés sont supprimées, les hôpitaux<br />

d'instruction sont fermés et des officiers de santé sont<br />

licenciés. La Convention tente de remettre sur pied le<br />

Service de santé des armées. Mais par la suite, les lois<br />

adoptées sous le Directoire s'attachent bien plus à<br />

renforcer le pouvoir de l'administration en plaçant le<br />

Service de santé sous tutelle administrative qu'à résoudre<br />

le problème des effectifs en officiers de santé.<br />

C'est dans cet état d'esprit que commencent les campagnes<br />

napoléoniennes. Dans ces guerres de conquêtes, il y a lieu<br />

Hôpital Saint Mandrier.<br />

426 d. moysan


Hôpital du Val-de-Grâce au XIX e .<br />

de noter l'œuvre du Baron Dominique Larrey. Ce chirurgien<br />

d'exception, précurseur de la médecine humanitaire,<br />

invente les ambulances volantes: les chirurgiens suivent<br />

les troupes à pied avant d'arriver aux blessés pour les<br />

opérer directement sur le champ de bataille avant de les<br />

évacuer vers des structures en 2 e et 3 e lignes. Ces<br />

campagnes mettent ainsi en lumière les prouesses<br />

techniques des chirurgiens et des médecins militaires.<br />

Elles mettent également en exergue, surtout la campagne<br />

d'Égypte, les lacunes et les dysfonctionnements<br />

du Service de santé : manque d'effectifs, insuffisance<br />

des supports logistiques. Aussi, malgré les prouesses<br />

réalisées sur les champs de bataille, de très nombreux<br />

blessés et malades sont à déplorer.<br />

Pourtant, aucun enseignement n'est tiré des désastres<br />

sanitaires des campagnes napoléoniennes. Sous le<br />

Consulat en effet, il est décidé, pour des raisons purement<br />

économiques, de réduire les effectifs en licenciant les<br />

officiers de santé et de fermer des hôpitaux terrestres.<br />

En réalité, Napoléon organise un Service de santé<br />

pour des guerres de conquête, en distinguant le champ<br />

de bataille, les hôpitaux ambulants, les hôpitaux<br />

temporaires et les hôpitaux permanents. Le temps et le<br />

lieu de l'intervention médicale dépendent donc de la<br />

situation géographique des forces armées en campagne.<br />

Une telle architecture comporte deux conséquences: tout<br />

d'abord, le Service de santé connaît de grandes difficultés<br />

au moindre revers militaire. Par ailleurs, aucune place<br />

n'est imaginée pour l'hôpital militaire en temps de paix<br />

de telle sorte que de nombreux licenciements, et des<br />

démissions, interviennent à la moindre lueur de paix. On<br />

comprend aisément que les problèmes d'effectifs,<br />

déjà importants depuis la Révolution, s'aggravent<br />

en période de paix sous le I er Empire, hypothéquant<br />

ainsi la préparation du Service de santé pour de<br />

nouveaux conflits.<br />

Cette période est une alternance de crises sanitaires<br />

consécutives aux nombreuses guerres et de licenciements<br />

de personnels en période de paix. Le concept hospitalier<br />

militaire peine donc à définir ses contours: des hôpitaux<br />

projetés ou fixes ? Des hôpitaux permanents ou<br />

temporaires et propres aux périodes de guerre?<br />

La question de la formation du personnel soignant est<br />

également l'objet de valse-hésitation. Faut-il organiser un<br />

cursus particulier pour les médecins militaires ou doit-on<br />

recruter parmi les médecins sortant des facultés ?<br />

L'ouverture à Paris d'une école unique en 1850, désignée<br />

sous le titre d'École d'application de la médecine militaire<br />

constitue une réponse. Toutefois, cette école rattachée à<br />

l'hôpital du Val-de-Grâce, est « arrachée » au ministre de<br />

la Guerre, de telle sorte que ses intérêts ont parfois dû<br />

défendus avec énergie. Sa mission est d'assurer<br />

aux médecins l'enseignement des maladies spéciales<br />

des armées, des données et des pratiques spécifiques<br />

à la médecine militaire.<br />

Les batailles se succèdent au cours du XIX e siècle et<br />

les combats sont de plus en plus meurtriers. Ce sont<br />

toujours les mêmes situations de crises que l'on déplore:<br />

insuffisance des effectifs, insuffisance du matériel<br />

sanitaire, plans d'évacuation mal préparés, de telle sorte<br />

que le Service de santé doit faire face à de nombreuses<br />

crises sanitaires. On assiste alors à l'éveil d'une conscience<br />

le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france<br />

427


universelle. Sous le II nd Empire, le développement des<br />

œuvres philanthropiques, l'internationalisation et le<br />

souci de fraternité font naître des sentiments de charité<br />

à l'égard des armées en campagne, ce qui aboutira<br />

notamment à l'ouverture de la première École impériale<br />

du Service de santé militaire à Strasbourg destinée à la<br />

formation de médecins militaires. Il existe une relation<br />

étroite entre cette école et l'École d'application de Paris, la<br />

seconde proposant une formation complémentaire<br />

aux élèves de la première.<br />

La défaite de 1870 et la chute du II nd Empire suscitent<br />

un élan patriotique à l'égard des blessés et les autorités<br />

militaires en profitent pour obtenir une refondation<br />

globale du Service de santé et mettre fin aux mesures<br />

« patchwork » qui ont prévalu jusque-là. Le Service de<br />

santé de l'armée de Terre obtient son autonomie dans une<br />

Loi du 16 mars 1882 modifiée par la Loi du 1 er juillet<br />

1889 : la direction est entre les mains du corps médical,<br />

en temps de guerre comme en temps de paix ; tous les<br />

personnels spécialisés sont sous les ordres et la responsabilité<br />

administrative du Service. Concomitamment, à la<br />

suite de la fermeture de l'école de Strasbourg, l'École du<br />

Service de santé militaire s'ouvre à Lyon. Le Service de<br />

santé de la Marine œuvre également à l'acquisition de<br />

son autonomie complète et une école de formation propre<br />

est créée à Bordeaux.<br />

Si, sous Louis XIV, l'hôpital militaire a été précurseur<br />

dans l'évolution du concept hospitalier, notamment par<br />

un mouvement au moins partiel de laïcisation et de<br />

médicalisation, il a connu de grandes difficultés<br />

structurelles au cours du XIX e siècle, qui ont freiné son<br />

développement. Malgré les atermoiements autour de la<br />

notion et de la structure de « Service de santé des<br />

armées », la vocation soignante de l'hôpital militaire n'a<br />

cessé de se préciser, permettant ainsi aux médecins de<br />

répondre à leur obligation d'assistance. Les officiers de<br />

santé ont en effet toujours fait preuve du dévouement et de<br />

l'humanité attachés à leur mission et ont participé,<br />

souvent dans des conditions extrêmes, aux progrès très<br />

importants réalisés dans le domaine des sciences<br />

médicales. Les hommes, même au sein de structures<br />

changeantes, ont amélioré et affiné toujours et encore<br />

leurs connaissances médicales.<br />

VI. QUEL BILAN TIRER DE CETTE PÉRIODE<br />

ALLANT DE LA RÉVOLUTION À LA<br />

III E RÉPUBLIQUE?<br />

La philosophie des Lumières a changé l'hôpital en<br />

profondeur. Avant la Révolution, le pauvre fauteur de<br />

troubles doit être enfermé, de telle sorte que lors des<br />

épidémies, une population contagieuse est mélangée aux<br />

« indésirables », aux pauvres, aux fous et folles et aux<br />

filles publiques. Cette hétérogénéité peu à peu s'estompe,<br />

pour laisser place à des malades soumis à une classe<br />

médicale qui soigne. L'expertise de la profession est<br />

nécessaire pour juguler les épidémies, maintenir la bonne<br />

santé des travailleurs et assurer la reconduction de la force<br />

de travail indispensable à l'industrialisation du pays.<br />

Le positionnement de l'homme, malade qui souffre,<br />

s'établit désormais dans le temps et l'espace de la façon<br />

suivante:<br />

– l’Homme, a vu son esprit se libérer avec la République et<br />

le triomphe de la laïcité et son corps livré au pouvoir<br />

médical fort du soutien de l'État et des progrès de<br />

la science;<br />

– l’Espace hospitalier est occupé par l'État, qui y exerce<br />

son contrôle et fait assurer l'administration par un<br />

personnel laïque;<br />

– le Temps passe, comme le corps, d'une domination<br />

ecclésiastique à une domination médicale. Il n'est plus<br />

rythmé par la prière, mais par les contraintes dictées par<br />

l'exercice de l'« art médical ». La prise de température à<br />

heures fixes date de cette époque.<br />

Ces bouleversements sont intégrés aux impératifs de<br />

l'architecture hospitalière. L'air, après l'eau, en devient<br />

l'élément prépondérant en raison des découvertes de<br />

Pasteur. L'air véhicule les microbes, les architectes<br />

conçoivent donc une architecture pavillonnaire.<br />

VII. L'HÔPITAL CONTEMPORAIN DANS UN<br />

ENVIRONNEMENT DOMINÉ PAR LA LOI DU<br />

MARCHÉ.<br />

La fin du XIX e siècle marque le début d'une évolution<br />

nouvelle de l'hôpital. En 1892 est créée l'Assistance<br />

médicale gratuite (AMG). Elle est confiée aux communes<br />

et aux départements. Cette réforme nécessite la mise en<br />

place d'une comptabilité plus élaborée aboutissant au prix<br />

de journée fixé par le préfet. Elle emporte, de plus, deux<br />

autres conséquences : d'une part l'obligation pour<br />

l'hôpital de recevoir tous les malades non soignés à<br />

domicile et, d'autre part, la modification du rapport<br />

médecin/malade, le premier considérant le second<br />

comme un client. La maladie s'individualise et l'État<br />

prend peu à peu la forme d'un État-providence.<br />

Les relations entre l'Église et l'État se dégradent jusqu'à la<br />

séparation de 1905. L'instituteur, ce « hussard noir de la<br />

République» socialisant les enfants à partir des directives<br />

du pouvoir central et d'idées républicaines, constitue un<br />

exemple vivant de cette époque jusqu'à la Seconde<br />

Guerre mondiale. De la même façon, les religieuses qui<br />

avaient encore des fonctions à l'hôpital se les voient petit<br />

à petit retirer.<br />

Les médecins qui exerçaient avec charité, passent<br />

d'un registre symbolique à un autre plus économique.<br />

L'hôpital, religieux durant des millénaires, laïc depuis<br />

plus d'un siècle, vient à être dominé par les lois du marché.<br />

Cette évolution s'effectue tout au long du XX e siècle en<br />

fonction des événements qui ont marqué son histoire:<br />

– la séparation de l'Église et de l'État induit, entre autres<br />

conséquences, la création des écoles d'infirmières;<br />

– la Loi de 1928 sur les assurances sociales valide et<br />

pérennise le principe de la médecine libérale, plus que<br />

jamais réaffirmé et en vigueur aujourd'hui;<br />

– les avancées du Front Populaire se répercutent sur le<br />

personnel hospitalier;<br />

428 d. moysan


– la création de la sécurité sociale en 1945, en organisant<br />

le service public de la santé, tente de planifier le développement<br />

de l'hôpital, mais il est déjà trop tard;<br />

– en 1958, la Loi « Debré » assimile les médecins<br />

hospitaliers à des fonctionnaires, tout en leur permettant<br />

de cumuler cette fonction avec celle de professeur<br />

des universités et de pouvoir disposer dans les CHU<br />

d'une clientèle privée;<br />

– en 1961 est créée l'École nationale de santé publique,<br />

maillon déconcentré du pouvoir central;<br />

– les Lois hospitalières de 1970 et 1991 introduisent<br />

une nouvelle dimension avec les projets d'établissement<br />

et les contrats:<br />

– les ordonnances de 1994 ancrent la santé dans une<br />

démarche qualité ayant pour ambition de mieux soigner<br />

le patient pour un moindre coût;<br />

– la Loi de Santé Publique du 9 août 2004 et la Loi relative<br />

à l'assurance-maladie du 13 août 2004…<br />

VIII. UN CONCEPT HOSPITALIER MILITAIRE,<br />

SYNTHÈSE DE SON HISTOIRE DANS UN<br />

MONDE GLOBAL.<br />

De nombreux conflits auxquels les forces armées<br />

françaises ont pris part se sont déroulés au XX e siècle: deux<br />

guerres mondiales, les conflits de la décolonisation, les<br />

crises politiques et sanitaires dans les pays défavorisés, etc.<br />

Tout au long de cette période, le Service de santé des<br />

armées, fort de son autonomie, s'est attaché à définir et<br />

construire la structure de l'hôpital militaire la plus<br />

efficiente possible. Il a dû s'adapter constamment afin de<br />

définir des tactiques sanitaires en fonction des moyens de<br />

guerre toujours plus puissants, au gré des territoires<br />

d'intervention des forces armées, en tenant compte des<br />

formes nouvelles de combat et de pathologies observées,<br />

tout en veillant à la prophylaxie des maladies infectieuses<br />

et parasitaires.<br />

À la fin de la deuxième période, deux axes de réflexions<br />

étaient apparus, d'une part le développement des progrès<br />

de la science et d'autre part la capacité opérationnelle.<br />

Pour la part scientifique, force est de constater que le<br />

progrès a continué d'apporter son lot d'améliorations et de<br />

nouveautés dans la prise en charge des malades et blessés.<br />

Pour reprendre les mots de Maurice Druon, « Qu'elle est<br />

loin, qu'elle est effacée l'image du “toubib” de jadis<br />

muni de sa lancette, de son flacon de quinine et d'un<br />

savoir limité ».<br />

Pour la part structurelle et opérationnelle, la problématique<br />

consistant à choisir entre hôpitaux permanents<br />

et hôpitaux projetés a montré ses limites. Des hôpitaux<br />

terrestres trop nombreux ne sont pas viables économiquement<br />

tandis que des hôpitaux projetés ne peuvent être<br />

opérationnels sans structures nationales pérennes. L'enjeu<br />

est dès lors la légitimité des hôpitaux militaires terrestres<br />

permanents. Deux catégories d'éléments au moins peuvent<br />

être avancées pour légitimer les hôpitaux permanents.<br />

Les missions dévolues au Service de santé des armées ont<br />

évolué. Ainsi notamment, outre la mission de soutien des<br />

forces armées, le Service de santé a organisé à partir de la<br />

France, et donc grâce aux structures permanentes,<br />

des missions humanitaires par le biais de formations<br />

particulières: l'Élément médical militaire d'intervention<br />

rapide (EMMIR), la Bioforce et la Force d'assistance<br />

humanitaire militaire d'intervention rapide (FAHMIR).<br />

Par ailleurs, un Décret du 14 mai 1974 a ouvert les<br />

Hôpital d’instruction des armées Percy.<br />

le service de santé des armées et l’évolution du concept hospitalier en france<br />

429


hôpitaux militaires à tous les malades et blessés qui le<br />

souhaitent et non plus seulement aux seuls militaires. Le<br />

caractère permanent des hôpitaux militaires, en ce qu'ils<br />

participent à la mission de service public de santé public,<br />

s'en trouve légitimé.<br />

La légitimité de la nécessité d'une architecture duale est,<br />

également, être à rechercher dans l'évolution géopolitique<br />

du monde. Si la question de l'existence même d'une<br />

dualité « hôpitaux projetés et hôpitaux terrestres<br />

permanents » se posait avec beaucoup d'acuité au temps<br />

de Napoléon, c'est peut-être bien parce que les guerres se<br />

déroulaient ou partaient du territoire national, que le<br />

temps de la guerre dépendait autant de considérations<br />

internes et nationales que de l'ambition des dirigeants.<br />

Actuellement, le temps de l'intervention armée s'est<br />

mondialisé et le Service de santé des armées se doit de<br />

toujours se trouver dans la capacité de répondre à toutes<br />

situations d'urgence, dans n'importe quel point du globe.<br />

Puisque la nécessité d'hôpitaux projetés peut se révéler à<br />

tout moment, en dehors de la considération de l'état de<br />

paix sur le territoire national, le fonctionnement<br />

d'hôpitaux permanents se justifie de fait.<br />

Au cours de cette dernière période, l'hôpital est entré<br />

résolument dans une logique de marché. La médecine<br />

n'a plus à montrer son utilité pour être légitime.<br />

L'administration hospitalière, en tant que relais de<br />

l'État, contribue à la prééminence du pouvoir médical,<br />

mais s'affirme également comme force de proposition.<br />

Avec les indicateurs économiques, non seulement<br />

elle connaît de la prise en charge hospitalière, mais encore<br />

elle sait qui fait quoi.<br />

Aujourd'hui le triangle « Homme-Espace-Temps »<br />

s'établit de la façon suivante:<br />

– l'Homme, malade est toujours uniquement dépendant<br />

du médecin;<br />

– l'Espace est aussi médicalisé, divisé en services,<br />

départements ou pôles;<br />

– le Temps est également passé à un découpage médical:<br />

l'heure de la visite, de la contre visite, des prélèvements,<br />

des examens complémentaires, des soins…<br />

Si l'eau et l'air ont orienté l'architecture hospitalière<br />

des deux premières périodes, l'hôpital actuel quant à lui,<br />

voit son architecture influencée par l'espace et le temps.<br />

L'espace, car il faut rentabiliser l'emprise au sol, obtenir<br />

un meilleur usage des surfaces et une plus grande<br />

productivité des équipes. Avec la découverte des<br />

antibiotiques, par Sir Alexander Fleming en 1945, on<br />

pensait avoir vaincu à jamais le risque infectieux, c'était<br />

l'époque des années d'après guerre où les hôpitaux neufs<br />

prennent la forme de H, X ou Y.<br />

Le temps ensuite, celui des patients qui ne veulent plus<br />

être hospitalisés trop longtemps et celui des équipes<br />

hospitalières que l'on cherche à optimiser. L'hôpital de<br />

nos jours est moins un lieu d'hébergement qu'un lieu de<br />

passage dans des locaux de plus en plus spécialisés et<br />

sophistiqués, devant tenir compte de la nouvelle écologie<br />

bactérienne et des résistances aux antibiotiques. Dans un<br />

proche avenir, on peut supposer qu'il se rapprochera sans<br />

doute plus d'un aéroport que d'un hôtel.<br />

IX. CONCLUSION.<br />

Au terme de ce chemin commencé en compagnie de<br />

Médée, nous avons vu au fil des siècles une logique<br />

d'échanges symboliques où pauvres et malades<br />

recevaient aide et accueil religieux, être remplacée par<br />

une logique d'échanges économiques où le malade et la<br />

religion se sont affrontés pour disposer des hôpitaux selon<br />

leur volonté propre. L'homme a accompagné ces<br />

évolutions en se positionnant de son mieux dans<br />

l'espace et le temps hospitaliers. Le malade qui souffre,<br />

« homme-objet » situé au centre des préoccupations<br />

religieuses puis laïques du système de santé, s'est déplacé<br />

vers la périphérie où il est devenu « homme-sujet » d'un<br />

système économique dans lequel il convient de ne pas<br />

faire de la guérison une simple marchandise.<br />

À l'aube du XXI e siècle, l'hôpital militaire doit toujours<br />

assurer sa mission première de soutien des forces armées<br />

en tous lieux, à tout moment, en toutes circonstances, sans<br />

rupture ni dans l'espace ni dans le temps. Même si ce<br />

concept est demeuré invariant au cours des siècles,<br />

l'hôpital militaire doit également participer au service<br />

public hospitalier et s'adapter à un environnement<br />

économique de plus en plus prégnant. Aujourd'hui,<br />

l'hôpital est devenu une entreprise, devant par son activité<br />

assurer une grande part de son fonctionnement. Il lui<br />

faut trouver un juste équilibre entre l'hôpital au service<br />

de l'homme, qui place le patient au centre de toutes ses<br />

préoccupations, et l'hôpital-entreprise, où l'espace<br />

détermine la productivité des équipes soignantes, où le<br />

temps est compté. Il appartient aux hommes et aux<br />

femmes qui composent ces équipes de ne jamais perdent<br />

de vue la notion d'humanité, assez peu éloignée du<br />

concept de charité qui a, pendant trois siècles, guidé<br />

l'exercice de la médecine militaire et de garder ancrée<br />

en eux la maxime “pro patria et humanitate”.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Histoire de la médecine aux armées Tomes 1, 2 et 3. Charles<br />

Lavauzelle 1982.<br />

2. Notes et études documentaires N° 4949. La documentation<br />

française 1992.<br />

3. Les hôpitaux en France. Jean Imbert. Presses universitaires de<br />

France 1996.<br />

4. « De la charité médiévale à la sécurité sociale », sous la direction de<br />

André Guesclin et Pierre Guillaume. Les éditions ouvrières. 1996.<br />

5. L'hôpital aux prises avec l'histoire. Joël Autret. L'harmattan<br />

2004.<br />

6. L'hôpital. Jean de Kervasdoué. Presse Universitaires<br />

de France 2004.<br />

430 d. moysan


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LE CORPS TECHNIQUE ET ADMINISTRATIF DU SERVICE<br />

DE SANTÉ DES ARMÉES<br />

Un aboutissement<br />

P.-J. LINON<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Créé en 1976, ce corps est le fruit d’une évolution lente<br />

mais progressive au rythme des changements intervenus<br />

dans les armées et des mutations du Service de santé des<br />

armées depuis le XVIII e siècle.<br />

La fonction administrative hospitalière dans les armées<br />

connaîtra deux périodes, l’une civile, l’autre militaire, à<br />

partir de 1824, commencée dans le cadre de l’Intendance<br />

militaire, puis en intégrant pleinement le Service de santé.<br />

II. ADMINISTRATION CIVILE.<br />

La première période se caractérise par une administration,<br />

en régie ou en entreprise, deux systèmes possédant<br />

autant d’inconvénients que d’avantages qui les feront<br />

successivement appliquer ou supprimer. Le juriste est<br />

frappé par le nombre de textes et de réorganisations,<br />

de 1716 à 1788; l’historien par la critique des médecins à<br />

l’égard de l’administration des hôpitaux. C’est l’époque<br />

des contrôleurs. Suby, qui avait été entrepreneur des<br />

hôpitaux militaires, écrit à leur sujet : « Les contrôleurs<br />

des hôpitaux militaires ont des fonctions qui peuvent être<br />

considérées comme inutiles. » (1).<br />

Trois arrêtés de l’an 8 s’inscrivent dans cet ensemble de<br />

réformes que Louis Madelin a qualifié de « monument de<br />

l’an 8 ». Le premier établit un Conseil de santé, le second<br />

un directoire central des hôpitaux militaires. Le dernier,<br />

du 24 thermidor, concerne les trois classes d’hôpitaux et<br />

constitue un véritable règlement. Le corps civil des agents<br />

des hôpitaux militaires y trouve ses structures novatrices.<br />

Il participera à toutes les campagnes de l’Empire en<br />

supportant les vicissitudes du temps et la pression des<br />

commissaires des guerres et ordonnateurs.<br />

Sous la Restauration, quatre inspecteurs des hôpitaux<br />

seront maintenus, placés sous les ordres directs du<br />

Conseil de santé des armées, dont Simonnin, Legendre et<br />

P.-J. LINON colonel (cr).<br />

Correspondance: P.-J. LINON, 36 rue des fontaines, 92310 SÈVRES.<br />

Gubert qui seront intégrés avec le grade d’officier<br />

principal d’administration dans le corps des officiers<br />

d’administration des hôpitaux.<br />

III. ADMINISTRATION MILITAIRE.<br />

L’acte de naissance du corps des officiers d’administration<br />

des hôpitaux est l’ordonnance du 18 septembre 1824<br />

portant réorganisation du personnel du Service de santé<br />

et des hôpitaux de l’armée de Terre. Il est formé par la<br />

militarisation des agents des hôpitaux militaires.<br />

Cette ordonnance présente une conception générale<br />

nouvelle car toutes les parties qui composent le<br />

Service de santé semblent enfin réunies. Ce n’est en<br />

fait qu’une apparence.<br />

Sous la surveillance de l’Intendance, la Direction<br />

générale du Service des hôpitaux des armées et des<br />

hôpitaux d’instruction est confiée aux officiers<br />

d’administration. La fonction d’officier d’administration<br />

en chef d’armée est créée pour celui qui sera désigné<br />

pour diriger le Service des hôpitaux aux armées. Le<br />

premier sera l’officier principal d’administration<br />

Michel à l’armée d’Afrique en 1830.<br />

Pour illustrer le poids et la contrainte de l’Intendance,<br />

on peut se référer au règlement qui suivra l’ordonnance<br />

de 1824 et à ses 824 articles!<br />

À partir de 1838 d’autres cadres d’officiers d’administration<br />

seront organisés au sein de l’Intendance.<br />

Cette réorganisation se fera au désavantage des officiers<br />

d’administration des hôpitaux. Après huit années<br />

de débats parlementaires, la Direction des hôpitaux<br />

militaires est confiée aux médecins (loi du 16mars 1882).<br />

Mais les officiers d’administration des hôpitaux<br />

n’appartiendront au Service de santé militaire qu’après le<br />

vote de la loi d’autonomie complète du 1 er juillet 1889. Ce<br />

transfert s’effectuera dans la douleur pour nombre des<br />

325 officiers d’administration qui restaient attachés à<br />

l’esprit et aux pratiques de l’Intendance. La déposition de<br />

l’Officier d’administration principal (OAP) Antonini<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 431


Journal Officiel 1889.<br />

432 p.-j. linon


devant la Commission parlementaire le 22 mars 1878, est<br />

un morceau de bravoure, polémique et théâtral (2).<br />

Entre-temps, le corps s’était développé en Algérie où<br />

servait le tiers des ses effectifs (45 hôpitaux en 1881), et<br />

illustré avec tous les corps expéditionnaires : Morée,<br />

armée d’Afrique, Crimée, Italie, Chine, Syrie, Mexique,<br />

Tonkin, Tunisie et, plus tard, Madagascar et Maroc.<br />

De 1828 à 1895, on compte 73 officiers du corps, tués à<br />

l’ennemi ou victimes du devoir.<br />

L’École d’administration militaire avait été créée<br />

en 1875 à Vincennes. L’officier d’administration<br />

des hôpitaux Poulard, licencié en droit, y<br />

sera professeur et concevra le programme<br />

destiné aux futurs officiers du corps. Cette<br />

école formera les officiers d’administration<br />

des Services de santé jusqu’en 1939.<br />

IV. ÉVOLUTIONS AU SEIN DU SERVICE<br />

DE SANTÉ.<br />

De nouveaux règlements sont conçus: Service de<br />

santé à l’intérieur (1889), Service de santé<br />

de l’armée en campagne (1892). L’histoire a<br />

retenu le nom de l’OAP Picard parmi les<br />

membres de la commission chargée de la<br />

rédaction. Les officiers comptables deviennent<br />

alors gestionnaires.<br />

Deux faits importants marquent le début du XX e siècle :<br />

la correspondance des grades avec ceux de la hiérarchie<br />

militaire (1900), le grade le plus élevé étant celui<br />

d’officier d’administration principal (OAP) équivalent<br />

à commandant et la création du cadre d’officiers<br />

d’administration du Service de santé des troupes<br />

coloniales (1904).<br />

La guerre de 1914-1918 tissera des liens indéfectibles<br />

entre le corps médical et ses officiers d’administration<br />

d’active et de réserve (4900 au moment de l’armistice).<br />

Le corps aura 175 morts dont 149 réservistes. Ancien<br />

sous-secrétaire d’État du Service de santé militaire, Justin<br />

Godart a écrit : « Le jour où sera fait un ouvrage<br />

d’ensemble sur le rôle des officiers d’administration de<br />

1914 à 1918, on comprendra les services que ce corps a<br />

rendu au Pays… » (3).<br />

Pour distinguer deux d’entre eux, on peut citer l’OAP<br />

Raphal, choisi par le médecin inspecteur Toubert, aidemajor<br />

général du Service de santé au Grand quartier<br />

génral des forces (GQGF) en mars1918. Sa mission et ses<br />

responsabilités seront considérables (4): tout le matériel<br />

sanitaire, l’ensemble des ravitaillements et les formations<br />

de campagne. On peut citer aussi l’OAP Denain, servant<br />

volontairement à l’armée d’Orient. Il sera promu<br />

commandeur de la Légion d’honneur en avril 1918.<br />

Pendant la campagne du Maroc, l’officier d’administration<br />

de 2 e classe Teulé, gestionnaire de l’ambulance de<br />

colonne mobile n° 22 (1925-1926), sera cité à l’Ordre de<br />

l’armée. Son carnet de route servira de modèle (5).<br />

Un fait statutaire majeur est compris dans la loi des cadres<br />

et effectifs de l’armée du 28 mars 1928. Les appellations<br />

de classes pour tous les officiers du Service de santé<br />

sont remplacées par les grades militaires. Le grade<br />

de lieutenant-colonel d’administration est créé. À<br />

l’origine des mesures concernant le Service de santé : le<br />

sénateur Eugène Penancier, président des officiers<br />

d’administration de réserve du Service de santé. À<br />

cette époque, on compte près de 100 hôpitaux<br />

militaires (métropole et Afrique du Nord, sans compter<br />

l’Outre-Mer).<br />

Quelques chiffres pour la guerre 1939-1945 (active et<br />

réserve), 37 officiers dans la France Libre,<br />

54 morts pour la France, 2 Compagnons de la<br />

Libération: Amiot, active et Dehon, réserve, 43<br />

médailles de la Résistance dont 7 avec rosette.<br />

Parmi les morts, 16 tués à l’ennemi, 4 fusillés,<br />

10 en déportation dont le capitaine Salvat.<br />

Jean Baillou sera élevé à la dignité de grand<br />

officier de la Légion d’honneur (1973) comme<br />

commandant d’administration de réserve<br />

honoraire (déportés-résistants).<br />

Un nouvel acte de l’intégration effective du<br />

corps dans le Service de santé est la création<br />

d’une section administrative à l’École du Service<br />

de santé militaire (ESSM) de Lyon en juin 1946 sous<br />

l’impulsion du Médecin général inspecteur<br />

Debenedetti. Près de 600 officiers y seront formés<br />

avant de rejoindre les écoles d’application. Deux<br />

professeurs s’y distinguent : les lieutenants-colonels<br />

Deporcq, licencié en droit, à l’ESSM et Cluzel, docteur<br />

ès-lettres, à l’École d’application du Service de santé<br />

militaire (EASSM).<br />

Le corps participera aux guerres d’Indochine et<br />

d’Algérie, laissant sa trace en Allemagne, en Afrique<br />

du Nord et Outre-Mer.<br />

En 1965, la loi du 13 juillet réunit en un seul corps les<br />

officiers d’administration du Service de santé de<br />

l’armée de Terre et des troupes de Marine et intégra sur<br />

option ceux des branches « commissariat et santé » et<br />

« comptables matières » de l’armée de Mer.<br />

Enfin est créé le corps technique et administratif du<br />

Service de santé des armées (24 décembre 1976).<br />

Rompant avec les principes de 1882, le statut prévoit que<br />

ses officiers assurent des fonctions administratives ou<br />

techniques d’encadrement, qu’ils peuvent exercer des<br />

fonctions de commandement et participer à la direction<br />

des organismes de leur service et être appelés à faire partie<br />

d’organismes interarmées. Le nouveau statut offrait des<br />

perspectives nouvelles. François Ardhuin sera le premier<br />

officier Général de brigade nommé en 2 e section (1985)<br />

et Jean-Alain Le Corre, le premier en 1 re section (1993).<br />

L’École militaire du corps technique et administratif,<br />

créée le 1 er juillet 1977, forme désormais les élèves<br />

officiers du Corps technique et administratif du<br />

Service de santé des armées (CTASSA), qui effectuent<br />

ensuite une année à l’École du Val-de-Grâce où ils<br />

suivent un enseignement universitaire (Master II Pro en<br />

cohabilitation avec Paris VII). Le recrutement direct<br />

parmi des diplômés de l’enseignement supérieur,<br />

complétant le recrutement semi-direct, apporte la variété<br />

des formations universitaires initiales. Les spécialités<br />

le corps technique et administratif du service de santé des armées<br />

433


dans lesquelles sont répartis les officiers couvrent un<br />

large spectre : administration et gestion hospitalière,<br />

administration générale et gestion financière,<br />

approvisionnement sanitaire, administration des<br />

personnels, encadrement, enseignement et instruction,<br />

informatique etc. pour la branche administrative,<br />

psychologie appliquée, recherches et techniques de<br />

laboratoire, génie sanitaire et bio-médical pour la branche<br />

technique. Sur le plan du perfectionnement, les diplômes<br />

(Diplôme de qualification militaire (DQM), Diplôme<br />

militaire supérieur (DMS), Diplôme technique (DT)) et le<br />

brevet technique « option Études spécialisées du Service<br />

de santé », (enseignement militaire supérieur du 2 e degré)<br />

jalonnent le cursus professionnel.<br />

Le champ des activités s’est élargi par l’application des<br />

règles du service public hospitalier. Il s’est enrichi par des<br />

systèmes d’information performants et des procédures<br />

nouvelles, par l’ouverture à d’autres disciplines comme<br />

l’économie de la santé, par la formation militaire et<br />

logistique, par la participation aux opérations extérieures<br />

(Groupement médico-chirurgical (GMC), notamment).<br />

Et, depuis 2004, l’officier général du corps est Inspecteur<br />

technique administratif du SSA.<br />

V. CONCLUSION.<br />

On peut suivre historiquement l’évolution du corps<br />

jusqu’à son aboutissement par la création du corps<br />

technique et administratif (6). Le niveau des méthodes et<br />

celui de la méthodologie qui caractérisent les 2 e et 3 e<br />

cycles de l’enseignement supérieur, correspondent<br />

bien aux connaissances et aux capacités d’un nombre<br />

toujours croissant d’officiers du corps. Ces qualités ne<br />

sont-elles pas de nature à satisfaire le développement<br />

d’un sens accru des responsabilités et la préparation<br />

à relever des challenges nouveaux, ainsi que l’exprime<br />

le Médecin général des armées Bernard Lafont,<br />

Directeur central du Service de santé des armées dans<br />

son commentaire sur le Livre blanc? (7).<br />

Baptême de la promotion 2008 des élèves officiers d’administration du Service de santé des armées à l’École du Val-de-Grâce.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Suby in Des Hôpitaux militaires, Collignon éd, Metz, 1789.<br />

2. Antonini Journal officiel du 9 février 1880.<br />

3. Godart Bull. RAOARSS n° 345, février 1935.<br />

4. Biog. Raphal, par P.-J. Linon in Rev. OCTASSA, n° 101, 1 er trim.<br />

1988.<br />

5. Teulé, Arch.med.ph.mil, t.82, 1 er sem 1930.<br />

6. Linon PJ. Officiers d’adm. du Service de santé, préface MGI<br />

Juillet, DCSSA, EREMM éd, Paris, 1983.<br />

7. Lafont B. DCSSA, in <strong>Armées</strong> d’Aujourd’hui, n° 332, juillet-août<br />

2008.<br />

434 p.-j. linon


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

L’ÉDIT ROYAL DU 17 JANVIER 1708: ÉVOLUTION DE<br />

L’ENSEIGNEMENT ET DE LA FORMATION AU SEIN DU<br />

SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES<br />

J.-E. TOUZE, J.-J. FERRANDIS<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Lorsque Louis XIV, par son Édit Royal du<br />

17 janvier 1708, créa les offices de médecins et<br />

chirurgiens des armées du Roy, il ne mesurait<br />

certainement pas toute la portée de sa décision. Certes, il<br />

souhaitait apporter à nos soldats un soutien sanitaire au<br />

plus près des combats et la création d’hôpitaux dans les<br />

grandes places du pays pour le traitement des blessures<br />

et les soins de suite. En revanche, il ne pressentait pas<br />

tout l’impact de son Édit sur la formation des médecins<br />

et les avancées scientifiques futures auxquelles nos<br />

praticiens ont apporté une part déterminante.<br />

Depuis 1708, le Service de santé a été impliqué dans de<br />

nombreux conflits. Il a aussi été l’objet de réformes<br />

fréquentes mais également de remises en cause de son<br />

existence ; cependant, la qualité de son dispositif de<br />

formation, jamais contesté, a été un élément clef de sa<br />

crédibilité. Composante essentielle du Service, la<br />

formation a, au cours de l’Histoire, connu de profondes<br />

mutations tout en préservant sa finalité, celle d’offrir aux<br />

armées des praticiens polyvalents, aptes à exercer sans<br />

transition leur futur métier.<br />

d’un long apprentissage manuel était alors bridé par<br />

l’interdit religieux interdisant la dissection et l’étude de<br />

l’anatomie. C’est avec le développement des premières<br />

armes à feu au Moyen âge que la chirurgie, notamment<br />

militaire, connaîtra un véritable essor. L’école de<br />

médecine de Montpellier y apporta une contribution<br />

essentielle avec Henri de Mondeville et Guy de Chauliac<br />

qui instaurent au XIV e siècle, l’enseignement de<br />

l’anatomie opératoire et apportent des idées novatrices<br />

dans le traitement des hémorragies et des suppurations.<br />

À cette époque la notion de contrat opérationnel<br />

n’existait pas. Pourtant, les monarques exigeaient lors<br />

des conflits armés, d’être entourés d’un personnel<br />

II. LES PRÉCURSEURS.<br />

L’enseignement de la médecine a été jusqu’au XVI e siècle<br />

l’objet d’une profonde dichotomie entre les corporations<br />

de barbiers-chirurgiens et les médecins dépositaires de la<br />

pensée hippocratique, largement enrichie au cours des<br />

siècles qui suivirent, de la médecine de langue arabe<br />

conduite par Avicenne (1). Ce médecin et philosophe<br />

auteur du « canon de la Médecine » influença fortement<br />

la pratique et l’enseignement de la médecine<br />

occidentale. Les médecins de formation universitaire<br />

méprisaient la chirurgie réservée, selon eux, à des<br />

barbiers dénués de culture. Le savoir chirurgical, fruit<br />

J.-E. TOUZE, médecin général inspecteur. J.-J. FERRANDIS, médecin en chef (cr).<br />

Correspondance : J.-E. TOUZE, Direction de l’École du Val-de-Grâce, 1 place<br />

Alphonse Laveran, 75230 PARIS Cedex 01.<br />

Guy de Chauliac.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 435


sanitaire important, militaire mais aussi civil. Ces<br />

professionnels de santé reprenaient leurs activités civiles<br />

une fois le conflit terminé, ils étaient l’équivalent de<br />

notre réserve opérationnelle. À la fin du XV e siècle, les<br />

chirurgiens sont de plus en plus nombreux sur les<br />

théâtres de combats et fait nouveau, sont attachés à des<br />

corps de troupe, sans distinction de rang et déjà insérés au<br />

sein de formations sanitaires de campagne (2).<br />

Avec la généralisation des armes à feu, le XVI e siècle<br />

voit s’individualiser une ébauche de chirurgie spécifiquement<br />

militaire, comme en témoignent les premiers<br />

traités de chirurgie de Jérôme Brunschwig (Strasbourg,<br />

1497) et Hans von Gersdorf, (également à Strasbourg,<br />

1517). C’est évidemment Ambroise Paré, chirurgien de<br />

hôpitaux pour secourir les soldats de leurs blessures et<br />

maladies ». En temps de paix, les soldats sont hospitalisés<br />

dans les hôpitaux de charité. Mais surtout, le code institue<br />

l’obligation d’un chirurgien par régiment. Les décennies<br />

qui suivirent furent marquées par le regroupement des<br />

chirurgiens de « robe longue » de la confrérie de Saint<br />

Côme et Saint Damien et des barbiers-chirurgiens « de<br />

robe courte », et l’apparition pour la première fois du<br />

concept d’évacuations sanitaires (Catinat : « Mémoire<br />

contenant les moyens de faire la guerre offensivement<br />

dans le Piedmont en 1694, adressé au Roi »).<br />

III. LA MÉDECINE MILITAIRE AU SIÈCLE<br />

DES LUMIÈRES.<br />

Le règne de Louis XIV a été marqué par des guerres<br />

incessantes contre toutes les nations d’Europe et par de<br />

nouvelles stratégies de combat. La guerre de mouvement,<br />

la généralisation des armes à feu furent des sources de<br />

blessures au combat plus sévères. Louis XIVconscient du<br />

lourd tribut payé par nos soldats souhaita leur apporter le<br />

soutien sanitaire qu’ils méritaient. Sa première action fut<br />

la création en 1670 de l’Hôtel royal des Invalides qui a été,<br />

dira le souverain: « la plus grande pensée de mon règne ».<br />

Mais il fallait aussi, eu égard au nombre et au type des<br />

conflits, assurer un recrutement régulier et suffisant<br />

de praticiens formés à la chirurgie de guerre. L’Édit<br />

du 17 janvier 1708 « portant création d’Offices de<br />

Médecins et Chirurgies des <strong>Armées</strong> du Roy » instaure<br />

Ambroise Paré.<br />

quatre rois de France, au cours de ses trente années<br />

de campagnes militaires, qui est incontestablement<br />

considéré comme le père de la chirurgie militaire avec ses<br />

méthodes révolutionnaires (désarticulation du coude,<br />

ligature vasculaire) et la diffusion de son enseignement<br />

en français au lieu du latin. Dès lors, le blessé sera pris<br />

en considération et la fin de ce XVI e siècle voit donc,<br />

logiquement, la création du premier hôpital de campagne,<br />

par Henri IV et Sully, au siège d’Amiens (1597) (3).<br />

En 1629, à l’instigation de Richelieu, le code Michau<br />

dispose qu’« à la suite des armées seraient entretenus des<br />

François Gigot de Lapeyronie.<br />

436 j.é. touze


le premier Service de santé des armées avec toutes<br />

ses conséquences sur la formation des médecins et<br />

chirurgiens militaires. Dès 1718, des cours sont organisés<br />

dans nos hôpitaux et dans les régiments disposants<br />

d’office de chirurgie. L’ordonnance du 20décembre1718<br />

oblige les chirurgiens de chaque hôpital à assister aux<br />

cours d’anatomie et de chirurgie « pour s’entretenir et<br />

se fortifier dans l’exercice de leur art ».<br />

L’Hôtel royal des Invalides a, au cours de cette période,<br />

rempli pleinement son rôle d’hôpital d’instruction avant<br />

la lettre. Il disposait d’une école d’anatomie où les futurs<br />

chirurgiens des armées royales pouvaient s’entraîner sur<br />

des travaux de dissection et des exercices de médecine<br />

opératoire. Cette école de chirurgie initialement réservée<br />

aux futurs chirurgiens des armées royales sera plus tard<br />

ouverte, sur des critères de sélection sévères, à des<br />

auditeurs extérieurs aptes à recevoir un enseignement de<br />

haut niveau. L’enseignement sera, à cette époque et<br />

jusqu’à la Révolution, essentiellement limité à l’étude de<br />

l’anatomie et de la chirurgie opératoire. La médecine est<br />

quasi-absente des programmes d’enseignement.<br />

François Gigot de Lapeyronie, issu de l’école de<br />

Montpellier, fonde à Paris les chaires de démonstrateurs<br />

royaux d’anatomie (1725). Il isole ensuite les chirurgiens<br />

du corps des barbiers et crée l’Académie royale<br />

de chirurgie (1731).<br />

C’est dans ce contexte que Jean Cochon Dupuy (1674 –<br />

1751) prend conscience de la nécessité d’une structure<br />

permettant une meilleure formation des médecins et<br />

chirurgiens de la Marine. Dans une lettre adressée en<br />

1715 au Secrétaire d’État, il écrit ceci : « il manque,<br />

Monseigneur, à tous ces chirurgiens la qualité la plus<br />

essentielle pour qu’ils puissent rendre de bons services à<br />

la mer, c’est qu’ils ne soient point anatomistes. ». C’est<br />

grâce à son impulsion que la première école de médecine<br />

navale fut créée à Rochefort, en 1722. Première école de<br />

chirurgie au monde, elle servira de modèle aux écoles de<br />

Toulon (1725) et Brest (1731). Jean Cochon Dupuy ne<br />

limitait pas ses objectifs pédagogiques à l’enseignement<br />

de la chirurgie. Il voulait aussi que le chirurgien de la<br />

Marine « acquière des connaissances sur les maladies<br />

internes, la composition des remèdes et les doses<br />

auxquelles ils sont administrés ». C’est pour cette raison<br />

qu’un jardin botanique fut créé au sein de l’école de<br />

Rochefort. L’enseignement qui était délivré était un<br />

modèle exemplaire dans le monde médical de l’époque.<br />

Il était à la fois pratique et théorique comportant<br />

naturellement celui de l’anatomie et de la chirurgie, mais<br />

aussi celui de la médecine interne et de la pharmacopée. Il<br />

était aussi continu, validé par un concours d’admission,<br />

des contrôles de connaissances hebdomadaires et<br />

un concours annuel. En somme, un véritable Centre<br />

hospitalier universitaire (CHU).<br />

Louis XV poursuivit l’action de son prédécesseur en<br />

réorganisant l’enseignement de la médecine militaire. La<br />

formation des futurs médecins et chirurgiens-majors des<br />

régiments sera définie en 1747, après la bataille de<br />

Fontenoy. L’ordonnance portant sur le règlement général<br />

Programme des cours an 8.<br />

des hôpitaux militaires stipule pour la première fois<br />

l’existence de cours obligatoires de médecine délivrés<br />

une fois par an pour chaque élève médecin. Le dispositif<br />

hospitalier militaire s’appuie sur les hôpitaux de la<br />

Marine (Rochefort, Toulon, Brest), les hôpitaux de places<br />

créés par Louis XIV et les trois grands hôpitaux de Metz<br />

(1728), Strasbourg (1742), et Lille (1752) dans lesquels<br />

s’est développé l’enseignement nécessaire à la formation<br />

des médecins. Pour les personnels hospitaliers, le<br />

règlement du 23 décembre 1774, crée au sein des grands<br />

hôpitaux de Metz, Strasbourg et Lille, des amphithéâtres<br />

et des nouvelles modalités d’enseignements avec la<br />

mise en place de stages, d’un contrôle continu des<br />

connaissances, de concours et de prix annuels pour<br />

les élèves les plus méritants. L'ordonnance du<br />

26 février 1777, subordonne tous les officiers de santé<br />

aux médecins inspecteurs généraux avec une sélection<br />

rigoureuse, un stage préalable de trois ans, un enseignement<br />

surveillé, un cours de perfectionnement sanctionné<br />

par un concours à chaque changement de grade.<br />

En 1796, un nouveau règlement réorganise, au sein des<br />

grands hôpitaux militaires, un enseignement théorique et<br />

pratique de médecine, chirurgie et pharmacie. Chaque<br />

établissement hospitalier se voit doté d’un amphithéâtre<br />

d’anatomie, d’un laboratoire de chimie et pharmacie et<br />

d’une salle pour les cours et conférences. Ce dispositif de<br />

formation restera en vigueur jusqu’au 1 er Empire. Il<br />

permettra aux barons Dominique Larrey, Pierre-François<br />

Percy et René-Nicolas Dufriche Desgenettes d’écrire de<br />

belles pages de la chirurgie et de la médecine aux armées.<br />

l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées<br />

437


IV. DU ROMANTISME À LA PÉRIODE<br />

MODERNE.<br />

Cette période a été marquée par de profonds bouleversements<br />

dans la formation. Largement conditionné<br />

par l’engagement de la France dans plusieurs conflits<br />

mondiaux mais aussi par de nombreuses guerres<br />

coloniales, l’enseignement s’est efforcé de garder trois<br />

principes essentiels : maintenir le lien entre les écoles<br />

de formation et les hôpitaux, transmettre des savoirfaire<br />

et adapter en permanence l’enseignement aux<br />

missions du service.<br />

Pendant le Consulat et l’Empire, le soutien santé aux<br />

armées napoléoniennes fut apporté par les officiers de<br />

santé recrutés en masse au sein de l’ancienne armée<br />

royale et de l’Académie de chirurgie. Les hôpitaux<br />

d’instruction furent paradoxalement supprimés,<br />

le gouvernement d’alors préférant les hôpitaux<br />

régimentaires et les hôpitaux ambulants « à la suite des<br />

armées » plus aptes à fournir les soins aux blessés.<br />

À la chute de l’Empire, le gouvernement de la<br />

Restauration procéda à des réductions massives<br />

d’effectifs et d’officiers. Le Service de santé ne fut<br />

pas épargné et les hôpitaux militaires totalement<br />

désorganisés étaient dans l’impossibilité, faute de<br />

praticiens, d’assurer les soins aux blessés de la campagne<br />

Michel Lévy.<br />

Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce.<br />

de France. Poussé par les circonstances, le gouvernement<br />

de la Restauration dut dans la précipitation réouvrir les<br />

écoles de formation et les hôpitaux d’instruction<br />

qui avaient été supprimés pendant le Consulat. Le<br />

gouvernement de la Restauration va dès lors entreprendre<br />

une profonde réorganisation du Service de santé des<br />

armées (SSA) : rétablissement des infirmiers militaires<br />

dès 1820, création d’un corps d’officiers d’administration<br />

des hôpitaux militaires, instauration d’un conseil de<br />

santé, subordination de l’intendance (4).<br />

La formation des médecins qui avait été jusque-là<br />

essentiellement orientée sur la chirurgie et l’anatomie va<br />

s’enrichir des progrès de la physiologie, des avancées<br />

cliniques apportées par Laennec, Bright, Claude Bernard<br />

et des perspectives diagnostiques offertes par les progrès<br />

de la chimie. L’hôpital devient selon Claude Bernard, «le<br />

vestibule de la médecine scientifique » préfigurant les<br />

futurs centres hospitalo-universitaires d’aujourd’hui. La<br />

formation des médecins militaires tiendra compte dans<br />

ses objectifs pédagogiques des avancées scientifiques<br />

initiées dès la Restauration.<br />

A) LE LIEN ÉCOLE-HÔPITAL.<br />

Le lien École-Hôpital a été très tôt présent dans les<br />

hôpitaux maritimes et les grands hôpitaux de Metz,<br />

Strasbourg et Lille. L’hôpital du Val-de-Grâce déjà<br />

transformé en 1796 en hôpital d’instruction suivit la<br />

même démarche et a été dans les décennies ultérieures un<br />

temple de la médecine militaire animé par les grandes<br />

personnalités scientifiques de l’époque (D. Larrey, P.F.<br />

Percy, R.N. Desgenettes).<br />

Mais sous la Restauration, la formation des officiers de<br />

santé était devenue plus qu’insuffisante ; Bégin avait<br />

même dénoncé l’impossibilité d’une formation continue<br />

du fait des pérégrinations des chirurgiens élèves restant<br />

trop peu de temps à l’hôpital d’instruction (ils quittaient<br />

trop souvent et pendant de longs mois, leur hôpital afin<br />

de servir durant la conquête de l’Algérie). En 1836, afin<br />

de remédier à ces difficultés, les anciens hôpitaux<br />

d’instruction de Strasbourg, Metz et Lille furent<br />

seulement chargés de former les élèves durant deux<br />

années préparatoires ; le Val-de-Grâce devint l’unique<br />

hôpital de perfectionnement. L’enseignement était<br />

438 j.é. touze


Élèves du Val-de-Grâce en 1882.<br />

principalement axé sur la prise en charge des maladies et<br />

des blessures. Il était complété par des cours de chirurgie<br />

de guerre. La durée des études était de trois ans avant que<br />

les élèves ne rejoignent leur première affectation au sein<br />

des hôpitaux et des régiments. Cette synergie École-<br />

Hôpital sera rompue en 1850 par deux décrets : le<br />

premier, du 23 avril 1850, signé par le général<br />

d’Hautpoul, supprima les hôpitaux d’instruction de Lille,<br />

Strasbourg, Metz, Brest et Toulon et surtout l’hôpital<br />

de perfectionnement du Val-de-Grâce. En fait, c’est le<br />

Val-de-Grâce qui était visé car ses élèves avaient participé<br />

activement à la Révolution de 1848, réclamant à la suite<br />

de Gama, l’autonomie du Service de santé vis-à-vis de<br />

l’Intendance. Michel Lévy réussit en quatre mois à faire<br />

signer, par le même d’Hautpoul, le second décret du<br />

9 août 1850, donnant naissance à la première École<br />

d’application de médecine militaire, dont la mission<br />

était d’apporter aux jeunes médecins et pharmaciens<br />

l’instruction médico-militaire indispensable à leur<br />

futur métier. Désormais, les futurs officiers de santé<br />

devaient avoir soutenu leur thèse de doctorat en médecine<br />

préalablement à leur admission. Les hôpitaux de<br />

Strasbourg, Metz et Lille continuaient d’assurer la<br />

formation initiale des étudiants, en liaison avec les<br />

facultés de médecine.<br />

Fondateur de l’École du Val-de-Grâce, Michel Lévy<br />

mesura rapidement les conséquences de la rupture du<br />

lien fonctionnel entre l’École et l’Hôpital. Pour y<br />

remédier, il instaura au Val-de-Grâce des conférences<br />

cliniques, mit en place des concours de recrutement<br />

de professeurs agrégés. Son souhait était d’ouvrir aux<br />

hôpitaux militaires une voie d’accès réservée aux<br />

médecins et pharmaciens formés à l’école d’application.<br />

L’École d’application assurait donc, dès sa création,<br />

l’enseignement médico-militaire spécifique aux futures<br />

missions des jeunes médecins, de manière analogue à ce<br />

qui se pratique de nos jours.<br />

Le lien École-Hôpital sera rétabli en 1889 après<br />

l’autonomie technique du Service (1882). L’hôpital<br />

d’instruction retrouve sa mission initiale, celle d’être<br />

un complément indispensable au cursus pédagogique<br />

suivi à l’École d’application (5, 6).<br />

La nécessité d’offrir aux élèves médecins des stages<br />

hospitaliers a, depuis cette époque, été une priorité<br />

pour tous les directeurs de l’École du Val-de-Grâce. Ils<br />

souhaitaient que l’enseignement se déroulât au plus<br />

près du malade avec des conférences cliniques sur les<br />

pathologies observées. C’est dans cet esprit, que le<br />

Médecin inspecteur général Vaillard, considérant<br />

l’offre de soins insuffisante dans nos hôpitaux<br />

militaires, tenta sans succès d’ouvrir l’accès aux<br />

hospices civils pour nos étudiants. Dans la même<br />

démarche, il concentra l’enseignement clinique<br />

des maladies infectieuses au cours de la période<br />

hivernale où le recrutement du pavillon des contagieux<br />

était à son acmé. Le programme d’enseignement<br />

utilisait la dissection de cadavres, l’étude de coupes<br />

anatomiques congelées. Il comportait, fait nouveau,<br />

des cours portant sur l’hygiène, l’épidémiologie<br />

et la microbiologie. Ces disciplines étaient alors<br />

incontournables pour nos praticiens engagés dans<br />

la campagne d’Algérie et dans de nombreuses<br />

guerres coloniales. C’était l’ère Pastorienne, celle de la<br />

connaissance des maladies infectieuses où l’on retrouve<br />

des noms prestigieux : Laveran, Calmette, Yersin,<br />

Simond, Grall, Marchoux.<br />

La période contemporaine a été marquée par de<br />

nombreuses réformes universitaires et par de grandes<br />

évolutions dans la formation des praticiens du Service de<br />

santé des armées : adaptation de la formation aux<br />

évolutions du service, ouverture sur l’université en 1968<br />

sous l’impulsion de C. Laverdant et d’H. Baylon,<br />

rattachement des hôpitaux d’instruction aux directions<br />

régionales, sans perdre pour autant le lien fonctionnel<br />

avec l’École et les Instituts de formation.<br />

Depuis 2004, la réforme des études médicales a modifié<br />

le 3 e cycle des études médicales en instaurant l’examen<br />

national classant, obligatoire pour tous les étudiants<br />

en médecine. Cet « internat pour tous » a supprimé<br />

de facto le stage d’application que toutes les<br />

générations antérieures de médecins avaient suivi<br />

à l’École du Val-de-Grâce (EVDG). Celle-ci a désormais<br />

la responsabilité pédagogique du 3 e cycle des<br />

études médicales. Elle a aussi la charge d’assurer la<br />

cohérence des actions de formation du SSA, ainsi que la<br />

mise en œuvre des actions de formation continue et<br />

d’adaptation à l’emploi pour l’ensemble des personnels<br />

du SSA. Elle implique que chaque personnel soignant<br />

s’engage à terme dans une démarche de formation<br />

continue et d’évaluation de sa pratique professionnelle.<br />

Pour remplir sa mission pédagogique, l’EVDG dispose<br />

d’un collège de professeurs titulaires et de professeurs<br />

agrégés, des écoles de formation et bénéficie de<br />

l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées<br />

439


espectée et de nos jours, l’épreuve d’anatomie et<br />

l’apprentissage de la chirurgie sur cadavres et modèles<br />

animaux, reste un des points forts de la formation.<br />

Il en était de même pour les épreuves de clinique au lit du<br />

malade où l’étudiant devait ressortir dans chaque leçon<br />

les implications particulières à la médecine et à la<br />

chirurgie d’armée. Cette tradition a été maintenue dans<br />

les concours actuels du Service de santé des armées.<br />

C’est sur ces principes que l’enseignement de la<br />

médecine tropicale et en situation isolée s’est toujours<br />

appuyé. L’Institut de médecine tropicale créé sur le site du<br />

Pharo en 1905, a de tout temps préparé les jeunes<br />

médecins issus des écoles de Bordeaux et de Lyon<br />

à fournir, en zone tropicale, une aide médicale aux<br />

populations démunies des pays du sud. Ces médecins<br />

étaient dans la plupart de cas en poste isolé, en<br />

milieu rural, avec des moyens limités et confrontés au<br />

quotidien à des urgences médicales ou chirurgicales. La<br />

connaissance des maladies tropicales transmissibles, la<br />

gestion des épidémies, la maîtrise des principaux gestes<br />

chirurgicaux d’urgence ont toujours été des axes<br />

importants d’un enseignement délivré par des praticiens<br />

ayant tous une expérience de terrain. Les médecins<br />

militaires à l’issue de leur stage étaient capables de faire<br />

face à la plupart des situations médicales et d’effectuer<br />

des interventions chirurgicales de première nécessité.<br />

Louis Laveran.<br />

l’appui de l’ensemble des structures du Service de<br />

santé disposant d’experts dans chacun de leurs<br />

domaines de compétence (hôpitaux d’instruction<br />

des armées, instituts, directions régionales, centres<br />

d’instruction et de formation).<br />

Les responsabilités pédagogiques du directeur de<br />

l’EVDG l’amènent à avoir des contacts étroits avec toutes<br />

les instances universitaires. Il est à ce titre membre de la<br />

conférence des doyens de facultés de médecine françaises<br />

et maintient avec les chefs de service de CHU et ses<br />

homologues universitaires des liens étroits qui<br />

permettent un meilleur suivi du cursus des internes et des<br />

assistants. L’EVDG est aussi un site privilégié de<br />

colloques et de réunions scientifiques et elle héberge<br />

l’enseignement de nombreux diplômes universitaires.<br />

B) LA TRANSMISSION DES SAVOIR-FAIRE.<br />

L’enseignement a, depuis la création des hôpitaux des<br />

ports, gardé une finalité pratique suivant la tradition de<br />

l’École«facta, non verba». Le compagnonnage, le retour<br />

d’expérience, l’apprentissage des gestes élémentaires de<br />

chirurgie ont toujours été les points forts de la pédagogie.<br />

Louis Laveran recommandait déjà en 1856 d’alléger les<br />

exposés théoriques et invitait les professeurs à délivrer<br />

des enseignements pratiques mettant les élèves face aux<br />

réalités futures de leur exercice. L’enseignement de<br />

l’anatomie topographique et de la médecine opératoire<br />

était alors un des points forts de cet enseignement absent<br />

du programme des facultés. Cette tradition a toujours été<br />

Jamot.<br />

440 j.é. touze


C’est cette polyvalence qui a crédibilisé leurs actions<br />

auprès des populations et qui a fait la renommée des<br />

médecins issus de l’École du Pharo.<br />

Aujourd’hui, les conditions d’exercice en pays tropical<br />

sont différentes. La politique de substitution a été<br />

remplacée par un véritable partenariat de coopération. Le<br />

contexte international, la professionnalisation des<br />

armées, l’évolution des missions de défense ont conduit le<br />

Service de santé des armées à adapter son enseignement.<br />

Les enjeux actuels sont la préparation sanitaire des forces,<br />

le soutien médical opérationnel et l’aide médicale aux<br />

populations. La prévention, la gestion des urgences, la<br />

connaissance de l’environnement tropical et une parfaite<br />

connaissance des maladies endémiques et transmissibles<br />

sont plus que jamais nécessaire pour le soutien médical<br />

des 30 000 militaires présents en permanence en zone<br />

tropicale. Les formations sont menées en étroite<br />

collaboration avec l’Université de la Méditerranée et avec<br />

la participation de nombreux experts militaires et civils.<br />

Cette mission d’enseignement est renforcée par une<br />

importante activité de recherche et d’expertise en santé<br />

publique. Le paludisme, les arbovirus, le méningocoque<br />

sont depuis longtemps des axes de recherche prioritaires<br />

car ces affections concernent au premier plan les<br />

militaires en opération extérieure.<br />

C) UN ENSEIGNEMENT ADAPTÉ AUX<br />

MISSIONS.<br />

Depuis la création de l’École, les directeurs successifs ont<br />

chacun apporté des outils pédagogiques et des locaux<br />

adaptés aux thématiques enseignées. Le pavillon<br />

d’anatomie construit en 1830 sera suivi les décennies<br />

suivantes, de la construction d’autres locaux destinés à<br />

l’histologie, la médecine légale, l’hygiène, la microbiologie,<br />

la chimie. Fait original pour l’époque le médecin<br />

général inspecteur Delorme avait créé en 1913 un stand<br />

de tir sur le site de l’École pour que les médecins et jeunes<br />

chirurgiens puissent évaluer les effets des armes à feu<br />

sur des pièces anatomiques. Dès sa création, l’École<br />

disposait déjà d’une bibliothèque et d’une imprimerie<br />

destinée à l’impression des cours des professeurs et des<br />

thèses des élèves.<br />

Les promotions de l’époque comportaient 60 à 80<br />

stagiaires et quelques auditeurs civils. L’enseignement se<br />

déroulait de janvier à juillet, il était regroupé en six chaires<br />

d’enseignement : médecine d’armée, anatomie et<br />

médecine opératoire, hygiène et ergonomie, chirurgie<br />

spéciale, maladies et épidémies aux armées.<br />

La volonté des enseignants de l’École était d’offrir aux<br />

élèves médecins une formation la plus complète possible,<br />

prenant en compte toutes les situations de leur futur<br />

exercice. C’était notamment le cas de la chirurgie spéciale<br />

où les étudiants devaient appréhender tous les aspects de<br />

l’ophtalmologie, de l’oto-rhino-laryngologie et de<br />

l’odontologie qui étaient déjà des disciplines essentielles<br />

pour l’expertise et le recrutement. Il en était de même pour<br />

la déontologie, la législation et l’administration militaire<br />

qui étaient l’objet d’un enseignement spécifique.<br />

Les objectifs pédagogiques d’aujourd’hui sont peu<br />

différents. Les matières enseignées regroupées en neuf<br />

chaires restent les mêmes, les étudiants disposent des<br />

laboratoires hospitaliers, d’une bibliothèque rassemblant<br />

plus de 40 000 ouvrages et 400 périodiques. L’atelier de<br />

reprographie assure les mêmes missions qu’autrefois, le<br />

stand expérimental de tir crée par Delorme a trouvé<br />

depuis une suite avec l’unité de chirurgie pratique<br />

expérimentale situé sur le site du Pharo. Celle-ci permet<br />

aux médecins et chirurgiens d’évaluer et traiter les effets<br />

des armes de guerre sur des réacteurs biologiques et<br />

d’étudier les effets arrières des balles de guerre sur les<br />

gilets de protection.<br />

La plus grande avancée tient aux nouveaux outils de<br />

communication mis à la disposition des enseignants et<br />

des élèves. L’enseignement utilise d’ores et déjà les<br />

nouveaux instruments pédagogiques nés de la révolution<br />

technologique. L’e-learning, le télé-enseignement<br />

commencent à être utilisés et permettent de délocaliser<br />

les formations, de limiter les déplacements<br />

d’enseignants et de réduire les coûts pédagogiques. Les<br />

infirmiers de bloc opératoire sont formés avec ce vecteur<br />

d’enseignement et des cycles de formation chirurgicale<br />

ont déjà été effectués entre les hôpitaux d’instruction des<br />

armées et des hôpitaux africains. Ces nouveaux outils<br />

sont un élément de réponse à de nombreuses situations<br />

d’isolement et se révèlent précieux dans la mise en place<br />

d’une formation continue pour tous.<br />

Mais aujourd’hui, le véritable enjeu de l’EVDG est<br />

d’instaurer une formation adaptée aux emplois des<br />

Médecin général inspecteur Delorme.<br />

l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées<br />

441


praticiens. Mettre en adéquation les emplois et les<br />

compétences acquises est l’enjeu que s’est fixé<br />

récemment le SSA pour toutes ses catégories de<br />

personnels. Après une période initiale où les emplois<br />

sont polyvalents une orientation est envisagée dans un<br />

domaine de compétence. La formation complémentaire<br />

et continue trouve ici toute sa place. Elle ouvre la voie<br />

d’une qualification par validation de l’expérience. Tous<br />

les personnels du SSA inscrits dans ce processus<br />

peuvent progresser dans leur emploi, obtenir des<br />

postes de responsabilité plus importants et bénéficier<br />

d’un avancement plus rapide.<br />

Il est ainsi possible d’identifier des parcours professionnels<br />

et d’offrir aux intéressés une meilleure lisibilité de<br />

Élèves à l’École du Service de santé des armées de Lyon 2006. (copyright<br />

ESSA Lyon Bron).<br />

carrière. Cette démarche permet aussi au responsable des<br />

ressources humaines d’avoir une vision prospective dans<br />

le pilotage de sa politique et de disposer d’un outil de<br />

gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.<br />

V. CONCLUSION.<br />

En conclusion, les principes de la formation au sein du<br />

Service de santé des armées n’ont guère varié au cours des<br />

siècles. Les thématiques enseignées sont peu ou prou les<br />

mêmes, qu’il s’agisse de la médecine ou de la chirurgie<br />

aux armées, mais aussi de l’hygiène, de l’épidémiologie<br />

et de la connaissance des bases déontologiques et<br />

législatives indispensables à l’exercice médical.<br />

Le regroupement de la formation en grandes chaires<br />

pédagogiques, les concours hospitaliers, l’enseignement<br />

résolument pratique utilisant le compagnonnage et le<br />

retour d’expérience ont depuis la création du service en<br />

1708, toujours été les points forts de la formation délivrée<br />

dans nos écoles et nos instituts. Attentif aux évolutions<br />

universitaires et pédagogiques, le Service de santé des<br />

armées est en permanence inscrit dans la modernité tout<br />

en préservant les acquis d’une riche histoire. Rappelonsnous<br />

ce qu’écrivait en 1914 le Médecin inspecteur<br />

A. Mignon, directeur de l’École du Val-de-Grâce: « je ne<br />

suis pas de ceux qui refusent de rendre hommage<br />

aux morts sous prétexte que la vie est synonyme d’action<br />

et que ce qui a cessé d’être n’a plus d’avantage en soi.<br />

Il me semble au contraire que quiconque apparaît<br />

au banquet de la vie doit se féliciter que d’autres soient<br />

nés avant lui pour lui préparer le gîte et le couvert ».<br />

Méditons ce propos et n’oublions pas que nos actions<br />

actuelles et futures ne doivent pas faire table rase<br />

de l’expérience du passé (7).<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Grmek MD. Histoire de la pensée médicale en occident ; Seuil Ed,<br />

1999 ; tome 3 : 412 p.<br />

2. Cudennec Y. In Chirurgie de guerre. Le cas du moyen âge par<br />

Mounier-Kuhn A. Economica Ed, 2006, 1 volume : 314 p.<br />

3. Delorme E. Traité de chirurgie de guerre. Anc. Lib. Germer<br />

Baillière et Cie, Félix Alcan Ed, Paris, 1888. T. I. Introduction :<br />

Histoire de la chirurgie militaire française.<br />

4. Des Cilleuls J, Hassendorfer J, Pesme J, Hugonot G. Le Service de<br />

santé militaire pendant la Révolution et l’Empire. Revue<br />

internationale des Services de santé des armées de Terre, de Mer et<br />

de l’Air. SPEI Ed, Paris, 1961.<br />

5. Bazot M. L’École d’application du Service de santé des armées et<br />

ses missions contemporaines. Lyon-Val, 1994 ; 56 : 10-1520.<br />

6. Bazot M. L’École d’application dans le siècle, au Val-de-Grâce.<br />

Lyon-Val, 1999 ; 61 : 39-44.<br />

7. Mignon A. L’école du Val-de-Grâce, 1914, 1 volume : 242 p.<br />

442 j.é. touze


ESSA Lyon<br />

ESSA Bordeaux<br />

IMASSA<br />

EPPA<br />

EVDG<br />

IMNSSA<br />

IMTSSA<br />

CRSSA<br />

l’édit royal du 17 janvier 1708 : évolution de l’enseignement et de la formation au sein du service de santé des armées<br />

443


Officiers du corps de santé<br />

Membres titulaires de l'Académie<br />

de médecine<br />

1820 J. BARBIER<br />

J.P. BOUDET<br />

F. BROUSSAIS<br />

R. DESGENETTES<br />

D. LARREY<br />

P.F. PERCY<br />

P. ROBIQUET<br />

1821 Ch. LAUBERT<br />

1822 J.M.G. ITARD<br />

1823 P. GALLEE<br />

J. VIREY<br />

1825 J. LODIBERT<br />

1835 L. BEGIN<br />

A. FEE<br />

Ch. LAURENT<br />

A. POIRSON<br />

1850 H. LARREY<br />

M. LEVY<br />

1856 A. POGGIALE<br />

1867 V. LEGOUEST<br />

1874 J. VILLEMIN<br />

1875 M. PERRIN<br />

1880 L. COLLIN<br />

1885 E. VALLIN<br />

1887 J. MARTY<br />

1890 L. LEREBOULLET<br />

J. CHAUVEL<br />

1893 L. KELSCH<br />

A. LAVERAN<br />

1897 E. DELORME<br />

1904 L. VAILLARD<br />

1907 H. VINCENT<br />

1918 Ch. DOPTER<br />

C. SIEUR<br />

1929 P. BRETEAU<br />

H. ROUVILLOIS<br />

1933 E. SACQUEPEE<br />

1956 L. AUBLANT<br />

1958 M. PILOD<br />

R. DEBENEDETTI<br />

1962 H. GOUNELLE de PONTANEL<br />

L. VELLUZ<br />

1979 J.F. CIER<br />

1980 H. BAYLON<br />

1987 Ch. LAVERDANT<br />

1988 P. JUILLET<br />

1992 P. LEFEBVRE<br />

2007 Y. BUISSON<br />

2008 J.E. TOUZE<br />

444 j.é. touze


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

TROIS SIÈCLES DE RECHERCHE ET DE DÉCOUVERTES AU<br />

SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES<br />

D. VIDAL, R. DELOINCE<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Présenter en quelques lignes les activités de recherche<br />

conduites par le Service de santé des armées depuis trois<br />

siècles ne peut se faire qu’en choisissant quelques<br />

découvertes et avancées scientifiques originales dans<br />

le contexte scientifique des époques traversées. La<br />

recherche est une activité humaine naturelle et continuelle,<br />

qui a débuté bien longtemps avant sa récente<br />

institutionnalisation. Les avancées de nos connaissances<br />

résultent plus d’un travail constant, et souvent bien ingrat,<br />

que d’une trouvaille spectaculaire et bruyamment<br />

annoncée. Les idées réellement nouvelles heurtent<br />

souvent les certitudes d’une époque et mettent beaucoup<br />

de temps à s’imposer avant de devenir elles-mêmes des<br />

certitudes, qui sont, à leur tour âprement défendues lors<br />

de leur remise en cause.<br />

Pourtant, lorsque le roi Louis XIV décide, en 1708, de<br />

créer un Service de santé des armées, pouvait-on<br />

imaginer, à une époque où la science était encore<br />

balbutiante voire combattue, que ce service devrait<br />

s’engager dans des activités de recherche propres ?<br />

L’évolution des conditions de vie du soldat ainsi que les<br />

maladies, les agressions et les contraintes spécifiques,<br />

ont soulevé des questions pour le maintien de la santé<br />

des combattants et la réparation des affections<br />

contractées en opérations, qui ont conduit le Service<br />

de santé à rechercher des solutions pragmatiques<br />

et efficaces.<br />

Nous évoquerons les principaux progrès de la science<br />

médicale et biologique au cours des trois derniers siècles,<br />

pour voir ensuite comment le Service de santé des armées<br />

a assimilé et parfois initié cette évolution.<br />

D. VIDAL, pharmacien chef des services. R. DELOINCE, médecin chef des<br />

services (er), maître de recherches.<br />

Correspondance: D. VIDAL, département de Biologie des agents transmissibles,<br />

CRSSA, BP 87, 38702 LA TRONCHE.<br />

II. LES XVII E ET XVIII E SIÈCLES.<br />

A) CONTEXTE SCIENTIFIQUE.<br />

Depuis la renaissance, il devenait peu à peu certain que les<br />

phénomènes naturels obéissaient à des lois que l’homme<br />

pouvait apprendre à connaître. Le premier microscope<br />

était inventé vers 1590 par un habile fabricant de lunettes,<br />

Zaccharias Janssen, et le hollandais Anton Van<br />

Leeuwenhoek (1632-1723) avait décrit dès 1673 de<br />

nombreux êtres microscopiques sous le terme d’«animalcules<br />

», mais les mots biologie ou microbe n’existaient<br />

pas encore. Depuis le XVII e siècle, des académies qui<br />

tentaient de mettre les observations et les premières<br />

découvertes scientifiques à disposition d’une élite,<br />

étaient fondées un peu partout en Europe. L’Académie<br />

des Sciences, établie en 1666, excluait l’alchimie et<br />

l’astrologie de son champ d’action. Elle mit en place des<br />

bases spécifiques propres à l’activité scientifique : expérimentation,<br />

la publication et la rémunération des<br />

savants. Dès le XVII e siècle, la nécessité de la mesure et de<br />

l’expérimentation était déjà affirmée pour connaître les<br />

lois de la nature et une transmission efficace des<br />

connaissances scientifiques était mise en place. Si la<br />

médecine était plutôt pratiquée par des scolastiques,<br />

moqués par Molière, la physiologie a pris son essor durant<br />

le XVIII e siècle. En France, l’Académie royale de chirurgie<br />

était fondée par Louis XV en 1731 et la Société royale de<br />

médecine par Louis XVI en 1776. Une découverte<br />

majeure de la fin du XVIII e siècle est la variolisation,<br />

procédé efficace de protection contre un fléau redoutable<br />

: la variole. Elle est venue d’Angleterre après les<br />

travaux d’Edward Jenner (1749-1823).<br />

B) LES APPLICATIONS DE LA SCIENCE DANS<br />

LE CORPS DE SANTÉ MILITAIRE.<br />

Ambroise Paré (1509-1590) avait déjà appliqué avec<br />

succès les connaissances anatomiques publiées par<br />

Vésale, en dépit du contrôle sévère et menaçant des<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 445


l'expédition de Minorque. Il passa à l'armée d'Allemagne<br />

pendant la guerre de Sept ans, et y rendit les plus grands<br />

services en créant, pour ainsi dire, la pharmacie militaire.<br />

Il analysa les eaux minérales de la France, découvrit la<br />

propriété fulminante du mercure, reconnut avant<br />

Lavoisier que, dans la combustion, les minéraux enlèvent<br />

à l'air un de ses principes. Élu à l’Académie des Sciences<br />

en 1795, il fit plusieurs autres observations importantes,<br />

consignées dans ses Opuscules chimiques, Paris, 1798.<br />

Ambroise Paré.<br />

autorités religieuses. Le nouveau corps de santé des<br />

armées était par nature destiné à affronter des situations<br />

inédites de détresse et de souffrance humaines auxquelles<br />

il devait répondre. Des esprits ouverts à la science y<br />

étaient présents (1) : Antoine Poissonnier-Desperrière,<br />

inspecteur général de la médecine pour la Marine, Pierre<br />

Bayen (1725-1798) et Antoine Parmentier (1737-1813),<br />

apothicaires du roy. Les officiers du Service de santé<br />

militaire ont compris la nécessité d’une organisation<br />

administrative et technique spécifique afin de prévenir<br />

les épidémies et maintenir un bon état de santé au sein du<br />

personnel des armées. L’hygiène et l’administration des<br />

hôpitaux apparaissent très vite comme une préoccupation<br />

majeure. La Marine royale disposait déjà d’un corps<br />

de santé attentif aux problèmes d’hygiène posés par<br />

les longues traversées océaniques, les infections<br />

nouvelles rencontrées dans les pays explorés et même<br />

par le travail dans les arsenaux. Les travaux de Jenner<br />

ne passent pas inaperçus au sein du service. Un grand<br />

hygiéniste, Jean-François Coste (1741-1819), introduit la<br />

variolisation parmi les troupes envoyées au secours des<br />

insurgés américains, puis la vaccination antivariolique<br />

deviendra obligatoire dans les <strong>Armées</strong> sous l’impulsion<br />

entre autres de Parmentier, pharmacien-inspecteur<br />

général du Service de santé. Il estimait aussi que la<br />

meilleure façon de lutter contre les maladies était d’abord<br />

une bonne nourriture et une bonne hygiène. Adepte<br />

des idées des Lumières, il n’aura cesse d’améliorer<br />

la condition du soldat et il apparaît comme l’un des<br />

fondateurs de la médecine préventive.<br />

Pierre Bayen, pharmacien et chimiste né à Châlons-sur-<br />

Marne, suivit en 1755, comme pharmacien en chef,<br />

Jean-François Coste.<br />

III. LE XIX E SIÈCLE.<br />

A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE.<br />

Dès le début de ce siècle, l’origine des maladies fait<br />

l’objet de discussions entre Pierre-Fidèle Bretonneau<br />

(chaque maladie a une origine spécifique) et François<br />

Broussais (les maladies ont une origine commune). La<br />

structure cellulaire des tissus vivants est établie et<br />

Virchow fonde l’histopathologie microscopique. Les<br />

anomalies de la composition chimique du sang<br />

commencent à être étudiées. Pasteur, en étudiant la<br />

dissymétrie moléculaire, fonde la stéréochimie dont<br />

l’intérêt est considérable en biologie moderne, puis il<br />

s’intéresse à la fermentation et fait des découvertes qui<br />

vont révolutionner la médecine. Il va ainsi confirmer<br />

avec Koch, la spécificité étiologique des maladies<br />

infectieuses, alors que Claude Bernard ouvre la voie à la<br />

physiopathologie. De nombreux agents infectieux sont<br />

identifiés et les moyens de prévention ou de lutte contre<br />

446 d. vidal


les épidémies vont se rationaliser à la fin de ce XIX e siècle,<br />

pendant que la recherche scientifique et technique va<br />

s’enraciner profondément en biologie et en médecine. À<br />

cette époque sont formés en France et en Europe, des<br />

savants, médecins, vétérinaires et pharmaciens, dont<br />

l’influence sera majeure et se poursuivra jusqu’au milieu<br />

du XX e siècle.<br />

B) LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE<br />

SERVICE DE SANTÉ.<br />

Le corps de santé militaire français va participer<br />

activement à ces recherches.<br />

C’est une période fructueuse au cours de laquelle<br />

les collaborations avec l’Académie de médecine et<br />

l’Académie de pharmacie sont renforcées. Rappelons<br />

que dès 1796, la convention avait créé l’hôpital<br />

d’instruction du Val-de-Grâce qui dispensera un<br />

enseignement spécifique et scientifique aux médecins<br />

des armées. Son corps professoral comptera de<br />

nombreux membres des Académies de médecine, de<br />

chirurgie ou des sciences et certains d’entre eux<br />

présideront ces assemblées.<br />

La circonscription fournit quantité d’hommes pour les<br />

conflits qui vont se dérouler au sein de l’Europe et en<br />

Orient. Les immenses rassemblements et déplacements<br />

humains engendrent des épidémies massives et les armes<br />

des combats deviennent de plus en plus meurtrières. Les<br />

chirurgiens des armées doivent affronter des situations<br />

qui dépassent l’entendement et leurs efforts héroïques<br />

constituent les premières tentatives de la médecine<br />

d’urgence. Tout cela est largement connu. Cependant leur<br />

dévouement inlassable et leur extraordinaire habileté<br />

technique ont été souvent masqués par le développement<br />

d’infections redoutables. De plus, l’intérêt des dirigeants<br />

politiques, hors quelques paroles réconfortantes<br />

largement diffusées, reste anecdotique car l’opinion<br />

publique n’a pas pris conscience de l’ampleur du<br />

phénomène. Une méthode scientifique simple va la<br />

convaincre: l’introduction de la méthode statistique (2).<br />

Les médecins classent et dénombrent les blessures<br />

par armes, en établissent leur fréquence respective et<br />

leurs conséquences. Ils prouvent l’importance des<br />

phénomènes infectieux, qui vont encore s’accentuer<br />

avec la conquête coloniale où les militaires ont rencontré<br />

des agents infectieux nouveaux dans des conditions<br />

climatiques difficiles. L’efficacité de moyens de<br />

prévention simples et peu coûteux est ainsi prouvée sans<br />

contestation possible. C’est ainsi que Maillot obtient<br />

une bonne protection contre le paludisme du corps<br />

expéditionnaire en Algérie avec le sulfate de quinine.<br />

C’est bien évidemment les travaux de Pasteur qui ont<br />

apporté une base rationnelle à la prévention et au<br />

traitement des infections. La communication de Charles<br />

Emmanuel Sédillot, à l’Académie de médecine en 1878,<br />

avait introduit le terme de microbes et la science des<br />

microbes ou microbiologie allait prendre un essor<br />

considérable en médecine. Les liens étroits entretenus<br />

par Pasteur et les médecins du Val-de-Grâce ont permis<br />

une diffusion rapide des connaissances au sein du service<br />

où les « pastoriens » ont rapidement pris une place légitime<br />

auprès de leurs collègues cliniciens (3). Le laboratoire<br />

de bactériologie crée au Val-de-Grâce en 1888 par<br />

Louis Vaillard marque le passage de la recherche<br />

individuelle à la recherche collective dans le Service<br />

de santé des armées (4).<br />

Dès 1862, Jean-Antoine Villemin avait démontré<br />

expérimentalement le caractère contagieux de la<br />

tuberculose, Alphonse Laveran avait établi aux alentours<br />

de 1880 l’origine parasitaire de l’infection paludéenne et<br />

sa transmission par un moustique. L’ensemble de ses<br />

travaux lui vaudra le prix Nobel en 1907. Le pharmacien<br />

aide-major de 1 re classe Louis Carle Gessard avait, en<br />

1883, isolé dans son laboratoire du Val-de-Grâce le<br />

bacille pyocyanique. Louis Vaillard a installé le premier<br />

laboratoire de bactériologie médicale au Val-de-Grâce<br />

en 1888, la même année que l’inauguration de l’institut<br />

Pasteur. En 1910, Hyacinthe Vincent crée le laboratoire<br />

de vaccination antityphoïdique et de sérothérapie du<br />

Val-de-Grâce et sera, selon le maréchal Joffre, l’un<br />

des meilleurs artisans de la victoire de la guerre de<br />

1914-1918. N’oublions pas les importants travaux<br />

réalisés dans les Instituts Pasteur d’outre-mer, en<br />

particulier ceux d’Alexandre Yersin, découvreur du<br />

bacille de la peste, en Asie (1).<br />

Charles Emmanuel Sédillot.<br />

trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées<br />

447


l’institutionnalisent, mais l’Europe doit désormais<br />

compter avec l’Amérique du Nord qui a développé<br />

un formidable outil de recherche dans ses universités.<br />

Cela va progressivement enclencher un contrôle des<br />

dépenses publiques engagées pour la recherche, puis<br />

un investissement de l’État dans l’orientation des<br />

travaux, une évaluation des chercheurs et parfois des<br />

ajustements douloureux.<br />

Louis Vaillard.<br />

IV. LE XX E SIÈCLE.<br />

A) LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE.<br />

Au début du XX e siècle se poursuit l’œuvre entreprise<br />

précédemment pour améliorer la prévention et le<br />

traitement des maladies infectieuses avec les<br />

sulfamides, puis les antibiotiques, les antiviraux et<br />

le développement des vaccins. Les techniques<br />

d’investigation du corps humain progressent, l’acte<br />

chirurgical est de plus en plus maîtrisé. Mais dès 1930,<br />

des physiciens qui avaient participé à l’émergence du<br />

modèle atomique s’intéressèrent à l’origine de la vie. Ils<br />

allaient mettre en marche, au cours des années 40 et 50,<br />

une formidable évolution de nos connaissances sur<br />

l’information génétique. Celle-ci avait commencé avec le<br />

moine Mendel, puis avec Morgan. Erwin Schrödiger,<br />

Max Delbrück développèrent des modèles simples<br />

(bactérien ou viral) afin d’élucider la composition de la<br />

molécule-gène. Watson et Crick établirent la structure de<br />

l’ADN, ce qui ouvrit la voie aux biotechnologies<br />

actuelles. Cette révolution biologique commencée à la<br />

fin de la guerre 1939-1945, est restée en Europe un peu<br />

confidentielle jusqu’au début des années soixante.<br />

Parallèlement, le développement de l’informatique,<br />

dès les années soixante-dix, va bouleverser l’analyse des<br />

données et conduira en particulier à l’imagerie médicale.<br />

Les gouvernements des États européens comprennent<br />

alors l’intérêt de la recherche médicale et<br />

V. L’ADAPTATION DE LA RECHERCHE<br />

SCIENTIFIQUE DANS LE SERVICE DE SANTÉ.<br />

Les médecins de la Marine recevaient depuis longtemps<br />

une formation spécifique liée aux conditions de vie en<br />

mer, puis ceux des troupes de marine eurent à résoudre les<br />

problèmes posés par l’envoi de troupes outre-mer. Des<br />

centres de documentation furent naturellement établis<br />

pour répondre à ces nouvelles pathologies infectieuses ou<br />

alimentaires. L’École d’application du Service de santé<br />

de la Marine fut créée à Toulon en 1896, celle pour les<br />

troupes coloniales à Marseille au Pharo, en 1905. Après<br />

de multiples péripéties, une Société savante de médecine<br />

militaire est même créée officiellement le 5 septembre<br />

1906: société purement scientifique, nommée « Société<br />

de médecine militaire française », elle a pour but<br />

d'organiser « une tribune scientifique où tout membre du<br />

corps de santé pourrait venir exposer et débattre des sujets<br />

d'ordre professionnel ».<br />

Commandemants armées orient.<br />

448 d. vidal


Vaccination anti-variolique au Val-de-Grâce.<br />

Les deux guerres mondiales en moins d’un demi-siècle<br />

vont favoriser le développement d’armes nouvelles. Sous<br />

l’impulsion des médecins d’unités et des enseignants, des<br />

instituts de formation et de recherche voient le jour pour<br />

répondre à ces problèmes nouveaux. La réponse du<br />

Service de santé est rapide : une section technique de<br />

recherche (STRESSA) est établie en 1912 et regroupera<br />

progressivement le laboratoire de bactériologie, le<br />

laboratoire de chimie et le laboratoire de physiologie<br />

qui seront par la suite transférés à Lyon en 1955 et<br />

formeront le Centre de recherche du Service de santé<br />

des armées (CRSSA). Un laboratoire d’études médicophysiologiques<br />

de médecine aéronautique militaire est<br />

fondé au Val-de-Grâce en 1921 devenant par la suite<br />

l’Institut de médecine aérospatiale (IMASSA), l’Institut<br />

du Pharo devient dès 1953 un centre de formation et<br />

de recherche dont la renommée dépassera largement<br />

le cadre de l’hexagone en devenant l’Institut de<br />

médecine tropicale (IMTSSA), le centre de recherches<br />

biophysiologiques appliquées à la Marine (CERB) à<br />

Toulon va aborder les réactions de l’homme en<br />

hyperbarie, devenant l’Institut de médecine navale<br />

(IMNSSA).<br />

Fils de médecin colonial, Henri Laborit (1914-1995) est<br />

né à Hanoï. Médecin de la Marine, chirurgien en<br />

Indochine, il observe que les défenses de l’organisme<br />

peuvent devenir néfastes dans certaines circonstances,<br />

et a donc l’idée de les bloquer à l’aide de substances ou<br />

de les ralentir par hibernation. En vérifiant l’action<br />

d’une nouvelle molécule, la chlorpromazine, il découvre<br />

son efficacité dans le domaine de la psychiatrie ce<br />

qui transforme radicalement le traitement de quelques<br />

maladies mentales. Il créée le Centre de recherches<br />

biophysiologiques appliquées à la Marine et devient<br />

l’un des premiers maîtres de recherches du Service de<br />

santé des <strong>Armées</strong>. Il reprendra l’étude de la physiologie<br />

en l’abordant par la complexification de la matière,<br />

l’ionisation de l’hydrogène et un mode de représentation<br />

emprunté à la cybernétique. Il obtient le Prix Albert<br />

Lasker. Cet esprit original, communicant, a ensuite<br />

tenté d’appliquer les progrès récents de la biologie<br />

à une meilleure compréhension des comportements<br />

humains (5).<br />

Tous ces nouveaux champs d’études sont enseignés dans<br />

des écoles d’application qui ont mis en place leur propre<br />

corps professoral et restent parfaitement intégrées au<br />

système de formation du Service de santé. Mais le<br />

développement de ces armes nouvelles amène, en 1961,<br />

le Service de santé à mettre en place dans le prolongement<br />

de la section technique, le CRSSA, organisme à vocation<br />

interarmées pour faire front aux agressions de type<br />

nucléaire, radiologique, biologique ou chimique<br />

(NRBC) et psychophysiologique. L’évolution rapide des<br />

connaissances demande un effort de mise à niveau qui<br />

échappe, en partie, au Service de santé. Les futurs<br />

spécialistes de recherche du Service de santé sont formés<br />

trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées<br />

449


Alexandre Yersin.<br />

450 d. vidal


auprès d’équipes de recherches de pointe en France<br />

ou aux États-Unis. Des vétérinaires militaires, des<br />

scientifiques du contingent, issus des grandes écoles ou<br />

des universités, sont accueillis au sein des unités de<br />

recherche et vont bousculer la pensée anthropocentrique<br />

régnante. Chaque unité de recherche explore des voies<br />

variées et originales pour maintenir un juste équilibre<br />

entre la science pure et dure (recherche amont) apprise à<br />

l’Université et les attentes du Service de santé ou des<br />

États-majors qui ont surtout trait à la recherche appliquée.<br />

Cela ne favorise pas toujours les relations avec ceux qui<br />

font tourner la « maison » au quotidien et qui ont comme<br />

préoccupations immédiates la médecine d’unité, la<br />

prévention des épidémies d’hépatite en Algérie, la<br />

sélection du personnel, la chirurgie réparatrice,… Des<br />

chefs, souvent indulgents, ont permis de traverser cette<br />

période de mise à niveau, qui a parfois été accompagnée<br />

du départ pour l’université de médecins militaires déjà<br />

rompus à la recherche moderne.<br />

Pierre Douzou (1926-2000), né à Millau, pharmacien<br />

chimiste du Service de santé des armées, Docteur ès<br />

Sciences (1958), sera chef de la division de biophysique<br />

du CRSSA (1960), maître de recherches du Service de<br />

santé des <strong>Armées</strong> (1965) et professeur au Val-de-Grâce<br />

(1966). Pour tenter de comprendre comment on passe<br />

en biochimie d’un système inanimé à un système vivant,<br />

il s’intéresse aux mécanismes photochimiques et photophysiques,<br />

en particulier aux photo-transformations<br />

réversibles de certaines molécules (ex: lunette s’adaptant<br />

à la luminosité). L’étude précise de ces cycles l’amène à<br />

ralentir les réactions en abaissant la température et initie<br />

ainsi la cryochimie et la cryoenzymologie dont il écrit un<br />

ouvrage de base : Cryobiochemistry : an introduction.<br />

1977 ; Academic Press ; London. Il étudie aussi certains<br />

cycles biochimiques hépatique et musculaire, à l’aide des<br />

outils techniques qu’il a mis au point. Il a reçu en 1962 le<br />

prix Pelman de biologie. Ayant quitté le Service de santé<br />

en 1971, il a travaillé dans de nombreux instituts de<br />

recherche : Muséum national d’Histoire naturelle,<br />

INSERM, INRA. Membre de l’Académie des sciences en<br />

1979, il est demeuré jusqu’à son décès, une personnalité<br />

scientifique influente.<br />

Les chercheurs ont d’abord travaillé sur des modèles<br />

animaux reconnus, ce qui ne va pas tarder à surprendre<br />

même les plus compréhensifs du Service ou de la DGA<br />

(élevage de canards, de crabes, de scorpions voire de<br />

moutons ou de congres). Mais comment échapper à<br />

l’étude d’une infection émergente comme le SIDA,<br />

lorsqu’on dispose d’outils permettant d’évaluer les<br />

troubles immunitaires radio-induits, comment étudier<br />

la radiorésistance sans rechercher des modèles<br />

naturellement radiorésistants comme le scorpion ou les<br />

agents transmissibles non conventionnels responsables<br />

d’encéphalopathies spongiformes. Heureusement, des<br />

médecins issus des centres de recherches se sont peu à<br />

peu intégrés au sein du système de financement de la<br />

recherche militaire et ont ouvert aux ingénieurs<br />

et bailleurs de fonds le monde de la biologie et de la<br />

médecine modernes.<br />

La majorité des travaux se sont poursuivis dans différents<br />

domaines, en physiologie pour tenter de protéger le<br />

combattant sur terre (climat, altitude) en mer (hyperbarie)<br />

et dans les nouveaux avions de combat (accélération), en<br />

microbiologie pour améliorer la protection contre les<br />

infections naturelles ou provoquées et en biochimie sur le<br />

thème de la protection contre les gaz de combats. Les<br />

aspects psychologiques n’ont pas été négligés et<br />

l’étude du cerveau (neurosciences) demeure une priorité<br />

au sein de nombreuses unités de recherche. D’autres<br />

établissements tels que le Centre de transfusion<br />

sanguine des armées (CTSA), le Service de protection<br />

radiologique des armées (SPRA), le Centre principal<br />

d’expertise du personnel naviguant (CPEPN), le Centre<br />

de traitement de l’information médicale des armées<br />

(CETIMA) ont mis sans cesse en place des outils<br />

techniques nouveaux et ont participé activement à des<br />

travaux de recherche qui leur sont propres. Enfin, comme<br />

en milieu hospitalier civil, la recherche clinique s’est<br />

développée dans la plupart des Hôpitaux d’instruction<br />

des armées (HIA) pour maintenir une compétence<br />

médicale d’excellence et obtenir une reconnaissance<br />

nationale et internationale.<br />

L’émergence de la biologie moderne en médecine a<br />

introduit de nouvelles pratiques en recherche : l’analyse<br />

des mesures s’affine et les statisticiens contribuent<br />

à l’établissement de protocoles rigoureux ; la réglementation<br />

impose le renforcement des mesures<br />

trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées<br />

451


Chlorpromazine.<br />

d’hygiène et de sécurité du travail, la protection du sujet<br />

en expérimentation, la surveillance des activités du génie<br />

génétique, la protection de l’environnement; les comités<br />

d’éthique éveillent au respect de l’animal et la qualité<br />

en recherche se développe. Les résultats sont publiés<br />

dans des revues internationales avec comités de lecture,<br />

majoritairement anglophones. Tout cela valide le travail<br />

accompli, mais impose une adaptation continue des<br />

acteurs de la recherche. De même, à la suite des grandes<br />

réformes de la recherche nationale, la formation évolue<br />

et l’habilitation à diriger les recherches s’impose à nos<br />

cadres ainsi que l’évaluation périodique des travaux<br />

réalisés sous leur direction. Ceci nécessite une constante<br />

collaboration avec l’université, et pour le chercheur<br />

la création de réseau nationaux et internationaux<br />

personnels permettant d’accéder rapidement aux<br />

dernières évolutions scientifiques et techniques de son<br />

domaine. Cette évolution rapide va nécessiter des ajustements<br />

fréquents des structures de recherche avec des<br />

regroupements ou des restructurations qui vont bousculer<br />

les habitudes mais permettre un décloisonnement et la<br />

mise en place de projets transversaux.<br />

Dominique Dormont, né en 1948 à Châlon-sur-Marne,<br />

médecin de la Marine, arrive au Centre de recherche du<br />

service de santé des <strong>Armées</strong> en 1977. Une formation<br />

scientifique solide et bien ciblée dans le domaine de la<br />

biochimie et de la biologie moléculaire, une structure de<br />

recherche ouverte, performante et bien insérée dans un<br />

milieu scientifique moderne et compétent français, puis<br />

américain vont permettre l’épanouissement de ses<br />

qualités humaines et professionnelles exceptionnelles. Il<br />

prend en charge l’étude des modifications précoces<br />

biochimiques et immunologiques des encéphalopathies<br />

spongiformes attribuées alors à un virus dit à incubation<br />

longue (slow-virus). En recherchant les moyens de<br />

diagnostiquer, puis de traiter de telles infections, il aborde<br />

l’étude de rétrovirus et se trouve rapidement impliqué<br />

dans le traitement du SIDA qui vient d’émerger et s’étend<br />

rapidement. Cette réactivité remarquable n’empêche pas<br />

son équipe d’obtenir ensuite la multiplication de l’agent<br />

de la tremblante du mouton dans une lignée cellulaire<br />

et disposer ainsi des moyens de quantifier l’agent<br />

infectieux. En 1992, il fait un rapport au ministère de la<br />

Recherche sur les encéphalopathies spongiformes. Il<br />

allait enfin faire prendre conscience du problème et de la<br />

nécessité d’une prévention afin d’assurer la sécurité<br />

alimentaire. Il fut nommé directeur à l’Institut des hautes<br />

études mais décéda en 2003, avant d’avoir inauguré un<br />

laboratoire totalement consacré à l’étude des prions (6).<br />

Peu à peu la maîtrise de l’outil scientifique et un choix de<br />

travaux de thèse bien ciblés ont débouché sur une stratégie<br />

de recherche propre au service, lisible par toutes les<br />

452 d. vidal


parties. Des réseaux avec les hôpitaux civils et militaires,<br />

avec les Centres de recherches nationaux et internationaux<br />

et avec l’Université permettent de maintenir l’outil<br />

technique et scientifique à un niveau d’excellence. Des<br />

résultats appréciables, objet de thèses d’état ou de publications<br />

nationales ou internationales, sont acquis dans<br />

toutes les disciplines en prenant une part active aux<br />

contraintes nouvelles du Service de santé des armées.<br />

L’expérience du SSA dans le domaine de l’hépatite virale<br />

épidémique commence par l’expérience clinique et<br />

épidémiologique incomparable des médecins des armées<br />

confrontés aux grandes épidémies en Algérie (Laverdant,<br />

Molinier). D’emblée (1961) les pastoriens du service<br />

tentent d’isoler un virus en utilisant les techniques<br />

de laboratoire les plus connues à l’époque (Maître,<br />

Antoine, Garrigues) mais ce sont des expérimentations<br />

américaines qui ont caractérisé, puis détecté le virus<br />

de l’hépatite A dans les selles, en 1973 à l’aide d’une<br />

technique délicate à l’époque. Sous l’impulsion de<br />

ces précurseurs, le soutien constant d’universitaires<br />

(C. Trepo, Ph. Maupas, Ph. Chevallier) et l’aide<br />

désintéressée mais précieuse de collègues américains<br />

(J.L. Dienstag, I. Kamal, Ph. Provost et J.R. Ticehurst)<br />

ou européens (B. Flehmig, A. Pana), une équipe de la<br />

division de microbiologie du Centre de recherches peut,<br />

dès 1978, isoler, puis cultiver ce virus et enfin déterminer<br />

sa sensibilité aux antiseptiques et antiviraux, à partir de<br />

prélèvements parfaitement ciblés par les médecins et<br />

biologistes hospitaliers militaires. Tous les travaux<br />

réalisés par une dizaine d’équipes dans le monde ont<br />

conduit, en une vingtaine d’années, à la mise au point<br />

d’un vaccin qui permet de protéger efficacement les<br />

armées contre l’« hépatite du soldat» qui depuis plusieurs<br />

siècles défiait stratèges et médecins (7).<br />

Ainsi, lors de la première guerre du Golfe, plusieurs<br />

chercheurs médecins, pharmaciens et vétérinaires ont été<br />

envoyés en mission auprès des hôpitaux de campagne lors<br />

du conflit, puis en mission d’inspection pour le compte de<br />

la Commission spéciale des Nations Unies (UNSCOM)<br />

dans les sites de défense de l’Irak. Ce personnel adapté<br />

aux missions de recherche a donc retrouvé une position<br />

opérationnelle de médecins, pharmaciens et vétérinaires.<br />

Tête de scud irakien supposée avoir été armée par le bacille du charbon,<br />

déterrée par une mission de l’UNSCOM. Photo D. Garin, Irak 1998.<br />

La récente organisation de la fédération de recherche<br />

officialise cette situation et les chercheurs continuent de<br />

participer aux opérations extérieures.<br />

La fonction recherche est aujourd’hui organisée en<br />

huit programmes opérationnels de recherche axés sur<br />

la protection du combattant face aux agressions<br />

biologiques, chimiques et physiques, combattant<br />

évoluant dans des environnements extrêmes ou sur un<br />

espace de bataille moderne de plus en plus complexe. Le<br />

plan stratégique du Service de santé des armées étend<br />

ces priorités de la recherche, sous forme duale, à la<br />

protection du combattant mais aussi à celle de la<br />

population civile. Ainsi, le Service de santé des armées<br />

dispose d’une capacité d’expertise unique dans les<br />

domaines couverts par ces programmes pour conseiller le<br />

commandement et les États-majors (8).<br />

La formation des assistants, les séjours à l’étranger,<br />

la participation à la formation dans l’École du Valde-Grâce,<br />

sont désormais organisés et encouragés ainsi<br />

que le séjour de chercheurs militaires étrangers<br />

dans nos laboratoires.<br />

VI. PERSPECTIVES ET CONCLUSIONS.<br />

Depuis trois siècles le Service de santé des armées a fait<br />

des efforts considérables et permanents pour répondre<br />

par des solutions scientifiques aux questions que posent<br />

les contraintes du métier des armes à la santé des<br />

militaires. Les conditions extrêmes de la vie du soldat, du<br />

marin ou de l’aviateur dans les campagnes et les guerres,<br />

sous toutes les latitudes et les climats, sous les mers et<br />

dans l’espace, ont suscité de multiples questions pour<br />

prévenir, protéger ou traiter les conséquences de ces<br />

multiples agressions. Les médecins, les pharmaciens, les<br />

vétérinaires, les ingénieurs et les techniciens du Service<br />

de santé ont cherché à innover dans tous les domaines de<br />

la physiologie, de la microbiologie, de l’immunologie,<br />

de la psychologie, de la pharmacologie, de la toxicologie,<br />

de la biologie moléculaire et cellulaire, etc. Dans le<br />

cadre de cette problématique spécifique la recherche du<br />

Service de santé a progressivement émergé avec le<br />

progrès scientifique. Le problème qui persiste de façon<br />

récurrente, est de trouver l’équilibre entre la recherche<br />

amont dite fondamentale, source d’évolution, avec la<br />

recherche dite appliquée, qui valorise dans la pratique les<br />

acquis de la précédente dans des domaines particuliers.<br />

Cette recherche appliquée est certes moins spectaculaire<br />

et médiatique mais très utile au combattant. Cette<br />

recherche d’équilibre est à l’origine de turbulences<br />

inévitables et devant les protestations ou critiques des uns<br />

et des autres, le Service de santé des armées est resté<br />

attentif et ouvert, car il est souvent difficile de percevoir<br />

l’importance d’un concept, d’une méthode ou d’une idée<br />

qui risque de bouleverser notre futur. Pouvait-on penser<br />

qu’un travail d’ethnologue allait apporter le diagnostic de<br />

l’hépatite B ? Qu’un agent infectieux radio-résistant<br />

peut ne pas posséder d’acide nucléique et provoquer<br />

des démences, liée à une neuro-dégénérescence<br />

transmissible chez l’adulte jeune ? Parmi les nombreux<br />

trois siècles de recherche et de découvertes au sein du service de santé des armées<br />

453


chercheurs du Service de santé des armées, certains ont<br />

été éminemment distingués, comme Alphonse Laveran,<br />

prix Nobel de médecine pour sa découverte de l’agent du<br />

paludisme ou Henri Laborit, prix Lasker pour la mise en<br />

évidence du premier neuroleptique, découverte qui<br />

bouleversa la psychiatrie. Néanmoins, il reste toujours<br />

difficile d’institutionnaliser la créativité dans un corps<br />

qui sélectionne ses meilleurs éléments pour transmettre<br />

ce qui est le plus utile au blessé ou au malade et qui doit<br />

aussi veiller à les protéger contre les engouements<br />

médicaux soutenus par une communication performante<br />

voire contre l’irrationnel. La recherche collective a pu de<br />

même être distinguée par exemple avec l’attribution du<br />

prestigieux prix Gallien au Service de santé des armées<br />

pour l’auto-injecteur bi-compartiment utilisable dans<br />

la thérapie d’urgence dans les intoxications par les<br />

organophosphorés. L’esprit de recherche, « savoir plus<br />

pour mieux soigner », doit continuer à soutenir la prise en<br />

charge des blessés et des malades qui sont confiés au<br />

Service de santé des armées depuis 300 ans. L’institution<br />

trouvera sa richesse à la fois en encourageant des<br />

personnalités passionnées, parfois dérangeantes mais<br />

nécessaires au progrès des idées, et en soutenant sans<br />

faille l’effort ingrat, discret, continu et indispensable des<br />

chercheurs formant les groupes de recherche structurés<br />

autour d’équipements et de plateaux techniques lourds.<br />

La recherche a été organisée rationnellement dès les<br />

années 1950 par un Bureau d’action scientifique et<br />

technique de la Direction centrale du Service de santé des<br />

armées en évitant les redondances inutiles avec les<br />

établissements scientifiques civils (Centre national de<br />

la recherche scientifique, Institut national de la<br />

recherche médicale) (9). Le Centre de recherche du<br />

Service de santé des armées, les Instituts de médecine<br />

tropicale, de médecine aéronautique et de médecine<br />

navale sont maintenant regroupés au sein d’une<br />

fédération de la recherche préfigurant la création du<br />

futur centre unique du XXI e siècle, l’Institut de recherche<br />

biomédicale des armées.<br />

Prix Gallien 2005.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Blaessinger E. Quelques grandes figures de la chirurgie, de la<br />

médecine et de la pharmacie militaires, Paris, Éditeur Blanchard ;<br />

1952 : 420 p.<br />

2. Chenu JC : De la mortalité dans l’Armée et des<br />

moyens d’économiser la vie humaine. Extraits des<br />

statistiques médico-chirurgicales des Campagnes de Crimée<br />

(1854-1856) et d’Italie (1859). Paris, Librairie Hachette<br />

et Cie ; 1870.<br />

3. Roussel P. Les pastoriens du Service de santé des armées. Thèse<br />

de médecine, Lyon, 1997 : 151 p.<br />

4. Lefêvre P. Histoire de la médecine aux armées, tome 3. Paris,<br />

Lavauzelle ; 1987 : 424 p.<br />

5. Laborit H. Physiologie humaine cellulaire et métabolique. Paris,<br />

Masson et Cie ; 1961 : 585 p.<br />

6. Court, L. Histoire d’une épopée scientifique. Médecine et <strong>Armées</strong>,<br />

2006, 34 (2) : 109-15.<br />

7. Trepo C, Valla D. Hépatites virales. Progrès en hépatogastroentérologie,<br />

Paris, Doin ; 1993 : 188 p.<br />

8. Viret J. Évolution de la recherche dans le Service de santé des<br />

armées. Médecine et <strong>Armées</strong>, 2006, 34 (2) : 105-8.<br />

9. De Benedetti R. La médecine militaire. Paris, Presses<br />

universitaires de France ; 1961 : 128 p.<br />

454 d. vidal


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LA RECHERCHE AU CENTRE DE TRANSFUSION SANGUINE<br />

DES ARMÉES<br />

M. JOUSSEMET<br />

La recherche appliquée, comme la participation à la<br />

recherche fondamentale dans ses domaines d’activités,<br />

en collaboration étroite avec des unités de recherche du<br />

secteur civil, ont, en quelque sorte, été inscrites dans les<br />

gènes du Centre de transfusion sanguine des armées<br />

(CTSA) par son fondateur, Jean Julliard. Lui-même est<br />

l’un des pionniers qui ont fait passer la transfusion du<br />

bras à bras, norme de la pratique des actes transfusionnels<br />

jusque dans les années quarante, à la transfusion différée<br />

de sang conservé par l’utilisation du citrate et du flacon de<br />

verre. Le modèle de flacon utilisé en France était<br />

d’ailleurs le fruit des travaux de Julliard et il en portait le<br />

nom: le moule initial est conservé au CTSA. Le concept<br />

même de l’acte transfusionnel et son positionnement<br />

dans la prise en charge des patients traumatiques ont été<br />

appliquées pendant la campagne d’Italie par « l’invention<br />

» du « médecin transfuseur réanimateur », travaillant<br />

proche de la ligne de front, capable de participer à son<br />

propre réapprovisionnement par des prélèvements « sur<br />

place ». C’est l’origine du concept de fonctionnement des<br />

services d’urgence et de réanimation : les initiateurs<br />

portaient pour nom Julliard, Benhamou, Stora, …<br />

Après la reconquête du territoire français et l’installation<br />

à Percy du CTSA par le gouvernement provisoire de De<br />

Gaulle, le centre se positionnera toujours parmi les<br />

pionniers qui participaient aux mouvements de<br />

recherches touchant à ses domaines d’activités : ce sera<br />

l’utilisation systématique de produits sanguins spécifiques<br />

(concentrés de globules rouges, de plaquettes,<br />

plasma frais congelé) et l’abandon du sang total, puis la<br />

lyophilisation du plasma avec l’installation à Clamart de<br />

la première unité européenne de lyophilisation de plasma<br />

thérapeutique. La transfusion de plaquettes en France a<br />

été initiée par Maupin, deuxième directeur du CTSA,<br />

qui, pour l’anecdote, tous les jours, apportait à Villejuif<br />

les premiers concentrés de plaquettes transfusées<br />

aux premiers greffés de moelle par Mathé ; c’était déjà<br />

la prise en charge des patients irradiés suite à un accident<br />

en Bulgarie.<br />

L’un des pionniers de l’hémostase a été Raby qui a inventé<br />

le thromboélastogramme, et participé à la découverte des<br />

facteurs de l’hémostase ; un des premiers traitements de<br />

l’hémophilie a été du plasma dit « anti-hémophilique »,<br />

plasma lyophilisé très rapidement après sa séparation du<br />

don de sang puis immédiatement congelé et lyophilisé :<br />

M. JOUSSEMET, médecin général, directeur du CTSA.<br />

Correspondance : M. JOUSSEMET, Centre de transfusion sanguine des armées<br />

« Jean Julliard », BP 410, 92141 Clamart Cedex.<br />

Perfusion.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 455


la thermosensibilité de la molécule de facteur VIII,<br />

inconnue à l’époque, était déjà prise en compte dans la<br />

préparation du produit thérapeutique.<br />

En immunologie, un travail plus discret qui avec<br />

le regard de l’histoire s’est révélé d’esprits novateurs,<br />

a été l’aventure de l’étude du facteur de transfert<br />

lymphocytaire: la connaissance des cytokines apportera<br />

bien des années après une explication aux interrogations<br />

de l’époque. Il en sera de même pour tout un ensemble<br />

de travaux sur l’inflammation et l’hémostase ; Jean<br />

Hainaut y consacrera de nombreuses années de recherche<br />

en marge de son activité purement transfusionnelle.<br />

Pour la période plus proche de nous, deux domaines<br />

de recherche seront plus particulièrement développés<br />

à la fin du vingtième siècle : l’amélioration de la<br />

conservation des produits sanguins par l’utilisation<br />

de solutions de conservation pour les concentrés de<br />

globules rouges ou de plaquettes et le fractionnement<br />

des protéines du plasma. En complément du fractionnement<br />

alcoolique de Cohn, la mise en application des<br />

méthodes de chromatographie permet une séparation<br />

beaucoup plus fine des protéines du plasma à l’origine<br />

de nombreux médicaments dérivés du sang : ce<br />

sera l’œuvre de Saint Blancard et de Fabre. Cette évolution<br />

est actuellement mise en application sur un plan<br />

industriel et largement utilisée.<br />

L’actualité est toute autre, elle est liée à l’utilisation<br />

des cellules isolées puis greffées éventuellement<br />

après une phase de culture : la thérapie cellulaire fait<br />

partie de ce grand mouvement actuel des biotechnologies<br />

qui est l’un des domaines de recherche les<br />

plus en pointe de la médecine actuelle, mais on n’écrit<br />

pas l’histoire au présent.<br />

Unité de thérapie cellulaire (CTSA).<br />

456 m. joussemet


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

CHIRURGIE MILITAIRE ET BLESSÉS DES MEMBRES<br />

S. RIGAL<br />

I. INTRODUCTION.<br />

La majorité des blessés qui arrivent vivants aux<br />

chirurgiens de guerre présentent une lésion des membres.<br />

C’est la constatation réalisée au cours de tous les conflits<br />

de l’antiquité à nos jours.<br />

Le traitement des lésions graves des membres dans les<br />

structures chirurgicales de l’avant permet de sauver la vie<br />

de blessés par la médicalisation précoce et une chirurgie<br />

aux gestes rapides et efficaces, de sauver le membre par<br />

une stabilisation et une revascularisation et de préserver<br />

au mieux la fonction par des gestes qui permettent de<br />

nombreux choix techniques après évacuation. Cette prise<br />

en charge est possible par la présence de chirurgiens des<br />

armées compétents en traumatologie osseuse et formés<br />

aussi bien aux spécificités des lésions de guerre<br />

qu’aux nécessités militaires. Aux qualités des hommes<br />

s’ajoutent un équipement technique et une logistique<br />

performants. En 2008, les principes de traitement ne<br />

sont pas seulement une adaptation à la situation actuelle<br />

mais également l’héritage de l’histoire du Service de<br />

santé des armées au service des combattants sur le terrain<br />

depuis trois siècles.<br />

La chirurgie dans les armées sur le champ de bataille a<br />

une histoire marquée par des hommes d’exception et le<br />

traitement des lésions des membres a longtemps été le<br />

seul domaine de leur activité. Cette chirurgie des<br />

membres a évolué en permanence (« appuyé sur des faits<br />

et non sur des théories » ainsi que le soulignait Baudens<br />

au XIX e siècle (1)) par des adaptations successives des<br />

principes de traitement et d’organisation aux caractéristiques<br />

des conflits, à la nature des lésions et à une<br />

meilleure connaissance de celles-ci, ainsi qu’aux progrès<br />

de la médecine. Cela a été réalisé par des hommes,<br />

souvent brillants opérateurs, qui ont su toujours aller audelà<br />

de leur simple rôle technique. Réfléchissant sur leurs<br />

pratiques et la singularité de chaque conflit sur le terrain,<br />

ils ont été des organisateurs de la médecine de l’avant<br />

et ont toujours insisté sur la nécessité de partager leur<br />

expérience et d’enseigner. Longtemps l’habilité et les<br />

qualités individuelles n’ont pu compenser les faiblesses<br />

S. RIGAL, médecin chef des services.<br />

Correspondance: S. RIGAL, service de chirurgie orthopédique et traumatologique,<br />

HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse, 92141 CLAMART Cedex.<br />

de l’organisation et des ressources mais ils ont, dans<br />

de nombreuses circonstances singulières, toujours su<br />

s’adapter sous la pression de la nécessité. Enfin leur<br />

pratique auprès des blessés, a toujours été marquée par<br />

une grande humanité et un sens éthique constant qui ont<br />

fait honneur au Service de santé des armées.<br />

Cet article ne saurait être exhaustif, il évoquera les grands<br />

principes laissés en héritage : la nécessaire chirurgie au<br />

cœur des combats, la lutte contre l’infection, l’amputation<br />

encore parfois malheureusement nécessaire, la place<br />

de la fixation externe dans le traitement conservateur, les<br />

règles techniques et éthiques du triage et l’indispensable<br />

formation à une pratique chirurgicale spécifique.<br />

II. LA CHIRURGIE AU PLUS PRÈS DES<br />

COMBATS.<br />

Depuis le XV e siècle les blessures des membres posent<br />

deux problèmes bien identifiés, qui font l’objet de<br />

discussions et de recommandations : la suppuration et<br />

l’hémorragie. Les tissus de la plaie sont dévitalisés par le<br />

traumatisme et systématiquement infectés par l’agent<br />

vulnérant. La prévention de l’infection demande une<br />

intervention précoce pour éliminer les tissus morts et la<br />

contamination. L’hémorragie tue le blessé dans les<br />

minutes qui suivent la blessure, le contrôle par un garrot<br />

est connu depuis longtemps et le geste chirurgical de<br />

ligature ainsi que le proposaient Ambroise Paré (2) et<br />

Guy de Chaulliac ou la réparation vasculaire plus<br />

moderne doivent être rapides.<br />

Faut-il encore disposer des compétences et des<br />

moyens pour cette chirurgie sur le terrain!<br />

L’assistance au blessé, sur le champ de bataille, s’est<br />

longtemps limitée aux soins donnés par un camarade. Au<br />

moyen âge, les blessés sont abandonnés sur le terrain et<br />

même achevés. Même si dès 1550 Henri II prévoit un<br />

« hospital ambulant pour secourir les malades et les<br />

blessés » et si l’édit de Louis XIV, en 1708, précisait :<br />

« chaque régiment sera pourvu d’un chirurgien major<br />

assisté d’un aide major et de deux élèves chirurgiens<br />

qui devront suivre les combats », la nécessité d’une<br />

chirurgie encore plus précoce sur le champ de bataille<br />

est certainement l’idée des chirurgiens de l’empire.<br />

Sous l’impulsion de Pierre François Percy et de Jean<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 457


Ambroise Paré décrivant la ligature vasculaire en 1553.<br />

Dominique Larrey, les chirurgiens sont au cœur des<br />

combats au sein de véritables antennes chirurgicales.<br />

Pierre François Percy crée des ambulances légères,<br />

petits caissons sur roues permettant de transporter non<br />

seulement des infirmiers mais aussi des civières<br />

démontables et pliables. Il utilise le Wurst, caisson<br />

d’artillerie transformé pour contenir les moyens de<br />

secours pour 1 200 blessés. En 1792, Larrey est engagé<br />

dans l'armée du Rhin et la suit dans sa campagne<br />

d'Allemagne. À la bataille de Spire, en septembre 1792,<br />

il brave l'interdiction interdisant aux officiers de santé<br />

de se tenir à moins d'une lieue des combats et à attendre<br />

leur fin, pour secourir les blessés au cœur même de<br />

la bataille. À son retour à Paris, il imagine d'autres<br />

« ambulances volantes », caisses suspendues destinées<br />

au transport des blessés, qui permettraient d'enlever les<br />

soldats invalides du champ de bataille afin «d'opérer dans<br />

les vingt-quatre heures ». Ce concept, sur lequel encore<br />

aujourd’hui le Service de santé des armées base<br />

sa stratégie, est donc parfaitement édicté depuis deux<br />

siècles. Cependant l’absence d’autonomie logistique<br />

du service de santé au cours du XIX e siècle rendra son<br />

application souvent défaillante.<br />

Les avancées médicales de cette même période avaient<br />

conduit à oublier ces principes à la fin du XIX e siècle et<br />

au début du XX e siècle. Dans ce domaine le Service de<br />

santé des armées, sous l’influence des chirurgiens de<br />

l’avant, à su montrer ses capacités de remise en cause<br />

et ses possibilités d’adaptation pour définitivement<br />

Ambulance volante de Larrey.<br />

458 s. rigal


affirmer l’importance de la chirurgie du champ de<br />

bataille dès les premiers mois de la Grande guerre.<br />

La littérature chirurgicale fait actuellement toujours une<br />

grande place à la prévention de l’infection (3). À chaque<br />

époque les auteurs ont rappelé et rappellent encore l’erreur<br />

récurrente de sous estimer le potentiel septique des plaies<br />

de guerre et de ne pas respecter le geste chirurgical<br />

précoce essentiel que constitue le débridement et le parage.<br />

Ambroise Paré, chirurgien ordinaire de quatre rois,<br />

s’affranchit le premier des théories officielles et définit<br />

dès le XVI e siècle traitement, à appliquer au nouveau type<br />

de blessures entrainées par les armes à feux (2). Il écarte<br />

l’huile bouillante et propose le nettoyage soigneux des<br />

plaies. Jean Dominique Larrey et François Percy avaient<br />

identifié, avant l’ère pasteurienne, que l’infection de la<br />

plaie de guerre était une des plus graves complications<br />

et insisté sur le débridement pour les prévenir. Ce<br />

débridement associé au parage chirurgical (dont le stade<br />

ultime peut être une amputation), pourtant déjà préconisé<br />

par Ambroise Paré (4), mais pas encore admis par tous les<br />

chirurgiens, devient la règle en chirurgie de guerre<br />

au début du XIX e siècle. Le terme de débridement, mot<br />

français attribué à Dominique Larrey et repris par les<br />

auteurs anglo-saxons, qui signifie littéralement « couper<br />

les brides » mérite d’être précisé. Il ne constitue que<br />

l’étape initiale de l’exploration des lésions par ouverture<br />

large dans l’axe du membre de la peau, du fascia et plus<br />

profondément par section des attaches musculaires et<br />

périostées. Il soulage la pression intracompartimentale et<br />

donne accès à la chambre d’attrition tissulaire au contact<br />

du foyer de fracture, permettant l’évaluation précise et<br />

méthodique des lésions avant le parage des tissus.<br />

La méthode des pansements rares et des évacuations<br />

précoces devaient d’autre part, pour Larrey, éviter « la<br />

pourriture d’hôpital », que nous nommons actuellement<br />

infection nosocomiale.<br />

Les lésions des guerres post Napoléoniennes du milieu et<br />

de la fin du XIX e siècle par des balles de petit calibre et<br />

l’apport de l’antiseptie puis de l’aseptie, ont dans un<br />

premier temps conduit à un parage économique et à une<br />

chirurgie trop conservatrice, puis ont fait abandonner<br />

le principe d’un geste chirurgical au plus près des<br />

combats au tout début de la Première Guerre mondiale.<br />

On estimait pouvoir opérer ces blessures peu contuses<br />

et peu infectées loin du front, les bases militaires étaient<br />

celles d’une guerre de mouvement de courte durée, et<br />

l’orientation s’est fait vers une organisation où les<br />

évacuations primaient sur le traitement précoce des<br />

blessures. Ainsi le règlement de 1910 était conçu dans<br />

cet état d’esprit. La capacité opératoire était sacrifiée<br />

à la souplesse, le principal travail était d’emballer et<br />

d’expédier au loin. Edmond Delorme, professeur de<br />

chirurgie de guerre au Val-de-Grâce, prononçait à<br />

l’Académie nationale de médecine le 10 avril 1914,<br />

ses conseils aux chirurgiens en proposant « des opérations<br />

rares, retardées et pratiquées hors du front pour<br />

des blessures de beaucoup les plus fréquentes, dues aux<br />

balles de petit calibre, dites humanitaires ». L’infection<br />

devient alors la règle ! Le 22 septembre 1914 Delorme<br />

Ambulance chirurgicale des premières lignes à Baleycourt, secteur<br />

de Verdun 1916.<br />

reconnaissait ses erreurs « la chirurgie des premières<br />

lignes doit faire elle-même tout le nécessaire »… « à<br />

situations nouvelles dispositifs nouveaux » (5, 6). Il<br />

préconisait une chirurgie précoce concentrée à l’avant<br />

et plus ambitieuse. Il est remarquable de constater la<br />

réactivité dans la modification de la doctrine qui ramène<br />

aux principes édictés lors des guerres de la révolution et<br />

de l’empire mais avec une logistique plus efficiente liée à<br />

l’autonomie acquise par le Service de santé des armées<br />

grâce aux lois de 1882 et 1889.<br />

En octobre 1917 Pierre Duval, médecin chef de l’ambulance<br />

chirurgicale automobile 21 et chirurgien consultant<br />

de la 7 e armée, rapportait son expérience sur l’évolution<br />

de la chirurgie de guerre. «En 1914, la chirurgie de guerre<br />

reposait sur deux grands principes : évacuer loin sans<br />

opération précoce et opérer au minimum. La guerre<br />

actuelle a inversé cette formule. Opérer toujours et le plus<br />

vite possible; n’évacuer que des blessés opérés: telle est<br />

la règle ». La meilleure connaissance de l’évolution<br />

biologique de la plaie de guerre justifiait cette attitude<br />

sans attendre pour éviter les redoutables complications<br />

infectieuses. Ce principe imposait que «le chirurgien doit<br />

être aux armées, et le plus près possible des lignes pour<br />

opérer le plus vite possible »… « le chirurgien doit avoir à<br />

sa disposition une installation parfaite, un matériel<br />

complet » « cette formule est appliquée dans l’armée<br />

française ; les installations chirurgicales dans les<br />

ambulances chirurgicales automobiles, dans les centres<br />

chirurgicaux ne laissent actuellement rien à désirer». Dès<br />

1915 avec la guerre des tranchées sont constituées des<br />

formations chirurgicales mobiles dont les fameuses<br />

« autochir ». Cette nouvelle formation sanitaire est créée<br />

selon Henri Rouvillois « dans la plus grande tradition des<br />

médecins militaires qui, tel Larrey, voulaient que les<br />

secours soient toujours placés à côté du danger » et<br />

« disposent de puissantes ressources en personnel et en<br />

matériel devant permettre d’opérer dans de meilleures<br />

conditions de confort chirurgical » (5).<br />

Toutes les formations chirurgicales mobiles utilisées<br />

de nos jours n’en sont que les héritières plus ou moins<br />

chirurgie militaire et blessés des membres<br />

459


14 e Antenne Chirurgicale Parachutiste durant l’opération « Turquoise » en 1994 à Goma.<br />

perfectionnées. Plus loin à l’arrière s’échelonnent<br />

des hôpitaux de plus en plus lourds et perfectionnés.<br />

La guérilla, avec un front mal défini, et les conditions<br />

sanitaires difficiles de la guerre d’Indochine ont<br />

imposé une refonte des formations chirurgicales mobiles<br />

des campagnes d’Italie et de France. Les antennes<br />

chirurgicales mobiles et les antennes chirurgicales<br />

parachutistes, formations plus légères et à l’équipement<br />

standardisé, ont participé à toutes les opérations.<br />

Lors de la guerre d’Algérie les évacuations héliportées<br />

médicalisées sont devenues de routine et le concept des<br />

antennes chirurgicales a été confirmé sous le nom<br />

d’antennes de secteur, devenues plus sédentaires (6).<br />

Aujourd’hui l’armature du Service de santé de l’avant est<br />

conçue pour une action mobile développée autour de ces<br />

antennes chirurgicales capables de traiter les extrêmes<br />

urgences et de conditionner les autres avant évacuation<br />

vers les hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure. En<br />

pratique depuis 30 ans, l’éloignement de la métropole des<br />

territoires d’opération de l’armée française a toujours<br />

imposé pour les lésions des membres un geste chirurgical<br />

bien au-delà d’un simple conditionnement. L’Antenne<br />

chirurgicale est constituée d’une équipe formée de<br />

douze personnels dont un chirurgien orthopédiste. Ce<br />

chirurgien diplômé et compétent en orthopédie mène<br />

alternativement la vie d’un chirurgien de terrain et celle<br />

d’un chirurgien de service hospitalier. C’est un avantage<br />

certain que d’avoir ainsi la connaissance de toutes les<br />

étapes de la stratégie du traitement des lésions des<br />

membres lors de la décision des gestes à réaliser en<br />

urgence à l’avant. Lucien Jean Baudens (1) insistait déjà<br />

en 1837 en Algérie sur cette double expérience: « j’avais<br />

le double avantage d’aller panser les blessés sur le champ<br />

de bataille et de les ramener ensuite dans un hôpital dont<br />

j’étais le chirurgien en chef ». Le matériel est adapté à une<br />

stratégie de traitement en niveaux successifs et comporte<br />

en particulier des boîtes pour la chirurgie osseuse et des<br />

boîtes de fixateur externe permettant de stabiliser les<br />

fractures. Si la mission initiale est le soutien chirurgical<br />

des troupes françaises avant évacuation, les capacités<br />

d’adaptation permettent une activité au service des<br />

populations avec dans ce cadre aussi une majorité de<br />

lésions des membres à traiter. Une transformation en<br />

structure de soins unique qui doit assurer l’ensemble du<br />

traitement est alors nécessaire au cours de ces missions à<br />

caractère humanitaire (7).<br />

Si ces formations ne peuvent procurer l’idéal chirurgical,<br />

elles représentent un compromis entre l’art chirurgical<br />

et les obligations imposées par les conditions du<br />

combat ainsi que le soulignait déjà le médecin en<br />

chef Chippaux en 1959.<br />

Il faut remarquer qu’actuellement cette doctrine du<br />

Service de santé des armées qui met le chirurgien le plus<br />

près possible du blessé est reprise dans les conflits d’Irak<br />

et d’Afghanistan où est privilégié une relève médicalisée<br />

vers une formation chirurgicale de l’avant, comparable à<br />

460 s. rigal


nos antennes chirurgicales, pour un geste opératoire<br />

précoce et rapide puis une évacuation vers une formation<br />

plus lourde à l’arrière.<br />

III. L’AMPUTATION, LONGTEMPS LA SEULE<br />

RÉPONSE AUX LÉSIONS GRAVES, RETROUVE<br />

UNE ACTUALITÉ CRUELLE DANS LES<br />

CONFLITS MODERNES.<br />

Ambroise Paré amène une innovation fondamentale<br />

en appliquant rationnellement à l’amputation la ligature<br />

des vaisseaux pratiquée depuis longtemps dans les<br />

hémorragies (4). Bien codifié, ce geste restera pour<br />

trois siècles la base de l’enseignement et de la pratique<br />

du chirurgien militaire.<br />

Pierre Dionis (premier chirurgien de mesdames les<br />

dauphines et dont le fils a été le chirurgien major de<br />

Le rétracteur à parties molles de Percy toujours présent dans les boites<br />

d’amputation au XXI e siècle.<br />

l’armée du roi d’Espagne) qui avait pratiqué la chirurgie<br />

aux armées, dans la neuvième démonstration de son cours<br />

d’opération de chirurgie publié en 1707 précise: « C’est<br />

dans les hôpitaux des armées, durant les sièges ou après<br />

une bataille, qu’il y a bien des occasions de faire cette<br />

amputation : les coups de canon ou de fusil, les éclats de<br />

bombe et de grenade brisent tellement les bras et les<br />

jambes de ceux qui en sont blessés qu’il est très difficile<br />

de les leur sauver. Le chirurgien se trouve contraint<br />

d’extirper malgré lui une jambe pour sauver la vie du<br />

malade ; car il vaut encore mieux vivre avec trois<br />

membres, que de mourir avec quatre ». Déjà les niveaux<br />

de l’amputation sont parfaitement appréhendés pour le<br />

meilleur résultat fonctionnel de l’appareillage ainsi au<br />

niveau de la jambe: « je conseille toujours de couper une<br />

jambe tout le plus bas qu’il est possible, pourvu que l’on<br />

puisse conserver le mouvement du genou … pour ne<br />

laisser du moignon qu’autant qu’il en faut pour appuyer la<br />

jambe de bois … » (8).<br />

La ligature appuyée des vaisseaux, réalisée séparément,<br />

est un geste actuel pourtant déjà bien défini ainsi par<br />

Georges de la Faye chirurgien des camps et armées du roi<br />

en 1732 : « L’opérateur prend une aiguille courbe ... il<br />

l’enfonce assez avant dans les chairs, à un des côtés du<br />

vaisseau, et la retire ; il passe une seconde fois dans les<br />

chairs de l’autre côté du vaisseau et le retire de même; il<br />

noue le fil à deux nœuds … par ce moyen le vaisseau se<br />

trouve lié avec les chairs qui l’environnent, comprimé<br />

exactement et mollement » (9).<br />

Larrey pratiquait des amputations précoces et salvatrices,<br />

les blessés mourraient moins et guérissaient plus<br />

vite qu’après le traitement conservateur. En outre<br />

leur évacuation était plus simple que celle des blessés<br />

ayant conservé leur membre. Il préconisait plutôt<br />

la désarticulation geste plus rapide (en l’absence<br />

d’anesthésie) qui ne nécessitait pas la scie mais le couteau<br />

qui passait dans l’articulation. Alors que Percy, quant<br />

à lui, préférait temporiser pour laisser se dessiner la<br />

frontière entre le tissu dévitalisé et celui encore vivant.<br />

Ce « Nestor de la chirurgie militaire », lauréat à plusieurs<br />

reprises de l’académie pour ces travaux sur les<br />

ciseaux, les bistouris, les instruments d’extraction<br />

des projectiles et qui travailla aussi sur les aiguilles, la<br />

ligature des artères, la cautérisation nous a laissé en<br />

héritage son rétracteur de parties molles pour amputation<br />

encore employé aujourd’hui.<br />

Lucien Jean-Baptiste Baudens, défenseur des<br />

amputations précoces, réalisait un véritable parage de<br />

régularisation le plus distal possible pour conserver le<br />

plus de longueur et des lambeaux cutanés suffisant<br />

pour l’affrontement : « le coussinet charnu ainsi formé<br />

protégeait la cicatrice et les opérés étaient moins soumis<br />

aux douleurs du moignon » (1). C’est la préconisation<br />

que l’on fait actuellement pour la réalisation des<br />

amputations en traumatologie et qui est indispensable à<br />

un appareillage fonctionnel. Si longtemps les chirurgiens<br />

ont pu estimer que leur tâche était achevée dès la<br />

cicatrisation, il faut retenir que des chirurgiens des<br />

armées ont eu, bien avant la formalisation par la<br />

commission consultative de prothèse et d’orthopédie en<br />

1921, le souci de l’appareillage. Ambroise Paré est<br />

souvent retenu comme un précurseur dans ce domaine<br />

avec ses appareils métalliques articulés et motorisés<br />

pour le coude ou le genou, la cheville à boule du général<br />

Dausmenil amputé à Wagram par Larrey est célèbre,<br />

la bottine-pilon était proposée par Roux en 1850 pour<br />

les amputations basses de jambe (6). Actuellement la<br />

collaboration chirurgiens orthopédistes, rééducateurs<br />

et appareilleurs permet une prise en charge multidisciplinaire<br />

indispensable au sein du service de santé<br />

des armées.<br />

Longtemps, l’amputation fut la seule réponse chirurgicale<br />

aux lésions graves des membres, mais très tôt les<br />

chirurgiens des armées ont eu conscience de son caractère<br />

mutilant et on eu le désir d’être autant que possible<br />

conservateurs. Ainsi Dionis introduit-il sa neuvième<br />

démonstration « De l’amputation » : « de toutes nos<br />

opérations, celle qui fait le plus d’horreur c’est<br />

chirurgie militaire et blessés des membres<br />

461


l’amputation de cuisse, d’une jambe ou d’un bras. Quand<br />

on est près de séparer une partie de son tout, qu’on fait<br />

la réflexion sur les moyens cruels dont on va se servir, il<br />

n’y a point de chirurgien qui ne tremble et qui ne<br />

compatisse au malheur du pauvre patient, qui se trouve<br />

dans la fatale nécessité d’être privé d’une partie de son<br />

corps pour toute la vie» (8). L’observation de monsieur de<br />

la Peyronie, rapporté dans le même chapitre, montre la<br />

conservation et la guérison d’une fracture ouverte du bras<br />

par arme blanche, parée et immobilisé par un appareil qui<br />

autorisait les pansements. Le risque de la conservation est<br />

pris et une tactique adaptée à l’arsenal conceptuel et<br />

technique de l’époque est mise en œuvre avec succès<br />

même si le résultat fonctionnel reste limité par les<br />

séquelles neurologiques (9).<br />

La découverte de l’anesthésie (par deux dentistes Wells et<br />

Morton en 1847) utilisée pour la première fois durant la<br />

guerre de Crimée (1854-1855), et ultérieurement<br />

amélioré avec l’injection de penthotal apporte une<br />

amélioration majeure à la pratique chirurgicale et<br />

permet le développement de techniques plus élaborées.<br />

Celle de l’antisepsie par Joseph Lister, les progrès<br />

fulgurants de l’ère pasteurienne, puis le développement<br />

des antibiotiques à la suite de la découverte de la<br />

pénicilline en 1928 par Fleming (la pénicilline est utilisée<br />

pour la première fois par les chirurgiens français lors de la<br />

campagne d’Italie en 1943) apportent un progrès majeur<br />

dans la prise en charge et la prévention de l’infection. Les<br />

progrès du traitement d’un choc grâce à la réanimation et<br />

à la transfusion sanguine permettront dans certains cas<br />

une option conservatrice mais l’amputation reste<br />

toujours indispensable devant des lésions pluritissulaires<br />

graves ou pour sauver la vie.<br />

Sabatier, chirurgien chef des Invalides, exposait<br />

clairement en 1796 les indications et les interrogations,<br />

sur les possibilités de gestes moins radicaux, encore<br />

très actuelles : « les cas qui exigent l’amputation sont<br />

assez nombreux : ce sont les grands fracas des os avec<br />

écrasement des parties molles, la destruction totale<br />

des membres par l’effet du canon, … , l’ouverture<br />

des principaux troncs artériels », et laisse percevoir la<br />

possibilité d’un geste moins radical «… mais dans<br />

quelques uns de ces cas mêmes, il est possible de se<br />

dispenser de l’amputation et de parvenir à la guérison<br />

en conservant le membre » (10).<br />

IV. ÉVOLUTION VERS UN TRAITEMENT PLUS<br />

CONSERVATEUR ET UN BUT FONCTIONNEL.<br />

En 1936, le Médecin général inspecteur Henri Rouvillois,<br />

président du congrès français de chirurgie, rappelait dans<br />

son discours d’ouverture : « la chirurgie de guerre n’a<br />

d’autres règles que celles de la chirurgie de paix; elle ne<br />

peut avoir d’autres bases que les siennes c’est-à-dire des<br />

bases techniques. L’organisation de la chirurgie aux<br />

armées est fonction des soins à donner aux blessés ; elle<br />

doit être subordonnée à la technique et non la technique à<br />

l’organisation. Mais son fonctionnement doit s’adapter<br />

aux circonstances de guerre et aux nécessités militaires,<br />

c’est une double adaptation à des nécessités techniques<br />

intangibles, sinon invariables et à des nécessités militaires<br />

parfois inattendues et toujours variables » (11).<br />

Le traitement des lésions des membres en pratique de<br />

guerre a bénéficié des connaissances de la chirurgie civile<br />

et applique les nouvelles avancées techniques de celle ci.<br />

Mais la pratique civile est,elle aussi, influencée par<br />

l’expérience de la chirurgie de conflit. Si le « damage<br />

control » orthopédique issu de la pratique civile s’est<br />

imposé comme référence de la prise en charge des lésions<br />

des membres chez le polyblessé (3, 12, 13), le regain<br />

d’intérêt pour le contrôle de l’hémorragie par le garrot est<br />

issu de l’utilisation militaire actuelle. Le garrot, mis en<br />

place par le blessé ou un camarade, évite la mort dans les<br />

premières minutes (« les minutes de platine ») qui suivent<br />

la blessure, voici ce que nous rappellent les derniers<br />

conflits, voilà ce qui est applicable lors de blessure graves<br />

en milieu rural. Henri Le Dran en 1749 recommandait<br />

déjà l’utilisation militaire du tourniquet en chirurgie<br />

La « boîte à Baudens » en bois qui permet extension et contention des<br />

fractures de jambe.<br />

462 s. rigal


de guerre pour contrôler les hémorragies dans les<br />

traumatismes graves et durant les amputations.<br />

Même si des différences résident dans la typologie<br />

des traumatismes rencontrés, les modes de traitement<br />

et d’évacuation, le chirurgien militaire cherche à<br />

respecter les standards civils malgré des conditions<br />

de travail plus difficiles.<br />

Cette orientation a toujours existé à l’exemple de la résection<br />

articulaire défendue par Percy (« nous nous sommes<br />

applaudi d’avoir adapté au traitement des plaies par armes<br />

à feu et propagé cette pratique aux armées »), adoptée par<br />

Larrey, réintroduite par Baudens et dont les résultats ont<br />

été analysé par Delorme en 1881 dans un mémoire qu’on<br />

pourrait qualifié aujourd’hui de méta analyse (14). Percy<br />

écrira en parlant de ce procédé « j’ai ainsi conservé à une<br />

foule de gens des bras condamnés à la destruction totale».<br />

L’analyse de Delorme sera plus critique pour les résultats<br />

fonctionnels et il conclura en faveur d'une place limitée<br />

de la résection articulaire à côté de la méthode<br />

conservatrice d’une part et de l’amputation de l’autre.<br />

Le traitement actuel des lésions graves des membres est<br />

issu des deux exercices, civil et militaire. Le débridementparage<br />

initial est l’héritier des règles précisées lors du<br />

premier conflit mondial (le débridement systématique<br />

permet d’explorer la plaie, l’épluchage et l’émondage<br />

au bistouri et au ciseau éliminent les zones dévitalisées<br />

et contuses), la stabilisation par fixateur externe est<br />

l’application d’une technique de la traumatologie civile.<br />

S’il n’est pas l’inventeur de la fixation externe le Service<br />

de santé des armées a eu le mérite d’en reconnaître les<br />

vertus, de les adopter, d’œuvrer à son perfectionnement<br />

et d’institutionnaliser sa stratégie d’utilisation en<br />

pratique de guerre.<br />

Ambroise Paré, repris dans l’édition de 1764 des « dix<br />

livres de chirurgie » donnait les principes essentiels<br />

du traitement d’une plaie de guerre de l’avant bras avec<br />

fracture des deux os, après extraction des corps étrangers<br />

l’immobilisation était réalisée sur gouttière métallique<br />

(4). Les contentions pour immobiliser les fractures par<br />

des attelles en bois ou des « fanons de paille » étaient utilisées<br />

lors des guerres d’empire. À la suite de l’orientation<br />

plus conservatrice, qui est née en 1830 lors de la conquête<br />

de l’Algérie, extension et contention des fractures sont<br />

devenues indispensables. La « boîte à Baudens » de 1821<br />

est une des solutions proposée (1).<br />

Lors de la première guerre mondiale, le chirurgien Duval<br />

note en matière d’appareillage que « leur emploi ressort<br />

de l’esprit regrettable qui veut que la chirurgie de guerre<br />

se fasse avec des moyens de fortune ». Pour Rouvillois<br />

« une immobilisation bien faite change complètement la<br />

situation du blessé … l’appareillage de transport est un<br />

geste de nécessité fonctionnelle qui permet de calmer<br />

la douleur, réaliser une évacuation confortable, limiter<br />

les lésions préexistantes, éviter les complications » (5).<br />

La méthode de Trueta, lors de la guerre civile espagnole,<br />

comportait outre le parage une immobilisation stricte<br />

par plâtre à l’origine des meilleurs résultats vis-à-vis du<br />

risque infectieux dans période pré antibiotique (15).<br />

L’importance de la stabilisation était donc connue<br />

Fracture de hanche par balle et lésion vasculaire des vaisseaux fémoraux.<br />

Stabilisation par fixateur externe du Service de santé des armées et<br />

réparation vasculaire.<br />

depuis longtemps mais les moyens chirurgicaux pour la<br />

réaliser n’existaient pas encore.<br />

Jusqu’à la fin des années 70, le traitement des fractures<br />

ouvertes de guerre s’effectuait grâce à des méthodes<br />

orthopédiques (immobilisation plâtrée, traction)<br />

qui complétaient l’indispensable parage chirurgical<br />

chirurgie militaire et blessés des membres<br />

463


et l’antibiothérapie. Les insuffisances de ce traitement<br />

étaient notoires : mauvaise réduction, instabilité,<br />

difficultés à surveiller et traiter les lésions des parties<br />

molles, inadaptation aux contraintes de l’évacuation.<br />

En 1979, le Service de santé des armées a mis au point un<br />

fixateur externe répondant aux exigences de la chirurgie<br />

de guerre et en a doté toutes ses formations de campagne,<br />

ses hôpitaux de l’arrière et de l’infrastructure (16-18).<br />

Ce n’est véritablement que durant les années 90, que<br />

la communauté internationale militaire reconnaitra<br />

l’intérêt de l’exofixation (19, 20) et rejoindra la<br />

conception d’utilisation du Service de santé des armées<br />

sur l’utilisation de cet appareil qui participe au damage<br />

control des lésions des membres, qui assure une<br />

stabilisation indispensable à la réparation vasculaire (21)<br />

et qui évite ou diminue les complications tel le syndrome<br />

compartimental ou l’infection.<br />

Ce système permet tout au long de la chaîne d’évacuation<br />

de l’avant vers l’arrière, un maintien rigoureux de la<br />

stabilité de la fracture. Le Fixateur externe du Service de<br />

santé des armées (FESSA) ainsi conçu est utilisé comme<br />

une traction portable qui permet d’associer à la chaîne<br />

d’évacuation une véritable continuité de l’exofixation.<br />

Après évacuation, la chirurgie de reconstruction est<br />

assurée par des équipes spécialisées dans les hôpitaux<br />

de l’infrastructure et utilisent toutes les techniques de<br />

réparation des parties molles, de relance de l’ostéogénèse<br />

par apport osseux, de réparation nerveuse, de réanimation<br />

de la fonction utilisées en pratique civile.<br />

Dès 1917, Pierre Duval résumait les buts de la chirurgie<br />

des plaies de guerre des membres: «le temps n’est plus où<br />

diminuer leur effroyable mortalité était la suprême<br />

préoccupation, il convient de rechercher la meilleure<br />

qualité, à la restauration anatomique doit s’ajouter la<br />

guérison fonctionnelle. La qualité de la guérison devient<br />

son but présent ».<br />

Ces principes sont plus que jamais d’actualité alors que le<br />

caractère précieux du soldat blessé s’impose. Chaque<br />

combattant et sa famille exigent l’assurance que tout<br />

blessé recevra un soin rapide et compétent à l’exemple de<br />

ce qui se fait en traumatologie quotidienne. C’est ce qui a<br />

été réalisé grâce à la mise à disposition dans les structures<br />

de l’avant des moyens de la fixation externe avec le<br />

Lésion de la jambe stabilisée par un fixateur externe Percy Fx avec lambeau<br />

musculaire de couverture.<br />

FESSA, jusqu’en 2003, puis après cette date par un<br />

nouvel appareil, conçu pour une utilisation en pratique de<br />

guerre, le PercyFx (22). Cet appareil en matériaux<br />

composites légers, disponible stérile à l’avant est le<br />

précurseur d’une génération de fixateurs proposés<br />

actuellement en pratique civile et qui répondait avant<br />

l’heure aux caractéristiques définies actuellement par le<br />

STANAG (standardization agreement) 2 469 de<br />

l’OTAN, véritable cahier des charges pour un fixateur<br />

externe opérationnel.<br />

V. LES PRINCIPES DU TRIAGE ET LES IDÉES<br />

HUMANISTES.<br />

La chirurgie de guerre exige des modifications<br />

dans l’éthique parce qu’elle est parfois une chirurgie<br />

de masse qui impose un triage. « La guerre, a dit Pirogoff,<br />

est une épidémie de traumatismes. Bien souvent le<br />

chirurgien sera dans l’obligation de limiter son action<br />

à des gestes utiles et sans grandeur, au détriment de<br />

tentatives héroïques longues et incertaines, qui sont<br />

la récompense de son effort et l’orgueil de la profession ».<br />

Lorsque le nombre de blessés à traiter est important<br />

l’objectif est d’en sauver le maximum en réalisant<br />

un véritable « damage control collectif » (23) fait<br />

de gestes rapides et d’indications d’amputations<br />

plus nombreuses.<br />

Ce triage a des règles techniques, qui définissent une<br />

priorité de traitement pour les lésions des membres. Les<br />

fractures des membres qui mettent en jeu le pronostic<br />

vital et celles qui sont associées à une lésion vasculaire<br />

qui met en jeu la vitalité du membre sont des urgences<br />

absolues. Les autres lésions sont des urgences relatives,<br />

pour lesquelles classiquement une mise en condition<br />

simple à l’antenne chirurgicale permet l’évacuation<br />

vers d’autres structures de soins.<br />

Ce triage a des règles éthiques. En 1796, Larrey<br />

enseignait « sur le champ de bataille traiter le plus<br />

gravement atteint sans notion de rang ou de nationalité,<br />

ami ou ennemi ». En 1806, lors de la bataille d’Iéna, ce<br />

même praticien préconisait dans ses mémoires de<br />

campagne « il faut toujours commencer par le plus<br />

dangereusement blessé » et ajoutait « sans avoir égard<br />

à son rang et aux distinctions ».<br />

Dans un même esprit humaniste, dès 1800, Percy<br />

a essayé de développer des conventions entre<br />

belligérants pour déclarer la neutralité des blessés et<br />

des soignants. Il fait proposer au général Moreau et<br />

au général autrichien Kay de déclarer inviolable les<br />

refuges où sont regroupés et soignés les blessés, amis<br />

ou ennemis, ainsi que les chirurgiens et tous les<br />

personnels chargés des soins. Il faudra près de<br />

60 ans pour qu’Henri Dunant publie « souvenir de<br />

Solférino » (juin 1859) un livre qui décrit les horreurs<br />

subies par les blessés et dont l’impact est tel, qu’en 1864<br />

la première convention de Genève sera signée et la<br />

Croix Rouge naîtra.<br />

464 s. rigal


Cours pratique aux chirurgiens des armées, dans le cadre du module<br />

« lésions des membres » de la Capacité Chirurgicale en Mission Extérieure<br />

(CA.CHIR.M.EX.).<br />

VI. L’INDISPENSABLE FORMATION À UNE<br />

PRATIQUE CHIRURGICALE SINGULIÈRE.<br />

Hippocrate authentifiait déjà cette spécialisation en<br />

conseillant à ceux qui voulaient se perfectionner dans<br />

le traitement des plaies de guerre de s’enrôler dans<br />

les troupes mercenaires. Celse, au I er siècle, rédigea<br />

une véritable encyclopédie médicale dont une partie<br />

importante est consacrée au traitement des plaies.<br />

En marge de l’enseignement officiel, qui restait à Paris<br />

l’apanage du collège de chirurgie, Louis XIV avait institué<br />

en 1673 au jardin royal des démonstrations d’anatomie et<br />

de chirurgie. Le premier titulaire fût Pierre Dionis qui<br />

avait pratiqué la chirurgie aux armées et publia en 1707 le<br />

recueil de ses cours en un ouvrage. Dans la préface du<br />

Cours d’opérations de chirurgie il cible une partie de<br />

l’auditoire: « livre utile à ceux qui pratiquent la chirurgie<br />

dans les armées » et précise l’organisation « chaque hiver<br />

au jardin royal on commence par l’anatomie sur le<br />

premier cadavre qui se présente et qu’ensuite sur un<br />

autre on fait toutes les opérations de chirurgie » (8).<br />

Le cours actuel de capacité chirurgicale en mission<br />

extérieure (CA.CHIR.M.EX) de l’École du Val-de-Grâce<br />

constitué de cinq modules faits de cours théoriques et<br />

de pratiques techniques sur sujets d’anatomie est en<br />

droite ligne l’héritier du Cours de Dionis divisé en dix<br />

journées, « la huitième de celles qu’on fait aux extrémités<br />

supérieures, la neuvième celles qui sont faites sur<br />

les extrémités inférieures ».<br />

Percy et Larrey ne se contentaient pas d’opérer, ils<br />

avaient le souci de la formation. Dès le cantonnement<br />

installé, ils formaient les apprentis, et au cours<br />

des étapes des armées de l’Empire dans des grandes<br />

villes d’Europe les médecins des pays occupés en<br />

devenaient d’assidus auditeurs. Baudens pendant<br />

les guerres d’Afrique s’occupait du perfectionnement<br />

des jeunes officiers de santé et faisait agréer en 1832<br />

l’hôpital militaire du Dey à Alger comme hôpital<br />

d’instruction puis comme école de médecine ; il<br />

enseignait plus particulièrement un parage raisonné et<br />

les résections articulaires (24).<br />

Le difficile problème de la formation en chirurgie<br />

de guerre des équipes médicales des armées reste une<br />

préoccupation actuelle. Comment apprendre la chirurgie<br />

de guerre ? Les trauma-centers des grandes villes<br />

américaines ont longtemps été le terrain de formation<br />

des chirurgiens militaires américains. Actuellement<br />

c’est la pratique civile qui est modifiée par l’expérience<br />

des conflits d’Irak et d’Afghanistan. Il en a été de même<br />

lors de la guerre du Vietnam dans le domaine de la<br />

chirurgie des traumatismes vasculaires. Les spécificités<br />

particulières font opposer la chirurgie du temps de paix<br />

et la chirurgie de guerre et le passage de l’une à l’autre<br />

ne peut se faire que par un enseignement particulier<br />

complémentaire. La formalisation est réalisée par la<br />

chaire de chirurgie appliquée aux armées de l’École du<br />

Val-de-Grâce. Cette chaire, héritière de la chaire<br />

d’anatomie et de chirurgie confiée par le Comité de<br />

salut public à Dominique Larrey en 1796 en fixe les<br />

orientations. Le module 2 de CA.CHIR.M.EX, dédié<br />

aux lésions des membres, propose des conduites<br />

thérapeutiques intégrées dans une conception des soins<br />

intéressant plusieurs équipes chirurgicales amenées à<br />

soigner le blessé à des stades variables de la guérison.<br />

Mais cette chirurgie de guerre « réglée » n’est pas<br />

figée. Elle est en constante évolution et s’adapte à<br />

l’évolution des sciences et des techniques et aux<br />

retours d’expérience.<br />

Le choix du Service de santé d’un orthopédiste à<br />

l’avant, plutôt qu’un chirurgien généraliste formé à<br />

la traumatologie osseuse, assure au combattant un<br />

traitement sur le terrain qui respecte les fondamentaux<br />

de la chirurgie de guerre mais avec une vision<br />

globale des possibilités ultérieures de réparation.<br />

Les chirurgiens orthopédistes militaires actuels ont<br />

une formation identique et acquièrent une qualification<br />

équivalente à leurs collègues civils. Des connaissances<br />

plus spécialisées en traumatologie osseuse, incluant<br />

la chirurgie réparatrice des membres, sont nécessaires.<br />

Les services des hôpitaux d’instruction se doivent donc<br />

d’offrir au quotidien cette activité aux chirurgiens des<br />

armées pour entretenir ces compétences.<br />

VII. CONCLUSION.<br />

La chirurgie près des combats est une pratique difficile,<br />

les chirurgiens des armées doivent y être préparés par leur<br />

formation, être capable d’adaptation et ne pas oublier<br />

l’expérience de leurs aînés. Voilà, simplifié, l’héritage<br />

des chirurgiens de l’avant !<br />

Si Henri Rouvillois (11) écartait toute attitude<br />

dogmatique et demandait à ses chirurgiens d’être capable<br />

d’adaptation en rappelant la pensée de Herbert Spencer<br />

« il n’y a que l’imprévu qui arrive », il insistait aussi sur<br />

chirurgie militaire et blessés des membres<br />

465


le respect de principes élémentaires éprouvés par<br />

des siècles de tâtonnements expérimentaux.<br />

Les nouvelles techniques, les avancées conceptuelles<br />

ne doivent pas laisser penser que ce qui se faisait<br />

antérieurement est révolu (25). Il en va ainsi du débridement-parage<br />

et de l’amputation, gestes aujourd’hui<br />

encore indispensables, même si se dessinent les<br />

possibilités de l’ingénierie tissulaire et de la régénération<br />

tissulaire pour la reconstruction des lésions graves des<br />

membres dont les lésions de guerre devraient bénéficier.<br />

Note de l’auteur : un article historique relève souvent<br />

d’une motivation très personnelle. Mon intérêt pour<br />

la chirurgie des membres, l’importance quantitative<br />

en pratique de guerre de ces lésions et les impératifs<br />

de format de la publication expliquent le choix d’un<br />

sujet limité à celle ci. Si j’ai écarté de mon propos les<br />

autres domaines chirurgicaux, il doit être bien compris<br />

qu’il s’agit là d’un cloisonnement artificiel et que le<br />

chirurgien des armées se doit, bien sur, d’avoir en pratique<br />

une vision plus généraliste indispensable à la prise<br />

en charge des poly blessés graves. Enfin, le domaine<br />

du traitement des blessures des membres me semble se<br />

prêter parfaitement à la mise en perspective des avancées<br />

réalisées par le Service de santé des armées car il a<br />

longtemps été la seule sphère d’activité des chirurgiens<br />

des armées avec l’intérêt de couvrir entièrement les<br />

trois siècles d’existence de notre service.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Baudens ML. Clinique des plaies d’armes à feu. Paris, Édition JB<br />

Baillière, 1836.<br />

2. Paré A. La méthode de traicter les playes faictes par harquebutes et<br />

autre bastons à feu ; et celle qui sont faites par fleches et dardz et<br />

semblables ; aussy des combustions spécialement faictes par la<br />

pouldre à canon. 1 vol, 68 fol. Gaulterot, Paris, 1545.<br />

3. Murray CK, Hsu JR, Solomkin JS et al. Prevention and<br />

management of infections associated with combat-related<br />

extremity injuries. J. Trauma 2008 ; 64-3 : S232-S251.<br />

4. Paré A. Les œuvres d’Ambroise Paré, divisées en 29 livres, revues<br />

et corrigées par l’auteur peu avant son décès. 5 e édition ; 1 vol :<br />

1228p. G Buon, Paris, 1598.<br />

5. Flusin M. Henri Rouvillois (1875-1969) « sa vie, son œuvre et son<br />

rôle dans l’évolution de la chirurgie de guerre ». Thèse n° 44,<br />

2001, Université Claude Bernard, Lyon 1.<br />

6. Histoire de la médecine aux armées. Tome 3, De 1914 à nos jours.<br />

Édition Charles Lavauzelle, 1987 : 421p.<br />

7. Pons F, Rigal S, Dupeyron C. Activité chirurgicale d'une antenne<br />

du Service de santé des armées dans le cadre de l'opération<br />

« Turquoise » au Rwanda de juin à août 1994. Chirurgie 1996,<br />

121 : 19-27.<br />

8. Dionis M. Cours d’opérations de chirurgie démontrées au jardin<br />

royal. Paris, Laurent d’Houry, 1707.<br />

9. Dionis M, de Lafaye G. Cours d’opérations de chirurgie<br />

démontrées au jardin royal. Paris, Laurent d’Houry, 1736.<br />

10. Sabatier. De la médecine opératoire ou des opérations de chirurgie<br />

qui se pratiquent le plus fréquemment. Paris, tome 3, Didot Le<br />

Jeune 1796.<br />

11. Rouvillois H. L’évolution de la chirurgie de guerre. Discours<br />

d’ouverture du XLV e congrès français de chirurgie. Paris, Masson,<br />

1936.<br />

12. Pape HC, Hildebrand F, Pertschy S et al. Change in management<br />

of femoral shaft fractures in polytrauma patients : from early total<br />

care to damage control orthopedic surgery. J Trauma 2002 ; 53 :<br />

452-61.<br />

13. Scalea TM, Boswell SA, Scott JD et al. External fixation as a<br />

bridge to intramedullary nailing for patients with multiples injuries<br />

and with fémur fractur : damage control orthopedics. J Trauma<br />

2000 ; 48 : 613-21.<br />

14. Delorme E. Des résections articulaires en chirurgie d’armée.<br />

Revue militaire de médecine et de chirurgie avril et mai 1881,<br />

imprimerie Berger-Levrault, Nancy : 33p.<br />

15. Trueta J. The treatment of war fractures cause by the closed<br />

method. Clin Orthop 1981 ; 156 : 8-15.<br />

16. Mine J, Le Mer A, Pailler JL et al. Les fractures ouvertes et les<br />

lésions ostéo-articulaires de guerre (enseignement du conflit<br />

tchadien). Chirurgie 1981 ; 107 : 630-8.<br />

17. Chauvet J. Les fracas ouverts des jambes. In Memento de chirurgie<br />

de guerre, Paris 1984, ORA éditions : 45-9.<br />

18. Rigal S, Tripon P, Rochat G. Le fixateur externe en chirurgie de<br />

guerre. In Fixation externe du squelette. Expansion scientifique<br />

Française 1996 ; Cahier d’enseignement de la SOFCOT n° 58 :<br />

277-9.<br />

19. NATO Hand Book. Emergency War Surgery. Third United State<br />

Revision 2004. Borden institute, Walter Reed Army Medical<br />

Center. Washington, DC.<br />

20. Oreck SL. Orthopedic surgery in the combat zone. Milit Med<br />

1996 ; 161 (8) : 458-61.<br />

21. Rich N, Metz CW, Hutton JE et al. Internal versus external<br />

fixation of fractures with concomitant vascular injuries in<br />

Vietnam. J Trauma 1971 ; 11 (6) : 463-73.<br />

22. Di Schino M, Steenman C, Rigal S et al. Contexte de la mise au<br />

point et cahier des charges du fixateur externe « Percy ». Médecine<br />

et <strong>Armées</strong> 2000 ; 28 (8) : 633-6.<br />

23. Helling TS, McNabney WK. The role of amputation in the<br />

management of battlefield casualities : a history of two millenia. J<br />

Trauma 2000 ; 49 (5) : 930-9.<br />

24. Histoire de la médecine aux armées. Tome 2. De la révolution<br />

française au conflit mondial de 1914. Édition Charles Lavauzelle,<br />

1984 : 491p.<br />

25. Masquelet AC. Plaie infection et cicatrisation. Maîtrise<br />

Orthopédique, n° 94, mai 2000.<br />

466 s. rigal


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

PSYCHIATRIE DU COMBATTANT : ÉVOLUTION SUR<br />

TROIS SIÈCLES<br />

P. CLERVOY<br />

I. INTRODUCTION.<br />

L’histoire de la psychiatrie et de la psychologie clinique<br />

dans le Service de santé des armées (SSA) est marquée<br />

par une double influence : les grands mouvements<br />

humanistes et philosophiques qui ont traversé ces trois<br />

siècles articulés aux événements historiques qui en ont<br />

été les moments de rupture et de rénovation. On ne peut<br />

pas parler de continuité dans le développement de cette<br />

discipline, seulement d’une perspective historique<br />

construite à partir d’une succession de mouvements,<br />

chacun se superposant au précédent. Deux phénomènes<br />

paraissent cependant constants. D’abord, au fil de ces<br />

trois siècles l’intérêt pour les troubles psychiques<br />

survenant en temps de guerre a pris une importance croissante,<br />

probablement parce qu’en même temps les progrès<br />

en hygiène médicale entraînaient une diminution des<br />

grands fléaux épidémiques qui dominaient les questions<br />

de santé en milieu militaire. Où s’effaçaient le typhus et le<br />

choléra se laissait voir progressivement l’impact de la<br />

bataille sur l’état psychologique du soldat. Ensuite la<br />

discipline psychiatrique n’existait pas en tant que telle<br />

avant le XIX e siècle, et elle ne s’est pas autonomisée de la<br />

neurologie avant le milieu du XX e siècle; cela explique le<br />

déséquilibre entre une première période plutôt pauvre et<br />

une seconde période bien plus riche en développements.<br />

II. L’HUMANISME ET LA SCIENCE.<br />

Aux premiers temps, l’approche psychologique<br />

et psychiatrique était toute entière contenue dans<br />

l’humanisme des officiers du Service de santé des<br />

armées. Elle se fond dans l’élan philosophique qui<br />

a annoncé puis conduit les grandes réformes de la<br />

Révolution française. Le justement nommé « Traité<br />

médico-philosophique » de Philippe Pinel paru en 1801<br />

peut être considéré comme le premier ouvrage de<br />

psychiatrie de langue française. On peut y lire plusieurs<br />

descriptions de cas cliniques qui pourraient encore<br />

illustrer un ouvrage contemporain de psychiatrie militaire.<br />

P. CLERVOY, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.<br />

Correspondance: P. CLERVOY, service de psychiatrie, HIA Sainte-Anne, BP 600,<br />

83800 TOULON <strong>Armées</strong>.<br />

L’artilleur de Pinel<br />

Philippe Pinel est le médecin auquel,<br />

déformant la réalité historique, la<br />

légende attribue la naissance de la<br />

psychiatrie parce qu’en libérant les<br />

fous de leurs chaînes, il donnait<br />

naissance à une discipline médicale<br />

consacrée à la maladie mentale. Par son<br />

geste, les désordres comportementaux et<br />

les idées délirantes des aliénés quittaient<br />

définitivement le domaine de la superstition et<br />

entraient dans le champ de l’observation clinique. Dans le<br />

Traité médico-philosophique il rapporte le cas « d’un<br />

jeune militaire de 22 ans frappé de terreur par le fracas de<br />

l’artillerie, dans une action sanglante où il prend part<br />

aussitôt après son arrivée à l’armée ». Il fait une autre<br />

observation qui montre son attention aux troubles<br />

psychiques immédiats de guerre et aux perturbations<br />

familiales secondaires : « À la même époque, deux jeunes<br />

réquisitionnaires partent pour l’armée, et dans une action<br />

sanglante, un d’entre eux est tué d’un coup de feu à côté de<br />

son frère; l’autre reste immobile et comme une statue à ce<br />

spectacle: quelques jours après on le fait ramener dans cet<br />

état à sa maison paternelle ; son arrivée fait la même<br />

impression sur un troisième fils de la même famille ; la<br />

nouvelle de la mort d’un de ses frères, et l’aliénation de<br />

l’autre, le jettent dans une telle consternation et une telle<br />

stupeur, que rien ne réalisait mieux cette immobilité<br />

glacée d’effroi qu’ont peinte tant de poètes anciens ou<br />

modernes. J’ai eu longtemps sous mes yeux ces deux frères<br />

infortunés dans les infirmeries de Bicêtre ; et ce qui était<br />

encore plus déchirant, j’ai vu le père venir pleurer sur ces<br />

tristes restes de son ancienne famille ». Et il y a le grand<br />

classique de la littérature psychiatrique connue sous le<br />

nom de l’artilleur de Pinel : « Un artilleur, l’an deuxième<br />

de la république, propose au comité de salut public le<br />

projet d’ un canon de nouvelle invention, dont les effets<br />

doivent être terribles; on en ordonne pour un certain jour<br />

l’essai à Meudon, et Robespierre écrit à son inventeur<br />

une lettre si encourageante, que celui-ci reste comme<br />

immobile à cette lecture, et qu’il est bientôt envoyé à<br />

Bicêtre dans un état complet d’idiotisme» (1). Aujourd’hui<br />

encore cette observation sert à la démonstration clinique<br />

qu’une émotion forte, aussi heureuse soit-elle, peut<br />

déclencher des sévères perturbations de l’humeur.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 467


Les officiers du Service de santé des armées sont animés<br />

d’une curiosité passionnée. Ils sont au service de<br />

l’homme avant d’être au service d’une discipline. Ils sont<br />

engagés dans un combat contre tout ce qui peut empêcher<br />

l’accomplissement de son humanité. Ils s’inspirent des<br />

débats philosophique qui leurs sont contemporains et<br />

montrent parallèlement une grande avidité pour les<br />

développements de la science. Tout en ayant lu Rousseau<br />

et Condillac, ils cherchent dans le cerveau les lieux de<br />

l’âme, des rêves et des passions. Ils formulent le vœu<br />

d’une éducation morale qui porterait chacun au meilleur<br />

possible de lui-même. L’humanisme et la science sont les<br />

deux moteurs de leur discipline.<br />

Itard: chirurgien et… précurseur de la<br />

pédopsychiatrie<br />

Jean Marc Gaspard Itard<br />

était destiné à êtrebanquier<br />

comme son père. Pris dans<br />

le grand chaos de la<br />

Révolution française, il<br />

devient chirurgien de la<br />

Grande Armée. Dominique<br />

Larrey l’appelle<br />

ensuite à l’Hôpital du<br />

Val-de-Grâce. Il n’y reste que<br />

trois ans puis prend à quelques<br />

rues de là, la direction de l’Institution<br />

impériale des sourds-muets.<br />

Suivant l’enseignement de Pinel, il prône le traitement<br />

moral. Il s’applique à la prise en charge psychologique des<br />

grands déficients sensoriels et c’est dans ce contexte qu’à<br />

sa demande lui est confié un enfant sauvage capturé à l’âge<br />

de 8 ans dans les forêts de l’Aveyron. L’enfant fugue<br />

impulsivement, mord ceux qui tentent de l’approcher, se<br />

masturbe frénétiquement, refuse de porter des vêtements.<br />

Malgré quelques éphémères et très partiels succès, les<br />

tentatives éducatives de civiliser l’enfant seront au final un<br />

échec. Mais l’observation scientifique publiée ensuite par<br />

Itard lui vaut une renommée immédiate. La démarche<br />

pédagogique patiente et appliquée qu’il a développée<br />

pour l’enfant sauvage peut être considérée comme un<br />

travail pionnier. On peut attribuer, de loin bien sûr, à un<br />

officier du Service de santé des armées la première<br />

approche thérapeutique spécifique en pédopsychiatrie (2).<br />

Dans son acte auprès du blessé de guerre, le dévouement<br />

du chirurgien, sa présence et son engagement moral,<br />

sont déjà la forme d’un soin psychologique. Avant qu’il<br />

use de son art son empathie a déjà produit un bénéfice,<br />

qu’il en soit conscient ou non.<br />

Dominique Larrey fin psychologue<br />

Au lendemain de la Révolution,<br />

la France est menacée à ses<br />

frontières par une coalition de<br />

nations ennemies. L’armée est<br />

à refaire. Avec la conscription<br />

apparaît le soldat citoyen. Il est le<br />

plus souvent d’origine rurale et n’a<br />

guère été formé au métier des armes.<br />

À plusieurs reprises des soldats ont<br />

été empêchés de participer au combat<br />

dès le commencement de la manœuvre en<br />

raison de sévères blessures faites à leur main<br />

avec leurs fusils. Le soupçon tombe sur eux. Les maréchaux<br />

sont indignés par ces blessures qu’ils attribuent à des mutilations<br />

volontaires en vue d’échapper au combat. Ils<br />

qualifient ces blessés de lâches, voire de traîtres à la Nation.<br />

Les malheureux sont menacés du peloton d’exécution.<br />

L’Empereur, prudent, suspend cette sanction expéditive et<br />

demande à Dominique Larrey une expertise. Celui-ci prend<br />

le temps d’examiner chacun. Il les écoute aussi. L’avis qu’il<br />

rend est bien différent: ces pauvres soldats étaient avant tout<br />

inexpérimentés. Pris dans la fièvre anxieuse de la bataille,<br />

ils manipulaient leur arme avec maladresse et se blessaient à<br />

la main lors du chargement de leur fusil en faisant exploser<br />

la poudre qu’ils tassaient au fond du canon. Ils furent graciés<br />

(3). La tempérance, l’écoute attentive et la finesse analytique<br />

de Dominique Larrey à cette occasion est une leçon de<br />

psychologie médicale appliquée au milieu militaire.<br />

Le vent du boulet<br />

Ils tiennent debout mais ils paraissent endormis. Ils ont les<br />

yeux ouverts mais ils n’observent rien. Ils ont la bouche<br />

ouverte mais ils ne prononcent pas un mot. La mitraille<br />

tombe sur eux mais ils restent inertes. Ils sont pétrifiés.<br />

Leur pensée s’est arrêtée. Obnubilation. Stupeur… Parfois<br />

ils se mettent en mouvement comme des automates. Ils<br />

s’agglutinent par dizaine et déambulent sans but sur le<br />

champ de bataille, la conscience obscurcie. Les médecins<br />

militaires du XIX e siècle diagnostiquent une réaction<br />

d’effroi. Ils ont nommé ces états plus ou moins durables<br />

«confusion mentale de guerre», «onirisme de la bataille».<br />

Soucieux de donner une explication rationnelle à ces états,<br />

ils évoquent un phénomène mécanique : le « vent du<br />

boulet ». C’est la frayeur intense suscitée par un<br />

bombardement qui produit cette paralysie psychique.<br />

Aujourd’hui on parle de stress dépassé.<br />

C’est toujours le même état,<br />

mais nommé avec des termes<br />

plus modernes. On incrimine<br />

l’embrasement physiologique<br />

d’une petite zone du cerveau,<br />

l’amygdale. Quels que soient<br />

les temps et les avancées<br />

théoriques, la fragilité psychologique<br />

de l’homme en guerre est de<br />

toutes les époques.<br />

468 p. clervoy


III. VERS DES PATHOLOGIES PSYCHIA-<br />

TRIQUES SPÉCIFIQUES AUX ARMÉES…<br />

Les guerres napoléoniennes ont fait émerger un corps<br />

d’officiers de santé spécialisés. Ils vont développer pas à<br />

pas une doctrine médicale fondée sur l’observation du<br />

soldat sur le champ de bataille. Un savoir psychiatrique<br />

s’élabore progressivement et se transmet de maître à élève.<br />

Les perturbations psychologiques s’expriment parfois<br />

sous la forme de troubles du comportement. Les<br />

médecins pressentent une dimension pathologique<br />

lorsque ces troubles prennent une forme stéréotypée et<br />

peuvent être décrits comme des manifestations cliniques<br />

regroupées en syndromes. Un certain nombre de ces<br />

syndromes sont propres au milieu militaire. Ainsi émerge<br />

une spécificité de la psychiatrie dans les armées.<br />

D’autres pathologies psychiatriques et psychologiques<br />

propres au milieu militaire furent décrites sous<br />

des vocables variés : « le cœur émotif », « l’éréthisme<br />

cardio-vasculaire », « dystonie neuro-végétative »… Ils<br />

désignaient des pathologies fonctionnelles qui<br />

traduisaient un épuisement psychosomatique ou<br />

une fragilité psychologique du soldat. Ils correspondaient<br />

à une réalité clinique et permettaient aux médecins<br />

La psychose nostalgique<br />

Le plus souvent ce sont des soldats qui viennent des<br />

montagnes, des Alpes ou des Pyrénées. Parfois ce sont<br />

aussi des soldats originaires des lointaines colonies. Ils<br />

sont motivés et parfaitement intégrés dans leurs bataillons.<br />

Sans facteur déclenchant remarquable, leur état de santé se<br />

détériore progressivement. Les médecins observent des<br />

troubles de l’appétit, des troubles du sommeil, une fatigue.<br />

Puis le tableau clinique s’aggrave avec une altération de<br />

l’état général et une dépression sévère de l’humeur. Une<br />

terminologie purement militaire a été inventée par les<br />

médecins militaires du XIX e siècle pour définir ces<br />

troubles : la psychose nostalgique. Ils observent que la<br />

seule thérapeutique efficace est de permettre à ces soldats<br />

de retrouver leur pays, leurs racines, et se ré-imprégner de<br />

leur culture. Ils pouvaient ensuite retourner dans leurs<br />

unités et reprendre leur service pour une longue période.<br />

La dernière fois que fut décrite cette pathologie fut durant<br />

la première guerre mondiale. Une dizaine de soldats<br />

d’origine basque avaient fuit leur unité. Ils y étaient ensuite<br />

spontanément revenus. Ils étaient passibles de la cour<br />

martiale pour désertion. Un jeune psychiatre qui avait reçu<br />

les plus hautes décorations pour son action au front, Henri<br />

Baruk, fit valoir cette pathologie devant une commission<br />

de discipline et ces hommes furent graciés (2).<br />

Aujourd’hui ce terme est désuet comme les autres noms<br />

sous lesquels la nostalgie était désignée : « cafard »,<br />

« soudanite ». Cette symptomatologie est maintenant<br />

dénommée pathologie des transplantés et des migrants ou<br />

encore anxiété de séparation, trouble de l’adaptation et<br />

immaturité psycho affective. Ce sont des mots moins<br />

précis, plus consensuels aussi.<br />

de négocier avec le commandement des solutions<br />

thérapeutiques adaptées.<br />

La pathologie psychosomatique domine largement<br />

les descriptions médicales du temps de guerre. Leur<br />

physiologie est bien connue, rapportée au stress qui est un<br />

concept introduit en médecine par des auteurs anglosaxons.<br />

Curiosité historique, l’étymologie du mot stress<br />

le rapporte à une origine française. Du mot détresse au<br />

départ il est passé dans la langue anglaise pour donner<br />

distress, puis par aphérèse a donné stress qui est ensuite<br />

revenu dans la lexicologie médicale française…<br />

IV. LE TOURNANT DU DÉBUT DU XX E<br />

SIÈCLE : DE L’ALIÉNISME ORDINAIRE À LA<br />

PSYCHIATRIE DANS LES ARMÉES.<br />

Au début de l’époque dite moderne, l’orientation est<br />

neuropsychiatrique. Les désordres psychiques, lorsqu’ils<br />

sont observés, sont systématiquement rapportés à une<br />

pathologie de l’encéphale ou de ses enveloppes. Les<br />

Les troubles neuro-psychiatriques de la<br />

guerre de 14-18<br />

Durant la Grande Guerre les neuro-psychiatres furent<br />

déroutés par le nombre et l’allure des blessés psychiques.<br />

La moitié des troubles neurologiques sont des conversions<br />

hystériques telles que les avait décrites Jean-Martin<br />

Charcot le grand maître de la neurologie du XIX e siècle. Les<br />

descriptions cliniques se multiplient : des « trembleurs »,<br />

des « inertes psychiques », des « persévérateurs », des<br />

« exagérateurs », des « crisards », des « estropiés à<br />

temps ». Les conversions les plus surprenantes restent les<br />

contractures. Au niveau des membres, elles réalisent des<br />

attitudes monoplégiques variées. Au niveau du tronc, elles<br />

prennent la forme d'attitudes scoliotiques ou lordotiques.<br />

Les plus caricaturales sont les camptocormies dénommées<br />

ainsi parce qu'elles reproduisent l'attitude du cueilleur<br />

de champignon. Ce sont des hommes quasiment pliés<br />

en deux, les jambes semi-fléchies et le dos courbé, la<br />

tête en hyper-extension pour regarder le sol où ils<br />

posent avec prudence le bâton sur lequel ils s'appuient<br />

et qui les aide à ne pas se recroqueviller totalement.<br />

Babinski pense que ce sont des simulateurs de<br />

bonne foi. Des médecins<br />

audacieux, pour ne pas<br />

dire sadiques, tentent en<br />

vain de corriger leur<br />

posture à coups de<br />

décharges électriques (4).<br />

De ces observations et<br />

en réaction à ces échecs<br />

thérapeutiques émergent<br />

en France deux mouvements<br />

jumeaux qui vont<br />

influencer la psychologie<br />

médicale : la psychanalyse<br />

et le surréalisme (2).<br />

psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles<br />

469


problèmes infectieux sont prioritaires. La plupart des<br />

pathologies psychiatriques décrites sont attribuées à<br />

des méningo-encéphalites traumatiques, toxiques ou<br />

infectieuses. Les médecins du Service de santé des<br />

armées sont les soldats de l’hygiène en campagne. Ils<br />

combattent la tuberculose, la syphilis et l’alcoolisme avec<br />

la même vigueur et partout où dans l’immense empire<br />

colonial français sont positionnées les forces armées. La<br />

grande rupture intervient lors de la Première Guerre<br />

mondiale lorsque les médecins militaires sont confrontés<br />

à l’incidence inattendue des conversions hystériques.<br />

C’est après cette guerre que sont rédigés les premiers<br />

ouvrages exclusivement consacrés à la psychiatrie<br />

militaire: La folie et la guerre de 1914-1918 de Rodier et<br />

Fribourg-Blanc en 1930 (5), La pratique psychiatrique<br />

dans les armées par le même Fribourg-Blanc et<br />

Gauthier cinq ans plus tard (6).<br />

Le premier ouvrage est une succession d’observations<br />

faites durant la Grande Guerre. L’ambition des auteurs<br />

est de faire la démonstration qu’il n’y a pas de clinique<br />

psychiatrique spécifique au temps de guerre.<br />

Singulièrement le second ouvrage prend le contrepied<br />

du précédent, soulignant les spécificités d’une<br />

pratique psychiatrique aux armées…<br />

Laborit: apôtre de la<br />

psychopharmacologie<br />

Henri Laborit est un médecin de Marine<br />

qui choisit au départ de s’orienter vers<br />

la chirurgie. Il veut en pousser plus loin<br />

les limites. Il développe une discipline<br />

nouvelle, l’anesthésie, et il invente<br />

l’hibernation artificielle du malade qui<br />

peut ainsi supporter des interventions<br />

plus longues et plus hémorragiques.<br />

Il est en quête d’une substance<br />

susceptible de paralyser le système<br />

neurovégétatif. Il développe l’emploi d’une molécule<br />

nouvelle: la chlorpromazine commercialisée sous le nom<br />

de Largactil. Un jour les psychiatres de l’hôpital du Valde-Grâce<br />

lui demandent son aide pour les aider à calmer un<br />

patient agité sur lequel ils ont épuisé toutes les ressources<br />

médicamenteuses possibles. Laborit sort de sa poche<br />

quelques ampoules de Largactil avec la seule mention<br />

« essaye ça ». De ce geste est née une nouvelle catégorie de<br />

médicaments : les neuroleptiques. Les services de<br />

psychiatrie se sont alors transformés. Les malades agités<br />

s’apaisent. Les murs des asiles s’ouvrent et des patients<br />

psychotiques jusque là considérés incurables peuvent<br />

progressivement se réinsérer socialement. Très<br />

éclectique, Laborit a ensuite rédigé de nombreux ouvrages<br />

mêlant sociologie, psychologie et physiologie. Il reste<br />

aujourd’hui avec deux visages: celui d’un visionnaire qui<br />

se trompe lorsqu’il prophétise l’âge d’or d’un homme<br />

libéré des pulsions agressives, et celui d’un chercheur qui<br />

a été couronné du Prix Lasker de<br />

l’American Health Association pour<br />

son rôle dans la découverte des neuroleptiques.<br />

Il aurait même mérité mieux.<br />

L’importance de cette découverte<br />

justifiait bien l’attribution d’un prix<br />

Nobel; mais l’atypicité du personnage<br />

et son opposition aux conventions<br />

universitaires sont les facteurs proba<br />

bles de cette non-récompense (2).<br />

V. AVANCÉES ET DÉVELOPPEMENTS.<br />

La psychiatrie devient une discipline officielle.<br />

L’enseignement de la psychiatrie en France se réforme<br />

dès 1969 avec l’effet accélérateur donné par les<br />

évènements de mai 1968. Le Service de santé suit<br />

le mouvement général et une chaire de psychiatrie<br />

militaire est crée sous l’impulsion d’un psychiatre<br />

qui deviendra Directeur central, Pierre Juillet. Avec<br />

Pierre Moutin, il est l’auteur d’un ouvrage qui fait la<br />

synthèse de l’ensemble des travaux psychiatriques<br />

réalisés par chaque nation belligérante durant la<br />

seconde guerre mondiale et les principaux conflits de la<br />

décolonisation, notamment sur les théâtres d’extrême<br />

orient et du maghreb. Effet de conjoncture remarquable,<br />

ce livre est publié au même moment et chez le même<br />

éditeur que l’ouvrage de psychiatrie civil de référence,<br />

le manuel de psychiatrie d’Henri Ey.<br />

L’ouvrage «Psychiatrie militaire» est à la fois une somme<br />

et une synthèse (7). L’armée est analysée comme un<br />

milieu social avec un fonctionnement particulier qui<br />

donne aux pathologies psychiatriques des aspects<br />

cliniques spécifiques. Les auteurs distinguent une<br />

pathologie du temps de paix et une pathologie du temps<br />

de guerre. À chaque personnalité pathologique est<br />

rapportée une décompensation psychologique possible.<br />

Signe des temps modernes, on remarque que des termes<br />

retrouvés dans les ouvrages antérieurs comme ivrognerie<br />

ou lâcheté disparaissent ; on décrit maintenant des<br />

conduites addictives et des conduites de fugues. Cet<br />

effacement du jugement moral sur la pathologie<br />

470 p. clervoy


La psychanalyse dans les armées.<br />

Angelo Hesnard, neuropsychiatre de la Marine a été un des<br />

pionniers de la psychanalyse en France. Grâce à son frère<br />

professeur agrégé d’allemand, il a accès dès les années<br />

trente aux premiers travaux de Sigmund Freud et il en<br />

vulgarise la théorie. Il est l’un des fondateurs du premier<br />

groupe psychanalytique français, mais il ne fait pas école<br />

dans le Service de santé des armées.<br />

Bien plus tard, à partir des années soixante, la psychanalyse<br />

est une discipline très dynamique au sein de la<br />

psychiatrie française et donc de la psychiatrie militaire<br />

aussi. Claude Barrois, puis François Lebigot et Guy Briole<br />

ont dirigé de nombreux travaux notamment dans le champ<br />

des névroses traumatiques (8-10). Ils ont aussi donné une<br />

orientation psychanalytique à plusieurs de leurs élèves.<br />

psychiatrique marque l’autonomisation et la médicalisation<br />

de la psychiatrie parvenue à maturité après s’être<br />

dégagée de la tutelle de la neurologie. La pathologie<br />

psychiatrique aiguë de guerre est abordée sous les<br />

termes génériques de choc de combat et de fatigue de<br />

combat, héritage des travaux anglo-saxons. Ces termes<br />

ont l’avantage de ne pas enfermer trop hâtivement un<br />

soldat dans une catégorie nosologique. En effet, et ce<br />

depuis la première guerre mondiale, on sait que la forme<br />

et l’intensité des troubles psychiques aigus de guerre ne<br />

sont pas des indicateurs pronostiques fiables. Chaque<br />

médecin l’apprend aujourd’hui dans la formule classique<br />

des principes de Salmon qui préconisent une intervention<br />

psychiatrique immédiate, de proximité, simple et surtout<br />

qui ménage le jugement pronostique.<br />

À la fin de la Seconde Guerre mondiale s’effondrent les<br />

grands empires coloniaux. L’armée française traverse<br />

deux épisodes difficiles de son histoire, en Indochine<br />

d’abord puis surtout en Algérie où le contingent est<br />

engagé. Beaucoup de militaires sont déstabilisés par les<br />

combats au milieu des populations civiles, les ambiances<br />

où se confondent les victimes et les bourreaux, les scènes<br />

de torture, les visions atroces et répétées de combattants<br />

mutilés et de familles massacrées. Nombre d’entre eux<br />

reviennent en métropole psychologiquement éprouvés.<br />

Ils vivent chaque jour avec l’angoisse récurrente de leurs<br />

souvenirs. Ils retrouvent chaque nuit l’épouvante de leurs<br />

cauchemars. Ils ont du mal à parler et trouvent dans leur<br />

entourage peu de personnes pour écouter leur plainte. Les<br />

noms des lieux de guerre deviennent synonymes de<br />

blessure psychique: Diên Biên Phu, Alger, les Aurès…<br />

Au contact de ces vétérans, trois générations de<br />

psychiatres militaires développent une approche<br />

conceptuelle de leur pathologie et de leur traitement.<br />

Selon l’orientation de travail de chacun, la narcoanalyse<br />

puis l’approche psychanalytique, la prise en charge de ces<br />

blessés psychiques se prolonge sur plusieurs années. Le<br />

terme de névrose traumatique est progressivement<br />

validé, ensuite remplacé par celui de syndrome de<br />

répétition traumatique ; aujourd’hui la dénomination<br />

internationale validée est « état de stress post traumatique<br />

» (11). Deux points forts sont à mettre au crédit du<br />

Service de santé des armées : en 1992 l’adoption d’un<br />

texte de loi officiel qui reconnaît cette pathologie et<br />

psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles<br />

471


groupe par des paniques collectives aux conséquences<br />

imprévisibles. Deux psychiatres partent sur le terrain dès<br />

le début du déploiement (19, 20), rejoints quelques mois<br />

plus tard par deux autres psychiatres venus en renfort (21,<br />

22). Ils inventent un travail auprès des militaires. Pas des<br />

consultations formelles comme dans un hôpital, mais une<br />

veille psychologique et une écoute portée où chacun la<br />

sollicite. Sous l’impulsion de Bernard Lafont se met en<br />

place une doctrine sur la place et le rôle du psychiatre en<br />

opération, auprès du commandement et en association<br />

avec le médecin d’unité (23, 24). Sur l’initiative<br />

des psychiatres militaires français, un symposium<br />

international est organisé l’année suivante dans l’enceinte<br />

du Val-de-Grâce. Les fondements de cette doctrine<br />

sont posés et validés. Moment symbolique : c’est le<br />

bicentenaire de l’installation du SSA dans les murs de<br />

l’ancienne abbaye royale ; acte symbolique : la salle<br />

capitulaire nouvellement restaurée est inaugurée<br />

à cette occasion.<br />

Par la suite, ponctuellement au Rwanda en 1994<br />

et durablement en Ex-Yougoslavie dès 1995, aussi<br />

longtemps que l’auront permis un effectif suffisant<br />

de spécialistes, un psychiatre est intégré aux structures<br />

médico-chirurgicales projetées sur les théâtres<br />

d’opérations extérieures.<br />

permet l’attribution de pensions aux militaires et aux<br />

victimes civiles psychologiquement blessés (12), et cette<br />

même année la publication d’un ouvrage médical de<br />

référence intitulé « Le traumatisme psychique: rencontre<br />

et devenir » (13). En 1990 faire valoir le traumatisme<br />

psychique comme une blessure était une démarche<br />

pionnière. Cette entité a été validée par la suite : devant<br />

l’Académie nationale de médecine (14) d’abord ; puis<br />

pour la première fois une grande revue médicale française<br />

lui consacre une monographie (15) ; et enfin elle est<br />

admise dans le grand public et les médias (16-18).<br />

VI. CONSTRUCTION D’UNE DOCTRINE : LA<br />

PSYCHIATRIE MILITAIRE EN SITUATION<br />

OPÉRATIONNELLE.<br />

A) LES PSYCHIATRES AU FRONT<br />

De 1990 à 1991, la France participe à une coalition de<br />

forces armées rassemblée dans le Golfe persique prête à<br />

combattre l’armée irakienne qui a envahi le Koweït. Les<br />

experts s’attendent à des combats intenses avec l’emploi<br />

d’armes non conventionnelles, notamment chimiques.<br />

Mais ces armes sont avant tout de puissantes armes<br />

psychologiques, susceptibles d’induire des états<br />

d’angoisse individuels qui se traduiraient à l’échelon du<br />

B) LA NAISSANCE DES CELLULES<br />

D’URGENCE MÉDICO-PSYCHOLOGIQUES<br />

En 1994 plusieurs évènements fortement médiatisés<br />

produisent des effets conjugués qui ont donné naissance à<br />

des innovations en matière d’intervention psychologique<br />

précoce. Deux attentats terroristes dans les transports en<br />

commun parisiens, une intervention militaire au Rwanda<br />

avec des morts par milliers lors d’une épidémie de choléra<br />

dans un camp de réfugiés, la prise en otage de militaires<br />

français sous mandat de l’ONU en ex-Yougoslavie et<br />

enfin la libération des passagers, victimes d’une prise<br />

d’otage sur l’aéroport de Marseille-Marignane: à chaque<br />

fois est improvisée une intervention psychologique<br />

précoce au profit des victimes et des sauveteurs. En<br />

association avec les psychiatres militaires, les pouvoirs<br />

publics prennent en compte la dimension de souffrance<br />

associée à un traumatisme psychologique. Aujourd’hui,<br />

dans chacune des armées comme en milieu civil, des<br />

procédures sont institutionnalisées pour mettre en<br />

place en quelques heures des cellules d’assistance<br />

psychologique en cas de catastrophe ou d’attentat (26).<br />

C) LE SYNDROME DES CASQUES BLEUS<br />

Lors de la dernière décennie du XX e siècle, après les<br />

longues années d’immobilisme apparent de la guerre<br />

froide, les soldats français retrouvent les champs de<br />

bataille. Les conditions ont radicalement changé : des<br />

opérations d’interposition et de maintien de la paix sous<br />

mandat international de l’ONU ou de l’OTAN, des<br />

missions de police au profit du Tribunal international,<br />

l’accueil humanitaire de populations réfugiées. On les<br />

appelle « soldats de la paix ». Cette dénomination peut<br />

472 p. clervoy


tromper ; ces missions n’ont rien de paisible. Certes ils<br />

ne sont pas ou peu exposés à des combats violents, mais<br />

ils sont exposés à un stress permanent lié aux menaces<br />

individuelles et surtout une limitation des conditions<br />

d’ouverture du feu en cas d’attaque. Les psychiatres<br />

militaires décrivent des troubles du comportement parmi<br />

ces hommes, notamment une augmentation des gestes<br />

suicidaires et des manipulations inappropriées des armes<br />

à feu à l’origine de plusieurs accidents (25). L’analyse<br />

du contexte psychologique de ces missions fait ressortir<br />

un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité,<br />

l’impossibilité de riposter, l’enfermement et l’ennui,<br />

la pression médiatique, la perte de l’identité nationale.<br />

VII. VERS QUEL AVENIR?<br />

Pour les prochaines années, les polémologues annoncent<br />

la multiplication des conflits asymétriques. Le<br />

11 septembre 2001 est la date visible où le monde a<br />

basculé dans une nouvelle forme d’engagement : la<br />

guerre contre le terrorisme. Le soldat du XXI e siècle doit<br />

faire face à des ennemis masqués dans les foules urbaines,<br />

à des engins explosifs improvisés sur le bord des routes, à<br />

des populations réfugiées, à des charniers. Autour de ce<br />

guerrier du futur, l’électronique est surabondante; mais la<br />

technologie ne peut faire parade aux traumatismes<br />

psychologiques…<br />

Le plus souvent la mémoire humaine ne retient les<br />

prédictions que lorsqu’elles se sont avérées erronées. On<br />

peut cependant anticiper que l’avenir de la psychiatrie<br />

militaire est proche de ce qui est aujourd’hui observé<br />

en Irak ou en Afghanistan : dans l’ensemble des<br />

enquêtes publiées depuis 2002, on donne une estimation<br />

moyenne de 20 % de blessés psychiques parmi les<br />

soldats en opération (27).<br />

Il y aura toujours demain, c’est une certitude, des<br />

psychiatres auprès des soldats.<br />

Note : l’auteur indique qu’il ne peut mettre en référence<br />

l’ensemble des travaux des spécialistes militaires qui<br />

ont contribué au développement de la psychiatrie et<br />

de la psychologie clinique du SSA, notamment ceux<br />

des auteurs contemporains. Ont été retenus à titre<br />

indicatif ceux qui ont marqué une étape singulière<br />

et constituent en cela un repère historique dans les<br />

développements de la discipline.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Pinel Ph. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou<br />

la manie. Richard, Caille et Ravier ed. Paris 1798.<br />

2. Clervoy P, Corcos M. Petits moments de l’histoire de la<br />

psychiatrie en France. EDK Paris 2004.<br />

3. Lefevre P. Psychiatrie militaire. Cours polycopiés. EASSAT<br />

Paris 1980.<br />

4. Clervoy P, Corcos M et al. De cire et de plâtre... Les camptocormies<br />

du Val-de-Grâce. La revue du Praticien. 1996; 46: 284-6.<br />

5. Rodier A, Fribourg-Blanc A. La folie et la guerre de 1914-1918.<br />

Librairie Félix Alcan Paris 1930.<br />

6. Fribourg-Blanc A, Gauthier. La pratique psychiatrique dans les<br />

armées. Ed . Charles Lavauzelle & Cie. Paris 1935.<br />

7. Juillet P, Moutin P. Psychiatrie militaire. Ed Masson, Paris 1969.<br />

8. Barrois Cl. Psychanalyse du guerrier. Hachette coll Pluriel 1993.<br />

9. Lebigot F. La névrose traumatique, la mort réelle et la faute<br />

originelle. Annales médico-psychologiques 1997 ; 155 (8) : 522-6.<br />

10. Briole G. Une clinique individuelle du traumatisme. In La clinique<br />

lacanienne Erès 2004.<br />

11. DSM IV TR. Manuel diagnostic et statistique des troubles<br />

mentaux. Masson Paris 2003.<br />

12. Décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour<br />

la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre.<br />

Publication au JO du 12 janvier 1992.<br />

13. Briole G, Lebigot F, Lafont B, et al. Le traumatisme psychique :<br />

rencontre et devenir. Rapport de la LXXXXII e session du Congrès<br />

de psychiatrie et de neurologie de langue française. Toulouse<br />

1994. Masson, Paris 1994.<br />

14. Lafont B, Briole G. Psychiatrie de guerre ou psychiatre<br />

du champ de bataille? Bull Acad Natl Med. oct 1997; 181 (7): 133140.<br />

15. Clervoy P et coll. Monographie « Stress et troubles psychiques<br />

post-traumatiques » La Revue du Praticien 2003, 53 : 827-8.<br />

16. Barrois Cl. Les traumatismes psychiques. Dunod coll Psychismes<br />

Paris 1998.<br />

17. Lebigot F. Soigner les psychotraumatismes. Dunod coll.<br />

Psychothérapies, Paris 2005.<br />

18. Clervoy P. Le syndrome de Lazare. Albin-Michel, Paris 2007.<br />

19. Lafont B, Raingeard D. Psychiatrie dans le Golfe. Médecine et<br />

<strong>Armées</strong> 1992 ; 20 (3) : 261-6.<br />

20 Lafont B, Raingeard D. Les principes de Salmon à l’épreuve de la<br />

guerre du Golfe. Médecine et <strong>Armées</strong> 1992 ; 20 (1) : 95-100.<br />

21. Marblé J. À chacun son Scud. La menace chimique en base arrière.<br />

Symposium international Stress psychiatrie et guerre. Paris Valde-Grâce<br />

26-27 juin 1992.<br />

22. Lafont B, Plouznikoff M. Déontologie et éthique en situation<br />

d’exception. Médecine et <strong>Armées</strong> 1993 ; 21 (1) : 79-82.<br />

23. Lafont B. Le psychiatre en opération principes et réalités. In : Le<br />

médecin d'unité en opération, aspects psychologiques. ESSA, Le<br />

Val-de-Grâce, Paris ; 1996.<br />

24. Briole G. Le médecin d'unité et le psychiatre en opération. In : Le<br />

médecin d'unité en opération, aspects psychologiques. ESSA, Le<br />

Val-de-Grâce, Paris ; 1996.<br />

25. Lassagne M, Vignault PJ, De Montleau F. Clinique et<br />

psychopathologie de la conduite d’utilisation inappropriée de<br />

l’arme dans le cadre d’une mission d’interposition de l’armée<br />

française. Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (6) : 505-8.<br />

26. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Circulaire DH/E04-<br />

DGS/SQ2 N° 97/383 du 2 mai 1997 relative à la création d'un<br />

réseau national de prise en charge de l'urgence médicopsychologique<br />

en cas de catastrophe.<br />

27. Clervoy P, Bourdon L, Sicard B. Évolutions du soutien<br />

psychologique des forces de l’US Army. Médecine et <strong>Armées</strong><br />

2007, 35 (4) : 373-6.<br />

psychiatrie du combattant : évolution sur trois siècles<br />

473


Antoine Parmentier.<br />

474


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

DE L’APOTHICAIRE AU PHARMACIEN DES ARMÉES<br />

P. BURNAT, J.-F. CHAULET, F. CHAMBONNET, F. CEPPA, C. RENARD<br />

I. INTRODUCTION.<br />

La présence d’apothicaires associés aux armées du roi est<br />

décrite pour la première fois dans un rapport d’Ambroise<br />

Paré sous Henri II lors du siège de Metz (1552) puis aux<br />

sièges d’Autun, de Montauban, d’Amiens et de<br />

La Rochelle, activités militaires qui permettaient une<br />

stabilité des soins. Richelieu, crée en 1620 le premier<br />

hôpital sédentaire pour les soldats à Pignerol en Italie<br />

avec dans les effectifs la présence d’un apothicaire.<br />

Ensuite des apothicaires sont associés aux médecins et<br />

aux chirurgiens dans les hôpitaux militaires établis lors de<br />

la campagne d’Italie en 1629 sous Louis XIII (1).<br />

Sans négliger leurs activités antérieures, nous nous<br />

proposons de décrire principalement les faits historiques<br />

de ces trois derniers siècles depuis janvier 1708 où les<br />

apothicaires puis les pharmaciens militaires eurent un<br />

rôle modeste ou parfois déterminant pour « la patrie et<br />

l’humanité ». Les pharmaciens militaires ont été associés<br />

à toutes les guerres, campagnes et expéditions, sur terre et<br />

sur mer. Leurs responsabilités initiales sont la fabrication,<br />

l’approvisionnement et la distribution des produits de<br />

santé aux armées après les hécatombes des champs de<br />

batailles ou les ravages des maladies infectieuses et de la<br />

dénutrition. Ensuite, ce sont aussi des analystes et des<br />

découvreurs dans les domaines de la pharmacologie, de la<br />

chimie, de l’alimentation, de la botanique, de l’hygiène,<br />

de la toxicologie au sens le plus large et plus récemment<br />

de la biologie. Cette double activité, de spécialiste du<br />

médicament et d’analyste très polyvalent, remonte ainsi à<br />

plusieurs siècles et explique leurs diverses activités<br />

actuelles au sein du Service de santé et des armées.<br />

P. BURNAT, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.<br />

J.-F. CHAULET, pharmacien général, praticien certifié. F. CHAMBONNET,<br />

pharmacien chef des services (cr). F. CEPPA, pharmacien en chef, professeur agrégé du<br />

Val-de-Grâce. C. RENARD, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.<br />

Correspondance : P. BURNAT, laboratoire de biochimie toxicologie et<br />

pharmacologie cliniques. 69, avenue de Paris, HIA Bégin, 94163 Saint Mandé Cedex.<br />

II. DÉBUT DU XVIII E SIÈCLE ET L’ÉDIT<br />

ROYAL DE 1708.<br />

En ce début de siècle, les diagnostics médicaux ont<br />

beaucoup progressé. Mais les traitements essentiellement<br />

basés, outre les saignées, sur les plantes et des<br />

produits d’origine minérale ou animale les plus divers et<br />

fantaisistes sont pour le moins inefficaces voire toxiques.<br />

La chimie n’existe pas, la synthèse minérale ou organique<br />

verra le jour à la fin du siècle en se détachant de l’alchimie,<br />

plus mystique que scientifique. Les apothicaires sont les<br />

successeurs des moines et des nonnes qui avaient,<br />

jusqu’au XV e siècle, la charge de cultiver les plantes<br />

médicinales comme le montrent les jardins dans les<br />

monastères. Dans les hôpitaux les apothicaires ont<br />

l’obligation d’installer « un jardin de plantes médicinales<br />

afin que l’apothicaire puisse trouver les herbes récentes<br />

desquelles on a ordinairement affaire et y choisir un<br />

endroit exposé au soleil ». Les apothicaires outre leur<br />

rôle de collecte et de culture des plantes médicinales,<br />

doivent créer des réserves, participer aux tournées de<br />

consultations médicales et devaient être présents lors de<br />

l’administration aux patients pour éviter des gaspillages.<br />

Durant tout son règne, le roi Louis XIV organise son<br />

armée, son équipement et son ravitaillement, activité<br />

plutôt novatrice. Il était, malgré les guerres désastreuses<br />

et parfois inutiles qu’il décidait, conscient des douleurs<br />

qui s’y associaient. Ainsi il écrivait en 1669 au comte de<br />

Coligny « Ce m’a été grand déplaisir de voir le rôle que<br />

vous m’avez envoyé des morts et des blessés, quoique ce<br />

soit une chose qu’il est nécessaire que je sache. Il faut<br />

assister les blessés avec des soins extraordinaires, les voir<br />

de ma part et leur témoigner que je compatis fort ». Il<br />

décide la construction des Invalides sous les ordres<br />

de Louvois. Cet Hôtel royal ouvre en 1674 pour « le<br />

logement, subsistance et entretement de tous les pauvres<br />

officiers et soldats de nos troupes estropiez ou ayant<br />

vieilli dans le service » avec un apothicaire rémunéré.<br />

Cette compassion à l’égard de ses soldats qui anime ce roi<br />

qui aima trop la guerre comme il le confessa sur son lit de<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 475


Ancienne apothicairerie.<br />

mort explique peut-être son intérêt pour les soins<br />

aux blessés et pour les hôpitaux.<br />

En cet hiver 1708 le roi Louis XIV, âgé de 70 ans, règne<br />

depuis 65 ans et pour encore 7 ans. La royauté avait<br />

vieilli en même temps que le roi. « L’état est une vieille<br />

machine délabrée » disait Fénelon. Le maréchal Vauban<br />

après avoir fortifié la France et l’avoir si longtemps<br />

servie est en disgrâce depuis quelques mois pour avoir<br />

proposé des réformes salvatrices qui avaient déplu au<br />

monarque autoritaire.<br />

Les finances de la France sont déplorables du fait des<br />

guerres, de l’incurie et de l’immobilisme royal: les taxes<br />

augmentent et la misère aussi. Le peuple meurt de faim en<br />

nombre, notamment durant le terrible hiver 1709, un an<br />

plus tard. Dans cette fin de règne et au début de ce siècle,<br />

déterminant pour la France, en ce mois de janvier 1708,<br />

pas de bal à la cour, ce qui donne une idée de l’ambiance<br />

qui y règne sous la férule très pieuse de Madame de<br />

Maintenon. Ainsi l’Édit royal du 17janvier1708 est signé<br />

dans l’une des périodes les plus sombres de notre histoire.<br />

En énumérant les devoirs et missions des médecins et des<br />

chirurgiens, il est considéré comme l’acte fondateur du<br />

Service de santé militaire français. Les apothicaires n’y<br />

figurent pas, malgré leur rôle déterminant dans les<br />

cinquante hôpitaux militaires mis en place.<br />

Le règlement du 20 décembre 1718 fixe le statut des<br />

officiers de santé comparables aux officiers de troupe<br />

mais avec un uniforme particulier. Celui-ci passe du<br />

gris au bleu avec pour les pharmaciens un collet spécial<br />

vert conservé au fil des siècles et qui reste la couleur<br />

emblématique de la profession militaire ou civile. Les<br />

effectifs des armées au XVIII e siècle varient de 200 00 à<br />

300 000 hommes. Les batailles sont particulièrement<br />

meurtrières, les milliers de victimes créées en quelques<br />

heures n’ont droit qu’à des soins limités. Le 11 mai 1745<br />

Maurice de Saxe, en présence du roi Louis XV et du<br />

dauphin, remporte sur les anglo-hollandais dirigés par<br />

le duc de Cumberland la victoire de Fontenoy : plus de<br />

5000 morts et 10000 blessés. Le roi parcourant le champ<br />

de bataille dit à son fils «voyez ce qu’il coûte de remporter<br />

des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang<br />

des hommes. La vraie gloire c’est de l’épargner ». Ces<br />

belles paroles ne l’empêcheront pas de continuer les<br />

guerres et d’ensanglanter les champs de bataille. Durant<br />

cette période, les apothicaires sont le plus souvent des<br />

employés civils au compte des entrepreneurs, engagés<br />

pour une campagne de guerre ou une prestation<br />

476 p. burnat


Fontenoy 1745.<br />

hospitalière (2). En 1747, la multiplication des abus dans<br />

les hôpitaux militaires impose la constitution d'un corps<br />

d'apothicaires militaires subordonnés aux médecins de<br />

l'hôpital à raison d’un apothicaire pour 50 hospitalisés.<br />

Durant leur carrière ils franchissent différents grades :<br />

garçon ou élève apothicaire, apothicaire sous-aidemajor,<br />

apothicaire aide-major, apothicaire-major. Les<br />

apothicaires majors et aides-majors des armées sont<br />

alors dotés du même uniforme que les chirurgiens moins<br />

le collet. Leur formation est basée sur l’apprentissage<br />

auprès d’apothicaires en activité.<br />

III. LA GUERRE DE SEPT ANS (1755-1762) ET<br />

LA FIN DU XVIII E SIÈCLE.<br />

Cette guerre débute le 1 er mai 1755 par la déclaration<br />

de guerre des Anglais alliés à la Prusse à la France<br />

alliée aux princes allemands et à la Russie. Cette suite<br />

ininterrompue de batailles terrestres et navales mobilise<br />

des officiers de santé et marque les débuts d’une<br />

orga-nisation structurée souvent à la base du système<br />

actuel du Service de santé notamment des hôpitaux<br />

mobiles, sédentaires et fixes. Les pertes sont très élevées:<br />

lors de la défaite de Rossbach près de Leipzig le<br />

7 novembre 1757 plus de 10 000 hommes restent sur<br />

le terrain. La guerre est aussi en Amérique où se<br />

déchirent français et anglais avec la perte du Québec<br />

(17 septembre 1759) et aux Indes où la situation militaire<br />

est tout aussi désespérée.<br />

Le 10 février 1759, une ordonnance au sens déterminant,<br />

instituait le port de l’épaulette comme insigne distinctif<br />

des officiers, les membres du service de santé en<br />

sont exclus. Il faudra 150 ans pour acquérir ce symbole<br />

de la distinction entre les officiers des armes et ceux<br />

de santé. Le Commissaire des guerres laissait peu de<br />

liberté au corps de santé dans lequel la médecine exerçait<br />

une domination sans partage ni bienveillance sur<br />

les chirurgiens et les apothicaires. Cette guerre, où<br />

Parmentier est fait prisonnier et Bayen organise la<br />

pharmacie militaire, se termine par les traités de Paris<br />

et d’Hubertsbourg (février 1763) sans intérêt pour la<br />

France toujours exsangue financièrement.<br />

En 1772, les hôpitaux ambulants à raison d’un pour<br />

20 000 hommes comprennent 1 chirurgien-major,<br />

12 chirurgiens aides-majors et 24 garçons chirurgiens<br />

mais aussi 1 apothicaire à cheval, 2 apothicaires<br />

aides-majors, 4 garçons apothicaires. La caisse à<br />

pharmacie se situe au milieu des chariots de la lingerie<br />

et de l’approvisionnement général. En 1788 l’armée<br />

comprend 130 apothicaires et 508 chirurgiens. La<br />

de l’apothicaire au pharmacien des armées<br />

477


Apothicaire major 1786.<br />

pharmacie est désormais enseignée au Collège des<br />

pharmaciens créé en 1777 (2).<br />

Dans cette fin de siècle des lumières, la chimie et les<br />

sciences sont en plein essor, les pharmaciens y participent<br />

pleinement comme Pilatre de Rozier qui réalisa la<br />

première ascension en ballon. Deux pharmaciens<br />

militaires marquent particulièrement cette période.<br />

Pierre Bayen, (1725-1798) fait parti des plus illustres<br />

représentants de la profession qu’il servit durant<br />

42 années. Il participe comme pharmacien en chef à<br />

l'expédition victorieuse de Minorque contre les Anglais<br />

en 1756 commandée par le maréchal de Richelieu et<br />

l’amiral de La Galissonnière où il se consacre notamment<br />

à l’approvisionnement en eau potable des troupes.<br />

Nommé pharmacien chef de l’armée en Allemagne<br />

durant la guerre de Sept ans, il organise la pharmacie<br />

militaire française. Il devient ensuite pharmacien en chef<br />

des armées du roi en 1766 ce qui lui permettra de noter et<br />

d’inspecter les pharmaciens militaires et de mettre de<br />

l’ordre dans la profession. Il analyse les eaux minérales,<br />

découvre la propriété du fulminate de mercure explosif<br />

employé dans les amorces et les détonateurs. Il réalise de<br />

nombreux travaux scientifiques sur les oxydes<br />

métalliques et l’apport de l’air dans leur synthèse « dans<br />

la combustion, les minéraux enlèvent à l'air un de ses<br />

principes » et il ouvre ainsi la voie à Lavoisier pour la<br />

découverte de l’oxygène en 1776 à laquelle il devrait être<br />

officiellement associé. Bayen est nommé inspecteur<br />

général du Service de santé de la république en 1789<br />

à égalité avec un médecin et un chirurgien. Élu membre<br />

de l'Académie des sciences en 1795, il publie en 1798<br />

ses Opuscules chimiques (3).<br />

Antoine Parmentier (1737-1813), le plus illustre des<br />

pharmaciens militaires français fait son apprentissage<br />

de la pharmacie chez un apothicaire de sa ville natale de<br />

Montdidier, puis à Paris. À 20 ans il est pharmacien<br />

aux armées pendant la guerre de Sept Ans où il fait la<br />

connaissance de Bayen: ce sera l’origine de l’amitié entre<br />

ces deux monuments de la pharmacie militaire. Au cours<br />

de son incarcération en Allemagne, il découvre la qualité<br />

nutritive d’une plante de la famille des solanacées, la<br />

pomme de terre, destinée à l’alimentation des animaux et<br />

des prisonniers. Originaire d’Amérique où les Incas la<br />

cultivaient sous le nom de papa. Elle arrive en Europe<br />

avec les conquistadores et elle est cultivée particulièrement<br />

en Ardèche sous le nom de «truffoles» du fait de son<br />

aspect plus proche du précieux champignon que de la<br />

Bintje actuelle. À son retour de captivité, Parmentier<br />

obtient sur concours en 1766 la charge d’apothicaire de<br />

l’Hôtel royal des Invalides. Il y est sous la coupe peu<br />

amène des sœurs dites de la charité qui avaient le pouvoir,<br />

sinon la connaissance, de préparer et d’administrer les<br />

médicaments, responsabilité qu’elles ne voulaient pas<br />

partager. Il profite ainsi de l’archaïsme institutionnel des<br />

lieux pour continuer ses recherches agronomiques<br />

notamment sur la pomme de terre dont il sélectionne les<br />

meilleures variétés mais le roi Louis XV lui retire sa<br />

charge en 1774 sous les coups des sœurs grises et de la<br />

cabale ecclésiastique qu’elles avaient savamment<br />

organisée. Il doit aussi renoncer à cultiver les pommes de<br />

terre aux Invalides, le terrain appartenant aux religieuses<br />

(3, 4). En 1772, les membres de la Faculté de médecine<br />

de Paris qui planchaient depuis longtemps sur le sujet<br />

finissent par déclarer que la consommation de la pomme<br />

de terre ne présente pas de danger car il existe une<br />

interdiction du Parlement de la cultiver datant de 1748. La<br />

pomme de terre comme la tomate a probablement subi la<br />

mauvaise réputation de la famille des solanacées qui<br />

compte dans ses rangs des membres moins recommandables<br />

comme la belladone, la jusquiame ou la<br />

mandragore. Parmentier rédige en 1779 un mémoire<br />

qui le rend célèbre : Examen critique de la pomme de<br />

terre. Pugnace, il va promouvoir la pomme de terre en<br />

organisant des dîners où seront notamment conviés<br />

des hôtes prestigieux tels que Benjamin Franklin ou<br />

Lavoisier, véritables opérations promotionnelles au<br />

principe encore d’actualité. Avec l’appui de Louis XVI, il<br />

crée en 1786 une plantation à Neuilly dans la plaine des<br />

Sablons réputée inculte. Il apporte au roi le 24 août de<br />

cette année, veille de la Saint Louis, un bouquet de fleurs<br />

de pomme de terre : le roi en glisse une à sa boutonnière et<br />

une autre sur la perruque de Marie-Antoinette. L’utilisation<br />

novatrice de la publicité royale popularise la pomme<br />

de terre. Ultérieurement, sur un autre terrain à Gentilly<br />

où il reprend la culture, les gardes des lieux ont l’ordre<br />

478 p. burnat


de laisser la population « voler » ces plants précieux<br />

nécessitant leur garde ce qui permet de disséminer le<br />

tubercule. Celui-ci est aujourd’hui indispensable à<br />

l’alimentation avec 350 millions de tonnes produites<br />

actuellement. Ainsi l’année 2008 est déclarée « année<br />

internationale de la pomme de terre » par l’ONU afin<br />

qu’elle soit reconnue comme aliment de base pour la<br />

population mondiale. Mais à la fin du XVIII e siècle, la<br />

pénurie alimentaire exacerbée par le blocus naval anglais<br />

est le principal problème de la population. Parmentier met<br />

toute son énergie pour nourrir le peuple en s’intéressant<br />

à la valeur nutritive et à la fabrication de produits de<br />

substitution. Il propose ainsi le sucre de raisin et de<br />

betterave pour le sucre de canne cultivé en Amérique et la<br />

culture du maïs pour remplacer celle de blé déficitaire. La<br />

première raffinerie de sucre de betterave voit le jour en<br />

1801 grâce à lui. Il s’intéresse aussi à la conservation des<br />

farines, du vin et des produits laitiers.<br />

Avec Louis Cadet de Vaux, il va améliorer la qualité du<br />

pain distribué dans les hôpitaux, les prisons et les armées<br />

en imaginant une nouvelle méthode de panification. Il<br />

sera un des fondateurs d’une école de boulangerie à Paris<br />

en uniformisant les composants et les techniques de<br />

fabrication à l’origine de la qualité et de la réputation<br />

du pain français. En 1778 il publie son « Traité complet<br />

sur la fabrication du pain ». Il publie aussi sur l’intérêt<br />

alimentaire du maïs, des fourrages, du blé, des champignons,<br />

mais aussi sur le vin, les eaux de boisson, les<br />

eaux-de-vie et la salubrité dans les hôpitaux militaires, il<br />

participe aux débuts de l’hygiène hospitalière. Il travaille<br />

sur l’opium et l’ergot de seigle (3).<br />

Le soutien de Louis XVI à l'agronome philanthrope le<br />

rend d'abord suspect au nouveau régime révolutionnaire,<br />

mais rapidement lui sont confiées la surveillance des<br />

salaisons destinées à la Marine et la fabrication des<br />

biscuits de mer, nourriture essentielle dans la Royale.<br />

Puis le Directoire, le Consulat et l'Empire utilisent<br />

largement ses multiples compétences. Inspecteur<br />

général du Service de santé de 1803 jusqu’à sa mort<br />

en 1813, il fait adopter la vaccination antivariolique<br />

par l’armée et s’occupe des conditions d’hygiène sur<br />

les bateaux. Il devient le premier président de la Société<br />

de pharmacie de Paris puis président du Conseil de salubrité<br />

de Paris en 1807. Il préconise la conservation des<br />

viandes par le froid et travaille sur l’amélioration de la<br />

technique des conserves alimentaires par ébullition mis<br />

au point par Nicolas Appert, en 1810. Très attaché à son<br />

titre de pharmacien, il définit lui-même sa vie et son<br />

œuvre exemplaire « mes recherches n’ont d’autres buts<br />

que le progrès de l’art et le bien général. La nourriture<br />

du peuple est ma sollicitude, mon vœu est d’en améliorer<br />

la qualité et d’en diminuer le prix. J’ai écrit pour être<br />

utile à tous ». Le nombre d’articles et d’ouvrages dont<br />

il est l’auteur fait de ses « titres et travaux » un vaste<br />

ensemble très impressionnant (4). C’est aussi le seul<br />

membre du Service de santé qui a donné son nom à<br />

une station de métro parisien.<br />

IV. LA RÉVOLUTION ET LES EMPIRES.<br />

A) RÔLES DES PHARMACIENS.<br />

En 1793, la France désormais sans roi depuis le 21 janvier<br />

est en révolution et en guerre contre les « ennemis de<br />

l’intérieur » avec les guerres de Vendée qui font 150000<br />

morts dont beaucoup de civils et contre les royautés<br />

européennes avec les victoires de Valmy et de Jemmapes<br />

puis la défaite de Neerwinden en mars. Le 1 er août 1793<br />

tous les officiers de santé pharmaciens, médecins et<br />

chirurgiens sont à la réquisition du ministre de la Guerre.<br />

Six jours plus tard, le décret du 7 août organise le Service<br />

de santé militaire et les hôpitaux. En vertu de ce texte il est<br />

attaché à chaque armée un premier pharmacien, un<br />

premier médecin et un premier chirurgien. C’est en 1793<br />

que les apothicaires se transforment en pharmaciens à<br />

l’étymologie plus valorisante que la précédente, du grec<br />

« boutique ». Dans tous les hôpitaux militaires répartit en<br />

hôpitaux fixes et collectifs, hôpitaux ambulants, hôpitaux<br />

d’instruction (Lille, Metz, Strasbourg, Toulon), hôpitaux<br />

pour vénériens et galeux et enfin hôpitaux d’eaux<br />

minérales. Les officiers de santé sont répartis en trois<br />

classes qu’ils soient médecins, chirurgiens ou<br />

pharmaciens (5). La loi 12 janvier 1795 crée le Conseil de<br />

santé composé de quinze membres. Elle fait preuve<br />

d’une équité révolutionnaire exemplaire qui n’a pas<br />

persisté : cinq pharmaciens dont trois laisseront leur<br />

nom dans l’Histoire (Bayen, Parmentier, Pelletier,<br />

Hego, Brougniart), cinq médecins (Coste, Lepreux,<br />

Lorents, Sabathier de Brest, Becu), et cinq chirurgiens<br />

(Heurteloup, Villars, Groffier, Saucerotte, Ruffin). La loi<br />

du 21 germinal an XI (11 avril 1803) crée des écoles<br />

de pharmacie (Paris, Strasbourg et Montpellier) et<br />

cette même année parait la Pharmacopée des Hospices<br />

rédigée par Parmentier.<br />

Le décret impérial du 1 er septembre 1805 attache<br />

un caisson ambulance de premier secours à chaque<br />

régiment. Dans ce caisson, outre 2 matelas, 2 couvertures,<br />

6 brancards et 200 kg de linge à pansement se place<br />

1 caisse d’amputation et 1 caisse à pharmacie. Cette<br />

caisse de bois recouverte de toile cirée est séparée en<br />

cases garnies par des coussins en étoffes. Parmentier dans<br />

sa note du 8 vendémiaire an XIV (30 septembre 1805)<br />

établi précisément le contenu de cette caisse qui permet<br />

d’appréhender la nature de la pharmacopée d’urgence<br />

de l’époque : l’agaric de chêne (champignon appelé<br />

aussi amadou) servait contre les hémorragies, le<br />

sulfate de cuivre comme antiseptique, la cire blanche<br />

et la colophane comme excipients des onguents,<br />

l’alcool comme désinfectant, l’acide acéteux comme<br />

antiseptique, la liqueur d’Hoffmann (mélange d’alcool<br />

à 95 °C et d’éther à part égale) comme anesthésique<br />

et le laudanum de Sydenham (macération d’opium, de<br />

safran et de girofle dans du vin de Malaga), comme<br />

analgésique et anti-diarrhéique (6). Cette caisse préfigure<br />

les cantines médico-chirurgicales actuelles.<br />

D’une manière générale, les médicaments à la disposition<br />

des pharmaciens militaires hospitaliers sont relativement<br />

peu nombreux essentiellement le quinquina, le camphre,<br />

de l’apothicaire au pharmacien des armées<br />

479


l’opium, la valériane, l’arnica, le kermès (oxysulfure<br />

d’antimoine, appelé aussi poudre des Chartreux :<br />

expectorant, vomitif et purgatif), le cachou, la cannelle<br />

et la thériaque, extrait de plusieurs dizaines de<br />

composés végétaux, véritable panacée qui devait son<br />

action très limitée à l’opium qu’elle contenait. Il existe<br />

des dépôts de médicaments établis sur le trajet des<br />

armées et approvisionnés par une pharmacie centrale<br />

établie à Paris (6). Mais souvent les pharmaciens de<br />

l’Empire privés de leur approvisionnement, doivent<br />

se fournir localement en médicaments ce qui les<br />

conduit à la découverte de nouvelles thérapeutiques.<br />

Les pharmaciens sont responsables du transport et de<br />

la gestion des dépôts. Ils sont associés ou plutôt sous<br />

la coupe de l’intendance qui ne les ménage pas. Les<br />

intendants généraux et les commissaires ordonnateurs,<br />

souvent honnis pour leurs pratiques à l’honnêteté<br />

parfois douteuse, sont pourvus de pouvoirs très étendus<br />

(approvisionnement, police, convois militaires, vivres,<br />

ambulances, etc.) et notamment disciplinaires sur les<br />

officiers de santé sans que des responsabilités identiques<br />

soient données aux inspecteurs généraux et aux officiers<br />

de santé en chef (6-8).<br />

Pharmacien inspecteur 1797.<br />

Les effectifs en apothicaires de l’armée de Terre durant<br />

cette période sont très élevés: 540 en 1800, 601 en 1808,<br />

1011 en 1812 alors que ceux de la Marine sont d’environ<br />

45. Ils participent activement aux combats comme le<br />

prouve les nombreux pharmaciens qui connurent la<br />

captivité ou la mort. Ainsi 363 pharmaciens parmi les<br />

personnels de santé ont participé à la campagne de<br />

Russie, 247 n’en reviendront pas, morts, prisonniers<br />

ou disparus (8). Ils sont présents notamment dans les<br />

ambulances ce qui leur vaut les louanges de Larrey après<br />

la bataille de la Moscova : « M Laubert, pharmacien en<br />

chef de l’armée, et plusieurs de ses jeunes pharmaciens<br />

méritent des éloges et des remerciements pour le zèle<br />

avec lequel ils m’ont secondé dans cette pénible<br />

circonstance ». Napoléon reconnaissait lui aussi la<br />

polyvalence et l’efficacité des pharmaciens militaires à<br />

travers lui car il disait « n’avons-nous pas Laubert, je le<br />

charge de tout ! ». Charles Jean Laubert (1761-1833)<br />

organisa ainsi la frappe de la monnaie à Moscou et le<br />

ravitaillement en médicaments mais aussi les aliments et<br />

boissons des armées en Russie comme pharmacien en<br />

chef de la Grande armée. Il réalisa un Codex très pratique<br />

destiné aux hôpitaux militaires et de nombreuses études<br />

sur le quinquina. Il fut nommé inspecteur général à la<br />

mort de son ami Parmentier en 1814 par Napoléon alors<br />

qu’il était enfermé dans la place encerclée de Torgau en<br />

Allemagne après la bataille de Leipsick. Ce titre fut<br />

confirmé par Louis XVIII.<br />

En dehors des combats, le typhus transmis par les<br />

déjections des poux fait des ravages, en 1812 sur 25 000<br />

malades à Wilna (Vilnius) seuls 3 000 survivent. Le<br />

général Rapp signale à Danzig assiégé (1813) 200 décès<br />

par jours et durant l’hiver 1813-1814 les pertes sont de<br />

13448 hommes dans la garnison de Torgau. Le traitement<br />

était basé sur le vinaigre, le camphre et les fumigations<br />

aromatiques…(6).<br />

B) PHARMACIENS ILLUSTRES.<br />

Cette époque est particulièrement féconde en réformes,<br />

en découvertes scientifiques majeures mais aussi en<br />

guerres. Elle a permis à de nombreux pharmaciens<br />

militaires d’exception, qu’il est impossible de citer dans<br />

leur intégralité, de se distinguer par leur apport dans les<br />

sciences et dans le soutien des armées. Nous en avons<br />

choisi quelques-uns des plus exemplaires.<br />

Louis Claude Cadet de Gassicourt (1731-1799) est<br />

pharmacien en chef des armées en Allemagne et au<br />

Portugal puis apothicaire-major à l'Hôtel des Invalides,<br />

commissaire du roi pour la chimie à la manufacture de<br />

porcelaine de Sèvres et membre de l'Académie des<br />

sciences en 1766. Durant la Révolution, il est chargé, avec<br />

Lavoisier d'extraire le cuivre du métal des cloches et écrit<br />

plusieurs mémoires sur la pharmacie, la physique et la<br />

chimie et la découverte du composé d'éther appelé<br />

« liqueur fumante de Cadet ». Parmi ses amis, on retrouve<br />

les principaux rédacteurs de l'Encyclopédie: d'Alembert,<br />

Nicolas de Condorcet, Jean Sylvain Bailly. Son épouse,<br />

séduite par Louis XV, donna le jour à Charles Louis<br />

Cadet de Gassicourt (1769-1821) un des nombreux<br />

480 p. burnat


âtards royaux. Avocats sous l’ancien régime, idéologue<br />

révolutionnaire, poète et auteur de théâtre, fondateur<br />

d’un club astronomique, il complète ses talents éclectiques<br />

par celui de pharmacien militaire et chimiste. Nommé<br />

premier pharmacien de Napoléon et responsable de<br />

l’ambulance impériale durant la campagne d’Autriche de<br />

1809, il vit à la cour près de l’empereur. À ce titre, il a<br />

l’honneur d’embaumer la dépouille du maréchal Lannes<br />

avec Larrey qui avait amputé le maréchal de la jambe<br />

droite après la bataille d’Essling contre l’avis de Percy. Il<br />

aurait sauvé Napoléon du suicide trois jours après<br />

Waterloo (18 juin 1815) par un lavage d’estomac (1, 6, 9).<br />

Edme-Jean Baptiste Bouillon-Lagrange (1764-1844)<br />

organise en 1793 les hôpitaux de l'armée en qualité de<br />

pharmacien-major. Directeur de l'école de pharmacie, il<br />

professa la chimie à l'École polytechnique puis devint<br />

directeur de cette École. Analyste de nombreuses<br />

thérapeutiques, il écrit un Manuel du pharmacien et un<br />

Manuel de chimie, devenus des classiques.<br />

Georges Simon Serullas (1774-1832) s’engage à 15 ans,<br />

en 1789, dans le bataillon des Volontaires du département<br />

de l’Ain. Il choisit ensuite la pharmacie militaire et<br />

une fois formé, est nommé pharmacien major à l’armée<br />

des Alpes puis d’Italie. Il suit Napoléon en Prusse et<br />

en Russie. En 1813 pharmacien principal du 3 e Corps<br />

d’armée du maréchal Ney, il est fait prisonnier à<br />

la bataille d’Hanau, libéré, il fait la campagne de<br />

Belgique en 1815. À la chute de l’Empire, il enseigne au<br />

Muséum d’histoires naturelles et au Val-de-Grâce<br />

jusqu’à sa mort. Il réalise de nombreux travaux sur<br />

les halogènes, découvre l’iodoforme en 1822, premier<br />

antiseptique chimique et prépare le bromure d’éthyle et<br />

l’acide iodique.<br />

Joseph Bienaimé Caventou (1765-1877), attaché aux<br />

armées du Nord puis à l’hôpital de Saint Omer il retourne<br />

à la vie civile et à l’internat après Waterloo (1815). Il<br />

découvre le sulfate de quinine (1820) avec Joseph<br />

Pelletier (1788-1842) en l’extrayant des écorces de<br />

quinquina qui étaient très difficiles à absorber du fait<br />

de leur amertume. Il réussit à extraire de nombreux<br />

alcaloïdes et toxiques comme la strychnine, la brucine,<br />

la vératrine et la colchicine. Il fut professeur à l'École<br />

de pharmacie, membre de l'Académie de médecine,<br />

puis de l'Académie des sciences (3).<br />

Antoine Baudouin Poggiale (1808-1879), professeur<br />

au Val-de-Grâce, médecin et pharmacien général<br />

inspecteur et membre de l'Académie de médecine. Il<br />

étudia notamment les eaux et les aliments, il a publié de<br />

nombreux ouvrages sur des sujets très variés : Traité<br />

d'analyse chimique, Recherches sur les eaux des casernes<br />

et des forts de Paris; le Pain de munition; la Composition<br />

chimique des aliments ; la Formation de la matière<br />

glycogène ; l'Empoisonnement par le phosphore ; les<br />

Eaux potables. Il défend brillamment mais sans succès<br />

l’indépendance de la pharmacie militaire vis-à-vis des<br />

médecins car en 1882 la pharmacie est mise sous tutelle<br />

de la médecine tandis que le Service de santé des armées<br />

obtient son indépendance (1, 3).<br />

Carle Gessard (1850-1925), après la guerre Franco-<br />

Prusienne, devient pharmacien aide-major de l'École de<br />

médecine militaire du Val-de-Grâce avant d’être affecté<br />

à l'Hôpital militaire du Gros-Cailloux (Paris) puis<br />

de Médéa (Algérie). De nouveau au Val-de-Grâce<br />

il découvre le bacille pyocyanique, à l'origine du<br />

phénomène du pus bleu des plaies. En 1882, Louis<br />

Pasteur lui rend visite et l'encourage à continuer ses<br />

recherches. Après sa thèse de doctorat en médecine: «De<br />

la Pyocyanide et de son Microbe. Applications cliniques»,<br />

il publie un grand nombre de notes sur ce bacille et sur ses<br />

pigments. Après la campagne de Tunisie (1882), nommé<br />

professeur agrégé de chimie et expertise à l'École de<br />

médecine militaire du Val-de-Grâce il entre comme<br />

travailleur libre et donne des cours à l'Institut Pasteur.<br />

Envoyé en poste à Sétif (Algérie) où il n'a plus la<br />

possibilité de continuer ses recherches, il refuse la<br />

chaire de Chimie du Val-de-Grâce pour un poste<br />

à l'hôpital militaire de Lille où Calmette l'invite à<br />

travailler à l'Institut Pasteur. En 1914-1916 n'étant plus<br />

mobilisable, il participe à l'effort de guerre en travaillant<br />

sur des préparations contre les poux des tranchées (1, 10).<br />

V. LES APOTHICAIRES ET PHARMACIENS DE<br />

LA MARINE.<br />

Les premières expéditions maritimes lointaines comme<br />

celle de Jacques Cartier qui débarque au Canada en 1535<br />

Pharmacien de 1 re classe 1809.<br />

de l’apothicaire au pharmacien des armées<br />

481


emmènent un apothicaire à bord. Au début du XVIII e siècle<br />

les disciplines de chirurgien et d’apothicaire sont souvent<br />

exercées par la même personne. Par manque de vocation,<br />

surtout pendant les épidémies, il faut avoir recours dans<br />

la Marine pour les chirurgiens et les apothicaires à<br />

« la levée » variante de la mobilisation. Le scorbut et le<br />

typhus font plus de perte que les combats eux-mêmes ce<br />

qui explique le peu d’empressement d’aller servir dans<br />

la Royale. Les matelots déjà dénutris, en convalescence<br />

ou malades retournent à la mer ce qui accroît la mortalité.<br />

À un noyau de praticien « entretenu » s’agglomère<br />

une foule de chirurgiens et d’apothicaires peu<br />

considérés. Les apothicaires étaient chargés d’assurer<br />

l’approvisionnement en substances et préparations<br />

médicamenteuses destinées à soigner les affections<br />

« du bord » : la dysenterie, les fièvres, la syphilis et le<br />

scorbut. Ils contribuaient à l’amélioration de l’alimentation,<br />

à la conservation des aliments et participaient à la<br />

«désinsectisation, dératisation». Les hôpitaux maritimes<br />

de Toulon et Rochefort dont les deux premiers datent de<br />

1674 (Brest 1684) sont prévus pour accueillir 200 puis<br />

400 malades sous la dépendance de l’intendance, des<br />

apothicaires y sont présents. L’ordonnance de 1689<br />

renforce le rôle et les fonctions des médecins, chirurgiens<br />

et apothicaires (5). Pour la Marine royale, le règlement<br />

de Choiseul en 1765 décide une augmentation sensible<br />

des officiers de santé : pour un vaisseau de 100 canons<br />

et 1 800 hommes à côté d’un chirurgien-major, d’un<br />

second chirurgien et de quatre aides est prévu un<br />

apothicaire. Le corps des apothicaires de la Marine<br />

est créé en 1767. L’hôpital de Rochefort en 1789<br />

comprendra 12 apothicaires, 12 chirurgiens, 12 sœurs<br />

et 21 galériens-infirmiers… À la fin de l’Ancien<br />

régime, le Service de Santé de la Marine comprend<br />

notamment à côté de 114 chirurgiens, 85 apothicaires à<br />

la mer qui bénéficient d’une retraite et d’une pension en<br />

cas de décès (5, 11, 12). Lors des expéditions à travers le<br />

monde, les pharmaciens sont souvent les scientifiques<br />

du bord car ils collectent et font l’inventaire de la flore,<br />

de la faune et des minéraux que les nouveaux territoires<br />

pouvaient fournir. Les végétaux exotiques prélevés,<br />

amenés par bateau dans des serres de fortune, sont<br />

cultivés dans les jardins botaniques des hôpitaux de la<br />

Marine créés et surveillés par les pharmaciens qui<br />

produisent également des plantes médicinales. Au<br />

XIX e siècle la chimie et l’analyse se développent et les<br />

pharmaciens de la Marine deviennent des experts<br />

chimistes auprès du commissariat et des constructions<br />

navales. Ils analysent les produits les plus divers,<br />

alimentation, cuir, textiles, huiles, combustibles et gaz<br />

toxiques. En 1919 leur engagement est conditionné par<br />

la possession de trois certificats des sciences dont deux<br />

de chimie et ils deviennent pharmaciens chimistes de<br />

la Marine. Cette relative autonomie se terminera<br />

le 9 juillet 1965 par la création d’un corps unique de<br />

pharmacien chimiste des armées (1, 5, 12).<br />

Deux pharmaciens de Marine sont l’archétype de tous<br />

ceux, souvent botanistes, qui partirent vers des terres<br />

lointaines et en revinrent avec des plantes, graines,<br />

Antoine Baudoin Poggiale.<br />

croquis, animaux, observations qui enrichirent le<br />

patrimoine scientifique mondial (5, 11).<br />

Charles Gaudichaud-Beaupré (1789-1854), pharmacien<br />

de la Marine et botaniste, fait partie de l’état-major<br />

scientifique de la corvette Uranie qui quitte Toulon en<br />

1817 pour un tour du monde. Il rentre au Havre en 1820 et<br />

rapporte malgré le naufrage du bateau 3 000 espèces de<br />

plantes dont 500 manquaient au Muséum et 200 étaient<br />

inconnues. Il remplace à l’Académie des sciences son<br />

maître Laurent de Jussieu (5).<br />

René-Primevère Lesson (1794-1849), est emmené par<br />

le commandant Duperrey en compagnie de Dumont<br />

d’Urville sur la Coquille (1822-1825) pour faire un tour<br />

du monde scientifique en sens inverse de l’Uranie.<br />

Avec Dumont d’Urville il rapporte près de 30 000<br />

espèces botaniques dont 400 nouvelles, 110 espèces<br />

d’insectes, 300 poissons etc. Cuvier rend hommage à<br />

cette expédition de trois années particulièrement riche<br />

en découvertes (5).<br />

VI. PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.<br />

Les pharmaciens sont mobilisés en grand nombre<br />

comme le reste de la population. La Pharmacie centrale<br />

des armées (PCA) située au 2, avenue de Tourville à<br />

Paris de 1903 à 1931 sera particulièrement active durant<br />

cette guerre. L’approvisionnement prévu pour trois mois<br />

sera utilisé en 15 jours ce qui explique l’ingéniosité et<br />

482 p. burnat


l’activité des pharmaciens militaires nécessaire pour<br />

palier rapidement à cette carence et à l’accroissement<br />

extraordinaire des besoins. Le nombre des pharmaciens<br />

à la PCA est augmenté de 5 à 22. La fabrication des<br />

sutures passe de 52 000 à 1 250 000, celle des comprimés<br />

de 18 à 180 tonnes. Ils ont créé des pansements<br />

individuels utilisés pour la première fois lors d’une<br />

guerre ainsi que des laboratoires de toxicologie<br />

de campagnes destinés à l’analyse des gaz.<br />

À côté de l’approvisionnement, la guerre chimique est<br />

un nouveau domaine où les pharmaciens militaires<br />

d’actives ou mobilisés ont pris une part déterminante<br />

durant cette guerre. Pour la première fois les gaz sont<br />

utilisés de manière systématique alors que les deux<br />

armées n’étaient pas préparées à ce type d’agression.<br />

Immédiatement après l’attaque sur Ypres, le 22 avril<br />

1915, l’État-major s’adressait au Service de santé<br />

pour réunir toutes les informations sur les gaz. Les<br />

pharmaciens du fait de leur connaissance en chimie et en<br />

toxicologie sont rapidement mis à contribution. Ils<br />

Pharmacien en chef de la Marine 1798.<br />

participent également à l’enseignement des cadres<br />

militaires dans ce nouveau domaine. Les pharmaciens<br />

sont notamment responsables du prélèvement des<br />

échantillons des gaz utilisés par l’ennemi pour ensuite<br />

les analyser dans les laboratoires de toxicologie<br />

divisionnaires. Le premier masque à gaz français<br />

(juillet 1915) formé d’une gaze imbibée d’huile de ricin<br />

est ainsi d’origine pharmaceutique. Viendra ensuite la<br />

cartouche mis au point notamment par Paul Lebeau<br />

(1868-1959) professeur en pharmacie chimique et<br />

toxicologie à la faculté de pharmacie de Paris. Il est à<br />

l’origine des avancées dans les masques de protection<br />

français. Il propose des cartouches comprenant de la<br />

gaze, de l’oxyde de zinc, du carbonate de sodium et du<br />

charbon de bois, ce dernier composé est encore retrouvé<br />

dans la cartouche actuelle. Durant la guerre 1939-1940<br />

il faisait partie de l’État-major de la défense contre les<br />

gaz (14). Dans le domaine de la guerre chimique, les<br />

pharmaciens militaires notamment les professeurs de la<br />

faculté de pharmacie de Paris mobilisés jouent un rôle à<br />

la fois dans la protection mais aussi dans la fabrication.<br />

C’est notamment le cas de Gabriel Bertrand (1867-<br />

1962) plus connu par les pharmaciens militaires pour<br />

sa technique de dosage des sucres. Chef de service<br />

de biologie à l’Institut Pasteur en 1900, il propose<br />

l’utilisation de la chloracétone, un lacrymogène, dans<br />

une grenade mise au point par ses soins en 1915 (13) puis<br />

devient durant la guerre un chercheur des plus actifs<br />

grâce à ses connaissances en chimie sur les différentes<br />

substances agressives utilisables. Il fut nominé sans<br />

succès plusieurs fois pour le prix Nobel de chimie. Les<br />

pharmaciens attachés au Service chimique durant cette<br />

guerre ont joué un rôle essentiel dans la protection et<br />

dans l’agression au profit des armées et eurent ainsi un<br />

rôle non négligeable dans la victoire (1, 12, 13).<br />

VII. LE CORPS DE SANTÉ COLONIAL.<br />

Le décret du 7 janvier 1890 crée le Service de santé des<br />

colonies et pays de protectorat et donne naissance au<br />

pharmacien colonial (14). Les pharmaciens militaires,<br />

traditionnellement sortis de l’école de Bordeaux sont<br />

formés durant 60 générations au Pharo à Marseille dans<br />

le laboratoire en sous-sol surnommé « la cave » (14). Ils<br />

participèrent activement à soutenir les forces armées<br />

coloniales et les efforts sanitaires au bénéfice des<br />

populations que ce soit en Afrique ou en Asie. Cette<br />

présence se traduisait par de très nombreux postes Outremer<br />

(34 en 1890, 135 en 1954) jusque dans les années<br />

1990. Le rôle des pharmaciens coloniaux est initialement<br />

très large car ils participent à accroître les ressources<br />

locales en limitant la dépendance vis-à-vis de la métropole.<br />

Ainsi, ils se mobilisent pour valoriser l’utilisation et<br />

la culture des plantes pharmaceutiques locales mais<br />

aussi celle des ressources alimentaires végétales ou<br />

animales et les ressources minières (14). Ils combattent<br />

les épidémies notamment la fièvre jaune au côté des<br />

médecins et nombreux ceux qui en périssent comme<br />

le montre la stèle de l’île de Gorée au Sénégal. Parmi<br />

de l’apothicaire au pharmacien des armées<br />

483


Pharmacie portative.<br />

ces pharmaciens, il faut évoquer le parcours original<br />

de Victor Liotard (1858-1916) qui participe sous les<br />

ordres de Gallieni à la pacification du Soudan,<br />

dresse une carte géologique et botanique de la Haute<br />

Guinée, réorganise la pharmacie à Libreville<br />

(Gabon), lance la construction du chemin de fer au<br />

Niger et devient successivement gouverneur du<br />

Dahomey, de la Nouvelle-Calédonie et de la Guinée.<br />

Plus récemment Eugène Le Floch qui envoyé au<br />

Cameroun comme chef de la pharmacie et du<br />

laboratoire de l’hôpital de Yaoundé, s’échappe pour<br />

rejoindre les Forces françaises libres et arrive à Alger<br />

et suit les troupes lors de la campagne de France<br />

dans l’HE 414. Autre parcours exemplaire, celui<br />

de Félix Busson qui après avoir connu la guerre en<br />

1940 et le cours du Pharo en 1941, part au Sénégal<br />

où il y édifie un laboratoire d’analyse moderne. Il<br />

s’intéresse à la biologie clinique des Africains et aux<br />

analyses bromatologiques des aliments locaux avant<br />

de retourner comme directeur du laboratoire au Pharo<br />

à Marseille durant seize années et de continuer ses<br />

travaux sur la nutrition et la biochimie. Il devient<br />

un expert international reconnu par le CNRS, l’OMS<br />

et la FAO (5).<br />

VIII. LE RAVITAILLEMENT SANITAIRE EN<br />

INDOCHINE ET LA DRS 451.<br />

Le dépôt de ravitaillement sanitaire 451 arrivant de<br />

Fribourg en Allemagne après un arrêt à Marseille<br />

s’installe en janvier 1946 à Kanh-Hoï près de Saigon avec<br />

à sa tête le pharmacien commandant G. Pille (1911-1966)<br />

compagnon du Maréchal Leclerc. La première<br />

commande à la Direction des approvisionnements et<br />

fabrications (DAF) ancêtre de la DAPS est annuelle et de<br />

3427 tonnes (15). Elle est destinée au soutien d’un corps<br />

expéditionnaire de 70 000 hommes. Ultérieurement<br />

les commandes seront semestrielles ce qui reste<br />

une fréquence très limitée. À ces commandes à la<br />

lointaine métropole sont associés des achats sur les<br />

marchés indochinois (oxygène, alcool, bois, plâtre,<br />

vaccins et sérums de l’Institut Pasteur) et Indiens<br />

(textiles, toile pour brancards) qui représentent un<br />

tiers des approvisionnents. L’aide américaine est<br />

particulièrement importante à base de surplus de<br />

la Seconde Guerre mondiale notamment des<br />

hôpitaux et des unités collectives particulièrement<br />

bien colisées et tropicalisées, surtout de 1950 à 1954,<br />

avec 2428 tonnes de matériels sanitaires (15).<br />

La DRS 451 approvisionne le corps expéditionnaire en<br />

médicaments et matériels sanitaires comme les brancards<br />

mais se charge aussi de leur fabrication (ampoules,<br />

pommades, etc.) et de leur réparation. Ce petit groupe<br />

industriel regroupe de 300 à 500 personnes dont sept<br />

pharmaciens et une majorité de personnel local. Durant<br />

dix années, elle produira 186 tonnes de produits galéniques<br />

et 27 millions d’ampoules diverses. Les unités sont<br />

ravitaillées via des dépôts de ravitaillement sanitaires<br />

situés au Viêt Nam, Laos et Cambodge. Le ravitaillement<br />

sanitaire en Indochine fut pour le Service de santé une<br />

mission particulièrement difficile notamment du fait de<br />

la distance avec la métropole (12 000 km). La chaîne de<br />

Insigne de DSR 451 en Indochine.<br />

484 p. burnat


avitaillement malgré ses archaïsmes administratifs<br />

initiaux a su satisfaire en majorité les besoins des troupes<br />

en guerre grâce à un immense effort collectif d’ingéniosité<br />

et d’adaptation notamment de la part des pharmaciens<br />

(15). Ce sera le début du ravitaillement sanitaire moderne<br />

des opérations extérieures.<br />

IX LES PHARMACIENS DES ARMÉES ACTUELS.<br />

L’évolution des besoins des armées en matière de santé et<br />

la baisse des effectifs de pharmaciens ont conduit à une<br />

délimitation des activités pharmaceutiques en cinq<br />

domaines principaux. La Direction des approvisionnements<br />

en produits de santé et les Établissements de<br />

ravitaillement sanitaire ont un rôle déterminant dans les<br />

opérations extérieures où des pharmaciens d’active et de<br />

réserve de toutes origines sont en permanence présents<br />

et efficients. La Pharmacie centrale des armées est un<br />

outil indispensable pour le soutien sanitaire des milliaires<br />

mais aussi au niveau national dans le cadre des risques<br />

spécifiques ou de plans spéciaux. Les biologistes et<br />

les pharmaciens hospitaliers s’adaptent en permanence<br />

aux nouvelles règlementations et aux évolutions<br />

scientifiques. Ces préoccupations sont identiques<br />

dans les différents laboratoires d’analyses environnementales<br />

et toxicologiques. Les chercheurs participent<br />

activement à la prévention, au diagnostic et aux<br />

traitements des risques NRBC. Enfin les activités de<br />

conseils, d’enseignement, d’expertise et de direction sont<br />

aussi des facettes d’un même corps qui se caractérise<br />

par son homogénéité et son interdépendance.<br />

X. CONCLUSION.<br />

Durant plus de trois siècles, les apothicaires du Roy puis<br />

les pharmaciens des armées ont suivi les armées de la<br />

France pour secourir les blessés et les malades sur terre et<br />

sur mer. Actuellement ils ont conservé une grande<br />

partie de leurs activités ancestrales notamment en<br />

préparant, ravitaillant et distribuant les médicaments<br />

et produits de santé indispensables à une médecine<br />

efficiente. Polyvalents et pratiques, ils participent<br />

aussi activement à la protection contre les armes<br />

chimiques et à l’analyse dans les domaines biologiques<br />

ou environnementaux. Malgré leur nombre<br />

réduit et de ce fait sous l’égide d’autorités diverses, ils<br />

se sont montrés tout au long de leur histoire des<br />

humanistes et des scientifiques qui servent souvent<br />

avec modestie, la France et ses armées. L’ultime<br />

conclusion sera laissée à Parmentier, le plus illustre,<br />

bienfaiteur de l’humanité et véritable modèle pour<br />

la pharmacie militaire : « si nous avons adopté la<br />

pharmacie, restons-lui fidèles, ne rougissons pas de<br />

son nom, forçons même par des talents et des vertus<br />

nos collègues les médecins et les chirurgiens, à<br />

abjurer pour toujours la vaine et méprisable dispute<br />

des préséances, à reconnaître que la première place<br />

appartient au plus habile, et qu’on ne doit traiter de<br />

subalternes que la sottise et l’ignorance » (4).<br />

Établissement du ravitaillement sanitaire de Chartres (RAVSAN)<br />

de l’apothicaire au pharmacien des armées<br />

485


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Acker P. De l’apothicaire du Roy au pharmacien chimiste des<br />

armées. Ora édition. 1985.<br />

2. Olier F. Le Service de santé au XVIII e siècle. Vial.jean@free.fr<br />

3. Blaessinger. E. Quelques grandes figures de la pharmacie militaire.<br />

Ed JB Baillière. 1948.<br />

4. Cadet de Gassicourt C.L. Eloge de Parmentier. Société de<br />

pharmacie de Paris. 12 mai 1814.<br />

5. Pluchon P. Histoire des médecins et pharmaciens de la Marine et<br />

des colonies. Édition Privat. 1985.<br />

6. Oulieu S Contribution à l’histoire de la pharmacie : les<br />

pharmaciens de la grande armée. Thèse d’état de docteur en<br />

pharmacie. 5 décembre 1986 ; Lyon I.<br />

7. Pigeard A. Le Service de santé de la révolution au 1 er empire<br />

(1792-1815). Tradition magasine. 2004. Hors série n° 28, 74p.<br />

8. Stupp F. Les carnets de route de Pierre Irénée Jacob, pharmacien<br />

dans la grande armée 1805-1814. Du Roure Ed. 2005. Polignac.<br />

9. Kassel D. Des pharmaciens dans leur siècle, le XIX e . 2002.<br />

http://www.ordre.pharmacien.fr<br />

10. http://www.pasteur.fr/infosci/archives/<br />

11. Reynier L.M. Les pharmaciens-chimistes de la Marine. ASNOM.<br />

2007, 113 : 26-30.<br />

12. Nauroy J. L’évolution de la pharmacie militaire de 1870 à nos<br />

jours. Rev Hist Arm 1972, 28 : 211-20.<br />

13. Lejaille A. La contribution des pharmaciens dans la protection<br />

individuelle contre les gaz de combat durant la Première<br />

Guerre mondiale - Extension à la période 1920-1940. Université<br />

Henry Poincaré, Nancy, 1999. http://pageperso.aol.fr/guerre<br />

desgaz/these/<br />

14. Oudart JL. Les pharmaciens coloniaux. Médecine Trop. 2005, 65 :<br />

263-72.<br />

15. Olier F. Ravitaillement sanitaire en Indochine. Médecine et<br />

armées. 1997, 25, 7 : 601-615.<br />

Fabrication des gélules antipaludiques. PCA Orléans (RAVSAN).<br />

Seringue bi-compartiments fabriquée par la PCA (traitement des intoxications par les organo-phosphorés) (RAVSAN).<br />

486 p. burnat


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LE RÔLE DES VÉTÉRINAIRES DES ARMÉES DANS<br />

L’ÉVOLUTION DE LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE<br />

E. DUMAS, M. FREULON, D. DAVIS, J.-Y. KERVELLA<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Évoquer le rôle des vétérinaires des armées dans un<br />

numéro spécial consacré au tricentenaire du Service de<br />

santé des armées (SSA) pourrait sembler paradoxal. En<br />

effet, le corps des vétérinaires des armées, dont la création<br />

remonte à 1769, n’a pas encore célébré son deux cent<br />

cinquantième anniversaire (1).<br />

De plus, hormis un premier rattachement de courte durée<br />

du Service vétérinaire de l’armée à la Direction générale<br />

du Service de santé militaire de 1944 à 1961, l’intégration<br />

du corps des vétérinaires des armées au SSA ne date que<br />

du 1 er janvier 1978 (2).<br />

Pourtant que de points communs entre le parcours des<br />

vétérinaires et des médecins des armées: la lente progression<br />

dans la hiérarchie militaire, les difficultés pour faire<br />

reconnaître leurs compétences et accéder à l’autonomie<br />

technique, l’important rôle joué dans le développement<br />

des sciences tout au long des trois derniers siècles.<br />

C’est cet apport des vétérinaires militaires aux sciences<br />

vétérinaires que nous allons présenter après un rappel<br />

sur l’histoire des vétérinaires militaires.<br />

II. APERÇU DE L’HISTOIRE DES VÉTÉ-<br />

RINAIRES MILITAIRES.<br />

L’apparition des vétérinaires militaires français a suivi de<br />

près la fondation des premières écoles vétérinaires de<br />

l’époque moderne par Claude Bourgelat, à Lyon en 1761<br />

puis à Alfort en 1765.<br />

C’est en effet en 1769 qu’un ordre du duc de Choiseul,<br />

secrétaire d’état à la guerre, a enjoint à tous les colonels<br />

des régiments de cavalerie de détacher à l’école<br />

vétérinaire d’Alfort un sujet pour y être instruit en l’art<br />

E. DUMAS, vétérinaire en chef, praticien certifié MA/MVHA. M. FREULON,<br />

vétérinaire principal, praticien confirmé MA/MVSA. D. DAVIS, docteur<br />

vétérinaire, docteur en géographie, professeur associé du département de géographie<br />

et environnement de l’université du Texas. J.-Y. KERVELLA, vétérinaire général<br />

inspecteur, praticien certifié TMM/MVHA.<br />

Correspondance : E. DUMAS, DRSSA Brest. Bureau vétérinaire, BP 5, 29240<br />

BREST <strong>Armées</strong>.<br />

vétérinaire. Avant cette date, les soins aux chevaux étaient<br />

assurés dans chaque unité par le maréchal-ferrant jugé le<br />

plus habile. Ce maréchal-ferrant portait alors le titre<br />

de « maréchal expert » et était affecté à l’état-major du<br />

régiment avec le rang de maréchal des logis.<br />

Une ordonnance du 17 avril 1772 a accordé aux élèves<br />

militaires à leur sortie de l’école, la dénomination de<br />

« maréchal expert » avec rang de maréchal des logis et<br />

obligation de servir dans l’armée pendant huit ans.<br />

Ainsi, le suivi de quatre années d’études et l’obtention<br />

après examens du titre de « privilégié du Roi en l’art<br />

vétérinaire » ne s’est pas traduit par une meilleure<br />

position statutaire que celle des maréchaux-ferrants<br />

empiriques. Cette assimilation initiale aux maréchauxferrants<br />

sous-officiers et les préjugés des officiers de<br />

cavalerie ont longtemps rendu difficile la progression<br />

des vétérinaires dans la hiérarchie militaire. Cependant,<br />

les progrès des sciences vétérinaires au XIX e siècle, les<br />

remarquables résultats obtenus dans la conservation des<br />

effectifs équins et les services rendus lors de la conquête<br />

de l’Algérie ont permis aux vétérinaires d’accéder au<br />

statut d’officier en 1852, grâce notamment à l’appui du<br />

Maréchal de Saint-Arnaud (3).<br />

Ils ont ensuite obtenu l’assimilation de leurs grades<br />

à ceux de la hiérarchie militaire générale en 1884, l’accès<br />

aux grades de colonel en 1902 puis de général de<br />

brigade en 1913 (1).<br />

Sur le plan professionnel, c’est le décret du<br />

26 décembre 1876 portant organisation du Service<br />

vétérinaire de l’armée qui a conféré au vétérinaire<br />

la direction de l’infirmerie vétérinaire confiée<br />

auparavant au capitaine instructeur. Sur le plan<br />

fonctionnel, il a fallu attendre 1878 pour voir la création<br />

de dix ressorts vétérinaires, premières structures<br />

territoriales à la tête desquelles sont placés des<br />

vétérinaires chargés de fonctions d’inspection des<br />

services vétérinaires des régiments (4).<br />

Si actuellement, avec un corps de 81 vétérinaires des<br />

armées, les carrières militaires ne concernent plus<br />

qu’une faible proportion de vétérinaires (promotions<br />

de un à quatre vétérinaires des armées pour environ<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 487


Opération chirurgicale dans le bled (Maroc vers 1930) (5).<br />

Contrôle du poisson séché à Saïgon.<br />

450 vétérinaires sortant des écoles vétérinaires<br />

françaises), le Service vétérinaire de l’armée a été,<br />

jusqu’à la mécanisation des armées, une des principales<br />

voies offertes aux vétérinaires. En effet, l’augmentation<br />

des effectifs des armées de la III e République avec le<br />

service militaire obligatoire a entraîné une augmentation<br />

des cadres des vétérinaires militaires de 262 en 1852 à<br />

522 en 1913 (3).<br />

Ainsi, les promotions d’aides vétérinaires stagiaires à<br />

l’École d’application de cavalerie de Saumur ont<br />

compté jusqu’à 40 élèves alors que, chaque année, le<br />

nombre de diplômés des trois écoles vétérinaires<br />

n’excédait pas 140 : environ 60 à 65 à Alfort, 35 à 40<br />

à Lyon et 30 à 35 à Toulouse.<br />

Ainsi Saumur a, en quelque sorte, été de 1854 à 1940, une<br />

quatrième école vétérinaire où les aides vétérinaires<br />

stagiaires effectuaient une année d’application. Nombre<br />

de vétérinaires militaires, professeurs à Saumur tels Vallon,<br />

Aureggio, Jacoulet, Joly ou Marcenac, sont considérés<br />

comme des grands noms de la médecine vétérinaire<br />

équine à l’instar des maîtres des écoles vétérinaires.<br />

Si, au XIX e siècle, en France métropolitaine, les vétérinaires<br />

militaires sont cantonnés aux soins des chevaux et<br />

commencent à intervenir dans l’inspection du bétail et<br />

des viandes destinées à l’armée, l’expansion coloniale<br />

française va leur permettre de démontrer toute l’étendue<br />

de leurs compétences.<br />

488 e. dumas


III. CONTRIBUTION À LA FRANCE<br />

COLONIALE.<br />

Les vétérinaires militaires ont joué un rôle particulièrement<br />

important dans chacune des conquêtes<br />

coloniales françaises : l’Algérie à partir de 1830,<br />

l’Afrique occidentale et équatoriale, la Tunisie (1881),<br />

Madagascar (1896), le Maroc (1907) (5).<br />

Accompagnant les premières troupes engagées dans ces<br />

expéditions pour assurer les soins aux chevaux et mulets<br />

des colonnes, les vétérinaires militaires ont participé à<br />

toutes les missions. Ils ont été, tour à tour, combattants,<br />

officiers de liaison, topographes, chefs de convoi, tout en<br />

continuant à apporter leurs soins aux animaux et bien<br />

souvent aux soldats blessés. Certains se sont brillamment<br />

illustrés lors des multiples combats et accrochages. Parmi<br />

ceux-ci, on peut citer l’aide vétérinaire Hue qui, en 1889,<br />

au combat de Koundian (Soudan français) a sauvé la vie<br />

du sous-lieutenant Marchand, futur héros de Fachoda, en<br />

l’emportant blessé et évanoui hors de la mêlée. Nombre<br />

d’entre eux ont payé de leur vie la constitution de l’empire<br />

colonial français (6).<br />

Au début de la colonisation, l’armée a été la seule<br />

présence française structurée. C’est pourquoi, ce sont<br />

naturellement les vétérinaires qui ont pris en charge le<br />

cheptel local et assuré les soins aux animaux. Grâce à<br />

la mise en place de « consultations indigènes », ils ont<br />

efficacement concouru à l’acceptation de la présence<br />

française par des populations rurales pour lesquelles<br />

l’agriculture et l’élevage étaient les seules richesses.<br />

Fort de leurs succès, les autorités militaires ont ensuite<br />

systématisé ces pratiques. Ainsi, au Maroc, ont été<br />

spécialement constitués des groupes vétérinaires<br />

mobiles, composés d’un vétérinaire, d’un sousofficier<br />

maréchal-ferrant et de quelques hommes<br />

de troupe, chargés d’aller dispenser des soins, de<br />

tribus en tribus dans les territoires en cours de<br />

pacification . Ces groupes ont souvent été les seuls<br />

éléments militaires à pouvoir s’aventurer dans<br />

certaines zones de dissidence (5).<br />

Les vétérinaires militaires ont progressivement<br />

développé des méthodes de police sanitaire pour lutter<br />

contre les enzooties et épizooties affectant le bétail en<br />

prenant en compte, pour plus d’efficacité, les coutumes<br />

locales (7). Par la suite, les premières structures<br />

administratives vétérinaires, service de l’élevage, service<br />

des épizooties ou service de police sanitaire selon les<br />

colonies et les époques, ont toujours été d’abord armées<br />

par des vétérinaires militaires. Elles ont ensuite été<br />

progressivement transférées à l’administration civile et<br />

dirigées par des vétérinaires militaires détachés hors<br />

Groupe vétérinaire mobile de Marrakech (Maroc vers 1930) (5).<br />

le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire<br />

489


cadre au ministère des Colonies, puis par des vétérinaires<br />

civils du corps des vétérinaires des colonies.<br />

Outre la lutte contre les maladies animales, les<br />

vétérinaires militaires ont joué un rôle majeur dans le<br />

développement de l’élevage local en mettant en application<br />

leurs compétences zootechniques. On leur doit<br />

notamment l’amélioration du cheptel ovin du<br />

Maghreb, l’acclimatation d’un grand nombre de<br />

races ovines, bovines et équines françaises, mais aussi<br />

de façon plus anecdotique la création d’une autrucherie<br />

à Meknès (Maroc).<br />

Le cheval, du fait de son importance pour l’armée, reste<br />

une préoccupation essentielle. Grâce à la création de<br />

haras, de jumenteries et d’établissements hippiques où<br />

sont affectés des vétérinaires militaires, le cheval barbe,<br />

résistant et rustique, est amélioré (7).<br />

Le développement de son élevage a permis la remonte<br />

des unités de la cavalerie d’Afrique avec des chevaux<br />

adaptés aux conditions climatiques locales. C’est<br />

notamment l’exploit d’une brigade de cavalerie<br />

d’Afrique, qui a précipité l’effondrement des empires<br />

centraux dans les Balkans par la prise d’Uskub,<br />

aujourd’hui Skopje, le 29 septembre 1918. Grâce à<br />

l’endurance de leurs montures, spahis marocains et<br />

chasseurs d’Afrique montés sur des chevaux barbes<br />

ont traversé en quatre jours et quatre nuits, dans<br />

des conditions extrêmement difficiles, le massif de<br />

Jakoupitza Planina par d’étroits sentiers de montagne.<br />

Ils ont ainsi pu occuper Uskub par surprise et couper la<br />

retraite à la XI e Armée allemande forte de 77 000<br />

hommes qui a été contrainte à la capitulation (8).<br />

IV. L’ŒUVRE DES LABORATOIRES.<br />

Toutes ces actions des vétérinaires militaires ont été<br />

permises et favorisées par la mise en place de laboratoires<br />

vétérinaires militaires. Nous évoquerons ici les plus<br />

importants d’entre eux.<br />

A) LE LABORATOIRE MILITAIRE DE<br />

RECHERCHES VÉTÉRINAIRES.<br />

Le laboratoire militaire de recherches vétérinaires, créé<br />

en 1920 à Paris puis transféré à Alfort en 1932, a été<br />

pendant près de 50 ans le laboratoire vétérinaire militaire<br />

de référence. Il avait pour but, l’étude des maladies infectieuses<br />

et parasitaires des chevaux de l’armée, avec la<br />

recherche de moyens de diagnostic et de traitement de ces<br />

affections et la réalisation des examens bactériologiques et<br />

parasitologiques demandés par les vétérinaires des corps<br />

de troupe. Il servait également de laboratoire d’expertise<br />

en matière d’hygiène des aliments du cheval (9).<br />

Parmi les importants travaux réalisés peuvent être<br />

cités l’étude du diagnostic sérologique de la morve, la<br />

mise au point et la production d’un sérum antigourmeux,<br />

des essais de vaccins contre la lymphangite épizootique,<br />

la réalisation de tests de toxicité et d’efficacité sur<br />

des anthelminthiques.<br />

Les expertises dans le domaine alimentaire ont tenu<br />

une place importante avec notamment des études sur<br />

divers aliments de substitution pour les chevaux (algues,<br />

tourteaux, paille et son mélassés, marc de pommes) et<br />

des recherches sur les intoxications des chevaux par<br />

les mycotoxines (9).<br />

B) LES LABORATOIRES DE RECHERCHE<br />

VÉTÉRINAIRE DES COLONIES.<br />

D’autres laboratoires militaires ont également été créés<br />

dans les colonies et protectorats français : laboratoire<br />

de recherche vétérinaire des troupes d’occupation du<br />

Maroc à Casablanca en 1912, laboratoire de recherche<br />

vétérinaire du Levant à Beyrouth en 1920. Leurs<br />

activités ont été comparables à celles du laboratoire<br />

d’Alfort avec une spécialisation dans les maladies<br />

tropicales locales. Ces laboratoires ont souvent été, dans<br />

un premier temps, les seules structures techniques<br />

présentes sur lesquelles s’appuyaient les services de<br />

l’élevage. Ces structures ont fonctionné à leurs débuts<br />

dans des conditions plus que rudimentaires. Ainsi le<br />

laboratoire de Beyrouth avait, pour tout personnel, outre<br />

le vétérinaire en assurant la direction, un employé civil<br />

et un militaire du train. Il a cependant assuré l’ensemble<br />

des diagnostics bactériologiques, parasitologiques et<br />

anatomopathologiques vétérinaires civils et militaires<br />

pour le Levant (Syrie et Liban) ainsi que les diagnostics<br />

de rage par microscopie et inoculation sur lapins. Ce<br />

laboratoire a aussi entrepris en collaboration avec<br />

l’hôpital militaire de Beyrouth des travaux sur les<br />

bacilles de Yersin et de Malassez et Vignal (10).<br />

Le laboratoire de Casablanca, dirigé de 1913 à 1938 par le<br />

vétérinaire militaire Henri Velu, a eu un rôle essentiel<br />

dans l’approfondissement des connaissances des<br />

maladies infectieuses et parasitaires locales telles la<br />

lymphangite épizootique, l’anémie infectieuse des<br />

équidés, les trypanosomoses et les piroplasmoses (11).<br />

Tous ces laboratoires servaient également de<br />

centres d’instruction spécialisée pour les vétérinaires<br />

nouvellement affectés dans ces territoires et assuraient<br />

la production et la distribution de vaccins et de<br />

sérums pour les animaux, mais aussi pour les hommes<br />

en partenariat avec les structures locales du service<br />

de santé (10, 12).<br />

C) LE LABORATOIRE D’ÉTUDES ET DE<br />

CONTRÔLE DES VIANDES CONSERVÉES<br />

DE L’ARMÉE.<br />

À la fin du XIX e siècle, plusieurs accidents observés<br />

dans les corps de troupe et attribués à la consommation<br />

de conserves ont conduit le ministre de la Guerre à créer<br />

le 1 er février 1899 une commission d’étude. Cette<br />

commission à laquelle a participé le professeur Nocard<br />

a incriminé l’empirisme des fabricants de conserves et<br />

a proposé la mise en place d’études afin d’établir des<br />

techniques scientifiquement raisonnées pouvant servir<br />

de base à une réglementation et à un nouveau cahier des<br />

charges pour les marchés militaires. La commission a<br />

490 e. dumas


aussi préconisé la création d’un laboratoire central<br />

d’examens des substances alimentaires.<br />

C’est ainsi qu’est créé par décision ministérielle du<br />

2 février 1901, le laboratoire d’études et de contrôle des<br />

viandes conservées de l’armée rattaché à l’Inspection<br />

générale de l’intendance (13).<br />

Ce laboratoire est dirigé initialement par le professeur<br />

Blanc, docteur ès sciences physiques, auquel est adjoint le<br />

vétérinaire en premier Dassonville. Ce dernier, futur<br />

vétérinaire général, docteur ès sciences naturelles, s’est<br />

déjà illustré en 1898 par la découverte et l’identification<br />

de Trichophyton equinum (6).<br />

C’est ainsi qu’a commencé l’importante participation<br />

des vétérinaires militaires à l’expertise des denrées<br />

alimentaires et plus particulièrement des conserves dans<br />

les laboratoires de l’intendance. Au départ du professeur<br />

Blanc en 1922, le vétérinaire major Bidault, son adjoint,<br />

prend la direction du laboratoire. Ce poste ne sera ensuite<br />

plus occupé que par des vétérinaires militaires,<br />

notamment Forgeot, Fleuret, Guillot et Lebert (14).<br />

Installé initialement dans les locaux de l’Institut Pasteur<br />

de Paris, le laboratoire est transféré à l’Hôtel des<br />

Invalides en 1908.<br />

L’autorité scientifique du laboratoire fut vite telle que le<br />

ministère de l’Agriculture fit appel à ses compétences<br />

pour réaliser les contrôles du respect des décrets<br />

d’application de la loi du 1 er août 1905 sur la répression<br />

des fraudes. L’accord du 19 juillet 1909 confiant cette<br />

expertise au laboratoire militaire perdure jusqu’en 1924,<br />

date à laquelle ses missions civiles sont confiées au<br />

nouveau laboratoire national de recherches vétérinaires<br />

d’Alfort (13). Cette activité au service de la répression des<br />

fraudes n’a réellement cessé qu’en 1948.<br />

Ainsi, pendant près de quinze ans, c’est un laboratoire<br />

militaire qui a servi de laboratoire national de référence<br />

dans le domaine des conserves.<br />

Les vétérinaires de ce laboratoire, qui a connu<br />

différentes appellations au cours du temps, ont<br />

développé une expertise incontestée et réalisé de<br />

nombreuses études et recherches sur les différents<br />

modes de conservation des aliments.<br />

Les études réalisées étaient motivées par la double<br />

nécessité de rechercher les meilleurs moyens de<br />

conservation des denrées permettant de répondre aux<br />

contraintes logistiques des armées (nécessité de stocks de<br />

longue durée, élongation des voies d’approvisionnement,<br />

conditions climatiques extrêmes) et de garantir la sécurité<br />

et la qualité des aliments destinés aux armées.<br />

Parmi les nombreuses recherches, peuvent être cités:<br />

– l’examen microbiologique et l’étude de la corrosion<br />

des conserves;<br />

– la mise au point d’une technique d’électrosoudure des<br />

fûts des boîtes de conserves afin d’éviter les achats<br />

d’étain, onéreux et difficiles en temps de guerre;<br />

– l’étude de la congélation de viandes désossées découpées<br />

et, plus tard, la surgélation des viandes hachées;<br />

– la conservation des denrées par ionisation, par<br />

utilisation de rayonnements ultraviolets ou par adjonction<br />

d’antibiotiques.<br />

Si certaines méthodes ont été abandonnées, pour<br />

beaucoup d’autres, ce sont les études et les besoins<br />

militaires qui ont permis le développement de technologies<br />

novatrices.<br />

Un autre volet des recherches a été le développement<br />

de moyens de détection des fraudes avec notamment<br />

l’analyse histologique des charcuteries et l’utilisation<br />

de sérums précipitants pour déterminer les espèces<br />

animales entrant dans la composition de produits de<br />

charcuterie (14).<br />

Le Commissariat de l’armée de Terre dispose toujours<br />

de nos jours à Angers d’un laboratoire, dirigé par un<br />

vétérinaire des armées, qui assure notamment le contrôle<br />

et l’expertise des constituants de la ration de combat<br />

individuelle réchauffable.<br />

D) CENTRES ET LABORATOIRES DU<br />

SERVICE BIOLOGIQUE ET VÉTÉRINAIRE<br />

DES ARMÉES.<br />

La courte indépendance du Service biologique et<br />

vétérinaire des armées (SBVA) de 1961 à 1967 a vu la<br />

création de structures éphémères comme le Centre<br />

biologique d’expérimentation de Tarbes, le Centre<br />

d’études et de production biologique de Compiègne,<br />

le Laboratoire d’étude des dauphins de Biarritz, le<br />

Centre de production et de conditionnement d’animaux<br />

d’expérimentation au camp de Souge. Un Centre<br />

de radiodétection et de décontamination a été créé à<br />

Paris dans l’infirmerie vétérinaire de l’École militaire<br />

et a réalisé le premier enseignement militaire de<br />

radiodétection et radioprotection au profit des officiers<br />

d’active et de réserve (1).<br />

V. AUTRES APPORTS À LA MÉDECINE<br />

VÉTÉRINAIRE.<br />

A) DÉVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT<br />

VÉTÉRINAIRE.<br />

Les vétérinaires militaires ont également contribué au<br />

développement de l’enseignement vétérinaire dans le<br />

monde. C’est ainsi qu’ont été créées:<br />

– l’École vétérinaire de Rosette en Égypte en 1828, par les<br />

vétérinaires militaires Pierre Hamont et Auguste Prétot<br />

(Alfort 1824), école qui n’a cependant pas survécu au<br />

départ des vétérinaires français en 1840;<br />

– l’École vétérinaire militaire turque à Constantinople en<br />

1851, par le vétérinaire en premier Dubroca, issu de<br />

l’école vétérinaire de Lyon (15);<br />

– le Service vétérinaire de l’armée péruvienne en 1905,<br />

par le vétérinaire aide major de première classe Bourgueil<br />

(Alfort 1897);<br />

– l’École vétérinaire de l’armée brésilienne par<br />

le vétérinaire major de deuxième classe Marliangeas<br />

(Alfort 1903) et l’aide vétérinaire major de première<br />

classe Dieulouard (Alfort 1909) en 1920 (16).<br />

le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire<br />

491


B) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES ET LA<br />

MORVE.<br />

Le début du XIX e siècle a été marqué par l’affrontement<br />

des partisans de la contagiosité de la morve et de ceux de<br />

sa spontanéité qui attribuaient son apparition aux<br />

mauvaises conditions d’hygiène et d’entretien des<br />

chevaux (17). Si les vétérinaires militaires majoritairement<br />

sortis d’Alfort dont les maîtres étaient de fervents<br />

« spontanéistes » ont longtemps préféré les théories<br />

hygiénistes, ils se sont rangés progressivement parmi<br />

les « contagionnistes », grâce notamment aux travaux<br />

du vétérinaire en premier Gillet (6).<br />

C’est grâce aux expériences de malléination réalisées<br />

entre juin et octobre 1892 à l’annexe de remonte de<br />

Montoire qu’a été démontrée la valeur diagnostique des<br />

injections de malléine. Ces travaux de très grande<br />

ampleur ont été réalisés par une commission présidée par<br />

le général Faverot de Kerbrech adjoint à l’inspecteur<br />

général des remontes et comprenant le docteur Roux de<br />

l’institut Pasteur, le professeur Nocard d’Alfort, quatre<br />

vétérinaires principaux et cinq vétérinaires en premier :<br />

plus de 230 chevaux ont reçu une ou plusieurs injections<br />

de malléine, et 90 animaux ont été abattus et autopsiés.<br />

Ces expériences ont conduit l’armée à préconiser<br />

l’emploi de la malléine comme moyen de diagnostic de la<br />

morve latente, et ont ainsi ouvert la voie à l’éradication<br />

de cette maladie au sein des effectifs équins militaires<br />

puis civils (18).<br />

Statue de Philippe Thomas, place Philippe Thomas à Sfax (Tunisie).<br />

C) LES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES<br />

DÉTACHÉS DANS LES INSTITUTS PASTEUR.<br />

De nombreux vétérinaires militaires ont été détachés<br />

dans les instituts Pasteur d’Outre-mer où ils se sont bien<br />

souvent illustrés:<br />

– R. Wilbert, qui a fondé en 1923 l’institut Pasteur de<br />

Kindia en Guinée dont il a été le premier directeur, a<br />

réalisé de nombreux travaux sur la prévention des<br />

maladies infectieuses des singes africains et a organisé<br />

leur transport vers les centres de recherches français;<br />

– Camille Pesas, premier vétérinaire collaborateur de<br />

Yersin à l’institut antipesteux Nhatrang en 1896,<br />

qui mourra de la peste en 1897 et à qui succéderont<br />

notamment Albert Fraimbault, Charles Carré et Jules Blin<br />

qui travailleront sur la peste bovine et la peste humaine;<br />

– Edmond Plantureux, chef du service de microbiologie<br />

de l’institut Pasteur d’Alger qui a réalisé de nombreux<br />

travaux sur la rage;<br />

– Lucien Balozet, directeur de l’institut Pasteur<br />

de Tunis (19).<br />

VI. UNE DÉCOUVERTE MAJEURE : LES<br />

PHOSPHATES DE CHAUX TUNISIENS.<br />

Une des découvertes scientifiques les plus importantes<br />

par ses conséquences économiques est la découverte des<br />

phosphates de chaux de Tunisie par Philippe Thomas.<br />

Ce vétérinaire militaire, sorti d’Alfort en 1864 et de<br />

Saumur en 1865, a servi jusqu’en 1868 au 1 er Régiment de<br />

cuirassiers à Haguenau avant de partir pour l’Afrique du<br />

Nord où il est resté douze ans. Affecté au 1 er Régiment<br />

de spahis de 1868 à 1875, il a connu de nombreuses<br />

garnisons et participé à plusieurs expéditions dans le<br />

Sahara avant d’être nommé directeur de la ferme-pénitencier<br />

d’Ain El Bay près de Constantine. Il a profité de ses<br />

déplacements et de ses loisirs pour s’adonner à sa passion,<br />

l’archéologie. Ses rencontres avec des archéologues<br />

présents en Algérie, comme Le Mesle et Gaudry, l’ont fait<br />

s’intéresser à la paléontologie (20). C’est ainsi qu’il a<br />

découvert un atelier de silex taillés à Ouargla et un<br />

tumulus paléolithique à Ain Mila. Il a également publié<br />

des travaux sur les bovidés fossiles d’Algérie, et des<br />

recherches stratigraphiques et paléontologiques sur les<br />

formations d’eau douce d’Algérie (21). En 1880, bien<br />

qu’il ait rejoint la métropole avec le 10 e Régiment de<br />

hussards, ses connaissances géologiques de terrain et<br />

sa notoriété lui valent d’être nommé le 1 er décembre 1884,<br />

par le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry,<br />

membre de la commission d’exploration scientifique de<br />

la Tunisie, devenue protectorat français en 1883 (20).<br />

C’est à l’occasion de la première mission d’exploration<br />

géologique de la Tunisie, qu’il a découvert le 18avril1885<br />

près de Metlaoui des marnes et calcaires dont la teneur<br />

en phosphate tricalcique est de l’ordre de 60 %. Dès<br />

confirmation de ce taux de phosphates exceptionnel<br />

par des analyses d’échantillons effectuées à l’École<br />

des mines de Paris, il communique la découverte de ce<br />

gisement à l’Académie des sciences le 7 décembre 1885.<br />

492 e. dumas


Chiens ambulanciers.<br />

La deuxième mission réalisée en 1886 lui a permis de<br />

localiser plusieurs autres gisements de phosphates de<br />

chaux à Gafsa, Djebel-Sehib, Rosfa-Berda, Khecheb-<br />

Art-Souma, Nasser-Allah, Kalaat-es-Senam.<br />

À la suite de l’intervention de l’autorité militaire, qui voit<br />

d’un mauvais œil les congés qu’il doit prendre pour<br />

participer à ces expéditions, Thomas n’a pas pris part<br />

aux missions suivantes qui s’achèvent en 1889.<br />

Il poursuit alors brillamment sa carrière militaire et atteint<br />

le sommet de la hiérarchie vétérinaire. En 1891, il est<br />

nommé vétérinaire principal de 2 e classe, directeur du<br />

8 e ressort vétérinaire à Montpellier, puis est affecté au<br />

ministère de la Guerre, à la section technique du comité de<br />

cavalerie. Il est ensuite promu vétérinaire principal de<br />

1 re classe, directeur du 1 er ressort vétérinaire<br />

(Gouvernement militaire de Paris, 1 er , 2 e et 3 e corps<br />

d’armée) (22).<br />

La découverte de Philippe Thomas eut un retentissement<br />

considérable et fut à l’origine du développement de<br />

l’économie tunisienne. Elle permit à l’agriculture<br />

française qui commençait à se rationaliser de disposer de<br />

la source d’engrais phosphatés dont elle avait besoin<br />

pour ses cultures céréalières.<br />

La première concession minière est exploitée à Gafsa à<br />

partir de 1895. L’exploitation des phosphates conduit à la<br />

construction de deux ports modernes et de trois lignes de<br />

chemins de fer (1000 km) reliant les mines de phosphates<br />

situées à l’intérieur des terres à ces ports. Dès 1908, la<br />

Tunisie exporte 1360000 tonnes de phosphates par an. Le<br />

pays exporte de nos jours 8400000 tonnes de phosphates<br />

chaque année. On peut considérer que la Tunisie doit une<br />

grande part de son essor économique à la découverte de<br />

Thomas, car les infrastructures ferroviaires et portuaires<br />

créées pour l’exportation des phosphates permirent, dès<br />

le début du XX e siècle, l’exploitation d’autres ressources<br />

minières secondaires comme le zinc, le plomb et le cuivre<br />

ainsi que le développement d’une production agricole<br />

destinée à l’exportation.<br />

On doit également à Philippe Thomas la première<br />

découverte et description d’un crocodilien préhistorique<br />

qu’il baptisa Crocodilus phosphaticus. Aujourd’hui<br />

classé dans la famille des Dyrosauridae, il est dénommé<br />

Dyrosaurus phosphaticus Thomas.<br />

Admis à la retraite en 1901, Philippe Thomas est décédé<br />

en 1910 alors qu’il achevait le troisième tome de son<br />

« Essai d’une description géologique de la Tunisie ».<br />

Se considérant en service commandé lors de ses missions<br />

d’exploration géologique, il n’a jamais cherché à retirer<br />

un quelconque bénéfice personnel de ses découvertes.<br />

Il a, au contraire, donné dans toutes ses communications,<br />

les indications les plus précises pour permettre<br />

l’exploitation des gisements.<br />

Ce n’est que tardivement, quand l’exploitation<br />

des phosphates a atteint son plein rendement que le<br />

le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire<br />

493


Chien sanitaire.<br />

gouvernement du protectorat de Tunisie a récompensé<br />

Philippe Thomas en le nommant grand cordon de<br />

1 re classe de l’ordre du Nicham Iftikhar et en lui accordant<br />

en 1908 une pension annuelle de 6000 francs. Les divers<br />

impôts et redevances liés à l’exploitation des phosphates<br />

rapportaient alors plus de 10 millions de francs par an au<br />

trésor tunisien (20).<br />

Philippe Thomas a alors écrit: « Je serais surtout heureux<br />

si ce nouvel honneur qui va m’être conféré pouvait<br />

rejaillir sur le Corps des vétérinaires militaires,<br />

auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir, car je ne<br />

saurais oublier que, si cet acte de justice m’est enfin<br />

rendu, je le dois beaucoup à la si juste considération<br />

dont jouissent en Tunisie les vétérinaires militaires, ces<br />

chers et bons camarades, qui ont tout fait pour y honorer<br />

mon souvenir. » (22).<br />

Il serait d’ailleurs injuste de laisser à penser que Philippe<br />

Thomas était un géologue égaré dans une carrière de<br />

vétérinaire militaire. Ses travaux scientifiques dans le<br />

domaine vétérinaire ont aussi fait autorité. Ainsi, son<br />

rapport médical sur le « Bou Frida », péripneumonie<br />

exsudative d’allure épizootique affectant les chèvres<br />

d’Algérie, a été repris par Leclainche et Nocard dans la<br />

première édition de leur ouvrage «Maladies contagieuses».<br />

Ses études sur la pasteurellose et la paraplégie infectieuse<br />

du cheval ont servi également de référence au célèbre<br />

livre « maladies du cheval de troupe » de Joly (20, 22).<br />

La statue de Thomas, érigée sur une des principales places<br />

de Sfax, rebaptisée place Philippe Thomas après sa mort,<br />

a été ramenée en France lors de l’accession de la Tunisie<br />

à l’indépendance en 1957. Cette statue, longtemps<br />

conservée dans les locaux de l’Inspection technique<br />

des services vétérinaires et biologiques des armées<br />

(ITSVBA) est exposée dans le hall de l’École du Service<br />

de santé des armées de Lyon-Bron depuis le transfert de<br />

l’ITSVBA de Lyon à Paris.<br />

VII. DÉVELOPPEMENT DE LA CYNOTECHNIE<br />

MODERNE.<br />

Le temps qui passe tend à faire oublier le rôle<br />

majeur qu’ont joué les vétérinaires militaires dans le<br />

développement de la cynotechnie militaire.<br />

La Première Guerre mondiale a été le premier conflit où<br />

les chiens ont été significativement utilisés avec l’emploi<br />

de chiens sanitaires pour la localisation des blessés, de<br />

chiens porteurs, estafettes ou sentinelles. Les vétérinaires<br />

ont alors uniquement été employés aux soins de ces<br />

animaux (23).<br />

L’effondrement de l’armée française en juin 1940 n’a<br />

pas permis un nouvel essor de la cynotechnie tombée<br />

en désuétude entre les deux guerres. Par contre, les<br />

guerres de décolonisation ont rapidement mis<br />

en évidence l’intérêt des chiens militaires dans les<br />

opérations de contre-guérilla.<br />

Malgré leur rattachement au Service de santé militaire<br />

entre 1944 et 1961, c’est aux vétérinaires militaires que<br />

l’on a confié, à partir de 1948, la sélection, le dressage et<br />

l’emploi des chiens de guerre.<br />

494 e. dumas


A) CYNOTECHNIE EN INDOCHINE.<br />

Après des débuts difficiles liés à la dispersion et à<br />

l’isolement des équipes cynophiles au sein des unités, le<br />

service vétérinaire a formé, à partir de 1951, des<br />

commandos cynophiles opérationnels.<br />

Ces commandos étaient formés de neuf hommes armés de<br />

pistolets mitrailleurs, un gradé cynophile et huit hommes<br />

du rang avec leurs chiens. Au nombre de quatre, six puis dix<br />

en janvier 1954, ces commandos, dirigés par trois<br />

vétérinaires officiers cynotechniciens, étaient employés<br />

en unités constituées, généralement en appui d’une compagnie<br />

d’infanterie. Ils ont obtenu des résultats remarquables<br />

dans la détection des embuscades lors des missions<br />

d’ouverture de route ou de piste, dans la recherche et la<br />

poursuite de l’ennemi et dans les fouilles d’agglomération.<br />

En 1954, trois cynocommandos de déminage ont<br />

également été envoyés des forces françaises en Allemagne<br />

mais leurs résultats ont été décevants : la longueur des<br />

pistes à ouvrir et la faible densité des mines et pièges<br />

associées à des conditions climatiques éprouvantes ont<br />

souvent découragé les animaux (24).<br />

B) CYNOTECHNIE EN ALGÉRIE.<br />

La guerre d’Algérie a vu un développement très important<br />

de l’emploi des chiens. Ainsi les effectifs canins sont<br />

passés de 160 en 1955 à 900 en 1957 pour culminer entre<br />

1 900 et 2 000 à partir de 1958. Les chiens nécessaires à<br />

cette montée en puissance étaient achetés et débourrés en<br />

Allemagne par le 10 e groupe vétérinaire (GV) de Linx et<br />

en France par le 24 e GV de Suippes. Les chiens étaient<br />

dressés et acclimatés en Algérie par trois groupes<br />

vétérinaires (31 e GV de Mostaganem, 32 e GV de Saint-<br />

Arnaud et 33 e puis 541 e GV de Blida) qui assuraient<br />

également la formation des maîtres-chiens. Les équipes<br />

étaient ensuite employées au sein de 90 à 100 pelotons<br />

cynophiles qui comportaient quinze à vingt chiens.<br />

Les trois quarts de ces pelotons étaient commandés par<br />

des vétérinaires aspirants (25). Les chiens éclaireurs<br />

Clinique vétérinaire du 32 e bataillon cynophile de l’armée de Terre, Suippes<br />

2006 (Copyright O. Merlin).<br />

utilisés pour des missions de patrouille, de ratissage et de<br />

bouclage ont montré leur intérêt. Les chiens pisteurs ont<br />

été efficacement utilisés à la suite de sabotage, d’évasion,<br />

d’embuscade ou le long des lignes Péron et Morice pour<br />

détecter les infiltrations. Enfin des chiens de grotte ont<br />

été spécifiquement dressés pour débusquer l’adversaire<br />

dans les grottes. Les résultats des chiens de déminage ont<br />

été satisfaisants, mais la longueur des voies ferrées<br />

sur lesquelles ils étaient employés et la lenteur du travail<br />

limitaient leur efficacité (26).<br />

C) BILAN DE LA PARTICIPATION<br />

VÉTÉRINAIRE À LA CYNOTECHNIE.<br />

Les vétérinaires des armées ont ainsi mis en place les<br />

bases de la cynotechnie militaire moderne en France. Ils<br />

ont développé des techniques raisonnées de dressage des<br />

chiens prenant en compte le comportement canin.<br />

Parallèlement à cette implication directe dans l’emploi<br />

opérationnel des chiens, les vétérinaires des armées,<br />

traditionnellement hippiatres, se sont orientés vers la<br />

médecine vétérinaire canine. De nombreux travaux<br />

scientifiques ont été réalisés par les vétérinaires des GV,<br />

orientés autant vers l’optimisation de l’emploi des<br />

chiens avec des recherches sur l’olfaction que vers les<br />

principales affections touchant les chiens militaires<br />

comme la dysplasie coxo-fémorale.<br />

Les vétérinaires des armées ont abandonné les activités<br />

cynotechniques lors du deuxième rattachement du corps<br />

au Service de santé des armées. Le 1 er juillet 1977, le<br />

24 e GV de Suippes a été dissous et ses installations et<br />

activités ont été reprises par le 132e groupe cynophile de<br />

l’armée de Terre.<br />

VIII. CONCLUSION.<br />

Ce court exposé a permis d’esquisser le rôle, non<br />

négligeable, des vétérinaires militaires à « la vétérinaire »<br />

comme nos grands anciens aimaient à appeler les<br />

sciences vétérinaires.<br />

Pour répondre aux besoins des armées, les vétérinaires<br />

militaires ont souvent été des précurseurs dans de<br />

nombreux domaines que ce soit la santé des animaux,<br />

leur emploi ou l’hygiène des aliments. Malheureusement,<br />

les noms des plus illustres de nos anciens que ce<br />

soit Thomas, Vallon ou Aureggio n’ont pas été retenus par<br />

la postérité comme Larrey, Parmentier ou Laverant.<br />

La citation accompagnant l’attribution de la croix de la<br />

légion d’honneur aux Écoles nationales vétérinaires<br />

(décret du 27 mai 1939) illustre parfaitement l’action des<br />

vétérinaires militaires: « Établissements d’enseignement<br />

réputés, ont rendu des services très appréciés au pays en<br />

lui donnant des techniciens instruits qui ont apporté leur<br />

précieux concours au développement de l’élevage et à la<br />

conservation du cheptel animal métropolitain et colonial,<br />

ainsi qu’à la défense nationale et à l’œuvre colonisatrice<br />

et civilisatrice de la France. Ont contribué en outre grâce<br />

aux travaux de leurs maîtres et de tous les chercheurs<br />

formés à leurs disciplines à accroître le patrimoine et le<br />

prestige de la science française. » (27).<br />

le rôle des vétérinaires des armées dans l’évolution de la médecine vétérinaire<br />

495


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Milhaud C. Schéma général de l’histoire des vétérinaires militaires<br />

français. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. Sci. Vét. 2003 ; 2 (1) : 47-61.<br />

2. Décret N° 77-177 du 18 février 1977 relatif aux vétérinaires<br />

biologistes des armées et modifiant le décret N° 74-515 du 17 mai<br />

1974 portant statut particulier des médecins des armées et des<br />

pharmaciens chimistes des armées. Journal officiel de la<br />

République française du 3 mars 1977 : 1178-82.<br />

3. Bocquet H, Devautour J. Historique du service vétérinaire de<br />

l’armée. Revue vétérinaire militaire 1947 ; 2 (4) : 293-305.<br />

4. Chomel C. Du corps vétérinaire militaire en France. Paris : Asselin<br />

et Houzeau ; 1887.<br />

5. Davis DK. Prescribing progress: French Veterinary Medicine in<br />

the service of Empire. Veterinary Heritage 2006 ; 29 (1) : 1-7.<br />

6. Vivien L. Les vétérinaires militaires français. Leur histoire. Leur<br />

œuvre. Bull. Acad. Vet. Fra. 1936 (9) : 494-522.<br />

7. Roux H. Les vétérinaires au Maroc (1907-1961). Rev. Serv. Biol.<br />

Vét. Arm. 1963 ; 16 (3) : 83-7.<br />

8. Lahaie O. L’offensive finale de l’armée française d’Orient. 14-18<br />

Le magazine de la grande guerre 2004 ; 23 : 8-17.<br />

9. Brocq-Rousseu D. Rapport d’ensemble sur les travaux poursuivis<br />

au laboratoire militaire de recherches vétérinaires depuis sa<br />

fondation. Rev. Vét. Mil. 1923 ; 7 (2) : 137-50.<br />

10. Chaillot L. Rapport d’ensemble sur le fonctionnement du<br />

laboratoire de recherches vétérinaires des troupes du Levant au<br />

cours de l’année 1931. Rev. Vét. Mil. 1932 ; 16 (1) : 100-6.<br />

11. Milhaud C, Coll J-L. Henri Velu (1887-1973) pionnier de la<br />

médecine vétérinaire au Maroc : une introduction. Bull. Soc. Fr.<br />

Hist. Méd. Sci. Vét. 2005 ; 4 (1) : 104-18.<br />

12. Velu H, Bigot A. Rapport sur le fonctionnement du laboratoire de<br />

recherches vétérinaires des troupes d’occupation du Maroc. Rev.<br />

Vét. Mil. 1927 ; 11 (2) : 186-93.<br />

13. Forgeot D. Le laboratoire de microbiologie alimentaire de<br />

l’inspection générale des subsistances militaires. Rev. Vét. Mil.<br />

1931 ; 15 (4) : 500-6.<br />

14. Lebert F, Acker P. Historique des laboratoires des subsistances et<br />

leur rôle en matière de contrôle de la qualité, de la sécurité et de la<br />

conservation des denrées alimentaires. Conférence réalisée à<br />

l’école supérieure de l’intendance le 29 avril 1968.<br />

15. Railliet A, Moulé L. Histoire de l’école d’Alfort. Paris : Asselin et<br />

Houzeau ; 1908.<br />

16. Marliangeas L. L’œuvre du service vétérinaire de la mission<br />

militaire française au Brésil. Rev. Vét. Mil. 1931 ; 15 (2) : 273-83.<br />

17. Rouppert P. La morve, histoire d’une polémique. Bull. Soc. Vét.<br />

Prat. de France 2000 ; 84 (5) : 289-93.<br />

18. Humbert E. Rapport sur les expériences faites à Montoire pour<br />

établir la valeur de la malléine au point de vue de la révélation de<br />

la morve. J. Méd. Vét. Zoot. 1893 ; 45 (3) : 180-91<br />

19. Dedet J-P. Les instituts Pasteur d’outre-mer. Cent vingt ans de<br />

microbiologie française dans le monde. Paris : L’Harmattan ; 2000.<br />

20. Falzone N. Philippe Thomas : une vie de vétérinaire militaire et<br />

une découverte, les phosphates de chaux tunisiens. Lyon : Th.<br />

Méd. Vét. ; 1991 : 99.<br />

21. Hantz C. Philippe Thomas (1843-1910), vétérinaire militaire,<br />

inventeur des phosphates d’Afrique du Nord. Rev. Corps Vét.<br />

Arm. 1958 ; 13 (1) : 2-6.<br />

22. Cadéac C. Un soldat et un savant : le vétérinaire principal Philippe<br />

Thomas. J. Méd. Vét. Zoot. 1910 ; 61 (2) : 124-8.<br />

23. Dumas E. French veterinary support during the first world war.<br />

Communication au 35 th International Congress on the History of<br />

Veterinary Medicine à Turin, (Italie) le 9 septembre 2004.<br />

24. Pasquini M. Le Service vétérinaire dans la guerre d’indochine.<br />

Rev. Corps Vét. Arm. 1955 ; 10 (2) : 52-65.<br />

25. Courrèges P. Activité cynophile en Algérie (1955-1962) : synthèse<br />

et enseignements. Rev. Sce. Bio. Vét. Arm. 1965 ; 18 (1) : 3-14.<br />

26. Noulens Th. L’utilisation des chiens militaires pendant la guerre<br />

d’Algérie. Revue Historique des armées 2002 ; 229 (4) : 37-49.<br />

27. Collectif. Vétérinaires de France – édition du bicentenaire. Paris :<br />

SPEI ; 1965.<br />

Échographie, Clinique vétérinaire du 32 e bataillon cynophile de l’armée de Terre,<br />

Suippes 2006 (Copyright O. Merlin).<br />

496


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

PARAMÉDICAUX DANS LES ARMÉES.<br />

TROIS SIÈCLES POUR PARVENIR AU STATUT DES<br />

MILITAIRES INFIRMIERS TECHNICIENS DES HÔPITAUX<br />

DES ARMÉES (1708-2008)<br />

F. OLIER<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Il serait présomptueux de faire remonter la présence<br />

de l’infirmier dans les armées, ancêtre du moderne<br />

« paramédical » à l’édit de janvier 1708 donné comme<br />

l’acte de naissance du Service de santé militaire. Vous<br />

n’en trouverez pas trace dans cet acte régalien. À cette<br />

époque il appartient à un univers parallèle du travail qu’il<br />

est inutile de codifier; celui des goujats, servants et autres<br />

domestiques laïcs qui n’ont d’existence dans la société<br />

qu’au travers de leurs maîtres barbiers puis chirurgiens.<br />

Le champ d’investigation de notre sujet est vaste ; aussi<br />

nous nous limiterons à accompagner cet auxiliaire, ce<br />

paramédical – du grec para, « à côté de » – dans son long<br />

cheminement tant « statutaire » que professionnel aux<br />

côtés des praticiens des armées.<br />

dont on se méfiait. Ce n’est que tardivement dans un<br />

siècle dont les lumières vacillaient que l’ordonnance<br />

du 2 mai 1781 attribua aux infirmiers quelques menus<br />

II. AUX ORIGINES (1708-1845).<br />

Au XVIII e siècle, des hôpitaux militaires permanents<br />

s’implantèrent dans les places de guerre au sein desquels<br />

s’organisèrent des embryons de services sanitaires autour<br />

d’un médecin, d’un chirurgien-major et de leurs aides<br />

appointés par le Roi. Le service subalterne des soins du<br />

corps était alors confié à des élèves chirurgiens, plus<br />

apprentis qu’infirmiers et bien souvent parents des<br />

titulaires des charges, tant au service de Terre qu’à celui<br />

de la Marine. Il ne restait à nos « servants domestiques »<br />

que les corvées de propreté, de vide-pots et le portage de<br />

la nourriture. Il fallut attendre les ordonnances du milieu<br />

du XVIII e siècle (règlement du 1 er janvier 1747) pour que<br />

les bureaux de la Guerre tentent d’attacher au service<br />

des hôpitaux militaires cette population domestique, ces<br />

« infirmiers » dont l’encadrement fut confié à des<br />

congrégations religieuses hospitalières jugées plus aptes,<br />

selon les mœurs du temps, à régenter cette population<br />

F. OLIER, major.<br />

Correspondance : F. OLIER, major, Hôpital d’instruction des armées Bégin,<br />

69 avenue de Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex.<br />

Despotats.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 497


avantages en échange « de longs services » dont le plus<br />

significatif fut l’octroi d’une pension de retraite (1). Cette<br />

mesure ne touchait qu’une « élite » de sujets sédentarisés,<br />

fixés dans des ressorts géographiques bien limités<br />

(Alsace, Hainaut, Trois Évêchés) ou totalement isolés<br />

(places fortes des Pyrénées, des Alpes ou de Bretagne).<br />

Les campagnes de la Révolution et de l’Empire<br />

conduisirent à une nouvelle définition de « l’infirmier ».<br />

Alors qu’au fil du XVIII e siècle on le trouvait attaché<br />

dans les hôpitaux à des emplois ancillaires, à la fin<br />

du siècle apparut un nouveau modèle d’infirmier : le<br />

« soldat d’ambulance » (2), appartenant aux troupes<br />

d’administration assujetties à l’Intendance militaire. Ce<br />

soldat d’ambulance était né de la volonté des chirurgiens<br />

en chef Dominique Larrey et François Percy d’avoir<br />

« à leur main » les auxiliaires pour le service de leurs<br />

ambulances volantes qui suivaient « au plus près » les<br />

armées républicaines puis impériales. Associés aux<br />

soldats du train des équipages, organisés en compagnies,<br />

ils s’occupaient plus de brancardage, de garde et de la<br />

protection des convois d’évacuation que des soins qui<br />

restaient l’apanage exclusif des chirurgiens en sousordre.<br />

Les compagnies d’ambulance de l’Empire<br />

furent une réalité militaire assez bien comprise de leurs<br />

contemporains mais un réel fiasco concernant le service<br />

infirmier qui fut jugé notoirement calamiteux.<br />

Cette longue période de guerre posa irrémédiablement,<br />

en France, pour le XIX e siècle le problème de la dualité de<br />

l’exercice infirmier aux armées, partagé entre service<br />

militaire et service de soins. Le premier conduisait à<br />

renouveler l’organisation des compagnies d’infirmiers<br />

de l’Empire intégrées dans un bataillon d’ouvriers<br />

d’administration, accessoires de la logistique sanitaire<br />

des expéditions militaires de la Restauration (Espagne,<br />

1823) et de la Monarchie de Juillet (Algérie, 1830) ; le<br />

second admettait au service, un corps d’infirmiers dits<br />

« entretenus » dédié au service hospitalier. L’expédition<br />

d’Alger et les besoins de la Colonisation (1830-1870)<br />

imposèrent dans les hôpitaux des effectifs considérables<br />

d’infirmiers. À compter du 1 er juillet 1834 ces derniers<br />

furent enlevés des cadres du bataillon d’ouvriers<br />

d’administration et répartis en détachements autonomes<br />

dans les hôpitaux militaires de France et d’Algérie.<br />

Jusqu’au Second Empire ces soldats infirmiers<br />

totalement inféodés à l’Intendance militaire transformèrent<br />

les hôpitaux en de véritables casernes où l’exercice<br />

militaire confié à des officiers d’administration des<br />

hôpitaux primait sur le service des soins. (3)<br />

III. LE PARAMÉDICAL DANS LES ARMÉES.<br />

A) MILITAIRES ET « INFIRMIERS D’ÉLITE »<br />

(1845-1908).<br />

1. Entre infirmiers et galériens (1845-1853).<br />

Les membres du Conseil de santé constataient lors de<br />

leurs missions d’inspection médicale en métropole et en<br />

Algérie l’étendue du déficit d’instruction hospitalière des<br />

infirmiers. Les prescriptions paramédicales – telles que<br />

nous les comprenons aujourd’hui – se limitaient, en 1840,<br />

aux lotions, frictions, embrocations. L’essentiel des<br />

actes simples était exclu de ce service, y compris les<br />

pansements, confiés aux chirurgiens sous-aides. En ce<br />

Illustration « Despotats ».<br />

498 f. olier


de celui des troupes d’administration de l’armée de Terre.<br />

Ce corps qui comprenait quatre infirmiers-chefs<br />

(maîtres), 58 infirmiers-majors (pour moitié de secondsmaîtres<br />

et par moitié de quartiers-maîtres), plus 250<br />

infirmiers ordinaires (matelots), engagés par contrat<br />

de sept ans, allait s’imposer tant au service à la mer qu’à<br />

celui de terre. La qualité de leur recrutement, leur<br />

professionnalisme dans les salles allait servir de modèle<br />

pour l’élaboration de l’instruction technique hospitalière<br />

que l’armée de Terre adoptera en 1860. (4)<br />

Italie, février 1944, infirmière.<br />

milieu de siècle le service hospitalier des infirmiers<br />

restait dévalorisé, par opposition au service dans les<br />

bureaux, plus susceptible d’avancement et de reconnaissance.<br />

La diffusion, en 1845, d’un Manuel de l’infirmier<br />

militaire ne régla pas le problème du déficit d’instruction<br />

hospitalière, d’autant – et les inspections médicales<br />

ultérieures (1842-1850) le confirmèrent – que les<br />

officiers d’administration, commandants les infirmiers<br />

dans les hôpitaux, ignoraient volontairement les<br />

directives techniques du Conseil de santé et continuaient<br />

d’affecter au service des soins le rebut des détachements.<br />

Une réforme en profondeur s’imposait.<br />

À la veille de la Guerre de Crimée, la Marine, elle aussi se<br />

trouvait confrontée à la réforme de son service infirmier<br />

et cherchait à s’affranchir de la tutelle du Commissariat.<br />

Cette situation impose un retour en arrière : Depuis le<br />

XVII e siècle les congrégations religieuses servaient dans<br />

les hôpitaux de la Marine. À la Révolution les congrégations<br />

furent chassées des hôpitaux ; les religieuses qui le<br />

souhaitaient, pouvaient cependant continuer d’y servir<br />

sous l’habit laïc, concurremment avec des « hommes<br />

libres » recrutés dans les « dernières couches de la<br />

société ». Toutefois, depuis le milieu du XVIII e siècle, la<br />

Marine profitait d’une ressource qui lui était propre, celle<br />

des bagnards employés au service des salles comme<br />

infirmiers. Cette population mieux reconnue paradoxalement<br />

que celle des hommes libres, sous les aspects « de la<br />

moralité (sic), de l’esprit d’ordre, de la conduite et de la<br />

tempérance » et du point de vue économique détenait<br />

l’exclusivité du service infirmier dans les hôpitaux de la<br />

Marine. La transportation des bagnards en Guyane, à<br />

compter du 23 mars 1852, tarit cette main-d’œuvre quasi<br />

gratuite. De l’ancien système il ne subsista bientôt que les<br />

congrégations chargées de l’économie intérieure des<br />

établissements. L’insuffisance numérique des religieuses<br />

et le coût contractuel du prix de journée qui ne pouvait<br />

qu’évoluer vers un tarif prohibitif depuis le départ des<br />

bagnards, obligèrent la Marine à se constituer, le<br />

19mars1853, un corps d’infirmiers, calqué sur le modèle<br />

2. Un auxiliaire reconnu : l’infirmier « d’élite »<br />

(1853-1860).<br />

À l’instar de la Marine, la création d’un nouveau<br />

corps d’infirmiers éduqués est à rattacher à la disparition<br />

d’une ressource en personnel dans l’armée de Terre,<br />

celle des chirurgiens sous-aides, officiers subalternes,<br />

« auxiliaires modestes, gens de dévouement et sans<br />

ambition » requis pour la durée de la guerre ou en période<br />

de crise d’effectifs et licenciés à la paix. Cette population<br />

besogneuse bloquée dans ce grade avait été à la pointe des<br />

mouvements insurrectionnels survenus, en 1848, à Paris<br />

et au Val-de-Grâce (rébellion, séquestration de membres<br />

du Conseil de santé, etc.) À la chute de la II e République<br />

survînt l’heure des comptes : la suppression de ce grade<br />

et la mise en extinction progressive des emplois de<br />

sous-aides (23 août 1852) jugés trop frondeurs, trop<br />

républicains.<br />

Le deuxième facteur qui conduisit à l’émergence<br />

d’infirmiers professionnels fut le retour d’expérience<br />

des campagnes militaires du Second Empire. Des<br />

applications heureuses avaient été réalisées lors de la<br />

campagne de Crimée (1854-1856) pour compenser les<br />

lourdes pertes en personnels sous-aides. Ainsi s’était<br />

constitué sur le théâtre d’opérations un corps provisoire<br />

d’infirmiers « spécialisés », les « soldats panseurs » en<br />

charge de la « tenue des cahiers de visite et du renouvellement<br />

des pansements simples (...) ». Le médecin<br />

inspecteur Lucien Baudens (1804-1857) qui avait,<br />

en Crimée, apprécié leurs services, leur prédisait un<br />

grand avenir dans le remplacement des sous-aides, « ces<br />

auxiliaires médiocres du corps de santé militaire » qui<br />

l’avaient copieusement hué pendant les évènements de<br />

1848. (5) Parallèlement à ces recherches d’auxiliaires<br />

qualifiés il faut noter l’expérience britannique en Crimée<br />

d’emploi dans les hôpitaux de « dames infirmières »<br />

conduites par Florence Nightingale (1820-1910) dont<br />

Baudens se fit l’écho et la prise de conscience d’Henri<br />

Dunant (1828-1910) fondateur de la Croix-Rouge, face<br />

à la situation désastreuse des blessés franco-piémontais<br />

et autrichiens abandonnés sans soins lors de la guerre<br />

d’Italie (1859).<br />

Il reviendra à Michel Lévy (1809-1872), directeur de<br />

l’école du Val-de-Grâce d’effectuer la synthèse de ces<br />

expériences. Le développement d’un concept infirmier<br />

avait fait son chemin : créer un corps d’infirmiers<br />

militaires susceptible d’effectuer des besognes<br />

secondaires en vue d’alléger le travail d’officiers de santé,<br />

paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)<br />

499


docteurs en médecine. À cette fin, il organisa, au Val-de-<br />

Grâce, un stage de deux mois, dont un de théorie, où furent<br />

accueillis 50 infirmiers (sous-officiers et soldats) choisis<br />

parmi les plus « lettrés ». Une formation théorique et<br />

pratique devait conduire à former des infirmiers, appelés<br />

«d’élite» puis de «visite», aptes à la rédaction des relevés<br />

journaliers de prescriptions, à la réalisation des<br />

pansements et au « détail » de petite chirurgie. À la sortie<br />

du Val-de-Grâce ces infirmiers étaient répartis entre les<br />

hôpitaux à raison de trois infirmiers de visite par médecin<br />

traitant. La réussite de ce stage ne devait plus se démentir<br />

et les sujets « dressés » furent réclamés à grands cris par<br />

tous les médecins-chefs d’hôpitaux. Cette initiative<br />

limitée fut rapidement réglementée et fit l’objet d’une<br />

instruction ministérielle du 3 janvier 1860. Pour les<br />

distinguer et reconnaître leur fonction, ils recevaient une<br />

haute-paie journalière dès leur affectation en milieu<br />

hospitalier; ils étaient exempts de corvées, de travaux de<br />

force et de propreté; recevaient en alimentation la portion<br />

entière des malades et non l’ordinaire. Et, suprême<br />

distinction, à l’instar des anciens sous-aides, ils portaient<br />

le caducée sur le collet en velours de leur uniforme et<br />

se voyaient doter à titre personnel d’une trousse<br />

réglementaire en mouton maroquiné. Cette «révolution»<br />

ne se fit pas sans une certaine réticence du milieu médical<br />

qui voyait dans les infirmiers de visite « une pépinière de<br />

quasi-médicastres destinés à infecter tôt ou tard la société<br />

civile et à répandre dans nos campagnes une nouvelle<br />

catégorie de charlatans. » (6)<br />

3. De la « bonne sœur » à la « bonne dame »<br />

(1860-1908).<br />

Nous avons laissé les infirmiers en 1834, encasernés<br />

dans les hôpitaux militaires de métropole et d’Algérie.<br />

À compter du 17 septembre 1863 les détachements<br />

autonomes des hôpitaux furent regroupés en sections<br />

d’infirmiers militaires (SIM). Cette transformation<br />

allait entretenir jusqu’au lendemain de la Seconde<br />

Guerre mondiale l’appellation générique « d’infirmier<br />

militaire » qui regroupait quantité de professions<br />

tant administratives, techniques que paramédicales.<br />

Le nouveau corps se composait de trois classes : les<br />

infirmiers aux écritures, les infirmiers de visite (de 1860),<br />

les infirmiers d’exploitation du service général.<br />

Seuls, ceux de visite recevaient une formation<br />

professionnelle au lit des malades. Cette formation<br />

initiée au Val-de-Grâce fut étendue, dès 1867, aux<br />

autres hôpitaux militaires. Ainsi l’opportunité d’ouvrir<br />

une « école » spécialisée, unité de lieu et d’enseignement<br />

s’évaporait dans la chute de l’Empire. Sous la<br />

III e République l’ensemble du corpus réglementaire<br />

concernant les infirmiers fut maintenu. Seules des<br />

modifications de détail sur le recrutement furent<br />

apportées essentiellement liées aux modalités de<br />

recrutement de la nouvelle armée républicaine (service<br />

militaire de trois, de deux puis d’un an). Ce système<br />

induisait un important renouvellement des infirmiers de<br />

visite du contingent dont l’éducation hospitalière ne<br />

pouvait avoir la valeur des infirmiers de 1860, soldats<br />

susceptibles de servir de trois à sept années. La qualité<br />

cédait le pas à la quantité.<br />

Alors que le Service de santé militaire laissait se déliter<br />

son corps d’infirmiers spécialisés, la société civile voyait,<br />

quant à elle, se développer le concept moderne de «gardemalade<br />

» formé sur les principes hérités du « système<br />

Nightingale » dans des écoles de formation (Croix-<br />

Rouge, Assistance Publique) dédiées à ce modèle<br />

anglo-saxon de « nursing », acquises aux pratiques<br />

modernes de l’asepsie et de l’antisepsie. Par ailleurs, les<br />

lois sur la laïcité de 1905 avaient chassé des hôpitaux<br />

militaires et maritimes les congrégations religieuses<br />

confortées sous le Second Empire. Un fort courant<br />

d’opinion travaillé par la presse poussait dans le sens de<br />

l’introduction de « dames infirmières » bénévoles dans<br />

les armées ; ces dames pourraient fort bien se substituer<br />

aux religieuses et apporter dans les hôpitaux « toute leur<br />

féminité bienveillante » et la valeur de leur formation<br />

acquise au sein d’écoles d’infirmières. (7)<br />

B) MILITAIRES ET « SOIGNANTS CIVILS »<br />

(1909-1946).<br />

1. De la « religieuse laïque » au maître infirmier (1909-<br />

1914).<br />

En ce début de XX e siècle les infirmiers de visite formaient<br />

l’ossature des services cliniques des hôpitaux militaires.<br />

Ces infirmiers incorporés pour deux ans par des prélèvements<br />

annuels (loi de 1906 sur le recrutement) ne<br />

pouvaient durant ce laps de temps se transformer en<br />

véritables professionnels alors que dans le même temps<br />

les écoles civiles d’infirmières ne délivraient un diplôme<br />

à leurs élèves qu’après deux ans de cours et stages. À<br />

défaut de pouvoir se constituer un véritable corps de<br />

sous-officiers infirmiers rengagés, le Service de santé<br />

devait absolument recruter des personnels qualifiés.<br />

Pour la communauté médico-militaire, l’introduction des<br />

infirmières dans les hôpitaux militaires ne serait une<br />

réussite que si ces femmes instruites étaient « dans la<br />

main des médecins traitants » (8) à l’instar des religieuses<br />

et à l’image d’une maîtresse de maison modèle<br />

« parfaitement docile et respectueuse à l’égard du<br />

maître ». (7) À la suite d’un débat assez contrasté, le<br />

recrutement de 60 infirmières fut inscrit au budget 1908<br />

de la Guerre. (9) Par une note du 20 décembre 1907,<br />

le médecin chef du Val-de-Grâce lança un appel à<br />

candidatures pour le recrutement sur concours, à compter<br />

du 1 er février 1908, d’infirmières laïques assimilées au<br />

personnel civil d’exploitation. Les postulantes devaient<br />

avoir entre vingt et un et vingt-cinq ans et être diplômées<br />

de l’Assistance publique ou d’écoles d’infirmières.<br />

En dépit d’une publicité limitée, 103 candidates se<br />

présentèrent et 82 d’entre elles furent reconnues aptes à<br />

l’emploi.(9) D’une manière générale le Corps de santé<br />

militaire applaudissait ce recrutement d’autant que leur<br />

subordination était clairement définie : « le service des<br />

infirmières consiste à donner des soins aux malades<br />

et blessés sous l’autorité immédiate des médecins<br />

500 f. olier


traitants ». Hormis quelques articles critiques de la part<br />

de la presse infirmière touchant à la « sauvegarde<br />

morale » de jeunes filles abandonnées au milieu d’une<br />

jeunesse masculine débridée et appelant de ses vœux<br />

un encadrement de femmes plus âgées sur le modèle des<br />

«matrones» britanniques (10), la société civile accueillait<br />

favorablement cette entrée des femmes dans les hôpitaux.<br />

En 1909, 51 infirmières laïques avaient rejoint les<br />

hôpitaux militaires. En 1910, s’ajoutèrent quinze nouvelles<br />

recrues, tandis que 34 infirmières des sociétés d’assistance<br />

de la Croix-Rouge effectuaient bénévolement des<br />

« stages » qualifiants dans les hôpitaux (11).<br />

L’introduction des infirmières rémunérées restait<br />

propre à l’armée de Terre. La Marine opta pour le<br />

renforcement du décret de 1853 et la professionnalisation<br />

de ses personnels infirmiers : appartenance aux<br />

équipages de la flotte, reconnaissance d’une spécialité et<br />

d’un brevet d’infirmier (1883).(12) L’armée de Terre qui<br />

n’avait pas réglé son problème récurrent du déficit<br />

professionnel de ses infirmiers en dépit de l’arrivée des<br />

infirmières laïques devait, à l’instar de la Marine et des<br />

troupes coloniales, se constituer un corps de rengagés et<br />

non plus dépendre de soldats issus du contingent<br />

(étudiants en médecine). Ces personnels « exclusivement<br />

chargés de donner des soins aux malades (ne devaient<br />

être) sous aucun prétexte distraits de leurs fonctions ».<br />

Mais ce n’était encore que cautère sur jambe de bois en<br />

regard des réformes qui s’avéraient nécessaires.<br />

2. Le paramédical aux armées: un pas en avant, deux<br />

pas en arrière (1914-1929).<br />

Le 2 août 1914, l’effectif des infirmiers fut porté de 8870<br />

à 108 870 personnels, comprenant les hommes de<br />

l’active, de la réserve, de la territoriale et de sa réserve. En<br />

Aide médicale aux populations - Cote-d'Ivoire - 2006 copyright ECPAD.<br />

1914, l’on était à cent lieues des discours alambiqués sur<br />

l’emploi de l’infirmier de visite, habilité, du bout des<br />

doigts, à faire les pansements. L’infirmier de la Grande<br />

Guerre, les pieds dans la boue, les mains dans la chair et le<br />

sang, allait s’affranchir de toutes ces « défenses ».<br />

À la suite des opérations meurtrières du début des<br />

hostilités (bataille des frontières, Course à la mer, etc.),<br />

les pertes sanitaires devenant considérables, il fallut<br />

recourir à la loi pour imposer une meilleure utilisation de<br />

la ressource disponible. En juillet 1915, la loi Dalbiez<br />

prescrivit l’envoi au front des hommes de l’active et de la<br />

réserve sous-utilisés; ce fut l’ouverture de ce que le Poilu<br />

appela: « la chasse aux embusqués ». En 1915-1916, les<br />

formations hospitalières de l’arrière furent vidées de<br />

toutes leurs classes jeunes, des ecclésiastiques, des<br />

infirmiers «valides» qui furent poussés vers l’avant voire<br />

directement versés dans les unités combattantes. Le front<br />

était avide de nouveaux renforts sanitaires et il fallait<br />

compenser les lourdes pertes par une chasse permanente<br />

aux effectifs tout en maintenant auprès des médecins<br />

militaires un noyau inamovible de « spécialistes assistants<br />

de médecins » composé d’étudiants en médecine et<br />

de détenteurs du « caducée » formés à de nouveaux<br />

métiers (panseurs, stérilisateurs, manipulateurs en<br />

électroradiologie, aide-anesthésistes) et comme tels,<br />

protégés des versements d’office dans les troupes<br />

combattantes. Vers la fin de la guerre devant les déficits<br />

aggravés le commandement fit appel à la ressource<br />

de l’Empire (malgaches et annamites) et envisagea<br />

la mobilisation générale féminine pour le service<br />

aux hôpitaux (13).<br />

La Grande Guerre apporta à la femme européenne une<br />

manière de consécration professionnelle, en particulier<br />

dans les professions de santé. « L’archétype de<br />

l’infirmière, c’est l’infirmière Croix-Rouge dont la<br />

silhouette familière surgit dès que l’on évoque la femme<br />

en 1914-1918 » (7). Le 8 mars 1916, le Service de santé<br />

saigné par la loi Dalbiez décida la création d’un corps<br />

d’infirmières temporaires civiles « pour la durée de la<br />

guerre, plus six mois». Ce corps salarié qui atteignit 5160<br />

recrues en novembre 1918 s’opposait aux 500 000<br />

« professionnelles bénévoles » de la Croix-Rouge.<br />

À l’Armistice, le Service de santé décida de puiser dans<br />

le corps des « temporaires » en vue de renforcer son<br />

corps de « permanentes », le faisant passer de 108 à 620<br />

spécialistes. Un fort noyau de professionnelles,<br />

équivalent à l’ensemble des infirmiers de visite d’active<br />

de 1914, formait l’ossature des services cliniques des<br />

hôpitaux militaires de l’Après-guerre. Toutefois les<br />

déficits en infirmiers restaient abyssaux et il fallait puiser<br />

en permanence dans le tout-venant des corps de troupes et<br />

des effectifs coloniaux (2 500 pour 3 000 Français en<br />

1924). (14) En conclusion à une étude datée de 1929 un<br />

rédacteur anonyme insistait sur la nécessité de recruter<br />

1 650 infirmiers sous le statut de carrière ; à défaut, il<br />

proposait, non sans une certaine ironie, un « remède<br />

héroïque »: rappeler les sœurs hospitalières! (15)<br />

paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)<br />

501


militaire le dépoussiérage du statut de 1909 s’imposait<br />

compte tenu des avancées du décret de 1922. Il fit l’objet<br />

du décret du 6 août 1926. Mais cela ne suffisait toujours<br />

pas. Le recrutement se tarissait et il fallait sans tarder<br />

trouver des remèdes à cette crise durable des effectifs. La<br />

7 e direction (service de santé) proposa au ministre de<br />

s’inspirer une nouvelle fois de l’organisation du service<br />

infirmier dans la Marine pour structurer un corps de sousofficiers<br />

infirmiers de carrière articulé entre un cadre<br />

d’infirmiers (brevet élémentaire) et de maîtres infirmiers<br />

(brevet supérieur). Cette proposition fut acceptée et fit<br />

l’objet de l’instruction du 21 octobre 1929. Les maîtres<br />

infirmiers après une période minimale de formation de<br />

quatre années de cours et stages, furent autorisés, par<br />

décret du 24 juin 1930, à porter le titre d’infirmier<br />

hospitalier de l’État français. Cette reconnaissance<br />

Insigne Rochambelle.<br />

Rochambelle.<br />

3. D’une constance réglementaire à un « capharnaüm<br />

» législatif (1929-1946).<br />

La situation du recrutement restait difficile tant dans la<br />

Santé Publique que dans les armées et cela en dépit d’une<br />

vague de reconnaissance nationale dont le cœur fut la<br />

promulgation par l’Assemblée nationale du décret du<br />

27 juin 1922 portant création du brevet de capacité<br />

professionnelle d’infirmière. Dans le Service de santé<br />

tardive ne touchait annuellement que quinze brevetés<br />

supérieurs. Il est vrai que psychologiquement détenir le<br />

diplôme d’État pour un infirmier des armées de cette<br />

époque était presque une incongruité, pour le moins une<br />

originalité, tendant à se démarquer de son appartenance à<br />

la « famille » militaire ; être soupçonné d’avoir déjà un<br />

pied dans ce monde infirmier civil dominé par la gente<br />

féminine. À titre d’exemple, la liste d’ancienneté<br />

des sous-officiers de carrière de 1938 totalisant 1 277<br />

sous-officiers ne mentionnait que 84 maîtres infirmiers<br />

dont 33 diplômés d’État pour l’ensemble du Service<br />

de santé militaire…<br />

L’évolution statutaire la plus intéressante et la plus<br />

complexe des années 1940 est sans contestation possible<br />

celle de l’infirmière aux armées laissée cette dernière,<br />

en 1926, dans le cadre étriqué des infirmières des<br />

hôpitaux militaires. C’est avec un petit noyau de<br />

550 personnels infirmières que le Service de santé<br />

militaire aborda le conflit mondial renforcé par plus de<br />

6500infirmières bénévoles de la Croix-Rouge engagées<br />

502 f. olier


pour le temps de guerre. La défaite de 1940 sans<br />

véritablement mettre à bas cette organisation dans la<br />

France occupée devait permettre l’essaimage des<br />

infirmières engagées dans la poursuite de la lutte<br />

armée de la France sur tous les théâtres, sous toutes les<br />

dénominations, sous tous les statuts, rassemblées<br />

cependant autour d’un diplôme d’État commun et de<br />

fonctions techniques identiques. Durant la Seconde<br />

Guerre mondiale on trouvait dans les forces françaises<br />

combattantes : les infirmières du cadre des hôpitaux<br />

militaires de 1926 (statut civil, métropole et Afrique du<br />

Nord) ; les infirmières bénévoles de la Croix-Rouge<br />

(statut civil, tous théâtres) ; les infirmières du corps des<br />

volontaires françaises de Londres (statut militaire avec<br />

grades) ; les infirmières des forces françaises libres<br />

ralliées au Levant (statut civil) ; les infirmières de la<br />

Croix-Rouge de l’Afrique du Nord servant sous le<br />

régime de l’instruction du 26 juin 1943 (corps civil de<br />

droit commun… à caractère militaire). Tous ces corps<br />

furent fusionnés par décret du 11 janvier 1944 en trois<br />

ensembles à statut civil, un par armée : infirmières du<br />

corps militaire des auxiliaires féminines de l’armée de<br />

Terre (AFAT) ; des forces féminines de l’Air (FFA) ; des<br />

sections féminines de la Flotte (SFF). C’est avec ce<br />

fouillis de dispositions législatives et réglementaires que<br />

le Service de santé déjà engagé en Indochine, se retrouva,<br />

en métropole, dans une situation chaotique, tiraillé dans<br />

un compromis bancal entre filières militaires de Londres<br />

et filières civiles d’Alger. L’ensemble était ingérable<br />

et totalement injuste en regard des droits à retraite et<br />

à rémunération. (16)<br />

C) PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET<br />

MILITAIRES (1946-2008).<br />

1. Infirmier aux armées (1946-1980) : un parcours<br />

semé d’embûches.<br />

L’infirmier des armées (Terre-Air-Marine) sortait de la<br />

Seconde Guerre mondiale comme il y était entré : peu<br />

qualifié. Il n’en était pas de même dans le secteur civil qui<br />

s’empressa, dès 1946, de mener à bien la réforme<br />

amorcée dès 1938, en rendant obligatoire pour exercer la<br />

possession du diplôme d’État d’infirmier(DEI). Le<br />

11 juillet 1948 une porte s’entrouvrit néanmoins pour<br />

l’infirmier des armées ; le décret n° 48-1108 portant<br />

classement hiérarchique des grades et emplois tant des<br />

personnels civils que militaires en matière de régime de<br />

retraite nécessitait la mise à plat de l’architecture d’avantguerre.<br />

Les Services de santé des différentes armées<br />

(autonomes jusqu’en 1968) furent contraints de redéfinir<br />

le cadre d’emploi de l’ensemble de leurs paramédicaux<br />

qui se trouvèrent classés en non certifiés, certifiés,<br />

brevetés élémentaires et supérieurs. Avec obligation, dès<br />

le brevet élémentaire de détenir le diplôme d’État :<br />

« l’obtention du brevet élémentaire (BE) d’infirmier<br />

militaire est subordonné à la possession du DEI hospitalier<br />

délivré par le ministère de la Santé publique »<br />

ou encore : « Tous les gradés candidats pour l’obtention<br />

d’un brevet supérieur de la branche technique<br />

(masseurs, manipulateurs en électroradiologie) doivent<br />

préalablement à leur admission au stage de formation<br />

être possesseur du DEI ». Un diplôme d’expertise de<br />

maître infirmier était attribué aux titulaires du BE/DEI<br />

détenteurs de certificats de réanimateur-transfuseur et<br />

d’aide-anesthésiste. Ces DEI devaient être préparés<br />

dans un centre de formation du Service de santé militaire<br />

agréé par le ministère de la Santé publique aux mêmes<br />

conditions que pour les écoles civiles, avec préparation<br />

sur deux ans, présentation aux mêmes examens et passage<br />

devant les mêmes jurys. Ce décret, cinquante ans après<br />

sa promulgation, étonne par sa modernité. Malheureusement,<br />

comme bon nombre de textes réglementaires<br />

bousculés par l’actualité, il resta au niveau d’un vœu<br />

pieux. Les armées subissaient une grave crise de<br />

recrutement et au-delà des mers, la guerre d’Indochine<br />

drainait vers l’Extrême-Orient tout ce que les Services de<br />

santé comptaient de « paramédicaux spécialistes ». Il<br />

n’était plus temps de former à grands frais sur deux ans<br />

des diplômés d’État, alors que les effectifs « santé » sur<br />

les théâtres d’opérations extérieurs étaient gravement<br />

déficitaires. On revînt alors à des notions plus classiques<br />

de formation – a minima – tant pour les appelés du<br />

contingent que pour les engagés et rengagés pour<br />

l’Indochine : « caducée » puis certificats d’aptitude<br />

technique des 1 er et 2 e degrés. Les besoins en infirmiers<br />

qualifiés DE bien que toujours criants (Indochine,<br />

Algérie) s’effaçaient pour de nombreuses années<br />

devant les nécessités opérationnelles à court terme des<br />

états-majors.Cette situation perdura jusqu’à un passé<br />

récent, s’enfonçant dans un statu quo confortable mais<br />

ténu. Les armées conservaient les formations spécifiques<br />

(BE, BS, 1 er et 2 e degrés) dans des écoles particulières à<br />

chacune d’entre elles: Brest puis Toulon pour la Marine;<br />

Wildbad, Mourmelon, Chanteau, Dinan et Metz pour<br />

l’armée de Terre ; Toulouse, Nîmes, Mérignac pour<br />

l’armée de l’Air. Il n’était plus d’actualité dans les années<br />

1970 de refondre un système qui fonctionnait à la<br />

satisfaction générale des états-majors:<br />

– en limitant l’« évasion » vers le civil, de personnels<br />

attachés à l’institution par un certificat, brevet ou diplôme<br />

sous-valorisé par la Santé Publique par rapport à leur<br />

exercice en milieu militaire (mesures dérogatoires à la loi<br />

de 1946 : infirmier polyvalent autorisé ou avec activité<br />

limitée; infirmier auxiliaire polyvalent, etc.);<br />

– par l’apport de plus en plus massif d’infirmiers<br />

masculins DEI du contingent (1962 à 1995);<br />

– par le développement des recrutements en personnels<br />

civils DEI et aides-soignants à partir de 1960;<br />

– par un recrutement de personnels féminins à gestion<br />

propre au Service de santé des armées.<br />

2. L’infirmière aux armées (1946-1980) : une<br />

exception professionnelle.<br />

En 1945, l’infirmière était toujours tiraillée entre<br />

plusieurs cadres civils et militaires. La Direction centrale<br />

des Services de santé des armées soucieuse de cet état de<br />

fait proposa l’élaboration d’un statut militaire uniforme<br />

applicable aux personnels paramédicaux féminins des<br />

paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)<br />

503


trois armées. Cette proposition fut suivie d’effet et aboutit<br />

à la parution du décret du 15 octobre 1951 « portant statut<br />

général des personnels des cadres militaires féminins ».<br />

(17, 18) L’ensemble des paramédicaux féminins de<br />

l’armée française fut ainsi ramené à deux cadres:<br />

– le cadre des infirmières des hôpitaux militaires (civiles,<br />

décret de 1926), auquel se substitua à compter du<br />

1 er janvier 1949, le « corps des infirmières civiles des<br />

hôpitaux militaires » refondu par décret du 18 mars 1953;<br />

– le cadre du personnel féminin du Service de santé,<br />

organisé par le décret du 15 octobre 1951 (texte interarmées)<br />

qui prévoyait le recrutement de personnels sous<br />

contrats ou commissionnés qui détenaient une hiérarchie<br />

purement conventionnelle sans aucune assimilation<br />

ni grades, excepté sous le rapport à la solde (caporal-chef<br />

à commandant).<br />

En raison de la pénurie de la ressource en personnels<br />

soignants qualifiés dans le milieu hospitalier militaire, la<br />

DCSSA créa, à partir de 1961 des centres d’instruction<br />

des infirmières militaires (jusqu’à onze CIIM furent mis<br />

sur pied dans les hôpitaux militaires) en vue de conduire<br />

ses personnels d’exploitation au brevet militaire<br />

supérieur d’infirmier. Après les évènements de 1968, la<br />

situation du recrutement ne cessant de se dégrader, un<br />

décret du 11 décembre 1969 portant statut du personnel<br />

militaire féminin du Service de santé des armées<br />

(PMFSSA) dissocia le sort du personnel féminin du<br />

Service de santé des autres personnels des armées. Le<br />

statut des PMFSSA s’inspirait des règles applicables<br />

à leurs homologues civils en matière de grades et de<br />

rémunérations. Les CIIM quant à eux, agréés par la Santé<br />

publique conduisirent au DEI (exemple : CIIM de<br />

l’hôpital d’instruction des armées Bégin de Saint-Mandé,<br />

19 promotions de 20 à 30 élèves, de 1966 à 1991) (19). En<br />

parallèle la pression de la société civile imposa une<br />

nouvelle définition de l’infirmière (loi du 31 mai 1978),<br />

lui concédant pour la première fois une fonction indépendante,<br />

« un rôle propre » dans une nouvelle pratique des<br />

soins infirmiers dont la filière de formation fut refondue<br />

en 1979. Une succession de textes novateurs obligea le<br />

Service de santé des armées à réaliser l’unification de ses<br />

statuts pour ne pas se laisser distancer, par la Santé<br />

Publique, en termes d’attrait au recrutement. Par décret<br />

du 24 juillet 1980, le corps des infirmières et spécialistes<br />

d’exploitation (décret de 1969) et les secrétaires issues du<br />

décret du 23 mars 1973 furent regroupées sous le statut<br />

des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des<br />

armées (MITHA). Il s’agissait d’un statut « très original »<br />

s’appuyant sur une hiérarchie sans assimilation, mais<br />

militaire et soumise à ce titre aux lois et règlements<br />

applicables aux officiers et sous-officiers. Par sa<br />

réactivité le Service marquait sa volonté de fixer ce<br />

nouveau statut dans le sillage de celui « homologue » de<br />

la Santé Publique. Il chassait par la même occasion le<br />

spectre des difficultés de recrutement, en se constituant –<br />

à grands frais – un vivier restreint de professionnels<br />

qualifiés réclamés par les praticiens soucieux de<br />

maintenir un haut niveau de qualité de soins en milieu<br />

hospitalier militaire.<br />

3. Infirmier militaire et militaire infirmier (1980-<br />

2008): une inéluctable osmose.<br />

Arrivés au terme de notre cheminement historique, audelà<br />

des vicissitudes statutaires et nombreuses<br />

polémiques qui ont animé ces trois dernières décennies, il<br />

reste un fait, presque miraculeux en regard du chemin<br />

parcouru: à l’aube du tricentenaire de sa « fondation » le<br />

Service de santé des armées est parvenu à réaliser<br />

l’intégration sous le statut MITHA de 96 % (2008) des<br />

sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux des trois<br />

armées et de la Gendarmerie (20).<br />

Cette affirmation liminaire faite, au-delà d’effets faciles,<br />

il permet au contemporain qui souhaite retracer succinctement<br />

l’évolution du Paramédical aux <strong>Armées</strong> durant<br />

ces dernières années, la présenter – à rebours – avec plus<br />

de sérénité, tant vis-à-vis des personnels concernés que<br />

de l’institution militaire.<br />

L’infirmier des armées de 1980, à la différence<br />

du MITHA se sentait en marge de la communauté<br />

infirmière civile qui se réformait activement à coups<br />

de décrets. (21) La loi du 31 mai 1978 (décret d’application<br />

du 12 mai 1981) définissait un véritable métier<br />

poussant vers une professionnalisation sans cesse<br />

accrue. L’infirmier n’était plus un simple exécutant<br />

mais un véritable professionnel apte à instaurer des<br />

relations de partenariat avec les autres acteurs de la<br />

santé. Cette mise à plat ne se fit pas sans difficultés et<br />

combats retardateurs du corps médical qui s’employa<br />

à freiner cette évolution à coups de recours devant<br />

le Conseil d’État. Cette lutte d’arrière-garde parviendra<br />

à faire abroger nombre de textes et induira de<br />

nombreuses modifications et adaptations statutaires<br />

et d’exercice professionnel (mai 1984, juillet 1984,<br />

mars 1993, février 2002). Toute cette activité législative<br />

obligea la Défense, par corollaire, à une modification<br />

analogue du statut MITHA (1980, 1984, 1994, 2002)<br />

afin de coller à l’actualité jurisprudentielle et à<br />

l’évolution des corps « homologues » de la Santé<br />

Publique. Toutefois si cette évolution peut paraître<br />

désordonnée, il n’en demeure pas moins qu’elle<br />

assura, à chaque étape, des avancées significatives<br />

en termes de statuts, de rémunérations, de définition<br />

de l’exercice infirmier, de description des actes<br />

professionnels, de formation initiale ou continue. Au<br />

fur et à mesure de ces apports, l’image du statut<br />

MITHA se renforçait, mettant en évidence – a contrario–<br />

le peu d’attrait des filières paramédicales issues<br />

des armées. L’infirmier des forces eut durant cette<br />

période charnière l’impression douloureuse de voir<br />

passer le train de la modernité, exclu d’une prise en<br />

compte par ses hiérarchies de tutelle de ses légitimes<br />

aspirations professionnelles, dont la principale<br />

était la capacité à se former dans un cadre validant et<br />

accéder au sésame de la reconnaissance : au diplôme<br />

d’État d’infirmier.<br />

En 1990, le Service de santé des armées décidait de<br />

franchir le pas et de regrouper à Toulon en une École du<br />

personnel paramédical des armées (EPPA) les différentes<br />

écoles et centres de formation du personnel infirmier<br />

504 f. olier


des armées. (22) L’objectif était novateur : permettre<br />

l’acquisition dans une structure interarmées,<br />

des diplômes nationaux requis pour l’exercice<br />

professionnel tout en respectant les exigences (cadre,<br />

durée des études) de la Santé Publique. Mais le<br />

challenge ne s’arrêtait pas là. Il était hors de question<br />

de laisser sur le carreau des centaines d’infirmiers<br />

titulaires d’un 1 er ou 2 e degré, n’ayant que le statut<br />

d’aide-soignant ou « d’infirmier autorisé polyvalent »,<br />

pur produit des mesures dérogatoires de l’art.<br />

L477 de la Santé Publique et comme tel « exception<br />

à la règle du diplôme d’État, diplôme de référence<br />

aux plans national et européen ». (23) À<br />

compter de septembre 1992, à Toulon, un Centre<br />

de perfectionnement par correspondance (CPC)<br />

fut chargé d’amener aux épreuves terminales du<br />

diplôme d’État, des centaines d’infirmiers des<br />

forces volontaires et très motivées pour cette opportune<br />

requalification technique, d’autant que la<br />

fin du service national (à compter de 1995) et<br />

l’ouverture des hôpitaux des armées au secteur<br />

public hospitalier nécessitaient une importante<br />

mobilisation de l’ensemble des paramédicaux<br />

exerçant dans les armées.<br />

IV. EN GUISE DE CONCLUSION.<br />

Le décret n° 2005-562 du 27 mai 2005 portant intégration<br />

des sous-officiers, officiers mariniers paramédicaux<br />

des armées de Terre, de l’Air, de la Marine et de la<br />

Gendarmerie dans le corps des MITHA marque en<br />

point d’orgue, à la veille du tricentenaire du Service<br />

de santé des armées, l’unicité du statut des paramédicaux<br />

des armées. Ces derniers pourront dorénavant<br />

relever – à chances égales – les défis annoncés<br />

du XXI e siècle et apporter sans complexe toute leur<br />

riche expérience forgée au service des forces. C’est<br />

un véritable challenge qui reste à relever et qui s’inscrit<br />

logiquement pour les années à venir dans l’évolution<br />

orchestrée par la société civile : développement d’un<br />

code de déontologie infirmier, d’un ordre national<br />

infirmier, transfert de tâches et de compétences<br />

médicales (vers un infirmier praticien des armées ?),<br />

migration des instituts de formation vers l’Université<br />

avec création d’un 3 e cycle européen d’études<br />

infirmières. Aujourd’hui, en 2008, le MITHA<br />

attend tout de l’évolution irréversible de l’exercice<br />

professionnel des soins infirmiers conduite par<br />

une communauté infirmière avide de reconnaissance<br />

et de nouvelles responsabilités.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Olier F. Infirmier militaire de l’armée de Terre (1708-1940).<br />

Médecine et <strong>Armées</strong> 1994 ; 22 (7) : 567-80.<br />

2. Olier F. Compagnies de soldats d’ambulance du Premier Empire<br />

(1809-1815). Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (7) : 551-8.<br />

3. Olier F. Infirmiers de l’armée de Terre en Algérie (1830-1870).<br />

Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (7) : 569-81.<br />

4. Lefèvre A. Histoire du Service de santé de la Marine et des écoles<br />

de médecine navale étudiée plus particulièrement au port de<br />

Rochefort. Archives de Médecine Navale 1867 ; VII-7 : 119-21.<br />

5. Baudens L. La guerre de Crimée ; Paris : Michel Lévy frères ;<br />

1858 : 412.<br />

6. Musée du Service de santé des armées, cart. n° 144,<br />

correspondance des médecins chefs de l’école de<br />

perfectionnement de médecine militaire du Val-de-Grâce, lettre<br />

N° 474, 1 er mai 1859.<br />

7. Knibiehler Y. sous la direction. Cornettes et blouses blanches –<br />

Les infirmières dans la société française (1880-1980) ; Paris :<br />

Hachette littératures ; 1984 : 366.<br />

8. Le Caducée, 18/1/1908 ; N° 2 : 24-5.<br />

9. Gervais M. Rapport de la commission du budget chargée<br />

d’examiner le projet de loi portant fixation du budget général de<br />

l’exercice 1909 ; rapport N° 2018, Chambre des députés. Paris :<br />

imp. Nat. ; 1908 : 438-9.<br />

10. Le Caducée, 15/2/1908 ; N° 4 : 53-4.<br />

11. Clémentel M. Rapport de la commission du budget chargée<br />

d’examiner le projet de loi portant fixation du budget général<br />

de l’exercice 1911 ; rapport N° 366, Chambre des députés. Paris :<br />

imp. Nat. ; 1910 : 195-7 et 386-7.<br />

12. Landru L. L’infirmier de Marine. Cols Bleus 1984 N° 1819<br />

(6/10/1984) : 8-15.<br />

13. État-major, Service de santé, N° 2071/S ; Organisation du Service<br />

de santé au Grand Quartier Général des armées du Nord<br />

et du Nord-Est ; Note N° 2071/S du 1 er mai 1919 : 44.<br />

14. Toubert J. Le Service de santé militaire au Grand Quartier Général<br />

français (1918-1919) ; Paris : Lavauzelle ; 1934 : 142-3.<br />

15. Musée du Service de santé des armées, fonds non classé ;<br />

Anonyme : Enseignements à tirer des évènements de Rhénanie,<br />

analyse suite à intervention parlementaire du 15/3/1929 : 7.<br />

16. Caire R. La femme militaire, des origines à nos jours ; Paris :<br />

Lavauzelle ; 1981 : 361p.<br />

17. Graverol. Le personnel militaire féminin du Service de santé de<br />

l’armée de Terre. Le rôle des infirmières dans les hôpitaux<br />

militaires du corps de bataille et de l’infrastructure. Revue du<br />

Corps de Santé Militaire 1955 ; XI (3) : 382-95.<br />

18. Graverol. La profession d’infirmière en France et à l’étranger.<br />

Revue du Corps de Santé Militaire 1957 ; XIII (4) : 516-21.<br />

19. HIA. Bégin, Saint-Mandé : Exposition du 150 e anniversaire ;<br />

dossier « CIIM », 15/5/2008 : n.p.<br />

20. Actu Santé. mai-juin 2008, N° 105 : 6<br />

21. Duboys-Fresney C. Le métier d’infirmière en France. Presses<br />

Universitaires de France, coll. Que-sais-Je ?, 2007 ; N°3052 : 128p.<br />

22. Le Vot J. École du personnel paramédical des armées (EPPA).<br />

Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (4) : 277-9.<br />

23. Berciaud P, Agosta D, Verdier G. Centre de perfectionnement par<br />

correspondance de l’École du personnel paramédical des armées.<br />

Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (4) : 319-22.<br />

paramédicaux dans les armées. trois siècles pour parvenir au statut des militaires infirmiers techniciens des hôpitaux des armées (1708-2008)<br />

505


506<br />

Infirmiers et chirurgien au bloc opératoire de la 14 e Antenne de chirurgicale parachutiste. (Rwanda 1994).


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

TROIS CENTS ANS DE MÉDECINE NAVALE<br />

du grand siècle à nos jours<br />

B. BRISOU<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Dès l’année 1434, la boussole et les portulans (carte<br />

marine des premiers navigateurs (XIII e -XVI e s) (Petit<br />

Robert 2007)), le compas de mer et les caravelles<br />

permettent aux audacieux navigateurs occidentaux<br />

d’installer des comptoirs et de coloniser des territoires<br />

au-delà des mers.<br />

Henri IV sent, le premier, la nécessité d’avoir une flotte<br />

disponible en tout temps et le besoin d’entretenir des<br />

ports. De 1589 à 1606, Toulon s’entoure de remparts à<br />

bastions et se dote d’un petit arsenal tandis que Brest,<br />

blottie au fond de sa rade, renforce ses défenses. Le<br />

13 janvier 1629, le cardinal duc de Richelieu déclare<br />

dans son Avis au roi: « La première chose qu’il faut faire<br />

est de se rendre puissant sur la mer qui donne entrée à<br />

tous les États du monde ». Fondateur de la Marine royale<br />

permanente, il est l’initiateur du « Règlement sur le fait<br />

de la marine » signé le 29 mars 1631. Pour la première<br />

fois, des commissaires généraux, les futurs intendants,<br />

tiennent la main (ordonnent) à l’entretien des navires, du<br />

matériel et des équipages et l’ordonnance de 1642<br />

prescrit aux capitaines des vaisseaux et des flûtes<br />

(pouvant accueillir malades et blessés) au service du roi,<br />

d’embarquer « un très bon chirurgien pour le soin des<br />

équipages ». Était ainsi officialisé un embryon de corps<br />

des « chirurgiens navigans ».<br />

Il revenait au successeur de transformer un si bel essai (1).<br />

(mot d’origine hollandaise désignant celui qui partage sa<br />

couche, en l’occurrence un hamac) étant un personnage<br />

aussi précieux que difficile à recruter malgré le système<br />

des classes mis en œuvre en 1668 à Rochefort. Le<br />

22 septembre 1673, Louis XIV signe l’Édit de Nancy,<br />

créant la première assurance sociale mutuelle,<br />

l’Institution des Invalides de la Marine, alimentée<br />

II. NAISSANCE DU SERVICE DE SANTÉ DE LA<br />

MARINE.<br />

Conscient de l’importance de la maîtrise des mers, Louis<br />

XIV confie à son ministre Jean-Baptiste Colbert la<br />

mission d’organiser, pour sa plus grande gloire, le<br />

commerce avec l’outre-mer, la sécurité des côtes, celle<br />

des colonies et des voies maritimes qui y conduisent. Il<br />

n’a garde d’oublier le bien-être de ses sujets, le matelot<br />

B. BRISOU, MGI (2S).<br />

Correspondance : B. BRISOU, 413 avenue Jacques Cartier, La Beltegeuse,<br />

83 000 TOULON.<br />

Ordonnance royale de 1689. Cliché Service historique de la Défense -<br />

Département Marine Toulon.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 507


Bataille navale de Bévesiers.<br />

par une cotisation levée sur la solde des gens de mer<br />

embarqués. Pour recevoir blessés et malades, des<br />

hôpitaux sont établis: en 1674 dans la presqu’île de Saint-<br />

Mandrier, face au port de Toulon ; en 1683 à Rochefort,<br />

ville construite de novo sur le front atlantique et dont les<br />

« fièvres intermittentes » déciment une population<br />

nouvellement installée ; à Brest, en 1684, et enfin à<br />

Port-Louis en 1689. L’hôpital de l’Abbaye à Cherbourg<br />

ne recevra ses premiers patients qu’en 1793.<br />

Jean-Baptiste Colbert ayant quitté ce monde le<br />

6 septembre 1683, son fils, le marquis de Seignelay,<br />

soumet au roi la fameuse ordonnance du 15 avril 1689<br />

« Pour les armées navales et les arsenaux de la Marine »<br />

qui définit en 23 livres l’organisation et le fonctionnement<br />

de la marine militaire. Le livre vingtième traite<br />

« Des hospitaux des armées navales et dans les ports,<br />

comme aussi des séminaires établis pour leur direction, et<br />

pour celles des aumôniers des vaisseaux ».<br />

À l’époque, la Marine entretient trois sortes d’officiers de<br />

santé : les médecins, les chirurgiens et les apothicaires.<br />

Les premiers, issus des facultés, sont titulaires d’un<br />

doctorat. Émules d’Hippocrate et de Galien, ils dissertent<br />

longuement, en latin, sur le pourquoi et le comment<br />

des pathologies qui gardent encore tous leurs secrets.<br />

La notion même de maladie commence à se faire jour et<br />

certaines entités nosocomiales sont nommées. Le<br />

médecin du port est le personnage important du service<br />

et le premier d’entre eux est nommé à Toulon vers 1666.<br />

Les chirurgiens, d’extraction souvent très modeste,<br />

apprennent leur métier en pratiquant aux côtés d’un<br />

confrère plus expérimenté et, après bien des années de<br />

labeur, peuvent à leur tour être reçus « maître en<br />

chirurgie ». Il en va de même pour les apothicaires.<br />

Dans son titre troisième, article dix, l’ordonnance<br />

prévoit que le commissaire en charge du service de<br />

santé : « assistera aux examens qui se feront par le<br />

médecin, et le chirurgien major du port, des maîtres et<br />

aydes chirurgiens et apothicaires qui se présenteront<br />

pour servir sur les vaisseaux et dans les hôpitaux ;<br />

empêchera qu’il en soit reçu que de capables des fonctions<br />

auxquelles ils seront destinés. ».<br />

508 b. brisou


III. LES ÉCOLES DE CHIRURGIE NAVALE.<br />

Exerçant tout à la fois les fonctions de médecin, de<br />

chirurgien et d’apothicaire, le chirurgien-major devient<br />

ainsi l’acteur principal du Service de santé embarqué.<br />

Objet de reconnaissance, il est aussi la cible de critiques<br />

de la part des états-majors, du fait d’une formation<br />

insuffisante. L’intendant Bégon, administrateur de<br />

l’Aunis et de la Marine à Rochefort, est le premier à réagir.<br />

Ayant remarqué Jean Cochon-Dupuy, jeune médecin de<br />

trente ans, docteur de la faculté de Toulouse et médecin<br />

ordinaire du roi dans sa province, il lui propose le poste de<br />

second médecin de la Marine. Nous sommes en 1704 et<br />

Cochon-Dupuy, qui ne quittera plus la ville de Rochefort,<br />

en devient le premier médecin huit ans plus tard. Le<br />

13 janvier 1715, il adresse un rapport brossant un avenir<br />

souhaitable où: « les hôpitaux de la Marine deviendraient<br />

des asiles pour malades et des écoles pour les jeunes<br />

chirurgiens, où ils pourraient s’instruire non-seulement<br />

sur l’anatomie et les opérations de chirurgie, mais encore<br />

acquérir des connaissances sur les maladies internes<br />

et sur la composition des remèdes et sur les doses<br />

auxquelles on les administre. Il ne suffit pas, en effet, aux<br />

chirurgiens-majors des vaisseaux de savoir la pure<br />

chirurgie, puisqu’ils sont obligés de servir aussi comme<br />

médecins et comme apothicaires ». Plans et devis<br />

seront approuvés le 12 juin 1721 et l’inauguration de<br />

l’amphithéâtre a lieu dans les premières semaines du<br />

mois de février 1722. Le corps de santé de la Marine<br />

vient de prendre un tournant décisif pour son avenir.<br />

Consécration suprême, le roi décide en 1735 que les<br />

chirurgiens seront nommés par ordonnance royale.<br />

Toulon a son école dès 1725, mais l’honneur revient<br />

à Jacques Philippe Boucault d’avoir obtenu du roi sa<br />

transformation en Collège royal de chirurgie en 1754.<br />

À Brest, les débuts sont aussi difficiles et l’école<br />

prendra réellement son essor grâce à Étienne Chardon<br />

de Courcelles, en 1742.<br />

Devenus des établissements hospitalo-universitaires – ou<br />

des hôpitaux d’instruction avant la lettre – ils sont bientôt<br />

dotés de jardins botaniques. Celui de Rochefort est<br />

inauguré le 30 décembre 1741, celui de Brest le sera en<br />

1768 et celui de Toulon en 1785. L’emploi de jardinier de<br />

la Marine est créé afin d’entretenir les plantations et<br />

d’enseigner à l’occasion. Ces jardins servent aussi<br />

à l’acclimatation des végétaux que les officiers de<br />

santé rapportent de leurs campagnes, et fournissent une<br />

partie de la matière propre à l’approvisionnement des<br />

coffres à médicaments.<br />

Enfin, un évènement majeur vient donner un élan<br />

inattendu au fonctionnement des écoles. Par ordonnance<br />

royale du 27septembre 1748, le corps des galères est réuni<br />

à celui de la Marine. La chiourme de Marseille, composée<br />

de 4000 forçats, est répartie sur les trois sites où sont créés<br />

des bagnes: à Toulon dès 1748, à Brest l’année suivante et<br />

à Rochefort en 1752. Un hôpital du bagne est établi que<br />

dirige un médecin en chef. Les chirurgiens y font des<br />

stages et l’amphithéâtre de l’école de chirurgie ne manque<br />

plus jamais de pièces anatomiques (2).<br />

IV. LES ÉQUIPAGES ET LEUR PATHOLOGIE.<br />

Venus des « classes », les futurs matelots « arrivaient aux<br />

ports tout nus, ayant le plus souvent vendu en route leurs<br />

nippes pour vivre, ou ayant mendié le long des chemins.<br />

À leur arrivée au port d’armement, aucune mesure<br />

n’était prise pour constater leur validité, et souvent on<br />

s’apercevait qu’un grand nombre étaient impropres au<br />

service au moment où on les embarquait » (1). Ajouté à<br />

cela, un ordinaire peu varié, fait de biscuits et de salaisons<br />

dont la qualité au départ et l’état de conservation laissent à<br />

désirer. Ajouté aussi, une eau de boisson chichement<br />

distribuée et qui pourrit dans des tonneaux. Ajouté encore,<br />

l’entassement dans les entreponts, l’humidité permanente,<br />

la vermine (poux, puces et punaises), les ravageurs<br />

(cafards et rats pullulent) et l’embarquement d’animaux<br />

vivants (moutons, volailles…) qui empuantissent un air<br />

qui a bien du mal à se renouveler. Tous les ingrédients sont<br />

réunis pour qu’éclatent, sur fond de pathologies<br />

communes, des bouffées épidémiques meurtrières.<br />

Ainsi, le scorbut fait-il planer sur les équipages une<br />

menace permanente. Les embarquements itératifs et le<br />

mauvais état de santé habituel de la majeure partie du<br />

personnel, raccourcissent nettement le délai d’apparition<br />

de cette carence vitaminique, habituellement établi à<br />

quatre mois de privation de vivres frais. À la suite des<br />

travaux du docteur Lind et dès 1795, la marine anglaise<br />

rend obligatoire le « limon juice », jus de citron de Sicile<br />

additionné de 10 % de brandy, distribué à raison d’une<br />

cuillerée par jour et par personne. Connaissant l’effet<br />

bénéfique des escales et des « rafraîchissements », les<br />

Français ne prendront conscience du rôle spécifique du<br />

jus de citron que dans les années 1850, à l’occasion de la<br />

campagne de Crimée.<br />

Au mois de janvier 1756, la triste guerre de sept ans est<br />

engagée contre l’Angleterre. Le 4 novembre 1757, les<br />

premiers bâtiments de l’escadre de M. Dubois de<br />

Lamotte, revenant en catastrophe de Louisbourg qu’ils<br />

défendaient, arrivent en rade de Brest. Le reste des<br />

bâtiments suit dont une partie est déroutée sur la rade<br />

d’Aix. Les équipages épuisés par le scorbut et décimés<br />

par le typhus, cette fameuse « fièvre des vaisseaux », ne<br />

suffisent plus à la manœuvre et le personnel du port doit<br />

intervenir. Au milieu d’un désordre indescriptible,<br />

l’épidémie atteint bientôt la population civile. L’enquête<br />

ultérieure fera état de 10 000 morts parmi cette dernière<br />

et de 3 600 chez les marins. Le Service de santé est<br />

durement touché, perdant 5 médecins sur 15, plus de<br />

150 chirurgiens et apothicaires et 200 infirmiers. Cette<br />

catastrophe sanitaire n’est pas étrangère à la fin<br />

calamiteuse de ce conflit qui fit perdre à la France nombre<br />

de colonies comme le Canada et l’île Maurice.<br />

Aussi, afin de préserver les ports de l’invasion épidémique,<br />

la Marine avait, depuis le XVII e siècle, établi des lazarets:<br />

sur l’île de Tréberon en rade de Brest et sur la presqu’île de<br />

Saint-Mandrier, non loin de l’hôpital. Les escadres, au<br />

retour d’outre-mer, étaient placées en quarantaine soit en<br />

presqu’île, soit à l’île de Porquerolles lorsque la place<br />

manquait et il fallut attendre l’expulsion des Jésuites de<br />

Toulon, pour qu’un hôpital principal de la Marine soit<br />

installé dans leur couvent désaffecté.<br />

trois cents ans de médecine navale<br />

509


de préfet maritime le 17 avril 1800 puis, au gré des<br />

Restaurations, se succèdent de nouvelles organisations<br />

de la Marine et de ses ports jusqu’à la loi du 19 mai 1834<br />

sur l’état d’officier et l’ordonnance royale du 17 juillet<br />

1835 sur le Service de santé de la Marine et des colonies.<br />

Le statut militaire est enfin reconnu aux officiers de<br />

santé : ils sont « assimilés » au corps des officiers de<br />

Marine. L’intelligence et l’habileté de l’inspecteur<br />

général du Service de santé de la Marine, Pierre-François<br />

Kéraudren, a permis cette avancée majeure.<br />

La génération d’officiers de santé, sortie de la grande<br />

tourmente, se trouve alors à la tête du Service de santé des<br />

ports. Elle a connu l’expédition d’Égypte, la défaite<br />

d’Aboukir et les horreurs de la peste de 1798 à 1801, la<br />

fièvre jaune de l’expédition de Saint-Domingue puis le<br />

drame du cap Trafalgar où nombre de chirurgiens ont<br />

perdu la vie, coupés par un boulet ou engloutis lors du<br />

naufrage de leur bâtiment.<br />

Porte de l’hôpital principal de la Marine à Toulon – XVIII e siècle.<br />

Cliché Bernard Brisou.<br />

V. DU PREMIER UNIFORME AU STATUT<br />

D’ASSIMILÉS.<br />

Le traité de Paris étant signé le 10 février 1763, la Marine<br />

met à profit ce temps de paix retrouvée pour se<br />

réorganiser. À la tête de son Service de santé, elle place un<br />

inspecteur général de la médecine, de la pharmacie et de<br />

la botanique dans les ports et dans les colonies. Premier<br />

dans cette fonction, Pierre Poissonnier se voit adjoindre,<br />

pour le service des colonies, son propre frère, Antoine<br />

Poissonnier dit Desperrières. L’avancée vers une certaine<br />

autonomie se confirme avec l’ordonnance de 1765<br />

plaçant définitivement le chirurgien-major d’un bâtiment<br />

au nombre des membres de l’état-major : il est reçu à<br />

la table du capitaine. Puis, par arrêté du 30 novembre<br />

1767, médecins et chirurgiens sont dotés d’un uniforme,<br />

le fameux habit gris d’épine. Dix ans plus tard, l’ancre<br />

enlacée du serpent d’Épidaure orne les boutons<br />

de l’uniforme. Enfin, le règlement pour les écoles<br />

de chirurgie du 1 er mars 1768 consacre le principe de<br />

l’avancement au concours.<br />

Le 1 er février 1783, une école de médecine pratique est<br />

crée à Brest, afin d’apprendre aux jeunes médecins issus<br />

des facultés les rudiments de la pathologie navale et<br />

tropicale : une sorte d’école d’application en somme.<br />

Dans le désordre, la confusion et la violence de la Révolution<br />

française, le Service de santé de la Marine, avec à sa<br />

tête un commissaire-médecin, Augustin Coulomb,<br />

s’adapte aux aléas du moment, met sur pied dans chaque<br />

port un Comité de salubrité navale qui devient Conseil de<br />

salubrité le 21 avril 1794 et Conseil de santé le<br />

27 septembre 1799. Le premier Consul crée la fonction<br />

VI. DES VOYAGES DE CIRCUMNAVIGATION<br />

AUX GUERRES DU SECOND EMPIRE.<br />

Depuis les expéditions de Louis Antoine de Bougainville<br />

(1766-1769) et celle de Jean-François de Galaud de<br />

Lapérouse, tragiquement interrompue par le naufrage de<br />

l’Astrolabe et de la Boussole dans les passes de Vanikoro<br />

en 1788, la France n’a jamais cessé de participer à la<br />

découverte du reste du Monde en envoyant ses meilleurs<br />

marins et ses savants sillonner les mers du globe. Sous la<br />

seconde Restauration, à la demande expresse des chefs<br />

de mission, comme de Freycinet en 1817, les naturalistes<br />

embarqués sont exclusivement, ou presque, des<br />

chirurgiens et des pharmaciens de la Marine spécialement<br />

formés. Les écoles de médecine de Brest, Rochefort<br />

et Toulon renforcent leur enseignement en zoologie,<br />

en botanique et en géologie. Les musées et les jardins<br />

botaniques de leurs écoles jouent alors un rôle majeur.<br />

Devenues l’organe de presse où paraissent les comptes<br />

rendus des circumnavigations et certains rapports des<br />

officiers de santé, les Annales maritimes et coloniales<br />

éditent les longues recommandations des professeurs du<br />

Muséum d’histoire naturelle de Paris concernant le<br />

recueil, la naturalisation, la conservation et le transport<br />

des spécimens destinés à enrichir les collections des uns<br />

et des autres. Cette période est une des plus glorieuses du<br />

Service de santé de la Marine qui a donné à la France les<br />

chirurgiens Jean René Constant Quoy et Paul Gaimard,<br />

les pharmaciens René Primevère Lesson et Charles<br />

Gaudichaud-Beaupré, membres de l’Académie de<br />

médecine ou de l’Académie des sciences (3).<br />

Se faisant un devoir de suivre les progrès significatifs de<br />

la médecine au temps où la méthode anatomo-clinique<br />

prouve son efficacité, le Service de santé, décimé par la<br />

fièvre jaune, le paludisme, le choléra, les dysenteries ou<br />

la tuberculose, doit combler les vides d’autant plus<br />

impérativement que les armements se multiplient.<br />

Les ministres successifs sont ainsi amenés à augmenter<br />

significativement le nombre des officiers de santé<br />

entretenus sortant des écoles. À la suite de la guerre<br />

510 b. brisou


d’Espagne en 1823, de la bataille de Navarin en 1827 et de<br />

celle d’Alger en 1830, l’ordonnance de 1835 prévoit un<br />

cadre de 272 médecins et chirurgiens que des auxiliaires<br />

viennent renforcer au gré des besoins opérationnels. Le<br />

décret du 25 mars 1854 porte cet effectif à 504, plus<br />

54 pharmaciens, crée le grade de directeur et réserve<br />

25 places de chirurgiens principaux à des navigants,<br />

marquant ainsi leur rôle majeur dans l’économie<br />

du service. Au décret du 31 mai 1875, sont inscrits 666<br />

médecins et 84 pharmaciens, la dénomination de<br />

chirurgien ayant disparu depuis le décret du 14 juillet<br />

1865. Les besoins du service des colonies et les<br />

engagements outre-mer sont ainsi honorés.<br />

Parmi les conflits majeurs du Second empire, la guerre<br />

des Alliés contre la Russie mérite une mention spéciale.<br />

La Marine se bat sur trois fronts : la mer Baltique, la<br />

presqu’île du Kamtchatka et la mer Noire. C’est au nord<br />

de cette dernière que se déroulent les divers épisodes de la<br />

guerre dite de Crimée au cours de laquelle, pour la<br />

première fois dans l’histoire, le Service de santé, dans<br />

son ensemble, met en œuvre une technique qui va<br />

révolutionner la chirurgie: l’anesthésie. Inventé moins de<br />

dix ans auparavant aux États-Unis, ce procédé est adopté<br />

par les chirurgiens de la Marine dès 1847 et Auguste<br />

Adolphe Reynaud, futur inspecteur général, met au point<br />

en 1850 un «cornet anesthésique» au chloroforme qui est<br />

rendu réglementaire en 1856 (4). Lors de l’affaire du pont<br />

de Tractir, le 16 août 1855, à la demande du médecin en<br />

chef de l’armée Joseph Scrive, le médecin principal<br />

Auguste Marroin détache douze chirurgiens de la<br />

Marine pour prêter main forte à leurs confrères de la<br />

Terre. Un de ces derniers, le médecin aide-major de 1 re<br />

classe Albin Laforgue, notera, à propos de ce cornet :<br />

« Immédiatement j’en construisis un… et dès la première<br />

expérience que j’en fis, il fut adopté d’acclamation<br />

par tous mes camarades ; depuis lors il nous a rendu<br />

les plus grands services. » Bel exemple d’une action<br />

technique interarmées.<br />

VII. L’AFFAIRE DES COLIQUES SÈCHES.<br />

Déjà prévu par l’ordonnance de 1689, le rapport médical<br />

de fin de campagne prend une forme nouvelle (5).<br />

Parfaitement codifié, il comporte : une description du<br />

bâtiment avec un commentaire sur ses conditions<br />

d’hygiène, un récit des évènements pathologiques<br />

survenus au cours de la navigation, une description des<br />

escales avec des précisions sur les moyens hospitaliers<br />

locaux, des fiches cliniques et des statistiques tant<br />

médico-chirurgicales que météorologiques. Au retour,<br />

le chirurgien major adresse son rapport, signé du<br />

commandant, au conseil de santé du port. Un premier<br />

exemplaire, après analyse et appréciation, est conservé<br />

sur place. Le second est envoyé au cabinet de l’amiral,<br />

directeur du personnel, qui, après visa, le transmet à<br />

l’inspecteur général du Service de santé. Ce dernier est<br />

ainsi, en permanence, mis au courant des problèmes<br />

survenus sur l’ensemble de la planète, des rapports<br />

similaires étant rédigés par les chefs de Service de santé<br />

des diverses colonies. Les plus remarquables de ces<br />

travaux sont imprimés dans les colonnes des Annales<br />

maritimes et coloniales puis, à partir de 1864, paraissent<br />

dans les numéros trimestriels de la nouvelle revue du<br />

service, les Archives de médecine navale . C’est grâce<br />

à ce système d’information et à l’opiniâtreté d’un<br />

homme que l’affaire des coliques sèches trouve une<br />

heureuse conclusion.<br />

En effet, à bord des navires destinés à servir sur les côtes<br />

occidentales d’Afrique, apparaissent depuis 1820 des cas<br />

de plus en plus fréquents de coliques très douloureuses<br />

et invalidantes se terminant parfois par un décès. Ces<br />

coliques sont tantôt dites sèches, car non productives,<br />

tantôt coliques végétales. Très vite, deux camps<br />

s’affrontent. Dans son rapport de 1846, le chirurgien de<br />

1 re classe Louis Raoul écrit : « cette maladie est<br />

tellement identique à la maladie saturnine qu’on est tenté<br />

de lui assigner la même cause ». L’autre parti est mené<br />

par Jean-Baptiste Fonssagrives, futur grand professeur<br />

d’hygiène navale. Celui-ci écrit dans sa thèse, en<br />

1852 : « l’opinion qui rattache la colique végétale à<br />

l’intoxication saturnine est toute gratuite ». Le mot de la<br />

Page de garde du premier numéro des Archives de médecine navale. Cliché<br />

Bernard Brisou.<br />

trois cents ans de médecine navale<br />

511


Poste de secours intérieur navire.<br />

fin revient au directeur du Service de santé de Brest qui,<br />

après avoir étudié de près des centaines de rapports et<br />

avoir correspondu avec les chirurgiens, fait supprimer<br />

toute trace de plomb à bord, en particulier la tuyauterie en<br />

contact avec l’eau de boisson. La mesure étant appliquée,<br />

les coliques sèches disparaissent. En 1858, Amédée<br />

Lefèvre est fait commandeur de la Légion d’Honneur.<br />

Son ouvrage consacré à la question, publié l’année<br />

suivante, reste un modèle pour les épidémiologistes.<br />

Dans la deuxième édition de son Traité d’hygiène navale,<br />

en 1877, Fonssagrives fait amende honorable (6).<br />

VIII. 1889-1890, TROIS FONDATIONS, UNE ÈRE<br />

NOUVELLE.<br />

Cette fin de XIX e siècle, grosse des progrès accomplis par<br />

les sciences médicales et animée d’un irrésistible esprit<br />

de conquête, engendre trois structures dans lesquelles le<br />

Service de santé de la Marine est impliqué: un service de<br />

santé particulier pour les colonies ; une école du service<br />

de santé unique liée à une faculté de médecine; la création<br />

de l’Institut Pasteur.<br />

Après de multiples tentatives de prise d’autonomie de la<br />

direction des colonies vis-à-vis du ministre de la Marine,<br />

menées depuis 1858, un secrétariat d’état aux colonies<br />

voit le jour en 1881. L’année suivante, le professeur<br />

Georges Treille est nommé auprès du président du<br />

Conseil supérieur du Service de santé de la Marine,<br />

Bérenger-Féraud (7). Devenu médecin en chef en 1886,<br />

Treille se fait connaître d’Eugène Étienne, homme<br />

politique influent et secrétaire d’état aux colonies.<br />

Malgré la forte résistance de la Marine, le 7 janvier 1890<br />

paraît le décret portant « Constitution et organisation<br />

du corps de santé des colonies et pays de protectorat »,<br />

œuvre conjointe d’Étienne et de Treille. Albert Calmette,<br />

alors en poste à Saint-Pierre et Miquelon, opte parmi<br />

les premiers pour le nouveau corps.<br />

Le second évènement majeur est le fruit de la loi du<br />

10 avril 1890, portant « Création d’une École du Service<br />

de santé de la Marine et de trois annexes ». Le doctorat<br />

étant devenu obligatoire pour exercer la médecine, les<br />

écoles de Brest, Rochefort et Toulon en sont réduites<br />

à préparer les élèves au concours d’entrée à l’École<br />

principale que le décret du 22 juillet a placé auprès de la<br />

faculté de Bordeaux. Son règlement intérieur et les<br />

uniformes étant calqués sur ceux de l’École navale de<br />

Brest, elle devient naturellement « Santé navale », d’où<br />

sortiront les médecins et les pharmaciens destinés à servir<br />

sur mer et outre-mer.<br />

512 b. brisou


La troisième fondation, contemporaine des deux autres,<br />

va participer étroitement à la vie des médecins issus<br />

de cette école bordelaise dont la faculté de rattachement<br />

se tourne résolument vers l’outre-mer. Après la<br />

retentissante réussite du vaccin contre la rage, les dons<br />

affluent qui permettent à Louis Pasteur de voir s’édifier<br />

l’Institut qui porte son nom. Inauguré le 14 novembre<br />

1888, cet Institut Pasteur ouvre un cours de « microbie<br />

technique » sous la direction d’Émile Roux avec comme<br />

adjoint Alexandre Yersin. Dès la première session, des<br />

médecins et des pharmaciens de l’armée de Terre, de la<br />

Marine et des colonies font partie des auditeurs.<br />

Ces trois fondations entraînent une réorganisation des<br />

structures sanitaires outre-mer. Depuis son implantation<br />

dans les colonies, la Marine entretenait, en effet, des<br />

établissements hospitaliers tels ceux de Saint-Louis au<br />

Sénégal ou de Saïgon en Cochinchine. Ces structures,<br />

ainsi que les Instituts Pasteurs créés outre-mer, seront<br />

gérés dorénavant par les médecins des colonies.<br />

Cependant, la Marine gardera, jusqu’à la décolonisation<br />

des années soixante, un hôpital en Afrique du Nord.<br />

La France ayant établi son protectorat sur la Tunisie, la<br />

Marine construit, dès 1900, une base navale à Bizerte. Au<br />

fond du lac, relié à la mer par un canal, un arsenal voit<br />

le jour à Sidi Abdallah dont le bourg voisin devient<br />

Ferryville. Le 21août 1905 le dernier hôpital de la Marine<br />

outre-mer est inauguré. Il rendra les plus grands services<br />

au cours des deux conflits mondiaux. En 1944, le Service<br />

de santé des troupes américaines apporte avec lui trois<br />

précieuses nouveautés : les cocktails lytiques, la<br />

pénicilline et l’insecticide DDT. C’est à l’hôpital de<br />

Ferryville que le jeune chirurgien de la Marine Henri<br />

Laborit fait ses premiers essais aboutissant à son<br />

concept d’hibernation. Une épidémie de peste s’étant<br />

déclarée, le médecin de 1 re classe Jean Brisou démontre<br />

expérimentalement l’efficacité des sulfamides, sauvant<br />

ainsi de nombreux malades, tandis que la pénicilline,<br />

si efficace contre les fièvres récurrentes, reste sans<br />

effet sur le bacille de Yersin. Le DDT, quant à lui, devient<br />

un atout majeur de lutte contre le paludisme.<br />

Le navire-hôpital Canada en 1940. Collection Jean Brisou.<br />

IX. LES NAVIRES ET LES TRANSPORTS-<br />

HÔPITAUX.<br />

L’ordonnance fondatrice du 15 avril 1689 prévoyait, à la<br />

suite des <strong>Armées</strong> navales, un navire-hôpital pour 10<br />

vaisseaux. Outre l’aumônier et l’écrivain, le personnel<br />

comprenait un maître chirurgien capable et expérimenté,<br />

deux chirurgiens sous lui, un maître et deux aides<br />

apothicaires. Le matériel comportait des coffres<br />

d’instruments chirurgicaux et des coffres à médicaments,<br />

des cadres (et non des hamacs) pour le couchage, de la<br />

lingerie ainsi qu’une alimentation appropriée pour les<br />

alités. Depuis cette époque, de nombreux vaisseaux gréés<br />

en hôpitaux suivirent les différentes escadres y compris<br />

durant la guerre d’Indépendance américaine.<br />

Au XIX e siècle, la reprise des colonies puis l’extension des<br />

positions outre-mer conduit la Marine à s’adapter aux<br />

besoins opérationnels en établissant, par endroits, des<br />

hôpitaux flottants. Ainsi, en octobre 1859, la Caravane<br />

prend-elle son mouillage dans l’estuaire du Gabon pour<br />

servir d’hôpital et de magasin de vivres pour la division<br />

navale de la côte occidentale d’Afrique. Ayant mis sa<br />

mâture à terre, elle est aussi utilisée comme direction du<br />

port et caserne pour les ouvriers. Cependant, les plus<br />

nombreux et les plus utilisés seront les transportshôpitaux,<br />

bâtiments à tout faire qui, outre les malades<br />

et les blessés, convoient des familles, des troupes et leurs<br />

montures. Dès l’ouverture des pénitenciers de Guyane,<br />

ces bâtiments sont aussi chargés du transport des<br />

condamnés que l’on enferme dans des cages. Les<br />

médecins-majors de ces bâtiments, en rotations<br />

constantes entre le Sénégal, les îles du Salut, les Antilles<br />

et la métropole, ne manqueront pas, dans leurs rapports,<br />

de condamner ce système fort contraire aux règles<br />

élémentaires d’hygiène. Afin de faire face aux besoins<br />

des armées lors de la conquête puis de la pacification de<br />

l’Annam et du Tonkin, la Marine est contrainte d’affréter<br />

des navires appartenant à des compagnies privées. Ainsi,<br />

de 1886 à 1895, à côté des bâtiments de l’État comme le<br />

Vinh-Long, l’Annamite, le Bien-Hoa et le Mytho, sont<br />

affrétés le Chandernagor, le Comorin, le Canton, le<br />

Colombo et le Cachar, pour effectuer les navettes entre<br />

l’Extrême-Orient et la France.<br />

Si la grande guerre n’exige, à ses débuts, que peu<br />

de moyens maritimes d’évacuation des blessés, les<br />

besoins se révèlent considérables lors des opérations<br />

en Orient. L’affaire des Dardanelles mobilise à elle<br />

seule, outre le vieux Tonquin rebaptisé Duguay-Trouin,<br />

cinq navires réquisitionnés. Les rapatriements sanitaires<br />

du front d’Orient vers la métropole ou l’Afrique du<br />

nord, en particulier sur l’hôpital maritime de Sidi-<br />

Abdallah, mobiliseront jusqu’au plus grand paquebot<br />

français, le France.<br />

Lors de la Seconde Guerre mondiale, deux vétérans<br />

de la flotte marchande, le Canada et le Sphinx, sont mobilisés.<br />

Le premier fera des navettes entre l’Angleterre et<br />

Toulon. Le second sera capturé par les Italiens.<br />

trois cents ans de médecine navale<br />

513


Le Mistral. Credit ECPAD.<br />

X. LES TEMPS MODERNES.<br />

Les 6 et 9 août 1945, les États-Unis d’Amérique font<br />

capituler le Japon en anéantissant Hiroshima et Nagasaki<br />

par le feu nucléaire. Le monde entre dans une ère<br />

nouvelle. Les Services de santé de Terre, de Mer, de l’Air<br />

et des Troupes de marine fusionnent. Le Service de<br />

santé de la Marine avait participé, dès leurs débuts, aux<br />

aventures aéronautiques et sous-marines qui, dans les<br />

années cinquante, prennent un rythme plus soutenu.<br />

Les bases aéronavales se multiplient et la Marine passe<br />

du porte-avions Béarn au Clémenceau et bientôt au<br />

Charles-de-Gaulle à propulsion nucléaire. Des médecins<br />

s’engagent dans la voie de l’aéronautique navale<br />

en effectuant un stage sur la base de Pensacola, aux États-<br />

Unis, afin d’acquérir un diplôme de navigant et la<br />

compétence médicale spécifique. Un centre d’expertise<br />

du personnel navigant entre en fonction. La Marine<br />

étant responsable de la sécurité en mer, ses médecins<br />

participent à la surveillance des pêches ainsi qu’aux<br />

secours aux malades et aux blessés parfois au prix<br />

d’un hélitreuillage.<br />

Passant à la propulsion nucléaire, les sous-marins,<br />

qu’ils soient d’attaque ou lanceurs d’engins, ont besoin<br />

de compétences médicales particulières et des<br />

médecins, volontaires et sélectionnés, suivent les cours<br />

de l’école atomique de Cherbourg et s’initient à<br />

la chirurgie générale, ainsi qu’à la dentisterie, lors de<br />

stages hospitaliers.<br />

Initié au XIX e siècle avec la cloche à plongeurs, le travail en<br />

immersion est source de bien des accidents. Très tôt les<br />

médecins et pharmaciens de la Marine participent aux<br />

recherches générées par ces interventions sous la mer.<br />

Aux scaphandres dits lourds succéderont les scaphandres<br />

autonomes auxquels sont attachés les noms de Cousteau<br />

et de Gagnan et dont les premiers essais sont menés dans<br />

les années quarante en rade de Toulon. Les appareils de<br />

plongée se perfectionnent et des mélanges gazeux sont<br />

mis au point dans les centres de recherche de la Marine<br />

puis du Service de santé. Le Centre d’étude et de recherche<br />

de biophysiologie (CERB) appliquées à la Marine et des<br />

centres de sélection, d’expertise et de suivi du personnel<br />

sont mis en place. Les accidents de décompression<br />

guettent les plongeurs malgré le respect des tables<br />

rythmant les temps et les paliers de remontée des<br />

profondeurs. Des caissons de recompression sont<br />

installés à terre ou à bord des chasseurs de mines,<br />

qu’un personnel médical et paramédical spécialisé<br />

et entraîné est amené à servir.<br />

Parmi les plongeurs, les nageurs de combats tiennent une<br />

place éminente au sein des fusiliers marins et leurs médecins<br />

partagent les mêmes contraintes d’entraînement<br />

qu’eux. Au large de la Somalie, le 11 avril 2008, lors du<br />

récent sauvetage du voilier de luxe le Ponant des griffes des<br />

514 b. brisou


âtiments de guerre de fort tonnage sont depuis bien des<br />

lustres dotés d’un véritable hôpital. À côté du porte-avions<br />

Charles-de-Gaulle, les derniers nés de ces navires, les<br />

bâtiments de projection et de commandement (BPC)<br />

Mistral et Tonnerre, déplaçant chacun 20000 tonnes, ont<br />

des capacités « santé » exceptionnelles. Pouvant recevoir<br />

des équipes de spécialistes venues pour la circonstance des<br />

hôpitaux des armées afin de renforcer le personnel qui lui<br />

est propre, doté d’un système de télémédecine, un tel<br />

bâtiment peut assurer la capacité médicale de soutien d’une<br />

task force. Les premiers essais de transmission d’images<br />

radiologiques et cardiologiques furent conduits les 28 et<br />

29 septembre 1993, entre le service de radiologie de<br />

l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne à Toulon et<br />

le croiseur-école Jeanne d’Arc: le médecin de la Marine du<br />

XXI e siècle n’est plus un praticien isolé, comme le furent<br />

longtemps ses anciens, les chirurgiens navigants (8).<br />

Les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins<br />

(SNLE) veillent, tapis au fond des océans, assurant la<br />

« dissuasion », c’est-à-dire la « non-guerre ». Le temps<br />

n’est plus aux batailles escadre contre escadre et<br />

les projections de forces sont devenues une affaire<br />

interarmées voire interalliée : le Service de santé s’y<br />

est préparé.<br />

Tranbordement.<br />

pirates, les hommes du commando Hubert avaient avec<br />

eux leur médecin: un métier qui ne s’improvise pas.<br />

Enfin, la Convention de Genève imposant trop de<br />

contraintes, le temps des navires-hôpitaux qui arboraient<br />

fièrement des croix rouges sur leurs flancs est révolu. Les<br />

XI. CONCLUSION.<br />

Cependant, la mer garde ses droits et la Marine, en<br />

charge de ces plates-formes de projection, de la sécurité<br />

des voies de navigation, du service public le long<br />

des côtes, de la lutte contre l’immigration clandestine<br />

et le trafic maritime de la drogue, se doit de conserver,<br />

comme aujourd’hui, des médecins dont la vocation et la<br />

formation soient de la servir. Créé avec la caution de<br />

l’État-major de la Marine et la Direction centrale du<br />

Service de santé des armées, le diplôme de médecine<br />

navale est décerné, avec son insigne, aux médecins<br />

stagiaires de l’Institut de médecine navale depuis le<br />

28 novembre 2007, reconnaissant ainsi leur spécificité.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Lefèvre A. Histoire du Service de santé de la Marine militaire et des<br />

Écoles de médecine navale en France. Paris: J.-B. Baillière et fils; 1867.<br />

2. Brisou B. Du Service de santé de la Marine au Service de santé<br />

pour la Marine. Carnet de la Sabretache 2004, nouvelle série ;<br />

N° 162 : 169-78.<br />

3. Sardet M. Naturalistes et explorateurs du Service de santé de la<br />

Marine au XIX e siècle. Paris : Pharmathèmes ; 2007.<br />

4. Brisou B. Débuts de l’anesthésie générale dans la Marine de<br />

guerre. Médecine et <strong>Armées</strong> 1997 ; 25 (5) : 543-50.<br />

5. Brisou B. Catalogue raisonné des rapports médicaux annuels ou de<br />

fin de campagne des médecins et chirurgiens de la Marine d’État,<br />

1790-1914. Orléans : Service historique de la marine/Service de<br />

santé des armées ; 2003.<br />

6. Brisou B. Amédée Lefèvre, éminent hygiéniste naval de<br />

Rochefort. Médecine et <strong>Armées</strong> 2003 ; 31 (5) : 516-24.<br />

7. Brisou B. Naissance du Service de santé des colonies : dix ans de<br />

drames. Médecine et <strong>Armées</strong> 1996 ; 24 (5) : 423-31.<br />

8. Brisou B. Le Service de santé pour la Marine au début du<br />

XXI e siècle. Académie de Marine - Communications et mémoires<br />

2001-2002 ; N° 2 : 23-40.<br />

trois cents ans de médecine navale<br />

515


Le professeur Alphonse Laveran identifia l’hématozoaire du paludisme en 1880, effectua de nombreux travaux sur la trypanosomiase et obtint le prix Nobel en 1907.<br />

Agrégé du Val-de-Grâce, il fut l’auteur d’un excellent traité des maladies et épidémies des armées édité en 1875, et actuellement réédité.<br />

516


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

DES FIÈVRES AUX MALADIES INFECTIEUSES<br />

Trois siècles de lutte contre l’infection<br />

J.-D. CAVALLO<br />

Depuis la plus haute antiquité, les maladies infectieuses<br />

tiennent une place à part dans la médecine aux armées.<br />

Vieilles terreurs de l’humanité et omniprésentes dans les<br />

armées au camp ou en campagne, les maladies<br />

infectieuses ont rythmé sur un mode endémique ou<br />

épidémique la vie des hommes et ont largement influé<br />

sur le cours de l’histoire des nations. Les médecins de<br />

l’antiquité ont passé complètement sous silence l’histoire<br />

des épidémies qui nous sont uniquement rapportées par<br />

l’intermédiaire des historiens. Si les médecins et leurs<br />

contemporains connaissaient bien les symptômes de<br />

maladies infectieuses, ils n’en maîtrisaient ni les causes,<br />

ni la nosologie, ni le traitement et les considéraient<br />

comme un mal inévitable contre lequel ils ne disposaient<br />

que de méthodes empiriques. Cette attitude fataliste<br />

était à la hauteur de leur impuissance face à ces<br />

fléaux. Thucydide nous a laissé le premier une<br />

description précise de l’épidémie de « peste » qui a<br />

touché massivement Athènes lors de la guerre du<br />

Péloponnèse, tua Périclès en 429 et contribua fortement<br />

à l'affaiblissement de la puissance Athénienne face<br />

à Sparte (1). Les épidémies de paludisme furent omniprésentes<br />

dans l’armée d’Alexandre le Grand lors de leurs<br />

campagnes en Asie et le conquérant lui-même mourut<br />

probablement d’un accès palustre grave à Babylone en<br />

323 avant J.-C. Les autres descriptions des auteurs<br />

antiques sont nombreuses, mais plus sommaires. Nous<br />

nous contenterons de citer la peste de Galien ou « peste<br />

antonine », ramenée de Syrie par les légions de Lucius<br />

Verus qui décima les populations de l’Empire romain<br />

entre 165 et 180 après J.-C et tua l’empereur Marc Aurèle.<br />

Hippocrate décrit les fièvres, leur rythme, leur intensité,<br />

les relie aux désordres des humeurs du corps et en donne<br />

le pronostic. On retrouve dans le livre des Épidémies :<br />

« Les maladies les plus aiguës, les plus considérables, les<br />

plus pénibles, les plus funestes, sont dans la fièvre<br />

continue. La fièvre quarte est de toutes la plus sûre, la plus<br />

supportable et la plus longue (…) Dans la fièvre appelée<br />

hémitritée, il survient aussi des maladies aiguës, et de<br />

toutes les autres elle est la plus funeste. (…) La fièvre<br />

J.-D. CAVALLO, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce.<br />

Correspondance : J.-D. CAVALLO, Service de biologie, HIA Bégin, 69 avenue de<br />

Paris, 94163 SAINT-MANDÉ Cedex.<br />

continue nocturne n’expose pas à un très grand danger de<br />

mort, mais elle est longue; la fièvre continue diurne dure<br />

encore davantage (…). La fièvre tierce exquise se juge<br />

très promptement et ne cause pas la mort. (….). Toutes ces<br />

fièvres ont leur mode d’être, leurs constitutions et leurs<br />

redoublements. » (2)<br />

Différentes classifications des fièvres basées sur les<br />

tableaux cliniques furent proposées tout au long des<br />

siècles, mais l’attitude empirique dans la prise en charge<br />

des maladies infectieuses perdurait encore au siècle de<br />

Louis XIV. L’hygiène était à son plus bas niveau depuis<br />

la renaissance et les XVI e et XVII e siècles sont réputés pour<br />

leur manque d’hygiène. La notion de pénétration des<br />

miasmes au travers des pores de la peau suggérée par<br />

Jérôme Fracastor, pionnier de l’épidémiologie et de la<br />

notion de contagion (1546) aura des conséquences<br />

néfastes auprès de ses contemporains. La toilette à l’eau<br />

chaude, réputée dilater les pores se trouvera reléguée au<br />

rang des causes favorisantes de la transmission des<br />

maladies et restera considérée comme nocive pour la<br />

santé pendant près de trois siècles. L’insalubrité et la<br />

promiscuité accompagnaient le quotidien des soldats<br />

et favorisaient la multiplication des épidémies dans<br />

les armées ainsi que dans les hôpitaux sédentaires et<br />

ambulatoires créés par l’autorité royale et qui étaient le<br />

plus souvent de véritables mouroirs. C’est à la suite des<br />

pertes immenses subies par les armées lors des guerres<br />

menées tout au long de son règne que Louis XIV fut à<br />

l’origine d’hôpitaux sédentaires systématiquement<br />

construits dans les forteresses frontalières, de l’édification<br />

de l’hôtel national des Invalides et de l’Édit de<br />

janvier 1708, acte fondateur visant à uniformiser et<br />

centraliser l’organisation hospitalière militaire par la<br />

création d’un corps des officiers de santé militaire (3).<br />

Malgré ces efforts, les maladies, au premier rang<br />

desquelles les maladies infectieuses épidémiques<br />

dépassaient complètement les capacités médicales et<br />

continuaient à tuer beaucoup plus que les combats.<br />

L’hiver, temps de répit pour les armes, était plus meurtrier<br />

que l’été pendant lesquels les hommes s’affrontaient. On<br />

estime ainsi que sur les 600 000 victimes militaires des<br />

guerres du XVIII e siècle, 54 % furent victimes de maladies,<br />

32 % blessés et 14 % furent tués ou décédés des suites de<br />

leurs blessures. Pendant les guerres de la Révolution et de<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 517


l’Empire, on estime le nombre de morts par maladie<br />

dans les armées françaises à plus de 2 500 000 contre<br />

seulement 150000 tués au combat.<br />

Les praticiens du XVIII e siècle appelaient en fait «fièvres»<br />

toutes les maladies fébriles qu’ils ne savaient pas<br />

diagnostiquer. Le degré de fièvre se mesurait à la vitesse<br />

et à la force du pouls, à l’augmentation de la chaleur, à la<br />

fréquence de la respiration et au niveau de lassitude<br />

spontanée (asthénie). Les médecins militaires comme<br />

l’anglais John Pringle, auteurs de l’ouvrage de référence<br />

Encart 1<br />

La victoire sur les fièvres typhoïdes<br />

Les fièvres typhoïdes étaient au milieu du XIX e siècle la<br />

seconde cause de mortalité dans les armées avec 20 % des<br />

décès survenus dans les troupes stationnées en métropole,<br />

juste après la tuberculose. Cette endémie a perduré sur un<br />

mode majeur dans les armées jusqu’à la guerre de 1914 et<br />

l’introduction obligatoire de la vaccination mise au point<br />

par Hyacinthe Vincent dans l’armée française grâce à la loi<br />

Léon Labbé éditée en 1913. Cependant, au déclenchement<br />

de la guerre, seules les unités d’active étaient vaccinées et<br />

des épidémies survenaient dans les unités de réserve ou de<br />

conscrits hâtivement levées. Pendant les premiers mois de la<br />

guerre, plus de 45000 malades avaient été hospitalisés pour<br />

plus de 8000 décès. On s’aperçut que la vaccination, ciblée<br />

sur l’unique bacille d’Ebert (Salmonella enterica sérotype<br />

Typhi) ne protégeait pas contre les bacilles<br />

des sérotypes Para A et Para B, responsables des fièvres<br />

paratyphoïdes. Hyacinthe Vincent mit au point rapidement<br />

un vaccin polyvalent TAB avec lequel il obtint l’autorisation<br />

de vacciner l’ensemble des armées. Le résultat fut<br />

spectaculaire et à la fin de la guerre, seulement quelques<br />

centaines de cas de typhoïde par an étaient encore déclarés.<br />

Cette victoire médicale majeure contre une endémie<br />

séculaire au sein des armées valut au professeur Vincent<br />

une notoriété immense assortie de la médaille militaire,<br />

décoration exceptionnellement obtenue par les officiers et<br />

habituellement réservée aux généraux en chefs victorieux.<br />

H. Vincent fait la première vaccination antityphoïdique.<br />

Encart 2<br />

Diarrhées, dysenterie et choléra<br />

La dysenterie a accompagné l’histoire des armées en<br />

campagne. La grande épidémie de dysenterie qui a décimé<br />

la puissante armée prussienne a sauvé les armées<br />

révolutionnaires d’une défaite probable lors de la bataille<br />

de Valmy en 1792. Elle a largement obéré les capacités<br />

des armées lors des campagnes Napoléoniennes, de la<br />

conquête de l’Algérie ou lors de la guerre de Crimée. Les<br />

corps expéditionnaires lui ont payé un lourd tribut lors des<br />

campagnes coloniales au cours desquelles la survenue de<br />

ces dysenteries avait très tôt été associée à la fréquence des<br />

abcès hépatiques, témoignant de la présence des amibes<br />

dysentériques aux côtés des Shigella. Le choléra, dont<br />

l’agent est Vibrio cholerae, identifié par Koch en 1883,<br />

sortit de son foyer traditionnel du Bengale et de la haute<br />

vallée du Gange au début du XIX e siècle, se répandit dans le<br />

monde le long des routes commerciales sous forme de<br />

pandémies successives et s’installa en Europe à partir de<br />

1830, avec la seconde pandémie. À la suite de l’armée<br />

anglaise des Indes, déjà victime du choléra dans la<br />

deuxième moitié du XVIII e siècle et au début du XIX e siècle,<br />

les armées européennes en campagne furent à leur tour<br />

atteintes par des épidémies au cours du XIX e siècle. C’est<br />

ainsi que le choléra importé d’Europe sévit avec force en<br />

Algérie et en surtout en Crimée dans les armées françaises,<br />

qui en furent très lourdement éprouvées. Les garnisons de<br />

métropole furent également touchées par les épidémies.<br />

Avec l’élucidation des mécanismes de la contagion<br />

les méthodes de prévention furent progressivement<br />

améliorées. Le développement de la quarantaine et des<br />

lazarets, l’utilisation d’un vaccin dans le cas du choléra,<br />

les progrès de l’hygiène et de la désinfection, le traitement<br />

de l’eau de boisson devaient permettre de mieux contrôler<br />

les maladies du péril fécal.<br />

de l’époque ou le français Jean Colombier (4, 5) isolaient<br />

les fièvres putrides considérées comme les plus sévères et<br />

qui avaient pour cause un ferment putride et les fièvres<br />

inflammatoires. Les médecins militaires de la Révolution<br />

et de l’Empire distinguaient de façon pragmatique trois<br />

grands types de fièvres dans les armées : les fièvres<br />

rémittentes saisonnières des camps qui correspondaient<br />

essentiellement à la typhoïde actuelle (encart 1) ou à la<br />

dysenterie, qui selon Jean Colombier était « la maladie<br />

qu’on voit régner le plus souvent dans les troupes. Elle est<br />

épidémique » (encart 2) ; les fièvres des marécages,<br />

incluant le paludisme (encart 3) et les fièvres des prisons<br />

et des hôpitaux qui étaient dominées par le typhus<br />

exanthématique et les maladies transmises par les<br />

poux (encart 4). La pourriture d’hôpital ou gangrène<br />

compliquait un grand nombre de plaies de guerres et<br />

emportait les patients dans des tableaux septicémiques et<br />

de choc septique (encart 5). Enfin, des endémies tenaces<br />

518 j.-d. cavallo


Encart 3<br />

De la malaria au Paludisme (8)<br />

Bien que considérée comme une maladie tropicale, la<br />

malaria (mal aria = mauvais air) a infesté de vastes régions<br />

d’Europe durant des siècles et accompagné de nombreuses<br />

expéditions militaires. Elle sévissait de façon endémique<br />

dans presque toutes les régions marécageuses et humides<br />

aussi bien à Rome qu’en Provence, aux Pays Bas comme<br />

en Écosse. Les légions romaines furent en effet décimées<br />

par les fièvres des marais lors de la campagne calédonienne<br />

menée par Septime Sévère en 208 après J.-C.Depuis<br />

l’atteinte des armées d’Alexandre le Grand suivie de la<br />

mort du conquérant par accès pernicieux, la malaria fut<br />

décrite comme un fléau majeur dans toutes les armées en<br />

campagne lors des grandes expansions vers l’Orient,<br />

l’Afrique ou les Amériques. L’expansion coloniale à partir<br />

du XVIII e siècle s’accompagna d’une explosion des fièvres<br />

palustres dans les armées européennes et indigènes. La<br />

malaria coûta un lourd tribut à l’armée française lors de la<br />

conquête de l’Algérie et la campagne de Madagascar fut à<br />

la fois une promenade militaire et un désastre sanitaire.<br />

Pendant la Première Guerre mondiale, le paludisme<br />

toucha 50 % des effectifs de l’armée française d’Orient et<br />

nécessita 20 000 rapatriements. L’étiologie supposée<br />

de ces fièvres fut évoquée dès le Moyen-âge sous les<br />

appellations de fièvre des marais, palustre, paludéenne. Ce<br />

n’est réellement qu’après la découverte de l’agent<br />

pathogène par Laveran en 1880 à Constantine et son traité<br />

sur les fièvres palustres (1884) que s’imposera le terme<br />

« paludisme » (palus = marais) désignant à la fois la<br />

maladie et l’attribution aux « miasmes » du marais. La<br />

responsabilité d’un moustique fut prouvée en 1897 par<br />

Ronald Ross. La lutte antivectorielle contre l’anophèle<br />

s’imposa alors comme une des bases de la prophylaxie.<br />

Les vertus de l’écorce du quinquina étaient connues et<br />

utilisées depuis le XVII e siècle contre les fièvres palustres,<br />

jusqu’à l’isolement du sulfate de quinine en 1820 par<br />

Pelletier et Caventou et à son utilisation massive à partir de<br />

1834 sous l’impulsion de François Maillot dans le<br />

traitement et la prévention des fièvres. L’association de<br />

traitements spécifiques de plus en plus performants, de la<br />

chimioprophylaxie et de la lutte antivectorielle permit de<br />

faire reculer le spectre du paludisme au cours du XX e siècle.<br />

Cependant, l’apparition des résistances aux antimalariques<br />

chez les hématozoaires, des résistances aux<br />

insecticides chez l’anophèle, la diminution des efforts<br />

sanitaires liée à la multiplication des conflits font que le<br />

paludisme reste encore avec plus de 500 cas déclarés<br />

chaque année le premier problème sanitaire pour nos<br />

forces qui interviennent dans les zones d’endémie.<br />

comme les maladies vénériennes ou la gale affligeaient<br />

de façon permanente les troupes.<br />

Vu avec les connaissances d’un médecin de 2008, toutes<br />

ces fièvres ont trouvé un cadre nosologique et des agents<br />

étiologiques précis peuvent être mis en évidence à l’aide<br />

d’examens complémentaires performants. Ces maladies<br />

appellent un traitement spécifique à base d’antiinfectieux<br />

et une prophylaxie collective adaptée à<br />

l’épidémiologie de chaque type d’infection et basée<br />

selon les cas sur des mesures d’hygiène, la vaccination<br />

ou la lutte antivectorielle. Plusieurs siècles ont été<br />

nécessaires pour que le corps médical, au travers des<br />

progrès en sciences humaines, transforme les fièvres<br />

qui tuent en infections curables et réussisse à leur enlever<br />

leur caractère inévitable par des mesures de prévention<br />

spécifiques. Les médecins militaires ont joué un rôle<br />

éminent dans la révolution scientifique qui a permis<br />

de contrôler et prendre en charge les maladies<br />

infectieuses, première cause de maladie et de mortalité<br />

depuis les débuts de l’humanité.<br />

Les premiers moyens de lutte mis en place contre les<br />

fièvres découlaient d’une vision médicale innovante pour<br />

l’époque concernant leur transmission: le mauvais air est<br />

Encart 4<br />

Les maladies transmises par les poux<br />

Les poux, en particulier Pediculus humanus (poux du<br />

corps) sont les grands vecteurs du typhus exanthématique<br />

du à Rickettsia prowaseki, mais aussi de la fièvre des<br />

tranchées due à Bartonella quintana ou la fièvre récurrente<br />

cosmopolite à poux liée à Borrelia recurrentis.<br />

Maladies épidémiques de la promiscuité, de la misère et<br />

des guerres, très répandues dans les armées en campagne,<br />

les maladies transmises par les poux ont marqué l’histoire<br />

militaire depuis la Renaissance et les guerres d’Italie. Le<br />

terme de « typhus » désignait initialement plusieurs types<br />

d’infections épidémiques touchant les grands<br />

regroupements militaires et dont la plus sévère était le<br />

typhus exanthématique, principal responsable de la fièvre<br />

des hôpitaux et des prisons. Les maladies transmises<br />

par les poux ont accompagné toutes les campagnes<br />

Napoléoniennes. Une étude génétique sur la pulpe<br />

dentaire de 35 soldats enterrés à Vilnius lors de la retraite<br />

de Russie montrait que 30 % d’entre eux souffraient de<br />

maladies transmises par les poux, fièvre des tranchées ou<br />

typhus exanthématique (9). Le typhus exanthématique fut<br />

responsable de très nombreux décès par maladie dans<br />

l’armée française lors de la campagne de Crimée. La<br />

fièvre récurrente ou « typhus à rechute » à B. recurrentis<br />

était connue pour accompagner fréquemment les épidémies<br />

de typhus exanthématique, avec une évolution<br />

cependant moins sévère. Les épidémies de fièvre récurrente<br />

ont sévi dans les armées en Afrique du Nord jusqu’à<br />

la 2 e Guerre Mondiale. B. quintana, agent de la fièvre des<br />

tranchées pendant la Guerre de 1914-1918, infecte<br />

l’homme depuis au moins 4 000 ans (10) et sévit encore<br />

dans les populations de sans-abri infestées par les poux. La<br />

responsabilité des poux dans la transmission du typhus<br />

exanthématique ne fut prouvée qu’en 1909 par Charles<br />

Nicolle. Le déparasitage des sujets infestés par les poux,<br />

devint une priorité en matière d’hygiène et l’utilisation de<br />

poudres insecticides comme le DDT permit d’atteindre<br />

définitivement cet objectif et d’éliminer dans les armées<br />

ces maladies à réservoir humain.<br />

des fièvres aux maladies infectieuses<br />

519


Épouillement.<br />

le responsable par excellence des maladies les plus graves<br />

et les plus contagieuses. John Pringle résume bien les<br />

quatre types d’air infect : celui qui provient de l’eau<br />

stagnante des marais, celui qui s’exhale des excréments<br />

qui sont autour du camp pendant les chaleurs et lorsque la<br />

dysenterie est fréquente, celui qui émane de la paille<br />

pourrie dans les tentes et enfin celui que l’on respire<br />

dans les hôpitaux pleins de gens incommodés par les<br />

maladies putrides et dans les casernes quand elles sont<br />

trop pleines et mal entretenues (4). L’eau croupissante ou<br />

la mauvaise alimentation sont également reconnus<br />

comme responsables de maladies.<br />

Les praticiens militaires du XVIII e siècle se placent parmi<br />

les grands précurseurs de l’hygiène en campagne. Pour<br />

eux, la notion dominante était que la propreté est la<br />

meilleure prévention possible contre les épidémies.<br />

Il s’agissait d’abord de la propreté de l’air avec le<br />

creusement des feuillées loin du camp et leur traitement<br />

par l’ajout quotidien de terre, l’aération des tentes,<br />

des chambrées ou des salles d’hôpital. Les eaux<br />

croupissantes des marais étaient réputées charger l’air<br />

d’impuretés et devaient être soigneusement évitées.<br />

Les locaux étaient entretenus, le linge régulièrement<br />

changé et lavé pour éviter les maladies de peau. L’hygiène<br />

corporelle et le bain chaud étaient de nouveau conseillés,<br />

en particulier pour les malades. À l’hôpital, il était<br />

préconisé de ne mettre qu’un seul patient par lit,<br />

contrairement à l’habitude du temps. Les patients galeux,<br />

teigneux, « vermineux » ou porteurs de maladies<br />

vénériennes devaient être isolés des autres militaires.<br />

L’eau devait être filtrée et on préconisait d’y ajouter<br />

du vinaigre, les qualités de l’eau bouillie et de l’eau<br />

chaude donnée sous forme de tisanes étaient vantées.<br />

On rechercha enfin l’amélioration de la ration du soldat<br />

pour le fortifier et le rendre plus résistant aux maladies.<br />

Toutes ces recommandations nées du bon sens et<br />

de l’observation étaient reprises dans des manuels<br />

d’instruction, mais étaient malheureusement peu<br />

suivies d’effet, car les officiers de santé et leurs aides<br />

étaient cantonnés aux soins médico-chirurgicaux et<br />

à la prescription des régimes alimentaires. Pour la<br />

politique sanitaire, ils étaient placés sous la tutelle<br />

de l’intendance et dépendaient de son bon vouloir pour<br />

l’approvisionnement, la police et la propreté sanitaire.<br />

Leur influence sur la conduite des opérations et les<br />

conditions de vie des soldats était en fait limitée. Sur le<br />

plan thérapeutique, la quinquina était depuis le XVII e<br />

siècle le remède universellement utilisé pour le traitement<br />

de toutes les fièvres, y compris de la dysenterie.<br />

Le XVIII e siècle devait voir la dernière des grandes<br />

épidémies de peste qui sévissaient depuis le moyen-âge.<br />

Elle eut lieu en Provence entre 1720 et 1723 et fut en<br />

grande partie jugulée grâce aux mesures de quarantaine<br />

et à l’intervention de l’armée qui établit des cordons<br />

sanitaires autour des zones où sévissait l’épidémie.<br />

520 j.-d. cavallo


La période 1792-1796 amorça une courte période<br />

d’autonomie pour le Service de santé, avant que le corps<br />

de santé ne retombe sous la coupe des commissaires des<br />

guerres, avec les mêmes inconvénients que sous l’ancien<br />

régime. Dans le domaine des maladies infectieuses, les<br />

épidémies qui rythmaient les campagnes de la révolution<br />

et de l’empire se rajoutaient à une situation sanitaire déjà<br />

déficiente. Si ces épidémies étaient parfois favorables<br />

aux armes françaises, comme l’épidémie de dysenterie<br />

qui décima l’armée prussienne à Valmy en 1792 ou celle<br />

de paludisme qui décima 27 000 soldats britanniques<br />

dans les marécages de Walcheren en Hollande en 1809,<br />

elles s’exerçaient le plus souvent à leur détriment et<br />

prenaient parfois des dimensions catastrophiques. On<br />

peut citer parmi les épidémies restées célèbres l’épidémie<br />

de peste dans l’armée d’Égypte, celle de fièvre jaune qui<br />

anéantit la quasi-totalité (24000 hommes sur 30000) du<br />

corps expéditionnaire français à Saint-Domingue<br />

en 1802 ou les épidémies de typhus (encart 4) qui<br />

accompagnaient la Grande armée depuis Austerlitz<br />

jusqu’à la campagne de France, avec un pic lors de la<br />

retraite de Russie. Pour chaque homme tué au combat,<br />

la Grande Armée perdit cinq hommes par maladie<br />

(surtout typhus et dysenterie). Des hôpitaux spéciaux<br />

recevaient les galeux et les vénériens pour éviter la<br />

contagion avec les autres blessés ou malades. La gale<br />

atteignait quasiment 10 % des effectifs de l’armée en l’an<br />

VIII. Cette période brillante sur le plan de la chirurgie de<br />

guerre de l’avant fut très sombre sur le plan sanitaire et<br />

la mortalité hospitalière était telle que les hôpitaux<br />

militaires avaient gagné l’appellation de « sépulcre de<br />

la Grande Armée » dans un pamphlet publié en 1814.<br />

On rajoutait « un billet d’hôpital était un billet d’enterrement<br />

». Cette période du premier empire a été<br />

cependant marquée par un progrès médical notable<br />

dans le domaine des maladies infectieuses avec<br />

l’introduction, sous l’impulsion de Jean-François Coste,<br />

de la vaccination contre la variole dans les armées par la<br />

méthode de variolisation de bras à bras (encart 6).<br />

La période qui va du 1 er Empire à la guerre de 1870 est une<br />

période de transition, très bien décrite par Alphonse<br />

Laveran dans son « Traité des maladies et épidémies des<br />

armées » publié en 1875 (6). Celui-ci s’appuie sur les<br />

statistiques de morbidité et de mortalité, publiées dans les<br />

Le typhus à Mayence. Lors de la retraite de Russie (1812) et de la campagne d’Allemagne (1813), le typhus fit des ravages dans la Grande Armée avant d’envahir la<br />

France et de toucher la population civile. La mortalité dans la population civile et l’armée contribua à provoquer la première abdication de Napoléon I er .<br />

des fièvres aux maladies infectieuses<br />

521


Encart 5<br />

De la pourriture d’hôpital aux infections<br />

du site opératoire<br />

Suivant les préceptes édités par Guy de Chauliac au<br />

XIV e siècle, la prise en charge des plaies de guerre et des<br />

plaies suivant une amputation associait la cautérisation<br />

pour arrêter l’hémorragie, des pommades et des<br />

pansements fréquents, tous éléments favorisant la nécrose<br />

et la suppuration des plaies (11). Ambroise paré proposa<br />

avec raison de remplacer la barbare et nocive cautérisation<br />

par la ligature vasculaire. Les progrès considérables de la<br />

chirurgie et la virtuosité des chirurgiens du XVIII e et du<br />

XIX e siècles n’amélioreront pas sensiblement l’évolution<br />

des plaies qui suppuraient de façon quasi systématique<br />

et se compliquaient souvent de gangrène (ou pourriture<br />

d’hôpital), qui emportait les patients. Ajoutée aux<br />

épidémies qui sévissaient dans les hôpitaux, la mortalité<br />

des blessés et amputés se situait entre 40 et 70 % des<br />

patients opérés. Les deux grandes avancées qui ont<br />

révolutionné la chirurgie sont l’anesthésie et l’hygiène.<br />

L’anesthésie par éther, chloroforme ou chlorure d’éthyle<br />

s’imposa dès la fin des années 1840, permit le développement<br />

de techniques chirurgicales élaborées et l’accès à<br />

des organes jusque là impossibles à opérer. Grâce à des<br />

précurseurs visionnaires comme Holmes et Semmelweiss<br />

relayés par les travaux de Louis Pasteur, l’idée de<br />

l’antisepsie utilisant les dérivés phénoliques va germer<br />

chez Lister en 1867, mais ne sera pas encore adoptée lors<br />

de la guerre de 1870 (45 % de mortalité chez les blessés<br />

opérés). Devant les résultats remarquables obtenus en<br />

termes de taux de suppuration et de mortalité (15 % seulement<br />

!) grâce à l’antisepsie chirurgicale par brumisation<br />

phéniqué, celle-ci se généralise rapidement et en 1875, elle<br />

est partout adoptée. En 1890, sous l’impulsion de Pasteur,<br />

l’antiseptie par brumisation phéniquée est remplacée par<br />

l’asepsie qui associe la stérilisation des instruments, la<br />

désinfection du site opératoire et l’utilisation de gants en<br />

caoutchouc et d’une casaque stérile par l’opérateur.<br />

L’asepsie ouvre définitivement la voie à la chirurgie<br />

moderne en permettant le contrôle du risque infectieux<br />

armées entre les années 1830 et 1870 et sur l’expérience<br />

encore récente de la conquête de l’Algérie, des guerres de<br />

Crimée, d’Italie et de celle toute récente de 1870 contre la<br />

Prusse. Il distingue bien les maladies et la mortalité du<br />

temps de paix de celles des armées en campagne. Parmi<br />

les maladies infectieuses responsables de mortalité dans<br />

les armées, la tuberculose tenait au XIX e siècle une place à<br />

part (encart 7). Dans les années 1860-1870, elle causait le<br />

quart des décès dans les armées de métropole, c'est-à-dire<br />

plus de 2 pour 1000 hommes par an et autant de réformes<br />

pour maladie. La mortalité par tuberculose précédait de<br />

peu celle due aux fièvres typhoïdes (1/5 des décès), suivie<br />

par les diarrhées et dysenteries, les fièvres éruptives<br />

incluant la variole et les fièvres palustres dans les<br />

causes de décès (tab. I). Laveran soulignait bien que<br />

leur fréquence variait avec la géographie et les fièvres<br />

palustres étaient de loin la première cause reconnue<br />

de mortalité dans l’armée d’Algérie (tab. I). Tous ces<br />

chiffres ne tenaient pas compte de la fréquence des<br />

infections qui entraînaient une plus faible mortalité<br />

comme les infections respiratoires ou de l’omniprésence<br />

des maladies vénériennes ou de la gale.<br />

Pendant cette période, les progrès en matière d’hygiène<br />

ont été sensibles et la mortalité hospitalière commença<br />

à régresser de 13,5 % en 1814 à moins de 10 % en 1862.<br />

La réputation de l’hôpital, autrefois considéré comme<br />

antichambre de la mort commença à s’améliorer. Dans<br />

les armées en campagne sous le second empire, les<br />

Encart 6<br />

La variole éradiquée<br />

La variole ou « petite vérole » provient probablement de<br />

l’adaptation à l’homme d’un poxvirus animal il y a plusieurs<br />

milliers d’années au sein de sociétés pastorales primitives.<br />

Tous les continents ont été touchés au cours du moyen âge et<br />

des temps modernes. Aucune description précise dans les<br />

armées ne nous est parvenue malgré sa large diffusion<br />

attestée en Europe à partir du VI e siècle et sa responsabilité<br />

dans le décès de personnages illustres comme le roi Louis XV<br />

en France, la reine Marie II en Angleterre ou le tsar Pierre II en<br />

Russie. L’utilisation de la vaccine, initiée en Angleterre par<br />

Edward Jenner en 1796, devint d’usage courant en France<br />

sous le premier empire. Étendue aux armées sous l’influence<br />

de Coste par l’instruction du 29 mai 1811, elle eut pour effet<br />

de diminuer de façon importante les épidémies sans toutefois<br />

les faire disparaître, en particulier chez les patients n’ayant<br />

pas bénéficié d’une revaccination récente. La variole<br />

survenait dans les armées sous formes de petites épidémies à<br />

propagation lente au sein des unités avec une fréquence<br />

inverse du taux de revaccinations. Pendant la guerre de 1870,<br />

l’armée française fut beaucoup plus atteinte par la pandémie<br />

variolique que l’armée Prussienne, mieux vaccinée (6). Les<br />

revaccinations furent généralisées à toute l’armée en 1871<br />

sous l’impulsion de Michel Lévy et Louis Kelsch (7). Louis<br />

Vaillard installa au Val-de-Grâce le premier centre de<br />

vaccination des armées en 1884 utilisant de la vaccine<br />

obtenue sur flanc de génisse et mit au point un vaccin à<br />

partir de pulpe vaccinale glycérinée. L’efficacité de cette<br />

politique vaccinale intensive fut remarquable, avec une<br />

baisse de la morbidité de 350 pour 100000 hommes par an<br />

en 1862-69 à 250 en 1875-1877, à 20 en 1890 et 0,2 en 1913.<br />

L’obligation vaccinale dès le plus jeune âge ne devint légale<br />

qu’en 1902 pour la population française. L’intensification<br />

de la politique de vaccination/revaccination associée<br />

aux mesures d’isolement des patients contribua à l’issue<br />

d’une campagne mondiale d’éradication lancée en 1965<br />

qui aboutit à l’extinction mondiale de la variole proclamée<br />

en 1980 par l’OMS. En juin 1977, une équipe militaire<br />

française de la Bioforce intervint sur le dernier foyer mondial<br />

de variole situé en Somalie.<br />

522 j.-d. cavallo


Tableau I. Principales causes de mortalité par maladie infectieuse dans les<br />

armées dans les années 1860-1870 (adapté d’après référence 6).<br />

Maladie ou groupe<br />

de maladies<br />

Taux de mortalité pour<br />

1 000 hommes/an<br />

Armée de l’intérieur<br />

(1860-1872)<br />

Armée d’Algérie<br />

(1869 et 1872)<br />

Tuberculose 2,3 1,2<br />

Fièvres typhoïdes 1,5 à 2,3 1,4 à 2<br />

Diarrhée,<br />

dysenterie<br />

Fièvres éruptives<br />

Dont variole<br />

0,3 0,9<br />

0,3<br />

0,1<br />

statistiques des guerres d’Italie et de Crimée montraient<br />

que les maladies occasionnaient autant de décès et bien<br />

plus d’indisponibilités dans les forces que le combat<br />

lui-même. Les diarrhées/dysenteries, le choléra, le<br />

typhus ont causé plus de 16 000 décès dans les<br />

armées françaises pendant cette campagne de Crimée.<br />

Les maladies infectieuses (fièvres diverses, diarrhées,<br />

dysenterie et fièvre typhoïde surtout) représentaient près<br />

de 80 % des 126 000 entrées relevées dans les hôpitaux<br />

pendant la guerre d’Italie en 1859.<br />

Face à l’omniprésence des maladies infectieuses, l’ère<br />

des grands progrès n’était plus très loin. Les médecins<br />

militaires de l’époque se tournaient de plus en plus vers<br />

une démarche scientifique s’attachant à bien distinguer<br />

les cadres nosologiques pour en découvrir les causes et<br />

les modes de transmission. Ils suivaient le concept de<br />

Broussais qui recommandait de remplacer l’antique<br />

médecine des symptômes par la médecine des lésions.<br />

L’objectif recherché, au-delà de l’amélioration de la<br />

prise en charge thérapeutique était la prise de mesures<br />

prophylactiques adaptées sur la base des connaissances<br />

acquises. Les esprits s’ouvraient à la démarche épidémiologique<br />

et étaient prêts à accueillir la révolution<br />

médicale Pastorienne et ses retombées. Les grandes<br />

découvertes microbiologiques et épidémiologiques<br />

de l’ère Pastorienne se multiplient à partir des années<br />

1860. Des médecins militaires, à la fois cliniciens et<br />

épidémiologistes, allaient se faire biologistes et<br />

accompagner la révolution des connaissances dans le<br />

domaine des sciences humaines. La fin de la tutelle de<br />

l’intendance et l’autonomie du Service de santé de<br />

ND<br />

Fièvres palustres 0,2 3,8 à 4,5<br />

Abcès hépatique /<br />

hépatite<br />

Mortalité globale<br />

toutes causes<br />

confondues<br />

ND : non déterminé.<br />

ND 0,2<br />

8 à 9,5 14,5<br />

l’armée de Terre, enfin obtenue en 1882 après celui<br />

du Service de santé de la Marine fut un évènement<br />

décisif qui lui permit enfin de maîtriser la conduite de<br />

la politique sanitaire dans les armées et de valoriser<br />

rapidement les progrès scientifiques dans la pratique<br />

médicale aux armées .Alphonse Laveran identifia<br />

l’hématozoaire du paludisme en 1880 et obtint le<br />

prix Nobel en 1907 , Alexandre Yersin identifia<br />

la bactérie responsable de la Peste en 1894 et prépara un<br />

sérum antipesteux. Jean-Antoine Villemin démontra en<br />

1865 le caractère transmissible de la tuberculose. Louis<br />

Vaillard fonda le premier laboratoire de bactériologie<br />

militaire au Val-de-Grâce en 1889 et mit au point avec<br />

Émile Roux la sérothérapie antitétanique (1893). Albert<br />

Calmette mit au point en 1921 avec Camille Guérin le<br />

Encart 7<br />

La régression de la tuberculose<br />

La tuberculose est l’infection la plus anciennement<br />

attestée et la plus meurtrière de l’histoire humaine. Connue<br />

depuis plusieurs millénaires (11), cette infection,<br />

responsable d’un décès sur sept au cours du moyen âge a<br />

connu son apogée au XIX e siècle, touchant le quart de la<br />

population, et n’a pas épargné les armées. Une surmortalité<br />

par tuberculose était constatée au début du XIX e dans la<br />

collectivité militaire. Dans les années 1860-1870, elle était<br />

encore responsable de plus du quart des décès relevés dans<br />

l’armée française avec plus deux décès pour mille hommes<br />

par an. Le risque de mortalité par tuberculose s’accroissait<br />

avec la durée du service et avec l’âge (6). Si Laennec a<br />

identifié le premier la variété des formes cliniques de la<br />

tuberculose, c’est Jean-Antoine Villemin, professeur au<br />

Val-de-Grâce qui démontra en 1865 son caractère<br />

transmissible et posa ainsi les bases de la prévention avant<br />

même la caractérisation du bacille tuberculeux par Robert<br />

Koch en 1882. Albert Calmette mit au point avec Camille<br />

Guérin en 1921 la vaccination par le BCG qui permit<br />

d’obtenir une prémunition, en particulier contre les formes<br />

les plus sévères de tuberculose. Le dépistage par<br />

radioscopie se développa sous l’impulsion d’Antoine<br />

Béclère qui dirigea le service radiologique des armées<br />

pendant la Grande Guerre et de médecins militaires<br />

comme Salles ou Célestin Sieur et fut rendu obligatoire<br />

par Henri Rouvillois dans les armées. L’évaluation de la<br />

prémunition des jeunes recrues par la cuti-réaction à la<br />

tuberculine, avec revaccination par le BCG en cas de<br />

résultat négatif, devint systématique dès 1934. Suivant la<br />

mise au point des traitements antituberculeux à partir des<br />

années 50, l’association systématique des méthodes de<br />

dépistage et du traitement des patients tuberculeux aboutit<br />

à une diminution spectaculaire de la tuberculose dans les<br />

armées tout au long du XX e siècle. Au début du XXI e siècle,<br />

environ 3 cas pour 100 000 hommes sont déclarés<br />

chaque année dans les armées françaises, c’est à dire moins<br />

de 100 fois les chiffres rencontrés à la fin du XIX e siècle.<br />

des fièvres aux maladies infectieuses<br />

523


La revaccination systématique contre la variole, entreprise après la guerre de 1870 a permis le contrôle de la maladie qui avait quasiment disparu dans l’armée<br />

française avant la guerre de 1914. Le centre de vaccination du Val-de-Grâce avait été le premier centre créé spécifiquement pour les armées.<br />

premier vaccin contre la tuberculose, appelé BCG.<br />

Paul-Louis Simond démontra le rôle de la puce dans la<br />

transmission de la peste et la nécessité de faire précéder<br />

la dératisation par une désinsectisation. La masse<br />

de données scientifiques générée dans le domaine des<br />

maladies infectieuses permit de développer des moyens<br />

de traitement spécifiques (sérothérapie), et surtout<br />

des moyens prophylactiques adaptés aux principales<br />

maladies. Ces mesures associaient d’une part des<br />

mesures d’hygiène, l’isolement des patients contagieux,<br />

la lutte contre les insectes, la dératisation, et d’autre<br />

part des mesures spécifiques d’immunisation contre les<br />

maladies bactériennes (typhoïde, peste, rage, charbon…),<br />

puis virales (7). La vaccination antivariolique devint<br />

obligatoire en 1902, celle contre la fièvre typhoïde en<br />

1913 avec la Loi Léon Labbé. Le vaccin TAB mis au point<br />

par Hyacinthe Vincent fut généralisé dans les armées<br />

dès 1914-1915 avec un succès considérable en termes<br />

de morbidité et de mortalité (encart 1). Les vaccinations<br />

antitétaniques et antidiphtériques mises au point par<br />

Gaston Ramon et Christian Zoeller devinrent obligatoires<br />

dans les armées respectivement en 1931 et 1936 et furent<br />

combinées à la vaccination antityphoïdique sous<br />

forme d’association dans le TABDT. Les avancées<br />

s’accéléraient dans le domaine des maladies<br />

bactériennes, virales, parasitaires et mycosiques et les<br />

anciennes « fièvres » furent progressivement identifiées,<br />

classées, les agents responsables identifiés et leurs modes<br />

de transmission caractérisés. La communauté militaire,<br />

grâce à la réactivité du Service de santé, profita très<br />

rapidement de toutes les grandes avancées scientifiques.<br />

L’arrivée des antibiotiques et plus largement le<br />

développement des anti-infectieux dans la seconde<br />

moitié du XX e siècle améliorèrent de façon spectaculaire<br />

la prise en charge des maladies infectieuses. Les vaccins<br />

antibactériens et antiviraux se développaient et le<br />

calendrier vaccinal mis en œuvre dans les armées était<br />

régulièrement adapté à l’état de l’art et à la situation<br />

épidémiologique particulière des armées. Dans le<br />

domaine de l’hygiène et de la prophylaxie, le Service de<br />

santé, en métropole ou Outre-mer, dans le cadre des<br />

grandes endémies, dans les dispensaires ou les hôpitaux,<br />

mit en œuvre des stratégies prophylactiques efficaces<br />

appuyées sur un arsenal vaccinal de plus en plus varié<br />

et performant, sur le développement des méthodes<br />

de désinfection et de stérilisation et la multiplication<br />

des insecticides à la suite du DDT. Des infections<br />

comme la méningite cérébro-spinale (encart 8)<br />

régressèrent grâce à la vaccination. La lutte contre<br />

les infections hospitalières s’accéléra à partir de la fin<br />

524 j.-d. cavallo


Encart 8<br />

La prévention des « méningites<br />

épidémiques »<br />

Le professeur Hyacinthe Vincent fut le premier à préconiser l’utilisation<br />

de masse de la vaccination pour éradiquer une endémie dans une armée<br />

en temps de guerre. Le succès de la vaccination contre la fièvre typhoïde fut<br />

spectaculaire et rejaillit sur le Service de santé des armées.<br />

La fréquence élevée de la survenue d’épidémies de<br />

méningites cérébro-spinales ou « méningites épidémiques<br />

» dans les collectivités militaires était attestée<br />

depuis le début du XIX e siècle. C’est à Michel Lévy que<br />

revient le mérite d’avoir bien isolé le tableau clinique<br />

de cette entité. Sa fréquence dans les collectivités<br />

militaires sous forme de petites épidémies à prédominance<br />

hivernale, survenant surtout parmi les conscrits de<br />

moins de 3 ans de services et les sujets âgés de 18 à 27 ans<br />

avec des taux de mortalité de plus de 60% était largement<br />

attestée (6). Malgré la découverte de l’agent responsable,<br />

Neisseria meningitidis, par Weisselbaum en 1887, les<br />

moyens thérapeutiques non spécifiques mis en œuvre<br />

n’ont été que d’un faible secours jusqu’à l’arrivée des<br />

antibiotiques. Charles Dopter, au Val-de-Grâce établit la<br />

preuve du portage rhino-pharyngé du méningocoque, et<br />

ouvre les portes à l’immunoprophylaxie en définissant<br />

leur sérotypage. Les médecins du Service de Santé<br />

colonial, puis des grandes endémies comme Léon<br />

Lapeyssonie conduisent au début des années 60 de<br />

grandes campagnes de prévention basées sur l’utilisation<br />

de masse de la chimioprophylaxie et à partir de la fin des<br />

années 70 des campagnes de vaccination à l’aide d’un<br />

vaccin antipolysaccharidiques A+C. Le remplacement<br />

en 1991 de la vaccination circonstancielle lors d’un cas<br />

survenu à l’unité par la vaccination systématique des<br />

jeunes recrues à l’incorporation par le vaccin polysaccharidique<br />

A+C sous l’impulsion de Michel Meyran<br />

entraîne une quasi-disparition de la méningite cérébrospinale<br />

dans les armées et depuis cette date, moins de 5<br />

cas sont déclarés chaque année au sein des armées.<br />

des années 1980. Les stratégies de prise en charge et<br />

de prévention de l’infection des plaies de guerre ont fait<br />

disparaître depuis plus de 50 ans les pourritures d’hôpital<br />

encore omniprésentes au début du XX e siècle.<br />

En 2008, les maladies infectieuses sont des maladies<br />

sous contrôle, soumises à une étroite surveillance<br />

épidémiologique, avec des stratégies thérapeutiques et<br />

prophylactiques spécifiques et performantes. Parmi les<br />

grands fléaux des siècles passés, seuls le paludisme et les<br />

diarrhées restent des menaces réellement significatives<br />

pour nos forces en opérations extérieures.<br />

Mais la vigilance reste de mise car les micro-organismes<br />

sont d’une plasticité étonnante. Ils développent comme<br />

tous les êtres vivants des stratégies de survie et<br />

d’adaptation et le risque infectieux se modifie, avec<br />

l’émergence de nouveaux agents infectieux ou d’agents<br />

infectieux modifiés. L’émergence du virus de l’immunodéficience<br />

humaine ou la multiplication des résistances<br />

aux antibiotiques sont des témoignages représentatifs<br />

de cette plasticité. Le bioterrorisme dans un contexte<br />

international instable doit plus que jamais être pris<br />

en compte. Le XIX e siècle a été le siècle de la découverte<br />

du rôle des micro-organismes dans les fièvres et<br />

épidémies et des premières mesures efficaces de<br />

prévention et de traitement. Le XX e siècle a été celui de la<br />

rationalisation de la lutte contre les maladies infectieuses<br />

avec l’association de l’hygiène, de la lutte antivectorielle,<br />

des vaccinations et des thérapeutiques anti-infectieuses.<br />

Le XXI e siècle appuyé sur le développement des moyens<br />

de communication, les biotechnologies et la biologie<br />

moléculaire sera le siècle de la vigilance et de la réactivité<br />

vis-à-vis de l’émergence des nouvelles maladies<br />

infectieuses. Le Service de santé des armées y trouvera<br />

sa place au plus grand profit des <strong>Armées</strong>.<br />

des fièvres aux maladies infectieuses<br />

525


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Thucydide. Guerre du Péloponnèse, traduction E-A Bétant,<br />

Quatrième édition, Librairie hachette, Paris 1878 : 100-4.<br />

2. Hippocrate. De l'Art Médical. Paris, Librairie Générale Française,<br />

1994 : 603.<br />

3. Lucenet M. Médecine, chirurgie et armées en France au siècle des<br />

lumières. Ed I&D, Paris, 2006 : 159 p.<br />

4. Pringle J. Observations on the diseases of the army. London, 1752.<br />

5. Colombier J. Médecine militaire ou traité des maladies tant<br />

internes qu’externes auxquelles les militaires sont exposés dans<br />

leurs différentes positions de paix ou de guerre. Paris, 1778.<br />

6. Laveran A. Traité des maladies et épidémies des armées. 1875,<br />

Paris, Réédition Charles Lavauzelle, 2005 : 736 p.<br />

7. Antoine HM. Vaccinations et campagnes militaires. In Y Buisson,<br />

Vaccinations dans les armées. Collection scientifique de la revue<br />

Médecine et <strong>Armées</strong> et de la Société française de médecine des<br />

armées, Addim, 1999.<br />

8. Dodin A, Rhodain F, Dodin F. Mal Air, Malaria, Paludisme. Ed<br />

Tropical Pathology Society, Londres : 128 p.<br />

9. Raoult D, Dutour O, Houhamdi L et al. Evidence of lousetransmitted<br />

diseases in soldiers of Napoleon’s Grand Army in<br />

Vilnius. J Infect Dis 2006 ; 193 : 112-20.<br />

10. Drancourt M, Tran-Hung L, Courtin J et al. Bartonella quintana in<br />

a 4 000 year-Old human tooth. J Infect Dis 2005 ; 191 : 607-11.<br />

11. D’Allaines C. Histoire de la chirurgie. Que sais-je ? Presses<br />

Universitaires de France, 1967, Paris : 126 p.<br />

12. Cruzeby E, Ludes B, Podeva JD et al. Identification of<br />

Mycobacterium DNA in an Egyptian Pott’s disease of 5,400 years<br />

old. CR Acad Sci III 1998 ; 321 : 941-51.<br />

Ernest Duchesne (1874-1912). Élève de l’École du<br />

Service de santé militaire de Lyon soutint en 1897 sa thèse<br />

de doctorat en médecine « Contribution à l’étude de la<br />

concurrence vitale chez les micro-organismes :<br />

antagonisme entre les moisissures et les microbes ». Il était<br />

ainsi le premier à démontrer que certaines moisissures<br />

pouvaient tuer des bactéries. Il est considéré comme le<br />

précurseur de l’une des plus grandes découvertes du<br />

XX e siècle : la thérapie au moyen des antibiotiques.<br />

Duchesne démontre que Penicillium glaucum peut éliminer<br />

complètement Escherichia coli dans une culture contenant<br />

ces deux seuls organismes. Il prouve également qu'un<br />

animal inoculé avec une dose mortelle de bacilles de la<br />

typhoïde est exempt de maladie s'il a été préalablement<br />

inoculé avec Penicillium glaucum. Ses conclusions sont<br />

visionnaires : « On peut donc espérer qu'en poursuivant<br />

l'étude des faits de concurrence biologique entre<br />

moisissures et microbes, étude seulement ébauchée par<br />

nous et à laquelle nous n'avons d'autre prétention que<br />

d'avoir apporté ici une très modeste contribution, on<br />

arrivera, peut-être, à la découverte d'autres faits<br />

directement utiles et applicables à l'hygiène prophylactique<br />

et à la thérapeutique ». Ayant passé sa thèse, Duchesne<br />

quitta le laboratoire et sa découverte révolutionnaire resta<br />

inaperçue pendant trente-deux ans jusqu’à ce qu’Alexander<br />

Fleming montre en 1929 les propriétés antibiotiques de la<br />

pénicilline, une substance dérivée de ces moisissures. Ce<br />

fut probablement la plus grande occasion manquée pour la<br />

science du vivant en ce début du XX e siècle. Il mourut à 37<br />

ans après 8 ans de longue maladie, en 1912. Son nom a été<br />

donné à la promotion 1983 de l'École du Service de santé<br />

des armées de Lyon-Bron.<br />

526 j.-d. cavallo


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

TROIS SIÈCLES D’HISTOIRE DU SERVICE DE SANTÉ DES<br />

ARMÉES OUTRE-MER<br />

M. MORILLON<br />

I. INTRODUCTION.<br />

Aborder en quelques pages trois siècles d’une histoire<br />

aussi riche que celle du Service de santé des armées<br />

outre-mer est un exercice périlleux. Le sujet rassemble<br />

en effet un nombre considérable d’aventures humaines<br />

toutes plus passionnantes les unes que les autres. Le<br />

Service de santé était toujours présent qu’il s’agisse<br />

des conquêtes de nouveaux territoires ou de guerres<br />

lointaines, dans les colonnes des explorateurs ou avec les<br />

corps expéditionnaires. Plus discrètement mais aussi<br />

plus durablement, il bâtissait hôpitaux, dispensaires et<br />

laboratoires et mettait sur pied des équipes mobiles de<br />

dépistage et de vaccinations, allant au delà de sa mission<br />

de soutien des troupes et se dévouant sans compter aux<br />

soins des populations civiles. Les plus grandes pages de<br />

cette histoire se situent au XX E SIECLE avec l’apogée de<br />

ce que l’on appelait l’Empire colonial et trouvaient<br />

une prolongation dans la période de coopération qui<br />

suivait les indépendances. Mais avant ce « siècle d’or »,<br />

nos anciens avaient déjà combattu des maladies<br />

inconnues avec les moyens rudimentaires que leur<br />

offraient les connaissances et les pratiques de leur temps.<br />

Nous les suivrons dans quelques-uns des territoires<br />

emblématiques de leur époque.<br />

II. AU XVIII E SIÈCLE À SAINT DOMINGUE.<br />

La partie ouest de l’île de Saint Domingue, celle qui<br />

correspond aujourd’hui à la République d’Haïti, est alors<br />

la colonie la plus riche et la plus peuplée du royaume<br />

de France et fournit à l’Europe le café, le cacao, l’indigo<br />

et surtout le sucre de canne. C’est aussi une terre<br />

d’esclavage, de 3000 en 1700, l’effectif des esclaves noirs<br />

passe à 100 000 vingt cinq ans plus tard et culmine à<br />

600000 au milieu du siècle. Si leurs conditions de vie sont<br />

peu enviables, celles d’une grande partie de la population<br />

blanche ne sont guère meilleures, ces « engagés » devant<br />

trois ans de travail à la Compagnie royale des Indes en<br />

échange de leur transport. La troupe quant à elle, mal<br />

M. MORILLON, médecin général inspecteur, professeur agrégé du Val-de-Grâce<br />

Correspondance: M. MORILLON, direction de l'Institut de médecine tropicale du<br />

Service de santé des armées. BP 46, 13998 MARSEILLE <strong>Armées</strong>.<br />

nourrie, mal logée, mal payée, imprégnée de tafia, est<br />

méprisée par la population et les esclaves traitent les<br />

soldats de « nègres blancs ». La mortalité est importante.<br />

Thibaud de Chamvallon en fait un portait évocateur: « La<br />

couleur de ceux qui se portent le mieux est toujours livide<br />

et jaune. » (1). Le soutien médical est confié pour une<br />

partie aux nombreux « chirurgiens de plantation » (ils<br />

sont environ 700 en 1791), engagés par les planteurs<br />

qui leur ont payé le voyage et leur dotation en instruments<br />

et médicaments. Ces praticiens aux compétences<br />

incertaines en restent le plus souvent à saigner, purger<br />

et distribuer de l’émétique. Lorsque surviennent des<br />

épidémies, leur ignorance leur fait attribuer les pics de<br />

mortalité à la sorcellerie ou aux empoisonnements,<br />

accusations qui produisent d’importants désordres dans<br />

la colonie. Moins nombreux mais mieux sélectionnés,<br />

les médecins et chirurgiens du Roi font figure d’élite.<br />

Ces officiers de santé « entretenus » mais peu payés,<br />

complètent leurs revenus en gérant eux-mêmes des<br />

plantations et des maisons et font partie de la petite<br />

bourgeoisie de l’île. Leurs missions sont nombreuses :<br />

ils doivent traiter les soldats malades ou blessés, visiter<br />

les vaisseaux négriers, les prisons, rendre des rapports<br />

de justice, autrement dit des expertises, délivrer des<br />

certificats sanitaires de sortie et présider aux réceptions<br />

c’est-à-dire aux examens d’aptitude des chirurgiens,<br />

apothicaires et sage-femmes. Certains d’entre eux sont<br />

dentistes et d’autres accoucheurs. Cette prééminence<br />

donnée aux « chirurgiens-majors » qui valident les<br />

compétences de leurs autres confrères créent des tensions<br />

avec les chirurgiens de la colonie qui contestent à leur<br />

tour aux médecins et chirurgiens du Roi le privilège<br />

lucratif de soigner la population civile.<br />

En 1719, des hôpitaux sont construits au Cap Haïtien et<br />

à Leogane ; ils sont administrés par les Pères de la<br />

Charité mais sont néanmoins dirigés par les médecins et<br />

chirurgiens du Roi (1, 2). Cette situation amène des<br />

conflits d’autorité le plus souvent arbitrés en faveur des<br />

derniers par la Cour et le duc de Choiseul. En 1763, Saint<br />

Domingue compte une dizaine d’hôpitaux dont les<br />

principaux sont ceux du Cap et de Port au Prince, ce<br />

dernier étant administré par des laïcs. Une proportion<br />

importante de leurs malades est constituée par les soldats<br />

des Compagnies franches de la Marine puis de la Légion<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 527


Carte de l’Île de Saint Domingue au XVII e siècle : la partie ouest de l’île devenue, plus tard, la République d’Haïti était alors la principale colonie de la France.<br />

de Saint Domingue; à la fin du siècle près d’un soldat sur<br />

six est aux hôpitaux. La promiscuité et le manque<br />

d’hygiène sont responsable d’une mortalité plus<br />

importante que celle des esclaves. À côté des très<br />

fréquentes infections sexuellement transmissibles<br />

(« maladies galantes » à l’époque) et des diarrhées, les<br />

organismes affaiblis par les carences alimentaires (le<br />

scorbut est encore fréquent) sont minés par le paludisme<br />

et la tuberculose. Les ressources thérapeutiques, si l’on<br />

peut appeler ainsi les méthodes contemporaines<br />

de Molière, sont limitées et très soustractives : purges,<br />

lavements, saignées et diète principalement. Sur ce fond<br />

endémique, surviennent régulièrement les épidémies de<br />

fièvre jaune, curieusement appelée alors «Mal de Siam».<br />

On ignore alors que cette maladie redoutable est importée<br />

d’Afrique dans les colonies d’Amérique et qu’elle est liée<br />

à la traite négrière. Si l’origine du mal doit rester encore<br />

inconnue pendant deux siècles, sa description clinique<br />

telle qu’on la retrouve dans un ouvrage publié en 1788 est<br />

évocatrice et reprend bien les phases que Dutroulau (3)<br />

caractérisera un siècle plus tard: « Le visage s’enflamme,<br />

puis devient avec le reste du corps de couleur citron ; le<br />

transport au cerveau suit de bien près et le sang sort par le<br />

nez, la bouche, les autres conduits naturels, quelquefois<br />

même au travers des pores. On s’imagine au vu de pareils<br />

symptômes que le mal est occasionné par une trop grande<br />

abondance de sang ; on en conclut qu’il faut saigner et<br />

resaigner le malade. Ce traitement ne manque pas d’en<br />

emporter plusieurs qui se trouvent dépourvus de forces<br />

suffisantes pour résister aux violents assauts du<br />

mal. Quelques-uns réchappent mais c’est le plus petit<br />

nombre et ils sont si longtemps à se rétablir qu’il<br />

n’est point de convalescence plus longue. Ils n’en<br />

reviendraient pas moins si on ne les saignait pas et<br />

guériraient bien plus-tôt… » (4).<br />

En l’absence de traitements efficaces, les médecins se<br />

tournent vers la prévention et s’intéressent à l’hygiène. Ils<br />

écrivent de nombreux règlements sanitaires concernant<br />

le casernement, les débits de boisson, les esclaves, les<br />

cimetières. Avec les apothicaires ils analysent les eaux<br />

minérales, s’intéressent à la fabrication du sucre, plantent<br />

un jardin botanique et fondent un musée d’histoire<br />

naturelle. Lorsque est fondée l’Académie des Arts et des<br />

Sciences du Cap, 22 % des sociétaires sont des officiers<br />

de santé. Cette curiosité intellectuelle se manifeste encore<br />

lors des débuts de la vaccine et l’inoculation devient<br />

systématique à Saint Domingue dès 1776, avant la France<br />

métropolitaine.<br />

La fin du siècle est marquée par plusieurs révoltes<br />

des esclaves puis par le soulèvement qui aboutira à une<br />

véritable guerre civile. Le corps expéditionnaire envoyé<br />

par la République est victime d’une épidémie de fièvre<br />

jaune d’une ampleur considérable, deuxième grand<br />

désastre sanitaire après la peste de Jaffa. Les pertes sont<br />

effroyables: en deux ans 1500 officiers, 22000 soldats et<br />

185 officiers de santé succombent à la maladie. Le<br />

Premier Consul, qui n’a pas non plus la maîtrise des mers,<br />

décide d’abandonner la colonie en 1803.<br />

528 m. morillon


III. AU XIX E SIÈCLE, L’ALGÉRIE.<br />

Dès le début de la conquête en 1830, ce sont 270<br />

chirurgiens, médecins et pharmaciens, soit un quart de<br />

l’effectif total du Service de santé qui débarquent sur le sol<br />

algérien. À cette époque les chirurgiens sont très<br />

majoritaires (178 pour 98 médecins et pharmaciens)<br />

puisque ce sont à la fois des chirurgiens des régiments (que<br />

l’on appellerait aujourd’hui médecins d’unité) et les<br />

chirurgiens des hôpitaux. Les médecins sont quant à eux<br />

des spécialistes affectés uniquement dans les hôpitaux.<br />

Les combats sont rudes et l’on s’attend à des pertes<br />

importantes. En plus de l’hôpital d’évacuation de 2300 lits<br />

établi à Mahon aux Baléares, plusieurs établissements sont<br />

installés à Alger, Bône, Constantine, Oran, Mostaganem,<br />

Mascara, Tlemcen (5). Ils vont servir plus d’un siècle. Dès<br />

1833, Baudens, jeune chirurgien de 29 ans crée l’École de<br />

médecine militaire d’Alger à l’hôpital du Dey, futur hôpital<br />

Maillot. Si cette école ne dure que trois ans, l’idée sera<br />

reprise en 1856, donnant naissance à l’École préparatoire<br />

de médecine et de pharmacie d’Alger, ouverte aux<br />

musulmans et dont les militaires constituent la majorité des<br />

professeurs. Cette école deviendra la Faculté mixte de<br />

médecine et de pharmacie en 1909.<br />

Baudens, bien que chirurgien attaché aux hôpitaux, suit<br />

les colonnes expéditionnaires et se trouve à plusieurs<br />

reprises sur le théâtre des combats. Il opère beaucoup,<br />

observe et revient sur les principes que lui ont enseigné<br />

ses maîtres, chirurgiens de bataille du Premier Empire à<br />

propos du traitement des plaies par armes à feu. Il constate<br />

qu’en étant moins agressif, en pratiquant moins<br />

d’amputations et moins de débridements systématiques,<br />

il obtient de meilleurs résultats. Quelques années plus<br />

tard, son collègue Sédillot a la surprise de constater<br />

l’importance que peuvent prendre les gelures sous cette<br />

latitude. Elles sont traitées à l’époque avec quelques<br />

gouttes d’éther sulfurique, un peu de vin, de la cannelle et<br />

du café chaud… Sur ces blessés il mesure aussi les dégâts<br />

de l’infection et c’est lui-même à la fin du siècle qui créera<br />

le mot de microbe et plaidera en faveur des travaux de<br />

Louis Pasteur à l’Académie des sciences.<br />

Mais comme toujours, la troupe souffre beaucoup plus<br />

des maladies que des blessures reçues au combat. Les<br />

moyens thérapeutiques hérités du siècle précédent<br />

peuvent nous sembler bien « exotiques » aujourd’hui :<br />

pour la dysenterie bacillaire, particulièrement fréquente,<br />

on prescrit la diète, de la guimauve, des violettes, du riz et<br />

de l’orge, l’application de sangsues sur l’hypogastre et<br />

l’anus, des lavements… et même des saignées pour les<br />

cas graves, assorties de ventouses scarifiées et d’une<br />

potion opiacée. On est tout aussi maladroit avec le paludisme,<br />

tellement présent qu’il y a des infirmeries de<br />

fiévreux jusque dans les régiments. Plus encore, le<br />

nombre des malades et des décès est si important que le<br />

maréchal Soult, ministre de la Guerre, refuse de diffuser<br />

les chiffres et envisage même l’abandon de l’Algérie.<br />

Là encore, les enseignements de Broussais ont pour<br />

conséquence l’administration de rudes traitements<br />

« antiphlogistiques » : diète, saignées et sangsues. La<br />

quinine n’est donnée qu’en complément lorsque la fièvre<br />

devient périodique aux rythmes des accès de reviviscence.<br />

Cette attitude et les résultats obtenus choquent<br />

Maillot, jeune médecin arrivé en 1834 à l’hôpital<br />

de Bône. Il pressent l’unicité entre les fièvres continues<br />

et intermittentes et décide d’utiliser la quinine comme<br />

traitement principal mais à des doses plus importantes.<br />

Les résultats sont spectaculaires, la mortalité passe de<br />

25% à 5 %. La nouvelle se répand chez les soldats qui<br />

insistent pour être admis à Bône dans « le service où l’on<br />

ne meurt pas». Bien que cette innovation ait le soutien des<br />

généraux Damrémont et Bugeaud, le ministre continue<br />

à trouver que la dépense en médicaments est trop<br />

importante! Cette découverte empirique est d’autant plus<br />

remarquable qu’il faudra attendre encore presque un<br />

demi-siècle pour qu’un autre médecin militaire servant<br />

en Algérie découvre le parasite responsable. C’est à<br />

l’hôpital de Constantine qu’Alphonse Laveran, après de<br />

patientes observations microscopiques repère des<br />

éléments mobiles et en conclut que le responsable est un<br />

parasite. L’importance de la découverte est considérable<br />

et vaudra à son auteur le prix Nobel de médecine. Il sera le<br />

premier Français à obtenir cette prestigieuse récompense.<br />

Mais d’autres maladies infectieuses font des ravages<br />

comme la fièvre typhoïde, appelée tantôt fièvre<br />

adynamique ou dothinentérie. On tarde à reconnaître que<br />

cette maladie, bien connue en Europe et qui a décimé les<br />

armées en Espagne, puisse aussi sévir de l’autre côté de la<br />

Méditerranée. Et c’est toujours en Algérie, à la fin du<br />

siècle que dans son laboratoire de l’hôpital du Dey,<br />

Hyacinthe Vincent débute ses travaux sur le vaccin TAB.<br />

C’est dans ce même laboratoire qu’il décrit l’angine<br />

qui porte son nom et l’association fuso-spirillaire qui<br />

en est responsable. Quant au choléra, il est importé<br />

d’Europe par les troupes débarquées de Marseille ! Plus<br />

de 500 militaires en meurent à Oran en 1834 et 639 à Alger<br />

l’année suivante. C’est à cette maladie que le Service de<br />

santé payera son plus lourd tribut en Algérie avec 69 morts<br />

parmi ses officiers. Le typhus, bien sur, continue à suivre<br />

les armées en campagne et tue 22 officiers dont 16<br />

médecins et 6 officiers d’administration.<br />

La population civile qui souffre des même maux<br />

bénéficie aussi de la sollicitude des médecins militaires.<br />

Dès le début, Mauriceau-Beaupré, chirurgien en chef du<br />

corps de débarquement annonçait à ses hommes : « Si le<br />

séjour de l’Armée se prolonge pendant quelque temps<br />

dans ce pays, plus d’un malheureux viendra implorer<br />

votre assistance. Vous lui tendrez une main secourable,<br />

vous verserez sur ses plaies le bienfait de la consolation et<br />

le bienfait ressenti sera peut-être une première semence<br />

de civilisation susceptible de germer. » Les hôpitaux<br />

militaires admettent les patients autochtones et en 1847,<br />

après la création des « bureaux arabes » dans toutes<br />

les localités du pays il est décidé que « les indigènes<br />

seront traités gratuitement par l’officier de santé<br />

militaire de l’hôpital, de l’ambulance, du corps le plus<br />

voisin de chaque bureau. » Nous avons là les prémices<br />

de l’Assistance médicale indigène développée au siècle<br />

suivant (6). Les infirmeries-dispensaires et les postes<br />

trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer<br />

529


Inauguration du village de Laveran en Algérie en 1930.<br />

de secours ruraux couvrent ainsi le territoire et vont<br />

plus tard s’étendre jusqu’aux confins sahariens, assurant<br />

les soins quotidiens et faisant reculer les endémies,<br />

notamment le trachome.<br />

IV. LE XX E SIÈCLE ET LE SERVICE DE SANTÉ<br />

COLONIAL (1890-1960).<br />

Cette période commence en réalité en 1890 quelques<br />

années après l’humiliation de 1871 et la perte de l’Alsace<br />

et de la Lorraine, lorsque la France se lance à la conquête<br />

de ce que l’on appellera l’Empire colonial. En dépit de<br />

tout ce qui a pu être dit ou écrit, l’œuvre médicale est<br />

considérable et cette époque reste un « age d’or » dans<br />

l’histoire du Service de santé outre-mer. Voilà déjà<br />

quelques années que les médecins accompagnaient les<br />

colonnes d’explorateurs et organisaient des dispensaires<br />

et des hôpitaux, mais en 1890 commence une nouvelle ère<br />

avec un engagement sans précédent au service des<br />

populations. Au début de l’aventure, avant même la<br />

naissance officielle des troupes coloniales, ce sont des<br />

médecins de Marine qui sont à l’œuvre. S’ils sont de<br />

remarquables cliniciens, la science médicale de leur<br />

époque les laisse bien désarmés face aux maladies<br />

exotiques. À l’époque où les côtes africaines sont<br />

présentées comme « les rivages de la mort » ou « le<br />

tombeau de l’homme blanc », Mahé, professeur à l’école<br />

de médecine navale de Brest fait un portait de l’Afrique<br />

Équatoriale d’un lyrisme terrifiant: « Là bas, sur les rives<br />

empestées de l’Atlantique, vous rencontrerez le<br />

redoutable sphinx de la malaria, pernicieux Protée, le<br />

fantôme délirant du typhus, le spectre livide du choléra et<br />

le masque jaune du vomito negro. Défiez vous ! De la<br />

terre et des eaux s’exhale un souffle empoisonné… » (7).<br />

La catastrophe sanitaire de Madagascar en 1895, dans<br />

laquelle disparaît un quart du corps expéditionnaire<br />

victime du paludisme et de la dysenterie, montre à quel<br />

point il est indispensable de mieux connaître et de mieux<br />

prendre en charge ces maladies. En 1903, le corps de santé<br />

colonial est rattaché aux troupes coloniales et en 1907,<br />

l’École du Pharo à Marseille reçoit sa première<br />

promotion d’élèves. Destinés à servir auprès des<br />

530 m. morillon


troupes déployées dans les colonies, ces médecins<br />

vont rapidement se mettre au service des populations<br />

indigènes. Cette mission double se retrouve dans l’appellation<br />

des hôpitaux : les hôpitaux coloniaux du service<br />

général qui accueillent les militaires, les fonctionnaires<br />

et les patients civils à titre onéreux et les hôpitaux de<br />

l’Assistance médicale indigène (AMI) ouverts à la<br />

population et gratuits. Dès 1900, 30 hôpitaux principaux<br />

et secondaires sont en fonctionnement, ils sont 41 en 1960<br />

(tab. I). Ces établissements relèvent d’une dotation<br />

budgétaire de la colonie et les patients sont pris en charge<br />

pour 90 % sur les fonds publics. L’accès est gratuit pour<br />

une grande majorité des usagers. Rapidement, les<br />

médecins et pharmaciens qui y exercent doivent avoir des<br />

titres hospitaliers comme leurs camarades de métropole.<br />

Ils les acquièrent entre deux séjours à l’occasion d’une<br />

affectation en métropole, notamment à l’École du Pharo.<br />

À côté des 41 hôpitaux généraux, pas moins de 593<br />

hôpitaux secondaires, 2 000 dispensaires, 6 000<br />

maternités ont été créés et gérés par des médecins du<br />

corps de santé militaire. L’AMI à elle seule consommait<br />

un nombre considérable de médecins (tab. II).<br />

En dépit de ces efforts à la fois indispensables et<br />

admirables, le maillage hospitalier, inspiré par la mère<br />

patrie se révèle insuffisamment adapté à des territoires<br />

immenses dont la densité de population, exclusivement<br />

rurale est souvent très faible (10 à 15 habitants au km 2 ) et<br />

où les communications sont difficiles. Les formations<br />

hospitalières ne drainent leurs patients que dans un rayon<br />

de 10 à 15 km, laissant de côté les villages plus éloignés.<br />

C’est le constat que fait Eugène Jamot, en 1917, alors<br />

qu’il vient d’être chargé de la lutte contre la maladie du<br />

sommeil au Cameroun. Son idée d’aller chercher les<br />

malades là où il sont, «au bout de la piste» est proprement<br />

révolutionnaire. De 1921 à 1931, il l’organise en<br />

concepts:<br />

– faire une médecine de masse s’appuyant sur une<br />

prospection active;<br />

Tableau II. Personnel et activité des hôpitaux d’Afrique noire en 1938<br />

(d’après Lapeyssonie (8)).<br />

AOF<br />

AEF<br />

Personnel européen 451 185<br />

Dont médecins militaires 165 80<br />

Personnel indigène 3 469 895<br />

Formations sanitaires 556 325<br />

Hospitalisations 61 259 52 395<br />

Consultants 3 742 143 904 063<br />

Consultations 13 232 977 3 101 552<br />

– recenser et examiner de façon exhaustive toute la<br />

population;<br />

– établir et faire appliquer des procédures uniformisées<br />

pour toutes les équipes.<br />

La méthode s’avère très efficace et les résultats sont<br />

spectaculaires. Née dans l’AEF, elle est « exportée » en<br />

AOF puis étendue à d’autres maladies: lèpre, paludisme,<br />

onchocercose, méningite cérébro-spinale puis appliquée<br />

aux vaccinations en zone rurale. Sur ces bases naît le<br />

service général d’hygiène mobile et de prophylaxie.<br />

L’époque correspond également à l’émergence de la<br />

science vaccinale, et les médecins militaires participent<br />

pour une part importante au développement des Instituts<br />

Pasteur d’outre mer qui se construisent à Saigon dès 1891,<br />

Nha Trang en 1895 et Tananarive en 1898. Onze<br />

autres suivront. À cette époque 60 % du personnel de<br />

ces Instituts est militaire. L’apport de ces « pasteuriens »<br />

à la lutte contre les maladies infectieuses est considérable<br />

et dans l’impossibilité de tous les citer, nous<br />

pouvons donner un aperçu de leur œuvre à travers<br />

deux maladies aussi terrifiantes qu’emblématiques :<br />

la peste et la fièvre jaune.<br />

Tableau I. Principaux hôpitaux en fonctionnement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (ne prend pas en compte les hôpitaux d’Afrique du Nord).<br />

Hanoi<br />

H. Lanessan<br />

H. Yersin<br />

Dakar<br />

H. principal<br />

H. Le Dantec<br />

Indochine<br />

Saigon H. Grall St Louis H. colonial<br />

Vientiane H. Mahosot Bamako H. du point G<br />

AOF<br />

Phnom Penh<br />

H. Calmette<br />

H. central<br />

Abidjan<br />

Inde Pondichéry H. général<br />

H. de Treicheville<br />

H Girard et Robic<br />

Gd Bassam<br />

H. colonial<br />

Tananarive<br />

H. Befelatanana<br />

Conakry<br />

H. Ballay<br />

Madagascar Tamatave<br />

H. colonial<br />

H. La Quintinie<br />

Douala<br />

Diego Suarez<br />

H. colonial<br />

H. général<br />

AEF<br />

Majunga H. colonial Brazzaville H. général<br />

Nouméa H. G. Bourret Pointe Noire H. Sice<br />

Pacifique<br />

Papeete<br />

H. Mamao<br />

H. Peltier<br />

Côte des Somalis Djibouti<br />

Antilles Fort de France H. Clarac<br />

H. Bouffard<br />

Guyane Cayenne H. J. Martial<br />

trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer<br />

531


Consultation médicale gratuite, Tonkin 1932.<br />

La peste qui avait décimé le corps expéditionnaire de<br />

Syrie en 1799 représente un chapitre des maladies<br />

infectieuses ou l’apport du Service de santé des armées<br />

est majeur. Dès 1894, à Hong Kong, Alexandre Yersin,<br />

récemment engagé dans le corps de santé colonial à<br />

l’instigation de Calmette, colore, cultive et inocule le<br />

bacille qui portera son nom. Quatre ans plus tard, près de<br />

Karachi, Paul Louis Simond, futur premier sous directeur<br />

de l’École du Pharo, démontre le rôle de la puce dans la<br />

propagation de la peste. En 1932, à l’issue de six ans de<br />

travail, Georges Girard et Jean-Marie Robic, à l’Institut<br />

Pasteur de Madagascar, mettent au point le premier<br />

vaccin et le testent courageusement sur eux-mêmes avant<br />

de le mettre à disposition de la population. Après<br />

plusieurs milliers de vaccinations, le nombre de cas<br />

annuel passe de 40 à 50 dans la grande île.<br />

La fièvre jaune, elle aussi vieille compagne des<br />

expéditions militaires, trouve sur son chemin deux<br />

médecins coloniaux, Laigret et Durieux qui mettent au<br />

point le premier vaccin à l’Institut Pasteur de Dakar en<br />

1936. Plus de 55 millions de doses du « vaccin de Dakar »<br />

sont inoculées en 15 ans en AOF. Le masque jaune du<br />

vomito negro ne sera plus dès lors aussi terrifiant.<br />

Pour clore ce bilan rapide d’une période si riche que<br />

plusieurs volumes ne suffisent pas à la décrire, il nous<br />

faut ajouter l’important travail de formation avec la<br />

création de 2 facultés et 4 écoles de médecine, 2 écoles<br />

de formation d’assistants médicaux et 19 écoles<br />

d’infirmières.<br />

V. LA FIN DU XX E SIÈCLE APRÈS LES<br />

INDÉPENDANCES.<br />

Après 1962, la France garde des relations privilégiées<br />

avec les nouveaux états indépendants et le Service de<br />

santé participe pour une part importante à la Coopération.<br />

Son apport a été tel au cours du demi siècle précédent<br />

qu’une période de transition s’avère nécessaire. Les<br />

effectifs augmentent encore : alors qu’il y avait environ<br />

700 officiers du Service en poste outre-mer en 1940, ils<br />

sont 800 en 1980, soit près de vingt ans après la naissance<br />

des nouveaux états. Parmi ceux ci, 442 sont employés au<br />

titre de la coopération dont 209 dans les pays de l’ex AOF,<br />

125 dans les DOM TOM. Ils sont présents dans trente<br />

pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, du Pacifique et de<br />

l’Océan Indien. Leurs cadres d’emploi sont très divers :<br />

532 m. morillon


hôpitaux, secteurs de médecine rurale, dispensaires des<br />

centres sociaux, secteurs d’hygiène mobile, grandes<br />

endémies et Instituts Pasteur. Les hôpitaux généraux de<br />

l’ère coloniale deviennent hôpitaux nationaux ou CHU,<br />

les services d’hygiène mobile ont donné naissance à des<br />

organisations régionales : l’OCCGE pour l’Afrique de<br />

l’Ouest et le Togo en 1960 et l’OCEAC pour le Gabon, le<br />

Cameroun, le Congo et le Tchad en 1963 (9).<br />

Avec le même dévouement que leurs anciens, ces<br />

médecins coopérants luttent contre les maladies<br />

infectieuses et une fois de plus les succès sont là : ils<br />

participent aux campagnes de vaccination qui<br />

aboutissent à l’éradication mondiale de la variole en<br />

1977. Elle vaudra l’attribution de la médaille du CDC<br />

en 1992 à l’Institut de médecine tropicale du Service<br />

de santé des armées en remerciement du travail des<br />

médecins militaires français. Dans ce combat contre les<br />

infections, la figure du Médecin général Lapeyssonie<br />

est emblématique. Il est l’un des premiers à utiliser les<br />

sulfamides retard contre la méningite cérebrospinale<br />

dans la fameuse ceinture sahélienne de la méningite à<br />

laquelle il laisse son nom. Sollicité en 1974 par Charles<br />

Mérieux pour l’épidémie de méningite de Sao Paulo, il<br />

utilise les injecteurs sans aiguille et parvient à vacciner<br />

120 millions de personnes. Personnage hors du<br />

commun, il rassemblait tous les savoirs-faire de ceux qui<br />

l’avaient précédé: médecin, biologiste, épidémiologiste,<br />

enseignant, chercheur mais aussi chasseur et coureur<br />

de brousse, mécanicien et maçon et enfin romancier et<br />

historien. Il était celui qui parlait le mieux de cette histoire<br />

du Service sous les Tropiques.<br />

La fin du XX E siècle est marquée par plusieurs guerres<br />

civiles et catastrophes naturelles pour lesquelles le<br />

Service, conformément à sa tradition, va développer<br />

ses capacités de réponse aux situations d’urgence. Le<br />

mouvement de la médecine humanitaire émerge à la<br />

même époque et pour les mêmes raisons. Dans ce<br />

contexte, en 1968, à Libreville, l’Élément médical<br />

Tournée de brousse en République centrafricaine. Fin des années 1960.<br />

trois siècles d’histoire du service de santé des armées outre-mer<br />

533


militaire d’intervention rapide (EMMIR) déploie un<br />

hôpital chargé d’accueillir les enfants victimes de la<br />

guerre civile au Biafra. L’EMMIR sera envoyé également<br />

en Jordanie 1970 pour secourir les victimes de « septembre<br />

noir » et lors du tremblement de terre au Nicaragua<br />

en 1972. La nécessité de campagnes de vaccination de<br />

masse et d’une réponse rapide aux épidémies aboutit<br />

en 1983 à la création de la Bioforce. À côté de nombreuses<br />

interventions sur des épidémies de méningite ou de<br />

choléra, cet élément a été impliqué dans l’intervention<br />

de 1994 au Rwanda ou l’équipe française à dû faire<br />

face à une situation complexe dans laquelle à la fois,<br />

la méningite, le choléra et la dysenterie bacillaire<br />

décimaient des milliers de réfugiés.<br />

Prise en charge de deux enfants victimes d’une explosion de mine (OMLT<br />

Afghanistan 2007-08 / cp-c PELLEGRIN).<br />

Au cours de ce siècle, médecine tropicale, médecine<br />

humanitaire, recherche, ont réalisé un ensemble très<br />

attractif à l’origine de nombreuses vocations de médecins<br />

militaires. À leurs côtés, il est juste de rappeler le travail<br />

des confrères civils effectuant leur service national au<br />

titre de la coopération, qui suivaient la même formation et<br />

partageaient le même idéal.<br />

VI. CONCLUSION.<br />

Cette évocation de trois siècles de médecine militaire<br />

outre-mer ne doit pas être nostalgique mais nous rappeler<br />

à quel point le Service et ses hommes ont su s’adapter aux<br />

évolutions de l’histoire et de leurs missions. Renforcés<br />

par cet héritage prestigieux, nous pourrons nous inscrire<br />

dans sa continuité en répondant aux défis d’aujourd’hui.<br />

Le mouvement a déjà été amorcé en 1996 avec la<br />

professionnalisation des armées et l’évolution des<br />

missions de défense. Il n’y a plus de « postes de brousse »<br />

et les emplois dans les hôpitaux ou les Instituts Pasteur<br />

sont devenus l’exception. L’heure est aux missions de<br />

courte durée, en soutien des forces projetées : Côte<br />

d’Ivoire, Afghanistan, pour ne citer que deux d’entre<br />

elles. L’expérience acquise par des générations de<br />

médecins militaires, tant en médecine tropicale que dans<br />

l’exercice de la médecine en situation dégradée ou<br />

précaire trouve ici toute sa place. Ce savoir-faire est<br />

toujours transmis aux jeunes médecins avec cette<br />

flamme si particulière faite à la fois d’amour du prochain<br />

et d’attrait du lointain (7), entretenue à l’École du Pharo.<br />

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

1. Pluchon P. Histoire des médecins et pharmaciens de la Marine et<br />

des colonies. Privat, Toulouse. 1985 : 430 p.<br />

2. Comité d’Histoire du Service de santé. Histoire de la Médecine<br />

aux armées. Lavauzelle ; Paris-Limoges 1982 : 513 p.<br />

3. Dutroulau AF. Maladies des Européens dans les pays chauds.<br />

Baillière, Paris 1868 : 679 p.<br />

4. Bourgeois N, Nougaret P. Voyages intéressans dans différentes<br />

colonies françaises, espagnoles, anglaises, contenant des<br />

observations relatives à ses contrées ; un Mémoire sur les maladies<br />

les plus communes à Saint-Domingue, leurs remèdes, le moyen<br />

de s'en préserver moralement et physiquement. JF Bastien Paris<br />

1788 : 507 p.<br />

5. Direction du Service de santé. L’œuvre du Service de santé<br />

militaire en Algérie. Lavauzelle Paris 1931 : 363 p.<br />

6. Camelin A. Le Service de santé en Algérie, de la conquête<br />

aux accords d’Évian. Revue historique de l’armée. 1972. N° 1<br />

(spécial) : 47-63.<br />

7. Lapeyssonie. La Médecine Coloniale Seguers Paris 1988 : 310 p.<br />

8. Lapeyssonie L. Le Service de santé dans ses tâches de santé<br />

publique en Afrique francophone. Revue historique de l’armée.<br />

1972. N° 1 (spécial) : 26-45.<br />

9. Deroo E, Champeaux E, Milleliri JM, Queguiner P. L’École du<br />

Pharo, Cent ans de Médecine Outre-Mer 1905-2005. Lavauzelle<br />

Panazol. 2005.<br />

534 m. morillon


Tricentenaire du Service de santé des armées<br />

LE VISAGE SOCIAL DU MÉDECIN MILITAIRE<br />

P. CRISTAU<br />

Ambroise PARÉ.<br />

I. INTRODUCTION.<br />

« La médecine militaire est à la médecine civile ce que<br />

la musique militaire est à la musique classique ». Cet<br />

aphorisme sous forme de plaisanterie plutôt caustique<br />

P. CRISTAU, médecin général inspecteur (2s).<br />

Correspondance: P. CRISTAU, 28 rue Fay, 94300 VINCENNES.<br />

en dit long sur idée que certains se faisaient du médecin<br />

militaire au siècle dernier. Et pourtant l’hôpital du Val-de-<br />

Grâce est resté au cours des siècles un hôpital de référence,<br />

Alphonse Laveran fut le premier prix Nobel de médecine<br />

français et la seule statue française en Corée du Sud est<br />

celle du médecin commandant Jean Louis mortellement<br />

blessé par mine en secourant un autochtone.<br />

médecine et armées, 2008, 36, 5 535


C’est dire qu’au prorata des modes et des circonstances, le<br />

visage social du médecin militaire a pu prendre des<br />

aspects multiples. Le but de cet article est de relater<br />

l’évolution de ce visage au cours des trois derniers siècles,<br />

au-delà de ces modes et au vu des circonstances.<br />

II. AVANT LA CRÉATION DU SERVICE DE<br />

SANTÉ MILITAIRE EN 1708.<br />

Avant la création officielle du Service de santé par Louis<br />

XIV des médecins attachés aux armées existent cependant<br />

depuis longtemps.<br />

On les voit apparaître au cours de la Renaissance. Pendant<br />

le Moyen Âge en effet, aucune organisation officielle ne<br />

s’occupe des blessés. Ce sont en fait les ordres religieux<br />

qui assument cette responsabilité.<br />

Depuis le début de la Renaissance, les grands chefs<br />

militaires emmènent avec eux un ou plusieurs chirurgiens<br />

qui leur sont personnellement attachés. Ambroise Paré<br />

s’en distingue en soignant, bien que chirurgien attaché<br />

au roi, tous les combattants sans distinction avec<br />

dévouement et modestie. Sa réputation est grande auprès<br />

des hommes de guerre. Mais c’est un cas particulier ; à<br />

cette époque, il est encore difficile de parler du visage<br />

social du médecin militaire car fort peu l’ont rencontré.<br />

Au cours du XVI e siècle, la place des chirurgiens militaires<br />

s’installe progressivement. Leur rétribution est<br />

néanmoins révélatrice de leur maigre considération.<br />

Dans l’artillerie, cette rétribution les met juste avant les<br />

canonniers ordinaires et les conducteurs de charroi.<br />

Dans la cavalerie, elle est la même que celle du trompette.<br />

Chez les marins, c’est différent lorsqu’ils imposent pour<br />

tout vaisseau d’importance, la présence permanente de<br />

chirurgiens, leur place est reconnue parmi les officiers,<br />

juste après le prévôt et les aumôniers.<br />

Lorsqu’au siècle suivant, Louvois réorganise les armées,<br />

lorsque Vauban installe un hôpital militaire dans toutes<br />

les places fortifiées à la frontière du royaume, le besoin<br />

de praticiens militaires se fait sentir, des efforts de<br />

recrutement sont faits, mais ces derniers ne sont pas<br />

encore assimilés à des officiers. Ils sont seulement<br />

commissionnés pour une durée qui ne peut excéder<br />

une campagne. Ils n’ont pas d’uniforme et si la plupart<br />

portent une épée, c’est parce qu’ils veulent se distinguer<br />

des praticiens civils.<br />

Il est vrai que, si l’on se réfère aux Diafoirus de Molière,<br />

l’image du médecin au Grand siècle ne jouit pas d’une<br />

considération immense, cachant derrière un niveau<br />

scientifique théorique assez élevé, une efficacité<br />

thérapeutique modeste. Il est vrai aussi que le médecin<br />

aux armées, encore plus exposé que son confrère civil aux<br />

pathologies engendrées par la collectivité, n’a pas plus de<br />

moyens de les enrayer. Les grandes épidémies (variole,<br />

typhus, choléra) y sont tout aussi redoutables.<br />

Il est curieux de noter en passant que le terme de<br />

carabin qui voit le jour à cette période a au départ une<br />

connotation militaire. Il désigne un soldat de cavalerie<br />

légère qui fait rapidement passer ses adversaires de vie à<br />

trépas, comme le «scarabin», ensevelisseur de pestiférés,<br />

terme dérivé du scarabée qui fouille la terre et le fumier.<br />

Par extension, il est attribué ironiquement aux<br />

chirurgiens de cette époque.<br />

Si le chirurgien militaire s’efforce de se distinguer de<br />

son confrère civil, c’est que la pratique de la chirurgie<br />

de guerre lui donne une expérience inégalée. Pierre<br />

Dionis, premier titulaire de l’école de perfectionnement<br />

des étudiants en chirurgie au Jardin royal de Paris en 1673,<br />

est un ancien chirurgien militaire qui a été choisi pour<br />

sa grande expérience pratique.<br />

Dans la Marine, le développement de la flotte de<br />

guerre par Colbert impose la création de petits bâtiments<br />

de support sanitaire au sein des escadres, des « flûtes »,<br />

à raison d’une pour dix vaisseaux. Sur les galères<br />

elles-mêmes, le « taular » de l’avant est aménagé pour<br />

le chirurgien. Mais si la spécialisation poussée de ces<br />

chirurgiens embarqués n’est pas discutée, ils restent<br />

totalement impuissants devant le scorbut qui décime<br />

toujours les équipages. À tel point que Colbert écrit<br />

à l’intendant des galères de Marseille que si la<br />

connaissance de ses médecins ne paraît pas suffisante, le<br />

roi ferait volontiers la dépense d’en faire aller un des<br />

plus célèbres de la faculté de médecine de Montpellier<br />

pour en chercher les remèdes. La confiance mise<br />

d’ailleurs en cette décision s’est avérée très décevante…<br />

III. LE « SIÈCLE DES LUMIÈRES ».<br />

La création par Louis XIV à la fin de son règne d’un<br />

Service de santé de la Marine puis 20 ans après de celui de<br />

l’armée de Terre découle en particulier de l’estime et la<br />

confiance qu’il porte aux médecins des armées.<br />

Ces derniers forment maintenant un corps permanent<br />

réparti dans les hôpitaux, les corps de troupe ou les<br />

bateaux, bien inclus dans le milieu militaire.<br />

Cette décision n’apporte cependant pas, dans l’immédiat,<br />

tous les avantages escomptés. Les difficultés pécuniaires<br />

de la fin du règne, les guerres incessantes et leur cortège<br />

de destructions ternissent l’image de l’armée et de la<br />

Marine. Les récentes dragonnades dans les Cévennes<br />

entraînent une coupure entre le monde militaire et le pays.<br />

Par ailleurs, si la sollicitude du roi vis-à-vis de ses médecins<br />

militaires est le témoin de la reconnaissance de leurs<br />

capacités techniques, elle ne va pas jusqu’à créer un<br />

corps parfaitement indépendant en le laissant sous<br />

l’autorité et la responsabilité de l’intendance. Cette<br />

dépendance, dont le Service de santé va souffrir pendant<br />

près de deux siècles, va être à l’origine de problèmes qui<br />

vont épisodiquement altérer image du médecin militaire.<br />

Il y a d’abord le problème de la gestion des hôpitaux<br />

militaires, problème qui d’ailleurs n’est pas récent.<br />

Certes, depuis Henri IV, il existe des hôpitaux militaires<br />

mobiles qui suivent les troupes en campagne. Et ce<br />

système bien organisé à l’avance est efficace. Mais le<br />

service des hôpitaux est souvent sous-traité à des<br />

entreprises pour qui la rentabilité l’emporte sur<br />

l’efficacité. C’est l’exagération du nombre des<br />

hospitalisés, voire de la fausse survie de patients<br />

décédés, ce qui coûte cher au budget des armées, mais<br />

536 p. cristau


ce sont aussi des restrictions de médicaments ou de<br />

nourriture, ce qui coûte cher à la santé des malades et<br />

à la notoriété du Service. Le médecin militaire tire<br />

toutefois son épingle du jeu.<br />

Il la tire d’autant mieux qu’une bonne gestion des<br />

hôpitaux militaires permanents et particulièrement ceux<br />

de la capitale leur conserve une excellente renommée.<br />

Jacques-René Tenon dans son « mémoire sur les hôpitaux<br />

de Paris » décrit l’état catastrophique de l’Hôtel-Dieu<br />

et cite plusieurs fois comme modèle l’hôpital des<br />

Gardes françaises (futur hôpital du Gros-caillou) et<br />

l’Hôtel royal des Invalides.<br />

Au cours du siècle, la notoriété du Service de santé va<br />

aller en s’améliorant de façon notable.<br />

Chez les médecins, trois d’entre eux doivent à leur<br />

réputation d’être médecins du roi : Guy Crescent Fagon<br />

qui demeure aux côtés de Louis XIV jusqu’à sa mort,<br />

Uniformes des chirurgiens et médecins.<br />

Pierre Chirac qui sert Louis XV de 1731 à 1732 et Jean<br />

Baptiste Senac qui lui succède après avoir été médecin<br />

personnel du maréchal de Saxe.<br />

Mais ce siècle se caractérise surtout par la promotion des<br />

chirurgiens militaires. Ils bénéficient des progrès obtenus<br />

dans l’échelle sociale par leurs confrères civils, progrès<br />

auxquels certains d’entre eux participent efficacement.<br />

Un des deux créateurs de l’Académie de chirurgie et qui<br />

en deviendra le président, François Guyot de la Peyronie<br />

est un militaire qui tient son prestige de son service sous<br />

les ordres du maréchal de Villars. Dans cette académie<br />

une vingtaine de ses 60 membres est militaire dont les<br />

premiers directeurs et les premiers secrétaires.<br />

La promotion des chirurgiens les fait doter les premiers<br />

d’un uniforme en 1757. Ils portent l’habit « gris d’épine »<br />

avec la veste et le pantalon rouge, cette couleur ayant été<br />

demandée par Pichaut de la Martinière, chirurgien<br />

consultant, pour qu’on puisse les identifier facilement sur<br />

le champ de bataille. Les médecins n’obtiennent le leur<br />

qu’en 1786 avec une couleur distinctive noire.<br />

Un autre fait marquant est la création originale<br />

d’un enseignement pluridisciplinaire et pratique<br />

dispensé dans les hôpitaux royaux et basé sur l’examen<br />

clinique et l’expérimentation concrète alors que<br />

l’enseignement médical dans les facultés est un<br />

enseignement purement théorique.<br />

La dispersion de l’enseignement dans les hôpitaux<br />

militaires des places, dont le nombre s’est élevé jusqu’à<br />

90, donne cependant des résultats très inégaux. Il<br />

débouche sur la constitution en 1775 de véritables écoles<br />

avec la création de trois grands « hôpitaux-amphithéâtres<br />

» (Lille, Metz et Strasbourg) où les études<br />

durent trois ans après deux années d’apprentissage<br />

chez un maître chirurgien. Ce sont de véritables centres<br />

hospitaliers universitaires avant la lettre.<br />

Cette organisation est calquée sur les Écoles de chirurgie<br />

navale qui existent déjà depuis plusieurs décennies à<br />

Toulon, Brest et Rochefort où l’on pratique des cours aux<br />

jeunes chirurgiens destinés à l’embarquement. Sous<br />

l’autorité déterminante de Jean Cochon du Puys, l’école<br />

de Rochefort acquiert une renommée dépassant les<br />

frontières locales. La reconstruction des bâtiments en<br />

1785 en font un ensemble considéré comme le premier<br />

hôpital moderne du royaume.<br />

Le bilan du Siècle des Lumières apparaît donc comme<br />

globalement très positif concernant l’image sociale des<br />

médecins militaires. Il se traduit par leur participation<br />

non négligeable à la rédaction de chapitres sur la<br />

médecine et la chirurgie dans la Grande Encyclopédie<br />

de Diderot et D’Alembert.<br />

La fin du siècle détruit malheureusement ce bel édifice.<br />

Pour des raisons essentiellement budgétaires, Louis XVI<br />

décide en 1788 de ne conserver que 8 hôpitaux<br />

permanents et 10 auxiliaires. Cette réduction d’effectifs<br />

et de moyens va mettre en évidence les insuffisances<br />

du Service de santé au moment des premières batailles<br />

de la Révolution.<br />

le visage social du médecin militaire<br />

537


IV. LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE.<br />

L’Assemblée nationale au départ est pleine d’idées<br />

généreuses et novatrices. Mais, elle décide de supprimer<br />

les corporations qui sont l’image trop voyante de<br />

l’Ancien régime ce qui entraîne la dissolution des<br />

facultés. De la même manière, l’Académie de chirurgie<br />

tient sa dernière séance en 1793. L’enseignement<br />

des futurs médecins se fera dans trois écoles (Paris,<br />

Montpellier et Strasbourg) ou, « à la demande », auprès<br />

de praticiens hospitaliers selon les circonstances et la<br />

bonne volonté des intéressés.<br />

Pour le Service de santé, la levée en masse impose de<br />

nouveaux recrutements rendus difficiles par les décisions<br />

précédentes. La création d’un hôpital d’instruction au<br />

Val-de-Grâce, après qu’on en ait chassé les religieuses en<br />

1793, est insuffisante. Pour pallier ces déficits et attirer<br />

des volontaires, l’on décide de façon paradoxale de ne pas<br />

leur demander de certificat de civisme que l’on exige<br />

ailleurs. C’est ainsi que l’on voit s’engager des candidats<br />

de toute nature, par exemple des prêtres réfractaires ou<br />

des personnes politiquement suspectes venus chercher la<br />

sécurité sous les drapeaux. C’est le cas de Desgenettes<br />

compromis par ses relations amicales avec les Girondins,<br />

qui s’engage sans vocation militaire particulière, mais<br />

qui va bénéficier des circonstances. Affecté à l’armée<br />

d’Italie, il rencontre sur son chemin dans une taverne<br />

un certain général Bonaparte qui rejoint aussi sa<br />

nouvelle affectation.<br />

Mais Desgenettes est déjà docteur en médecine et<br />

praticien expérimenté. Beaucoup d’autres jeunes vont<br />

s’instruire « sur le tas » et n’ont pas le temps de fréquenter<br />

les écoles de médecine ou les hôpitaux d’instruction entre<br />

deux campagnes. Cette disparité fait décider par la<br />

Convention un contrôle obligatoire des connaissances.<br />

C’est ainsi que Percy, alors chirurgien de l’armée de la<br />

Moselle, se voit obligé, avec l’humeur que l’on devine, de<br />

rester enfermé 28 heures à la mairie de Buzonville<br />

pour subir ces épreuves sous la surveillance du personnel<br />

local et des représentants du peuple.<br />

Cette suspicion aveugle n’empêche pas l’enthousiasme<br />

révolutionnaire qui anime le corps de santé comme<br />

les autres militaires. En 1994, 900 d’entre eux y ont<br />

déjà laissé la vie.<br />

La période de l’Empire se caractérise d’abord par la gloire<br />

des grandes figures de cette époque, les Larrey, Percy,<br />

Desgenettes:<br />

– Larrey qui crée les ambulances volantes, qui désarticule<br />

une épaule en quelques minutes, dont Napoleon dira<br />

« c’est l’homme le plus vertueux que j’ai connu » et que<br />

Wellington salue le soir de Waterloo comme « l’honneur<br />

qui passe »;<br />

– Percy qui envoie ses chirurgiens sur le champ de<br />

bataille avec ses « wurst », qui organise les infirmiers en<br />

compagnies de « despotats »;<br />

– Desgenettes qui s’inocule la peste en Égypte et qui,<br />

capturé par les russes à Vilna, est libéré immédiatement<br />

par le Tsar.<br />

Ces trois personnalités emblématiques, nommées barons<br />

d’Empire et figurant sur les murs de l’Arc de triomphe,<br />

participent à la renommée de l’Empire et à celle du<br />

Service de santé. Leur représentation sur de nombreux<br />

tableaux de bataille est un instrument de propagande pour<br />

l’Empereur mais qui retombe aussi sur les intéressés. Ils<br />

en sont d’ailleurs parfaitement conscients, témoin les<br />

démarches pressantes faites par Larrey aux lendemains<br />

d’Eylau, ce qui n’empêchera pas Gros de choisir Percy.<br />

Au niveau des unités, le problème est différent. Le<br />

médecin militaire ne bénéficie toujours pas de toutes les<br />

prérogatives des officiers. Il n’a pas droit au salut ni aux<br />

honneurs réservés à son grade. Il porte l’épée mais le<br />

nouvel uniforme « Bleu barbeau » attribué par le<br />

Directoire ne comporte pas d’épaulettes. Surtout, il<br />

ressemble étrangement à celui des intendants ce qui<br />

est fort mal perçu par l’ensemble du corps. À tel point<br />

que beaucoup de chirurgiens affectés dans les unités<br />

se sentent valorisés en portant l’uniforme de ce<br />

régiment et en y rajoutant le rouge amarante qui est<br />

leur couleur distinctive.<br />

Cette désaffectation vis-à-vis de l’intendance vient du<br />

fait que plusieurs décisions du Directoire ont accentué<br />

la subordination des médecins à cette institution,<br />

subordination qui va être à l’origine d’un certain nombre<br />

de catastrophes sanitaires favorisées par le nombre<br />

des belligérants et par celui des blessés au cours des<br />

grandes batailles de l’Empire. Si dans les unités d’élite de<br />

la Garde impériale, personnels, matériels et moyens<br />

d’évacuation sont en général satisfaisants, il est loin d’en<br />

être de même dans les autres formations. Larrey raconte<br />

qu’à Eylau, après avoir opéré toute la journée, il est obligé<br />

de sacrifier son cheval pour donner un bouillon chaud à<br />

ses blessés et qu’on doit le faire chauffer dans une<br />

cuirasse, faute de récipients.<br />

Si dans les premières campagnes de l’Empire<br />

la débrouillardise du soldat français, qui va le faire<br />

s’approvisionner chez l’habitant, pallie beaucoup<br />

d’insuffisances, la politique de la terre brûlée au cours<br />

de la retraite de Russie est à l’origine d’une véritable<br />

catastrophe humanitaire.<br />

À cela s’ajoute l’existence des grandes épidémies<br />

aggravées par la promiscuité des hôpitaux. Un pamphlet<br />

de 1814 qualifie ces hôpitaux de « sépulcres de la Grande<br />

Armée». Les pertes santé sont autant, voire plus qu’avant,<br />

dues beaucoup plus aux maladies qu’aux blessures.<br />

La fièvre jaune pendant l’expédition de Saint Domingue<br />

tue la moitié des effectifs avec son commandant en chef,<br />

le général Leclerc. Le typhus suit la Grande Armée dans<br />

sa progression. À Dantzig, en 1812, on dénombre 200<br />

décès par jour. À Torgau en 1813, la garnison forte<br />

de 25000 hommes en perd 13500 par maladie sans avoir<br />

tiré un coup de fusil.<br />

V. LE XIX E SIÈCLE.<br />

La fin de l’Empire et la cessation des hostilités entraînent<br />

une réduction drastique des effectifs. Bon nombre de<br />

médecins militaires sont licenciés sans autre forme de<br />

538 p. cristau


procès et retournent à la vie civile en allant grossir les<br />

rangs des officiers de santé.<br />

L’officier de santé est autorisé à exercer la médecine sans<br />

le titre de docteur. Cet état existe depuis le début du siècle<br />

et concerne des praticiens qui, formés en un an au lieu de<br />

trois, limitent leurs activités dans les campagnes à des<br />

soins ordinaires. Ils sont considérés comme des médecins<br />

de seconde zone. Le terme d’officiers de santé est aussi<br />

donné aux médecins militaires et dans l’esprit des<br />

français va être assimilé aux précédents avec le discrédit<br />

qui l’accompagne. Il est vrai que bon nombre de ces<br />

anciens militaires a, comme les difficultés de recrutement<br />

l’imposaient, appris leur métier « sur le tas », surtout dans<br />

la pratique chirurgicale. Ils sont donc mal préparés à une<br />

médecine de clientèle polyvalente ce qui explique aussi<br />

leur dépréciation dans l’opinion, dépréciation qui va<br />

« coller » à l’institution pendant longtemps.<br />

Autre aspect négatif de ce siècle, et qui témoigne<br />

du manque de considération des autorités, le médecin<br />

militaire n’est toujours pas un officier à part entière.<br />

L’échelle hiérarchique est écrasée et l’avancement très<br />

lent. Les soldes sont deux fois plus faibles que pour les<br />

officiers des armes. Cela se traduit par un mouvement de<br />

revendications auxquelles le gouvernement répond par<br />

des mesures dilatoires et inadaptées, telles que la dispense<br />

de l’obligation de porter la moustache... Une véritable<br />

assimilation avec les grades de l’armée et la solde<br />

attenante n’est enfin obtenue qu’en 1860.<br />

Le malaise entretenu par ces faits engendre des<br />

mouvements de revendication au moment des<br />

révolutions de 1830 et de 1848 où les jeunes médecins<br />

militaires manifestent avec les insurgés. L’Écho du<br />

Val-de-Grâce créé en 1848 s’en fait le propagandiste.<br />

Ces manifestations contraires à l’esprit et la discipline<br />

militaire sont fort mal vues des hautes autorités militaires.<br />

Plus grave encore est la persistance et même l’accentuation<br />

de la tutelle de l’intendance qui prévoit mal les<br />

besoins. Lors de la prise de Constantine, le linge fait<br />

défaut et les chemises des hospitalisés doivent être<br />

confectionnées dans la percale imprimée des robes des<br />

femmes du harem qui les cousent elles-mêmes. C’est le<br />

terrible spectacle du champ de bataille de Solférino<br />

où blessés français et autrichiens gisent pêle-mêle au<br />

milieu des cadavres, qui est à l’origine de la création des<br />

Conventions de Genève par Henri Dunant. Lors du repli<br />

de Bazaine sur Metz en 1870, des milliers de blessés sont<br />

abandonnés et les médecins français sont obligés de<br />

demander à Bismarck de l’eau et des vivres.<br />

Une bonne partie de l’histoire du Service de santé au xIX e<br />

siècle peut se résumer à une lutte permanente de ses<br />

Larrey à Eylau.<br />

le visage social du médecin militaire<br />

539


L’Écho du Val-de-Grâce.<br />

540 p. cristau


chefs pour obtenir son autonomie complète qui ne lui est<br />

finalement accordée que le 16 mars 1862.<br />

Tout, cependant, n’est pas négatif dans l’image<br />

du médecin militaire au xIX e siècle.<br />

La conquête de l’Algérie avec l’efficacité du médecin<br />

dans les colonnes volantes de Bugeaud, les soins<br />

apportés à la population civile autochtone donnent au<br />

praticien militaire une aura concrétisée par le terme de<br />

« toubib » (médecin, savant habile, en langue arabe)<br />

qui va caractériser le praticien de l’armée d’Afrique et<br />

se généraliser plus tard avec une tonalité sympathique<br />

et amicale.<br />

L’enseignement des jeunes se normalise progressivement<br />

avec quelques hésitations liées aux difficultés<br />

épisodiques du recrutement. Dans la seconde moitié du<br />

siècle il est admis que le futur médecin militaire fait ses<br />

études en faculté puis suivra une instruction militaire<br />

spécifique dans des écoles d’application pendant un an.<br />

L’encadrement pendant les études en faculté sera libre ou<br />

structuré au sein d’une école. C’est le système qui prévaut<br />

encore actuellement mais qui mettra longtemps à être<br />

reconnu dans la population. Dans la pratique, le Val-de-<br />

Grâce reprend l’appellation d’École d’application en<br />

1850. Cette solution n’étant qu’à moitié satisfaisante au<br />

plan du recrutement, une École impériale du Service de<br />

santé est ouverte à Strasbourg en 1856. Ses élèves, les<br />

fameux « carabins rouges », sont très populaires chez les<br />

Strasbourgeois qui leur réservent une particulière<br />

indulgence pour leurs chahuts estudiantins. L’école ferme<br />

ses portes lors de la perte de l’Alsace en 1870 remplacée<br />

par les écoles de Lyon pour l’armée de Terre et Bordeaux<br />

pour la Marine. Les facultés de ces deux villes restent<br />

attachées au lustre que leur apportent ces deux formations.<br />

Avec les travaux de Maillot, Sedillot, Baudens, Laveran,<br />

Villemin, Vaillard, Delorme, Parmentier, Poggiale et des<br />

médecins de Marine qui accompagnent Dumont d’Urville<br />

dans son expédition sur l’Astrolabe, le Service de santé,<br />

qu’il soit de l’armée de Terre, de la Marine participe<br />

largement aux avancées scientifiques de l’époque. Il se<br />

hisse au niveau des meilleurs qui ne lui ménagent pas<br />

leur considération.<br />

Il n’est pas sûr qu’il en soit de même au niveau du public.<br />

L’image du médecin militaire de corps de troupe à la fin de<br />

ce siècle est devenue dérisoire. Avec la conscription, le<br />

conseil de révision et les faibles moyens qui lui sont<br />

alloués dans les infirmeries, le médecin militaire qui<br />

passe sa visite avec une blouse blanche et son képi sur la<br />

tête devient la cible des caricaturistes et des humoristes.<br />

Certains restent bons enfants, comme le dessinateur<br />

Guillaume. D’autres sont un peu plus acerbes, comme<br />

Feydeau dans le Dindon; son médecin major Pinchard est<br />

une vieille baderne, mais les autres personnages sont<br />

aussi caricaturaux ; l’on sent toutefois que le comique<br />

est accentué parce qu’il est militaire. D’autres sont<br />

carrément injurieux ; dans les Gaîtés de l’escadron,<br />

Courteline traite le médecin du régiment de « cancre<br />

ahuri ». Quelques années plus tard, le sapeur Camembert<br />

de Christophe aime bien le major Guy Mauve, mais il<br />

lui déclare pour le remercier « Qu’on ose dire devant<br />

moi, comme cela se dit tous les jours, que vous êtes une<br />

vieille baderne! »<br />

VI. LE XX E SIECLE.<br />

Le XX e siècle, comme c’est convenu, commence à la<br />

guerre de 14-18. Le Service de santé s’y est préparé,<br />

comme le reste de l’armée, c’est-à-dire pour une guerre<br />

« fraîche et joyeuse » qui sera de courte durée. La réalité<br />

avec les premiers grands combats de la bataille de<br />

la Marne et les gros dégâts de l’artillerie montre la totale<br />

inadaptation du service à ce genre de conflit. Ses<br />

responsables, avec le médecin général Charasse à leur<br />

tête, le reconnaissent rapidement et avec le soutien de<br />

Justin Godard nommé Secrétaire d’état du Service de<br />

santé, réorganisent complètement leurs moyens pour<br />

faire de leur service un instrument exemplaire qui<br />

servira de modèle à de nombreuses armées étrangères.<br />

Pour la première fois, les pertes santé pour maladies ne<br />

l’emportent pas sur celles par blessures. Hyacinthe<br />

Vincent, qui a fait rendre obligatoire la vaccination<br />

antityphoïdique, est considéré par les grands chefs<br />

militaires comme un des meilleurs artisans de la victoire.<br />

Le médecin militaire, les infirmiers, les infirmières<br />

bénéficient de cette aura et si un humoriste a pu dire du<br />

monument des brancardiers de Broquet qui trône au<br />

milieu des jardins du Val-de-Grâce, qu’il démontre la<br />

carence du Service de santé incapable de fournir des<br />

brancards à ses infirmiers, tout le monde reconnaît la<br />

qualité émotionnelle de cette sculpture qui illustre le<br />

dévouement de tous ses personnels confrontés aux<br />

pires circonstances de la guerre des tranchées. La gloire<br />

des armées victorieuses fait aussi reluire l’image du<br />

médecin militaire à la fin du conflit.<br />

Monument des brancardiers de Broquet.<br />

Une autre image particulièrement brillante est celle<br />

du médecin colonial. Comme on le chante dans l’hymne<br />

du santard de l’École de Lyon:<br />

« Et s’il y en a qui sont de la coloniale,<br />

Devant ceux-là, pekins inclinez vous,<br />

Car ils iront dans l’Afrique infernale<br />

Porter la science au pays des Bantous. »<br />

le visage social du médecin militaire<br />

541


Le médecin des colonies, d’abord médecin de Marine,<br />

puis officiellement médecin colonial depuis la fin du<br />

siècle dernier, jouit du prestige de l’aventure. C’est aussi<br />

un pionnier confronté à de nouvelles pathologies dans<br />

un environnement hostile. II incarne enfin la mission<br />

philanthropique que la III e République donne à sa<br />

colonisation. Il accompagne donc les armées au moment<br />

de la conquête, puis lors de l’installation des colons<br />

européens, il en devient par la force des choses le<br />

médecin de référence et souvent un ami fidèle.<br />

Pour les autochtones, ces médecins ouvrent d’innombrables<br />

dispensaires et appliquent les plus récentes<br />

découvertes de la révolution pastorienne. La plupart<br />

des instituts Pasteur d’outre-mer sont créés par eux.<br />

L’enseignement est aussi un de leurs titres de gloire. Deux<br />

ans après le débarquement de Sidi-Ferruch, un hôpital<br />

militaire a été installé à Alger qui devint École militaire<br />

d’Alger, ancêtre de la faculté d’Alger. Il en sera de même<br />

dans les autres colonies. C’est le cas de Tananarive, Dakar<br />

et bien d’autres. En Indochine le médecin général Grall<br />

devient le premier directeur du Service de santé civil ;<br />

l’hôpital militaire de Saïgon porte encore son nom.<br />

Par leur action sur le terrain et leurs travaux scientifiques<br />

certains vont laisser leur nom à la postérité Calmette,<br />

Yersin, Simond, Girard et Robic, Jamot, Muraz et<br />

bien d’autres. Grâce à eux, grâce à l’action auprès<br />

des populations indigènes des plus obscurs dont<br />

beaucoup y ont laissé la vie, les affres de la décolonisation<br />

n’ont pu altérer l’image du médecin colonial. Félix<br />

Houphouet-Boigny devenu président de la Côte d’Ivoire<br />

rendra un vibrant hommage aux médecins du Service<br />

de santé colonial.<br />

Un autre élément positif pour l’image du médecin<br />

militaire est l’apparition du médecin de l’armée de l’Air.<br />

Ces médecins existent en petit nombre à la fin de la<br />

première guerre mondiale, mais ils n’ont pas de caractère<br />

spécifique et sont recrutés dans les autres armes. Ils<br />

s’organisent dans l’entre-deux guerres avec la naissance<br />

d’un Service de santé de l’Air dont la création n’est<br />

officialisée qu’en 1940. Ils sont les pionniers de la<br />

médecine aéronautique pour la sélection et la surveillance<br />

du personnel navigant et pour d’importants travaux<br />

dans la physiologie des vols en haute altitude (hypoxie,<br />

décompression, accélérations, barotraumatismes).<br />

Un laboratoire de médecine aérospatiale est créé en 1957.<br />

C’est un médecin du Service de santé de l’Air<br />

qui s’occupe de la sélection et de l’entraînement du<br />

premier spationaute français en 1975. Cette importante<br />

contribution est malheureusement peu connue du<br />

grand public ; elle est essentiellement reconnue par les<br />

personnels militaires et civils de l’aéronautique d’autant<br />

qu’une excellente collaboration a toujours existé entre<br />

médecins militaires et civils de cette spécialité, sachant<br />

qu’une grande partie du personnel navigant civil est<br />

surveillée par les centres d’expertise militaires.<br />

Par contre le rôle du médecin de l’armée de l’Air dans les<br />

évacuations aériennes est beaucoup plus apprécié.<br />

Inaugurées lors de la guerre du Rif, ces évacuations<br />

commencent à être diffusées dans les médias au cours de<br />

Les carabins rouges.<br />

la guerre d’Indochine avec l’hélicoptère sur le lieu des<br />

combats et l’image du médecin capitaine Valérie André.<br />

Ces évacuations sanitaires par hélicoptère sont encore<br />

plus généralisées lors de la guerre d’Algérie et ont un<br />

impact très positif auprès de tous les blessés, particulièrement<br />

des appelés du contingent pour lesquels c’est<br />

un apport très rassurant. Il en est de même pour les<br />

évacuations par avion sur la métropole des gros blessés ou<br />

gros malades, tels que les poliomyélitiques, avec l’aide<br />

des réanimateurs. Plus récemment, la prise en charge en<br />

urgence et le transfert d’un officier blessé le matin<br />

au Kosovo, qui a pu être sauvé par une intervention<br />

chirurgicale au Val-de-Grâce dans l’après midi, illustre<br />

de façon exemplaire l’efficacité de l’association<br />

médecins réanimateurs et médecins de l’armée de l’Air.<br />

De même que l’image du médecin militaire a bénéficié de<br />

la gloire des combattants au cours de la «Grande guerre»,<br />

de même cette image va suivre les fluctuations des autres<br />

conflits du XX e siècle. Lors de la Seconde Guerre<br />

mondiale, le Service de santé n’échappe pas à la panique<br />

de la débâcle, mais certains entrent dans la Résistance<br />

(deux d’entre eux sont exécutés dans l’infirmerie du<br />

Vercors), d’autres retenus en captivité pour soigner<br />

les prisonniers sont accusés par les allemands de<br />

« sabotage sanitaire » pour avoir favorisé avec excès les<br />

rapatriements, d’autres se retrouvent dans les unités de<br />

la France libre, d’autres enfin s’illustrent dans les<br />

campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne et<br />

récoltent l’auréole des libérateurs.<br />

542 p. cristau


En Indochine, l’apparition des antennes chirurgicales<br />

parachutistes devient très populaire. Quelques 5 000<br />

blessés y sont opérés lorsque les difficultés d’évacuation<br />

imposent un traitement immédiat Au sujet de Dien<br />

Bien Phu, le livre du médecin commandant Grauwin<br />

qui décrit le dévouement des chirurgiens dans les<br />

conditions exceptionnelles du camp retranché, bénéficie<br />

d’un large succès dans le grand public.<br />

Pendant la guerre d’Algérie, outre sa place dans les<br />

combats, le médecin militaire pratique l’Assistance<br />

médicale gratuite (AMG) auprès de la population<br />

autochtone dans les Sections administratives spécialisées<br />

(SAS) ou dans les Territoires du Sud. Il retrouve l’impact<br />

du toubib de l’armée d’Afrique au moment de la conquête.<br />

L’Écho d’Oran publie la photo de l’un d’entre eux, un<br />

petit arabe dans les bras, avec la légende « Les fellaghas<br />

passent, la France reste »…<br />

La désaffectation du public vis-à-vis de la « chose »<br />

militaire, qui a débuté après le deuxième conflit mondial,<br />

s’est aggravée à l’occasion du rappel du contingent en<br />

Algérie et les soubresauts tragiques de l’indépendance.<br />

Elle ternit l’image du médecin militaire, même si son rôle<br />

n’apparaît pas dans ces derniers soubresauts.<br />

Qui plus est, les désirs de liberté de la jeunesse rendent de<br />

plus en plus impopulaire le service militaire et le médecin<br />

militaire qui en est un des maillons. Le rôle imposé du<br />

médecin d’unité ou hospitalier auprès du contingent est<br />

mal perçu. C’est particulièrement évident au moment des<br />

opérations de sélection et d’incorporation où les efforts<br />

de beaucoup sont de biaiser les décisions médicales.<br />

Couramment, on ne dit pas « il a été réformé », mais plus<br />

fièrement « il s’est fait réformer » ce qui illustre bien<br />

l’impact négatif auprès du public, ignorant d’ailleurs<br />

que nombre de ceux qui ont bénéficié de cette décision<br />

le plus souvent pour motifs psychiatriques présentera<br />

ultérieurement au cours de leur vie des problèmes<br />

psychopathologiques<br />

La cessation des hostilités donne au Service de santé la<br />

possibilité d’une réadaptation aux besoins de l’époque,<br />

positive pour l’image de ses médecins.<br />

La diminution des effectifs des armées entraîne<br />

une réduction du nombre des hôpitaux mais aussi<br />

une concentration et une modernisation de leurs<br />

technologies. Elle justifie aussi une ouverture au<br />

secteur civil « non-ayant-droit » pour lequel une<br />

hospitalisation dans ces formations est souvent<br />

ressentie comme un avantage. Les accréditations ne leur<br />

sont pas d’ailleurs refusées. Le Val-de-Grâce reste<br />

l’hôpital de référence pour les hautes personnalités. Les<br />

services de rééducation et réadaptation fonctionnelles<br />

des Invalides sont un modèle exemplaire.<br />

Le médecin d’unité voit aussi s’élargir ses compétences<br />

et ses moyens. Outre sa mission classique de soins aux<br />

militaires et à leurs familles, il doit être prêt à intervenir<br />

en situations extrêmes, c’est encore un médecin de<br />

prévention avec les vaccinations mais aussi la prophylaxie<br />

des épidémies et des maladies tropicales, c’est aussi<br />

un médecin du travail très orienté vers les problèmes<br />

d’environnement spécifiques du milieu militaire.<br />

La gestion des grands conflits a été remplacée par des<br />

interventions moins importantes et plus disséminées<br />

souvent dans un contexte international où le Service de<br />

santé français n’a pas à rougir. Ces opérations extérieures<br />

(OPEX) mobilisent une bonne partie des médecins<br />

militaires, le soutien santé se devant d’être effectif même<br />

aux groupements militaires les plus faibles. Elles<br />

imposent de plus en plus une médicalisation de l’avant<br />

pour laquelle les services médicaux des pompiers de<br />

Paris et de Marseille sont exemplaires. De formations<br />

sanitaires de campagne originales ont pris naissance<br />

dans des équipements techniques modulaires ou dans<br />

des nouvelles structures métallo-textiles.<br />

En même temps que ces OPEX ou indépendamment<br />

d’elles, le Service de santé s’investit, comme c’est<br />

traditionnel, dans les missions humanitaires. Avec<br />

l’EMMIR (Elément médical militaire d’intervention<br />

rapide), la FAHMIR (Force d’assistance humanitaire<br />

militaire d’intervention rapide) et la Bioforce, le médecin<br />

militaire est présent au Biafra, au Pérou, en Jordanie,<br />

aux Comores, au Cameroun, au Mali, à Mexico, plus<br />

récemment en Thaïlande ou en Afghanistan. Il est<br />

l’origine et le modèle des organisations humanitaires<br />

civiles non gouvernementales qui se développent à<br />

travers le monde mais qui vont progressivement le<br />

remplacer aux yeux du public.<br />

VII. CONCLUSION.<br />

Toutes ces avancées qui ont indiscutablement redoré le<br />

blason du médecin militaire sont en partie liées à la<br />

professionnalisation du service conséquence de la<br />

suspension du Service militaire en 1996. Mais cette<br />

suspension, à l’origine de la disparition du médecin<br />

aspirant du contingent qui rendait de gros services, a<br />

entraîné d’importants problèmes d’effectifs pour le<br />

Service de santé. Il ne faudrait pas que ces problèmes<br />

qui ne sont pas encore complètement résolus ternissent<br />

la bonne image du médecin militaire si chèrement<br />

acquise au cours des dernières décennies.<br />

le visage social du médecin militaire<br />

543


Aides médicales aux populations touchées par le Tsunami, Opération BERYX 2005 (copyright ECPAD).<br />

544


Le médecin général F. FLOCARD et le médecin chef des services J.-D. CAVALLO, coordonnateurs<br />

du numéro de la revue Médecine et <strong>Armées</strong> consacré au tricentenaire du Service de santé des armées,<br />

remercient les auteurs, les relecteurs et les collaborateurs pour leur contribution.<br />

Monsieur le médecin général inspecteur (2s) M. BAZOT<br />

Madame le lieutenant-colonel (cr) M. BERNICOT<br />

Monsieur le médecin général inspecteur (2s) BRISOU<br />

Monsieur le pharmacien en chef P. BURNAT<br />

Monsieur le médecin chef des services J.-D. CAVALLO<br />

Monsieur le pharmacien en chef F. CEPPA<br />

Monsieur le pharmacien chef des services (cr) F. CHAMBONNET<br />

Monsieur le pharmacien général J.-F. CHAULET<br />

Monsieur le médecin en chef P. CLERVOY<br />

Monsieur le médecin général inspecteur (2s) P. CRISTAU<br />

Monsieur le médecin général É. DAL<br />

Monsieur le médecin en chef É. DARRÉ<br />

Monsieur le docteur vétérinaire D. DAVID<br />

Monsieur le médecin chef des services (cr) R. DELOINCE<br />

Monsieur le vétérinaire en chef E. DUMAS<br />

Monsieur l’infirmier anesthésiste cadre de santé P. DUREL<br />

Monsieur le médecin en chef (cr) J.-J. FERRANDIS<br />

Monsieur le médecin général F. FLOCARD<br />

Monsieur le vétérinaire principal M. FREULON<br />

Monsieur le médecin en chef D. GARIN<br />

Monsieur le médecin général M. JOUSSEMET<br />

Monsieur le vétérinaire général inspecteur J.-Y. KERVELLA<br />

Monsieur le médecin général des armées LAFONT<br />

Monsieur l’adjudant chef T. LEVAZEUX<br />

Monsieur le colonel (cr) J.-P. LINON<br />

Monsieur M. MAILLOLS<br />

Monsieur le médecin général inspecteur M. MORILLON<br />

Monsieur le général de brigade (2s) D. MOYSAN<br />

Monsieur le médecin général inspecteur G. NEDELLEC<br />

Monsieur le major F. OLIER<br />

Madame C.PINARD<br />

Madame M. PRAT<br />

Monsieur le pharmacien en chef C. RENARD<br />

Monsieur le médecin chef des services S. RIGAL<br />

Madame le médecin chef des services A. ROBERT<br />

Madame M. SCHERZI<br />

Monsieur le lieutenant X. TABBAGH<br />

Monsieur F. TESTE<br />

Monsieur le médecin général inspecteur J.-E. TOUZE<br />

Monsieur le pharmacien chef des services D. VIDAL<br />

Madame la secrétaire médicale de classe normale P. VEIL<br />

Monsieur le médecin général inspecteur (2s) R. WEY


Revue du Service de santé des armées<br />

SGA/SMG Impressions<br />

TOME 36 N°5 Décembre 2008<br />

ISSN 0300-4937

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!