la convention alpine, une organisation internationale - Convenzione ...

Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Ecole doctorale de science politique (ED 119)
LA CONVENTION ALPINE, UNE ORGANISATION INTERNATIONALE :
LA PYRAMIDE A L’ENVERS ET LE RETOUR DE L’ETAT
Directeur de recherche :
M. Yves VILTARD
Membres du jury :
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Thèse de doctorat de science politique
présentée et soutenue publiquement
par
JON-MARCO CHURCH
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Paris, le ………………………………… 2011

Les opinions émises dans cette thèse sont propres à leur auteur et non nécessairement parta-
gées par l’Université.

LA CONVENTION ALPINE, UNE ORGANISATION INTERNATIONALE :
LA PYRAMIDE A L’ENVERS ET LE RETOUR DE L’ETAT
Thèse de doctorat de science politique
présentée et soutenue publiquement
par
JON-MARCO CHURCH
2011

Adresse de l’école doctorale
Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Ecole doctorale de science politique
17, rue de la Sorbonne
F-75231 Paris Cedex 05
France
Téléphone : +33 (0)1 40 46 28 34
Fax : +33 (0)1 40 46 28 27
Email : edscpo@univ-paris1.fr

Résumé
Les travaux récents sur la politique environnementale et de la théorie des relations in-
ternationales se sont intéressés à tout sauf à la question de l’état. Notre étude de cas de la
Convention alpine du point de vue de l’organisation internationale remet l’état au centre du
débat. D’abord, nous proposons un cadrage théorique autour des écorégions et de
l’écorégionalisme en tant qu’idéologie contestée. Puis, nous comparons la convention comme
un accord régional sur l’environnement avec la Communauté andine comme un processus
d’intégration régional, ce qui nous amène à la considérer une organisation internationale
comme les autres. Nous continuons notre étude en livrant une reconstruction historique parti-
culièrement détaillée de la genèse et de l’évolution de la convention entre 1952 et aujourd’hui.
Nous élucidons ainsi le rapport ambigu avec l’intégration européenne et la perte d’élan des
dernières années. Nous passons enfin à l’étude de l’écorégionalisation comme dynamique
normative à travers les études de cas du Groupe de travail « Patrimoine mondial de
l’UNESCO » et du Protocole « aménagement du territoire et développement durable ». Ce
dernier suggère le rôle important de l’état dans le processus conventionnel. Par les biais des
tableaux d’organisation, nous analysons donc les organes de la convention pour illustrer la
place des états dans la structure institutionnelle. Nous représentons symboliquement cette re-
lation par une pyramide à l’envers. Les défis écologiques ne connaissent pas de frontières. Le
retour de l’état est fondamental dans la transition vers la durabilité.
Mots clés
Théorie des relations internationales – écorégionalisme – régionalisme comparatif – histoire
de la Convention alpine – normes internationales – institutions pour la durabilité

Title – titre en anglais
The Alpine Convention, an international organization: the inverted pyramid and the return of
the state
Summary
Recent publications on environmental politics and of international relations theory fo-
cused on everything except the state. This study of the Alpine Convention from the perspec-
tive of an international organization puts the state again at the center of the debate. We there-
fore start by framing the theory of ecoregions and ecoregionalism as a contested ideology. The
convention as a regional environmental agreement is then compared to the Andean Communi-
ty as a regional integration process. This leads us to consider it an international organization
like many others. So, our study proceeds with a particularly detailed historical reconstruction
of the creation and evolution of the convention between 1952 and today. This allows clarify-
ing its ambiguous relationship with European integration and its loss of momentum in recent
years. We finally move on to the study of ecoregionalization as a norm dynamic through the
case studies of the Working Group on UNESCO World Heritage and of the Protocol on Spa-
tial Planning and Sustainable Development. The latter example points to the important role of
the state within the convention process. We then use organizational charts to analyze the or-
gans of the convention and illustrate the position of the states within the institutional structure.
This relationship is represented symbolically as an inverted pyramid. Environmental chal-
lenges go beyond borders. The return of the state is essential for our transition towards sustai-
nability.
Keywords
International relations theory – environmental regionalism – comparative regionalism – histo-
ry of the Alpine Convention – international norms – institutions for sustainability

Titolo – titre en italien
La Convenzione delle Alpi, un’organizzazione internazionale: la piramide capovolta e
il ritorno dello stato
Riassunto
Le opere recenti sulla politica ambientale e di teoria delle relazioni internazionali si
sono interessate a tutto tranne che alla questione dello stato. Studiare il caso della Convenzio-
ne delle Alpi dal punto di vista dell’organizzazione internazionale rimette lo stato al centro del
dibattito. In primo luogo si propone quindi una riflessione teorica sulle ecoregioni e
sull’ecoregionalismo in quanto ideologia oggetto di contestazione. La convenzione quale ac-
cordo regionale sull’ambiente è poi paragonata alla Comunità Andina in quanto processo
d’integrazione regionale. Questo ci porta a considerarla un’organizzazione internazionale co-
me molte altre. Lo studio continua quindi con una ricostruzione storica particolarmente detta-
gliata della genesi e dell’evoluzione della convenzione tra il 1952 e oggi. Delucidiamo così il
rapporto ambiguo con l’integrazione europea e la perdita di slancio degli ultimi anni. Passia-
mo infine allo studio dell’ecoregionalizzazione come dinamica normativa attraverso i casi
studio del Gruppo di Lavoro “Patrimonio Mondiale dell’UNESCO” e del Protocollo “Pianifi-
cazione Territoriale e Sviluppo Sostenibile”. Quest’ultimo suggerisce un ruolo importante
dello stato all’interno del processo convenzionale. Attraverso gli organigrammi abbiamo
quindi analizzato gli organi della convenzione per illustrare la posizione degli stati nella strut-
tura istituzionale. Questa relazione è quindi rappresentata simbolicamente per mezzo di una
piramide capovolta. Le sfide ambientali non conoscono frontiere. Il ritorno dello stato è fon-
damentale per la transizione verso la sostenibilità.
Parole chiave
Teoria delle relazioni internazionali – ecoregionalismo – regionalismo comparativo – storia
della Convenzione delle Alpi – norme internazionali – istituzioni per la sostenibilità

CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES
I CADRAGE THEORIQUE
1 Ecorégions : le fondement idéal
Table des matières
2 Ecorégionalisme : une approche comparative
II ELEMENTS HISTORIQUES
3 Genèse : phase constitutive
4 Evolution : production législative et consolidation institutionnelle
III DYNAMIQUE NORMATIVE ET STRUCTURATION INSTITUTIONNELLE
5 Ecorégionalisation : l’émergence d’une norme internationale ?
6 Organisation internationale : la pyramide à l’envers et le retour de l’état
REFLEXIONS CONCLUSIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
A Cartographie
B Chronologie
C Documents
D Elaborations
1
21
81
151
225
341
395
451
457

Liste des abréviations
AAA Agenda environnementale andine
AEE Agence européenne de l’environnement
AELC Association européenne de libre-échange
AEM Association européenne des élus de montagne
AIM Année internationale de la montagne
ALBA Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique
ALE Accord de libre échange
ALPARC Réseau alpin des espaces protégés
Alpe-Adria Communauté de travail des Alpes adriatique
AN Alleanza nazionale
ANEM Association nationale des élus de la montagne
ArgeAlp Communauté de travail des régions alpines
ASA Association des socialistes de l’espace alpin
CAF Corporación andina de fomento
CAMRE Conseil andin des ministres des affaires étrangères
CAN Communauté andine des nations
CBD Convention sur la diversité biologique
CDD Commission du développement durable de l’ONU
CDU Christlich Demokratische Union Deutschlands
CEE Communauté économique européenne
CEE-ONU Commission économique pour l’Europe de l’ONU
CELAC Communauté des états latino-américains et caribéens
CEPAL Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes
CIA Central intelligence agency
CIPRA Commission internationale pour la protection des Alpes
CLRAE Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe
CNUED Conférence des nations unies sur l’environnement et le développement
CONDESAN Consorcio para el desarrollo sostenible de la ecoregión andina
COP Conférence des parties
COTRAO Communauté de travail des Alpes orientales
CSU Christlich-Soziale Union in Bayern
DC Democrazia Cristiana

EMB Espace Mont-Blanc
ENVSEC Environment and security initiative
ETC European territorial cooperation
EURAC Académie européenne de Bolzano
FAO Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
FARC Forces armées révolutionnaires de Colombie
FBP Fortschrittliche Bürgerpartei in Liechtenstein
FEDER Fonds européen de développement régional
FEOGA Fonds européen d'orientation et de garantie agricole
FI Forza Italia
FPÖ Freiheitlichen Partei Österreichs
GECT Groupement européen de coopération territoriale
GEF Global environment facility
ICALPE Centre international pour l’environnement alpin
ICIMOD International centre for integrated mountain development
IEA Agence internationale de l’énergie
IIRSA Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale en Amérique du sud
ISCAR Comité scientifique international recherche alpine
JUNAC Junte de l’Accord de Cartagena
LDS Liberalna demokracija Slovenije
MATTM Ministère de l’environnement et de la tutelle du territoire et de la mer
MEDD Ministère de l’écologie et du développement durable
MERCOSUD Marché commun du Cône Sud
OCDE Organisation de coopération et développement économiques
OEA Organisation des états américains
OFEV Office fédéral de l’environnement
OIG Organisation intergouvernementale
ONG Organisation non-gouvernementale
ONU Organisation des Nations unies
OPEP Organisation des producteurs et exportateurs de pétrole
OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique du Nord
ÖVP Österreichische Volkspartei
PAC Politique agricole commune
PD Partito Democratico

PDC Parti démocrate-chrétien
PIB Produit intérieur brut
PNUD Programme des Nations unies pour le développement
PNUE Programme des Nations unies pour l’environnement
PPE Parti populaire européen
PRD Parti radical-démocratique
PrepCom Comité préparatoire
PS Parti socialiste
PSD Parti social-démocrate
PSE Parti socialiste européen
PSI Partito Socialista Italiano
PSS Parti socialiste suisse
REC Regional environmental center
REREA Réseau des régions alpines
RPR Rassemblement pour la république
RSA Rapport sur l’état des Alpes
SAB Groupement suisse pour les régions de montagne
SCNAT Académie des sciences naturelles
SOIA Système d’observation et d’information des Alpes
SPÖ Sozialdemokratische Partei Österreichs
SVP Südtiroler Volkspartei
TJCA Tribunal de justice de la Communauté andine
UE Union européenne
UICN Union internationale pour la conservation de la nature
UMP Union pour un mouvement populaire
UNASUR Union des nations sud-américaines
UNESCO Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture
UNU Université des nations unies
WCMC World conservation monitoring centre
WWF Fonds mondial pour la nature

A nonno Gianni, à Annabelle

CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES
L’état n’est pas une espèce en voie d’extinction. Il est un instrument fondamental pour
la transition vers la durabilité. Notre thèse part de deux constats. Premièrement, pendant les
dernières décennies, la littérature sur la politique environnementale a concentré son attention
sur le rôle des secrétariats des organisations internationales, des ONG, bref, de tout ce qui
n’était pas considéré comme état. 1 En science politique, les approches classiques accordent
beaucoup d’importance au rôle joué par l’état, à tel point que la science politique est souvent
considérée comme la science de l’état. 2 Or, pendant la contestation des années 70, les
perspectives statocentriques étaient fortement critiquées d’un point de vue antiétatique et
1 Voir, par exemple, Elinor Ostrom (1990), Governing the commons: the evolution of institutions for collective
action, Cambridge, Cambridge University Press; Peter M. Haas et al., éd. (1993), Institutions for the earth:
sources of effective international environmental protection, Cambridge, MA, MIT Press; Pierre Lascoumes
(1994), L’éco-pouvoir: environnements et politiques, Paris, Ed. la Découverte; Marie-Claude Smouts (2001),
Forêts tropicales, jungle internationale: les revers de l’écopolitique, Paris, Presses de Sciences Po; Oran R.
Young (2002), The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, Cambridge, MA,
MIT Press; Sheila Jasanoff et Marybeth Long Martello, éd. (2004), Earthly politics: local and global in
environmental governance, Cambridge, MA, MIT Press; Kate O’Neill (2009), The environment and
international relations, Cambridge, Cambridge University Press.
2 Voir, par exemple, la dissertation sur ce thème dans Madeleine Grawitz et Jean Leca (1985), Traité de science
politique, Paris, Presses universitaires de France ; en relations internationales, voir aussi Hans Joachim
Morgenthau (1948), Politics among nations: the struggle for power and peace, New York, Alfred A. Knopf;
Kenneth N. Waltz (1959), Man, the state, and war, New York, Columbia University Press; id. (1979), Theory of
international politics, Reading, MA, Addison-Wesley
1

même anarchiste. 1 Ces thèses ont trouvé un terrain fertile parmi les spécialistes de la politique
environnementale. 2 L’état est par définition absent de l’environnement, qui représente
l’antithèse la plus radicale des sociétés modernes. Renouvelées, ces tendances ont vécu une
nouvelle jeunesse avec la fin de la guerre froide et le nouvel espoir dans un monde à l’abri du
besoin et de la peur, pour reprendre l’expression rooseveltienne. Les Objectifs du millénaire
pour le développement (OMD) de l’an 2000 reflètent ces espoirs. 3 Notre deuxième constat est
qu’à travers les millénaires l’état a démontré une grande résilience face aux changements
écologiques, sociaux et économiques. Bien que des sociétés humaines aient traversé des crises
écologiques telle que les sécheresses qui ont frappé l’Amérique centrale entre le 10 e et le 12 e
siècle et le petit âge glaciaire vécu par l’Europe et l’Amérique du Nord entre la moitié du 16 e
et la moitié du 18 e siècle 4 , les structures étatiques – qu’elles soient républicaines ou
monarchiques, démocratiques, aristocratiques ou encore tyranniques 5 – ont résisté fermement
aux évolutions de la vie politique. Du point de vue social, entre la restauration de Meiji de
1868 et les années 70, le Japon est par exemple passé d’une société traditionnelle à une des
sociétés les plus modernes au monde et cela en moins d’un siècle ; du côté économique, la
Corée du Sud a vu sa production industrielle augmenter de presque 70 fois entre 1969 et
1 Voir notamment Pierre Clastres (1974), La société contre l’état: recherches d’anthropologie politique, Paris,
Éditions de minuit; Jean-William Lapierre (1977), Vivre sans état: essai sur le pouvoir politique et l’innovation
sociale, Paris, Seuil ; en relations internationales, voir, par exemple, Peter J. Katzenstein, éd. (1996), The culture
of national security: norms and identity in world politics, New York, Columbia University Press; Alexander
Wendt (1999), Social theory of international politics, Cambridge, Cambridge University Press.
2 Voir surtout André Gorz (1975), Ecologie et politique, Paris, Galilée; id. (1977), Ecologie et liberté, Paris,
Editions Galilée.
3 Résolution A/RES/55/2 (2000).
4 Voir Pascal Acot (2004), Histoire du climat, Paris, Perrin.
5 Voir Norberto Bobbio (1976), La teoria delle forme di governo nella storia del pensiero politico, Torino,
Giappichelli.
2

2009. 1 L’état comme forme d’organisation politique n’est pas seulement resté à sa place lors
de ces changements, mais il les a aussi encouragés.
Gardant ces faits à l’esprit, la prédominance de l’état en politique internationale de
l’environnement a été l’une des données principales de notre expérience directe avec la
délégation italienne en Convention alpine. Traité international, elle a été adoptée par les états
alpins et par la CEE à Salzbourg en Autriche en 1991. Celle-ci vise à protéger les Alpes de
« l’exploitation croissante que l’homme en fait ». 2 Cette expérience plus que quadriennale –
entre mai 2006 et décembre 2010 3 – a donné lieu à plusieurs découvertes par rapport aux
attentes. Tout d’abord, il ne s’agissait pas d’un simple papier dans un tiroir, mais d’une
véritable petite organisation internationale, avec des réunions régulières, un secrétariat
permanent et des projets concrets. En deuxième lieu, étant donné qu’il s’agissait de relations
diplomatiques, nous croyions que la participation des états à ce processus aurait été
coordonnée par les ministères des affaires étrangères. Or, ce rôle est assuré, de manière
prépondérante, par les directions chargées des relations internationales au sein des ministères
de l’écologie des parties contractantes. De plus, la Convention alpine et, en général, la
politique internationale de la montagne, était très peu connue et étudiée. Les travaux
1 Calcul de l’auteur sur la base des données du Fonds monétaire international (FMI).
2 Citation tirée du préambule de la convention. Voir les recueils de documents Convention alpine (2010),
Convention alpine, 2 e éd., Innsbruck, Secrétariat permanent; Paolo Angelini et al. (2004), Collectio de la
Convention alpine, Bolzano, EURAC research.
3 Entre mai 2006 et juin 2008, l’auteur a été chercheur auprès de l’Unité de coordination « Convention alpine –
IMA » de l’Académie européenne de Bolzano (EURAC) ; entre juillet 2008 et août 2009, il a été consultant
auprès du Bureau décentralisé de Rome de l’EURAC ; entre septembre 2009 et décembre 2010. Il a été boursier
(en anglais : fellow) du Sustainability Science Programme de l’Université d’Harvard. Depuis le début des années
2000, l’EURAC a mis en place un accord de soutien au Ministère de l’environnement italien pour ses activités en
Convention alpine, tandis que le programme d’Harvard est financé en bonne partie par le même ministère.
Jusqu’à 2008, le ministère avait en fait partiellement délocalisé le suivi de la convention à Bolzano, ville qui se
trouve dans le cœur des Alpes et qui accueille le siège technique du Secrétariat permanent de la Convention
alpine. Entre septembre 2006 et août 2009, nous étions en mission permanente sur Paris pour assurer un soutien
efficace pendant la Présidence française de la convention. Nous sommes reconnaissants pour l’opportunité qui
nous a été offerte d’étudier la Convention alpine et d’utiliser nos observations dans des travaux scientifiques.
3

scientifiques se limitent à quelques thèses sur des questions spécifiques, à des ouvrages
collectifs, souvent issus de colloques internationaux, ou à de rares articles parus dans des
revues spécialisées. 1 Enfin, en dernière observation, la Convention alpine n’avait pas encore
été vraiment étudiée du point de vue de la science politique. 2 La juriste internationale et
ancienne membre de la délégation italienne Irini Papanicolopulu rappelle que « pendant les
négociations pour l’établissement du secrétariat, des parties considéraient que le système alpin
n’était pas une organisation internationale ». 3 L’idée répandue, d’un côté, que la convention
ne soit qu’un traité international et, de l’autre, qu’elle concerne l’écologie, a conduit au
1 Voir les thèses de Nathalie Subotsch (1999), «Comparaison des politiques de gestion des forêts à rôle de
protection dans les pays alpins, signataires de la Convention alpine: étude comparée de cinq pays alpins»,
Université de Grenoble 1 - Joseph Fourier; Stefan Cuypers (2007), «Die Umsetzung der Alpenkonvention und
ihrer Durchführungsprotokolle im österreichischen Recht unter rechtvergleichender Darstellung einzelner
Aspekte der Rechtslage der Europäischen Gemeinschaft und des deutschen Rechts», Universität Innsbruck ; voir
les ouvrages collectifs Tullio Treves et al., éd. (2002), International law and the protection of mountain areas,
Milano, Giuffré; id., éd. (2004), Sustainable Development of Mountain Areas, Milano, Giuffré; Balázs Majtényi
et Gianfranco Tamburelli, éd. (2009), Sustainable development and transboundary co-operation in mountain
regions: the Alpine and the Carpathian Conventions, Budapest, L’Harmattan; CIPRA France, éd. (2008), La
Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, Grenoble, CIPRA France ; voir aussi Martin F. Price
(1999), «Towards cooperation across mountain frontiers: the Alpine Convention», European Environment, vol.
9, n. 3; Céline Randier et al. (2009), «La transposition juridique de la Convention alpine et de ses Protocoles
d’application en droit français, italien, autrichien et allemand: une présentation de droit comparé», Revue
européenne de droit de l’environnement, vol. 13, n. 1, ainsi que les articles des géographes et aménageurs dans la
Revue de géographie alpine, ceux des juristes dans Environmental Politcy and Law et quelque article de
divulgation dans Mountain Policy and Law.
2 Avec l’exception de la thèse de Jörg Balsiger (2007), «Uphill struggles: the politics of sustainable mountain
development in the Swiss Alps and California’s Sierra Nevada», University of California, publiée comme id.
(2009), Uphill struggles: the politics of sustainable mountain development in Switzerland and California, Köln,
Lambert Academic Publishing ; voir également la lecture critique dans Jon Marco Church (2011), «Uphill
struggles: the politics of sustainable mountain development in Switzerland and California - By Jörg Balsiger»,
Review of Policy Research, vol. 28, n. 2. Bien que sa thèse soit sur la politique suisse, il s’est intéressé aussi à la
Convention alpine : Jörg Balsiger (2007), «Regionalism reconsidered: the Alpine Convention as a model of earth
system governance», communication presentée à la Conference on the Human Dimensions of Global
Environmental Change, Amsterdam; id. (2008), «Beyond international environmental politics: regional
sustainable development and the Alpine Convention», communication presentée à la International Studies
Association Annual Conference, San Francisco, 26-29 March.
3 Citation tirée d’Irini Papanicolopulu (2004), «The Secretariat of the Alpine Convention», dans Sustainable
development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
4

préjugé que son étude appartient aux juristes et aux écologistes. Or, la notion d’organisation
internationale ne tombe que marginalement dans ces champs disciplinaires. 1
Comme l’ont d’abord étudiée les géographes, qui se sont intéressés à la Convention
alpine comme système de coordination potentiel de la recherche scientifique sur les Alpes ou
comme lieu de représentation d’une identité alpine 2 , et par la suite les aménageurs, qui ont vu
dans la convention un instrument de planification 3 , nous avons donc commencé notre travail
scientifique avec l’objectif d’étudier la Convention alpine comme une organisation
internationale, en employant les outils heuristiques de la science politique, à côté de ceux des
autres disciplines, dans l’espoir de contribuer à une meilleure compréhension du phénomène
conventionnel. En fait, l’objet de cette thèse nous met dans l’obligation d’entreprendre une
démarche interdisciplinaire et d’emprunter des travaux et parfois des méthodes issus
notamment de l’écologie, de la géographie, de l’histoire et du droit. A partir du mois de
septembre 2007, nous avons donc commencé à recueillir tout le matériel pertinent – qu’il
s’agit de sources primaires ou secondaires – sur la Convention alpine et à constituer la base
documentaire de cette recherche. Jusqu’au mois de décembre 2008, ces matériaux ont été
rassemblés de façon plutôt randomique, en essayant d’élargir et d’approfondir la connaissance
et l’expérience directe de la convention. Initialement, aucune hypothèse forte n’avait encore
1 Pour des exemples de lecture juridique de l’organisation internationale, voir Sergio Marchisio (2000), L’ONU:
il diritto delle Nazioni Unite, Bologna, Il Mulino; Ugo Draetta (2010), Principi di diritto delle organizzazioni
internazionali, 3 e éd., Milano, Giuffrè.
2 Voir notamment Werner Bätzing (2001), «De la “géographie régionale” à une recherche scientifique
coordonnée au sein de la “Convention alpine”», Revue de géographie alpine, vol. 89, n. 4; Bernard Debarbieux
et Gilles Rudaz (2010), Faiseurs de montagne, Paris, CNRS Editions.
3 Voir Jean-François Davignon (2008), «Le droit français des opérations d’aménagement en zone de montagne et
les préconisations de la Convention alpine», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?,
Grenoble, CIPRA France; Jean-François Joye (2008), «Les plans/programmes français d’urbanisme et
d’aménagement du territoire et la Convention alpine», ibid.
5

été formulée. Durant cette période, nous avons participé et contribué aux travaux d’une
quarantaine de réunions internationales, notamment dans le cadre de la Convention alpine. 1
Au fur et à mesure que nous observions la convention, nous nous sommes aperçus que
le matériel à notre disposition était suffisamment vaste pour permettre l’illustration de
plusieurs phénomènes, qui sont traditionnellement étudiés par la science politique, à
commencer par des entités sous-étatiques telles que les régions et leurs relations avec l’état
central, par des normes comme les traités internationaux et leurs dynamiques, par des entités
comme les organisations internationales et leur processus d’institutionnalisation, mais surtout
par les états et leur poids dans les relations internationales. La relation est donc biunivoque,
avec les spécialistes de la Convention alpine, qui trouveront dans ce texte – nous en sommes
certains – des éléments pour une meilleure compréhension du phénomène, et les politistes, qui
découvriront – nous le croyons fortement – un processus raisonnablement simple, pour que
l’on puisse appréhender son ensemble, et suffisamment complexe, afin qu’il puisse refléter la
réalité des relations internationales. A partir de ce matériel, nous avons commencé à présenter,
avec le soutien de l’école doctorale, des réflexions à l’occasion de conférences scientifiques,
ce qui nous a permis d’ouvrir un dialogue avec d’autres spécialistes. 2 Nous avons donc été
1 Voir le tableau des réunions auxquelles nous avons participées infra.
2 Il s’agit de Jon Marco Church (2008), «Participation in the Alpine Convention», communication presentée à la
4 th Pan-European conference on EU politics, University of Latvia, Riga, 25 September; id. (2009), «Saving the
Alps? On the politics of regional environmental initiatives in Europe», communication presentée à la
International Studies Association annual conference, New York, 17 February; id. (2009), «On the design of
regional environmental agreements in Europe: the case of the Alpine Convention», communication presentée à la
International Studies Association annual conference, New York, 17 February; id. (2010), «Environmental
regionalism: the challenge of the Alpine and Carpathian conventions», communication presentée à la
International Studies Association annual conference, New Orleans, 17 February; mais aussi id. (2010), «The
ideology of environmental regionalism: the challenge of the Alpine Convention and the strange case of the
Andean Community», communication presentée au Regional Environmental Governance workshop, Geneva, 17
June; id. (2010), «The Alpine Convention and the Andean Community: alternative models for mountain
regionalism?», communication presentée à la Global change and the world’s mountains conference, Perth, 18
September. Le soutien de l’Ecole doctorale de science politique de l’Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
pour les conférences à Riga, New York et Nouvelle-Orléans est mentionné avec gratitude, ainsi que celui du
6

invités à contribuer à plusieurs publications avec des commentaires sur la convention et les
accords régionaux sur la montagne. 1 La Convention alpine est donc un véritable laboratoire et
le matériel à notre disposition est tellement abondant, qu’il permettrait d’explorer plusieurs
autres thèmes centraux pour la science politique, mais aussi d’autres disciplines. Par exemple,
on pourrait aussi étudier le fonctionnement de la gouvernance multi-niveaux, les effets des
politiques bureaucratiques, les dynamiques des mobilisations politiques, les trajectoires
professionnelles, le leadership, mais aussi l’influence des sphères culturelles, l’usage de la
Sustainability Science Programme de l’Université d’Harvard pour les présentations à Genève et Perth. La
participation à la conférence de New York a été possible aussi grâce à l’assistance financière de l’International
Studies Association.
1 Il s’agit de Jon Marco Church (2007), «Le iniziative di cooperazione internazionale nell’ambito della
Convenzione delle Alpi», dans Relazione sullo stato della montagna, édité par Giovanni Zanetti et Angelo
Malerba, Roma, Comitato Tecnico Interministeriale per la Montagna - Presidenza del Consiglio dei Ministri, p.
241-244; id. (2007), «The Carpathian Project on the move: from Vienna to Xanthi, by way of Bolzano»,
Academia, n. 45, p. 20-21; Sabaheta Ramcilovic, Pam McCarthy, Jon Marco Church et Margaret A. Shannon
(2007), «Participation and multi-level governance in the Carpathian Convention: political commitments and
practices», p. 17; Paolo Angelini et Jon Marco Church (2008), «The logic of multilingualism in the Alpine
Convention», dans Harmonising legal terminology, édité par Leonhard Voltmer et Elena Chiocchetti, Bolzano,
EURAC, p. 37-46; Arianna Broggiato et Jon Marco Church (2008), «Carpathian Convention: one step ahead,
three steps back?», Environmental Policy and Law, vol. 38, n. 5, p. 267-271; Céline Randier, Stefan Cuypers,
Jon Marco Church et Polona Grobelnik (2009), «La transposition juridique de la Convention alpine et de ses
Protocoles d’application en droit français, italien, autrichien et allemand: une présentation de droit comparé»,
Revue européenne de droit de l’environnement, vol. 13, n. 1, p. 3-31; Jon Marco Church et Sabaheta Ramcilovic
(2009), «Participation in the Alpine Convention», dans Sustainable development and transboundary co-
operation in mountain regions: the Alpine and the Carpathian Conventions, édité par Balázs Majtényi et
Gianfranco Tamburelli, Budapest, L’Harmattan, p. 85-102; Paolo Angelini, Jon Marco Church et Eden
Weldeyesus (2010), «La protezione integrata dell’ambiente alpino: armonizzazione delle Liste Propositive a
livello ecoregionale», Gazzetta ambiente, n. 6, p. 27-32; Jon Marco Church (2011), «Uphill struggles: the politics
of sustainable mountain development in Switzerland and California - By Jörg Balsiger», Review of Policy
Research, vol. 28, n. 2, p. 222-224; Jon Marco Church et Nicolas Maisetti (2011), «On the sustainability of urban
institutional dynamics: capitalization, decentralization, and the case of two Alpine cities», Environnement
Urbain / Urban Environment, n. 5, p. 24-37. Nous avons étés aussi appelés à évaluer une entrée du International
Studies Association Compendium Project en 2009, des articles soumis à Dynamiques internationales depuis
2010 et un projet par le Fonds national suisse de la recherche scientifique en 2011.
7

science, etc. 1 Nous avons toutefois choisi de focaliser cette démarche sur les problématiques
que nous semblent mieux illustrées par la Convention alpine, notamment celle des écorégions,
de leur statut entre l’idée et la norme, de la genèse et de l’évolution du processus
conventionnel, mais surtout, le poids de l’état en relations internationales.
Par naïveté ou prenant leurs désirs pour des réalités, plusieurs auteurs considèrent la
Convention alpine comme un phénomène nouveau et même comme un modèle pour d’autres
régions de montagne. 2 Un autre constat qui a été fait est que la convention est une forme de
régionalisme écologique, à savoir l’idée qu’il faut réorganiser nos institutions autour de
régions écologiques comme les mers, les fleuves ou les montagnes, car cela nous conduirait à
des sociétés plus avancées dans des environnements plus harmonieux. 3 De ce point de vue,
elle n’est pas du tout un phénomène nouveau, étant donné que les éléments naturels ont
toujours été pris en considération pour déterminer les frontières, que l’on retrouve le
régionalisme écologique au moins depuis le 19 e siècle aux Etats-Unis et de plus qu’il y a des
initiatives comme l’Autorité de la Vallée du Tennessee qui opèrent dans une logique de région
écologique et cela depuis les années 30. Même en se limitant aux régions de montagne, on
retrouve des processus comme la Commission régionale des Appalaches de 1965 et la
1 Pour des références sur ces questions, voir notamment Simona Piattoni (2010), The theory of multi-level
governance: conceptual, empirical, and normative challenges, Oxford, Oxford University Press; Graham T.
Allison et Philip Zelikow (1999), Essence of decision: explaining the Cuban missile crisis, 2 e éd., New York,
Longman; Michel Dobry (2009), Sociologie des crises politiques: la dynamique des mobilisations
multisectorielles, 3 e éd., Paris, Presses de Sciences Po; Katzenstein, éd., The culture of national security: norms
and identity in world politics; Sheila Jasanoff et Bryan Wynne (1998), «Science and decisionmaking», dans
Human choice and climate change: the societal framework, édité par Steve Rayner et Elizabeth L. Malone,
Columbus, OH, Battelle Press.
2 Lire, par exemple, Martin F. Price (2000), «The Alpine Convention: a model for other regions?», Mountain
Research and Development, vol. 20, n. 2; Marina Frolova (2001), «La représentation et la connaissance des
montagnes du monde: Pyrénées et Caucase au filtre du modèle alpin», Revue de géographie alpine, vol. 89, n. 4;
Casey J. Caldwell (2003), «The black diamond of harmonization: the Alpine convention as a model for
balancing competing objectives in the European Union», Boston University International Law Journal, vol. 21;
Balsiger, «Regionalism reconsidered: the Alpine Convention as a model of earth system governance».
3 Voir infra.
8

Communauté andine de 1969, qui répondent à la même logique. 1 C’est en cherchant à étudier
le régionalisme écologique, que l’on s’est aperçu du fait qu’il s’agit d’un phénomène peu
exploré par la littérature scientifique, bien qu’il soit considéré par plusieurs experts comme
une clé de voûte dans l’évolution vers des institutions plus appropriées pour la transition vers
la durabilité. 2 Il y a bien sûr des articles et des actes de colloque, dont une bonne partie a été
publié récemment, mais on ne retrouve pas encore de lectures critiques se basant sur une
recherche approfondie et le plus possible exhaustive autour de ce phénomène. 3 Cette étude
montre également une dimension pratique car, si nous reconnaissons l’existence de soixante-
dix accords régionaux sur l’environnement et si chacun de ces accords mobilise des ressources
d’un ordre de grandeur comparable à celui de la Convention alpine (que nous évaluons autour
1 Id.
2 Sur les institutions pour la durabilité, voir Ignacy Sachs (1997), L’écodéveloppement: stratégies pour le XXIe
siècle, 2 e éd., Paris, Syros; Ostrom, Governing the commons: the evolution of institutions for collective action;
Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale.
3 Sur le régionalisme écologique, voir Stephen W. Frenkel (1994), «Old theories in new places? Environmental
determinism and bioregionalism», The Professional Geographer, vol. 46, n. 3; Charles H. W. Foster et William
B. Meyer (2000), «The Harvard Environmental Regionalism Project», dans BCSIA Discussion Paper,
Cambridge, MA, Harvard University, Kennedy School of Government, Environment and Natural Resources
Program; Jonathan Olsen (2000), «The perils of rootedness: on bioregionalism and right wing ecology in
Germany», Landscape, vol. 19, n. 1-2; David Turnock (2002), «Ecoregion-based conservation in the Carpathians
and the land-use implications», Land Use Policy, vol. 19, n. 1; Robert L. Thayer (2003), LifePlace: bioregional
thought and practice, Berkeley, CA, University of California Press; William Wolmer (2003), «Transboundary
conservation: the politics of ecological integrity in the Great Limpopo transfrontier park», Journal of Southern
African Studies, vol. 29, n. 1; Bernard Debarbieux (2009), «Les régions de montagne comme référents de
l’action collective (éditorial)», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2; Jörg Balsiger (2009), «L’impact de la
mobilisation écorégionale sur les politiques en matière de montagne dans les Alpes suisses et la Sierra Nevada en
Californie», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2; Liliana B. Andonova et Ronald B. Mitchell (2010), «The
rescaling of global environmental politics», Annual Review of Environment and Resources, vol. 35; Kathryn
Hochstetler (2011), «Regional environmental governance in South America», dans Comparative regional
governance: environment, édité par Lorraine Elliott, New York, Routledge; Jörg Balsiger et Bernard Debarbieux,
éd. (2011), Regional environmental governance: interdisciplinary perspectives, theoretical issues, comparative
designs (REGov), Université de Genève, 16-18 juin 2010, Procedia Social and Behavioral Sciences, vol. 14, n.
1-8, Amsterdam, Elsevier.
9

de 5 millions d’euros par an) 1 , l’étude des accords régionaux sur l’environnement pourrait
intéresser environ 350 millions d’euros par an, provenant en bonne partie des contribuables. 2
Nous avons donc débuté nos recherches par une étude systématique du régionalisme
environnemental, afin de pouvoir expliquer le fondement idéal de la Convention alpine. Entre
septembre 2009 et juin 2010, cette étude a été conduite au sein du Sustainability Science
Programme de l’Université d’Harvard et a bénéficié de l’apport d’une équipe de recherche
expérimentée et interdisciplinaire. 3 Elle a été présentée lors de plusieurs séminaires et
conférences internationales et a été publiée en anglais par le Center for International
Development de la Harvard Kennedy School. On la retrouve en version française revue et
augmentée de nouveaux sous-chapitres dans la première des trois parties de cette thèse. 4 Dans
une communication personnelle, cette étude a été saluée par le Directeur exécutif du PNUE
Achim Steiner, comme une « recherche exhaustive qui offre des visions et des perspectives
intéressantes sur le débat autour du régionalisme ». 5 Ce travail se veut une contribution au
débat en cours sur les attributs de ce que le Prix Nobel Elinor Ostrom appelle les « systèmes
de gouvernance » pour la durabilité, à savoir les cadres institutionnels qui pourraient conduire
à des moyens d’existence durables (en anglais : sustainable livelihoods). De ce point de vue,
cette thèse s’insère aussi dans la discipline émergente de la « science de la durabilité », définie
par William Clark comme « la recherche, la formation et l’invention qui peut informer
1 Voir infra.
2 Ces estimations se basent sur les considérations infra.
3 Entre septembre 2009 et décembre 2010 nous étions boursier (en anglais : fellow) dudit programme, qui est
financé en bonne partie par le Ministère de l’environnement italien. Nous sommes reconnaissants pour le soutien
qui lui a été accordé.
4 Voir Jon Marco Church (2010), «Environmental regionalism: the challenge of the Alpine Convention and the
“strange case” of the Andean Community», dans CID Research Fellow Working Paper, Cambridge, MA,
Harvard University, Center for International Development.
5 Lettre datée du 1 er novembre 2010 (je traduis).
10

l’action pour le développement durable ». 1 Cette thèse contribue également aux débats sur le
renouveau de la planification, dans la mesure où celle-ci est une science du long terme, qui
s’intéresse aux limites de l’action collective et aux formes d’organisation politique. 2
Au fil du temps, la thèse centrale de cette recherche allait se définir autour de la
prédominance de l’état au sein de la Convention alpine, une prédominance bien sûr relative et
non pas absolue. 3 Or, il fallait clarifier encore la nature des accords régionaux sur
l’environnement. Le choix s’est donc porté sur la comparaison de la Convention alpine à une
organisation d’intégration traditionnelle, telle que la Communauté andine, étant donné que les
deux cas partagent le même référentiel montagnard. Il ne s’agit pas d’une comparaison banale.
Aucune étude n’a été conduite en ce sens auparavant, même si la Communauté andine est le
vrai « géant dans la salle » des processus régionaux sur la montagne. Nous avons donc
structuré la comparaison sur la base d’éléments issus de l’analyse des régions
environnementales, en y incluant des considérations écologiques, sociales et économiques
dans notre démarche politologique. Si le dispositif de recherche est dans ce cas la
comparaison, la méthode employée repose sur une série d’entretiens avec des acteurs
privilégiés, la littérature scientifique étant abondante mais souvent obsolète. Bien que ces
sources ne soient pas mentionnées directement, ces entretiens représentent une source
précieuse d’opinions pertinentes. Ces entretiens ont eu lieu en mars 2010 à Lima auprès du
Secrétariat de la communauté, des Ministères des affaires étrangères et de l’environnement
1 Citation tirée d’une conversation informelle en 2010 (je traduis). Voir aussi William C. Clark (2007),
«Sustainability science: a room of its own», PNAS, vol. 104, n. 6, ainsi que la contribution par Ostrom dans
l’ouvrage en cours de préparation par Partha Dasgupta et al., éd. (2010), Sustainability science: an introduction.
2 En juin 2011, ceci nous a conduit à participer, sur invitation de l’Université de Reims – Champagne-Ardenne,
aux Premières rencontres internationales de Reims en sustainability studies, avec une communication sur
« Rules, norms, and sustainable planning: an international relations perspective ». Les rencontres étaient dédiées
à « équité sociale et viabilité environnementale : le retour de la planification ? ».
3 Sur la différence entre gains absolus et relatifs, voir Robert O. Keohane et Joseph S. Nye (1977), Power and
interdependence: world politics in transition, Boston, Little, Brown; Robert O. Keohane (1984), After
hegemony: cooperation and discord in the world political economy, Princeton, NJ, Princeton University Press.
11

péruviens, des Ambassades chilienne, équatorienne et brésilienne, ainsi qu’au siège de
plusieurs ONG nationales et internationales. 1 Des entretiens et des contacts avec des
observateurs privilégiés ont aussi eu lieu téléphoniquement avec d’autres institutions actives
dans la région andine, notamment auprès du Ministère de l’environnement argentin à Buenos
Aires et avec le Partenariat pour la montagne à Rome.
En ce qui concerne les autres parties de la thèse, la méthode principale pour la récolte
d’informations sur la Convention alpine a été la constitution d’une base documentaire la plus
complète possible, en s’appuyant sur le matériel consulté ou produit dans le cadre de notre
participation directe aux travaux de la convention. 2 Certains documents plus difficiles à
repérer ont été obtenus surtout grâce au concours du personnel du Secrétariat permanent de la
Convention alpine et de la CIPRA et peuvent être consultés en annexe. Les autres documents
ont été publiés et sont disponibles soit dans les bibliothèques françaises, italiennes ou
américaines soit sur internet (il suffit pour cela d’utiliser un moteur de recherche) soit en
demandant au Secrétariat permanent. Les documents sont pour la plupart en format digital.
Cette base documentaire – qui compte plus de 10 900 fichiers organisés dans 1 500 dossiers
pour un total de plus de 9 giga-octets – a été structurée thématiquement et indexée de manière
informatique afin de permettre une consultation rapide des informations. Outre l’observation
constante de la littérature politologique en langue anglaise, française et italienne et le repérage
systématique des ouvrages principaux dans les autres disciplines concernées par cette
démarche, l’autre méthode principale employée pour récolter les informations sur lesquelles
repose cette recherche a été la récolte d’informations par le biais de centaines de
conversations informelles avec plusieurs protagonistes de la convention.
1 Le soutien de l’Université d’Harvard et du Ministère de l’environnement italien à cette mission est de nouveau
mentionné ici avec reconnaissance.
2 Pour une description plus détaillée des sources, voir les remarques méthodologiques au début de la
reconstruction historique infra.
12

En principe, nous aurions pu employer des entretiens structurées ou de questionnaires
sociologiques. Très tôt, nous avons été conduits à exclure ces méthodes. Depuis 2006, une
observation a été faite sur le traitement réservé à plusieurs chercheurs plus ou moins
expérimentés, qui ont essayé d’utiliser des questionnaires pour étudier la Convention alpine et
d’autres cadres politiques sur la montagne. Quand ils n’étaient pas ignorés, ces questionnaires
finissaient par être systématiquement compilés par le dernier stagiaire et non par les dirigeants
ou les fonctionnaires auxquels ils étaient destinés, mais qui toutefois les signaient, comme
s’ils avaient été compilés par eux-mêmes. Il existe bien sur des techniques statistiques pour
exclure les réponses anomales. Or, en relations internationales, le N est tellement petit, que
toute exclusion pourrait conduire à des distorsions considérables dans les résultats. Il existe
également la possibilité de récolter des informations complémentaires par le biais d’entretiens,
mais nous avons encore une fois assisté à une telle quantité de déclarations trompeuses ou tout
simplement mensongères faites par des protagonistes de la Convention alpine et d’autres
processus internationaux à des chercheurs, à la presse ou encore aux collègues, que nous
avons donc décidé de ne pas recourir à ces méthodes. Le politologue italien Norberto Bobbio
disait que « le pouvoir se cache » – notamment en ce qui concerne les relations diplomatiques
– et que la science politique devrait révéler les secrets du pouvoir (au latin : arcana imperii ;
en anglais : to speak truth to power). 1 Si nous excluons l’usage des questionnaires pour
l’étude de petites organisations internationales, on ne peut pas exclure catégoriquement
l’usage d’entretiens, qui sont à considérer comme un mal mineur. Notre expérience dans ce
domaine, qui se limite à des entretiens avec des protagonistes des relations bilatérales entre
Buenos Aires et Santiago en mai 2005 2 et aux dits entretiens à Lima en mars 2010, nous a
conduit à éviter les entretiens structurés en faveur d’une approche flexible. En général, les
1 Voir Norberto Bobbio et Michelangelo Bovero (1999), Teoria generale della politica, Torino, Einaudi.
2 Une partie des résultats de ces entretiens est résumée dans Jon Marco Church (2008), «La crisis del Canal de
Beagle», Estudios Internacionales, vol. XLI, n. 161; id. (2011), «Argentine-Chilean relations in the shadow of
the debt crisis», Bulletin of Latin American Research, vol. 30, n. 2.
13

entretiens structurés frustrent les interviewés, tandis qu’il faudrait essayer d’établir une
relation cordiale qui permette au chercheur de trouver une réponse, dans les limites du
possible, à ses questions et à l’interviewé de partager son expérience. Parfois, par exemple,
utiliser un magnétophone ou prendre des notes peut déranger l’interlocuteur, quelquefois cela
peut l’encourager à prêter plus d’attention ou bien à donner plus de détails, en sachant que ce
qu’il dit ne sera pas oublié.
Or, c’est un choix volontaire de ne pas utiliser cette méthode qui a été opéré. En fait,
notre statut professionnel nous donnait déjà un accès inégalé aux protagonistes et aux
processus décisionnels de la convention. Demander des entretiens aux collègues aurait imposé
une distance, qui aurait pu détériorer des relations en même temps professionnelles et
personnelles, la confiance accordée et, en dernier lieu, notre accès aux arcana imperii de la
Convention alpine. Nous avons donc choisi d’avoir recours à des centaines de conversations
informelles, dont on retrouve trace dans les pages suivantes, pour nous faire une idée plus
complète de la convention et pour repérer les informations nécessaires à notre démarche. Ces
conversations ont eu lieu en marge de réunions, au téléphone et parfois par courriel. Le point
fort de cette méthode, que l’anthropologue anglo-polonais Bronislaw Malinowski appelait
d’observation participante, est en même temps sa limite, à savoir la distance critique entre
l’observateur et l’objet. 1 Afin de respecter cette distance, nous avons vérifié
systématiquement, toujours dans les limites du possible, les informations résultantes de ces
colloques auprès d’au moins une tierce source, notamment les publications scientifiques et les
documents officiels. Ceci nous a parfois conduits à réinterpréter certains épisodes que nous
avons vécus. Or, cette thèse repose quand même sur une participation directe aux travaux.
1 Voir inter alia Jacques Coenen-Huther (1995), Observation participante et théorie sociologique, Paris,
L’Harmattan.
14

Nous invitons donc nos « cinq lecteurs » 1 à prendre en compte ce facteur, bien que cela ne
nous empêche pas de prendre de la distance vis-à-vis de certaines positions et comportements
qu’il a fallu assumer professionnellement. Nos observations ont en fait Rome ou Paris et
secondairement Bolzano et Chambéry comme points de départ. 2 Un autre élément à prendre
en considération est le fait que, dans notre période en délégation italienne, la plupart des
protagonistes de la Convention alpine étaient à connaissance de l’objet de nos recherches. Il
n’est pas à exclure que certains aient par conséquent modifié leur comportement à notre égard.
La base documentaire et ces conversations informelles ont été d’une importance
fondamentale pour la reconstruction de la genèse de la Convention alpine et de son évolution.
Pour explorer nos hypothèses sur le rôle de l’état, il était nécessaire de constituer une base
historique. Or, vingt ans après sa création, il n’y avait pas encore de travail historique
d’envergure sur la Convention alpine. 3 Il a fallu donc s’apprêter à préparer une première
reconstruction de son histoire. Visant, pour paraphraser Humboldt, à « exposer ce qui a eu
lieu », le dispositif de recherches utilisé en voie principale à été un tableau chronologique
établi par nous-mêmes et joint en annexe. Ce tableau, qui regroupe les évènements par années
et par contexte (mondial, européen, national, y compris l’échelle territoriale), a été compilé
méthodiquement sur la base de chaque document et de chaque publication à notre disposition.
Lorsque des divergences ont été rencontrées dans le matériel de départ, nous avons évalué
l’ensemble des sources et retenu la séquence la plus vraisemblable. Le résultat n’est pas une
simple esquisse d’histoire. Il est le produit d’une synthèse et d’une analyse sans précédent
1 Expression empruntée au classique de la littérature italienne par Alessandro Manzoni (1841), I promessi sposi,
ch. 1.
2 Les sièges des ministères de l’environnement italien et français et du siège technique et de l’antenne française
du Secrétariat permanent, respectivement. Bolzano est aussi le siège de l’EURAC.
3 Exceptée la synthèse par Price, «The Alpine Convention: a model for other regions?», et les documents
recueillis par Stephan Ortner, éd. (1992), Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des
Alpes, Vaduz, CIPRA International.
15

pour extension et profondeur sur l’histoire de la Convention alpine. 1 Cette reconstruction, qui
comprend des éléments de géopolitique alpine, constitue la deuxième partie de cette thèse.
Ayant approfondi le régionalisme écologique et l’histoire de la Convention alpine,
nous avons les bases pour explorer notre hypothèse sur le poids de l’état. Nous avons donc
choisi de faire recours à deux approches : la première a consisté en l’étude de la Convention
alpine comme norme internationale 2 ; la seconde a été son analyse comme institution, à savoir
comme ensemble de normes. 3 Si l’état ne jouait qu’un rôle marginal dans l’émergence et dans
la circulation des normes ou s’il n’était pas central à la structure institutionnelle de la
Convention alpine, notre thèse sur la prédominance de l’état ne serait pas vérifiée. 4 Si, par
contre, le rôle central de l’état s’avérait confirmé, ceci pointerait vers une anomalie par
rapport aux derniers courants en relations internationales, qui tendent à privilégier la réflexion
sur les acteurs non-étatiques. Il serait donc un apport nouveau au débat savant. Dans le deux
cas, après avoir présenté synthétiquement l’état de l’art sur les deux approches, on fait recours
à une pluralité de dispositifs de recherches. Du côté des normes, nous essayons d’abord de
vérifier, à travers une étude de cas, si la circulation normative du niveau mondial à
1 En août 2010, ce travail a retenu l’attention de l’Association internationale pour l’histoire des Alpes (AISA).
Nous souhaitions le présenter lors du 8 e colloque international de l’AISA, qui a eu lieu à Ascona – Monte Verità
en Suisse du 17 au 19 août 2011, mais nous n’avons pas pu y participer.
2 Voir notamment Martha Finnemore et Kathryn Sikkink (1998), «International norm dynamics and political
change», International Organization, vol. 52, n. 4; Thomas Risse-Kappen et al. (1999), The power of human
rights: international norms and domestic change, Cambridge, Cambridge University Press; Michael Barnett et
Martha Finnemore (2004), Rules for the world: international organizations in global politics, Ithaca, NY,
Cornell University Press.
3 Voir notamment James G. March et Johan P. Olsen (1998), «The institutional dynamics of international
political orders», International Organization, vol. 52, n. 4; Young, The institutional dimensions of environmental
change: fit, interplay, and scale; Jacques Lagroye et Michel Offerlé, éd. (2010), Sociologie de l’institution, Paris,
Belin.
4 Sur la falsification, voir Karl R. Popper (1959), The logic of scientific discovery, New York, Basic Books; id.
(1963), Conjectures and refutations, London, Routledge ; voir aussi Thomas S. Kuhn (1962), The structure of
scientific revolutions, Chicago, University of Chicago Press; Imre Lakatos et Alan Musgrave (1965), «Criticism
and the growth of knowledge», communication presentée à la International Colloquium in the Philosophy of
Science, London, 1970.
16

l’écorégional suit ou non le schéma classique présenté par Martha Finnemore et Kathryn
Sikkink. 1 Par la suite, nous proposons d’itérer cet exercice et d’étudier plusieurs normes en
parallèle. L’élargissement de l’échantillon analysé est utile pour réduire l’incidence des
comportements exceptionnels (normes adoptées dans la foulée, rôle excessif d’un acteur, etc.)
et des erreurs matérielles (dates, transcription, etc.). Ceci permet de vérifier avec plus de
précisions le poids de certains phénomènes comme celui du rôle des états. Du point de vue des
institutions, nous utilisons les tableaux d’organisation pour essayer de cartographier la
position de l’état dans la Convention alpine. Afin d’identifier leur position dans le tableau de
la convention, nous avons donc proposé, en premier lieu, une expérience mentale, en nous
demandant, par absurde, quelles seraient les conséquences de la non-prédominance des états.
Deuxièmement, nous sommes donc passés de l’échelle des relations internationales à celle du
personnel, ce qui a permis de cartographier la position des états à l’appui d’une base de
données constituée par nous-mêmes. Enfin, nous tirons les conséquences de nos résultats non
seulement pour le débat savant, mais aussi pour le débat général sur le rôle de l’état à l’époque
de la mondialisation et de la crise écologique.
Cette thèse est donc divisée en trois parties et chacune d’entre elle est divisée à son
tour en deux sous-parties. La première propose un cadrage théorique autour des régions
écologiques ou « écorégions » et du soi-disant « écorégionalisme ». En tant que fondement
idéal de la Convention alpine, le concept d’« écorégion » méritait d’être éviscéré : le lien entre
la convention et les autres accords régionaux sur l’environnement, d’un côté, et
l’écorégionalisme en tant qu’idéologie de l’écorégion, de l’autre, n’est souvent ni explicité ni
compris. Par idéologie, on entend une série d’idées décrivant le monde et utilisées pour le
1 Voir Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change» ; voir également Peter
Gourevitch (1978), «The second image reversed: the international sources of domestic politics», International
Organization, vol. 32, n. 4.
17

changer. 1 Nous avons donc fait suivre à une lecture critique de l’écorégion une perspective
comparative entre la Convention alpine en tant qu’accord régional sur l’environnement et la
Communauté andine en tant que processus d’intégration régional. Le fait, même si les deux
cadres institutionnels partagent le même référentiel montagnard, que le premier est un produit
de la mise en œuvre de l’écorégionalisme et que le deuxième ne le soit pas, permet
d’apercevoir les similitudes et les différences entre les deux et de mieux comprendre la nature
de la convention. La comparaison nous permet aussi de confirmer qu’il est possible de
concevoir la Convention alpine comme une organisation internationale et d’utiliser les
instruments heuristiques de la science politique pour l’étudier.
La deuxième partie de cette thèse consiste dans une reconstruction historique de la
genèse et de l’évolution de la convention. Suite à des considérations méthodologiques et après
un bref aperçu de la géopolitique des états alpins, nous avons exploré, avec une grande
abondance de détails, la phase constitutive du processus conventionnel entre 1952 et 1991 et
la phase que nous nommons de production législative et de consolidation institutionnelle entre
1991 et 2009, y compris des réflexions de l’auteur sur les perspectives de la convention. Cette
reconstruction est complétée par des annexes cartographiques, chronologiques et
documentaires, qui constituent une récolte inédite de documents relatifs à l’histoire de la
Convention alpine. La troisième et dernière partie de notre démarche représente une analyse
de la dynamique normative et de la structuration institutionnelle de la convention. On passe
donc de l’analyse de l’écorégionalisme comme idéologie à l’étude de l’écorégionalisation
comme norme internationale. Les deux sous-parties commencent respectivement par un
cadrage issu de la théorie des relations internationales, d’un côté, et qui va des
institutionnalismes à la théorie des organisations, de l’autre. Pour explorer la dynamique
normative de la Convention alpine, deux études de cas sont ainsi présentées : l’exemple
linéaire du Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO » – plus précisément du
1 Voir infra.
18

principe d’harmonisation écorégionale des listes indicatives 1 – et puis l’expérience itérée du
Protocole « aménagement du territoire et développement durable ». Celle-ci nous conduit à
produire une concordance des normes du protocole avec d’autres sources normatives, que
nous reproduisons en annexe. L’expérience du protocole suggère un rôle important de l’état
dans le processus conventionnel. La dernière sous-partie de cette thèse est donc dédiée à la
vérification de cette hypothèse. Après une analyse pointue des organes de la convention, nous
utilisons l’instrument des tableaux d’organisation à différentes échelles pour illustrer la place
des états dans la structure institutionnelle de la Convention alpine. Enfin, nous explorons
brièvement les conséquences du rôle de l’état en convention pour le débat savant et pour le
débat général sur la mondialisation et sur la crise écologique.
Les trois parties et les six sous-parties de cette thèse constituent un ensemble cohérent,
qui vise à démontrer la place et donc le « retour » de l’état – un retour savant, bien sûr – au
sein de la Convention alpine, des accords régionaux sur l’environnement et, en général, des
organisations internationales. Elles peuvent toutefois être lues de façon indépendante, non
seulement comme études de politique environnementale, d’histoire des relations
internationales et de théorie des relations internationales, mais aussi comme sous-études sur
l’écorégionalisme, sur la Convention alpine et la Communauté andine en perspective
comparative, sur l’histoire ancienne et récente de la Convention alpine, sur la dynamique des
normes internationales et sur la structuration institutionnelle des organisations internationales.
Il a été vu que le matériel à notre disposition nous aurait permis des analyses ultérieures : par
exemple, le fonctionnement de la gouvernance multi-niveaux, les effets des politiques
bureaucratiques, les dynamiques des mobilisations politiques, les trajectoires professionnelles,
le leadership, mais aussi l’influence des sphères culturelles, l’usage de la science, etc. 2 La
riche bibliographie et les annexes documentaires qui ont été produites et la grande abondance
1 Id.
2 Voir supra.
19

d’informations que l’on retrouve dans cette thèse devraient permettre au lecteur non
seulement de vérifier l’exactitude de ces analyses, mais également d’utiliser ce matériel
comme point de départ pour de futures recherches.
20

I CADRAGE THEORIQUE

1 Ecorégion : le fondement idéal
En 1998, un haut fonctionnaire et un géographe américain se sont lancés dans un pro-
jet insolite pour la science politique. 1 Ils ont repris une étude des années 30 et ils l’ont repro-
duite après presque soixante-dix ans. Réimprimée dans les années 70, l’étude avait été con-
duite par le Comité des ressources nationales (en anglais : National Resources Committee),
une agence du gouvernement fédéral, créée pendant le New Deal. 2 Sous le titre « Facteurs ré-
gionaux de la planification et du développement » (Regional Factors in National Planning
and Development), cette étude a analysé l’usage potentiel de « régions » pour le développe-
ment social et économique du pays. En fait, la « Grande dépression » ne s’arrêtait pas à la
frontière des états, des contés ou d’aucune autre unité administrative existante aux Etats-Unis.
En 1933, ce phénomène avait déjà conduit à la création de l’Autorité de la Vallée du Tennes-
see, à savoir une entreprise publique à l’échelle du bassin fluvial du Tennessee. Cette zone
avait particulièrement souffert à cause de la crise économique, mais elle ne correspondait à
aucun niveau institutionnel préexistant. 3 Cette expérience reposait sur l’idée que l’échelle
1 Voir Charles H. W. Foster et William B. Meyer (2000), «The Harvard Environmental Regionalism Project»,
dans BCSIA Discussion Paper, Cambridge, MA, Harvard University, Kennedy School of Government, Environ-
ment and Natural Resources Program.
2 Voir la réimpression de 1974 du volume de 1935. Initialement, le nom de l’agence était Groupe de planification
nationale (National Planning Board) ; le nom a évolué en Comité des ressources nationales avant 1935.
3 Pour une perspective historique, voir les mémoires de Steven M. Neuse (1983), «TVA at age fifty: reflections
and retrospect», Public Administration Review, vol. 43, n. 6. Aux Etats-Unis, une initiative similaire a été la
21

« régionale » était la plus appropriée pour une intervention gouvernementale. Cette hypothèse
devait toutefois être mise à l’épreuve.
Dans l’étude des années 30, le Comité des ressources nationales a examiné minutieu-
sement ce « régionalisme », en recueillant et analysant les opinions de douze experts. 1 Neuf
caractéristiques physiques des régions ont été identifiées : le territoire devait être contigu et
compact ; le noyau central était censé être homogène ; la périphérie devait se diluer progressi-
vement et les limites devaient correspondre à des zones de transition ; les régions devaient être
unies par leur caractéristiques écologiques avec un type dominant de modèle culturel ; il fal-
lait inclure une unité économique-naturelle complète ; une zone problématique entière devait
être incluse elle aussi ; une unité culturelle complète ne devait pas être coupée ; il fallait
qu’elle corresponde à une conscience régionale existante ; elle devait posséder une identité
régionale ; la surface avait besoin d’être assez large. De plus, cinq méthodes pour la délimita-
tion des régions ont été reconnues : zones d’influence métropolitaines ; caractère fonctionnel
du point administratif et géographique ; ensemble de configurations étatiques ; zones mono-
fonctionnelles ; problèmes d’aménagement complexes. 2 En présentant la perspective sur le
régionalisme émergeant de cette étude, Foster et Meyer affirment que, à l’époque du New
Deal,
création en 1965 de la Commission régionale des Appalaches (Appalachian Regional Commission), un partena-
riat entre les gouvernements fédéraux, étatiques et locaux pour le développement économique de la région appa-
lachienne, une zone de montagne frappée par la pauvreté, le chômage et l’émigration. En 1992, Michael
Bradshaw a publié une reconstruction d’un quart de siècle d’histoire de la commission.
1 L’approche utilisée est comparable à la méthode « Delphi », une approche à la prévision élaborée, plus tard,
dans les années 60 chez RAND aux Etats-Unis. L’étude reposait sur une synthèse des réponses à un question-
naire standardisé fournie par un groupe d’experts. La synthèse a été envoyée aux experts pour obtenir leurs
commentaires. Voir, en particulier, Harold A. Linstone et Murray Turoff, éd. (1975), The Delphi method: tech-
niques and applications, Reading, MA, Addison-Wesley. Cependant, l’objet de l’étude n’était pas le futur du
régionalisme, mais l’acquisition d’une meilleure compréhension de l’échelle régionale.
2 Ces résultats sont synthétisés à la page 157 du rapport de 1935 (Regional factors in national planning and deve-
lopment, New York, Da Capo Press, réimprimé en 1974).
22

Le régionalisme était perçu comme une manière pour permettre aux individus
d’exprimer et faire avancer collectivement les traditions, intérêts et aspirations an-
crées dans un lieu. Le problème pour les stratèges était donc de savoir comment modi-
fier un système politique et de gestion encadré à l’échelle nationale afin de représen-
ter fidèlement les modalités d’occupation de l’espace de la part des individus. 1
Il est intéressant de noter que cette étude a été reproduite vers la fin des années 90, à
l’époque où le monde traversait une nouvelle vague de régionalisme. 2 Le Harvard Regiona-
lism Project a en fait répliqué l’étude de 1935, en impliquant quarante-huit experts contempo-
rains et en examinant la littérature qui a proliféré dans l’après-guerre. 3 Les opinions des ex-
perts ont été systématiquement comparées à celles des années 30, en tirant des conclusions
perspicaces, bien que le contexte social et économique ait changé de manière conséquente.
Les opinions descendaient de quatre questions. Comment pouvons-nous définir une région
écologique, si d’autres facteurs doivent être pris en considération dans la définition d’une ré-
gion écologique ? Quel est le meilleur type de région pour protéger l’environnement ? Quels
moyens administratifs, politiques ou législatifs peuvent faire progresser le régionalisme éco-
logique ? Il est intéressant de noter le passage du régionalisme tout court des années 30 au ré-
gionalisme écologique des années 90, comme si le régionalisme ait initialement eu une accep-
tion écologique et comme si d’autres types de régionalisme aient émergé dans la deuxième
moitié du siècle. Concernant la question « comment pouvons-nous définir une région écolo-
gique ? », les experts des années 90 ont davantage insisté sur la cohérence que sur
l’homogénéité, en affirmant que la gamme d’éléments organisateurs est vaste. Cependant, si
dans les années 30, les bassins fluviaux étaient considérés comme de « mauvaises unités de
1 Citation de Foster et Meyer «The Harvard Environmental Regionalism Project», p. 17, je traduis.
2 Pour une synthèse historique, voir Louise Fawcett (1995), «Regionalism in historical perspective», dans Regio-
nalism in world politics: regional organization and international order, édité par Louise Fawcett et Andrew
Hurrell, Oxford, Oxford University Press, p. 16-17 et infra.
3 Un colloque pour discuter de ce projet a aussi été organisé à Harvard en juin 2000.
23

éférence », dans les années 90, ils étaient préférés aux autres éléments organisateurs. 1 En ré-
ponse à la question « D’autres facteurs doivent-ils être pris en considération dans la définition
d’une région écologique ? », le consensus était que les régions devaient correspondre à
l’environnement. Si, toutefois, dans les années 30, les experts portaient un grand intérêt pour
les « agences créées par le gouvernement », dans les années 90, les experts soulignaient la né-
cessité d’adapter pragmatiquement la région écologique aux « institutions dominantes », de
préférence aux structures dynamiques et informelles. 2 Suite à la question « Quel est le meil-
leur type de région pour protéger l’environnement ? », les deux groupes s’accordent sur le fait
que « des types différents de région n’ont pas besoin de s’exclure mutuellement ». En dernier
lieu, en réponse à la question « Quels moyens administratifs, politiques ou législatifs peuvent
faire progresser le régionalisme écologique ? », les deux groupes ont recommandé la flexibili-
té, en ne soulignant « aucun grand schéma particulier » et en proposant plutôt une « entreprise
plus modeste ». 3 Ce projet de Harvard fournit des instruments utiles pour mieux comprendre
le régionalisme écologique. Tout d’abord, il donne de la profondeur historique à un phéno-
mène, qui est normalement peu connu et qui est souvent considéré comme un développement
récent. Deuxièmement, il montre la complexité du phénomène, en présentant une pluralité de
perspectives sur le régionalisme écologique, qui dérivent aussi de la combinaison de deux
mots polysémiques : « écologie » et « région ». Dans cette optique, les deux premières parties
de ce chapitre analysent ce qu’on nomme « écorégions », d’un côté, et le régionalisme de
l’autre. Le terme « écorégionalisme » peut être compris à l’intersection de ces deux concepts.
1 Voir Foster et Meyer «The Harvard Environmental Regionalism Project», p. 18. Paradoxalement, la première
expérience de région environnementale aux Etats-Unis dans les années 30 a été précisément un bassin fluvial
avec l’Autorité de la Vallée du Tennessee.
2 Ibid., p. 18-19.
3 Ibid, p. 19-20.
24

Ecorégion : des définitions
L’usage fréquent du terme « frontières naturelles » signale que l’environnement a tou-
jours été un élément central dans la définition de la souveraineté et de la territorialité des
états-nations. Une bonne partie de l’histoire moderne a été marquée par la recherche de fron-
tières « sécurisées » par des barrières naturelles, en particulier pour des raisons militaires. 1 Le
fait qu’il est beaucoup plus facile de défendre un territoire aux frontières coïncidant avec des
éléments – tels que des montagnes, des mers, des lacs ou des fleuves – est un impératif de la
géopolitique. 2 Par exemple, le Rhin a joué un rôle fondamental dans les relations franco-
allemandes et, au 19 e siècle et dans la première partie du 20 e , le destin de la Pologne a été
étroitement lié à l’absence de défenses naturelles, vu qu’elle était pressée par l’Allemagne à
l’ouest et la Russie à l’est. 3 Un autre exemple révélateur est la frontière entre l’Argentine et le
Chili, qui est défini par les « plus hauts sommets » et les « bassins hydriques » des Andes. 4 Ce
phénomène a conduit à considérer les frontières naturelles comme un élément stratégique pour
les états-nations. Bien sûr, des éléments géographiques – à l’instar des eaux internes, des
1 Pour une perspective historique et une analyse critique de cette notion, voir par exemple Claude Raffestin
(1986), «Eléments pour une théorie de la frontière», Diogène, vol. 34, n. 134, p. 8-10. Voir aussi l’Essai d’une
nouvelle division politique où Nicholas Buache propose une théorie des frontières naturelles afin de restaurer une
« division naturelle » du monde et d’éliminer l’origine de la plupart des guerres. Un remerciement tout particu-
lier à Bernard Debarbieux pour cette référence.
2 Voir, en particulier, la géopolitique des fronts et des frontières par Michel Foucher (1991), Fronts et frontières:
un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, p. 126-130, ainsi que l’interprétation des Alpes comme un pont
faite par Hans-Rudolf Egli et Paul Messerli (2003), «Zur geopolitischen und geoökologischen Interpretation der
Alpen als Brücke», dans Welt der Alpen, Gebirge der Welt: Ressourcen, Akteure, Perspektiven, édité par F.
Jeanneret et al., Bern, Haupt Verlag. Voir aussi les réflexions sur l’écorégionalisme et l’écologie de la droite
allemande par Jonathan Olsen (2000), «The perils of rootedness: on bioregionalism and right wing ecology in
Germany», Landscape, vol. 19, n. 1-2.
3 De l’autre côté, la présence de la Mer Baltique et des Monts Carpates a contribué à la protection relative de la
Pologne de ses voisins du nord – la Suède – et du sud – l’Autriche. Sur la coopération internationale dans
l’écorégion baltique, voir Stacy D. VanDeever (2004), «Ordering environments: regions in European internatio-
nal environment cooperation», dans Earthly politics: local and global in environmental governance, édité par
Sheila Jasanoff et Marybeth Long Martello, Cambridge, MA, MIT Press.
4 Voir l’article 1 du Traité frontalier entre l’Argentine et le Chili de 1881. Il faut noter que cet accord a été négo-
cié pendant la Guerre du Pacifique de 1879-1884.
25

plaines et des reliefs – se trouvent aussi à l’intérieur des frontières nationales. Ils jouent un
rôle central pour l’aménagement du territoire. La gestion de l’eau, par exemple, a été un ins-
trument pour le développement depuis au moins le IV e millénaire av. J.-C. (canalisations,
aqueducs, etc.) et les populations se sont déplacées régulièrement entre la plaine et les collines
en fonction de leurs besoins (nourriture, santé, etc.) depuis la nuit des temps.
On identifie une « écorégion » (autrement connue comme « biorégion », « géoré-
gion », mais aussi « province biogéographique », etc.) avec un territoire quand elle coïncide
avec un élément géographique, à l’instar d’un bassin fluvial (bassin hydrographique ou ligne
de partage des eaux), d’une mer, d’un lac ou encore d’un massif. A son tour, ceci correspond
normalement à un système écologique ou à plusieurs écosystèmes en relation l’un avec
l’autre. Cependant, le même phénomène peut être interprété de plusieurs manières, selon le
point de vue qu’on prend : écologie, géographie, politique, etc. Puis, à l’intérieur de l’écologie
elle-même, par exemple, on a plusieurs façons d’identifier des écorégions, selon le royaume
(flore, faune, etc.) ou les espèces qu’on considère ou encore selon la personne avec qui on tra-
vaille (géologue, botaniste, biologiste, etc.). D’une certaine manière, c’est une question socio-
logique, vu que les écosystèmes sont eux aussi une construction sociale, voir une coproduc-
tion entre l’homme et la nature. 1 Dans les années 70, Miklos Udvardy a bien représenté ce dé-
bat dans une étude influente, en proposant une classification en provinces biogéographiques.
Son objectif était celui de dépasser ces divisions. 2 Une évolution ultérieure de ce débat est re-
présentée par l’étude conjointe des systèmes humains et écologiques, en les couplant. 3 Une
1 Sheila Jasanoff et Bryan Wynne (1998), «Science and decisionmaking», dans Human choice and climate
change: the societal framework, édité par Steve Rayner et Elizabeth L. Malone, Columbus, OH, Battelle Press.
2 L’étude a été publié par l’UICN et avait été préparée en tant que contribution à une initiative de l’UNESCO,
qui venait d’être lancée et qui sera instrumentale au développement de l’écorégionalisme : le Programme « Man
and the Biosphere – MAB ». Voir Miklos D. F. Udvardy (1975), A classification of the biogeographical provinc-
es of the world, Morges, IUCN, p. 5-12.
3 Sur les systèmes couplés homme-environnement, voir en particulier l’ouvrage collectif par B. L. Turner et al.,
éd. (1993), The Earth as transformed by human action: global and regional changes in the biosphere over the
26

définition assez consensuelle a émergé de ces travaux, à savoir une synthèse interdisciplinaire
qui converge dans une approche écosystémique. Celle-ci est la définition classique
d’écorégion, que la Convention sur la biodiversité (CBD) et le WWF ont contribué à vulgari-
ser, en l’utilisant à maintes reprises dans les années 2000 :
…des vastes zones au climat relativement uniforme accueillant un ensemble typique
d’espèces et de communautés écologiques. 1
Des exemples d’écorégion sont l’Arc alpin, la Mer Méditerranée, le Delta du Danube, le Forêt
amazonien, la Marine tahitienne ou la Steppe patagonienne. De plus, dans le terme « écoré-
gion », on peut souligner aussi la référence à l’« écologie », qui revient à une vision holistique
du monde, plutôt qu’à l’« environnement », qui soulignerait l’influence d’éléments extérieurs
au système social, ou à la « nature », qui insisterait sur la distinction avec l’homme.
past 300 years, 2 e éd., Cambridge, Cambridge University Press, ainsi que la contribution par William E. Easterl-
ing et Colin Polsky (2004), «Crossing the divide: linking global and local scales in human-environment sys-
tems», dans Scale and geographic inquiry: nature, society, and method, édité par Eric S. Sheppard et Robert
Brainerd McMaster, Malden, MA, Blackwell.
1 En 2000, la CBD a adopté une soi-disant « approche écosystémique » en tant que cadre d’action (décision V/6).
Cependant, cette approche a été appliquée principalement aux zones de pêche et aux forêts, en laissant de côté les
zones de montagne et les autres systèmes homme-environnement. Dans le même esprit, au début des années
2000, le WWF s’est engagé dans un processus visant à identifier les 200 écorégions les plus biologiquement dis-
tinctes au monde, en utilisant cette définition opérationnelle. Voir, par exemple, leur rapport spécifique à
l’écorégion alpine (WWF (2001), «Alps ecoregion: final reconnaissance report», Bellinzona, WWF European
Alpine Programme). En particulier, selon Matthew Gilbert, d’un point de vue biologique, une écorégion serait
« l’unité contenant un groupe minimal d’espèces centrales, qui caractérise sa diversité spécifique et qui puisse
être soutenue dans le temps » (je traduis). Sur la définition ambivalente de développement durable, voir François
Mancebo (2006), Le développement durable, Paris, Colin, p. 21-23. D’une perspective intergénérationnelle et
territoriale, le concept de développement durable est particulièrement proche de la définition d’une écorégion
fournie par Gilbert.
27

Figure 1 : Carte des écorégions à l’échelle mondiale selon le WWF dans son Global 200 Analysis (1999-2000).
Peut-être la joie est-elle dans la géographie qui ne porte pas
le nom de personnes mais de chaînes de mondes
continents villes mers champs. Eres. 1
Les géographes ont fait eux-aussi des efforts considérables afin de définir les écoré-
gions. Une banale carte physique du monde représente un exemple éloquent des repères éco-
logiques qui seraient considérés les plus pertinents par les géographes : les eaux (mers, lacs,
fleuves, etc.) et les reliefs (plaines, montagnes, etc.). Cependant, les difficultés rencontrées
dans la démarcation des périmètres d’application des deux accords régionaux sur
l’environnement étudiés dans les pages qui suivent est un témoignage de la difficulté de cet
exercice. La géographie elle-même a commencé comme un effort pour nommer et définir les
différentes parties du monde connu. On peut identifier trois tendances principales dans la pra-
tique de la désignation géographique : le déterminisme environnemental de Friedrich Ratzel,
1 “Forse la gioia è nella geografia che non ha / nomi di persona ma catene di mondi / continenti città mari campi.
Ere.” Tiré de Fuoco centrale par Mariangela Gualtieri (2003) et traduit par l’auteur.
28

le possibilisme géographique de Lucien Febre et une approche hybride. 1 Dans le premier cas,
l’emphase est sur les effets de l’environnement naturel sur les sociétés humaines (en guise de
réaction au déterminisme racial) et sur la croyance que des environnements similaires condui-
sent à des sociétés semblables. La géographie paysagère (en allemand : Landschaft), par
exemple, étudie une zone naturelle afin de produire une description systématique et exhaus-
tive de la nature et de la société. Au contraire, la deuxième tendance conduit les géographes à
souligner la dimension humaine (en critiquant le déterminisme environnemental, qui sous-
estimait la capacité de l’homme à avoir un effet sur la nature), en étudiant les différences à
l’intérieur des sociétés et des environnements. En effet, les premiers géographes régionaux
(Länderkunde) se focalisaient sur une unité sociale, à l’instar d’un état-nation, toujours afin de
décrire la société et son environnement de manière systématique et exhaustive. 2 Des mono-
graphies sur un état (France, Argentine, etc.) sont le produit typique de ces approches. Bien
sûr, une région définie sur des bases purement écologiques peut avoir des caractéristiques dif-
férentes par rapport à une région établie sur des bases sociales, culturelles ou linguistiques. 3
Au 20 e siècle, la géographie régionale a évolué de manière significative, en hybridant
les deux approches dans les travaux, par exemple, de Raoul Blanchard, qui a combiné l’usage
de la toponymie, de la géologie, de la climatologie et de l’hydrographie pour designer les
1 Voir l’étude panoramique pertinente par Pier Paolo Viazzo (1989), Upland communities: environment, popula-
tion and social structure in the Alps since the sixteenth century, Cambridge, Cambridge University Press, p. 1-3,
où l’on trouve aussi toutes les références aux travaux de Ratzel et Febvre. Voir aussi l’étude narrative classique
sur le développement historique de la recherche géographique par Richard Hartshorne, toujours citée par Viazzo.
2 Pour une perspective savante, voir l’entretien avec Werner Bätzing (2001), «De la “géographie régionale” à une
recherche scientifique coordonnée au sein de la “Convention alpine”», Revue de géographie alpine, vol. 89, n. 4,
p. 212-213, ainsi que la monographie toujours par Werner Bätzing et Henri Rougier (2005), Les Alpes: un foyer
de civilisation au cœur de l’Europe, Lausanne, LEP. Voir aussi Philippe Pinchemel et Geneviève Pinchemel
(1988), La face de la terre: éléments de géographie, Paris, A. Colin, qui ont revisité les concepts de paysage et
de région, ainsi que Roderick P. Neumann (2009), «Political ecology II: theorizing region», Progress in Human
Geography, vol. 34, n. 3.
3 Pour une perspective fortement sociale et culturelle des régions, voir Anssi Paasi (1996), «Regions as social
and cultural constructs: reflections on recent geographical debates», dans Att skapa en region, om identitet och
territorium, édité par Markus Idvall et Anders Salomonsson, Copenhagen, NordREFO.
29

sous-régions alpines, ou encore de Norbert Krebs, qui a travaillé comparativement dans le sil-
lage des expéditions scientifiques du début du 19 e siècle dans les Andes par Alexander Von
Humbolt et Thaddäus Haenke, une tradition qui est toujours vivante. 1 Depuis les années 70,
ces approches ont été particulièrement influencées par la science économique. 2 L’étude des
stratégies de production et d’utilisation de l’espace (Landnutzung), par exemple, a déplacé le
débat de la définition géographique d’une région vers son usage par les agents économiques, à
savoir vers une géographie humaine. 3 Dans ces approches hybrides, les systèmes régionaux
sont étudiés en analysant les sous-systèmes socioéconomiques et écologiques et en les combi-
nant. 4 D’autres auteurs critiquent ces approches, en soulignant qu’il n’est pas suffisant
d’étudier les impératifs économiques ou les limites écologiques. Ils proposent, par contre,
d’analyser comment l’espace géographique est perçu et représenté par les groupes sociaux. 5
Sur la base de ces critiques, un autre groupe de chercheurs développe ultérieurement cette
perspective, en soutenant que l’environnement et la nature sont essentiellement des construc-
tions sociales, que nous nous approprions en prenant un espace inconnu et déshabité pour en
faire un territoire relativement connu et partiellement inhabité. 6 Il est donc possible de trouver
1 Voir, en particulier, la contribution sur Blanchard par Bernard Debarbieux (2001), «Différenciation et désigna-
tion géographique des objets alpins: six manières de faire », Revue de géographie alpine, vol. 89, n. 4, p. 53-62
et le passage sur la géographie régionale comparative par Axel Borsdorf et Valérie Braun (2008), «Panorama de
la recherche sur la montagne en Europe et dans le monde», Revue de géographie alpine, vol. 96, n. 4, p. 109.
2 Lire, par exemple, le géographe régional John Allen et al. (1998), Rethinking the region, London, Routledge;
John Allen et Allan Cochrane (2007), «Beyond the territorial fix: regional assemblages, politics and power»,
Regional Studies, vol. 41, n. 9.
3 Pour une perspective générale, voir Jean-Paul Charvet et Michel Sivignon, éd. (2008), Géographie humaine:
questions et enjeux du monde contemporain, Paris, Armand Colin.
4 Voir encore Bätzing, «De la “géographie régionale” à une recherche scientifique coordonnée au sein de la
“Convention alpine”», p. 215-216.
5 Pour ces réflexions, voir les travaux réalises par Eric Dardel (1952), L’homme et la terre: nature de la réalité
geographique, Paris, Presses Universitaires de France, qui ont aussi été réintroduits dans le débat géographique
grâce à Claude Raffestin (1987), «Pourquoi n’avons-nous pas lu Eric Dardel?», Cahiers de géographie du Qué-
bec, vol. 31, n. 84.
6 Sur le concept de territoire dans la littérature géographique, lire également Claude Raffestin (1986), «Ecoge-
nèse territoriale et territorialité», dans Espaces, jeux et enjeux, édité par F. Auriac et R. Brunet, Paris, Fayard -
30

des éléments de définition des écorégions non seulement dans la littérature sur le détermi-
nisme environnemental, mais aussi dans des approches hybrides et constructivistes, particuliè-
rement ceux qui mettent l’accent sur la dimension écologique, mais ils dépendront des va-
riables considérées et de leur poids respectif (par exemple, eau ou altitude, pratiques agricoles
ou linguistiques, etc.). Pourtant, si les écologistes nous aident à comprendre la tension dans la
recherche d’un système de référence afin de définir les écorégions (flore, géologie, etc.), la
littérature géographique est instrumentale dans la problématisation de la relation entre les so-
ciétés et leurs environnements et de leur perception et construction. Devons-nous privilégier la
dimension sociale ou écologique dans nos définitions ? Cette question était centrale aux dé-
buts du régionalisme écologique international contemporain dans les années 70. Elle reste tou-
jours ouverte.
La perspective qu’on retrouve chez les économistes est étonnamment proche de celle
des écologues et des géographes. 1 Si la discipline reconnaît l’existence et l’importance des
dynamiques régionales, les économistes se trouvent eux aussi en difficulté lorsqu’il s’agit de
définir des régions, car celles-ci dépendent du flux particulier qu’on considère et du poids
qu’on lui assigne par rapport à d’autres flux : par exemple, si l’on étudie le tourisme d’hiver,
on est conduit à identifier une dynamique régionale, tandis que, si l’on analyse le marché des
logiciels, il est fort probable que d’autres dynamiques s’imposent avec leurs acteurs, leurs es-
Fondation Diderot, aussi pour ses réflexions sur le sens de la territorialité, un concept proche de la gouvernemen-
talité foucaldienne, et sa relation avec la sémiosphère de Lotman (Jurij Michajlovi Lotman et Simonetta Salves-
troni (1985), La semiosfera : l’asimmetria e il dialogo nelle strutture pensanti, Venezia, Marsilio).
1 Pour une synthèse politologique des perspectives économiques, (convergence, emplacement (an anglais :
place), lieux centraux, croissance de la base exportatrice (export base growth), causation cumulative, pôles de
croissance, stades (stages), cycles de profit, mondialisation, machine à croissance (growth machine), nouvelle
économie institutionnelle, croissance endogène, nouveau régionalisme, savoirs traditionnels), voir Jörg Balsiger
(2009), Uphill struggles: the politics of sustainable mountain development in Switzerland and California, Köln,
Lambert Academic Publishing, p. 124-131; Jörg Balsiger et Bernard Debarbieux (2011), «Major challenges in
regional environmental governance research and practice», Procedia Social and Behavioral Sciences, vol. 14, p.
4-5.
31

paces et leurs temporalités. Au niveau international, l’Accord général sur les tarifs douaniers
et le commerce de 1947 (GATT) admet l’existence d’accords régionaux sur le commerce (in-
tégration économique, union douanière ou simple accord de libre commerce), pourvu que
ceux-ci contribuent à la diminution globale des tarifs douaniers. 1 Dans ce cas spécifique, la
différentiation sectorielle des dynamiques régionales se reflète dans la structure des tableaux
tarifaires, qui distinguent entre les différents types de biens et de services selon les flux exis-
tants et leurs impacts. On retrouve des situations similaires à tous les niveaux, pas seulement
sur la scène mondiale. 2 Même si des paramètres agrégés existent, à l’instar de la production,
des échanges et du revenu, et peuvent être modélisés, ces modèles souffrent de limites défini-
tionnelles similaires, qui s’imposent aux modélisations des écosystèmes. Ils sont aussi solides
que les définitions sur lesquelles ils reposent et que les données qu’ils utilisent. Parfois, ces
modèles prennent les régions administratives pour données. Pour une lecture critique de cette
approche, on renvoie aux réflexions géographiques et politologiques dans ce texte. Vu la
proximité des approches économiques et écologiques, certains politologues ont récemment
proposé des analyses conjointes des accords internationaux sur l’économie et sur
l’environnement, sans pour autant bouleverser la discipline. 3 En même temps, on assiste à la
montée en puissance de l’économie environnementale, qui essaie d’améliorer la modélisation
1 Article XXIV (application territoriale – trafic frontalier – unions douanières et zones de libre-échange) et Mé-
morandum d’accord de 1994 sur l’interprétation de l’article.
2 Pour une étude de l’économie régionale en Angleterre et une analyse pointue de ses conséquences théoriques,
voir également Allen et al., Rethinking the region.
3 Par exemple, sur la protection de l’environnement dans un contexte d’intégration économique au niveau régio-
nal, voir Tullio Scovazzi, éd. (2001), The protection of the environment in a context of regional economic inte-
gration: the case of the European Community, the MERCOSUR, and the NAFTA, Milano, Giuffrè ; sur le Proto-
cole de Kyōto, le commerce et l’investissement, W. Bradnee Chambers (2001), Inter-linkages: the Kyoto Proto-
col and the international trade and investment regimes, Tokyo, United Nations University Press et Charlotte
Bretherton et John Vogler (2000), «The European Union as trade actor and environmental activist: contradictory
roles?», Journal of Economic Integration, vol. 15, n. 12.
32

des facteurs environnementaux dans les approches économiques, notamment les externalités
et les services écosystémiques. 1
Du point de vue politologique, après une première approximation, on fait normalement
la distinction entre les régions nationales, qui sont les unités territoriales entre le niveau local
et national (qui correspondent normalement à des unités administratives 2 ), et les régions inter-
nationales, qui sont des groupes d’états entre le niveau mondial et national (qui coïncident gé-
néralement à des continents ou à d’autres unités géographiques). Dans les années 60, Seymour
Lipset et Stein Rokkan définissaient les régions comme le produit du clivage entre le centre et
la périphérie 3 , « entre la culture centrale de la construction nationale et la résistance croissante
de la population assujettie au niveau ethnique, linguistique et religieux dans les provinces ». 4
Bien que cette tension soit historiquement inscrite dans la résistance au processus de centrali-
sation qui a accompagné la construction nationale dans l’époque moderne – de la Toscane de
la Renaissance à la France de Louis XIV – dans plusieurs pays européens, on a récemment
1 Partha Dasgupta figure certainement parmi les protagonistes de la sous-discipline : voir notamment ses contri-
butions sur le bien-être humain (Partha Dasgupta (2001), Human well-being and the natural environment, 2 e éd.,
Oxford, Oxford University Press) et sur le capital naturel (id. (2010), «Natural capital and sustainable develop-
ment», dans Sustainability science: an introduction (forthcoming), édité par Partha Dasgupta et al.).
2 L’Union européenne a adopté un système d’unités statistiques territoriales, le soi-disant « système NUTS » : le
niveau NUTS1 correspond aux groupes de régions (ZEAT), le NUTS2 aux régions, le NUTS3 aux départements
(en anglais : counties), le soi-disant LAU1 aux cantons de rattachement (districts) et le LAU2 aux communes
(municipalities).
3 Dans les années 70, un modèle centre-périphérie appliqué aux relations internationales a contribué au dévelop-
pement de la théorie de la dépendance. Si la structure du système-monde suit ces lignes, le développement éco-
nomique pourrait donc être interprété comme une tension entre pays centraux et pays périphériques selon leur
position dans le système. Voir Immanuel Maurice Wallerstein (1974), The modern world-system: capitalist agri-
culture and the origins of the European world-economy in the sixteenth century, New York, Academic Press; id.
(1980), The modern world-system: mercantilism and the consolidation of the European world-economy, 1600-
1750, New York, Academic Press; Fernando Henrique Cardoso et Enzo Faletto (1984), Dependéncia e desenvol-
vimento na América Latina: ensaio de interpretação, Rio de Janeiro, Zahar. Il est possible d’appliquer ce modèle
à l’échelle macro au même titre qu’à l’échelle micro.
4 Citation tirée du travail influent par Seymour Martin Lipset et Stein Rokkan (1967), Party systems and voter
alignments: cross-national perspectives, New York, Free Press, p. 10, je traduis.
33

assisté à une décentralisation pilotée par l’état. En France, par exemple, on a vu la création des
régions, tandis qu’au Royaume-Uni on procédait au processus de dévolution des années 90.
Ces phénomènes on été normalement interprétés selon deux perspectives opposées : d’un côté,
Amitai Etzioni voit la réémergence des dynamiques communautaires 1 ; à l’autre extrême, on
trouve les mondialistes, qui interprètent la faiblesse croissante de l’état-nation comme la « fin
de la géographie » ou encore la « fin des territoires ». 2 La pertinence politique du débat savant
sur les régions ne fait aucun doute, notamment à la lumière de faits tels que l’indépendantisme
basque en Espagne ou encore la Ligue Nord en Italie. Michael Keating a contribué à nuancer
ce clivage, en interprétant ce nouveau régionalisme comme la convergence de pressions fonc-
tionnelles sur les institutions nationales, qui seraient surchargées par l’état-providence, et de
mobilisations locales à la recherche d’autonomie politique, ce qui conduirait finalement à une
« territorialité » renouvelée. 3
Les spécialistes en relations internationales ont eux aussi porté une attention toute par-
ticulière à la définition des régions internationales. Dans ce cas aussi, la littérature a normale-
ment répondu à l’émergence d’un phénomène nouveau, qui demandait à être interprété. En
effet, les premières études réagissaient à la vague d’institutionnalisme régional de l’après-
guerre, des débuts de l’intégration européenne dans les années 50 à la création de l’ASEAN.
1 Cette perspective est amplement argumentée dans Amitai Etzioni (1993), The spirit of community: rights, re-
sponsibilities, and the communitarian agenda, 1 e éd., New York, Crown Publishers. Voir aussi Charles Tilly
(1998), «International communities: secure and otherwise», dans Security communities, édité par Emanuel Adler
et Michael Barnett, Cambridge, Cambridge University Press.
2 Comme cela est suggéré par Richard O’Brien (1992), Global financial integration: the end of geography, New
York, Council on Foreign Relations Press et encore plus résolument par Bertrand Badie (1995), La fin des terri-
toires: essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard.
3 Lire Michael Keating (1998), The new regionalism in Western Europe: territorial restructuring and political
change, Cheltenham, Edward Elgar, notamment le chapitre 4 (p. 72-111). Voir aussi Richard Balme, éd. (1994),
Le territoire pour politiques: variations européennes, Paris, L’Harmattan; id., éd. (1996), Les politiques du néo-
régionalisme: action collective régionale et globalisation, Paris, Economica.
34

Dans les années 60, Joseph Nye a donné cette définition désormais classique d’une région in-
ternationale :
…un numéro limité d’états liés par une relation géographique et par un degré
d’interdépendance réciproque. 1
De son point de vue, le processus de régionalisation correspond à « la formation de groupes
interétatiques sur la base de régions ». Cette définition émergeait clairement des travaux des
géographes ; un fort biais vers le statocentrisme y transpirait aussi et sera la critique principale
à une époque où les états-nation étaient fondamentalement perçus comme obsolètes. Le pro-
blème est proche de celui que nous avons observé chez les écologistes et les géographes. Le
défi principal est, selon Ernst Haas, de sélectionner parmi une pléthore de variables et de les
lier les unes avec les autres. Dans les années 70, Haas lui-même, bien qu’il soutienne forte-
ment le régionalisme, argumentait que la discipline était encore loin de comprendre clairement
le destin de l’intégration régionale. 2
Cependant, tous les courants principaux de la discipline des relations internationales
proposent différentes interprétations du phénomène de la régionalisation. Les néoréalistes in-
sistent sur la nature anarchique des relations internationales et voient les accords régionaux
comme des alliances ou des alignements stratégiques, qui portent sur la proximité géogra-
phique et d’autres facteurs contingents, à l’instar de l’équilibre de puissance général et de
l’hégémonie actuelle, en expérimentant le problème usuel du passager clandestin (en anglais :
free rider). Des exemples pertinents sont les organisations régionales à des fins de défense
collective à l’instar de l’OTAN (une illustration de l’hégémonie américaine et du passager
pour la plupart clandestin européen) ou encore les blocs commerciaux dans les négociations
1 Citation tirée de Joseph S. Nye, éd. (1968), International regionalism (readings), Boston, Little Brown, p. vii,
je traduis.
2 Voir Ernst B. Haas (1970), «The study of regional integration: reflections on the joy and anguish of pretheoriz-
ing», International Organization, vol. 24, n. 4, p. 631.
35

mondiales comme l’UE (une alliance stratégique autour de la puissance commerciale alle-
mande). 1 La Carte des Nations Unies de 1945 consacre un chapitre entier aux accords ou or-
ganismes régionaux pour « régler les affaires qui touch[e]nt au maintien de la paix et de la sé-
curité internationales », dans une division du travail international visant à encourager le ren-
forcement et l’approfondissement des mécanismes et des régimes sécuritaires par les états
membres que le désirent. L’objectif est donc la résolution des problèmes locaux à l’échelle
régionale afin d’éviter l’escalade des conflits au niveau mondial. De plus, les accords régio-
naux auraient la fonction de longa manus des institutions mondiales, notamment du Conseil
de sécurité dans le cas de menaces localisées. 2
Les néo-fonctionnalistes étudient les effets d’engrenage (spillover) du régionalisme in-
ternational, qui seraient censés produire un approfondissement de l’intégration, ou encore la
« paix en morceaux », tandis que les institutionnalistes néolibéraux insistent sur la réduction
des coûts de transaction produits par les régimes internationaux, en assumant
l’interdépendance croissante de l’économie mondiale (presque littéralement, frapper à la porte
à côté au lieu de voler à Tokyo). Des exemples pertinents sont les développements récents de
l’UE, qui est allée beaucoup plus loin qu’une alliance régionale, ainsi que la prolifération de
tous les types de régimes écologiques, des zones humides aux déserts, de l’ozone au climat. 3
1 Se référer aux classiques du néoréalisme Kenneth N. Waltz (1979), Theory of international politics, Reading,
MA, Addison-Wesley Pub. Co et Stephen Walt (1985), «Alliance formation and the balance of world power»,
International Security, vol. 9. Pour une contribution récente sur le rôle ambivalent des grandes puissances à
l’échelle régionale, voir Andrew Hurrell (2007), «One World? Many worlds? The place of regions in the study of
international society», International Affairs, vol. 83, et Miriam Prys (2010), «Hegemony, detachment, domina-
tion: differences in regional powerhood», International Studies Review, vol. 12, n. 4.
2 Voir le chapitre 8, ainsi que les articles 33 (solutions des disputes par des moyens pacifiques) et 47 (sous-
comités régionaux du Comité d’état-major) ; voir aussi l’abondante littérature juridique, politologique et militaire
sur cette question.
3 Pour le travail séminal du néo-fonctionnalisme, voir Ernst B. Haas (1964), Beyond the nation state: functiona-
lism and international organization, Stanford, CA, Stanford University Press, tandis que, sur le néolibéralisme,
lire Robert O. Keohane et Joseph S. Nye (1977), Power and interdependence, Boston, Little, Brown. Selon
Louise Fawcett, « après les années 60 […] les libéraux ont mis de côté le régionalisme et ont insisté plutôt sur le
36

En analysant la formation et l’impact des idées et des sens intersubjectifs, la contribution des
constructivistes sociaux à la compréhension du régionalisme international est le redimension-
nement de l’acteur. Si une région est construite socialement, alors tout processus régional
porte sur un sens de communauté préexistant ou sur les efforts communicatifs de la part d’un
groupe social. 1 Une attention toute particulière est donnée aux normes en tant que moyen de
l’action politique. 2 La construction européenne pourrait être lue, par exemple, comme le pro-
duit d’une compréhension partagée par la population en général sur la nécessité d’une union
plus profonde en Europe ou comme le résultat des efforts de persuasion d’un groupe parta-
geant la même vision pour le continent et enchâssé dans des normes coutumières et dans des
textes juridiques. Finalement, les comparatistes sceptiques ont produit des approches au ni-
veau national, en étudiant des variables à l’instar de la cohérence de l’état (des états faibles ne
seraient pas capables de s’engager dans une construction régionale) ou du type de régime (la
démocratie pourrait faciliter le régionalisme, mais elle pourrait aussi représenter un obstacle).
D’après cette approche, selon les mots d’Andrew Hurrell, « l’intégration […] a émergé
de la poursuite de politiques nationales avec une portée assez limitée et des visions plus pa-
roissiales qu’internationalistes : ceci pourrait résulter en un renforcement au lieu d’un affai-
transnationalisme et l’interdépendance » (citation extraite de Louise Fawcett et Andrew Hurrell, éd. (1995), Re-
gionalism in world politics: regional organization and international order, Oxford, Oxford University Press, p.
14, je traduis). Sur les régimes internationaux, voir aussi l’ouvrage édité par Stephen D. Krasner (1983), Interna-
tional regimes, Ithaca, Cornell. Sur la « paix en morceaux », voir Joseph S. Nye (1971), Peace in parts: integra-
tion and conflict in regional organization, Boston, Little, Brown.
1 Lire les différentes contributions d’Alexander Wendt (1999), Social theory of international politics, Cam-
bridge, Cambridge University Press; id. (1987), «The agent-structure problem in international relations theory»,
International Organization; id. (1992), «Anarchy is what states make of it: the social construction of power»,
International Organization, vol. 46; pour une perspective critique, voir Thomas Risse-Kappen (1994), «Ideas do
not fleet freely: transnational coalitions, domestic structures, and the end of the cold war», International Organi-
zation, vol. 48, n. 2.
2 Voir, en particulier, Martha Finnemore et Kathryn Sikkink (1998), «International norm dynamics and political
change», International Organization, vol. 52, n. 4, ainsi que Jürgen Habermas (1987), Théorie de l’agir commu-
nicationnel, Paris, Fayard. La littérature normative constructiviste peut être considérée à juste titre comme
l’héritière intellectuelle de l’idéalisme libéral du début du 20 e siècle.
37

lissement du rôle de l’état ». 1 Si cette perspective est correcte, la prolifération d’initiatives
régionales, y compris le processus d’intégration européen, est un signe de la force de l’état et
non de sa faiblesse. A contrario, Louise Fawcett soutient dans le même ouvrage que
« l’opinion partagée par plusieurs que l’objectif de la coopération régionale ne devrait pas être
l’affaiblissement, mais le renforcement de l’autonomie nationale reste un obstacle majeur à un
régionalisme réel ». 2 Ces visions opposées pourraient amener à distinguer deux types de ré-
gionalisation : d’un côte, un instrument de la politique de voisinage de l’état ; de l’autre, un
processus qui est subi par l’état et qui devrait finalement conduire à son dépassement. Si
l’interprétation d’Hurrell semble constituer une nécessité logique (il faut postuler l’état pour
concevoir le régionalisme international) et correspondre à la réalité dominante, Fawcett identi-
fie un élément récurrent dans la pratique régionale, à savoir la présence d’éléments normale-
ment autres par rapport aux institutions étatiques, par exemple les ethnies ou encore les éco-
systèmes, qui peuvent coaguler les intérêts à une échelle qu’on peut appeler régionale.
C’est notamment à partir de la nouvelle vague de régionalisme international dans les
années 90 (connu aussi comme le « nouveau régionalisme »), qui a accompagné la fin de la
guerre froide 3 et qui s’est manifesté sous la forme de la conclusion de nouveaux accords à
l’instar de l’ALCAN ou du Mercosud et de l’approfondissement de processus d’intégration
existants à commencer par l’Union européenne avec le Traité de Maastricht, que nous avons
1 Citation tirée de Andrew Hurrell (1995), «Regionalism in theoretical perspective», dans Regionalism in world
politics: regional organization and international order, édité par Louise Fawcett et Andrew Hurrell, Oxford,
Oxford University Press, p. 70-71, je traduis.
2 Citation tirée de Fawcett et Hurrell, éd., Regionalism in world politics: regional organization and international
order, p. 34, je traduis. Pour une perspective sur les pays en voie de développement, voir aussi la contribution
par James Mayall (1995), «National identity and the revival of regionalism», dans Regionalism in world politics:
regional organization and international order, édité par Louise Fawcett et Andrew Hurrell, Oxford, Oxford Uni-
versity Press.
3 Pour une vision provocatrice sur la fin de la confrontation idéologique, voir Francis Fukuyama (1992), The end
of history and the last man, New York, Free Press ; pour une perspective historique sur le régionalisme interna-
tional, lire aussi Fawcett et Hurrell, éd., Regionalism in world politics: regional organization and international
order.
38

assisté à la prolifération de perspectives sur la question. 1 Toutefois, les définitions deviennent
de moins en moins claires. En cherchant l’origine de l’idée de région, selon Louise Fawcett,
« il n’y a pas d’explication unique […] il y a un sens de “conscience régionale” […] il y a un
désir par les états “de faire de leur mieux avec le contexte régional” ». 2 Andrew Hurrell, en
analysant le régionalisme d’un point de vue théorique, conclut que
…il n’y a pas de région « naturelle » et les définitions de « région », ainsi que les in-
dicateurs de « régionalité », varient selon le problème ou la question particulière
qu’on étudie. 3
Si la nécessité d’une référence géographique est claire, la déception vis-à-vis les ap-
proches « scientifiques » pour la délinéation des régions dans la science écologique, géogra-
phique ou politique est grand. 4 Les variables pertinentes sont simplement trop nombreuses.
Prenons les tentatives récentes, par exemple, de s’éloigner du régionalisme physique et de ré-
cupérer des approches « fonctionnelles ». Si elles n’ont pas réussi à représenter plus d’une ra-
tionalisation ex post des « flux » régionaux, elles ont stigmatisé la tension qui est perçue entre
1 Pour une vision compréhensive et faisant autorité, voir Hurrell, «Regionalism in theoretical perspective», p. 37
ou Andrew Gamble (2007), «Regional blocs, world order and the new medievalism», dans European Union and
new regionalism: regional actors and global governance in a post-hegemonic era, édité par Mario Telò, Al-
dershot, Ashgate.
2 Citation extraite de Fawcett, «Regionalism in historical perspective», p. 10-11, je traduis
3 Citation tirée d’Andrew Hurrell, ibid., «Regionalism in theoretical perspective», p. 38.
4 Les approches statistiques dominantes, par exemple, ont tendance à faire correspondre les unités statistiques
territoriales aux différents niveaux administratifs : pour des exemples éloquents, voir la définition de « macroré-
gion » utilisée par la Division statistique de l’ONU, qui correspond approximativement aux sections cardinales
des cinq continents (par exemple : Amérique septentrionale, Europe occidentale, etc.), ainsi que la définition par
EUROSTAT des unités statistiques territoriales de l’UE (NUTS1-2-3, LAU1-2), qui correspondent exactement
aux unités administratives nationales. En 2010, le séminaire international Regional environmental governance:
international approaches, theoretical issues and comparative designs (REGov) a eu lieu à l’Université de Ge-
nève, Jörg Balsiger et Bernard Debarbieux, éd. (2011), Regional environmental governance: interdisciplinary
perspectives, theoretical issues, comparative designs (REGov), Université de Genève, Procedia Social and Be-
havioral Sciences, vol. 14, n. 1-8, Amsterdam, Elsevier. Ceci a permis de rassembler plusieurs chercheurs tra-
vaillant sur ce thème dans des disciplines différentes sans pourtant apporter des nouveautés particulières à l’étude
des écorégions.
39

les perspectives réaliste et constructiviste sur les régions. 1 Si le « tournant » constructiviste a
contribué à la compréhension du fait que « les régions disparaissent et réapparaissent tandis
qu’elles sont transformées par différents facteurs économiques, politiques et culturels » 2 , ce
tournant n’a pas su dépasser la présence physique ex ante des régions. Ceci est ultérieurement
problématisé par le phénomène des écorégions, où l’élément distinctif est le territoire phy-
sique, qui existe indépendamment de la société, mais qui est perçu et affecté par elle.
La compréhension des écorégions est pourtant un effort qui se trouve au carrefour de
plusieurs disciplines. Les écologistes nous apprennent à considérer les caractères des diffé-
rents royaumes, y compris les formations géologiques ; les géographes nous invitent à étudier
les formes du paysage et des sociétés qui l’habitent ; du côté de la science politique, les identi-
tés locales et les flux mondiaux sont le centre d’intérêt principal. Si des approches syncrétistes
ont fait l’objet d’études dans chaque discipline avec des résultats différents, une grande syn-
thèse fait encore défaut aujourd’hui. Selon William Clark, la discipline émergente de la
science de la durabilité pourrait jouer un rôle important dans ce sens. 3 Cependant, pour para-
phraser Andrew Hurrell, une distinction importante doit être faite entre l’écorégion comme
description et comme proposition 4 : d’un côté, on « peut » affirmer qu’une dynamique de ras-
semblement autour des régions écologiques est en cours et on peut le prouver ; de l’autre, il
est différent de soutenir qu’on « doit » se grouper autour des écorégions, car ceci conduirait à
des sociétés plus avancées dans des environnements plus harmonieux. Tandis que l’idée
1 Voir Raimo Väyrynen (2003), «Regionalism: old and new», International Studies Review, vol. 5, p. 26-27, 42-
43 ; voir aussi Björn Hettne et al., éd. (1999), Globalism and the new regionalism, New York, St. Martin’s Press.
Le concept de régions « fonctionnelles » (économiques, environnementales, etc.) peut aussi être interprété dans
une perspective « sectorielle » ou de « champ », en produisant des analyses pointues sur les configurations so-
ciales qui constituent ces régions.
2 Citation extraite de Väyrynen, «Regionalism: old and new», p. 25, je traduis.
3 Voir William C. Clark (2007), «Sustainability science: a room of its own», PNAS, vol. 104, n. 6; William C.
Clark et Nancy M. Dickson (2003), «Sustainability science: the emerging research program», PNAS, vol. 100, n.
14.
4 Faire référence à Hurrell, «Regionalism in theoretical perspective», p. 39.
40

d’écorégion dépasse la description et est mise en œuvre, l’écorégionalisme devient une idéo-
logie, au moins pour les acteurs qui y participent. 1
Le cas de la définition du périmètre de la Convention alpine
La délimitation des montagnes devrait être assez facile : elles sont énormes. On ne
peut pas les manquer ! Or, elle ne l’est pas. Comment qualifier les zones adjacentes aux mon-
tagnes ? Comment traiter les pentes ? Ou les territoires subarctiques, en dehors des chaînes de
montagne ? Les plateaux ne ressemblent-ils pas aux plaines ? Dans le cas des deux accords
régionaux sur la montagne qui existent, la définition de leurs limites a démontré qu’il
s’agissait d’une question contentieuse, particulièrement dans les Carpates. La délimitation du
périmètre à l’intérieur duquel l’accord est censé être en vigueur est une question fondamentale
afin de garantir la certitude du droit ; autrement, il ne serait pas possible de vérifier si les élé-
ments des accords sont respectés. Historiquement, les approches à la délimitation des massifs
sont nombreuses ; elles dépendent souvent des définitions que l’on trouve dans la législation
nationale sur la montagne. 2 A partir des années 70, la « communautarisation » de l’agriculture
de montagne et l’irruption des systèmes d’information géographique (SIG) dans les années 90
ont contribué à l’émergence d’approches standardisées, qui ont rapidement été banalisées. Ces
nouvelles approches définissent la montagne sur la base de trois variables : l’altitude, la pente
et des facteurs écologiques. 3 Ceci représente une évolution par rapport à l’approche tradition-
1 Sur la mobilisation écorégionale dans les régions montagnardes, voir le numéro spécial de la Revue de géogra-
phie alpine consacré aux « régions de montagne comme référents de l’action collective », en particulier la con-
tribution par Gilles Rudaz (2009), «Recompositions territoriales et gouvernance des régions de montagne», vol.
97, n. 2.
2 Des lois spéciales pour les zones de montagne sont présentes dans le droit autrichien, français, italien et suisse
au moins depuis les années 50.
3 Pour une vue panoramique sur le processus de délimitation des montagnes européennes, voir en particulier
Martin F. Price et al. (2004), «La délimitation des montagnes européennes», Revue de géographie alpine, vol.
92, n. 2, ainsi que Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz (2010), Faiseurs de montagne, Paris, CNRS Editions, p.
226-229. L’étude par Bruno Messerli et Jack D. Ives, éd. (1997), Mountains of the world: a global priority, New
York, Parthenon Publishing Group, la proposition par V. Kapos et al. (2000), «Developing a map of the world’s
41

nelle, qui repose sur les chaînes et les écosystèmes de montagne principaux et sur la perspec-
tive socio-économique, qui considérait les régions de montagne comme défavorisées, en les
assimilant aux zones rurales et agricoles, donc en présentant la montagne comme une région
« en voie de développement ». Pourtant, la ruralité des régions de montagne n’est pas mono-
dimensionnelle : elles sont au moins « bi » ou encore « tridimensionnellement » rurales. A la
longueur et à la largeur, les montagnes ajoutent une troisième dimension, à savoir la hauteur.
Cette perspective a permis aux régions de montagne de recevoir des fonds structurels de l’UE,
qui auraient pu être mis en question par des modifications des définitions existantes de la
montagne. Cependant, ces nouvelles approches ont simplement augmenté l’extension perçue
des zones de montagne. Par exemple, l’estimation de la population mondiale vivant dans des
zones de montagne est passée de la valeur traditionnelle de 10% à un écart entre 12% et 26%,
selon les définitions adoptées. 1 Une définition partagée au niveau européen est toujours ab-
sente, à cause aussi de la réticence de l’UE à se lancer dans une politique spécifique pour les
zones de montagne. 2
Dans le cas de la Convention alpine, l’article 1, alinéa 1, fait référence à une carte an-
nexée à la convention-cadre, qui définit la région alpine, ainsi qu’à la liste d’unités adminis-
tratives concernées. La carte a été produite avant la finalisation de la convention ; elle corres-
mountain forests», dans Forests in sustainable mountain development: a state-of-knowledge report for 2000,
édité par Martin F. Price et N. Butt, Wallingford, CAB, la synthèse par UNEP/WCMC (2002), Mountain watch:
environmental change and sustainable development in mountains, Cambridge, Swaingrove Imaging et un rapport
à la Commission européenne préparé par NORDREGIO (2004), «Zones de montagne en Europe: analyse des
régions de montagne dans les états membres actuels, les nouveaux états membres et d’autres pays européens»,
Commission éuropéenne, sont quatre bornes du processus. Un facteur écologique qui a été considéré dans cette
étude et qui a eu des conséquences considérables a été l’assimilation des régions subarctiques de la Scandinavie
aux territoires alpins : si le nord profond était considéré comme une région défavorisée, il aurait été qualifié pour
les fonds structuraux de l’UE au même titre que les montagnes (la Suède et la Finlande avaient rejoint l’UE en
1995).
1 Voir Price et al., «La délimitation des montagnes européennes», p. 63.
2 A ce propos, lire les mots des commissaires européens Margot Wallström (environnement) et Loyola de Palacio
(transports) reproduits par Luciano Caveri (2002), L’Europa e la montagna, Verbania, Tararà, p. 66-70; voir
aussi infra.
42

pond à une définition arbitraire mais partagée, qui prend en considération les préférences des
états alpins, et correspond dans l’ensemble avec ce qui est normalement considéré être l’Arc
alpin. Des exceptions remarquables sont l’exclusion d’une partie de l’extrémité méridionale
des Alpes françaises, à cause de la présence d’un axe de transport important, et le fait qu’en
Italie le périmètre a été défini au niveau provincial, tandis que dans tous les autres états, il est
défini au niveau communal. 1 Il faut noter que la définition exacte du périmètre de la conven-
tion est aussi importante, puisque les contributions au fonctionnement du Secrétariat perma-
nent de la Convention alpine sont calculées sur la base d’une formule, qui prend en considéra-
tion la surface, la population et le PIB de la région alpine dans chaque état. 2
1 Sur les questions de transport, voir Martin F. Price (1999), «Towards cooperation across mountain frontiers: the
Alpine Convention», European Environment, vol. 9, n. 3. Pour une efficacité accrue des indicateurs environne-
mentaux, il est normalement recommandé de définir les périmètres au niveau communal (Bennio Hain (2004),
«Pour une documentation des changements dans l’espace de vie alpin: système d’indicateurs et concept pour un
rapport d’évaluation de l’état des Alpes», Berlin, Convention Alpine, Groupe de travail « objectifs environne-
mentaux et indicateurs », p. 23; NORDREGIO «Zones de montagne en Europe: analyse des régions de montagne
dans les états membres actuels, les nouveaux états membres et d’autres pays européens»). En Italie, le périmètre
de la convention est en cours de redéfinition, afin de l’adapter à l’échelle choisie par les autres états alpins (Fla-
vio V. Ruffini et al. (2005), «Perimetro della Convenzione delle Alpi: comuni della Convenzione delle Alpi
nell’Arco alpino italiano (bozza)», Bolzano, EURAC).
2 Voir l’annexe 3 à la décision VII/2 (2002), ainsi que, sur les effets de cette décision sur le développement de la
Convention des Carpates, Juliet J. Fall et Harald Egerer (2004), «Construire les Carpates: la Convention des Car-
pates et la recherche d’un idéal spatial», Revue de géographie alpine, vol. 92, n. 2, p. 92.
43

Figure 2 : Périmètre de la Convention alpine.
Le cas de la définition du périmètre de la Convention des Carpates
Le cas de la Convention des Carpates est plus compliqué. Comme cela a été mis en
évidence par Juliet Fall et Harald Egerer, qui est maintenant le Secrétaire ad interim de la
Convention des Carpates, en janvier 2003, une première carte a été produite par un géographe
du PNUE à Genève. Bien qu’il y ait des inexactitudes, la carte portait sur des bases « scienti-
fiques ». Cependant, elle n’était pas acceptable pour certains états. La Roumanie, en particu-
lier, protestait car la définition incluait le Plateau transylvanien, qui avait été exclu de la défi-
nition nationale et qui aurait porté à une présence disproportionnée de territoire roumain à
l’intérieur de la convention ; la Serbie se plaignait elle aussi à cause d’une délimitation mani-
festement imprécise, qui incluait à nouveau une portion de territoire excessive. Les deux pays
étaient aussi préoccupés par les restrictions au développement économique que les protocoles
futurs à la convention pourraient imposer sur des régions stratégiques (par exemple, les Car-
pates divisent la Roumanie en deux parties, qui présentent aussi des différences ethniques). En
mars, une seconde carte a été produite, réduisant radicalement le périmètre en Roumanie et en
44

Serbie. Ceci a conduit à nouveau à une dispute entre la Hongrie et la Roumanie autour de
l’usage de l’expression « Monts Carpates » au lieu de « Carpates » tout court (qui aurait aussi
pu inclure le Plateau transylvanien). 1 Sans compter les tensions historiques entre Budapest et
Bucarest, ceci dépendait aussi des règles sur les contributions financières à la convention qui
étaient en cours de négociation à la même époque et qui suivaient le modèle alpin. 2
1 Ibid., p. 92-93.
2 Toutefois, selon l’article 17 de la Convention des Carpates de 2003, la proportion des contributions n’est pas
fixée ; elle doit être définie par les parties. La COP-1, réunie en 2006 à Kiev, a adopté un règlement financier, en
conditionnant la proportion au programme de travail de la convention et au siège final du Secrétariat permanent,
mais en établissant seulement une proportion temporaire, à savoir une répartition égale pour tous les pays, excep-
té la Serbie, sans considérer la dimension des parties (décisions COP1/2 et COP1/3). La COP-2, réunie en 2008 à
Bucarest, n’a pas pris d’action ultérieure à cet égard, vu que les questions du siège définitif du secrétariat et du
périmètre sont restées ouvertes, à l’exception d’une augmentation minimale des contributions (objet d’un débat
intense).
45

Figures 3 et 4 : Propositions du PNUE de janvier (en haut) et en avril 2003 (en bas).
Toutefois, la dispute n’a pas été résolue avant que les parties décident d’adopter le
cadre de la convention. En fait, l’article 1, alinéa 1, de la Convention des Carpates de 2003 ne
définit pas le périmètre ; contrairement au cas de la Convention alpine, il n’a pas été annexé
au texte de la convention ; il doit être décidé par les parties, en congelant de facto la question
et en la reportant à un futur imprécis. En mai 2003, à l’époque de l’ouverture à la signature de
la convention, la Roumanie a déposé une réserve formelle à l’article 1, alinéa 1, qui a été re-
produite dans sa loi de ratification :
Le Gouvernement roumain estime que le terme « région carpatique », mentionné à
l’article 1, alinéa 1, de la Convention-cadre pour la protection et le développement
durable des Carpates, désigne la zone des Monts Carpates, qui est définie dans le ter-
ritoire roumain selon des critères physico-géographiques et biologiques, ainsi que des
critères socio-économiques liés au potentiel réduit d’usage du sol et à la relation de la
population locale avec des caractères physiques et écologiques spécifiques, et en con-
46

formité avec les critères de la Communauté européenne pour la délimitation des ré-
gions biogéographiques alpines, selon la Directive du Conseil 92/43/CEE [la soi-
disant « Directive habitat »] sur la conservation des habitats naturels et de la faune et
flore sauvages. 1
Il est intéressant de noter que le Gouvernement roumain a utilisé des critères « scientifiques »
afin de justifier son rejet préventif de tout périmètre qui inclut le Plateau transylvanien (bien
que la première réunion du Comité de mise en œuvre de la convention ait paradoxalement eu
lieu à Sibiu, au beau milieu du plateau) ; la référence à l’acquis communautaire est à remar-
quer elle-aussi, à une époque où Bucarest s’efforçait encore à devenir un état membre (en
considérant aussi que la définition de l’UE coïncidait avec la position roumaine). A la confé-
rence des parties pour l’adoption du texte de la convention, le gouvernement italien, qui avait
soutenu le développement de la convention depuis le début du processus en 2001, a proposé
de demander une étude complète de l’extension géographique à l’EURAC, un centre de re-
cherche qui avait contribué à la redéfinition du périmètre de la Convention alpine en Italie du
niveau provincial au niveau communal et qui était aussi en train de contribuer au développe-
ment de la Convention des Carpates. Cette étude aurait dû servir à faire office d’instrument de
médiation. Ceci a conduit à une nouvelle étude, qui a examiné la question dans le détail, en
analysant les méthodes existantes, les délimitations nationales et les facteurs écologiques et en
adaptant à la région carpatique les approches innovatrices qui étaient en train d’être dévelop-
pées au niveau européen. 2
1 Traduction de l’auteur (phrase alambiquée dans le texte original anglais).
2 Voir Flavio V. Ruffini et al. (2006), «Implementing an international mountain convention: an approach for the
delimitation of the Carpathian Convention area», Bolzano, EURAC. Pour une approche comparable au niveau
européen, voir également NORDREGIO «Zones de montagne en Europe: analyse des régions de montagne dans
les états membres actuels, les nouveaux états membres et d’autres pays européens».
47

Figure 5 : La région carpatique selon la typologie européenne de classements de montagne par NORDREGIO .
Cependant, la question est restée extrêmement contentieuse au niveau politique.
L’Ukraine, par exemple, qui exerce les fonctions de dépositaire de la convention, a présenté
des objections à la réserve roumaine avec une lettre formelle, datée du 3 août 2007 :
Vu que la décision sur le périmètre de la région carpatique n’a pas été encore prise,
l’Ukraine estime que les réserves présentées par la Roumanie doivent être interprétées
comme une définition unilatérale du terme « région carpatique » qui ne correspond
pas à la définition de ce terme prévue par la convention. 1
En fait, l’esprit de la convention semble se rapprocher davantage des approches inté-
grées et inclusives, y compris au-delà d’une définition rigide de la région de montagne. Par
exemple, le territoire proposé par certains acteurs pour un « espace carpatique » dans le cadre
1 Traduction de l’auteur depuis le texte original anglais.
48

des fonds structurels de l’UE dépasse largement celui de l’écorégion carpatique. 1 Toutefois,
une combinaison de rivalité historique, de préoccupation pour le poids excessif de certains
pays (selon les définitions utilisées, la Roumanie pourrait représenter jusqu’à la moitié de la
région carpatique ; la même chose pourrait être dite à propos de l’Autriche et de l’Italie dans
les Alpes) ou pour le montant des contributions attendu, ainsi que pour des protocoles futurs,
qui pourraient être perçus comme des restrictions excessives au développement économique
des régions de montagne, comme cela est soutenu parfois par des groupes écologistes – une
combinaison de tous ces facteurs a un impact sur les intérêts politiques de certains pays et
provoque la prudence démontrée dans le processus de définition du périmètre de la Conven-
tion des Carpates. 2 Ni la COP-1 en 2006, ni la COP-2 en 2008, n’ont résolu le problème, qui
reste congelé. 3
1 Voir, en particulier, les décisions COP1/13 (2006), COP2/2, and COP2/11 (2008), ainsi que les deux déclara-
tions ministérielles finales adoptées à Kiev et à Bucarest.
2 Voir, par exemple, la lecture dans une perspective latourienne (Bruno Latour (1999), Politiques de la nature:
comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, Découverte) proposée par Fall et Egerer, qui soutiennent
« une conception fondamentalement politique de la nature : la nature, en tant qu’objet, ne peut être que politique,
et donc résultat des rapports de pouvoir » (cité depuis Fall et Egerer, «Construire les Carpates: la Convention des
Carpates et la recherche d’un idéal spatial»).
3 Jusqu’à ce que le Secrétariat permanent ne soit créé (en ce moment, un Secrétariat ad interim est accueilli par le
PNUE à Vienne et soutenu par l’Autriche), l’urgence de réviser l’échelle des contributions pro tempore, qui sont
moins de 200 000 euros (sic) pour le fonctionnement de toute la convention (décisions COP1/3 et COP2/13) est
faible. Pour une analyse en profondeur des résultats de la COP-2, voir la contribution par Arianna Broggiato et
Jon Marco Church (2008), «Carpathian Convention: one step ahead, three steps back?», Environmental Policy
and Law, vol. 38, n. 5.
49

Figure 6 : Une proposition pour une « région de développement carpatique » dans le cadre des fonds structurels de
l’UE .
Ecorégionalisme : une idéologie ?
Une idéologie peut être définie comme une série d’idées qui décrivent le monde et qui
sont utilisées pour le changer. 1 Le concept a eu un destin ambigu, après avoir été rejeté par
Karl Marx en tant qu’ensemble de croyances pour duper les gens, tandis qu’il est central à la
théorie léniniste. Il est normalement utilisé pour se référer à différents « ismes » : du positi-
1 Dans son acception originelle, au 18 e siècle, le mot était utilisé pour indiquer la « science des idées » de Destutt
de Tracy, qui avait comme objectif d’« améliorer la vie des hommes dans le monde ». L’idéologie n’expliquait
pas seulement le monde tel qu’il est : elle avait des conséquences pratiques aussi. Sur la montagne comme un
« modèle idéologique », voir Jean Untermaier (2008), «En guise de conclusion: Convention alpine et droit de
l’environnement (une mise en perspective)», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?,
édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 139-140.
50

visme au communisme, en passant par le classicisme, le reaganisme, le constitutionnalisme,
l’écologisme, etc. Il a souvent une connotation négative, mais ce n’est pas toujours le cas.
Dans les années 90, plusieurs auteurs ont vu la fin de l’idéologie tout court dans la fin de la
confrontation entre l’est et l’occident ; plusieurs autres ont signalé le déclin de l’idéologie
bien avant la fin de la Guerre froide 1 ; toutefois, l’idéologie continuera à exister tant qu’il y
aura des idées et que celles-ci seront utilisées comme une plateforme d’action par certains
groupes. De plus, les idéologies comme les idées peuvent être réifiées et constituer l’élément
distinctif de ces groupes « istes » : le parti communiste, le mouvement écologiste, etc. Elles
peuvent aussi conduire à l’identification de certains individus avec l’idéologie elle-même,
jusqu’à l’incarnation de certains comportements, souvent symboliques : être écologiste et
manger végan, être tiermondiste et s’habiller comme un Indien, etc. 2 L’écorégionalisme peut-
il lui-même être considéré comme une idéologie, vu qu’une écorégion est une idée et qu’elle
est utilisée pour influencer les dynamiques politiques ? Paradoxalement, ses dernières « réin-
carnations » – de la création de la Convention alpine en 1991 à la Convention des Carpates en
2003, ainsi que l’adhésion de la CBD et du WWF à l’approche écosystémique et écorégionale
– se sont manifestées quand l’idéologie était considérée comme quelque chose de passé et on
allait vers « un discours plus proprement scientifique et gestionnaire qui découle pour la plu-
part du domaine de la biologie appliquée à la conservation de la nature », que l’on peut inter-
préter comme une forme de dépendance au sentier transformée en routines bureaucratiques. 3
1 Lire, en particulier, Raymond Aron (1955), L’opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy et Chaim Isaac
Waxman (1969), The end of ideology debate, New York, Funk & Wagnalls ; voir aussi, pour le débat récent,
Fukuyama Fukuyama, The end of history and the last man.
2 Sur le développement durable comme une idéologie, voir Michel Crépu (2007), «Le développement durable,
une idéologie?», Revue des deux mondes, n. 10-11 (numéro spécial) et le livre récent par Mathieu Baudin (2009),
Le développement durable, nouvelle idéologie du XXI e siècle?, Paris, L’Harmattan.
3 L’ouvrage de Fall et Egerer, «Construire les Carpates: la Convention des Carpates et la recherche d’un idéal
spatial» (citation tirée de p. 88), s’apparente beaucoup à une lecture idéologique d’une initiative écorégionale.
Pour un exemple récent d’une perspective idéologique et orientée vers l’action, lire Ton Bührs (2009), Environ-
mental integration: our common challange, Albany, NY, SUNY Press, qui soutient l’intégration environnemen-
51

On peut soutenir que l’une des contributions principales de la science politique est
l’examen des idées avant ou après qu’elles soient mises en pratique. 1 L’écorégionalisme peut-
il donc maintenir sa promesse de sociétés plus avancées dans des environnements plus harmo-
nieux ? Contribue-t-il à la durabilité ? Dans les paragraphes qui suivent, on essaiera de mettre
l’écorégionalisme à l’épreuve des initiatives écorégionales existantes dans les Alpes en Eu-
rope et, à des fins comparatives, dans les Andes sur le continent américain. Le lecteur est tou-
tefois averti : il est clair que, à ce stade, une évaluation de l’impact des initiatives écorégio-
nales sur les sociétés et leurs environnements, en utilisant des méthodes quantitatives et la sta-
tistique déductive, n’est pas possible. Les variables déterminantes entre le niveau international
et les dimensions sociale et écologique sont trop nombreuses pour obtenir des résultats signi-
ficatifs. 2 En empruntant l’expression à un membre de délégation auprès de la Convention al-
pine, « que je sache, la convention n’est jamais sortie pour planter un arbre ou aider un agri-
culteur ». 3 De même, la portée de cette analyse est limitée aux reflets de l’écorégionalisme sur
tale comme manière la plus efficace pour faire face aux défis écologiques. Pour une perspective évaluative de la
gestion écosystémique, voir les huit « expériences naturelles » par Judith A. Layzer (2008), Natural experiments:
ecosystem-based management and the environment, Cambridge, MA, MIT Press.
1 Le débat en cours sur le rôle de la science politique est particulièrement pertinent à cet égard : voir notamment
Michael Keating (2009), «Puttin political science back together», European Political Science Review, vol. 1, n.
2, et Jörg Friedrichs et Friedrich Kratochwil (2009), «On acting and knowing: how pragmatism can advance in-
ternational relations research and methodology», International Organization, vol. 63, n. 4 et, aux Etats-Unis,
Joseph S. Nye (2009), «The question of relevance», dans The future of political science, édité par Gary King et
al., London, Routledge.
2 Comparable au Methodenstreit du début du 20 e siècle, un débat sur la méthode est actuellement en cours entre
politistes, qui oppose les quantitativistes aux qualitativistes, ainsi qu’au sein de la recherche orientée vers les
problématiques et celle orientée vers la méthode. Parmi les spécialistes en relations internationales, ce débat a
tout l’air d’expérimenter un tournant « pragmatique » : à ce propos, pour des perspectives sceptiques sur le « pu-
ritanisme » statistique en relations internationales, voir l’ouvrage édité par Harry Bauer et Elisabetta Brighi, éd.
(2009), Pragmatism in international relations, London, Routledge et, également, la contribution récente par
Friedrichs et Kratochwil, «On acting and knowing: how pragmatism can advance international relations research
and methodology». Pour une perspective légèrement différente, voir l’article sur la logique de la « praticalité »
par Vincent Pouliot (2008), «The logic of practicality: a theory of practice of security communities», Internatio-
nal Organization, vol. 62, n. 2.
3 Ces mots ont été rassemblés par l’auteur en 2006 auprès d’une source qui souhaitait rester anonyme.
52

les relations entre nations. En fait, on étudie avec une attention toute particulière, d’un côté, la
Convention alpine, qui est le premier accord environnemental international sur une région de
montagne (il a été lancé au début des années 90 par les états alpins et la CEE), et, de l’autre, la
Communauté andine, qui est une organisation d’intégration régionale, qui s’identifie elle-aussi
à une chaîne de montagne et qui représente, dans une perspective comparatiste, un contre-
exemple (elle a été créée ver la fin des années 60). 1
Pourquoi étudier, en particulier, les chaînes de montagne ? Ne serait-il pas possible
d’étudier, par exemple, les cours d’eau (fleuves, lacs et mers internationaux), où les cas sont
nombreux et la littérature est abondante ? 2 La montagne est un exemple de système couplé
homme-environnement où l’environnement s’impose nettement à cause de sa majesté. 3 Selon
Claude Raffestin, « la terre et la mer, les montagnes et les rivières, les forêts et les déserts »
partagent le fait d’être des « morphologies qui ne doivent rien originellement à l’action an-
thropique ». Ce sont « des zones de frontière » entre les espaces inconnus et déshabités et des
territoires relativement connus et partiellement habités. Toutefois, nous nous approprions ces
morphologies et nous les transformons en territoires de manières différentes. Certains de ces
1 Créée en 1969 avec l’Accord de Cartagena, la Communauté andine peut être considérée comme le premier
cadre international pour une région de montagne. Cependant, bien que le développement intégré (en espagnol :
desarrollo integrado) ait été parmi ses objectifs depuis le tout début (article 26), les préoccupations environne-
mentales sont restées marginales jusqu’à la fin des années 90. Le fait qu’un Conseil des ministres de l’écologie
ait été créé seulement en 2004 est également un signe du profil bas qui a caractérisé ces questions jusque-là et de
l’intérêt croissant pour ces questions dans la période récente (décision 596).
2 Dans les années 90, Peter M. Haas (1990), Saving the Mediterranean: the politics of international environmen-
tal cooperation, New York, Columbia University Press, a effectué une analyse approfondie du Plan d’action
pour la Méditerranée de 1975 (le « Plan bleu ») et de la Convention de Barcelone qui a suivi, tandis qu’Anathea
Brooks et Stacy D. VanDeveer (1997), Saving the seas: values, scientists, and international governance, College
Park, MD, Maryland Sea Grant College, ont recueilli des contributions pertinentes.
3 Sur les systèmes couplés homme-environnement, voir notamment l’ouvrage par Turner et al., éd., The Earth as
transformed by human action: global and regional changes in the biosphere over the past 300 years, ainsi que la
contribution par Easterling et Polsky, «Crossing the divide: linking global and local scales in human-
environment systems».
53

espaces « sont intégrés dans des territoires, mais ils apparaissent comme oubliés ». 1 Paradoxa-
lement, bien que, contrairement à d’autres environnements naturels, elle soit une partie inté-
grante des territoires nationaux et bien qu’elle soit souvent habitée quand on la regarde de la
plaine 2 , la montagne semble faire l’objet d’études se révélant être plus nécessaires que celles
d’autres environnements. Ceci est particulièrement évident quand on observe, par exemple, la
faible production d’études scientifiques sur la montagne. La montagne est donc un exemple
significatif pour les analystes de l’écorégionalisme, car sa dimension territoriale et humaine la
rend particulièrement difficile – indéniablement plus que d’autres types d’écosystèmes. Pour-
quoi alors étudier en particulier les relations internationales ? Tout d’abord, car
l’écorégionalisme est une idéologie politique, qui est mise en œuvre sur plusieurs niveaux, y
compris les collectivités territoriales, et car le niveau international est le plus complexe. En
fait, contrairement aux initiatives régionales sur la montagne aux Etats-Unis, à l’instar de la
Commission régionale des Appalaches ou de l’Office de l’eau et de la forêt de la Sierra Neva-
da (en anglais : Sierra Nevada Conservancy) 3 , les régions alpine et andine sont traversées par
des frontières internationales. Ce fait provoque plusieurs questions que les exemples natio-
naux ne soulèvent pas toujours. De plus, le niveau international est le plus visible, souvent le
mieux étudié. Il donne accès à des sources d’information spécifiques.
Dans la lignée des recherches sur les reflets de l’écorégionalisme dans les relations
internationales, un exemple et un contrexemple seront donc proposés. Une lecture conjointe
de ces exemples devrait constituer une épreuve pour l’écorégionalisme tel qu’il est mis en
1 Citation extraite de Raffestin, «Ecogenèse territoriale et territorialité», p. 176, 178. Voir aussi supra. Le concept
de territoire est proche de celui de place dans la géographie américaine d’Allan Pred (1984), «Place as historical-
ly contingent process: structuration and the time-geography of becoming places», Annals of the Association of
American Geographers, vol. 74, n. 2.
2 Voir, par exemple, la citation de Braudel dans la note en bas de page infra.
3 Sur les Appalaches, lire supra, tandis que, sur la Sierra Nevada, voir Jörg Balsiger (2009), «L’impact de la mo-
bilisation écorégionale sur les politiques en matière de montagne dans les Alpes suisses et la Sierra Nevada en
Californie», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2; Balsiger, Uphill struggles: the politics of sustainable
mountain development in Switzerland and California.
54

œuvre dans les Alpes et, par comparaison, dans les Andes. Elle devrait contribuer aussi à une
meilleure compréhension du phénomène, aussi dans le cas où ce type d’initiative régionale sur
l’environnement serait répliqué dans d’autres régions, à l’instar des Balkans, du Caucase ou
de l’Himalaya.
Des perspectives critiques
Figure 7 : « Régions physiographiques » des Etats-Unis proposées par John Wesley Powell (1895).
L’écorégionalisme n’est pas un phénomène nouveau. Aux Etats-Unis, il trouve ses ra-
cines en même temps dans le conservationnisme de droite, qui remonte au moins au 19 e
siècle, et dans la contre-culture de gauche des années 70, notamment en Californie. 1 Aussi
1 Sur le conservationnisme du 19 e siècle aux Etats-Unis, voir la vie et les ouvrages par Waldo Emerson et Henry
Thoreau dans le New England et par John Muir en Californie. Pour des échos de la contre-culture des années 70,
lire, par exemple, les écrits du marxiste français André Gorz, qui a réfléchi au caractère insupportable non seu-
lement de l’exploitation de classe, mais aussi de l’abus de la nature intrinsèque dans le système capitalistique,
avec la seule différence que, si les hommes possèdent un certain degré de résistance dans le temps, la nature réa-
git à l’exploitation excessive dès que certains seuils ont été franchis. Voir André Gorz (1975), Ecologie et poli-
tique, Paris, Galilée; id. (1977), Ecologie et liberté, Paris, Editions Galilée. Des échos ultérieurs se trouvent dans
55

connu comme biorégionalisme, il critique l’ignorance apparente des facteurs écologiques dans
la définition des unités administratives à l’instar des départements, des régions et des nations :
un exemple typique est la partie occidentale de la frontière avec le Canada, qui suit tout sim-
plement le 49 e parallèle nord 1 , ou encore les frontières de plusieurs états de l’ouest américain
comme le Colorado. L’écorégionalisme souligne aussi le rôle des écorégions par rapport à
l’identité collective, la soi-disant « éco-identité », comme si les habitants des Alpes ou des
Andes se sentaient plus liés par un sens d’appartenance à la même chaîne de montagne que,
par exemple, les nations respectives. Les écorégionalistes, selon Bernard Debarbieux, croient
que
…l’attachement affectif à une biorégion condui[t] à des pratiques vertueuses en ma-
tière d’environnement (des habitants pleinement citoyens seraient plus soucieux de la
base territoriale à laquelle ils s’identifient). 2
Si on l’interprète comme une relation exclusive, ce phénomène serait contraire avec le
numéro croissant d’identités collectives et d’affiliations chevauchantes qui caractérisent, par
exemple, l’Europe contemporaine, où des identités multiples (l’appartenance à un lieu, à un
genre, à une tranche d’âge, à une ethnie, à un courant éthique, artistique, à un mouvement
le rapport par Donella Meadows du Club de Rome (1973), Halte à la croissance? Rapport sur les limites de la
croissance, Paris, Fayard, ainsi que dans le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le déve-
loppement (1988), Notre avenir à tous, Montréal, Les Éditions du Fleuve (« Rapport Brundtland »).
1 Voir l’article 2 de la Convention de Londres de 1818. Des dispositions similaires définissent les limites de plu-
sieurs pays en Afrique et de quelques états dans les péninsules arabe et coréenne et dans l’Ile de Nouvelle-
Guinée. On peut tracer son origine au traité de Tordesillas de 1494. Selon Paul Guichonnet et Claude Raffestin
(1974), Géographie des frontières, Paris, PUF; François Mancebo (2001), «Discontinuités, lisières et territoires:
tentative de généralisation de la notion de frontière et de compréhension des dynamiques frontalières», Sud-
Ouest européen: revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n. 10, les frontières ne sont toutefois jamais
liées au hasard. Voir aussi David B. Carter et H.E. Goemans (2011), «The making of territorial order: new bor-
ders and the emergence of interstate conflict», International Organization, vol. 65, n. 1.
2 Citation tirée de Bernard Debarbieux (2009), «Les régions de montagne comme référents de l’action collective
(éditorial)», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2, p. 9-10.
56

sportif, etc.) sont souvent la norme. 1 Cependant, si cette relation est inclusive au lieu d’être
exclusive, l’écorégionalisme peut être interprété comme un aspect particulier d’une tendance
générale. Des critiques plus radicales sont relayées par William Wolmer:
Le biorégionalisme a été critiqué pour sa vision réductionniste des régions naturelles
et des sociétés humaines qui seraient indifférenciées, pour son analyse souvent anhis-
torique, pour le déterminisme environnemental de son lien causal simpliste entre na-
ture et culture et pour sa représentation romancée des cultures indigènes « tradition-
nelles », qui vivraient en harmonie avec l’environnement. 2
Or, si ces perspectives critiques ex ante possèdent certainement des éléments de vérité, elles
rendent rarement justice au sens authentique d’appartenance à un territoire spécifique, qui
peut être ressenti à l’intérieur de certaines écorégions et qui peut aller au-delà des sentiments
nationaux. De plus, ces analyses peuvent être considérées comme « a-géographiques » et fina-
lement comme réductionnistes elles-aussi. Ce qu’on observe dans la littérature est donc un
hiatus entre, d’un côté, des critiques souvent dures du déterminisme environnemental et, de
l’autre, des perspectives désenchantées sur les cultures traditionnelles. Plusieurs éléments gé-
nérationnels ressortent de ces débats : les chercheurs de l’après-guerre, qui critiquent leurs
prédécesseurs – souvent positivistes – de l’entre-deux-guerres, et leurs héritiers d’aujourd’hui,
1 Voir, à cet égard, Hedley Bull (1977), The anarchical society: a study of order in world politics, Basingstoke,
Palgrave; Robert W. Cox (1996), Approaches to world order, vol. 40, Cambridge, Cambridge University Press;
id. (1986), «Social forces, states and world orders: beyond international relations theory», dans Neorealism and
its critics, édité par Robert O. Keohane, New York, Columbia University Press; John Gerard Ruggie (1993),
«Territoriality and beyond: problematizing modernity in international relations», International Organization, vol.
47, n. 1; Gamble, «Regional blocs, world order and the new medievalism», p. 28-32. Pour une perspective sur la
montagne, voir aussi Debarbieux, «Les régions de montagne comme référents de l’action collective (éditorial)»,
p. 9-10.
2 Voir William Wolmer (2003), «Transboundary conservation: the politics of ecological integrity in the Great
Limpopo transfrontier park», Journal of Southern African Studies, vol. 29, n. 1, p. 263, je traduis, tout en citant,
en particulier, Stephen W. Frenkel (1994), «Old theories in new places? Environmental determinism and biore-
gionalism», The Professional Geographer, vol. 46, n. 3. Voir aussi Robert L. Thayer (2003), LifePlace: biore-
gional thought and practice, Berkeley, CA, University of California Press.
57

qui révisent la littérature fréquemment économique de la deuxième moitié du 20 e siècle d’un
angle constructiviste, etc. Il y a toutefois une tension, en particulier, qui semble résister au
passage du temps, à savoir la relation entre les facteurs et les perspectives socio-historiques et
écolo-géographiques. Cette relation reste problématique dans les débats sur l’écorégionalisme.
Entre système et champ
Dans la littérature par rapport à la société, d’un côté, et de l’écologie, de l’autre, on
utilise habituellement deux images puissantes. Dans le cas de la société et de la littérature so-
ciologique, l’image est celle du « champ » 1 ; dans le cas de l’écologie, il s’agit du « système ».
Bien sûr, la dernière analogie a également souvent été utilisée à l’égard de la société (par
exemple : le système économique, le système international, etc.). Les deux images correspon-
dent toutefois à deux épistémologies différentes : la première reflète une perspective plus cri-
tique que celle plus positiviste de la deuxième. En écologie, l’usage du terme « écosystème »
est particulièrement commun, même si le concept de système est rarement problématisé. 2
Robert Jervis est certainement de ceux qui, dans les années 1990, ont contribué de ma-
nière significative à la réflexion autour de ce concept en relations internationales, en
s’inspirant de l’approche systémique de Kenneth Waltz. 3 Jervis définit un système de la ma-
nière classique suivante :
1 A ne pas confondre avec la « logique des images » en relations internationales, vu l’usage du mot dans le clas-
sique Kenneth N. Waltz (1959), Man, the state, and war, New York, Columbia University Press : la « première
image » serait le niveau d’analyse individuel, la « deuxième image » serait le niveau national, tandis que la
« troisième image » serait le niveau international. L’usage de cette terminologie n’est pas rare dans la littérature :
voir, par exemple, Peter Gourevitch (1978), «The second image reversed: the international sources of domestic
politics», International Organization, vol. 32, n. 4. Une autre analogie récurrente est celle de « jeu », comme
dans la « théorie des jeux », ainsi que celle de « réseau » (qui est fréquemment utilisée par rapport à
l’environnement aussi), qui a été défini par Manuel Castells (2000), «Materials for an exploratory theory of the
network society», British Journal of Sociology, vol. 51, n. 1.
2 Voir, par exemple, Viazzo, Upland communities: environment, population and social structure in the Alps
since the sixteenth century, p. 4, 31-48.
3 Voir Waltz, Theory of international politics, p. 39-40.
58

Nous nous trouvons face à un système quand (a) un ensemble d’unités ou d’éléments
est interconnecté, de sorte que les variations auprès de certains éléments ou de leurs
relations produit des variations dans les autres parties du système et (b) le système en-
tier est caractérisé par des propriétés et des comportements, qui sont différents par
rapport à celles et ceux des parties. 1
Un système est donc défini par un environnement, un ensemble, des unités et des interactions.
Dans un système, toutes les unités sont liées les unes aux autres par la structure du système.
Donc, toute action réverbère non seulement sur les autres unités mais aussi sur l’unité qui a
initié l’action, c’est-à-dire l’agent. Pour cette raison, nous parlons d’interaction et non
d’action, d’interdépendance et non de dépendance. 2 De plus, la pensée systémique s’insère
dans la tradition du structuralisme, ce qui explique un certain chevauchement des concepts de
système et de structure. 3
Jack Snyder identifie cinq dimensions qui ont été développées par la théorie générale
des systèmes et le long desquelles les systèmes peuvent varier. Un système peut donc être
stable ou instable, ouvert ou fermé, simple ou complexe, organisé ou désorganisé, couplé fai-
1 Citation tirée de Robert Jervis (1997), System effects: complexity in political and social life, Princeton, NJ,
Princeton University Press, p. 6, je traduis.
2 Étroitement apparentées, les approches systémique et cybernétique ont produit, dans le domaine des sciences
politiques, une pléthore de travaux désormais classiques, notamment par Morton A. Kaplan (1957), System and
process in international politics, New York, Karl W. Deutsch (1963), The nerves of government: models of polit-
ical communication and control, New York, Free Press, David Easton (1965), A systems analysis of political life,
New York, Wiley, Wallerstein, The modern world-system: capitalist agriculture and the origins of the European
world-economy in the sixteenth century; id., The modern world-system: mercantilism and the consolidation of
the European world-economy, 1600-1750, Keohane et Nye, Power and interdependence et Waltz, Theory of in-
ternational politics.
3 Dans la théorie des relations internationales, Robert O. Keohane (1986), Neorealism and its critics, New York,
Columbia University Press, p. 166, souligne la formulation waltzienne du réalisme, qu’il désigne de « réalisme
structurel », et développe un concept nouveau par rapport au réalisme classique, c’est-à-dire le concept de
« structure du système international », caractérisée par l’anarchie, la nature étatique des unités et la distribution
des capacités d’agir.
59

lement ou fortement. 1 Il va de soi que, même dans le référentiel positiviste du systémisme,
certaines de ces dimensions présentent un caractère, au moins en partie, subjectif. Un concept
dérivé des analyses systémiques est celui des « effets de système ». Ceux-ci désignent, d’un
côté, les effets des actions du système dans son ensemble, par exemple celles de ses interac-
tions avec d’autres systèmes ou avec l’environnement (effets d’un système), à l’instar du pro-
cessus d’osmose entre un système « racine » et l’environnement « seuil » ; de l’autre, ils cor-
respondent aux effets des interactions des unités du système avec d’autres unités du même
système (effets dans un système), qui peuvent être exemplifiées par les interactions entre les
unités « arbres » dans le système « forêt ». Par définition, les effets de système sont non seu-
lement interdépendants, mais aussi non-linéaires. Les effets de système peuvent être cons-
tamment disproportionnés par rapport aux actions qui les ont déclenchés. En même temps, ils
ne dépendent pas de la seule action qui les a déclenchés, mais aussi des actions ou réactions
de toute autre unité du système. Les effets dans un système sont donc différents par rapport
aux effets en dehors d’un système, dans l’environnement, et ils peuvent être directs et indi-
rects, primaires et secondaires.
Souvent, nous distinguons entre nous, les sujets, les hommes, qui agissent, et les
autres, les objets, la « nature », qui subissent notre action. Mais, selon Jervis, dans un système,
cette distinction ne tient pas, parce qu’un jeu entre nous et la nature n’est jamais seulement un
« jeu » entre nous et la nature. 2 Par exemple, « les plantes et les animaux ne se limitent pas à
s’adapter à l’environnement : ils le changent ». 3 Si dans le système « nature » (l’écosystème),
1 Voir Jack L. Snyder et Robert Jervis (1993), Coping with complexity in the international system, Oxford, West-
view Press, p. 6-14.
2 Le concept de jeux contre la nature, critiqué par Jervis est un concept tiré de la théorie des jeux et, notamment,
de Christos H. Papadimitriou (1985), «Games against nature», Journal of Computer and System Sciences, vol.
31, n. 2, qui dépeint la nature comme un acteur qui agit par hasard. Jervis a souvent recours dans ses travaux à la
théorie des jeux, mais de manière discursive et non formelle.
3 Citation extraite de Robert Jervis et Jack L. Snyder (1993), «System and interaction effects», dans Coping with
complexity in the international system, Oxford, Westview Press, p. 38, je traduis.
60

les plantes et les animaux (la biosphère) s’adaptent à l’environnement, tout en le changeant,
nous ne pourrons jamais parler d’évolution, mais toujours de coévolution. Nous définissons
souvent la nature comme une force mystérieuse, parce qu’imprévisible pour nous, mais si la
nature est un système et si nos actions dans la nature impliquent des effets de système, elle
perd son caractère mystérieux et imprévisible et elle devient simplement un système avec des
effets de système non-linéaires et interdépendants, qui peut donc être connue à la façon gali-
léenne. On peut affirmer la même chose à propos des écorégions, en particulier en ce qui con-
cerne sa dimension écosystémique. Même si elle présente des éléments subjectifs, à l’instar de
son degré d’ouverture, l’analogie au système est encore fortement associée à une épistémolo-
gie positiviste, qui reste apte à interpréter des phénomènes plus physiques que sociaux.
La sociologie de Pierre Bourdieu a contribué à banaliser l’usage du concept de
« champ ». 1 L’analogie du champ met un accent tout particulier sur les éléments relationnels
qu’elle partage avec le concept de système. De toute façon, elle est utilisée d’une manière
moins déterministe, plus plurielle. 2 Dans cette analogie, un champ, comme le champ écono-
mique ou écologique, ou encore un sous-champ, comme une discipline universitaire ou le
Quai d’Orsay, bénéficie d’une autonomie relative par rapport aux autres champs. Ses agents,
comme les économistes ou les diplomates, peuvent se détacher des intérêts externes : ils sont
reconnus par leurs paires pour leur capacité de faire cela ; ils se distinguent en tant que profes-
sionnels ; ils jouent selon les règles internes au champ. Un champ doit donc remplir certaines
conditions afin d’exister et posséder certaines propriétés. Tous les champs sont délimités par
des limites, mais ils possèdent aussi un certain degré d’ouverture. Les activistes dans une
ONG, par exemple, ne sont pas isolés des idées provenant d’ailleurs. Sur la base de leur posi-
1 Voir Pierre Bourdieu (1992), Les règles de l’art: genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil; id.
(1994), Raisons pratiques: sur la théorie de l’action, Paris, Seuil.
2 Pour une critique des lectures excessivement « structurelles » de la sociologie bourdieusienne, voir Philippe
Corcuff (2003), Bourdieu autrement: fragilités d’un sociologue de combat, Paris, Textuel, qui souligne la dimen-
sion plurielle et antisystèmique par rapport au poids excessif donné aux classes sociales par les marxistes structu-
ralistes.
61

tion dans le champ, qui peut être aussi une « prise de position » ou bien encore une « disposi-
tion », les agents dominants s’opposent aux dominés. Ils peuvent donc occuper une position
de gardien de l’ordre établi ou bien être disposés dans ce sens. Ils peuvent aussi se positionner
en tant qu’éléments subversifs de cet ordre. Ces dispositions ou prédispositions résultent de
trajectoires historiques, qui permettent à un certain agent d’occuper une position particulière
dans l’espace pendant une période spécifique 1 ; ces dispositions sont aussi associées à
l’acceptation de ce qui est en jeu : le prestige universitaire, le développement économique, le
pouvoir militaire, la protection environnementale, etc. Il s’agit de valeurs symboliques, dans
le sens commun du terme, à partir duquel les règles du jeu sont dérivées et qui, dans un deu-
xième temps, deviennent quelque chose allant de soi. 2
Il est clair que le caractère intellectuellement plus modeste du concept de champ re-
flète la plus grande cautèle des sciences sociales, qui sont confrontées à des sujets réactifs et à
des comportements changeants. L’analogie du champ peut donc être utilisée comme outil cri-
tique, par exemple, par rapport à la dimension sociale d’une initiative écorégionale, à l’instar
d’un accord régional sur l’environnement. Des éléments des deux analogies – champ et sys-
tème – seront utilisés dans les analyses qui suivent, tout en gardant à l’esprit les différentes
positions épistémologiques derrière ces deux outils euristiques. Il serait tentant d’essayer une
approche intégrative, qui inclut les deux perspectives, mais le risque de verser dans une ap-
proche réductionniste est trop élevé. En essayant une théorie générale, qui intègre les aspects
sociaux et écologiques, on risque fort de manquer l’aporie critique du concept écorégional. On
préférera donc l’apprécier dans son ensemble contradictoire, dans le cadre de cette étude.
1 Ces dispositions spécifiques sont des expériences incarnées et coïncident avec un autre concept bourdieusien, à
savoir celui d’« habitus ». Pour un approfondissement ultérieur, voir directement Pierre Bourdieu (1972), Es-
quisse d’une théorie de la pratique précédée de trois études d’ethnologie, Genève, Droz, p. 282.
2 Ceux-ci sont liés au concept bourdieusien de « doxa » dans id. (1979), La distinction: critique sociale du juge-
ment, Paris, Éditions de Minuit, p. 549.
62

Entre taille et échelle
Dans la littérature politologique sur l’environnement, deux autres images récurrentes
sont celles de la taille et de l’échelle (en anglais : fit et scale). Les deux concepts ont été mis
en avant par le politologue américain Oran Young dans un ouvrage désormais classique intitu-
lé The institutional dimensions of environmental change. 1 L’image de « taille » renvoie à « la
(mauvaise) adéquation entre les propriétés des systèmes biogéophysiques et les attributs des
institutions ». 2 Young propose un catalogue des propriétés principales des écosystèmes : struc-
tures (complexité, homogénéité, interdépendance), processus (productivité, croissance, stabili-
sation, changement) et liens (conditions frontalières et interactions transfrontalières). Il essaie
ensuite des les coupler avec des propriétés génériques des institutions, en identifiant trois
sources principales de mauvaise adéquation : une connaissance imparfaite, des contraintes ins-
titutionnelles et la recherche de rente (rent seeking). Au sujet de la connaissance imparfaite, il
souligne le rôle des savoirs informels, de la simple ignorance, des fausses analogies ou encore
de l’incapacité à considérer des éléments clés et des mécanismes causaux. Du côté des con-
traintes institutionnelles, il identifie notamment les limites juridictionnelles, les politiques bu-
reaucratiques 3 et la dépendance au sentier en tant que sources de mauvaise adéquation. Fina-
lement, pour ce qui concerne la recherche de rente, il met en avant l’exploitation des res-
sources naturelles et la compétition entre factions politiques. Bien sûr, Young est conscient
1 Voir Oran R. Young (2002), The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale,
Cambridge, MA, MIT Press ; voir aussi l’ouvrage collectif Oran R. Young et al., éd. (2008), Institutions and
environmental change: principal findings, applications, and research frontiers, Cambridge, MA, MIT Press,
dédié notamment aux résultats des recherches qui ont suivi dans le cadre du projet scientifique Institutional Di-
mensions of Global Environmental Change (IDGEC). La traduction de fit avec « taille » est mienne.
2 Citation tirée de Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, p. xiv,
je traduis. Sur la taille voir les pp. 55-82, ainsi que le chapitre par Victor Galaz et al. (2008), «The problem of fit
among biophysical systems, environmental and resource regimes, and broader governance systems: insights and
emerging challenges», dans Institutions and environmental change: principal findings, applications, and re-
search frontiers, édité par Oran R. Young et al., Cambridge, MA, MIT Press.
3 Voir notamment Graham T. Allison (1971), Essence of decision: explaining the cuban missile crisis, Boston,
Little, Brown; id. (1969), «Conceptual models and the cuban missile crisis», American Political Science Review,
vol. 63, n. 3.
63

que la plupart de ces phénomènes se manifestent conjointement (par exemple, paradigmes
dominants et politiques bureaucratiques, rigidité cognitive et dépendance au sentier, etc.).
Dans son ouvrage, il insiste particulièrement sur la persistance de cette mauvaise adéquation,
en soulignant les limites de l’action collective 1 et les contraintes institutionnelles. Young pré-
sente différents exemples, qui montrent bien comment la taille de plusieurs politiques pu-
bliques n’est pas adéquate aux propriétés d’écosystèmes particuliers à cause, par exemple, de
leur manque de flexibilité, de leur applicabilité géographique limitée, etc.
Si des considérations sur la taille des interventions sont toujours nécessaires (quotas de
poisson pour l’année, numéro de soldats pour une mission, etc.), il est bien plus facile de les
faire a posteriori – afin d’évaluer, par exemple, une performance – qu’ex ante – pour des ana-
lyses coûts-bénéfices ou stratégiques. Puis, Young rappelle lui-même que « des propriétés im-
portantes des écosystèmes sont construites socialement » 2 : dans le cas de la définition du pé-
rimètre de la Convention des Carpates on a vu a quel point il est difficile non seulement de
trouver un accord politique, mais aussi d’arriver à une définition « scientifique » même dans
le cas apparemment banal d’un massif. 3 De plus, il faut considérer plus sérieusement la persis-
tance ou – pour utiliser un terme issu des sciences naturelles – la résilience des institutions
politiques elles-mêmes, qui ont été développées de manière « organique » avec leurs sociétés
et – j’oserais dire – leurs environnements respectifs au fil des siècles. Le temps a démontré
que la taille de certaines institutions – par exemple, la monarchie britannique, la démocratie
américaine ou la république française – est généralement appropriée aux sociétés qu’elles re-
présentent dans ce lapse spatio-temporel. Quand elles ont produit des politiques publiques qui
n’étaient pas adéquates, elles ont normalement été capables de les améliorer. Elles ne peuvent
1 Voir Mancur Olson (1971), The logic of collective action: public goods and the theory of groups, Cambridge,
Harvard University Press.
2 Passage tiré de Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, p. 59, je
traduis, qui cite Jasanoff et Wynne, «Science and decisionmaking».
3 Voir supra.
64

pas être excessivement inopportunes, sinon leurs peuples, avec leurs histoires respectives de
résistance à l’abus, les auraient renversées depuis longtemps ! Finalement, il faudrait prendre
avec beaucoup de précaution ce langage issu de la théorie darwinienne, comme si les institu-
tions étaient un animal en lutte pour la survie avec d’autres espèces, comme si elles étaient
assujetties à la sélection naturelle, à la loi du plus fort, du plus fit. 1 Sans incommoder Hobbes
ou Locke et leur théorie de la sortie de l’état de nature, il faut rappeler que les institutions
s’adressent souvent aux plus faibles en aillant expressément contre l’ordre naturel des choses.
L’équilibre, la « bonne » taille, entre les impératifs de l’écologie, les intérêts collectifs, la
force de la majorité, mais aussi les principes de justice, les droits individuels et la protection
des plus vulnérables est au centre de la pratique ordinaire des gouvernements, des parlements
et des juges. A ce propos, Young rappelle justement qu’« il n’y a pas de taille unique ». 2
En ce moment, « échelle » est probablement le terme le plus à la mode dans la sous-
discipline des relations internationales de l’environnement, notamment pour ceux avec une
formation de géographe. On observe facilement le véritable plaisir avec lequel les spécialistes
prononcent ce mot issu de la cartographie. Après des années de crise profonde d’une disci-
pline qui était souvent considérée comme trop descriptive, on comprend bien cette opportunité
de sortir du rôle marginal auquel elle avait été reléguée parmi les autres sciences. Objet de
maintes thèses et publications pendant les dernières décennies, elle redonne une raison d’être
à la discipline en même temps que la cartographie digitale (SIG) se banalise et que l’analyse
spatiale à l’appui des outils informatiques se développe. 3 S’agit-il du dernier engouement de
1 Pour une perspective organiciste sur les institutions, voir l’ouvrage récent par Virginie Tournay (2009), Vie et
mort des agencements sociaux: de l’origine des institutions, Paris, Presses Universitaires de France.
2 Citation tirée de Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, p. 55,
je traduis.
33 Lire, par exemple, Adam Moore (2008), «Rethinking scale as a geographical category: from analysis to prac-
tice», Progress in Human Geography, vol. 32, n. 2, Roderick P. Neumann (2009), «Political ecology: theorizing
scale», Progress in Human Geography, vol. 33, n. 3, Liliana B. Andonova et Ronald B. Mitchell (2010), «The
rescaling of global environmental politics», Annual Review of Environment and Resources, vol. 35 et encore
65

cette petite communauté savante ? On peut supposer que l’usage du SIG – par exemple, le site
internet Yahoo! Maps, le logiciel gratuit Google Earth, le paquet ESRI ArcGIS, etc. – a cer-
tainement facilité la compréhension du fait que le type et la quantité des éléments qu’on peut
représenter sur une carte dépend grandement de l’échelle aussi par les non spécialistes, tout en
contribuant à concentrer l’attention des géographes sur le concept. La qualité de la représenta-
tion cartographique peut certainement améliorer la lisibilité, mais il y a des limites physiques
et matérielles à la vision de nos yeux, à la dimension et à la résolution de nos écrans et de nos
supports en général, etc. Le choix d’une échelle sur une autre détermine souvent ce qu’on peut
représenter et donc notre lecture géographique de l’espace et la construction savante de nos
territoires. Ce choix peut être délibéré ou inconscient. Chez les sociologues, des effets compa-
rables ont été produits par l’introduction de logiciels d’analyse des réseaux sociaux (social
network analysis) à l’instar d’UCINET. 1
L’usage que fait Young du concept d’échelle est tout à fait singulier : l’échelle concer-
nerait la possibilité du transfert d’expérience et l’applicabilité de la connaissance de microsys-
tèmes locaux (relativement simples) aux macrosystèmes régionaux ou mondiaux (avec une
complexité croissante) et vice-versa, ce qu’en anglais on appelle respectivement scaling up et
scaling down. 2 Les dynamiques à l’échelle locale sont clairement différentes de celles à
l’échelle mondiale : la gestion d’une déchetterie ou l’activité d’un conseil communal sont des
activités d’un autre ordre par rapport au changement climatique et aux relations internatio-
nales. De plus, les politiques aux échelles supérieures ne sont pas la simple somme des poli-
Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, p. 139-162, ainsi que
Thomas Gehring et Sebastian Oberthür (2008), «Global change: analyzing scale and scaling in environmental
governance», dans Institutions and environmental change: principal findings, applications, and research fron-
tiers, édité par Oran R. Young et al., Cambridge, MA, MIT Press ; voir aussi le projet européen Transformation
of Global Environmental Governance (COST Action IS0802, 2008-2012).
1 Voir Stanley Wasserman et Katherine Faust (1994), Social network analysis: methods and applications, Cam-
bridge, Cambridge University Press. Un remerciement tout particulier à Jörg Balsiger pour cette référence.
2 Voir Young, The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and scale, p. 139-140.
66

tiques aux échelles inferieures. La même chose vaut pour les écosystèmes, qui présentent sou-
vent des traits chaotiques et non-linéaires. Selon Young, le passage de la micro à la macro-
échelle interagirait donc avec la mauvaise adéquation entre écosystèmes et institutions, en ou-
vrant à la possibilité d’un rééchelonnement institutionnel (rescaling) qui serait vertical – entre
les différentes spatialités (locale, régionale, mondiale, etc.) et horizontal – entre les différents
secteurs (écologie, pêche, santé, etc.). Il s’agirait donc d’une mouvance de type épistémique.
Dans un article récent, Liliana Andonova et Ronald Mitchell font bien émerger la cible
de ce rééchelonnement : pour ce qui concerne la plupart des questions écologiques, l’état-
nation ne serait pas adapté aux exigences des différents écosystèmes. 1 Cette thèse serait dé-
montrée par le rééchelonnement vertical auquel on assiste avec le passage de maintes fonc-
tions de l’état central aux collectivités territoriales et aux organismes internationaux et par le
rééchelonnement horizontal avec l’avancée des politiques intersectorielles et transrégionales.
Mais s’agit-il d’une conséquence de la tentative de combler la mauvaise adéquation des insti-
tutions existantes aux propriétés écosystémiques ou, par exemple, avec Keating, de la conver-
gence de pressions fonctionnelles sur les institutions nationales, qui seraient surchargées par
l’état-providence et de mobilisations autres que celles de la recherche d’émancipation poli-
tique ? 2 Puis, quel ordre politique suivrait au dépassement et à la disparition de l’état-nation,
sinon un patchwork d’agencements aux différentes échelles sans véritable structuration ? On
assisterait à un véritable retour à une condition néomédiévale ou bien à un passage à la post-
modernité. 3 Or, la résilience de ces configurations reste encore à démontrer. Reconnaître et
interpréter ces transitions figure certainement parmi les grands défis de la science politique
d’aujourd’hui.
1 Voir Andonova et Mitchell, «The rescaling of global environmental politics».
2 Voir supra.
3 Pour une perspective sur le néomédiévalisme, voir notamment les contributions de l’école anglaise de relations
internationales à commencer par Bull, The anarchical society: a study of order in world politics, Hurrell, «Re-
gionalism in theoretical perspective», p. 45 et Gamble, «Regional blocs, world order and the new medievalism» ;
voir aussi supra.
67

Or, de ce point de vue, l’image de l’échelle serait réduite à une conjugaison spatiale de
la théorie des niveaux décisionnels, ce qui représenterait toutefois un ajout significatif aux ap-
proches dominantes (hiérarchies, réseaux, etc.). 1 Cependant, on retrouve dans l’image de
l’échelle un autre élément de réflexion important, qui concerne la perspective de l’observateur
et qui regarde la détermination des éléments significatifs dans une analyse, y compris le ca-
drage, et les limites de notre perception et, par conséquent, d’un point de vue kantien, de notre
compréhension. De ce côté, le concept d’échelle serait plus proche des théories des nivaux
d’analyse. 2 Le niveau d’analyse dominant en relations internationales – co-produit bien sûr
dans un contexte de rapports de force 3 – est sans doute celui de l’état, particulièrement du
gouvernement. 4 La problématique serait alors celle de déterminer si le rééchelonnement verti-
cal et horizontal constaté, par exemple, par Andonova et Mitchell – mais aussi par toute la lit-
térature récente sur le rôle croissant des organisations internationales, des ONG, des sociétés
multinationales, des communautés épistémiques, etc. – porterait à un déplacement du niveau
d’analyse dominant ou encore du système de référence tel qu’on puisse observer un change-
ment de paradigme. 5
1 Sur les niveaux décisionnels et la gouvernance multi-niveau (multilevel governance), voir Robert D. Putnam
(1988), «Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games», International Organization, vol. 42, n.
3; H. Evans et al. (1993), Double-edged diplomacy: international bargaining and domestic politics, Berkeley,
CA, University of California Press et, entre autres, Simona Piattoni (2010), The theory of multi-level governance:
conceptual, empirical, and normative challenges, Oxford, Oxford University Press.
2 Voir l’article classique par J. David Singer (1961), «The levels of analysis problem in international relations»,
World Politics, vol. 14, n. 1.
3 Voir encore Jasanoff et Wynne, «Science and decisionmaking».
4 Voir l’ouvrage classique par Waltz, Theory of international politics.
5 Sur les paradigmes scientifiques, voir Thomas S. Kuhn (1996), The structure of scientific revolutions, 3 e éd.,
Chicago, University of Chicago Press et Imre Lakatos et Alan Musgrave (1965), «Criticism and the growth of
knowledge», communication presentée à la International Colloquium in the Philosophy of Science, 1970 ; sur les
paradigmes en relations internationales, voir John A. Vasquez (1997), «The realist paradigm and degenerative
versus progressive research», American Political Science Review, vol. 91, n. 4; Colin Elman et Miriam Fendius
Elman (1997), «Lakatos and neorealism: a reply to Vasquez», American Political Science Review, vol. 91, n. 4,
68

Michel Foucault suggère que l’invention de la perspective monofocale pour la repré-
sentation d’images tridimensionnelles au 15 e siècle a joué un rôle déterminant dans le proces-
sus de capitalisation de l’état moderne. 1 L’invention de Google Earth ou d’UCINET et
l’image de l’échelle assureront-elles un rôle pareil au 21 e siècle ? La démonstration systéma-
tique des effets du changement d’échelle, par exemple, entre les politiques urbaines et les po-
litiques climatiques 2 , un peu comme cela a été fait dans les années 60 pour les niveaux
d’analyse et les boîtes à outils théoriques 3 , aurait l’effet de relativiser ultérieurement les pers-
pectives statocentriques. Il faut rappeler, toutefois, qu’à la perspective il faut ajouter la ques-
tion de la (mauvaise) perception avec sa dimension objective (œil, sens, etc.) et intersubjective
(compréhension, représentation, etc.). 4 En même temps, une révolution épistémique de ce type
serait toujours co-produite dans un contexte de rapports de force entre état central et d’autres
puissances et on ne peut pas exclure que la réalisation de cette transformation ne soit couplée
avec un bouleversement de ces rapports, à savoir d’une révolution matérielle ou, a la limite,
des catastrophes naturelles. 5 Or, excepté quelques phénomènes marginaux, dans les révolu-
tions et les catastrophes d’aujourd’hui, de la Tunisie au Japon, on ne perçoit aucune trace de
ainsi qu’Antonio Papisca et Marco Mascia (2004), Le relazioni internazionali nell’era dell’interdipendenza e dei
diritti umani, 3 e éd., Padova, CEDAM.
1 Se référer à Michel Foucault (2004), Naissance de la biopolitique: cours au collège de France (1978-1979),
Paris, Gallimard; id. (2004), Sécurité, territoire, population: cours au Collège de France (1977-1978), Paris,
Seuil. Sur le processus de capitalisation, voir l’article par Jon Marco Church et Nicolas Maisetti (2011), «On the
sustainability of urban institutional dynamics: capitalization, decentralization, and the case of two Alpine cities»,
Environnement Urbain / Urban Environment, n. 5, p. 24-37.
2 Sur l’arbitrage entre politiques urbaines et politiques climatiques, voir François Mancebo (2006), «Katrina et la
Nouvelle-Orléans: entre risque naturel et aménagement par l’absurde», Cybergeo, vol. 353; id. (2007), «Le déve-
loppement durable en questions», Cybergeo, vol. 404.
3 Voir, par exemple, Allison, Essence of decision: explaining the cuban missile crisis; id., «Conceptual models
and the cuban missile crisis» et encore Singer, «The levels of analysis problem in international relations».
4 Voir l’ouvrage classique par Robert Jervis (1976), Perception and misperception in international politics, Prin-
ceton, NJ, Princeton University Press.
5 Voir la perspective marxiste d’Henri Lefebvre dans Neil Brenner et Stuart Elden (2009), «Henri Lefebvre on
state, space, territory», International Political Sociology, vol. 3, n. 4; Henri Lefebvre (1974), La production de
l’espace, Paris, Éditions Anthropos.
69

ééchelonnement vertical ou horizontal : tout au contraire, on observe un retour en force de
l’état comme locus central de la vie politique et comme remède contre la brutalité de la nature,
sans compter celle des marchés financiers. 1
Une perspective historique
L’écorégionalisme n’étant pas un phénomène nouveau, une perspective historique peut
aider à mieux le comprendre. Dans cette partie, on étudiera ce qui est connu comme le proces-
sus d’« écorégionalisation », en esquissant ses événements marquants. Cette reconstruction
repose sur des sources primaires, en particulier sur une enquête compréhensive des accords
régionaux sur l’environnement, vu que la littérature secondaire est clairsemée et fragmentée. 2
En fait, il y a des contributions sur l’histoire des commissions fluviales conjointes ou des ac-
cords régionaux maritimes, en particulier sur chaque processus, mais une histoire approfondie
des accords écorégionaux fait défaut. 3 Par souci de clarté, la perspective proposée inclut seu-
lement les accords internationaux obligatoires, en ignorant des phénomènes comme les pro-
cessus volontaires (à l’instar des forums, des réseaux, etc.) ou les initiatives écorégionales au
niveau subnational (par exemple, la Commission régionale des Appalaches, l’Office de l’eau
et de la forêt de la Sierra Nevada, etc.). 4 De plus, pour une question d’ordre, les accords sont
réunis selon le type d’écorégion (fleuves, lacs, mers et montagnes). Ceci permet de rendre la
1 Voir, par exemple, la lecture critique du retour de l’état américain par Anne-Laure Beaussier (2009), «Le retour
de l’Etat américain et la montée du conservatisme», Revue française de science politique, vol. 59, n. 1.
2 L’enquête repose sur l’information disponible dans la base de données de United Nations Treaty Series, sur le
site internet du PNUE et sur plusieurs autres sites internet. Le catalogue des accords identifiés est reproduit dans
le tableau infra. Le tableau représente une synopsis des résultats de l’enquête, tandis que le graphique infra
montre la progression du nombre d’accords régionaux sur l’environnement au fil des années.
3 Malheureusement, l’article par Jörg Balsiger et Stacy D. VanDeever (2010), «Regional governance and envi-
ronmental problems», dans International studies encyclopedia online, édité par Robert A. Denemark, Oxford,
Blackwell Reference Online, bien qu’il présente un grand panoramique de la littérature pertinente, ne contient
pas d’analyse historique du processus d’écorégionalisation.
4 De plus, les accords généraux sur la coopération transfrontalière, par exemple, sur la gestion de l’eau entre deux
pays ou plus ne sont pas pris en considération (par exemple, la Convention hydrotechnique entre Hongrie et
Roumanie, etc.), excepté s’ils correspondent à une écorégion spécifique (par exemple, un fleuve, une mer, etc.).
70

démarche gérable, sans affecter les résultats de manière substantielle, comme cela deviendra
évident d’ici la fin de cette étude panoramique.
Fleuves
1816 Rhin
1865 Danube
1927 Kura-Araks
1948 Souris-Rouge
1950 Helmand
1953 Yarmouk
1957 Mékong
1960 Ems-Dollart
1960 Indus
1964 Niger
1967 Nil
1970 Liptako-Gourma
1972 Feni
1972 Karnaphuli
1972 Sénégal
1973 Coruh
1973 Mano
1977 Kagera
1978 Amazone
1978 Fly
1978 Gambie
1979 Paraná-Paraguay
1980 Tigre-Euphrate
1983 Limpopo
1990 Elbe
1991 Drave-Mur
1991 Okavango
1993 Komati
1994 Amour-Oussouri
1994 Dniester
1994 Jourdain
1994 Meuse-Escaut
1994 Orontes-Cébir
1995 Pilcomayo
1995 Syr-Daria – Amu-Daria
1996 Congo-Nil
1996 Mahakali
1996 Tumen
1998 Syr-Daria
1999 Oder
71
2000 Chu-Talas
2000 Orange
2001 Save
2003 Inn
2003 Prout
Lacs
1955 Ganrds-Lacs
1957 Titicaca-Poopó
1961 Constance
1962 Genève
1964 Tchad
1974 Itaipu
1991 Aral
1991 Saimaa-Vuoksi
1994 Peïpous-Tyoploïe-Pskov
1997 Peïpous
2007 Dostluk
Mers
1974 Helsinki (Baltique)
1976 Barcelone (Méditerranée)
1978 Kuwait (Golfe)
1980 Antarctique
1981 Lima (Pacifique sud-oriental)
1981 Abidjan (Afrique centre-orientale)
1981 Plan d’action (Asie de l’Est)
1982 Djeddah (Rouge-Aden)
1983 Cartagena (Caraïbe)
1985 Nairobi (Afrique orientale)
1986 Nouméa (Pacifique méridional)
1992 Bucarest (Noir)
1992 OSPAR (Atlantique nord-oriental)
1994 Plan d’action (Pacifique nord-occidental)
1995 Plan d’action (Asie du Sud)
2002 Antigua (Caraïbe oriental)
2003 Téhéran (Caspienne)
Montagne
1991 Alpes
2003 Carpates
Tableau 1 : Catalogue des accords internationaux écorégionaux obligatoires par typologie (1816-2006).
Les bassins fluviaux sont certainement à l’origine des organisations internationales
contemporaines, avec la création, en 1816, à la fin des guerres napoléoniennes, de la Commis-
sion centrale pour la navigation du Rhin (CCNR). Le Danube a suivi quelques décennies plus
tard quand, en 1856, à la fin de la Guerre de Crimée, l’actuelle Commission internationale
pour la protection du Danube (ICPDR) à été institutionnalisée à travers une commission spé-

ciale pour le Delta du Danube, qui a été créée en 1918, à la clôture cette fois-ci de la Première
guerre mondiale. Quand ils ne traversent pas plusieurs pays, ce qui se passe souvent, les
fleuves principaux sont fréquemment utilisés comme des frontières naturelles 1 ; ils représen-
tent des sources fondamentales d’eau douce, avec la pollution qui coule des pays en amont à
ceux qui descendent le courant ; ils constituent aussi des axes importants pour les transports,
comme routes ou en tant qu’entrave au passage (pourtant on a les ponts, les digues, etc.). Les
bassins fluviaux sont donc une question stratégique pour chaque état et leur gestion est une
affaire de sécurité vitale. Pour cette raison, il n’est pas surprenant de voir que les premières
formes d’organisation internationale ont suivi la fin de guerres importantes et que celles-ci ont
concerné des fleuves. Si la coopération institutionnalisée est perçue comme une manière de
substituer le conflit occasionnel avec un dialogue permanent, la gestion conjointe des bassins
fluviaux a représenté une occasion pour encourager les parties dans cette pratique. Dans les
siècles précédents, une puissance en amont pouvait être la cause d’une guerre, si elle bloquait
ou polluait l’eau descendant dans le territoire d’un état voisin ; aujourd’hui, par contre, les
états sont plus amènes à souscrire à une convention-cadre, à créer une commission fluviale,
afin d’arriver à une solution technique au niveau écorégional, ou encore à avoir recours à
l’arbitrage international. 2 Malgré la peur occasionnelle de « guerres » pour l’eau, depuis que
la diplomatie prévaut comme la méthode partagée pour résoudre les disputes sur les cours
d’eau, aucun conflit proprement dit pour l’eau ne s’est encore matérialisé ou n’émerge à
l’horizon. Depuis le début du 20 e siècle, des commissions conjointes sur les fleuves, les lacs,
les « eaux douces » en général ont été créées même en dehors de l’Europe et représentent
maintenant une forme commune de coopération institutionnelle. En 2006, l’année de base
pour notre enquête, cinquante-sept accords fluviaux ou lacustres de ce type ont été identifiés
1 Voir supra.
2 Comme dans le cas de la digue de Gabčíkovo-Nagymaros entre la Hongrie et la Slovaquie, décidé par la Cour
internationale et de la justice en 1997, ou dans celui de la dispute récente entre l’Argentine et l’Uruguay à propos
d’une usine de pâte à papier.
72

sur chaque continent, laissant peu de fleuves majeurs sans leur propre commission. Depuis la
fin de la Deuxième guerre mondiale, le nombre d’accords a augmenté constamment, jusqu’à
atteindre leur plus haut niveau dans les années 70 et 90, selon une tendance commune à
d’autres types d’écorégion.
Les accords régionaux sur les mers sont moins nombreux que les commissions con-
jointes sur les fleuves et ont été développés beaucoup plus tard. Bien que, pendant plusieurs
siècles, des puissances différentes, à l’instar de la République de Venise, ont réclamé leur do-
mination sur des parties diverses de la mer, par exemple la Mer Adriatique, comme si elles
étaient leur propre territoire 1 , et bien qu’une Convention des Nations unies sur le droit de la
mer (qui s’intéresse principalement aux droits d’usage et de passage) aient été négociés depuis
les années 50 au moins, ce n’est qu’en 1974 et en 1976 respectivement, que les deux premiers
accords maritimes – la Convention d’Helsinki sur la protection de la Mer Baltique et la Con-
vention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée contre la pollution – ont été si-
gnés. Les conventions d’Helsinki et de Barcelone représentent deux bornes dans l’histoire des
accords régionaux sur l’environnement, car les questions environnementales y sont directe-
ment adressées pour la première fois, en particulier la pollution marine et l’observation inter-
nationale. 2 En fait, les accords précédants ne possédaient pas le caractère distinctement envi-
ronnemental de ces derniers. Un rôle fondamental, dans ce sens, à été joué par la Conférence
de Stockholm sur l’environnement humain de 1972, qui a été la première de ce type et qui a
conduit à la création du PNUE, basé à Nairobi. En ligne avec l’écologisme de la contreculture
des années 70, le PNUE a joué le rôle de catalyseur pour l’écorégionalisme, en créant un
1 Voir, en particulier, les écrits de Paolo Sarpi et le débat classique, qui tournait autour des questions commer-
ciales, entre les partisans du mare claustrum (Selden) et ceux du mare liberum (Grotius).
2 Sur la Convention d’Helsinki, voir également VanDeever, «Ordering environments: regions in European inter-
national environment cooperation», tandis que sur la Convention de Barcelone, voir Haas, Saving the Mediterra-
nean: the politics of international environmental cooperation, y compris sur le rôle de l’observation internatio-
nale et des « communautés épistémiques » dans Peter M. Haas (1992), «Introduction: epistemic communities and
international policy coordination», International Organization, vol. 46, n. 1.
73

« Programme régional des mers » déjà en 1974. Le succès de ce programme à été immédiat,
en conduisant à la conclusion de dix-sept conventions régionales sur la mer partout dans le
monde avant 2003. 1 Cependant, ce succès n’a pas été sans conséquences : les douze premiers
accords ont été finalisés dans une période de douze ans seulement ; des critiques soutiennent
que le PNUE a abusé de son rôle, en imposant des traités préfabriqués, qui n’avaient pas été
pleinement négociés par les parties concernées, et en utilisant ces conventions comme une op-
portunité pour organiser des conférences, acquérir de la visibilité, attirer des donateurs et re-
cueillir des fonds (qui étaient limités) ; certains de ces critiques accusent Mostafa Tolba – le
charismatique Directeur exécutif du PNUE entre 1976 et 1992 – pour son rôle dans le déve-
loppement du programme, en observant que seulement quatre conventions ont été finalisées
après la fin de son mandat. Comme si beaucoup de mers étaient restées sans conventions ! 2
Un développement récent et anomal concerne les chaînes de montagne, un type majeur
d’écorégion où des conventions spécifiques manquent encore dans la plupart des cas. Comme
les fleuves, les lacs et les mers, la montagne joue un rôle stratégique dans la défense du terri-
toire de plusieurs nations, en coïncidant souvent avec des frontières historiques et avec des
réservoirs d’eau douce, de biodiversité et de vie sauvage ; or, contrairement à d’autres types
d’écorégion, la montagne est normalement habitée, représentant toujours une partie intégrante
du territoire d’un pays. Bien qu’on n’habite que le long un fleuve ou d’une côte, on habite
dans les régions de montagne. Aujourd’hui, même les pics les plus hauts ont été conquis pas
1 Les termes « traité », « accord » et « convention » sont des synonymes et peuvent être utilisés indifféremment.
L’usage du terme « convention » est toutefois particulièrement commun dans le cas des accords régionaux sur
l’environnement.
2 Ces observations reposent sur des conversations privées, tenues entre 2008 et 2009, avec des officiers supé-
rieurs de l’ONU, qui ont participé aux efforts du PNUE et qui ont partagé leurs expériences sous condition
d’anonymat. Des commentaires similaires peuvent être trouvés dans Haas, Saving the Mediterranean: the poli-
tics of international environmental cooperation.
74

l’humanité. 1 Tandis qu’habiter « en amont » représente un défi qui peut stimuler l’ingénuité
humaine 2 , les communautés montagnardes ont souvent été perçues comme défavorisées et
sous-développées. 3 Partout dans le monde, les niveaux de pauvreté sont systématiquement
plus élevés dans les régions de montagne que dans les plaines adjacentes. Paradoxalement, la
périphéricité de la montagne a souvent maintenu ces écorégions au sommet de l’agenda poli-
tique en ce qui concerne la sécurité nationale et, en même temps, au fond quand elles sont
considérées, en les regardant des plaines, aux marges du développement social et économique.
Cependant, au début des années 90, l’écorégionalisme est aussi arrivé dans les zones de mon-
tagne, coïncidant avec une nouvelle vague ou new age de préoccupation pour
l’environnement. Le premier accord régional sur la montagne – la Convention pour la protec-
tion des Alpes (Convention alpine) – a été finalisé en 1991. 4 Contrairement au processus
1 A ce propos, voir les pages fascinantes par Gian Piero Motti (1993), Storia dell’alpinismo, 2 e éd., Torino, Vi-
valda, et Luigi Zanzi (2004), Le Alpi nella storia d’Europa: ambienti, popoli, situazioni e forme di civiltà del
mondo “alpino” da passato a futuro, Torino, CDA-Vivalda. On ne peut pas encore affirmer la même chose pour
ce qui concerne les profondeurs des océans.
2 Voir aussi la perspective anthropologique par Viazzo, Upland communities: environment, population and so-
cial structure in the Alps since the sixteenth century, qui critique fortement la lecture d’un village alpin comme
un système fermé par Robert M. Netting (1981), Balancing on an Alp: ecological change and continuity in a
Swiss mountain community, Cambridge, Cambridge University Press, en démontrant inter alia la contribution
remarquable des localités de montagne à la culture « haute ».
3 Dans un passage célèbre, Fernand Braudel condamnait les régions de montagne à être « un monde à l’écart des
civilisations, création des villes et des bas pays. Son histoire, c’est de n’en point avoir, de rester en marge des
grands courants civilisateurs qui cependant passent avec lenteur » (citation tirée de Fernand Braudel (1949), Mé-
diterranée à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, p. 12). Paradoxalement, les montagnes et les sommets
des collines ont servi de refuge face à l’absence de sécurité et de santé des plaines, comme cela est attesté par les
villages historiques en Europe, au moins jusqu’au début de l’âge moderne.
4 Pour une introduction à la Convention alpine, voir, en particulier, Martin F. Price (2000), «The Alpine Conven-
tion: a model for other regions?», Mountain Research and Development, vol. 20, n. 2; Price, «Towards coopera-
tion across mountain frontiers: the Alpine Convention», ainsi que les différentes publications par son Secretariat
permanent (2003), Convention alpine, 1 e éd., Innsbruck, Secrétariat permanent; id. (2004), La Convention alpine
se concrétise: objectifs et mise en œuvre, Innsbruck, Secrétariat permanent, ainsi que les diverses contributions
par les délégations nationales : Vesna Kolar-Planinsic, éd. (1998), The Alpine Convention in Slovenia, Ljubljana,
Ministry of the Environment and Physical Planning; Paolo Angelini et al., éd. (2006), La Convenzione delle Al-
pi: politiche, leggi e misure di attuazione in Italia, Bolzano, EURAC; CIPRA France, éd. (2008), La Convention
75

d’écorégionalisation marin, le PNUE n’a toutefois joué qu’un rôle marginal pour la Conven-
tion alpine, qui a été développée principalement entre les niveaux nationaux et européens. La
signature de la Convention alpine a généré un certain enthousiasme lors de la Conférence des
Nations unies sur l’environnement et le développement de 1992 à Rio (Sommet de la Terre),
qui a conduit à l’inclusion d’un chapitre spécifique sur la montagne dans l’Agenda 21. 1 Ce-
pendant, l’élan a été partiellement perdu, vu aussi que le processus de ratification de la con-
vention cadre et de ses protocoles de mise en œuvre a avancé lentement. 2
Une deuxième borne pour le processus d’écorégionalisation montagnard est représen-
tée par la décision de l’Assemblée générale de l’ONU de déclarer 2002 « Année internationale
de la montagne ». 3 Ceci a rendu le processus visible et, vu l’absence d’initiative du côté du
alpine: un nouveau droit pour la montagne?, Grenoble, CIPRA France; Ewald Galle, éd. (2007), Die Alpenkon-
vention, Handbuch für ihre Umsetzung: Rahmenbedingungen, Leitlinien und Vorschläge für die Praxis zur recht-
lichen Umsetzung der Alpenkonvention und ihrer Durchführungsprotokolle, Wien, Bundesministerium für Land-
und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft; CIPRA Deutschland, éd. (2008), Leitfaden zur Umsetzung
der Bestimmungen der Alpenkonvention in Deutschland, Berlin, Erich Schmidt Verlag. Sur le design de la con-
vention and pour des réflexions comparatives avec la coopération dans la Méditerranée, voir Jon Marco Church
(2009), «Saving the Alps? On the politics of regional environmental initiatives in Europe», communication pre-
sentée à la International Studies Association annual conference, New York, 17 Février; id. (2009), «On the de-
sign of regional environmental agreements in Europe: the case of the Alpine Convention», communication pre-
sentée à la International Studies Association annual conference, New York, 17 Février, ainsi qu’infra.
1 « Gestion des écosystèmes fragiles : mise en valeur durable des montagnes » (Chapitre 13).
2 En suivant un schéma qui est extrêmement fréquent dans les accords multilatéraux sur l’environnement, à
l’instar de la Convention de Barcelone de 1976 et de son Protocole d’Athènes sur la protection de la mer médi-
terranée contre les pollutions d’origine tellurique de 1980, la Convention-cadre des Nations unies sur le change-
ment climatique de 1992 et son Protocole de Kyōto de 1997 ou la Convention sur la diversité biologique de 1992
et son Protocole de Cartagena sur la biosécurité de 2000.
3 Document A/RES/53/24 du 19 novembre 1998. L’Année internationale de la montagne a été accompagnée par
une montée d’intérêt pour les régions de montagne, notamment chez les juristes internationaux Tullio Treves et
al., éd. (2004), Sustainable Development of Mountain Areas, Milano, Giuffré; id., éd. (2002), International law
and the protection of mountain areas, Milano, Giuffré; Annie Villeneuve et al. (2002), Mountains and the law:
emerging trends, Rome, FAO.
76

PNUE, qui n’avait pas procédé à la création d’un « Programme régional sur la montagne » 1 ,
ceci a conduit au lancement, lors du Sommet mondial sur le développement durable de Johan-
nesburg de la même année, du Partenariat international pour la montagne (Partenariat pour la
montagne), une alliance de gouvernements, organisations internationales, ONG et du secteur
privé (ni un accord obligatoire, ni une agence, un programme ou un fond de l’ONU). Cette
initiative a été suivie immédiatement par la finalisation, en 2003, d’un deuxième accord ré-
gional sur la montagne : la Convention pour la protection et le développement durable de la
région des Monts Carpates (Convention des Carpates), la réalisation concrète la plus récente
du processus d’écorégionalisation en cours. 2 Le PNUE a participé activement depuis le début
à cette finalisation, en accueillant aujourd’hui le Secrétariat ad interim de la convention. Le
PNUE est en train de soutenir le développement de conventions dans d’autres régions de mon-
tagne, à l’instar des Balkans et du Caucase, qui se trouvent à un stade avancé de négociations,
mais qui présentent des zones qui ont été récemment exposées à des conflits militaires, qui
représentent un obstacle indéniable (par exemple, la Bosnie, le Kosovo, le Nagorno-Karabakh,
Ossétie méridionale, etc.). Curieusement, le PNUE fait cela plus dans sa capacité de Centre de
référence régional pour l’environnement du Secrétariat du partenariat pour la montagne que
comme un programme pilote du PNUE. Ceci signale un changement dans le rôle du PNUE
vis-à-vis des accords régionaux sur l’environnement en général. Depuis le départ de Tolba,
l’exemple des bassins fluviaux et de la Convention alpine, qui ont été développés indépen-
damment, démontre le potentiel des initiatives écorégionales même en dehors du PNUE. Dans
1 La référence à un Programme sur la montagne dans UNEP/WCMC, Mountain watch: environmental change
and sustainable development in mountains est incorrecte. Voir aussi la réponse de Harald Egerer du PNUE à la
question de Clara Nobbe, postée sur le site internet Ask Today’s Espert du PNUE le 28 février 2008.
2 Pour la documentation relative, voir Jon Marco Church, éd. (2008), A collection on the Carpathian Convention,
2 e éd., Bolzano, Italian Ministry for the Environment - EURAC, ainsi que le manuel du REC (2007), «Handbook
on the Carpathian Convention», Szentendre, REC - EURAC. Pour une comparaison des conventions alpine et
carpatique, voir l’ouvrage édité par Balázs Majtényi et Gianfranco Tamburelli, éd. (2009), Sustainable develop-
ment and transboundary co-operation in mountain regions: the Alpine and the Carpathian Conventions, Budap-
est, L’Harmattan.
77

les régions de montagne, des conventions spécifiques sont généralement absentes et le poten-
tiel pour de nouvelles initiatives est assez grand.
Tableau 2 : Une synopsis du processus d’écorégionalisation (établie par nous-mêmes).
Figure 8 : Le nombre d’accords internationaux obligatoires par type d’écorégion.
Donc, à l’époque de notre enquête, un total de soixante-quinze accords régionaux sur
l’environnement a pu être identifié. Bien sûr, certaines conventions ont été oubliées et cer-
taines ne sont plus opérantes ; certains accords sont très actifs, tandis que certains sont proba-
78

lement dormants. 1 Il est aussi clair que certaines conventions, particulièrement celles qui
précédent les années 70, ont très peu à voir avec le mouvement écorégional et
l’écorégionalisme comme idéologie, en étant plus liés à des préoccupations sécuritaires, éco-
nomiques ou techniques. Cependant, il est clair que ces conventions représentent une foule
dense d’accords internationaux sur les questions environnementales. Un autre aspect qui
émerge de cette étude panoramique est la croissance étonnante du nombre d’accords, qui nous
permet d’identifier deux tournants, qui s’inscrit dans la même lignée que celle de la littérature
sur les relations internationales sur l’environnement 2 : les années 70 et la Convention de
Stockholm et les années 90 avec la fin de la Guerre froide et le Sommet de la Terre. Un autre
1 Pour une base de données presque complète sur les accords internationaux sur l’environnement, voir Ronald B.
Mitchell, «International Environmental Agreements (IEA) Database Project», University of Oregon,
http://iea.uoregon.edu/, dernier accès: 18 juillet 2011. De plus, même si cela dépasse la portée de ce texte, beau-
coup de ces conventions produisent ou inspirent des études régionales sur l’environnement, à l’instar de Conven-
tion alpine (2006-2011), «Rapport sur l’état des Alpes», Innsbruck-Bolzano ou de UNEP (2007), «Carpathians
environment outlook», Genève, UNEP, Division of Early Warning and Assessment, qui pourraient être utilisées
afin d’évaluer leur impact sur la société et sur l’environnement. En 2008, le Conseil d’administration du PNUE a
opportunément demandé un étude panoramique des études régionales sur l’environnement au niveau national,
régional et mondial. Deux rapports ont été présentés par le Directeur exécutif en 2009 (documents
UNEP/GC.25/INF/12 et UNEP/GC.25/INF/12/Add.1). Les études sur lesquelles reposent les rapports sont dis-
ponibles sur le site internet d’UNEP/PEARL. Je suis immensément reconnaissant à Arthur Dahl de m’avoir per-
mis de prendre connaissance de ce processus. D’autres documents qui peuvent être utiles à ce propos sont les
résultats des procédures de vérification, à l’instar du premier rapport du Comité de vérification de la Convention
alpine (document X/B2, 2009). Sur l’efficacité des accords internationaux sur l’environnement, voir Oran R.
Young (1999), The effectiveness of international environmental regimes: causal connections and behavioral
mechanisms, Cambridge, MA, MIT Press, Edward L. Miles et al., éd. (2002), Environmental regime effective-
ness: confronting theory with evidence, Cambridge, MA, MIT Press, Ronald B. Mitchell et al., éd. (2006), Glo-
bal environmental assessments: information and influence, Cambridge, MA, MIT Press, ainsi que la contribution
récente combinant les efforts de plusieurs groupes qui travaillent sur cette question Helmut Breitmeier et al.
(2009), «The effectiveness of international environmental regimes: comparing and contrasting findings from
quantitative research», communication presentée à la International Studies Association annual conference, New
York, 15 Février. Je suis extrêmement endetté avec William Clark pour ces références.
2 Voir, par exemple, Peter M. Haas et al., éd. (1993), Institutions for the earth: sources of effective international
environmental protection, Cambridge, Mass., MIT Press, Young, The institutional dimensions of environmental
change: fit, interplay, and scale ou Kate O’Neill (2009), The Environment and International Relations, Cam-
bridge, Cambridge University Press.
79

tournant pourrait être représenté par la fin des années 2000, qui ont vu un déclin marqué dans
le nombre de nouveaux accords, même au niveau mondial. Certains experts appellent cela «
fatigue des traités », tandis que certains autres soutiennent que les institutions nécessaires
existent déjà. 1 Le sentiment général est, toutefois, qu’il y a encore beaucoup de questions à
régler, notamment dans le domaine de la coordination. Il est clair qu’un processus historique
est en cours et que certaines questions et régions sont encore manquantes. Les régions de
montagne en font certainement partie.
1 Lire, entre autres, Stacy D. VanDeever (2003), «Green fatigue», Wilson Quarterly, vol. 27, n. 4.
80

2 Ecorégionalisme : une approche comparative
Une fois que les perspectives critiques ex ante de l’écorégionalisme et la reconstruc-
tion historique ex post des bornes du processus d’écorégionalisation ont étés introduites, un
exemple tiré des régions de montagne est ici présenté, accompagné par un contre-exemple
pour montrer comment l’écorégionalisme a un impact sur les relations entre les nations. Le
premier exemple concerne la Convention alpine, à savoir un accord régional sur
l’environnement assez typique 1 , tandis que le deuxième exemple porte sur la Communauté
andine (CAN), voire une organisation d’intégration régionale, qui n’est normalement pas con-
sidérée comme une initiative écologique, mais qui s’identifie elle aussi delà une chaîne de
montagne. 2 En ce qui concerne la Convention alpine, la lecture qui suit repose sur la littérature
1 Pour une bibliographie générale sur la Convention alpine, voir infra.
22 Pour une introduction d’un point de vue juridique, voir inter alia Jorge Antonio Quindimil López (2006),
Instituciones y derecho de la Comunidad andina, Valencia, Tirant lo Blanch ; pour une perspective géographique
et économique, voir les publications récentes par la Communauté andine (2009), Atlas de los Andes de norte y
centro, Lima, Secretaría General de la Comunidad Andina; Edgard Moncayo Jiménez (2003), Geografía
económica de la Comunidad Andina: regiones, nuevos actores de la integración, Lima, Secretaría Général de la
Comunidad Andina ; sur les origines du processus, voir les mémoires de Mauricio Guerrero Cordero (1979), 10
años del Grupo Andino: memorias de un protagonista, Bogotá, International Development Research Center, en
même temps que les entretiens d’Alejandro Cabrera Ferrada (1991), «Hablan los constructores de un sueño»,
CAF Revista de Integración, n. 3; Carlos Lleras Restrepo (1992), «Una vida al frente de la integración», CAF
Revista de Integración ; pour le débat sur l’état de la communauté, voir les actes du colloque édités par Heinrich
Meyer et Consuelo Ahumada (2006), Desafíos y alternativas para la integración andina en el nuevo siglo,
Bogotá, Observatorio Andino ; enfin, pour une perspective comparative entre la Communauté andine et le Traité
81

existante, sur des conversations informelles avec de nombreux acteurs, ainsi que sur la parti-
cipation directe de l’auteur aux travaux. 1 Pour ce qui est de la Communauté andine, la littéra-
ture scientifique étant abondante mais parfois obsolète, l’auteur a conduit une série
d’entretiens avec des acteurs privilégiés. Bien que ces sources ne soient pas mentionnées di-
rectement, les entretiens représentent une source précieuse d’opinions pertinentes. 2
Tout d’abord, il est important de se rappeler les images de système et de champ. En
fait, en tant que systèmes de relations entre nations ainsi qu’écosystèmes, elles présentent
toutes les deux un certain niveau d’interconnexion (par exemple, des variations dans certains
éléments produisent des variations dans d’autres parties) et elles se comportent différemment
dans leur ensemble qu’en tant que somme de leurs parties (par exemple, les états membres).
De ce point de vue, du côté institutionnel, par exemple, elles ont toutes les deux un certain
degré de stabilité et d’ouverture, elles sont relativement complexes et organisées et leurs par-
ties peuvent être couplées faiblement ou fortement, selon la question. Elles produisent toutes
les deux des effets de système, qui sont non linéaires par définition (par exemple, des crises et
des changements soudains) et qui évoluent en même temps que leurs environnements respec-
tifs, qui peuvent aller des glaciers qui fondent aux élections en cours. De plus, en tant que
champs, à l’instar de l’UE, des mouvements indigènes ou de l’écologie de montagne, elles
amazonien, voir Elizabeth G. Ferris (1981), «The Andean Pact and the Amazon Treaty: reflections of changing
Latin American relations», Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 23, n. 2, et, tout récemment,
Kathryn Hochstetler (2011), «Regional environmental governance in South America», dans Comparative
regional governance: environment, édité par Lorraine Elliott, New York, Routledge.
1 La responsabilité pour toute déformation de l’état de l’art est exclusivement de l’auteur.
2 Pour le cas de la Communauté andine, les entretiens ont eu lieu en mars 2010 à Lima auprès du Secrétariat de la
communauté andine, des Ministères des affaires étrangères et de l’environnement péruviens, des Ambassades
chilienne, équatorienne et brésilienne, ainsi qu’au siège de plusieurs ONG nationales et internationales. Des en-
tretiens et les contactes avec des observateurs privilégiés ont aussi eu lieu téléphoniquement avec d’autres insti-
tutions actives dans la région andine, notamment le Ministère de l’environnement argentin à Buenos Aires et le
Partenariat pour la montagne à Rome. Le soutien du Centre pour le développement international de l’Université
d’Harvard et du Ministère de l’environnement, du territoire et de la mer italien est mentionné encore une fois
avec reconnaissance.
82

présentent toutes les deux des agents qui sont capables, avec plus ou moins de succès, de se
détacher des intérêts externes, qui son reconnus par leurs pairs et qui suivent des règles in-
ternes, à l’instar des usages diplomatiques. Les dispositions des agents résultent des trajec-
toires historiques et peuvent les placer dans des positions relativement dominantes, à l’instar
de celle d’un négociateur expérimenté vis-à-vis du novice. Finalement, ces dispositions sont
associées avec l’acceptation de ce qui est en jeu, qui peut varier dans le temps et aller de la
prévention de l’exploitation excessive des Alpes par l’industrie touristique ou des Andes par
le secteur minier à l’avancement des carrières professionnelles des agents impliqués ou la
construction de la confiance entre des nations rivales.
Les observations ci-dessous sur la Convention alpine suivent un ordre qui correspond
approximativement aux questions principales soulevées quand on a essayé de définir les éco-
régions en fonction des perspectives de l’écologie, de la géographie, de la science politique et
des relations internationales. De ces perspectives, une série de questions clés a émergé, aidant
à comprendre le phénomène écorégional. En particulier, la littérature écologique soulève la
question de la présence d’un écosystème de référence ou d’un repère géographique. Cet atta-
chement à un royaume particulier, ou l’appartenance à une discipline spécifique, jouent-ils un
rôle dans la définition d’une écorégion ? Chaque écorégion est-elle caractérisée par un sys-
tème homme-environnement distinct ? Les géographes se sont penchés sur la question de sa-
voir si les environnements physiques déterminent les configurations sociales ou vice-versa, ou
encore s’il s’agit de l’usage de l’espace par des agents économiques ou de sa représentation
par des groupes sociaux à établir ce qu’est une région. Puis, les politistes se sont demandé si
les régions sont une expression de communautarisme ou une réaction au mondialisme. Sont-
elles un produit de pressions fonctionnelles sur les institutions centrales ? Le rôle des mobili-
sations locales est mis en question lui aussi.
83

La discipline des relations internationales a étudié le phénomène avec une attention
toute particulière, en soulevant une série de questions visant à définir le phénomène lui-même.
Y a-t-il une relation géographique ? Une interdépendance ? Des alliances stratégiques ou des
alignements ? Comment fonctionne l’équilibrage de la puissance ? Existe-t-il une hégémo-
nie ? De telles interrogations amènent aussi à des phénomènes collatéraux à l’instar du passa-
ger clandestin ou des effets d’engrenage, ainsi qu’à des assomptions communes, comme par
exemple l’approfondissement de l’intégration régionale et la réduction des coûts de transac-
tion. En mettant davantage l’accent sur les déterminants du régionalisme international, la litté-
rature se demande s’il y a un sens de communauté préexistant, s’il est le produit des efforts
communicationnels d’un groupe particulier et s’il y a des moyens normatifs pour l’action poli-
tique. De plus, en se focalisant sur les états concernés, des questions-clés à soulever portent
sur le niveau de cohérence nationale et sur le type de régime dont il s’agit. Finalement, les
flux de secteur jouent aussi un rôle dans la définition des régions.
Le cas de la Convention alpine
Eléments écologiques
Le système de référence pour la Convention alpine correspond au massif des Alpes. Si,
d’un côté, il y a une certaine différence, par exemple, entre les sommets glacés du Jungfrau
dans les Alpes suisses et les forêts méditerranéennes du Parc national du Mercantour, le mas-
sif dans son ensemble est normalement considéré comme un seul écosystème. Le WWF, par
exemple, identifie les forêts tempérées de conifères comme le trait principal qui unifie la ré-
gion. 1 Dans le milieu des années 90, afin de contribuer à la protection de cet environnement
spécifique, les parties de la Convention alpine ont adopté un Protocole « protection de la na-
1 Voir Werner Bätzing et Paul Messerli (1992), «The Alps: an ecosystem in transition», dans The state of the
world’s mountains: a global report, édité par Gene Stone, London, Zed, et, pour une division des Alpes dans des
provinces géographiques ou unités naturelles différentes, voir aussi Werner Bätzing et Henri Rougier (2005), Les
Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, Lausanne, LEP, p. 43, 47.
84

ture » et un Protocole « forêt de montagne ». 1 De plus, les Alpes représentent un repère géo-
graphique fondamental, qui est présent dans la plupart des cartes physiques de l’Europe et qui
définit la frontière de plusieurs états (Italie septentrionale, Allemagne méridionale, etc.). Ceci
a des conséquences aussi en ce qui concerne la défense nationale, plusieurs états ayant déve-
loppé des corps spécifiques pour les régions alpines (par exemple, les chasseurs alpins, les
alpini en Italie, etc.).
Paramètres socio-économiques
Bien que les flux routiers à l’intérieur de la région soient importants, les Alpes repré-
sentent une barrière aux flux transalpins, notamment entre l’Europe septentrionale et méridio-
nale. 2 Toujours dans ce secteur, en l’an 2000, les parties ont adopté un instrument juridique, à
savoir le Protocole « transports », au bout d’une décennie de négociations. 3 Un autre secteur-
1 Le Protocole « protection de la nature et entretien des paysages » a été ouvert à la signature en 1994 à Chambé-
ry et a été ratifié par toutes les parties à l’exception de l’Italie, de la Suisse et de l’UE. Par contre, le protocole
« forêts de montagne » a été ouvert à la signature en 1996 à Brdo (Slovénie) et doit encore être ratifié par l’Italie,
la Suisse et Monaco.
2 Pour une analyse plus approfondie des flux générés par le transport alpin, voir le premier volume du Rapport
sur l’état des Alpes par la Convention alpine (2007), Report on the state of the Alps: transport and mobility in the
Alps, Innsbruck-Bolzano, Secrétariat permanent ; voir aussi le vieux étude de cas de l’OECD (1999),
«Environmentally sustainable transport, policy instruments for achieving EST: case study for the Alpine region,
provided by Austria, France, Italy and Switzerland», Paris, OECD, ainsi que les analyses du Sous-groupe
« coûts » de la Convention alpine (2007), «Les coûts réels des transports dans les corridors transalpins», Roma,
Convention alpine. Pour une perspective historique sur la traversée des Alpes, voir Bernard Debarbieux (2002),
«La traversée des Alpes: une histoire d’échelles et d’intérêts, d’épousailles et de divorces», Revue de géographie
alpine, vol. 90, n. 3.
3 Le Protocole « transports » a été ouvert à la signature en 2000 à Lucerne (Suisse) et a été ratifié par l’Autriche,
l’Allemagne, la France (avec réserve), le Liechtenstein, Monaco et la Slovénie. Ce protocole est certainement
l’instrument le plus contentieux qui ait été produit par la Convention alpine, car il prévoit que les parties
« s’abstiennent de construire de nouvelles routes à grand débit pour le trafic transalpin » (article 11). Cette dispo-
sition est fortement opposée par les agents économiques sur la base du fait qu’elle entraverait le développement
national. Sur le débat sur le processus de ratification et sur les conséquences pratiques du protocole, voir, en par-
ticulier, Albane Geslin (2008), «Convention alpine et droit international public», dans La Convention alpine: un
nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 31-37, et, dans le même
livre, Philippe Juen (2008), «La Convention alpine et les transports», dans La Convention alpine: un nouveau
droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 106-117.
85

clé pour l’économie de la région est représenté par le tourisme, qui est particulièrement lié aux
sports d’hiver. Le tourisme présente des défis comparables dans toute la région : de l’accès
facile aux domaines skiables des villes majeures, à l’usage durable de l’eau et de l’énergie
pour le maintien des pistes de ski si la neige est peu abondante. 1 Dans ce secteur, vers la fin
des années 90, les parties ont également adopté un Protocole « tourisme ». 2
1 Voir l’exemple récent des jeux olympiques d’hiver de Vancouver par Ian Austen et John Branch, «Everything
is in place in Vancouver, except snow», New York Times, 9 February 2010.
2 Le protocole « tourisme » a été ouvert à la signature en 1998 à Bled (Slovénie) et a été ratifié par toutes les par-
ties excepté l’Italie et la Suisse. Pour une introduction au tourisme dans les Alpes, voir Bernard Debarbieux
(1995), Tourisme et montagne, Paris, Economica, Annibale Salsa (2005), Viaggio alle Alpi: alle origini del
turismo alpino, Torino, Museo nazionale della montagna et récemment Andrea Macchiavelli (2009), «Le
tourisme alpin», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 1 ; pour une analyse des questions des transports liées
au secteur touristique, voir les contributions par le Groupe de travail « transports » de la Convention alpine
(2009), «Mobilité touristique durable dans les Alpes», Paris, Convention alpine; id. (2009), «Public transport
accessibility of Alpine tourist resorts from major European origin regions and cities: synthesis report», Paris-
Wien, Convention alpine; id. (2008), «Mobilité durable dans les Alpes: bonnes pratiques et analyse du système
de mobilité», Grenoble, Convention alpine. Pour un apport sur le Protocole « tourisme », voir Marie Anne
Guérin (1996), La Convention sur la protection des Alpes (Convention Alpine) et le Protocole tourisme: génése,
acteurs, enjeux, Saint-Martin-d’Héres, IEP, et, plus récemment, Grégory Mollion (2008), «Le Protocole
“tourisme”», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France,
Grenoble, CIPRA France.
86

Figure 9 : Intensité touristique et tendance démographique dans les Alpes.
87

Cependant, la région alpine présente des différences significatives. 1 Certaines d’entre
elles ont déjà été mentionnées, à l’instar des perspectives différentes entres des pays comme la
France et l’Italie, qui voient également les Alpes comme une barrière aux flux commerciaux
entre l’Europe du Nord et du Sud, et des pays comme l’Autriche ou la Suisse, qui sont con-
cernées par les flux intralpins. De plus, bien que chaque pays ait ses propres destinations tou-
ristiques, l’intensité de l’activité n’est pas la même dans chaque partie des Alpes. Qui plus est,
la distribution des revenus et la tendance démographique varient de manière remarquable d’un
bout à l’autre de la région, avec des tendances négatives dans les Alpes italiennes (exceptée la
Vallée de l’Adige) et autrichiennes (avec l’exception du Tyrol) et autour du Canton d’Uri en
Suisse, lesquelles contrastent avec des tendances positives notamment dans les Alpes fran-
çaises et centrales, le long de l’axe du Brenner entre l’Italie et l’Allemagne 2 , sans mentionner
les différences culturelles et linguistiques, qui existent à travers l’Arc alpin et qui ont aussi un
impact significatif au niveau des négociations. 3
En raison de ces différences, des observateurs ont critiqué le processus qui ne mettrait
pas suffisamment l’accent, par exemple, sur des questions écologiques transfrontalières, à
1 Voir l’ensemble des informations collectées par Ulrike Tappeiner, éd. (2008), Typology of the Alps based on
social, economic and environmental aspects, Bolzano, EURAC research; Ulrike Tappeiner et al. (2008), Atlas
des Alpes: societé, economie, environnement, Heidelberg, Spektrum Akademischer Verlag.
2 La Conférence ministérielle de la Convention alpine (Conférence alpine) a récemment créé un Groupe de tra-
vail intergouvernemental censé étudier ces questions (décision X/B4, 2009). Voir aussi Pier Paolo Viazzo
(1989), Upland communities: environment, population and social structure in the Alps since the sixteenth
century, Cambridge, Cambridge University Press et Werner Bätzing et al. (1996), «Urbanization and
depopulation in the Alps», Mountain Research and Development, vol. 16, n. 4.
3 Après une demi-décennie de négociations sans succès, la Conférence alpine a adopté, en 2006, une Déclaration
« population et culture » (pas un protocole). Pour plus de références sur les dynamiques culturelles dans les
Alpes, voir M. Boesch (2007), «Is “culture” still relevant to regional policy? Discussions from DIAMONT, a
European Union research project», Mountain Research and Development, vol. 27, n. 1; id. (2007), «Analysing
the influence of cultural differences on regional development in the Alps», dans DIAMONT, Bolzano, EURAC
research. Sur les questions linguistiques, voir Paolo Angelini et Jon Marco Church (2008), «The logic of
multilingualism in the Alpine Convention», dans Harmonising legal terminology, édité par Leonhard Voltmer et
Elena Chiocchetti, Bolzano, EURAC.
88

l’instar de la pollution. Ces critiques sont en partie injustes au vu des initiatives entreprises
pour la montagne, car la conformation physique est telle que les flux d’un sommet à l’autre
sont limités et, par exemple, la pollution a tendance à couler de la montagne à la plaine, sou-
vent à l’intérieur du même pays. Cependant, dans sa recherche continue de questions com-
munes qui possèdent des caractères distinctifs au niveau alpin (c’est-à-dire, qui peuvent être
gérés régionalement d’une manière qui est impraticable au niveau national), vers la fin des
années 2000, pour répondre aussi à ces critiques, la Convention alpine a commencé à focaliser
ses efforts sur des thèmes tels que la gestion de l’eau et le changement climatique. 1 Ceci ne
veut pas dire que les flux sectoriels aient changé drastiquement. Les pistes de ski absorbent
toujours une quantité énorme d’eau et dépendent encore aujourd’hui de la présence de la neige
et de la persistance des glaciers. Mais si les industries du transport et du tourisme sont intrin-
1 Sur la gestion de l’eau, voir le deuxième volume du Rapport sur l’état des Alpes par la Convention alpine
(2009), Report on the state of the Alps: water and water management issues, Innsbruck-Bolzano, Secrétariat
permanent, ainsi que les actes des trois conférences sur l’eau (Innsbruck 2006, Munich 2008 et Venise 2010) et
les activités de la Plate-forme « eau » de la Convention alpine récemment lancée. Sur le changement climatique
dans les Alpes, par contre, voir la Déclaration « climat » de 2006 et le Plan d’action « climat » de 2009 ; voir
aussi le rapport récent par l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) (2009), «Changement climatique
régional et adaptation: les Alpes face au changement des ressources en eau (résumé)», Copenhagen, Agence
européenne pour l’environnement ; de manière plus générale, sur le changement climatique en montagne, voir le
rapport préparé pour la Conférence de Copenhague par le Centre pour Thomas Kohler et Daniel Maselli (2009),
«Mountains and climate change: from understanding to action», Bern, University of Bern, Institute of
Geography, Centre for Development and Environment. Les deux questions sont étroitement liées et des réfé-
rences aux questions hydriques sont fréquentes dans la littérature scientifique sur le climat et vice-versa. De fa-
çon similaire, la question de la biodiversité et des réseaux écologiques a aussi été relancée dans le processus con-
ventionnel à travers l’intégration du Réseau alpin des espaces protégés (ALPARC) à l’intérieur du Secrétariat
permanent de la Convention alpine en 2006 (voir Yann Kohler et al. (2009), «Réseaux écologiques dans l’Arc
alpin», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 1), la création d’une Plate-forme « réseau écologique » en 2007
(voir Bettina Hedden-Dunkhorst et al., éd. (2007), Establishing an Alpine ecological network: inaugural meeting
of the Ecological Network Platform under the Alpine Convention, München, Bundesamt für Naturschutz)), ainsi
que le lancement d’un projet européen spécifique (ECONNECT) et la signature d’un Mémorandum d’entente
avec la Convention sur la diversité biologique (CBD) en 2008. Cependant, la question avait déjà été développée
dans le Protocole « protection de la nature » de 1994 et dans l’étude sur la flore et la faune alpine par Luciano
Onori (2004), «La protezione delle specie selvatiche (flora e fauna) nella Convenzione delle Alpi», Roma,
APAT.
89

sèquement humaines et peuvent encore être gérées à l’intérieur des cadres traditionnels (local,
national, européen, etc.) avec des niveaux minimaux de coordination alpine, la fonte des gla-
ciers et des bassins fluviaux sont des phénomènes physiques qui, malgré les interactions an-
thropiques, évoluent d’une manière virtuellement indépendante des frontières nationales et
peuvent difficilement être gérés à travers les institutions traditionnelles. De ce point de vue, la
Convention alpine représente un facteur positif, qui contribue à réduire les coûts de transac-
tion. Par exemple, si un état alpin désirait produire une étude sur le climat des Alpes indépen-
damment, si des réunions régulières n’avaient pas lieu et si le Secrétariat permanent de la
Convention alpine n’existait pas afin de faciliter ces initiatives, combien de ressources fini-
raient dans des services d’expertise coûteux et le résultat final serait-il vraiment représentatif
de la connaissance disponible ? La Convention alpine n’est certainement pas le diamant noir
des accords internationaux, le niveau-clé pouvant gérer parfaitement le climat et l’eau, mais il
faut apprécier le fait qu’elle a évolué vers ces thèmes-ci. Il faut toutefois reconnaître que ces
questions peuvent refléter davantage les préoccupations des plaines, qui craignent de souffrir
de pénurie d’eau pour leurs champs et leurs villes et de ruiner leurs vacances de neige, que
celles des populations de montagne, qui sont normalement plus préoccupées par des questions
de court terme, à l’instar de l’emploi et de la mobilité.
Situation politique
On dit souvent que la Convention alpine est le produit des capitales, non du territoire.
La plus importante ONG écologiste des Alpes elle-même – la CIPRA – ne perd aucune oppor-
tunité pour nous rappeler que son travail décennal, afin de promouvoir un cadre international
pour la protection des Alpes, n’a eu du succès que lors de l’implication des gouvernements
centraux (pendant les vingt dernières années), tandis que son travail avec les collectivités ter-
ritoriales pendant les deux décennies ayant précédé le lancement de la convention a échoué
90

lourdement. 1 A cause de son héritage et de ses efforts, une certaine appartenance du processus
conventionnel est souvent reflétée par la participation de la CIPRA, à tel point qu’il arrive que
parfois même les fonctionnaires gouvernementaux se réfèrent à la convention comme si elle
était « la convention de la CIPRA ». Cependant, on ne peut pas confondre un cadre intergou-
vernemental entier avec les efforts louables d’une seule organisation non-gouvernementale.
La Convention alpine elle-même est le produit d’une longue trajectoire et d’une grande variété
de facteurs, qui vont du conservationnisme de l’après-guerre au renouveau écologiste des an-
nées 70, de la création des institutions environnementales, à l’instar du PNUE et des minis-
tères et agences de l’écologie, aux niveaux national et territorial dans les années 80 à des fac-
teurs contingents, comme des considérations électorales, des leaders charismatiques ou des
calamités naturelles.
Les populations locales s’identifient certainement avec leurs montagnes, mais on exa-
gérerait si l’on réduisait leur identité uniquement à cet élément-là. Le mythe du montagnard
isolé à été démystifié depuis longtemps par les anthropologues culturels. 2 Par exemple, les
allégeances nationales, les zones linguistiques, les pratiques sociales ou les croyances reli-
gieuses représentent chacun un élément d’identification potentielle de l’individu et de défini-
tion de l’autre pour les autochtones. Les différences entre des vallées contigües peuvent être
ahurissantes, tandis que la démarcation entre la partie basse d’une vallée et une ville avoisi-
nante peut être difficile à remarquer. Dire que les Alpes sont partagées par tous leurs habitants
– qu’ils le veulent ou non, qu’ils le sachent ou non – et que les montagnes unifient tout les
1 Voir, par exemple, Martin F. Price (2000), «The Alpine Convention: a model for other regions?», Mountain
Research and Development, vol. 20, n. 2, p. 192 ou Andreas Götz (2008), «Architecture, fonctionnement et
dysfonctionnements du système conventionnel», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la
montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 11.
2 Comparer le portrait du village walser de Törbel (Suisse) comme un système fermé par Robert M. Netting
(1981), Balancing on an Alp: ecological change and continuity in a Swiss mountain community, Cambridge,
Cambridge University Press, avec la perspective de Viazzo, Upland communities: environment, population and
social structure in the Alps since the sixteenth century, sur le village d’Alagna (Italie). La thèse de Viazzo repré-
sente un tournant dans l’étude de la colonisation des Alpes.
91

gens qui vivent dans les Alpes est un truisme. Cela n’est toutefois pas un cliché de soutenir
que les montagnes ont représenté un facteur de mobilisation pour certains habitants, qui se
présentent en tant que montagnards, en s’organisant dans des groupes d’intérêt pour pour-
suivre des objectifs spécifiques. Beaucoup de ces associations ou de ces réseaux ont émergé
au niveau alpin avant la création de la Convention alpine. La création de plusieurs autres
groupes a été catalysée par la convention elle-même. Sans compter les différentes initiatives
nationales ou locales. Des exemples spécifiques – avant que la convention n’ait été lancée –
sont les clubs alpins du 19 e siècle, la CIPRA dans les années 50, les communautés régionales
vers la fin des années 70 (ArgeAlp dans les Alpes centrales, Alpe-Adria à orient et COTRAO
à l’ouest), ainsi que – après la convention – l’association des élus (AEM), le réseau des es-
paces protégés (ALPARC) et le réseau des communes (Alliance dans les Alpes). 1
1 Sur la mobilisation dans la région alpine, voir Françoise Gerbaux (2004), «Les groupes de pression et la
défense des zones de montagne européenne», Revue de géographie alpine, vol. 92, n. 2, Andreas Götz (2004),
«The Alpine Convention as an example of the role of non-governamental organizations (NGOs) in the adoption
of an international agreement», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al.,
Milano, Giuffré, et, en ce qui concerne les ONG et les réseaux écologistes, Cristina Del Biaggio (2009),
«L’institutionnalisation de la région alpine à travers l’étude de deux réseaux pan-alpins (Alliance dans les Alpes
et Alparc)», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2 ; sur le rôle de l’identité, voir Bernard Debarbieux et
Gilles Rudaz (2008), «Linking mountain identities throughout the world: the experience of Swiss
municipalities», Cultural Geography, vol. 15, n. 4; Gilles Rudaz (2009), «Recompositions territoriales et
gouvernance des régions de montagne», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2 ; sur la participation dans la
Convention alpine, en particulier, voir Jon Marco Church et Sabaheta Ramcilovic (2009), «Participation in the
Alpine Convention», dans Sustainable development and transboundary co-operation in mountain regions: the
Alpine and the Carpathian Conventions, édité par Balázs Majtényi et Gianfranco Tamburelli, Budapest,
L’Harmattan.
92

Figure 10 : Une synopsis des groupes principaux qui sont actifs au niveau alpin.
Les moyens utilisés par ces groupes incluent la circulation normative et les normes
sont utilisées pour l’action politique. Ceci peut être vrai aussi au niveau gouvernemental. Par
exemple, si les Etats-Unis créent une Commission régionale pour les Appalaches, pourquoi ne
pas faire de même dans les Alpes ? Si la norme dans la communauté internationale est de lan-
cer des accords régionaux sur l’environnement pour la protection des mers, pourquoi ne pas
faire la même chose pour les montagnes ? Ces groupes utilisent une logique similaire pour des
questions spécifiques aussi : si l’ONU fait des efforts particuliers pour la protection de la bio-
diversité, la Convention alpine doit l’imiter ; si la communauté internationale focalise son at-
tention sur le changement climatique, la Convention alpine doit l’imiter ; si un groupe
d’institutions scientifiques est en train de mieux coordonner ses recherches, la Convention al-
pine doit les imiter. 1 Ceci prend souvent la forme d’un processus de standardisation, y com-
1 Pour une perspective sur les sources internationales des politiques nationales, voir le texte classique par Peter
Gourevitch (1978), «The second image reversed: the international sources of domestic politics», International
Organization, vol. 32, n. 4 ; de manière plus spécifique, sur la diffusion normative, lire Susan Park (2006),
«Theorizing norm diffusion within international organizations», International Politics, vol. 43, n. 3, tandis que
sur la convergence environnementale, voir Katharina Holzinger et al. (2008), «Environmental policy
convergence: the impact of international harmonization, transnational communication, and regulatory
competition», International Organization, vol. 62, n. 4 ; sur le rôle de l’ONU pour les institutions régionales,
93

pris vis-à-vis des autres régions de montagne qui seraient censées épouser le modèle de la
Convention alpine. 1 L’exemple de la communauté scientifique est particulièrement significa-
tif. Bien que les Alpes aient été scrutées pendant des siècles et bien qu’elles soient parmi les
environnements naturels les mieux étudiés au monde, la recherche sur la montagne est encore
embryonnaire, avec un numéro limité de chercheurs spécialisés et très peu d’institutions spéci-
fiques, comme par exemple de centres de recherche et de publications scientifiques. 2 Nonobs-
tant ce fait, il n’est pas rare que des groupes d’activistes, souvent composés par les spécialistes
de la montagne eux-mêmes et alliés avec certaines délégations gouvernementales, invoquent
voir Alan K. Henrikson (1995), «The growth of regional organizations and the role of the United Nations», dans
Regionalism in world politics: regional organization and international order, édité par Louise Fawcett et
Andrew Hurrell, Oxford, Oxford University Press ; spécifiquement sur la montagne, voir Annie Villeneuve et al.
Annie Villeneuve et al. (2002), Mountains and the law: emerging trends, Rome, FAO et Dinah Shelton (2004),
«International agreements and the protection of mountain areas: overlappings and co-ordination», dans
Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
1 Sur la Convention alpine comme modèle pour d’autres régions, voir également Price, «The Alpine Convention:
a model for other regions?», Werner Bätzing (2003), «The Alps, a model region for the mountains of the world?
Fundamental thoughts about the IYM 2002», Journal of the IUAA, n. 1 et Jörg Balsiger (2007), «Regionalism
reconsidered: the Alpine Convention as a model of earth system governance», communication presentée à la
Conference on the Human Dimensions of Global Environmental Change, Amsterdam; id. (2008), «Regional
sustainable development in the European Alps», dans EUI Working Paper MWP, San Domenico di Fiesole,
European University Institute. Sur le modèle de la convention elle-même, voir Walter Danz (1989), Guide to an
Alpine Convention, vol. 5/89, Vaduz, CIPRA; id. (1990), Modèle pour la Convention alpine, Vaduz, CIPRA
International; Walter Danz et al. (1991), La Convention alpine: mesures à prendre, Vaduz, CIPRA International,
et Jon Marco Church (2009), «On the design of regional environmental agreements in Europe: the case of the
Alpine Convention», communication presentée à la International Studies Association annual conference, New
York, 17 February. Selon Barbara Lausche (2008), Weaving a web of environmental law, Berlin, Erich Schmidt
Verlag, la Commission du droit de l’environnement de l’UICN a joué un rôle important dans la mise en place de
standards pour les accords écologiques.
2 Les deux revues les plus significatives pour la recherche sur la montagne sont la Revue de géographie alpine,
basée à Grenoble, et Mountain Research and Development, basée à Berne. Sur l’histoire de la recherche alpine,
voir également Werner Bätzing (2001), «De la “géographie régionale” à une recherche scientifique coordonnée
au sein de la “Convention alpine”», Revue de géographie alpine, vol. 89, n. 4 et Thomas Scheurer et Anne Sgard
(2008), «La recherche sur les montagnes entre Alpes et monde: regards rétrospectifs», Revue de géographie
alpine, vol. 96, n. 4. Pour d’autres contributions relatives à la recherche sur la montagne, voir Bernard
Debarbieux (2001), «Conclusion: la montagne dans la recherche scientifique, statuts, paradigmes et
perspectives», Revue de géographie alpine, vol. 89 n. 2 et Axel Borsdorf et Valérie Braun (2008), «Panorama de
la recherche sur la montagne en Europe et dans le monde», Revue de géographie alpine, vol. 96, n. 4.
94

une « recherche scientifique » haute et indisputable en tant que base pour leurs demandes, par
exemple, sur l’urgence de protéger les grands carnivores ou de réduire l’empreinte carbone
des Alpes, tandis que la connaissance spécifique sur ces questions est limitée dans les meil-
leurs cas, quand elle n’est pas controversée. 1
Le poids des acteurs dans les négociations de la Convention alpine dépend davantage
de la force institutionnelle des ministères de l’écologie des parties que du pouvoir économique
ou de l’influence politique tels qu’ils sont compris habituellement. Comme dans la plupart des
accords environnementaux, la représentation des parties est déléguée à des ministères tech-
niques au lieu des ministères des affaires étrangères, qui jouent normalement un rôle marginal
dans ces processus, avec de rares exceptions, à l’instar de la délégation française pour la Con-
vention alpine, dont la tête était exprimée conjointement par le Quai d’Orsay et le Ministère
de l’écologie. Si cela ne change pas les règles fondamentales du jeu diplomatique, ceci inclut
des agents différents, avec des compétences, des trajectoires personnelles et des intérêts diffé-
rents. Pour la plupart, il s’agit de jeunes institutions, créées entre les années 70 et les années
90 et composées par une combinaison de biologistes et d’autres scientifiques, y compris des
économistes, des juristes et d’autres fonctionnaires publics, avec des niveaux variables
d’expérience internationale ; ils possèdent des mandats différents, qui sont souvent associés à
d’autres questions comme la santé, l’énergie ou l’aménagement du territoire ; fonctionnelle-
ment et territorialement en même temps, ils sont organisés de manières différentes, avec des
ministères fortement centralisés et d’autres dispersés sur le territoire ; les budgets fixes et la
flexibilité des dépenses varient aussi et d’une manière significative d’un bout à l’autre des
1 Dans l’exemple des grands carnivores (ours, loup et lynx), l’équilibrage entre la sécurité des habitants et la pré-
servation des écosystèmes est l’objet de controverses ; dans le cas des mesures de mitigation climatique dans les
Alpes, il n’est pas encore clair si le coût de ces mesures soit en ligne avec les bénéfices qu’en résultent, en consi-
dérant la contribution négligeable de la région alpine aux émissions mondiales et la distribution inégale des
émissions à travers les Alpes. Ces exemples sont tirés de la décision récente de créer une Plate-forme « grands
carnivores » de la Convention alpine (décision X/A6, 2009) et du dernier projet de faire des Alpes une région
carbone-neutre avant 2050.
95

Alpes. Par exemple, le Ministère fédéral allemand est relativement petit. La compétence prin-
cipale en tête du Ministère de l’état bavarois, qui a la plupart des ressources. Par contre,
l’actuel Ministère du développement durable français est assez large, puisqu’il résulte de la
fusion des anciens ministères de l’écologie et des transports. Sous la coordination de leurs mi-
nistères de l’environnement respectifs, l’Italie, l’Autriche et la Suisse ont créé des forums spé-
cifiques pour favoriser les consultations entre le gouvernement central et les collectivités terri-
toriales. 1 Elles possèdent aussi des équipes consacrées à leur suivi. 2 La perception de la
France et de l’Allemagne comme des poids lourds diplomatiques n’est pas pleinement reflétée
ici, où les niveaux d’institutionnalisation et la capacité disponible ajoutent un poids considé-
rable en faveur de l’Italie, de l’Autriche et de la Suisse.
A l’exception des micro-états du Liechtenstein et de Monaco, toutes les parties sont
des démocraties modernes. De plus, excepté la France et la Slovénie, toutes les parties sont
des états fédéraux (Allemagne, Autriche et Suisse) ou fortement décentralisés (Italie). Cela
ajoute un niveau de complexité aux négociations, en particulier si les gouvernements centraux
ont besoin de consulter leurs correspondants locaux. Cependant, ceci arrive rarement dans la
pratique, y compris dans la négociation des décisions-clés. 3 En observant le rôle des gouver-
1 Sur les institutions autrichiennes, voir Marcus A. Reiterer et Ewald Galle (2002), «Implementation of the
Alpine Convention in Austria», dans International law and the protection of mountain areas, édité par Tullio
Treves et al., Milano, Giuffré, ainsi que la newsletter régulière Die Alpenkonvention ; sur l’Italie, voir Paolo
Angelini et al., éd. (2006), La Convenzione delle Alpi: politiche, leggi e misure di attuazione in Italia, Bolzano,
EURAC et le site internet spécifique www.convenzionedellealpi.it ; sur la Suisse, voir Tim Enderlin et Maria
Senn (2002), «Mise en oeuvre de la Convention alpine en Suisse», dans International law and the protection of
mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
2 Sur la création de l’« unité de coordination » italienne accueillie par l’Académie européenne de Bolzano (EU-
RAC), voir le supplément par Stefania Coluccia (2003), «Tra Roma e Bolzano, distanze ravvicinate (a colloquio
con Paolo Angelini)», Academia, n. 33, ainsi que ses rapports d’activités, disponibles sur le site internet de
l’EURAC.
3 Sur le jeu à deux niveaux entre le gouvernement central et les autorités locales, voir le texte classique par
Robert D. Putnam (1988), «Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games», International
Organization, vol. 42, n. 3, et, encore une fois, la contribution spécifique par Stefan Brem et Stefano Bruno
(1997), «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game».
96

nements centraux dans la convention, l’hypothèse de Keating, selon laquelle des pressions
fonctionnelles conduiraient à un nombre croissant de questions déléguées à des autorités
autres que celles du gouvernement national, ne semble pas tenir. Bien que les charges de tra-
vail dues à plusieurs groupes, plateformes, conférences, réunions, projets et initiatives (avec
plus de trois événements par semaine et des ordres du jour avec plus de quinze points par jour)
soient élevées, les délégations nationales semblent avoir hâte d’affirmer leur primauté dans le
processus intergouvernemental, notamment à travers les présidences de la Convention alpine,
ainsi que dans les groupes de travail et les plates-formes spécifiques. 1 Si, d’un côté, les prési-
dences de la convention, avec leurs agendas, alternent tous les deux ans, la présidence des
groupes et des plateformes est normalement attribuée à un pays particulier, qui est normale-
ment censé fournir un soutien logistique (organiser les réunions, préparer les salles, etc.) et
souvent un sens de l’expertise (produire des études de fonds, proposer des documents de tra-
vail, etc.). Au moins dans un premier temps, il s’agit normalement du pays qui a lancé
l’initiative. Le secrétariat joue un rôle important dans la facilitation et parfois dans la média-
tion des négociations, mais avec dix unités de personnel et un budget annuel de 875 000 euros
il y a des limites objectives à son action, qui ne peut aller beaucoup plus loin que son soutien
aux parties. 2 Pour donner une idée, en 2008, l’ONG alpine la plus importante, la CIPRA, qui
est basée au Liechtenstein, a eu des entrées de plus de 1,5 millions d’euros à elle seule. 3 Con-
trairement à l’hypothèse de Keating, il semble que la capacité institutionnelle des parties est
1 Pour une perspective critique sur le rôle des présidences et de la leadership dans l’Union européenne, voir inter
alia Jonas Tallberg (2006), Leadership and negotiation in the European Union, Cambridge, Cambridge
University Press.
2 Voir les décisions X/A2 et X/A5 avec annexes (2009). Pour se faire une idée des fonds totaux disponibles pour
les activités sous la Convention alpine, on devrait aussi compter les sources nationales et locales, à l’instar de la
contribution française de 410 000 euros par an pour les cinq unités de personnel travaillant sur les espaces proté-
gés ou la contribution italienne pour le siège du secrétariat de Bolzano et pour deux unités de personnel. Sur le
secrétariat, voir Irini Papanicolopulu (2004), «The Secretariat of the Alpine Convention», dans Sustainable
development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
3 La source est le rapport annuel de la CIPRA pour 2008, qui est disponible en ligne.
97

telle que les questions déléguées aux autorités autres par rapport aux gouvernements natio-
naux sont très limitées.
Relations internationales
Ainsi, il apparaît qu’il n’est pas facile de penser à l’équilibre de pouvoir de manière
traditionnelle. A l’intérieur de l’UE, par exemple, la France, l’Allemagne et, d’une certaine
manière, l’Italie, ont un poids économique, culturel et même militaire bien plus grand que ce-
lui de l’Autriche et de la Slovénie, auxquels s’ajoutent celui de la Suisse et des micro-états
(qui ne sont pas membres de l’UE). Bien sûr, il y a des alliances qui reposent sur certaines af-
finités entre les pays, mais elles ne sont pas constantes. Par exemple, lors des réunions de la
Conférence alpine et du Comité permanent entre 2004 et 2006 1 , après la présidence allemande
et sous celle de l’Autriche, on a observé une division entre les pays germanophones et la
France, d’un côté, et l’Italie et la Slovénie, de l’autre, avec l’Autriche et la Suisse, qui mainte-
naient l’équilibre des deux côtés 2 , tandis que le Secrétariat était composé dans son ensemble
par des membres du personnel germanophones. 3 Par contre, entre 2007 et 2009, sous prési-
dence française, la division paraissait avoir changé, l’Italie, l’Autriche et la France partageant
souvent la même position vis-à-vis de l’Allemagne, du Liechtenstein et parfois de la Slovénie
et de la Suisse. Ces changements représentaient toutefois davantage l’effet dans le temps des
divergences sur des questions spécifiques, à l’instar de l’importance donnée à la protection
environnementale par rapport au développement durable ou du rôle des ONG dans la conven-
1 La Conférence alpine se réunit tous les deux ans au niveau ministériel politique, tandis que le Comité perma-
nent est une réunion générale qui a lieu tous les six mois au niveau ministériel administratif, qui est comparable
au COREPER (Comité des représentants permanents) dans l’Union européenne.
2 Pour une perspective critique sur l’Autriche et la Suisse comme des pays alpins, voir Werner Bätzing (2008),
«Die Schweitz und Österreich als “Alpenländer”? Zum wirtschaftlischen, kulturellen und politischen Stellenwert
der Alpen in beiden Staaten», Geographische Rundschau, vol. 60, n. 3.
3 Ceci transparaît, par exemple, à travers les mots de Thomas Scheurer dans l’article déjà cité par Scheurer et
Sgard, «La recherche sur les montagnes entre Alpes et monde: regards rétrospectifs» ou de l’ancien vice-
secrétaire général Ruggero Schleicher Tappeser (2006), «Le rôle des Alpes dans l’Europe de l’intégration: jalons
pour un débat prospectif», Revue de géographie alpine, vol. 94, n. 2.
98

tion, qui pouvaient suivre la division entre l’Europe latine et septentrionale 1 , mais qui pou-
vaient aussi refléter des affinités individuelles. Ces effets dépendent beaucoup moins du rôle
hégémonique d’un pays sur l’autre. L’Italie, l’Autriche et, dans une certaine mesure la France,
sont les contributeurs majeurs au budget régulier de la Convention alpine. 2 Les deux derniers
pays accueillent aussi le Secrétariat permanent dans les villes jumelles d’Innsbruck et de Bol-
zano. L’Autriche et l’Italie seraient les pays les plus prédisposés à assumer des positions hé-
gémoniques, à cause aussi de leur force institutionnelle, même s’ils le font rarement.
De l’autre côté, les parties qui ont des enjeux mineurs dans la convention, comme
l’Allemagne, ou les micro-états, comme le Liechtenstein, prennent souvent le leadership sur
plusieurs questions. La CIPRA, l’ONG alpine la plus importante, par exemple, reçoit une par-
tie importante de son financement de base du Liechtenstein et de la Suisse 3 et, en étant basée à
Vaduz, elle pourrait être considérée comme un instrument important pour la politique étran-
gère de ce micro-état. Vu le rôle de la CIPRA dans le lancement et le développement de cette
initiative écorégionale, la Convention alpine pourrait être considérée comme l’un des succès
majeurs de la politique étrangère du Liechtenstein. 4 Le fait est que l’appropriation de la con-
vention par les gouvernements nationaux, notamment lors des différentes présidences, permet
à chaque partie de prendre le leadership sur des questions spécifiques auxquelles elles
s’intéressent (à l’instar des transports pour la France, de la biodiversité pour l’Allemagne, de
la culture pour l’Italie, etc.) et d’agir en guise de puissance hégémonique à cet égard. A cause
de cette configuration, le phénomène du passager clandestin est limité à certaines positions de
1 Pour des réflexions sur la dimension linguistique de ce clivage, voir également la contribution par Angelini et
Church, «The logic of multilingualism in the Alpine Convention».
2 Avec 26,5 %, 24,5 % et 18 % respectivement. Ces proportions-ci ont été calculées en considérant la surface, la
population et le PIB de la région alpine dans chaque état. Voir aussi supra.
3 La source de cette information est le rapport annuel de la CIPRA pour 2008, qui est disponible en ligne.
4 Sur la mise en œuvre de la Convention alpine au Liechtenstein, voir Thomas Bruha (2002), «Implementation of
the Alpine Convention in Liechtenstein», dans International law and the protection of mountain areas, édité par
Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
99

la Slovénie et de Monaco, qui ne contribuent que rarement aux activités de la convention, par
manque d’intérêt ou de capacité institutionnelle. 1 En même temps, ceci pourrait être considéré
comme quelque chose d’extrêmement commun. En fait, lorsqu’une partie prend le leadership
sur une question et crée, par exemple, un groupe de travail, si les autres parties ne participent
que minimalement aux travaux, de quoi s’agit-il sinon du phénomène du passager clandestin ?
Si, d’un côté, on pourrait interpréter cela comme une simple division du travail, il s’agit clai-
rement d’un mélange des deux : si la plupart des parties n’ont pas la capacité institutionnelle
de contribuer pleinement à chaque activité sous la convention (elles sont donc passagères
clandestines des engagements spécifiques des autres parties), elles n’ont pas le même niveau
d’intérêt dans chaque question. Elles préfèrent ne pas entraver les autres parties dans la pour-
suite de leurs objectifs, de sorte que les autres ne se mêlent pas à leurs propres intérêts. Au-
trement dit, dans la plupart des cas, les parties s’entraident dans la poursuite de leurs objectifs
respectifs. Ne s’agit-il donc pas de l’essence de la coopération internationale ? De toute façon,
cette disposition à la coopération n’est pas un chèque en blanc. Les parties restent vigilantes
pour que leurs intérêts essentiels ne soient pas menacés, notamment lors de la conférence des
parties. A cette occasion, les décisions sont prises à l’unanimité et, bien que des positions iso-
lées soient diplomatiquement difficiles à maintenir, une seule partie peut bloquer l’adoption
de n’importe quelle décision. 2 Dans un cadre institutionnel où toutes les parties sont égale-
ment souveraines et où la Slovénie peut imposer sont véto à la France, les dispositions hégé-
moniques ne peuvent pas aller loin.
1 Sur la mise en œuvre de la Convention alpine en Slovénie, voir Vesna Kolar-Planinsic, éd. (1998), The Alpine
Convention in Slovenia, Ljubljana, Ministry of the Environment and Physical Planning et Senko Plicancic
(2002), «Implementation of the Alpine Convention in Slovenia», dans International law and the protection of
mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
2 Même si l’article 7, alinéa 1, de la convention cadre établit une majorité des trois-quarts pour certaines déci-
sions (règles internes, recherche scientifique et coopération technique), toutes les décisions ont été prises par
consensus au moins depuis l’an 2000.
100

La Convention alpine, en tant que processus d’« intégration » régionale, n’a pas adopté
l’approche progressive fonctionnelle qui a caractérisé, par exemple, l’Union européenne.
Comme le souligne à juste titre Jörg Balsiger, même si elle ressemble à un accord régional sur
l’environnement comme les conventions de Barcelone et d’Helsinki, les parties n’ont pas
adopté une approche sectorielle, à l’instar du contrôle de la pollution ou de la protection de la
biodiversité, mais une « politique globale », qui intègre plusieurs domaines : population et
culture, aménagement du territoire, prévention de la pollution de l’air, gestion de l’eau, pro-
tection de la nature et des espaces ruraux, agriculture de montagne, tourisme et loisirs, trans-
ports, énergie et gestion des déchets. 1 Ils ont choisi un cadre extrêmement ambitieux, qui était
assez contraire à l’approche prudente de l’Union européenne et qui, en moins d’une décennie,
est arrivé à produire un protocole de mise en œuvre par an en moyenne, faisant de la Conven-
tion alpine l’accord régional sur l’environnement le plus prolifique au monde. La période
d’élaboration des protocoles, qui a duré tout au long des années 90, a absorbé toutes les éner-
gies de la convention et de ses parties, à tel point que la phase de création des institutions a été
retardée jusqu’aux années 2000. La conséquence de ceci a été un lourd fardeau pour la con-
vention, en particulier pour la présidence tournante qui, jusqu’en 2002, faisait aussi fonction
de secrétariat. Les protocoles ont eu un poids remarquable sur les parties, spécialement pour
les processus de ratification qui sont nécessaires pour leur entrée en vigueur. Plus d’une dé-
cennie plus tard, l’Italie, la Suisse et l’UE ont toujours du mal avec la ratification des proto-
coles. 2
1 Voir également Balsiger, «Regional sustainable development in the European Alps». Voir notamment l’article
2 de la convention cadre et, pour sa formation, Danz, Modèle pour la Convention alpine.
2 Sur le processus de ratification en Suisse, voir également Brem et Bruno, «The Swiss debate on the Alpine
Convention: more than a two-level game», ainsi que le débat parlementaire, disponible en ligne ; sur le processus
italien, voir la contribution par l’auteur dans Céline Randier et al. (2009), «La transposition juridique de la
Convention alpine et de ses Protocoles d’application en droit français, italien, autrichien et allemand: une
présentation de droit comparé», Revue européenne de droit de l’environnement, vol. 13, n. 1, et, pour une mise à
101

Ceci ne signifie pas que ces parties ne mettent pas encore en œuvre ces dispositions.
Ce fait a émergé assez clairement d’un exercice pour vérifier l’état de mise en œuvre de la
convention et de ses protocoles, qui a été lancé en 2002 et qui a déjà donné les premiers résul-
tats. A l’intérieur de ce « groupe de vérification » – composé des délégations des états alpins,
mais particulièrement ouvert aux observateurs (bien que le secrétaire général actuel, Marco
Onida, ne le considère « pas vraiment indépendant » 1 ) – l’Italie et la Suisse ont adopté une
approche qu’on pourrait qualifier de « mise en œuvre sans ratification », en démontrant que, à
travers des mesures adoptées au niveau national ou local, les deux états obtempéraient de fac-
to à la lettre des protocoles. 2 Au début des années 2000, la Convention alpine, au lieu
d’accroître son niveau d’intégration régionale, se trouvait déjà piégée dans ce parcours diffi-
cile, se repliant sur elle-même, au lieu d’aller vers l’extérieur. Or, c’est à cette époque que, de
manière assez surprenante, la Convention alpine a produit son premier effet d’engrenage, qui
était lié en quelque sorte avec l’idéal écorégional.
Un Fonds européen de développement régional (FEDER) avait été lancé en 1975 afin
de soutenir, d’un côté, les très petites entreprises et les projets infrastructuraux qui en déri-
vaient et, de l’autre, les régions de montagne (aussi dans le cadre de la Politique agricole
commune ou PAC). 3 L’objectif principal de cette action pilote était de soutenir les zones et les
entités défavorisées, qui étaient perçues comme particulièrement vulnérables à la compétition
jour, Paolo Angelini (2009), «Ratifying Alpine Convention Protocols», Environmental Policy and Law, vol. 39,
n. 4/5.
1 Voir Marco Onida (2008), «La Convention alpine: projets réalisés et en cours de réalisation», dans La
Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p.
19; id. (2008), «A regional international treaty facing global challenges», Environmental Policy and Law, vol.
39, n. 4-5, p. 244-245.
2 Sur le Groupe de vérification, voir Tim Enderlin (2002), «A compliance mechanism within the Alpine
Convention», dans International law and the protection of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano,
Giuffré; Enderlin et Senn, «Mise en oeuvre de la Convention alpine en Suisse» et, en particulier, les rapports au
Groupe soumis par l’Italie et la Suisse en 2005. Voir aussi Angelini et al., éd., La Convenzione delle Alpi:
politiche, leggi e misure di attuazione in Italia.
3 Voir le règlement (CEE) 724/75 (1975).
102

croissante engendrée par le processus d’intégration européenne. Au fil des années, la politique
régionale de l’UE est passée d’une approche focalisée exclusivement sur la redistribution éco-
nomique à une attention croissante portée sur la coopération interrégionale, à savoir sur le fi-
nancement de projets qui associent des partenaires de différents états (souvent divisés par des
fleuves, des montagnes, etc.). 1 En 1990, l’initiative INTERREG a été lancée dans le cadre du
FEDER, structurant ultérieurement la collaboration en trois filières – transfrontalière, « trans-
nationale » (dans les régions) et « interrégionale » (entre les régions) – avec l’objectif final de
rendre les frontières nationales superflues dans une Europe progressivement intégrée. Curieu-
sement, déjà lors des deux premiers cycles (INTERREG I, 1990-1993 ; INTERREG II, 1994-
1999), plusieurs régions correspondaient à des écorégions, tandis que la région alpine n’était
pas considérée de manière unitaire. 2
1 Voir, par exemple, Ross B. Talbot (1977), The European Community’s regional fund: a study in the politics of
redistribution, Oxford, Pergamon Press et le rapport par les Communautés européennes (1985), Communauté
européenne et ses régions: 10 ans de politique régionale communautaire et de Fonds européen de
développement régional (FEDER), Luxembourg, Bureau pour le publications officiales des Communautés
européennes.
2 Dans la période 1997-1999, une action pilote a été lancée avec un budget de 10 millions d’euros. Elle impli-
quait deux communautés de travail transnationales : ArgeAlp (Alpes centrales) et Alpe-Adria (Alpes orientales),
créées dans les années 70 par les régions sous-nationales (LRDP (2003), «Ex post evaluation of the INTERREG
II community initiative (1994-99)», London, LRDP, p. 7, 20-22). Sur le rôle important du Conseil de l’Europe et
sur la promotion des instruments juridiques pour la coopération transfrontalière, à l’instar de la Convention de
Madrid de 1980, voir Giuseppe Vedovato (1997), «La coopération transfrontalière, les Eurorégions et le Conseil
de l’Europe», Annuaire européen, vol. 43 ; sur la Carte européenne sur les régions de montagne de 1994, voir,
par contre, Luciano Caveri (2002), L’Europa e la montagna, Verbania, Tararà, p. 71-77. Sur la coopération
transfrontalière en général, voir aussi l’article par Marie-Christine Fourny-Kober et Ruggero Crivelli (2003),
«Cette montagne que l’on partage: frontière et montagne dans les coopérations transfrontalières de régions
alpines», Revue de géographie alpine, vol. 91, n. 3.
103

Figure 11 : Les régions identifiées en 1994 par INTERREG II (gauche), avant et après la création du Programme es-
pace alpin en 2000 sous INTERREG III (droite).
De plus, dans l’Acte unique de 1986, les états européens font figurer le « renforcement de la
cohésion économique et sociale » parmi les objectifs explicites de l’UE, en approfondissant
ultérieurement l’intégration au-delà des frontières nationales. 1 Il faut noter que, jusqu’en
2007, INTERREG était un simple programme du FEDER et que, à l’époque, la cohésion terri-
toriale ne faisait pas encore spécifiquement partie des objectifs formels des fonds structurels
de l’UE. 2 Jusqu’à récemment, la cohésion territoriale est restée aux marges du cadre existant,
mais au cœur du processus d’intégration. En fait, le budget consacré à INTERREG est passé
de 3,5 milliards d’euros en 1994-1999 (INTERREG II) à 4,9 milliards en 2000-2006 (IN-
TERREG III). Seulement après des avancées significatives dans le processus d’intégration
régionale, la Cohésion territoriale européenne (ETC) est devenue un objectif explicite des
1 Voir le titre V de l’Acte unique de 1986, notamment les articles 2 et 3 (alinéa j), ainsi que 129b, 129c et 129d
du Traité de Maastricht de 1992 (version non consolidée).
2 Les fonds structurels de l’UE sont maintenant composés par trois fonds : le FEDER, le Fond social européen
(pour développer un marché du travail communautaire) et le Fonds de cohésion (pour soutenir les membres
moins développés).
104

fonds structuraux, qui ont presque doublé jusqu’à 7,8 milliards pour le nouveau cycle de pro-
grammation 2007-2013 (qui représente encore seulement 2,5% de l’ensemble des fonds struc-
turaux disponibles). 1
Pour en revenir aux Alpes, il est intéressant maintenant de noter que l’UE a décidé de
lancer un Programme espace alpin pour financer des projets à l’échelle alpine dans le cadre
d’INTERREG (sur le modèle, par exemple, du Programme régional pour la Mer Baltique).
Tandis que la zone de l’Espace alpin est beaucoup plus large que le périmètre de la Conven-
tion alpine, le nouveau programme a renforcé considérablement les activités transnationales
dans l’écorégion alpine. 2 Pour donner une idée des échelles, dans la période 2000-2006, le
Programme espace alpin de l’UE a déboursé 60 millions d’euros (avec un cofinancement à la
hauteur de 50 %), une somme qui a plus que doublé, arrivant jusqu’à 130 millions pour la pé-
riode 2007-2013 (cofinancement de 76 %). 3 Avec la création du Programme espace alpin, les
pays alpins, qui, à l’exception de la Suisse et des micro-états, sont aussi membres de l’UE, ont
réussi à former un bloc régional au niveau européen, en promouvant les intérêts alpins, tandis
que l’UE renforçait paradoxalement la coopération transnationale dans l’écorégion alpine à
1 Comparer les règlements (CE) 1783/1999 et (CE) 1080/2006 sur le FEDER et se référer au Livre vert sur la
cohésion territoriale par la Commission européenne (2008). Voir aussi l’étude prospective d’INTERREG III par
Thomas Bausch et al. (2005), «Alpine Space prospective study: sustainable territorial development in the Alpine
Space, towards long term transnational cooperation (full report)», Rosenheim, Alpine Space Programme.
2 Pour une introduction sur le rapport entre l’UE et la Convention alpine, voir Sébastien Marciali (2008),
«Convention alpine et Union européenne», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?,
édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France. La position de l’UE ne vient pas de nulle particle Pour une
reconstruction de la situation paradoxale qui a conduit à cette initiative de l’UE par rapport à la région alpine,
voir la communication présentée par l’auteur à la convention de l’International Studies Association en 2010 (pp.
41-48).
3 Les sources sont le livret Alpine Space Programme (2008), «Bridging potentials: projects of the INTERREG
IIIB Alpine Space Programme», München, Alpine Space Programme, Joint Technical Secretariat, p. 47, et la
nouvelle brochure Portrait of the Alpine Space Programme par le Joint Technical Secretariat du programme.
Voir aussi le catalogue des projets id. (2006), «Alpine Space Programme INTERREG IIIB project booklet
(2000-2006)», Rosenheim, Alpine Space Programme, Joint Technical Secretariat. Comparer les chiffres indiqués
à la page 57.
105

une époque où la Convention alpine se repliait sur elle-même. 1 Bien qu’il n’y ait pas de lien
contraignant entre les objectifs du Programme espace alpin et les priorités de la Convention
alpine, il y a beaucoup de coordination indirecte entre les deux processus. 2 Si un « Fonds de la
Convention alpine » pour soutenir des projets à large échelle n’existe pas, cette fonction est de
facto exercée par le Programme espace alpin, notamment depuis 2006, quand Marco Onida,
un ancien fonctionnaire de la Commission européenne, a été nommé Secrétaire général de la
convention. 3 Il serait séduisant de parler d’« européanisation » de la Convention alpine, mais
ceci serait exagéré : la convention reste une initiative écorégionale au niveau intergouverne-
mental (avec la participation active des ONG 4 ) et les contacts avec Bruxelles sont rarement
directs. Ce qui est décidemment plus significatif est l’effet indirect que la présence de la Con-
vention alpine a eu dans la création en 2000 du Programme espace alpin. Dans ce cas, l’idéal
écorégional a été adopté par un acteur spécifique comme base pour une politique publique. 5
1 Cependant, ceci pourrait être une exception, car les exemples des états alpins, qui agissent comme un bloc ré-
gion, sont très rares ailleurs. Dans le futur, un autre exemple pourrait être la promotion des sites alpins sur la
Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, mais ceci doit encore être prouvé (infra).
2 Sur le modèle de la Stratégie de l’UE pour la Mer Baltique, la stratégie macro-régionale de l’UE proposée pour
les Alpes pourrait produire une meilleure coordination. En même temps, il y a la possibilité d’une disjonction
entre les processus de l’UE et de la Convention alpine, si celle-ci n’est pas considérée avec attention.
3 Des efforts importants ont été faits, par exemple, afin d’intégrer les résultats des projets sous le Programme
espace alpin dans la base de données de la Convention alpine, qui est maintenant publiée en ligne (SOIA). Sur
les efforts précédents, voir l’article de l’ancien vice-secrétaire général Schleicher Tappeser, «Le rôle des Alpes
dans l’Europe de l’intégration: jalons pour un débat prospectif».
4 Sur cette question, voir également Götz, «The Alpine Convention as an example of the role of non-
governamental organizations (NGOs) in the adoption of an international agreement» et Church et Ramcilovic,
«Participation in the Alpine Convention».
5 Une preuve décisive pour l’écorégionalisme en Europe est maintenant représentée par la Convention des Car-
pates : réussira-t-elle à créer un « Fonds de la Convention des Carpates » pour la mise en œuvre de projets ou
pour catalyser d’autres organisations internationales (par exemple, l’UE, le PNUE, etc.) afin de créer un « Pro-
gramme espace carpatique » ? Sur cette question, voir Arianna Broggiato et Jon Marco Church (2008),
«Carpathian Convention: one step ahead, three steps back?», Environmental Policy and Law, vol. 38, n. 5, p.
269.
106

Dès le milieu des années 2000, le chemin est devenu plus étroit et ceci a mené une
Convention alpine excédée par les pressions nationales et par la création d’institutions à prêter
plus d’attention à des questions plus spécifiques et mieux définies, à l’instar de l’amélioration
de la connaissance sur le changement climatique dans les Alpes ou de la représentation des
sites alpins sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ceci pourrait représenter un
rapprochement avec une démarche progressive fonctionnelle à l’UE, qui pourrait conduire, à
son tour, à d’autres effets d’engrenage. Cette recherche de questions spécifiques, qui seraient
mieux gérées au niveau écorégional est un reflet de l’idéal écorégional en action ou d’une dé-
pendance au chemin. Si la difficulté relative de cet exercice, tel qu’il a été présenté pendant
vingt ans de Convention alpine, semble conforter les positions des critiques des approches
écorégionales, la persistance et l’évolution continuelle d’une institution écorégionale où les
gouvernements sont activement engagés, en négociant constamment et en lançant des initia-
tives nouvelles, est une preuve que le principe écorégional parvient à mobiliser les états alpins
autour de plusieurs questions et il le fait de façon qui est différente de la manière selon la-
quelle ces questions seraient gérées si des institutions de référence n’existaient pas du tout ou
pas encore au niveau européen. La Convention alpine établit donc des trames de coopération à
l’échelle écorégionale.
107

Le cas « bizarre » de la Communauté andine
108
La très grande colonne vertébrale des
Andes […] a permis ou a permis
d’accélérer le partage d’un même tis-
su par tous les pays qui étaient cou-
sus par cette immense aiguille. 1
Cette présentation ne suit pas l’ordre normalement adopté par les spécialistes de la
Communauté andine : évolution historique, cadre juridique, structure institutionnelle, analyse
sectorielle, situation actuelle et développements futurs. 2 Loin d’être exhaustive, cette compa-
raison présente la communauté comme un contre-exemple par rapport à la Convention alpine
dans l’objectif de mieux comprendre le phénomène du régionalisme environnemental et de la
convention en particulier. Cette perspective suivra à peu près le même ordre que celle sur la
Convention alpine ci-dessus, en passant des perspectives différentes de l’écologie et de la
géographie à celles de la science politique et des relations internationales. Cette démarche
produira plusieurs observations comparatives, qui seront résumées à la fin du texte. Celle-ci
n’est pas une comparaison banale. La Convention alpine est normalement présentée comme
« le premier accord sur la montagne » et éventuellement comme le seul « modèle pour les
1 « La inmensa espina dorsal de los Andes […] hizo o abrevió hacer que todos los países que estaban zurcidos
por esa inmensa aguja fuesen parte de un mismo tejido ». Traduit par l’auteur et tiré d’un cours magistral de Luis
Alberto Sánchez publié par la Junta del Acuerdo de Cartagena (1983), Para nosotros la patria es América:
reflexiones sobre la integración andina en el XIV aniversario de la suscripción del Acuerdo de Cartagena, Lima,
Unidad de Comunicaciones de la Junta del Acuerdo de Cartagena, p. 58. L’auteur est particulièrement reconnais-
sant de l’assistance prêtée par le Centre de documentation de la Communauté andine, particulièrement pour
l’aide inestimable et le soutien de Virginia Barboza.
2 Voir également Quindimil López, Instituciones y derecho de la Comunidad andina ou Meyer et Ahumada,
Desafíos y alternativas para la integración andina en el nuevo siglo; en français, voir aussi l’article par Carlos
Quenan (2007), «La Communauté andine des nations: entre tentatives de relance et crises récurrentes», Cahiers
des Amériques Latines, n. 50.

autres régions de montagne ». 1 Dans la littérature scientifique, la Communauté andine repré-
sente un véritable « géant dans la salle » et peut sans doute constituer un « modèle alternatif »,
en particulier si l’on considère que la communauté est une organisation régionale du sud du
monde et qu’elle se trouve dans une zone en période d’après-guerre. De ce point de vue, par
exemple, les Balkans, le Caucase ou l’Himalaya ont plus en commun avec les Andes qu’avec
les Alpes. 2 Quoi qu’il en soit, en dépit de son identification avec un massif, la communauté
n’est pas normalement – et étrangement – considérée en tant qu’initiative environnementale
ou montagnarde, bien que le Traité amazonien – un accord environnemental assez traditionnel
– ait été lancé en réaction à la Communauté andine dans les années 70. 3 L’interpréter comme
un processus écorégional est donc une perspective singulière sur ce « cas bizarre ».
Eléments écologiques
Tout comme sa contrepartie alpine, l’écosystème de référence pour la Communauté
andine correspond au massif (en espagnol : cordillera) des Andes. De manière assez diffé-
rente, par contre, les Andes sont le massif le plus long de la planète, traversant un continent
1 Sur la Convention alpine comme modèle d’accord régional sur la montagne, voir Martin F. Price (1999),
«Towards cooperation across mountain frontiers: the Alpine Convention», European Environment, vol. 9, n. 3;
Price, «The Alpine Convention: a model for other regions?», Bätzing, «The Alps, a model region for the
mountains of the world? Fundamental thoughts about the IYM 2002», ainsi que, plus récemment, Balsiger,
«Regionalism reconsidered: the Alpine Convention as a model of earth system governance»; id.«Regional
sustainable development in the European Alps».
2 Ces dernières années, les Andes ont été marquées par une guerre entre le Pérou et l’Ecuador (1995-1998) et des
guerrillas notamment au Pérou (Sendero Luminoso : 1980-1992) et en Colombie (FARC : 1964-présent). Dans
la même période, les Balkans ont été affectés par les guerres en Bosnie (1992-1995) et au Kosovo (1998-1999),
postérieures à la désintégration de la Yougoslavie ; le Caucase a vécu les guerres entre l’Arménie et
l’Azerbaïdjan pour le Haut-Karabagh (1988-1994) et, récemment, entre la Russie et la Géorgie pour l’Ossétie
méridionale (2008), auxquelles s’ajoutent la crise en Tchétchénie (1994-1996 ; 1999-2000) ; enfin, l’Himalaya a
aussi vécu plusieurs crises : de la guerre en Afghanistan, à la guerre civile au Népal, du conflit pour le Cachemire
(Inde-Pakistan) aux soulèvements au Tibet (Chine). Les Alpes sont restées au dehors du théâtre de la guerre au
moins depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
3 Voir encore Ferris, «The Andean Pact and the Amazon Treaty: reflections of changing Latin American
relations», p. 55 et infra.
109

entier, de l’équateur aux villes les plus méridionales au monde, 1 et pouvant être assez large au
niveau des tropiques aussi. D’un point de vue écologique, ceci conduit à une grande variété,
qui va des forêts aux déserts, des glaciers aux arbustes. 2 Le fait qu’elles sont à la frontière
avec la forêt amazonienne, la plaine argentine (pampa) et l’Océan Pacifique contribue à ac-
croître ultérieurement leur diversité biologique. 3 Il n’y a pas d’autre référent écologique parta-
gé que la cordillère elle-même. Or, si l’on cite mutatis mutandi un chercheur travaillant sur la
coopération amazonienne, la Communauté andine n’est « étonnamment [pas] dominée par des
problèmes écologiques transfrontaliers », à l’instar de la pollution issue du secteur minier, qui
a aussi un impact sur les plaines. 4 Comme beaucoup de massifs, les Andes représentent un
point de repère géographique, qui définit des frontières internationales. Fait remarquable, le
Chili est séparé de l’Argentine par « les plus hauts sommets » et les « eaux mitoyennes ». 5
Cependant, à cause également du terrain difficile, la localisation exacte des frontières est sou-
vent controversée et a conduit à des litiges importants, non seulement entre l’Argentine et le
1 A savoir, Ushuaia en Argentine et Punta Arenas au Chili.
2 Voir également l’atlas détaillé des Andes tropicales qui vient d’être publié par le Secrétariat de la communauté
andine (Atlas de los Andes de norte y centro), ainsi que l’étude panoramique écologique produite en partenariat
avec le PNUE (2003), «GEO Andino 2003: perspectivas del medio ambiente», Lima-México, CAN - PNUMA ;
sur l’écologie péruvienne, voir aussi José Salaverry Llosa (2006), Macro-ecología de los andes peruanos:
situación actual y dinámica de cambio en los ultimos 20,000 años, Lima, Consejo Nacional de Ciencia,
Tecnologia e Innovacion Tecnologica. Ceci dépend aussi du « royaume choisi » : l’atlas fait distinction, par
exemple, entre écorégions et « phyto-régions ».
3 En 2000, Conservation international, une ONG, a identifié la Colombie, l’Ecuador, le Pérou et le Venezuela
comme des pays « mégadivers » : voir J. Williams et al. (2001), «Biodiversity (Theme Report)», dans Australia
State of the Environment Report 2001, Canberra, CSIRO - Department of the Environment and Heritage, p. 13;
Conservation International, «Megadiversity data tables», www.conservation.org/xp/CIWEB/home, dernier accès:
18 juillet 2011. Une organisation internationale de Pays mégadivers du même esprit (LMMC) a été créée en
2002, son secrétariat étant accueilli par l’Inde. Le Pérou utilise le slogan « país megadiverso » pour sa promotion
touristique à l’étranger.
4 Citation extraite des travaux de Kathryn Hochstetler (2010), «Regional environmental governance in South
America», dans Comparative regional government, édité par Lorraine Elliott, p. [2]. Le Traité amazonien est un
accord écorégional lancé en 1978 et transformé en organisation en 1995.
5 Voir l’article 1 du Traité frontalier entre l’Argentine et le Chili de 1881. Voir aussi supra.
110

Chili, mais aussi entre le Pérou et l’Ecuador et entre la Bolivie et le Chili. 1 De toute façon,
contrairement à leurs homologues alpins, les forces armées des différents pays n’ont pas créé
de corps spécialisé pour les zones de montagne.
Qui plus est, en contraste avec les Alpes et les Carpates, la question de la définition spéci-
fique du périmètre de la cordillère n’est jamais sortie des départements de géographie ou, peut-être,
des cercles de l’aménagement du territoire. Le périmètre de la Communauté andine, qui constitue
aussi une zone de libre-échange, comprend tout le territoire de ses états membres et pas seulement
les zones de montagne. De plus, la Communauté andine n’a jamais inclus le massif entier :
l’Argentine, qui est souveraine sur la moitié orientale du massif méridional, n’a jamais rejoint la
communauté, tandis que le Chili est parti en 1976 et le Venezuela en 2006. 2 Un atlas, qui vient
d’être publié par la Communauté andine, a proposé une définition pour les Andes septentrionales et
centrales (les soi-disant « Andes tropicales »), mais cette proposition se limite à l’étude. La diversité
extrême de la cordillère rend assez difficile l’adoption des méthodes développées en Europe et de
toute méthode uniforme. Par conséquent, les auteurs de l’atlas ont pris en considération une vaste
sélection de la littérature scientifique disponible, y compris les cartes nationales, et l’ont combinée
avec une approche ad hoc. 3
1 Sur les querelles frontalières dans la région andine, voir, par exemple, Jon Marco Church (2005), «The Rapprochement
between Argentina and Chile, 1978-2001», Cambridge University; id. (2008), «La crisis del Canal de Beagle», Estudios
Internacionales, vol. XLI, n. 161, ainsi que celles sur la sentence arbitrale sur Palena de 1966 à l’instar de J. Barros
(1984), Palena: un río, un arbitraje, Santiago, Santillana del Pacífico; W.D. Rushworth et W.P. Smith (1968), «Mapping
and Demarcation of the Argentine-Chile Frontier Case», The Photogrammetric Record, vol. VI, n. 32 ; sur le Pérou et
l’Ecuador et sur la Bolivie et le Chili, voir l’abondante littérature sur la question.
2 Historiquement, la communauté a été créée afin de contraster l’hégémonie de Brasilia et de Buenos Aires, mais aussi
comme expérience alternative et complémentaire à l’Association latino-américaine de libre-échange (ALALC), au-
jourd’hui connue comme l’Association latino-américaine d’intégration (ALADI). Le Chili a abandonné la communauté
après le coup d’état de 1973. En 2006, le Venezuela a aussi quitté l’Accord de libre-échange de 1995 avec le Mexique et
la Colombie (G3).
3 Voir en particulier C. Josse et al. (2009), Ecosistemas de los Andes del norte y centro: Bolivia, Colombia, Ecuador, Perú
y Venezuela, Lima, Secretaría General de la Comunidad Andina - Programa Regional ECOBONA-Intercooperation -
CONDESAN-Proyecto Páramo Andino - Programa BioAndes - EcoCiencia - NatureServe - IAvH - LTA-UNALM -
111

L’Initiative andine du Partenariat pour la montagne
La Communauté ne doit pas être confondue avec l’« Initiative andine » du Partenariat pour la montagne. Basée
sur l’expérience de la Convention alpine, l’Initiative andine vise à adapter le modèle alpin à l’écorégion andine
(les Andes soit tropicales soit méridionales). Cette initiative a été précédée par une consultation intergouverne-
mentale sur le développement durable des régions de montagne en Amérique latine, qui a eu lieu en 1995 à
Lima et organisé par la FAO pour faire avancer la mise en ouvre du Chapitre 13 de l’Agenda 21. L’initiative
part d’une série de rencontres au niveau mondial sur les écosystèmes de montagne, qui ont lieu à Cuzco et Hua-
raz (Pérou) avant et pendant l’Année internationale de la montagne (AIM) et donc avant que le Partenariat pour
la montagne ne soit lancé. La Deuxième rencontre mondiale du Partenariat pour la montagne, qui a eu lieu à
Cuzco en 2004, a été l’occasion pour une première réunion des partenaires andins lors d’une « session spé-
ciale ». Des priorités ont été établies et des initiatives ont été proposées. Des pays ont décidé de créer des « co-
mités de la montagne » nationaux, sur le modèle des comités nationaux créés à l’occasion de l’AIM. Les points
focaux nationaux pour le Partenariat pour la montagne – des fonctionnaires des ministères de l’environnement
ou des directions générales pour l’écologie dans les ministères des affaires étrangères – ont joué un rôle-clé à cet
égard. Cependant, la réunion préparatoire pour la première rencontre de l’Initiative andine n’a eu lieu qu’en
2006 – toujours à Lima – et une série d’axes thématiques ont été concordés. A l’époque, le comité de la mon-
tagne argentin (Comité de Montaña), qui est accueilli par le Ministère de l’environnement argentin et qui était le
plus développé du point de vue institutionnel, a assume un rôle de leader dans la préparation de la rencontre. En
2007, des représentants des administrations nationales de tous les états andins, avec l’exception du Chili, se sont
réunis à Tucumán (Argentine). Le secrétaire général de la Convention alpine était aussi présent à cette réunion.
Un Plan d’action pour le développement durable du Massif andin a été adopté, en définissant les objectifs stra-
tégiques, des projets spécifiques et des partenaires potentiels (suivant le modèle de l’Agenda écologique andin
de la Communauté andine). Cinq axes prioritaires ont été identifiés : l’usage durable des ressources, la préserva-
tion de l’héritage naturel et culturel, le renforcement des capacités institutionnelles, le changement climatique et
des questions transversales (éducation, formation, genre, groupes d’âge, réseaux et participation locale).
L’Initiative andine se retrouve toutefois face au défi majeur de se positionner parmi la Communauté andine, les
états andins (notamment à travers les comités de la montagne), CONDESAN et une pléthore d’autres initiatives
locales, régionales et mondiales sur les régions de montagne, ainsi que celui de prendre mesure avec l’extension
de la cordillera. Certains comités de la montagne sont dynamiques et sont en train de mettre en œuvre des pro-
jets (Argentine et Ecuador), certains autres sont actuellement en train de s’organiser (Chili et Bolivie), tandis
qu’il y a des situations confuses (Pérou et Colombie). Seule le comité vénézuélien n’a pas encore été créé.
ICAE-ULA - CDC-UNALM - RUMBOL, p. 14-31, ainsi que les sections méthodologiques sur les schémas par Van der
Hammen et Santos, d’un côté, et par Navarro et Maldonado, de l’autre dans le même ouvrage (p. 35-36). Pour une pers-
pective critique par un géographe alpin sur la définition de la région andine, lire Anne-Laure Amilhat-Szary (2007),
«L’intégration andine et ses présupposés: la région andine existe-t-elle?», Cahiers des Amériques Latines, n. 50.
112

Figure 11 : Carte des écosystèmes andins. 1
1 Produit par Josse et al. et publié par le secrétariat de la Communauté andine (Atlas de los Andes de norte y
centro). Celle-ci n’est pas une carte officielle de la communauté. Seule la Colombie a produit une carte officielle
de ses écosystèmes. Merci à Maria Teresa Becerra pour sa disponibilité.
113

Figure 12 : Carte des paysages culturels andins (à gauche) et de la distribution de la population (à droite). 1
Paramètres socio-économiques
Ceci est aussi le reflet d’une différence structurelle entre le mode de colonisation et, de
façon plus générale, des facteurs démographiques des Alpes par rapport aux Andes. A travers
le continent, les villes principales sont historiquement situées le long ou près de la côte afin de
faciliter le commerce avec l’Europe et l’Asie. Après la conquête (conquista), les centres ur-
bains étaient principalement habités par des colons européens, qui concentraient le pouvoir
économique dans ces lieux, à l’instar de Lima ou Bogota, tandis que les peuples indigènes
étaient relégués aux champs (campo), aux mines (minas) à la forêt (selva) ou à la montagne
1 Reproduit à partir d’ibid., p. 64 et du panorama susmentionné («GEO Andino 2003: perspectivas del medio
ambiente», p. 63). Techniquement, la carte à gauche représente des informations sur des zones naturelles et
autres, y compris des zones semi-naturelles habitées par des populations indigènes.
114

(sierra). 1 Aujourd’hui, les zones de montagne sont peu habitées, en particulier vers le sud, et
la grande majorité de la population se trouve dans les villes et vers la côte. Ce phénomène a
été accentué par l’exode massif des zones rurales qui a eu lieu pendant la deuxième moitié du
20 e siècle dans la plupart des zones géographiques du sud du monde et qui a conduit à
l’émergence rapide de « mégalopoles ». 2 Ces développements ont eu des conséquences impor-
tantes pour les régions de montagne, qui se sont retrouvées dans plusieurs cas en difficulté à
cause, d’un côté, du dépeuplement et, de l’autre, de la demande croissante de ressources natu-
relles à l’instar de l’eau, des minéraux, des biens forestiers et des produits agricoles par les
centres urbains et par une économie mondialisée. 3 Malencontreusement, ceci n’est pas un
phénomène nouveau et il est difficile de trouver une solution de continuité depuis l’époque de
la conquista. Heureusement, les peuples indigènes qui habitent toujours ces zones de mon-
tagne continuent à jouer un rôle important pour la gestion durable des écosystèmes andins.
Contrairement aux Alpes, les Andes n’ont pas été traditionnellement traversées par des
routes commerciales économiquement importantes ou des corridors routiers. 4 Ceci est aussi
signalé par différents niveaux d’anthropisation. L’Autoroute panaméricaine, par exemple, suit
1 Pour une perspective urbaine sur les peuples indigènes, voir l’ouvrage classique par Efraín Kristal (1987), The
Andes viewed from the city: literary and political discourse on the Indian in Peru (1848-1930), New York, P.
Lang ; voir aussi la perspective anthropologique par Beatriz Nates Cruz (2004), «Territoire, agriculture et
production socio-économique dans les Andes colombiennes: un regard anthropologique», Cahiers des Amériques
Latines, n. 45.
2 Voir, par exemple, Communauté andine, «GEO Andino 2003: perspectivas del medio ambiente», p. 62-63, ain-
si que trois numéros des Cahiers des Amériques Latines qui viennent d’être publiés sur ces questions «Centres-
villes, centralité, décentralisation en Amérique latine» (1994), vol. 18; «Métropoles d’Amérique latine» (2000),
vol. 35; «Changements démographiques en Amérique latine» (2004), vol. 47 (Paris, IHEAL Editions).
3 Voir encore Hochstetler, «Regional environmental governance in South America», p. [20-21].
4 Bien que plusieurs chemins ancestraux (caminos ancestrales) aient une grande importance historique au niveau
andin, à l’instar de la Grande route inca (Gran ruta inca) et son réseau de plus de 50 000 kilomètres de chemins
(César W. Astuhuamán Gonzáles (2008), «Descripción histórica y arqueológica del ramal central del sistema de
caminos Inka y recomendaciones para la selección de sitios y tramos de intervención en el desarrollo del
proyecto de gestión de los paisajes andinos», dans Estudio Lineamientos de Gestión, Lima, Instituto de Monta-
ña). Merci à Jorge Recharte pour son aide précieuse.
115

la ligne de la côte du Mexique au Chili, sans jamais traverser les Andes, exception faite du
trait entre Santiago et Buenos Aires. 1 Ces dernières années ont toutefois vu une inversion par-
tielle de cette tendance. Au niveau continental, en 2000, l’Initiative pour l’intégration de
l’infrastructure régionale en Amérique méridionale (IIRSA), un programme d’investissement
massif notamment dans le secteur des transports, a été lancée afin d’améliorer l’accès à cette
partie du continent et de promouvoir, en même temps, le commerce infrarégional. Huit des dix
axes prioritaires identifiés par l’initiative traversent la cordillère de façon latitudinale ou lon-
gitudinale. 2 Au niveau local, les exemples de l’inversion de cette tendance sont nombreux.
Des décennies de litiges autour de la frontière dans le district de Cenepa on laissé ces régions
périphériques de montagne du Pérou et de l’Ecuador dans un état de misère profonde, qui a
augmenté ultérieurement avec le conflit armé. Un Accord-cadre sur l’intégration frontalière, le
développement et le voisinage a été signé à Brasilia en même temps que les accords de paix
de 1998, démarrant ainsi un processus visant à repayer cette « dette historique ». L’accord a
résulté en un plan binational pour le développement de la région frontalière, qui est entré en
vigueur pour une période de dix ans, qui a été renouvelé ensuite pour une nouvelle période de
dix ans et qui incluait un fonds binational. Parmi les projets soutenus par ce fonds, cinq axes
routiers, dont quatre traversent des zones de montagne, sont actuellement en cours de réalisa-
1 L’autoroute a été conçue lors de la V Conférence panaméricaine, organisée à Santiago en 1923. Sur les premiè-
res conférences, voir Carlos Marichal, éd. (2002), México y las Conferencias Panamericanas 1889-1938:
Antecedentes de la globalización, México, DF, Colegio de México.
2 Voir infra. En décembre 2009, l’IIRSA comptait un portfolio de 510 projets infrastructuraux dans les domaines
des transports, de l’énergie et des communications, ce qui correspond à un investissement d’environ 74,5 mil-
liards de dollars. L’IIRSA est soutenue, en particulier, par trois banques : la Banque interaméricaine de dévelop-
pement, la Corporacíon Andina de Fomento (CAF) et le Fondo Financiero para el Desarrollo de la Cuenca del
Plata (FONPLATA). Voir notamment Mauricio Mesquita Moreira (2008), «Trade costs and the economic
fundamentals of the Initiative for the Integration of Regional Infrastructure in South America (IIRSA)»,
Integration and Trade, vol. 28 ; voir aussi Anne-Laure Amilhat-Szary (2003), «L’intégration continentale aux
marges du MERCOSUR: les échelles d’un processus transfrontalier et transandin», Revue de géographie alpine,
vol. 91, n. 3, et, pour une perspective comparative entre les Andes méridionales et les Alpes occidentales, Gian
Paolo Torricelli (2003), «Le réseau et la frontière: approche comparative des mobilités des espaces montagnards
dans les Alpes occidentales et les Andes du sud», Revue de géographie alpine, vol. 91, n. 3.
116

tion. 1 De même, contrairement aux Alpes, le secteur touristique est relativement peu dévelop-
pé, à l’exception de grands sites à l’instar des ruines de Machu Picchu ou des glaciers patago-
niens, notamment par rapport aux sports d’hiver. La coordination de l’industrie et de la poli-
tique touristique est donc une question marginale. Ceci est exemplifié par le manque
d’initiatives au niveau régional, à l’exception du « visa andin », qui est émis à l’entrée de
chaque état membre de la Communauté andine et qui accorde une liberté de mouvement à
l’intérieur de la communauté. 2
Dans la région andine, en plus de l’agriculture, un autre secteur-clé s’inscrivant dans
une perspective tout à la fois sociale et écologique est certainement celui de l’exploitation mi-
nière. 3 Tous les pays andins figurent parmi les exportateurs de minéraux les plus importants
au monde. Pendant ces dernières années, leurs économies ont grandement bénéficié des prix
élevés de l’or, du cuivre, du gaz naturel et d’autres minéraux. Leurs gouvernements ont sou-
vent utilisé les recettes de l’exploitation minière pour renforcer leurs positions tout à la fois au
1 Avant février 2009, le Fond binational a approuvé son soutien à 379 projets pour un total de 18,7 millions de
dollars. Ceci n’est pas beaucoup par comparaison avec le coût estimé de l’accord, qui était de 3 milliards en
1998. Ceci incluait les recettes dérivant de la coopération internationale, par exemple, les contributions de 40 et
106 millions de l’UE au premier et cinquième axe routier respectivement, tandis que le Japon a promis 574 mil-
lions de yen pour la construction d’un pont. De toute manière, l’ensemble des fonds est moins que ce qui avait
été imaginé au début. Voir la publication de la section péruvienne du secrétariat du Plan binational (2009),
Ecuador-Perú: 10 años de paz y desarrollo (1998-2008), Lima, Plan Binacional de Desarrollo.
2 Voir la décision 503 (2001).
3 Voir, entre autre, la perspective critique sur la gouvernance de l’exploitation minière en Amérique latine par
Keith Slack (2009), «Digging out from neoliberalism: responses to environmental (mis)governance of the mining
sector in Latin America», dans Beyond neoliberalism in Latin America? Societies and politics at the crossroads,
édité par John Burdick et al., New York, Palgrave Macmillan, y compris la monographie sur la durabilité des
activités d’une société minière par Laura Margarita Milanés Reyes et al. (2006), Cerro Matoso S. A.:
sostenibilidad de una empresa minera en un entorno turbulento (1970-2003), Bogotá, Universidad de los Andes,
Facultad de Administración; José Camilo Dávila Ladrón de Guevara (2006), «Organizational culture and
sustainability in turbulent environments: insights from a case-study of a large mining MNC in a Latin America
country / Cultura organizacional y sostenibilidad en entornos turbulentos: reflexiones a partir de un estudio de
caso en profundidad de una empresa minera en Colombia», Bogotá, Universidad de los Andes, Facultad de
Administración.
117

niveau national, particulièrement en investissant dans les infrastructures, et au niveau interna-
tional. La « pétrodiplomatie » du Venezuela – l’un des membres fondateurs de l’OPEP – est
probablement l’exemple le mieux connu ; le surplus budgétaire du Chili, qui a amené la dette
publique de plus de 40 % du PIB en 1989 à zéro en moins de vingt ans, est un autre exemple
éloquent, lié à la cotation exceptionnellement élevée du cuivre. Tandis que l’exploitation mi-
nière est une activité économique qui est généralement orientée vers les marchés mondiaux,
elle a normalement des conséquences importantes au niveau social et écologique. Les mines
sont souvent dans des zones éloignées, ce qui réduit la capacité du gouvernement à faire res-
pecter l’état de droit et qui expose fréquemment les travailleurs (en même temps que ceux qui
dépendent des entreprises et ceux qui travaillent individuellement) et les habitants à des condi-
tions inhumaines ; les mines se trouvent aussi souvent dans des zones de montagne, ce qui
résulte, par exemple, en la contamination des fleuves et de l’environnement dans son en-
semble (avec des répercussions fréquentes pour les plaines), qui s’ajoutent aux problèmes
susmentionnés avec le respect de la loi (y compris les standards écologiques). 1
Le projet « Yasuní »
Dans le secteur pétrolier, le gouvernement équatorien a démontré une créativité sans
égales. L’exemple le plus remarquable est la proposition récente de ne pas exploiter les
réserves de pétrole qui se trouvent sous la région de Yasuní dans l’Amazone, l’une des
zones avec les plus hauts niveaux de biodiversité au monde et terre du peuple huaorani et
d’autres tribus indigènes. Bien qu’elles soient les réserves connues de pétrole les plus
vastes du pays (estimées à la hauteur de 900 millions de barils), le gouvernement équato-
rien a proposé de ne pas octroyer de concessions aux compagnies pétrolières, mais de louer
par contre la zone à des groupes pour la conservation de la nature (pour le « prix » symbo-
lique de 350 millions de dollars par an).
1 Le problème de la pollution de l’eau à cause de l’usage du mercure pour l’extraction de l’or est particulièrement
grave. Voir la présentation de La Rinconada, à savoir la frontière de la course à l’or au Pérou dans Brook Larmer
(2009), «The real price of gold», National Geographic, January.
118

Ceci a attiré l’attention de la communauté internationale et a conduit à une attention
croissante sur les bassins hydriques. Dans les années 80, par exemple, la Commission écono-
mique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) a lancé une initiative sur la gestion et
le développement des bassins d’eau douce en haute montagne, qui avait une approche critique
par rapport à l’exploitation minière et qui a eu un impact significatif sur la perspective de la
coopération internationale sur ces questions et sur le montage des projets. 1 D’une certaine fa-
çon, cette approche était malheureuse, car étudier la montagne selon la perspective des fleuves
signifiait s’occuper de manière seulement partielle des intérêts des habitants de la montagne.
Les intérêts de ceux résidant dans des zones de plaine, comme par exemple
l’approvisionnement en eau et la pollution, étaient fortement présents aussi. Il faut noter éga-
lement que, si plusieurs fleuves naissent dans les Andes, ils sont rarement transfrontaliers, ex-
ception faite bien de l’Amazone (qui se déverse dans l’Atlantique) et de quelques autres
fleuves d’intérêt purement bilatéral (à l’instar du Pastaza entre le Pérou et l’Ecuador). Dans le
prolongement de cette réflexion sur l’eau douce, mais avec un angle d’approche différent
(zones humides), une autre initiative significative a été lancée dans les années 2000 et mis
1 Voir la publication CEPAL (1988), Gestión para el desarrollo de cuencas de alta montaña en la zona andina,
Santiago de Chile, CEPAL. Ce processus a été financé par le gouvernement italien et soutenu par le PNUE et le
Pacte andin de l’époque. Voir aussi le document préparatoire pour la Commission Bruntland par Jayanta
Bandyopadhyay (1985), «Rehabilitation of upland watersheds: background paper», Geneva, WCED. L’étude
andine a représenté une référence importante pour le développement de projets ultérieurs par CONDESAN, pour
faire un exemple (initiative sur les lignes de partage des eaux). Sur CONDESAN, voir la présentation par Miguel
Saravia et Marcela Quintero (2009), «CONDESAN: an innovative and multi-institutional Andean platform in
continuing evolution», Mountain Research and Development, vol. 29, n. 4. En Bolivie, un projet controversé est
représenté par le barrage de Misicuni, soutenu lui aussi par la coopération italienne. En 2013, le barrage est censé
approvisionner Cochabamba en eau, à savoir la ville qui a été le théâtre de la « révolte de l’eau » de 2000. Les
révoltes étaient une conséquence des prix élevés dérivant de la privatisation du secteur hydrique imposée par le
FMI (Jim Schultz (2008), «La guerra del agua en Cochabamba y sus secuelas», dans Desafiando la
globalización: historias de la experiencia boliviana, édité par Jim Shultz et Melissa Draper, La Paz, Plural
Editores; Franck Poupeau (2002), «La guerre de l’eau (Bolivie, 1999-2001)», Agone, n. 26-27; Thomas Kruse
(2005), «La “Guerra del Agua” en Cochabamba, Bolivia: terrenos complejos, convergencias nuevas», dans
Sindicatos y nuevos movimientos sociales en América Latina, édité par Enrique de la Garza Toledo, Buenos
Aires, CLACSO).
119

l’accent sur les zones de páramo, un écosystème fragile à haute altitude qui est habité par plu-
sieurs groupes (dans la quasi-totalité des cas d’héritage indigène), qui permet de stocker le
carbone et qui représente une source d’eau importante. Le projet est financé par le Global En-
vironment Facility (GEF) et, sous le leadership de CONDESAN, est géré par un consortium
formé principalement par des institutions universitaires régionales. 1 Les états membres de la
Communauté andine ont manifesté eux aussi un intérêt tout particulier pour ce projet, à travers
son secrétariat (SGCAN), malgré les différences significatives dans les niveaux de protection,
qui vont de la prohibition totale de l’exploitation minière dans les zones de páramo en Co-
lombie au manque relatif de protection au Pérou. 2
Pour en revenir à l’étonnante « non-domination » des questions écologiques dans la
Communauté andine, il faut noter que, de manière similaire au Traité amazonien, depuis la fin
des années 90, la place de l’environnement a grandement augmenté dans l’agenda des états
andins. Pour le Chili, le Pérou et la Colombie, il est généralement accepté que la négociation
des accords de libre-échange (ALE) a été instrumentale à cet égard, à cause de la pression du
sénat américain. 3 Ceci n’est certainement pas le cas pour la Bolivie, l’Ecuador et le Venezue-
la, qui se sont opposés fortement à la Zone de libre-échange des Amériques (ALCA) et qui,
contrairement à Lima et Bogota, ne se sont pas lancés dans des négociations bilatérales avec
1 Sur CONDESAN, voir supra.
2 Voir la section sur les zones de páramo dans l’atlas publié par la Communauté andine, Atlas de los Andes de
norte y centro, p. 12-17; Josse et al., Ecosistemas de los Andes del norte y centro: Bolivia, Colombia, Ecuador,
Perú y Venezuela ; voir aussi le document de synthèse qui a été produit par la composante politique du projet sur
le páramo.
3 Le Chili a signé son ALE avec les Etats-Unis en 2003, le Pérou et la Colombie en 2006 (Jeffrey J. Schott
(2006), Trade relations between Colombia and the United States, Washington, DC, Institute for International
Economics; Alejandra Ruiz-Dana (2009), «Peru and Ecuador: a case study of Latin American integration and
conflict», dans Regional trade integration and conflict resolution, édité par Shaheen Rafi Khan, London,
Routledge, p. 223-225). A l’époque de l’écriture de ce texte, l’ALE avec la Colombie n’avait pas encore été ap-
prouvé par le Sénat américain.
120

les Etats-Unis. 1 La coopération et la négociation d’un accord de libre-échange avec l’UE de la
part de la Communauté andine comme un bloc commercial ont également été utiles pour les
états membres. Des préoccupations de « dumping écologique » étaient aussi présentes sur la
table des négociations. 2 Les niveaux de protection de l’environnement ne sont pas toujours les
mêmes dans chaque pays, la Colombie étant généralement considérée comme le pays le plus
vertueux, tandis que le Pérou est normalement perçu comme étant à la traîne. 3 Cependant, une
convergence des politiques est visible au niveau régional et en général une croissance de la
conscience environnementale peut être appréciée parmi les états membres.
Les pressions externes correspondent en fait aux attentes internes de sociétés de plus
en plus riches et informées. Pendant les deux dernières décennies, le produit intérieur brut
(PIB) pro capita a augmenté de manière importante dans chaque pays. 4 Comme partout, le
1 Sur les ALE, la Zone de libre-échange des Amériques (FTAA) et l’intégration régionale, voir l’ouvrage édité
par Consuelo Ahumada et Arturo Cancino (2003), «Comunidad Andina y MERCOSUR en la perspectiva del
ALCA», Bogotá, Centro Editorial Javeriano, ainsi que la contribution sur l’ALE avec le Pérou par Ariela Ruiz
Caro (2007), «Impacto del TLC en la desigualdad y en los procesos de integración regional», dans Un continente
en la encrucijada: Nuestra América en transformación, édité par Riccardo A. Dello Buono et Marco A.
Gandásegui Jr., Panama, CELA / Universidad de Panama.
2 Sur les négociations d’un ALE entre la Communauté andine et l’UE, voir les évaluations par Rita Giacalone de
Romero (2008), «Negociaciones entre la Comunidad Andina y la Unión Europea en el marco del inter-
regionalismo», dans La integracion sudamericana: un complejo proceso inconcluso, édité par Rita Giacalone de
Romero, Mérida, Universidad de Los Andes, Facultad de Ciencias Económicas y Sociales; Marleny Bustamante
et Rita Giacalone (2009), «An assessment of European Union cooperation towards the Andean Community
(1992–2007)», dans The EU and world regionalism: the makability of regions in the 21st century, édité par
Philippe de Lombaerde et Michael Schulz, Farnham, Ashgate. Voir aussi la thèse par Giovanni Molano (2010),
«Les relations entre la Communauté andine et l’Union européenne: le cas de la coopération contre le trafic illicite
de stupéfiants», Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.
3 Le leadership colombien et le retard relatif du Pérou ont clairement émergé des entretiens.
4 Se référer aux données officielles publiées par la Division statistiques de l’ONU (UNSD):
1988 1998 2008 Ces chiffres correspondent aux données offi-
Venezuela
Chili
3 105,63 $
2 095,55 $
3 889,59 $
5 277,81 $
11 375,60 $
10 091,25 $
cielles plus récentes transmises par les états
Colombie 1 635,42 $ 2 876,96 $ 5 415,09 $ membres de l’ONU sur leur PIB pro capita à
Pérou
Ecuador
1 488,74 $
1 074,54 $
2 251,86 $
1 942,16 $
4 471,15 $
3 899,62 $
prix constants (dollars américains).
Bolivie 686,77 $ 1 064,71 $ 1 722,82 $
121

nombre et l’activisme des ONG écologistes a également grandi. 1 Par conséquent, la Commu-
nauté andine a commencé elle aussi à focaliser son attention sur les questions écologiques. En
1998, ceci a mené à la création d’un Comité andin des autorités environnementales (en espa-
gnol : Comité Andino de Autoridades Ambientales ou CAAAM). 2 Une Stratégie régionale sur
la biodiversité a donc été préparée dans le cadre de la CBD et a été approuvée en 2002 par le
Conseil des ministres des affaires étrangères (Consejo Andino de Ministros de Relaciones Ex-
teriores ou CAMRE), à un niveau décisionnel qui est second seulement au Conseil présiden-
tiel (Consejo Presidencial Andino), quelque chose que la Convention alpine n’est pas encore
arrivée à faire. 3 Deux ans plus tard, un Conseil des ministres de l’écologie (Consejo de Minis-
tros de Medio Ambiente y Desarrollo Sostenible del la Comunidad Andina) a aussi été lancé,
relevant ainsi le profil politique des négociations écologiques et signalant par la même occa-
sion une augmentation de la capacité des institutions andines, en particulier des Ministères de
1 Sur les ONG écologistes, voir le livre par Thomas Princen et Matthias Finger (1994), Environmental NGOs in
world politics: linking the local and the global, London, Routledge et le chapitre par Barbara Gemmill et
Amimbola Bamidelu-Izu (2002), «The role of NGOs and civil society in global environmental governance»,
dans Global environmental governance: options and opportunities, édité par Daniel C. Esty et Maria H. Ivanova,
New Haven, CT, Yale School of Forestry and Environmental Studies. Pour une analyse detaillée sur l’Amérique
latine, voir Marie Price (1994), «Ecopolitics and environmental nongovernmental organizations in Latin
America», Geographical Review, vol. 84, n. 1, Blanca Torres (1997), «Transnational environmental NGOs:
linkages and impact on policy», dans Latin American environmental policy in international perspective, édité par
Gordon J. MacDonald et al., Boulder, CO, Westview Press et Catherine Christen et al. (1998), «Latin American
environmentalism: comparative views», Studies in Comparative International Development, vol. 33, n. 2. Pour
une ethnographie récente d’une ONG de montagne péruvienne, voir la thèse de doctorat par Nicolas Mereveille
(2010), «Logique procédurale et dispositifs de mesure: ethnographie d’une ONG de conservation et
développement au Pérou», EHESS. Finalement, sur la croissance du nombre d’ONG au monde, se référer à
l’ouvrage classique par Peter Willetts, éd. (1996), The conscience of the world: the influence of non-
governmental organisations in the UN system, London, Hurst.
2 Se référer à la décision 435 (1996). Ces développements institutionnels ont été précédés par des décisions subs-
tantielles sur des questions écologiques : décision 182 (1983), qui a lancé le Système andin « José Celestino Mu-
tis » sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement ; décision 345 (1993), qui a éta-
bli un Régime commun pour la protection des droits des éleveurs de variétés végétales ; décision 391 (1996), qui
a créé un Régime commun sur l’accès aux ressources génétiques.
3 Adoptée avec la décision 593 (2002). Voir aussi supra.
122

l’écologie des différents pays. 1 La décision la plus significative a toutefois été l’adoption en
2006 d’un Agenda écologique andin (Agenda Ambiental Andina ou AAA) non contraignante
mais abondamment publicisée, qui a été adoptée par le Conseil des ministres de l’écologie en
2006 et qui est en cours de renégociation. Le nouvel agenda pourrait être approuvé par une
décision formelle du Conseil des ministres des affaires étrangères, en devenant juridiquement
obligatoire et en passant du « droit mou » (en anglais : soft law) au « droit dur », selon les
contenus et la formulation des obligations. 2 Contrairement aux décisions de la Conférence al-
pine, celles du Conseil des ministres des affaires étrangères peuvent être en fait juridiquement
contraignantes pour les états membres ; elles prévalent sur la législation nationale et peuvent
être mises aussi en œuvre directement par les juges internes. 3 En formant des politiques et en
adoptant des décisions communes, les états andins réduisent les coûts de transaction internes
(par rapport aux législateurs nationaux) et externes (par rapport aux litiges écologiques fu-
turs). De plus, ils peuvent compter sur le soutien du cadre institutionnel de la Communauté
andine, en particulier de son secrétariat, qui se trouve à Lima. 4
1 Se référer à la décision 596 (2004). Voir aussi infra.
2 Sur la distinction entre le droit mou et le droit dur et sur le débat savant autour, lire Christine Chinkin (2000),
«Normative development in the international legal system», dans Commitment and compliance: the role of non-
binding norms in the international legal system, édité par Dinah Shelton, Oxford, Oxford University Press,
Kenneth W. Abbott et al. (2000), «The concept of legalization», International Organization, vol. 54, n. 3, ainsi
que Sylvia I. Karlsson-Vinkhuyzen et Antto Vihma (2009), «Comparing the legitimacy and effectiveness of
global hard and soft law: an analytical framework», Regulation & Governance, vol. 3, n. 4. Je suis infiniment
reconnaissant à Sylvia pour ces références.
3 Faire référence, inter alia, à Quindimil López, Instituciones y derecho de la Comunidad andina, p. 295-298, et
à la décision historique du Tribunal de justice de la Communauté andine (Tribunal de Justicia de la Comunidad
Andina ou TJCA) 2 IP 88 (1988) sur une interprétation préjudicielle d’une décision de la Commission andine
émise à la demande de la Cour suprême de la Colombie. Cette décision établit « la préemption absolue du droit
communautaire », en citant de façon exhaustive le droit communautaire de l’UE comme précédant, notamment
les cas Costa/ENEL (1964) et Simmenthal (1978). Se référer aussi à la littérature abondante sur les accords in-
ternationaux juridiquement contraignants et sur la préemption et l’effet direct du droit communautaire.
4 Voir ibid.
123

Situation politique
De manière similaire à la Convention alpine, la Communauté andine est elle aussi un
produit des capitales. Elle a été lancée vers la fin des années 60 par les gouvernements sous le
leadership du président du Chili Eduardo Frei et de son homologue colombien Carlos Lleras. 1
Des consultations ont eu lieu avec les acteurs économiques, en particulier avec les secteurs
industriel, commercial et agricole. 2 Dans les années 60, l’opposition initiale des industriels
vénézolans a été surmontée dès que l’objectif de développer ultérieurement la capacité indus-
trielle des pays andins est devenue claire. 3 Cependant, au début de l’intégration andine, la par-
ticipation de la société civile telle qu’on la considère aujourd’hui était limitée. Contrairement
à la Convention alpine, mais comme l’UE, il n’y a pas d’ONG avec un statut d’observateur
officiel. 4 Si cela était l’usage dans les années 60, il l’est dans un moindre degré aujourd’hui.
Des représentants de la communauté scientifique, des ONG et d’autres organisations interna-
tionales et gouvernementales sont toutefois invités de temps en temps à participer aux réu-
nions, notamment sur les questions écologiques. 5 Comme dans le cas de l’UE, le Parlement
andin (en espagnol : Parlamento Andino), créé en 1979 et basé à Bogota, est supposé être le
moment représentatif du processus d’intégration. Bien que, en 1996, les états membres aient
1 Voir également la synthèse de la conférence sur la « construction » de la Communauté andine, organisée en
1990 dans le siège de la Corporación Andina de Fomento (CAF) à Caracas (Cabrera Ferrada, «Hablan los
constructores de un sueño»).
2 Voir ibid.
3 Voir également l’entretien avec Lleras Restrepo, «Una vida al frente de la integración», p. 11.
4 Depuis sa création, le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) octroie un « statut consultatif » à des
ONG (article 71 de la Charte de l’ONU). Il faut noter que, depuis les années 90, le Conseil de l’Europe reconnaît
lui aussi un statut consultatif à quelques ONG internationales (résolution (93) 38). A l’intérieur de l’UE, une
Plate-forme d’ONG sociales (Plate-forme sociale) a été lancée en 1995. Elle est consultée régulièrement par la
Commission européenne. Cependant, aucune ONG ne possède le statut d’observateur officiel de l’UE. Comme
dans le cas de la Communauté andine, le Parlement européen est le moment représentatif du processus
d’intégration. Sur les ONG écologiques, revoir supra.
5 La communauté scientifique, les ONG, certaines autres organisations internationales et gouvernementales sont
fondamentales, par exemple, pour la mise en œuvre de l’AAA, qui se réfère explicitement à des alliances poten-
tielles avec ces acteurs, en les nommant individuellement. Voir la publication de la Communauté andine (2007),
«Agenda Ambiental Andina (2006-2010)», Lima, Comunidad Andina, Secretaría General, p. 5-20.
124

décidé que ses représentants devaient être élus directement, il reste un organe consultatif doté
de prérogatives de surveillance, mais sans pouvoir législatif. 1 En fait, les états et le secrétariat
sont les sources principales des initiatives politiques. Les pressions externes des Etats-Unis et
de l’UE peuvent jouer aussi un rôle important : le Conseil présidentiel andin correspond au
Conseil européen ; le Conseil des ministres des affaires étrangères au Conseil des affaires gé-
nérales de l’UE ; la Commission andine au Conseil des affaires économiques et financières ;
le Secrétariat général à la Commission européenne ; le Tribunal de justice andin à la Cour eu-
ropéenne de justice, etc. 2
La circulation normative, notamment entre la Communauté andine et l’Union euro-
péenne est sans doute facilitée par des échanges réguliers, notamment avec la Commission
européenne. 3 A cet égard, l’impact de l’UE en tant qu’exemple pour la Communauté andine
1 Le Parlement andin a été convoqué pour la première fois en 1984. Jusqu’en 1996, ses membres étaient élus par
les parlements des états membres. Avec à peine vingt membres, c’est un petit parlement tout point de vue con-
fondu (il y avait vingt-cinq membres avant le départ du Venezuela). En 1996, le Protocole de Trujillo a été adop-
té. Par conséquent, des suffrages directs ont déjà eu lieu au Pérou, en Ecuador et en Colombie, tandis que les
représentants boliviens sont encore élus de manière indirecte (bien qu’il y ait une disposition dans la constitution
qui prévoit le suffrage direct). Encore une fois, un peu comme dans le cas de l’UE, au fil du temps, malgré ces
progrès, le Parlement a été l’objet de critiques pour son manque de poids politique. Les résultats des élections
récentes pour les représentants colombiens, qui ont eu lieu le 14 mars 2010 pour la première fois et qui ont vu
une majorité de votes blancs, sont symptomatiques de ces critiques. Ceci est comparable au taux de participation
aux élections pour le Parlement européen en 2009, qui était inférieur à 25 % en Pologne.
2 Voir supra.
3 Plusieurs projets de renforcement des capacités, financés par l’UE, sont actuellement en train d’être mis en
œuvre, notamment autour des questions suivantes : drogue, institutions, statistiques, échanges, société civile,
prévention du risque, cohésion sociale, économique et territoriale (Molano, «Les relations entre la Communauté
andine et l’Union européenne: le cas de la coopération contre le trafic illicite de stupéfiants»). Un premier accord
de coopération a été signé en 1979, se focalisant sur l’agriculture, la santé et l’éducation ; en 1984, un accord de
deuxième génération ciblait les affaires économiques et commerciales ; en 1993, la troisième génération incluait
le développement social et politique. Les négociations pour un accord d’association ont commencé en 2002. La
même année, une première stratégie régionale pour la Communauté andine a été lancée par l’UE pour la période
2000-2006. Une deuxième stratégie a démarré pour 2007-2013, se focalisant sur l’intégration économique, la
drogue, et la cohésion sociale et économique. Ces stratégies régionales sont essentiellement des programmes de
financement pour la coopération internationale. A l’époque de l’écriture de ce texte, les négociations pour un
accord d’association étaient encore en cours.
125

ne peut pas être sous-estimé, si l’on considère également que l’expérience de l’UE est, norma-
lement, l’exemple parfait d’intégration régionale aussi dans les pays andins et qu’il est encore
relativement fréquent pour les élites politiques latino-américaines d’avoir étudié dans les uni-
versités de l’UE et d’avoir résidé dans les capitales de l’UE. Des mouvements spécifiques, à
l’instar du groupe Aymara ci-dessous, et certains individus, comme dans le cas du páramo,
peuvent jouer un rôle significatif. Le développement et la mise en œuvre du projet du páramo,
en fait, doit beaucoup au dévouement d’individus, à l’instar de Jorge Recharte et Miguel Sa-
ravia, et au soutien concret de leurs organisations respectives, l’Institut de la montagne et
CONDESAN, dont le rôle est comparable à celui de l’UICN et de la CIPRA dans la Conven-
tion alpine. 1 Cette mobilisation n’a donc pas lieu dans le vide.
Si l’on remonte au 19 e siècle, le panaméricanisme est un facteur unifiant dans les
Andes, un peu comme l’européisme dans les Alpes : la Communauté andine a en fait été déve-
loppée dans le cadre du processus d’intégration latino-américain, comme un module vers une
intégration plus profonde. 2 De toute manière, contrairement au cas alpin, la langue espagnole
est un élément unifiant, pas seulement pour les pays andins. Nonobstant la grande diversité
des langues indigènes, à l’instar du quechua ou de l’aymara et de leurs patois, l’espagnol est la
langue officielle dans chaque pays andin. 3 Ceci rend les négociations internationales beaucoup
1 L’Institut de la montagne (en anglais : Mountain Institute) est la première ONG active au niveau mondial sur la
conservation de la montagne. Etabli en 1972 en Virginie de l’ouest (Etats-Unis), il est désormais présent dans les
Appalaches, les Andes, les Alpes et l’Himalaya. Son travail sur le terrain et son leadership sont remarquables. En
1995, l’Institut a joué un rôle fondamental dans la création du Forum de la montagne (Mountain Forum), le ré-
seau mondial d’ONG sur la montagne qui était accueilli par ICOMOD (Centre international pour le développe-
ment intégré de la montagne) à Katmandu et qui est maintenant hébergé par CONDESAN à Lima. Sur CONDE-
SAN et le projet « páramo », voir supra.
2 Voir infra.
3 En Bolivie, l’Aymara et le Quechua sont aussi des langues officielles ; au Chili, en Colombie, en Ecuador, au
Pérou et au Venezuela, l’espagnol est la seule langue officielle (au Chili, les langues andines sont « co-
officielles » dans les communautés indigènes ; au Pérou, elles sont aussi co-officielles là où elles sont parlées par
la majorité de la population ; en Ecuador, elles sont d’« usage officiel » par les peuples indigènes ; finalement, au
Venezuela, elles sont « officielles » seulement pour les peuples qui les parlent). Sur les langues andines, voir les
126

plus faciles, car elles n’ont pas besoin de services de traduction ou d’interprétation, qui peu-
vent s’avérer coûteux. Pour la mise en œuvre concrète de certains projets, l’usage de langues
andines est parfois nécessaire dans des zones éloignées, ce qui n’est pas forcement un facteur
aliénant. Dans les Andes, les populations locales s’identifient également du fait de la mon-
tagne qu’elles partagent. Cependant, des réserves similaires à celles émises au cas des Alpes
s’appliquent aussi : l’identification est souvent partielle et chevauchante avec d’autres fac-
teurs, à l’instar du continent, de la nation, de la religion, de l’ethnicité, de la classe sociale, des
origines familiales, etc. 1 Les Andes ont des significations différentes en fonction des per-
sonnes. Prenez la pratique urbaine de l’« andinisme » et le phénomène récent des « présidents
andins ». Le premier terme correspond à la pratique de l’« alpinisme », qui est typique des
élites urbaines et mondialisées, qui utilisent la montagne comme des lieux de loisirs ou
comme des laboratoires scientifiques. 2 Les Andes sont clairement polysémiques, ce qui per-
met à des individus différents de s’identifier à elles de manières différentes. La Communauté
andine n’a toutefois pas conduit à la prolifération d’initiatives sur la montagne que nous avons
observées dans le cas de la Convention alpine : CONDESAN, un réseau d’ONG, a été créé en
1993 et l’Institut de la montagne est présent au Pérou depuis 1996. De toute façon, les acteurs
et les initiatives locales sont nombreux et sont souvent soutenus par la coopération internatio-
nale. Les collectivités territoriales et les organisations locales ont moins de ressources que
leurs équivalents européens, mais leur impact n’est pas négligeable. Pour le projet sur le
ouvrages de référence par Alfredo Torero (2005), Idiomas de los Andes: lingüística e historia, 2 e éd., Lima,
Editorial Horizonte et Willem F. H. Adelaar et Pieter Muysken (2004), The languages of the Andes, Cambridge,
Cambridge University Press, ainsi que l’article sur l’usage de techniques innovantes pour l’étude des langues
andines par Paul Heggarty (2007), «Enigmas en el origen de las lenguas andinas: aplicando nuevas tecnicas a las
incognitas por resolver», Revista Andina, n. 40.
1 Voir aussi supra.
2 L’alpinisme est définitivement moins répandu en Amérique latine qu’en Europe, aussi parce que ceux qui peu-
vent se le permettre sont moins nombreux et que les infrastructures ne sont pas là. Pour une perspective plus cri-
tique, voir l’article par Thierry Lefebvre (2005), «L’invention occidentale de la haute montagne andine»,
Mappemonde, vol. 79, n. 3.
127

páramo uniquement, CONDESAN n’a compté pas moins de 216 institutions, qui ont des ca-
pacités à cet égard à travers la région. La plupart de ces institutions sont des collectivités terri-
toriales, des organisations et des universités locales. De plus, le processus de décentralisation
en cours, bien qu’il y ait des différences importantes entre les pays (que nous allons explorer),
est en train de renforcer les collectivités territoriales. Actuellement, la Communauté andine et,
notamment, CONDESAN jouent le rôle fondamental qui a été joué par la Convention alpine
et par la CIPRA dans la mise en réseau et la mobilisation de ces ressources.
Un autre élément clé dans les zones de montagne est la question indigène, qui peut va-
rier de manière significative selon l’état, le groupe et l’individu. Ceci dépasse grandement la
portée de cette étude, mais il est important de le mentionner, vu aussi que deux des présidents
de la région ont des origines indigènes (à savoir, Hugo Chávez au Venezuela et Evo Morales
en Bolivie). À travers le continent, comme cela arrive souvent quand une population est me-
nacée, quand les conquistadores ont occupé le territoire, les amérindiens ont trouvé abri dans
des zones éloignées, notamment les régions de montagne, en essayant parfois de résister. 1
Pendant la période coloniale, à travers le continent, les peuples indigènes, souvent asservis,
étaient à peine considérés comme des êtres humains, ce qui a laissé aux nouvelles républiques
du début du 19 e siècle le défi de les réintégrer comme des citoyens de plein droit. Certains
chercheurs travaillant sur cette période considèrent ceci comme un processus de « colonisa-
tion interne ». Vers la fin du 19 e siècle, le mouvement littéraire romantique indigéniste est de-
venu de plus en plus à la mode parmi les élites urbaines du continent entier et a été transfor-
mé, au 20 e siècle, dans l’idéologie métisse, à savoir la croyance selon laquelle mixer les
1 Quoique le système des réductions (reducciones) ait démontré être assez efficace dans le maintien des amérin-
diens sur place, pensez à l’épisode de Tupac Amaru (soit le dernier leader inca au 16 e siècle soit le rebelle indi-
gène du 18 e siècle). Il s’agit d’un phénomène commun : réfléchissez aussi au rôle de la Sierra Maestra pour les
guerrilleros pendant la révolution cubaine ou des Alpes et des Apennines pour les partigiani de la résistance
antifasciste. Sur l’ethnicité, les marchés et les migrations dans les Andes, voir B. Larson et O. Harris (1995),
Ethnicity, markets, and migration in the Andes: at the crossroads of history and anthropology, Durham, NC,
Duke University Press.
128

« races » européenne et amérindienne pourrait contribuer au progrès de la nation, en « renfor-
çant » génétiquement les populations indigènes. Pratiquement chaque pays latino-américain a
suivi cette trajectoire historique avec des différences mineures. Cette approche a été l’objet de
critiques sévères au début des années 80. Les peuples indigènes étaient, en fait, présentés
comme des objets de ces politiques publiques et non pas comme leurs sujets. Ceci a coïncidé
avec l’émergence de plusieurs mouvements et initiatives indigènes qui ont permis la participa-
tion des peuples indigènes au façonnement de leurs communautés avec une attention toute
particulière sur leur diversité ethnique et sur leur droit à l’autodétermination. La réception et
l’impact de ces mouvements varie grandement selon le pays, avec l’Ecuador et la Bolivie, par
exemple, qui ont embrassé pleinement leur multiethnicité. 1 Un exemple intéressant dans les
Andes est le groupe ethnique aymara, qui s’étend dans les zones de montagne de la Bolivie au
Pérou et au Chili et qui, grâce aussi à la faveur du gouvernement Morales et au soutien de par-
tenaires internationaux, a lancé un projet pour développer ses communautés au-delà des fron-
tières nationales. 2
Relations internationales
Contrairement à la Convention alpine, mais de manière similaire à l’UE, au MERCO-
SUD et à des organisations régionales de sécurité comme l’OTAN, le poids de la Communau-
té andine dans les négociations est étroitement couplé avec le pouvoir militaire, économique
1 Voir, inter alia, Ramón Máiz (2004), «La construcción política de identidades étnicas en América Latina», dans
Las movilizaciones indigenistas en América Latina, édité par S. Martí et A. Sanahuja, Salamanca, Universidad
de Salamanca; id. (2004), «El indigenismo político en América Latina», Revista de Estudios Políticos, vol. 123.
En 2007, ce processus a conduit à l’adoption historique de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples
indigènes (document A/RES/61/295).
2 En 2009, la Bolivie a été rebaptisée par décret gouvernemental « Etat plurinational de Bolivie », tandis qu’en
2008 la nouvelle constitution de l’Ecuador mentionne l’interculturalité et la plurinationalité comme ses principes
fondamentaux. La situation est différente au Chili et en Argentine, où le nombre d’habitants indigènes qui rési-
dent en montagne est faible (par exemple le groupe ethnique aymara) ; elle est compliquée au Pérou et en Co-
lombie, qui ont fait face à des mouvements radicaux, à l’instar du Sendero Luminoso et des FARC ; l’expérience
bolivienne n’a pas été simple non plus, si l’on considère les tensions entre la plaine relativement riche et euro-
péenne (Santa Cruz) et l’altiplano essentiellement pauvre et indigène (La Paz). Voir aussi infra.
129

et culturel traditionnel. Les ministères des affaires étrangères et les services diplomatiques
sont à la tête des négociations. Les ministères techniques sont eux-aussi impliqués dans des
questions spécifiques, par exemple les ministères au commerce sur les questions commer-
ciales et les ministères de l’écologie sur les questions écologiques. A cet égard, comme dans
des autres pays, il y a souvent une certaine rivalité entre les ministères des affaires étrangères
et ceux à l’écologie. Ces derniers sont normalement les points focaux pour les traités écolo-
giques, ce qui leur permet de mieux maîtriser l’expertise, en contrôlant les flux de communi-
cation. 1 Cependant, les ministères des affaires étrangères maintiennent un rôle-clé pour ce qui
concerne la coopération internationale et l’aide au développement (cooperación). Par
exemple, si un pays andin recevait de l’aide pour une activité spécifique, dans la plupart des
cas, ces ressources devraient passer par des bureaux spécifiques du ministère des affaires
étrangères. 2 On sait bien que plusieurs initiatives écologiques, y compris l’Agenda écologique
andin, seraient souvent impossibles sans l’aide internationale ; il n’est toutefois pas clair com-
bien ceci dépend des administrations qui n’affectent pas les fonds nationaux pour des initia-
tives qui peuvent trouver des financements ailleurs. 3 Bien que différent, son rôle ne semble
1 Certains parlent de l’« effet de point focal », à ne pas confondre avec l’effet homonyme décrit par Thomas C.
Schelling (1960), The strategy of conflict, Cambridge, Harvard University Press, p. 111-113. Pour le même phé-
nomène dans un contexte différent, voir Pamela Chasek (2009), «Mind the gap: confronting the MEA
implementation gap in the pacific island countries», communication presentée à la International Studies
Association annual conference, New York, p. 20.
2 Ceci est clairement ressorti des entretiens.
3 L’Agenda écologique andin (AAA), par exemple, a été soutenu par le Ministère de l’environnement espagnol,
tandis que le Global Environment Facility (GEF) a financé le projet sur le páramo. Pour une perspective anthro-
pologique sur la gouvernance de l’aide, lire le livre édité par David Mosse et David J. Lewis, éd. (2005), The aid
effect: giving and governing in international development, London, Pluto ; par contre, sur l’« Alliance pour le
progrès » et la faillite de l’aide au développement états-unien en Amérique latine dans les années 60, voir Jeffrey
F. Taffet (2007), Foreign aid as foreign policy: the Alliance for Progress in Latin America, New York,
Routledge. La plupart de la littérature économique sur le phénomène du passager clandestin, sur la recherche de
la rente ou sur le problème principal-agent interprète normalement la question plus du point de vue des pays do-
nateurs qui veulent être sûrs que leurs objectifs soient atteints. Elle n’inclut souvent pas plusieurs aspects qui
concernent les administrations récipiendaires et qui ont l’objectif d’exploiter au maximum les ressources qu’ils
reçoivent. Pour une évaluation de l’efficacité de l’aide avec une large base d’enquête et des essais aléatoires,
130

pas être trop dissimilaire de celui des fonds de l’UE pour la Convention alpine. De manière
analogue, chaque pays a aussi un certain nombre de fonctionnaires spécialisés dans la Com-
munauté andine. Ils ont tendance à constituer une administration à l’intérieur de
l’administration et d’engendrer des effets bureaucratiques. 1
A ce jour, les pays andins sont tous des démocraties, partageant un système politique
similaire ; dans le passé, ils ont tous été en contact avec des formes différentes de régimes non
démocratiques. Seulement pour mentionner les plus récents, des juntes militaires étaient au
pouvoir en Colombie et au Venezuela dans les années 50, en Bolivie, au Pérou et en Ecuador
dans les années 70 et au Chili jusqu’à la fin des années 80. 2 Les états andins sont relativement
centralisés, mais ils ont récemment eu des expériences différentes avec le processus de décen-
tralisation. Le Pérou, par exemple, est considéré comme le pays le plus centralisé dans la ré-
gion. Il a essayé de réduire le nombre de ses régions sous-nationales avec l’objectif d’accroître
leur pouvoir, mais le projet a été rejeté par référendum en 2005. Par comparaison, le processus
de décentralisation équatorien a commencé dans les années 90 et se trouve dans une phase
plus avancée. 3 Dans ce cas, peut-être Keating s’applique-t-il en même temps au niveau local
et régional, vu les pressions fonctionnelles sur les gouvernements centraux. Contrairement aux
mais toujours selon la même perspective, voir Abhijit V. Banerjee (2007), Making aid work, Cambridge, MA,
MIT Press.
1 Sur la politique bureaucratique, voir les ouvrages classiques par Graham T. Allison et Morton H. Halperin
(1972), «Bureaucratic politics: a paradigm and some policy implications», dans Theory and policy in
international relations, édité par Raymond Tanter et Richard H. Ullman, Princeton, Princeton University Press et
par Steve Smith (1989), «Perspectives on the foreign policy system: bureaucratic politics», dans Understanding
foreign policy: the foreign policy systems approach, édité par Michael Clarke et Brian White, Brookfield, VT,
Gower.
2 Sur les relations extérieures des régimes militaires en Amérique latine, voir David R. Mares (2001), Violent
peace: militarised interstate bargaining in Latin America, New York, Columbia University Press.
3 Pour une perspective continentale, voir le rapport de la CEPAL par Iván Finot (2001), «Descentralización en
América Latina: teoría y práctica», dans Serie gestión pública, Santiago de Chile, CEPAL - ILPES. Sur le pro-
cessus au Pérou, voir Eduardo Ballón Echegaray, éd. (2008), Balance del proceso peruano de descentralización
desde los gobiernos regionales, Lima, EED, tandis que pour l’Ecuador, voir le livre par Jonas Frank (2007),
Decentralization in Ecuador: actors, institutions, and incentives, Baden-Baden, Nomos.
131

Alpes, il semble que les présidences, qui tournent sur une base annuelle, n’ont qu’un impact
négligeable sur l’agenda de la communauté. Le leadership du secrétariat et son rôle stabilisa-
teur ont l’air d’être centraux à cet égard. En ce sens, ils interprètent leur rôle de manière for-
melle – comme chairmen – plutôt que substantielle – comme présidents. De toute façon, les
états font attention à éviter des échecs sous leur présidence. Par exemple, concernant le débat
sur la pertinence de la Communauté andine par rapport aux autres processus d’intégration ré-
gionale dans la région latino-américaine (MERCOSUD, UNASUD, etc.), selon un interviewé,
l’une des raisons pour lesquelles l’extinction de la communauté n’est pas une option est que
personne ne permettrait que ceci n’arrive sous sa présidence. Actuellement, le secrétariat
compte sur au moins cinquante unités de personnel et un budget annuel de 5 millions de dol-
lars. 1 Le secrétariat fait un usage efficace des ressources disponibles, en considérant les diffé-
rents secteurs qui ont été communautarisés au moins en partie : le développement industriel et
commercial, les questions sociales et écologiques, la coopération politique et les relations ex-
ternes. 2 Par exemple, elle fait un usage extensif des vidéoconférences, ce qui est formellement
valide depuis 2004. 3 Dans la plupart des cas, les comités techniques et les groupes de travail
sont conduits davantage par le secrétariat que par les états, contrairement au cas alpin. 4 Le
processus d’institutionnalisation de la Communauté andine est donc particulièrement avancé.
Il rappelle celui de l’UE et il est sans doute plus développé que celui de la Convention alpine.
Il est plus facile de penser la Communauté andine en termes d’équilibre de puissance.
Vers la fin des années 60, la communauté a été lancée aussi à cause de l’insatisfaction vis-à-
vis du processus d’intégration sous l’Association latino-américaine de libre-échange
1 Le budget du secrétariat était de sept millions de dollars avant le retrait du Venezuela en 2006. Sur les effets de
la retraite du Venezuela, voir Rita Giacalone (2010), «The future of regionalism from the perspective of the
Andean Community», communication presentée à la International Studies Association annual conference, New
Orleans, 17 February.
2 Pour une liste complète, voir infra.
3 Voir la décision 597 (2004). Ceci est rendu plus facile par l’usage officiel d’une langue commune.
4 Ceci a aussi émergé clairement du matériel des entretiens.
132

(ALALC, maintenant ALADI), qui était conduit par le Brésil et l’Argentine, à savoir
l’hégémon régional principal et son prétendant majeur. 1 Le nombre de pays est limité – quatre
à peine – et ils sont divisés en deux pays relativement larges et riches – le Pérou et la Colom-
bie – et deux pays plus petits et moins riches – la Bolivie et l’Ecuador. 2 Il n’y a pas
d’hégémon clair dans la région. Les positions sont toutefois assez variables selon l’enjeu.
Comme dans l’UE, la communauté est plus importante pour les deux membres les plus petits
que pour les plus larges, notamment en ce qui concerne le commerce. 3 A l’intérieur de la
Communauté andine, il y a aussi une scission assez forte entre les pays qui ont signé des ALE
avec les Etats-Unis, à savoir le Pérou et la Colombie, et les pays qui ont rejoint l’Alliance bo-
livarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) guidés par Chávez. 4 A cet égard, le
départ du Venezuela de la Communauté andine en 2006 a joué contre les alliés de l’ALBA, la
Bolivie et l’Ecuador, dans la lutte idéologique, en les mettant en difficulté contre les membres
plus larges, comme le Pérou et la Colombie. Sur les affaires sécuritaires, bien que les relations
1 Voir encore l’article par Ferris, «The Andean Pact and the Amazon Treaty: reflections of changing Latin
American relations», p. 148, qui a été confirmé par l’entretien susmentionné avec Lleras Restrepo, «Una vida al
frente de la integración», p. 12.
2 Se référer aux données officielles publiées par le CIA, «World Factbook»,
http://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/, dernier accès: 15 décembre 2010:
Superficie Population PIB Résolution pétrole Dép. militaires
Colombie 1 138 914 km² 44 205 293 231,3 mill. $ 1 668,0 mil. bbl 3,4 % du PIB *
Pérou 1 285 216 km² 29 907 003 128,9 mill. $ 460,8 mil. bbl 1,5 % du PIB
Venezuela* 912 050 km² 27 223 228 357,6 mill. $ 98 590,0 mil. bbl 1,2 % du PIB
Chili* 756 102 km² 16 746 491 152,1 mill. $ 150 mil. bbl 2,7 % du PIB
Ecuador 283 561 km² 14 790 608 56,3 mill. $ 3 640,0 mil. bbl 0,9 % du PIB
Bolivie 1 098 581 km² 9 947 418 17,8 mill. $ 465 mil. bbl 1,3 % du PIB
133
Le Chili et le
Venezuela
se sont retirés
en 1976 et en
2006, re-
spectivement.
3 En 2009, selon les données de la Communauté andine, les exportations vers les états membres représentaient
13,25 % des exportations totales de l’Ecuador, 9,09 % de la Bolivie et respectivement 6,90 % et 6,25 % pour la
Colombie et le Pérou ; l’ensemble des importations de la Communauté andine représentaient 17,15 % des impor-
tations totales de l’Ecuador, 12,80 % pour la Bolivie, 11,28 % pour le Pérou, mais seulement 4,99 % pour la Co-
lombie (données élaborées par nous-mêmes sur la base de statistiques officielles de la Communauté andine).
4 Sur le débat sur le potentiel de l’ALBA pour l’intégration régionale, voir l’ouvrage par Claudio Katz (2006), El
rediseño de América Latina: ALCA, MERCOSUR y ALBA, Buenos Aires, Ediciones Luxemburg, et les articles
par José Antonio Segrelles Serrano (2006), «Los recientes procesos de integración regional en América del Sur:
ALCA, ALBA y CSN», Revista Aportes para la Integración Latinoamericana, vol. XII, n. 14, et Andés Serbin
(2007), «Entre UNASUR y ALBA: ¿otra integración (ciudadana) es posible?», Anuario CEIPAZ, vol. 11.

actuelles se soient améliorées, le Pérou et l’Ecuador étaient encore en guerre entre 1995 et
1998, à la fin d’un litige frontalier qui a duré des décennies 1 , tandis que la Colombie et le Ve-
nezuela traversent des crises régulières autour de la guerrilla des FARC. Au niveau continen-
tal, les alliances traditionnelles remontent à la Guerre du Pacifique du 19 e siècle et ont été re-
nouées par les régimes militaires. Elles incluaient le Chili avec le Brésil et l’Ecuador d’un
côté et le Pérou avec la Bolivie et l’Argentine de l’autre. Dans l’ensemble, ces alliances sont
aujourd’hui dépassées, mais la mémoire collective et institutionnelle est difficile à effacer et
elle produit de temps en temps des effets d’alignement. 2 Bien que, comme on l’a vu, sur les
questions écologiques, le Pérou soit à la traîne, tandis que la Colombie a de l’avance, dans la
fiction juridique tous les membres sont égaux. Pendant des négociations internationales, il est
toutefois difficile pour un petit pays de maintenir une position isolée pendant longtemps. De
plus, les institutions boliviennes, un peu comme le Paraguay dans le MERCOSUD, peuvent
avoir des capacités limitées pour suivre les négociations, ce qui peut conduire à des effets de
passager clandestin, et ainsi les faire bénéficier des efforts des autres membres sans que la Bo-
livie contribue de manière égale. 3 De toute façon, même un pays petit comme la Bolivie peut
faire valoir son droit de veto à des initiatives communautaires, comme elle l’a fait récemment
pour un plan andin sur les migrations, proposé par l’Ecuador, à cause de divergences de
1 Sur le conflit et sa solution, voir l’ouvrage par Eduardo Toche et al. (1998), Perú-Ecuador: entre la guerra y la
paz, Lima, DESCO - Centro de Estudios y Promoción del Desarrollo et celle par Gabriel Marcella et Richard
Downes, éd. (1999), Security cooperation in the Western Hemisphere: resolving the Ecuador-Peru conflict,
Coral Gables, FL, North-South Center Press - University of Miami ; voir aussi la publication récente par le Plan
Binacional de Desarrollo pour célébrer le dixième anniversaire de la fin du conflit Ecuador-Perú: 10 años de paz
y desarrollo (1998-2008).
2 A ce propos, voir notamment les travaux de Jack Child (1979), «Geopolitical thinking in Latin America», Latin
American Research Review, vol. 14, n. 2; id. (1985), Geopolitics and conflict in South America: quarrels among
neighbors, New York, NY, Praeger.
3 Sur les aspects économiques et institutionnels du MERCOSUD, voir par exemple les travaux de Roberto
Bouzas et José M. Fanelli (2001), Mercosur, integración y crecimiento, Buenos Aires, Fundación OSDE;
Roberto Bouzas et Hernán Soltz (2003), Instituciones y reglas en procesos de integración asimétricos: el caso
del Mercosur, Hamburg, Institut für Iberoamerika-Kunde.
134

l’ordre de l’interprétation juridique. 1 Les positions, qu’elles soient hégémoniques ou isola-
tionnistes, sont difficiles à tenir dans la Communauté andine elle aussi.
Les spécialistes en relations internationales soulignent souvent le fait que les ap-
proches dominantes sur l’intégration européenne, en particulier le néo-fonctionnalisme, ne
semblent pas valides dans le reste du monde, en particulier dans les Amériques. 2 Cependant,
le développement de la Communauté andine surprend par sa ressemblance avec celui d’une
petite UE, au point que certains parlent de « mimesis institutionnelle ». 3 Ceci est aussi un pro-
duit de la coopération institutionnelle entre la Commission européenne et le secrétariat (ex-
JUNAC). 4 Dans ses documents fondateurs, la communauté a adopté un cadre ambitieux, avec
pour objectif celui d’atteindre un « développement intégré », à savoir un type de développe-
ment coopératif visant à éviter les redondances productives et les déséquilibres régionaux. Se-
lon cette approche, les pays andins ne devraient pas entrer en concurrence les uns avec les
autres ; ils seraient plutôt censés coopérer afin d’achever des standards de développement plus
élevés. 5 Cette approche diverge substantiellement de l’emphase actuelle sur la concurrence
1 Cette information a émergé des entretiens. A partir des années 90, plusieurs décisions ont été adoptées dans ce
secteur, y compris le passeport andin, la sécurité sociale, les affaires consulaires, les documents douaniers, les
migrations professionnelles, l’intégration et la gestion des frontières, etc.
2 Par exemple, voir les travaux classiques par Ernst B. Haas (1970), «The study of regional integration:
reflections on the joy and anguish of pretheorizing», International Organization, vol. 24, n. 4; Ernst B. Haas et
Philippe C. Schmitter (1965), The politics of economics in Latin American regionalism: the Latin American Free
Trade Association after four years of operation, Denver, CO, University of Denver, mais aussi Andrew Hurrell
(1995), «Regionalism in theoretical perspective», dans Regionalism in world politics: regional organization and
international order, édité par Louise Fawcett et Andrew Hurrell, Oxford, Oxford University Press ou encore
Andrew Gamble (2007), «Regional blocs, world order and the new medievalism», dans European Union and
new regionalism: regional actors and global governance in a post-hegemonic era, édité par Mario Telò,
Aldershot, Ashgate.
3 A l’instar de Jorge Antonio Quindimil López (2002), «El fenómeno del mimetismo entre organizaciones
internacionales», Anuario da Facultade de Dereito, vol. 6.
4 Voir supra.
5 Voir par exemple l’analyse par Roberto Durán et Fernando Lobos (1976), «Algunas consideraciones sociales
sobre la estrategia subregional de desarrollo», Integración Latinoamericana, n. 5, qui critiquait une approche
régionale qui serait excessivement centrée sur les questions économiques, mais aussi l’article par Germánico
135

dans l’UE, mais elle montre des affinités avec le cadre coopératif de la Politique agricole
commune (PAC). Bien que certains protagonistes de la première heure, à l’instar du président
péruvien Fernando Belaúnde, aient insisté sur une intégration infrastructurelle (integración
fisica), notamment en ce qui concerne les projets sur les transports et sur les télécommunica-
tions, 1 dans les années 70, le premier pas a été la planification industrielle (complementariza-
ción económica), laquelle visait à achever la substitution des importations. Petit à petit, la
Communauté andine s’est élargie vers des secteurs différents : le développement agricole, les
PME andines, la politique de l’automobile, le développement frontalier, la société civile, la
politique externe commune, la concurrence, la culture, les douanes, la démocratie et les Droits
de l’Homme, le contrôle des drogues, l’énergie, les questions écologiques, l’intégration finan-
cière, la sécurité alimentaire, le développement industriel et commercial, les infrastructures, la
propriété intellectuelle, l’aide internationale, l’investissement, la politique macroéconomique,
les migrations, la coopération politique, le contrôle des prix, l’aménagement du territoire, la
prévention du risque, les règles d’origine, les standards sanitaires et phytosanitaires, les ques-
tions sociales et du travail, les télécommunications, le tourisme, le commerce de biens et de
services, les transports et les jeunes.
Salgado (1975), «La integración económica en países en desarrollo y la función de una planificación industrial
conjunta», Nueva Sociedad, n. 17, sur la planification industrielle conjointe et celui par Rachelle L. Cherol et
José Núñez del Arco (1983), «Empresas Multinacionales Andinas: un nuevo enfoque de la inversion
multinacional en el Grupo Andino», International Lawyer, vol. 17, n. 2, sur les Entreprises multinationales an-
dines (EMA). Voir aussi l’article plus récent sur l’histoire de la Communauté andine selon une perspective déve-
loppementale par Ángel María Casas Gragea (2001), «La Comunidad Andina: 30 años en busca del desarrollo»,
Revista de Fomento Social, vol. 56, n. 221.
1 Voir aussi les actes de la Conférence de Caracas de 1990 (Cabrera Ferrada, «Hablan los constructores de un
sueño», p. 13), ainsi que l’article sur l’intégration physique par Hernán Latorre (1975), «La integración física en
el contexto del Pacto Andino», Nueva Sociedad, n. 19-20.
136

Malgré une référence à la montagne depuis sa création, la dimension sociale et écolo-
gique, par exemple, ne figurent que parmi les dernières évolutions de la Communauté andine 1 ,
au point que la communauté est en train de passer du concept de développement intégré à ce-
lui de « développement intégral » (desarrollo integral), à savoir un type de développement
alternatif, plus équilibré et indépendant, qui prend en considération les différents aspects de la
vie. 2 Il est intéressant de noter que ce concept a émergé pour la première fois dans les années
90 et qu’il concernait le développement industriel de la Bolivie et de l’Ecuador et leur usage
des ressources naturelles, ainsi que la création de zones d’intégration frontalière (zonas de in-
tegración fronteriza ou ZIFs) sous la Communauté andine. 3 Pendant la dernière décennie, ce
concept a été progressivement étendu pour inclure le développement « alternatif » et, en parti-
culier, le développement rural, en allant essentiellement dans la direction opposée par rapport
1 Voir le Protocole de Sucre de 1997, qui a modifié l’Accord de Cartagena de 1969 et qui a été codifié par la dé-
cision 563 (2003) ; voir, en particulier, le nouvel article 3, alinéa 2, tiret d, qui prévoit que « les programmes et
objectifs de coopération économique et sociale suivants doivent être poursuivis d’une manière concertée :
…activités pour l’usage et la préservation des ressources naturelles et l’écologie », tandis que le nouvel article
128 prévoit en outre que « les pays membres doivent entreprendre des actions communes pour faire un meilleur
usage de leurs ressources renouvelables et non-renouvelables et pour garantir la conservation et l’amélioration de
l’environnement » (je traduis).
2 Pour approfondir ce type d’approche, se référer par exemple aux travaux d’Ignacy Sachs (1997),
L’écodéveloppement: stratégies pour le XXIe siècle, 2 e éd., Paris, Syros; id. (2004), Desenvolvimento includente,
sustentável, sustentado, Rio de Janeiro, Garamond; id. (2007), La troisième rive: à la recherche de
l’écodéveloppement, Paris, Bourin; id. (2007), Rumo à ecossocioeconomia: teoria e prática do desenvolvimento,
São Paulo, Cortez.
3 C’est de cette manière que le concept a été inclus dans les nouveaux articles 111 et 126 : « Les Programmes de
développement industriel doivent […] prévoir la mise en œuvre d’un programme pour l’industrialisation inté-
grale [industrialización integral] des ressources naturelles [de la Bolivie et de l’Ecuador] » et « les Pays
membres doivent entreprendre des actions pour promouvoir le développement intégral [desarrollo integral] des
régions frontalières et leur incorporation concrète dans les économies nationales et subrégionales des Andes »,
respectivement. Voir aussi le numéro spécial de la revue vénézuélienne Aldea Mundo sur les ZIF, notamment
l’article introductif par Socorro Ramírez (2005), «Las Zonas de Integración Fronteriza (ZIF): avances y
retrocesos», Aldea Mundo, vol. 9, n. 18.
137

à l’UE, qui est passée de la PAC à la cohésion territoriale. Cependant, la Communauté andine
n’est pas allée jusqu’à établir une Politique agricole commune andine (PACA). 1
Au fil des années, les effets d’engrenage produits par la Communauté andine sont
donc tout à fait remarquables. Son développement institutionnel – le soi-disant Système andin
d’intégration (SAI) – est extrêmement avancé, probablement le plus avancé après celui de
l’UE, puisqu’il inclut un conseil présidentiel, un conseil ministériel, une commission de
commerce, un parlement, un secrétariat, un tribunal, une banque de développement, un fond
de réserve, des organes consultatifs sur la santé, le travail et les affaires, ainsi qu’une universi-
té régionale. La plupart de ces institutions ont été créées dans les années 70, pendant la phase
de construction institutionnelle de la communauté, et ont été réformées dans les années 90, au
sommet de la nouvelle vague de régionalisme. 2 Il est clair que, comme l’UE et la plupart des
processus d’intégration régionale, la communauté a vécu des périodes de croissance rapide
(les années 70 et 90) et de crise profonde (les années 80 et, d’une certaine façon, les années
2000).
1 Voir notamment les décisions 501 (2001) sur les ZIF, 614 (2005) sur la Stratégie andine pour un développe-
ment alternatif, intégral et durable, 621 (2005) et 708 (2008) sur le Fonds pour le développement rural et sur le
Fonds pour la productivité agricole. Une proposition pour une PAC andine a été introduite pour la première fois
au début des années 90, mais elle a perdu de l’élan et a été abandonnée pour des questions commerciales au dé-
but des années 2000.
2 Voir encore supra.
138

Figure 13 : Schéma du Système d’intégration andin. 1
Pour ce qui regarde la structure institutionnelle, il faut noter que, bien que le Tribunal
de justice de la Communauté andine (TJCA) soit censé sanctionner le non-respect des déci-
sions de la communauté, qui peuvent être d’application directe, la mise en œuvre est inégale. 2
Certains observent qu’elle existe « plus sur le papier qu’en réalité » 3 : à côté du fait que ceci
est vrai pour toute mesure juridique, ceci ne rend pas justice aux efforts honnêtes d’au moins
deux générations de leaders politiques et de fonctionnaires publiques qui ont construit la
Communauté andine autour de la très concrète « colonne vertébrale » de l’Amérique latine qui
sont les Andes. 4 La Corporación Andina de Fomento (CAF), par exemple, est plus une banque
de développement (comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
ou BERD) qu’un fonds (comme le FEDER) et elle est certainement l’un des effets
d’engrenage principaux de ce processus régional. A partir de la fin des années 60, elle a finan-
cé plusieurs projets de développement importants au niveau régional, spécialement dans le
secteur des infrastructures, et elle peut actuellement compter sur un capital autorisé de 10 mil-
1 Publié sur le site internet de la Communauté andine (dernier accès : 10 juillet 2011, je traduis).
2 Voir supra.
3 Voir, par exemple, José Guillermo Andueza Acuña (1986), El Tribunal del Pacto Andino, Quito, Tribunal de
Justicia del Acuerdo de Cartagena, p. 14.
4 Voir supra.
139

liards de dollars. 1 En 2008, la CAF a adopté – indépendamment de la Communauté andine –
un Agenda pour le développement intégral, en établissant des cadres dans le domaine des in-
frastructures, du développement social, de la protection de l’environnement et des politiques
de concurrence, d’insertion internationale et publique. Ceci est particulièrement intéressant
car, au lieu d’utiliser un standard plus mondial comme un « agenda vert » ou un « agenda de
la durabilité », la CAF a épousé le concept plus andin de « développement intégral ».
Figure 14: Les hubs d’intégration et de développement de l’IIRSA (à gauche) et les axes infrastructurels prioritaires
en Amérique méridionale (à droite).
Concernant la cohésion territoriale, dans le contexte de la Communauté andine,
l’intégration physique (routes, ports, etc.) occupe une position plus centrale que dans l’UE, où
1 Chiffre reproduit à partir du rapport annuel de la CAF (2009), «Informe anual 2009», Caracas, CAF, p. 220.
Sur la contribution de la CAF à la Communauté andine, voir Javier Zúñiga Quevedo (2003), La contribución de
la Corporación Andina de Fomento al desarrollo de la Comunidad Andina de Naciones, Madrid, Universidad
Autónoma de Madrid.
140

le renforcement de la cohésion économique et sociale joue un rôle-clé. Ceci est particulière-
ment vrai depuis le lancement de l’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale en
Amérique du sud (IIRSA) en 2000. Cette prolifération et ces synergies entre processus
d’intégration régionale peut confondre, mais elles ne doivent pas indure en erreur. Il s’agit du
reflet d’un autre concept spécifique à l’Amérique latine : celui du « régionalisme ouvert ». Au
début des années 90, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de
l’ONU (CEPAL) l’a défini comme le processus visant à réconcilier « l’interdépendance pro-
duite par des accords spécifiques de caractère préférentiel avec celle essentiellement propulsée
par les signaux du marché dérivés de la libéralisation des échanges en général » et comme la
compatibilité et complémentarité de « politiques explicites d’intégration […] avec les poli-
tiques visant à augmenter la compétitivité internationale ». 1 En dépit de son origine dans le
débat sur le commerce 2 , l’idée selon laquelle, pour paraphraser la CEPAL, « n’importe quel
agencement régional qui rapproche les Latino-américains, en ne les éloignant pas du monde,
est un pas dans la bonne direction » influencera fortement l’intégration régionale en Amérique
latine à partir des années 90.
On ne devrait donc pas être surpris si, dans la seule Amérique du sud, à côté de l’OEA
(Organisation des états américains), de la CEPAL, de l’ALADI, du SELA (Système écono-
mique latino-américain), ainsi que les « initiatives subrégionales » à l’instar de la Communau-
1 Citation extraite de la CEPAL (1994), «El regionalismo abierto en América Latina y el Caribe: la integración
económica en servicio de la transformación productiva con equidad», dans Libros de la CEPAL, Santiago de
Chile, CEPAL, je traduis. Voir aussi le rapport plus ancien par id. (1991), «El desarrollo sustentable:
transformación productiva, equidad y medio ambiente», dans Libros de la CEPAL, Santiago de Chile, CEPAL.
2 Notamment dans le contexte du débat autour de l’hypothèse selon laquelle les accords régionaux, créés sur la
base de l’article XXIV du GATT de 1947, dévient le commerce international, au lieu de l’accroître. La même
année le Cycle d’Uruguay venait de prendre fin avec l’établissement de l’OMC et l’adoption d’un « Mémoran-
dum d’accord sur l’interprétation de l’article XXIV ». Deux ans plus tard, l’OMC a créé un Comité sur les ac-
cords commerciaux régionaux (ACR) (décision WT/L/127, 6 février 1996). A cette époque, la théorie de
l’interdépendance était à la mode, tandis que la théorie de la dépendance perdait du terrain et que le mouvement
altermondialiste n’était pas encore dans l’air.
141

té andine, du Traité amazonien et du MERCOSUR, on retrouve l’IIRSA en 2000, l’ALBA en
2004, l’UNASUR en 2008 et plus récemment la CELAC (Communauté des états latino-
américains et caribéens), pour ne mentionner que les initiatives régionales principales. Au
risque d’apparaître trop nombreuses, l’ensemble de ces organisations représentent un tissu
dense d’intégration régionale. Après tout, la situation n’est pas trop différente du cas euro-
péen, où l’UE coexiste à côté de la CEE-ONU (Commission économique pour l’Europe de
l’ONU), de l’OCDE, de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, de l’AELC (Association euro-
péenne de libre-échange), de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Eu-
rope), à côté de douzaines d’autres accords régionaux, y compris la Convention alpine. En
Amérique latine, il est significatif que, parmi ces cadres, les Andes, nonobstant la division
consolidée entre les Andes tropicales et méridionales, sont un référent commun pour les initia-
tives de développement. On a toutefois vu que ceci concerne plus les pays andins que
l’écorégion andine strictu sensu. Comme dans le cas de la Convention alpine, ceci semble
conforter les critiques de l’écorégionalisme, vu que l’idéal écorégional n’est souvent même
pas mentionné. Cependant, il y a une attention croissante pour cette dimension, notamment
pour une perspective écologique (AAA, CONDESAN, etc.) et le massif reste un référent si-
gnificatif pour l’action politique. Tout comme les Alpes, la Communauté andine établit elle
aussi des trames de coopération au niveau régional.
Synthèse comparative
Dans cette partie, on a tout d’abord défini ce qu’est une écorégion, en étudiant les dé-
finitions des écologues, des géographes, des politistes et des spécialistes en relations interna-
tionales ; puis, on a observé que, si l’écorégionalisme est une idéologie, elle peut être testée en
théorie et dans la pratique. Après avoir présenté des perspectives critiques sur
l’écorégionalisme et proposé un panorama historique du processus d’écorégionalisation, on a
fourni un exemple de l’idéal écorégional en action (la Convention alpine) et un contre-
exemple (la Communauté andine), afin de mieux comprendre le phénomène de
142

l’écorégionalisme. Une polarisation entre les approches socio-économiques et écologiques au
régionalisme a émergé de la littérature scientifique, tandis que ces exemples ont mis en avant
l’importance politique des initiatives écorégionales. Les paragraphes qui suivent proposent
une comparaison qui suit l’ordre de l’analyse dans les deux cas. Concernant la dimension éco-
logique, les Andes sont beaucoup plus larges et présentent un degré de diversité plus pronon-
cé. Si la Convention alpine comprend tout l’Arc alpin, aujourd’hui, la Communauté andine
n’inclut pas les Andes méridionales (argentines et chiliennes) et vénézuéliennes. Economi-
quement, les deux secteurs dominants dans les Alpes sont le tourisme et les transports, tandis
que le climat et l’eau sont des questions émergentes. Pour les Andes, l’exploitation minière et
l’eau font l’objet d’une grande attention, alors que les infrastructures routières sont en cours
d’amélioration au niveau régional. Si les tendances démographiques varient à travers les
Alpes, la dépopulation des régions de montagne en faveur des centres urbains est la caractéris-
tique dominante des Andes. De plus, la disparité économique entre les deux écorégions doit
être prise en considération. La Convention alpine et la Communauté andine sont le produit des
capitales et non des populations locales. Dans le domaine environnemental, on peut identifier
deux ONG leader : la CIPRA dans les Alpes et CONDESAN dans les Andes, bien que la
Communauté andine ne reconnaisse pas d’observateurs officiaux, contrairement à la Conven-
tion alpine. Les deux massifs représentent des facteurs de mobilisation, mais ils sont en com-
pétition avec d’autres éléments, à l’instar de la circulation normative. Contrairement aux états
alpins, la même langue officielle est partagée par tous les états andins et la question indigène
joue un rôle politique important.
Tandis que l’équilibre de puissance militaire et économique semble être reflété dans
les négociations au sein de la Communauté andine, ceci n’est pas très important dans les
Alpes, où d’autres facteurs, à l’instar du processus de décentralisation et les institutions impli-
qués, jouent un rôle majeur. D’autre part, si la présidence tournante est extrêmement impor-
tante dans les Alpes, le rôle du secrétariat est plus influent dans la Communauté andine. Dans
143

les deux cas, si toutes les parties peuvent prendre le leadership de certaines questions, les posi-
tions hégémoniques sont difficiles à maintenir et les petits pays peuvent être des passagers
clandestins, aussi par manque de capacité institutionnelle. La Communauté andine a eu des
expériences récentes avec des régimes militaires et est divisée selon des lignes idéologiques.
Un conflit armé a eu lieu entre deux de ses membres dans les années 90 et les alliances tradi-
tionnelles ont encore des impacts sur les négociations. Malgré son approche mondiale, la
Convention alpine reste un accord régional sur l’environnement, tandis que la Communauté
andine est une organisation internationale régionale plus focalisée sur les questions sociales et
économiques. Si la Convention alpine n’a pas suivi le modèle de l’UE, son homologue alpin
l’a fait, en particulier si l’on considère les niveaux d’institutionnalisation et le caractère juri-
dique des décisions communautaires. Les effets d’engrenage sont moindres dans les Alpes que
dans les Andes, à cause aussi de la dépendance majeure sur l’UE de la première et la plus
grande institutionnalisation de la seconde. Dans les deux cas, les régions de montagne mobili-
sent des acteurs et les cadres écorégionaux établissent des trames de coopération.
Réflexions conclusives
Vu les négociations en cours, en particulier dans les Balkans et dans le Caucase, les
paragraphes qui suivent se pencheront sur la viabilité de la Convention alpine, d’un côté, et de
la Communauté andine, de l’autre, comme modèles pour d’autres accords régionaux sur la
montagne. Enfin, on réfléchira brièvement sur la façon dont les initiatives de montagne in-
fluencent la manière selon laquelle ces morphologies sont appropriées et transformées en ter-
ritoires. La Convention alpine est souvent présentée non seulement comme le premier accord
régional sur la montagne, mais aussi comme le seul modèle existant. 1 La Communauté andine
1 Cette question sera aussi l’objet du nouveau projet de recherche « ERMI : European Régional Mountain Initia-
tives : from Pyrenees to Caucasus » récemment soumis à l’attention de la Fondation nationale des sciences en
Suisse par Bernard Debarbieux et al.
144

peut toutefois être considérée comme un modèle alternatif et même antérieur. 1 Dans les sec-
tions précédentes, les deux cas ont été présentés sur la base des questions principales qui ont
été exposées dans la partie théorétique. Il n’est pas facile d’évaluer ces modèles, sans compter
leur diversité intrinsèque. Mais c’est précisément leur diversité qui nous porte à problématiser
l’idée reçue selon laquelle la Convention alpine est le seul modèle existant pour les accords
régionaux sur la montagne. Des accords nouveaux étant en cours de négociation dans les Bal-
kans et dans le Caucase, la Communauté andine s’impose comme modèle alternatif. Dans les
Balkans (Europe sud-orientale ou SEE), par exemple, à cause des guerres des années 90, la
question sécuritaire est plus proche de celle dans les Andes. La même chose peut être affirmée
pour les aspects socio-économiques : dépopulations et bas revenus. Du point de vue écolo-
gique, par contre, leur extension moins importante va dans la direction des Alpes, ainsi que la
présence importante de l’UE. Les états membres dans la région sont, en fait, au nombre de
deux : la Grèce et la Bulgarie. De façon similaire aux Alpes, la région est divisée ethnique-
ment et du point de vue linguistique. Par contre, comme les états andins, les pays balkaniques
n’ont vécu de transition vers la démocratie libérale que récemment. 2 Des observations simi-
1 Voir le cadre sur l’Initiative andine du Partenariat pour la montagne supra.
2 Sur l’initiative dans les Balkans, voir le rapport par Biljana Mitreva (2005), «Convention on the Protection and
Sustainable Development of the Carpathians and Balkan Convention Initiative», Brussels,
MAKMONTANA/EUROMONTANA, p. 25-28 ; pour une évaluation de la situation actuelle sur la coopération
internationale, lire le rapport par Vlatko Andonovski et Dragi Pop-Stojanov (2006), «Assessment on the current
situation and needs of cooperation on the protection and sustainable development of mountain regions/areas in
South-Eastern Europe (Balkans)», Skopje, BFSD ; sur la politique écologique dans la région balkanique, voir le
rapport par Yordanka Minkova (2006), «Environmental snapshot of South Eastern Europe», Szentendre, REC,
ainsi que le document produit par le PNUD pour la VI Conférence ministérielle « un environnement pour
l’Europe », qui a eu lieu à Belgrade le 10-12 octobre 2007 et qui a été préparé par Jernej Stritih et al. (2007),
«Environmental policy in South-Eastern Europe», Beograd, UNDP. En 2004 et 2006, l’Italie a accueilli deux
réunions intergouvernementales à Bolzano afin de partager l’expérience de la Convention alpine et pour la dis-
cussion d’un instrument juridique pour la protection de l’environnement et le développement durable de la région
balkanique. Un projet de texte a été négocié avec le soutien du PNUE et de l’EURAC. En 2007, malgré
l’optimisme qui a suivi la Conférence de Belgrade, le processus de négociation a été arrêté principalement à
cause de la question du Kosovo et de la non-participation de la Bosnie. Entre-temps, la Finlande a soutenu
l’Initiative pour l’Arc dinarique (DAI) ou « écorégion dinarique » (Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Serbie,
145

laires peuvent être formulées par rapport au Caucase, avec la Communauté des états indépen-
dants (CEI) au lieu de l’UE. 1 La jeunesse relative des états indépendants balkaniques et cauca-
siens doit aussi être prise en considération.
Les négociations en cours augmentent la nécessité d’un débat sur les modèles plus ap-
propriés pour les accords sur la montagne, vu aussi que la prolifération de ces accords est pos-
sible, comme dans le cas des accords régionaux sur la mer. Récemment, le Forum de la mon-
tagne, n’a compté pas moins de 140 massifs, dont au moins 30 % traversent des frontières. 2
Monténégro et Albanie), à savoir un mini-programme géré par les « suspects habituels » (UNESCO, PNUD,
PNUE, CBD, WWF, UICN, etc.) et finançant une grande variété de projets, allant des corridors écologiques à
l’héritage culturel et de la coopération scientifique à l’intégration politique. En 2008, le PNUE a lancé la Pers-
pective écologique sur l’Arc dinarique et les Balkans (en anglais : Dinaric Arc and Balkans Environment Ou-
tlook ou DABEO), en faisant converger les deux initiatives. En 2009, le PNUE a joint ses forces à celles de la
Présidence slovène de la Convention alpine et les négociations ont repris de l’élan, grâce aussi au soutien finan-
cier de la communauté internationale. On espérait qu’une convention-cadre pour la région aurait été ouverte à la
signature lors de la XI Conférence alpine, qui a eu lieu à Brdo (Slovénie) le 3 mars 2011. Or, seule une Résolu-
tion sur le développement durable de la région des Alpes dinariques a été adoptée. Sur l’écologie et la sécurité,
voir aussi les actes des deux conférences de l’ENVSEC et al. (2002), «An environment agenda for security and
cooperation in South East Europe and Central Asia», Beograd; id. (2004), «Environment and security
consultations in South Eastern Europe», Skopje, à savoir une autre initiative qui a avancé dans la gestion du
risque minier et des risques naturels en général et de la gestion de l’eau avec la participation de l’OSCE et de
l’OTAN, à côté du PNUE, du PNUD, etc.
1 Sur l’initiative dans le Caucase, voir le document préparatoire, mis au point par le PNUE et le Regional Envi-
ronmental Center (REC) Caucase (2009), «Sustainable development of mountain regions of the Caucasus: a case
for intergovernmental cooperation», dans Meeting of the government-nominated experts for the protection and
sustainable development of mountain regions of the Caucasus, Bolzano. A côté de la Déclaration de Bolzano,
voir aussi la Déclaration ministérielle de Vaduz du 16 novembre 2007. En 2005, l’Italie a accueilli une autre réu-
nion intergouvernementale, organisée par le PNUE dans le cadre du Partenariat pour la montagne, afin de parta-
ger l’expérience de la Convention alpine aussi avec la région caucasienne. Deux cents délégués ont participé à
une rencontre titrée « Le développement durable des régions de montagne dans le Caucase » (je traduis) et orga-
nisée par le REC en 2003. Une nouvelle déclaration à adopter lors d’une réunion de haut niveau qui était censée
avoir lieu à Téhéran a été préparée par une nouvelle réunion d’experts qui a lieu à Bolzano le 25-26 novembre
2009. Le suivi de ce projet est incertain. L’initiative dans le Caucase est soutenue sur le plan financier notam-
ment par l’Allemagne et le Liechtenstein. En 2007, l’Allemagne a soutenu la création, par exemple, d’un Secré-
tariat transfrontalier conjoint (TJS) pour le Caucase méridional (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan).
2 Estimation faite par nous-mêmes. Amériques: les Andes, les Appalachiens, la Basse-Californie, la Cordillère de
Talamanca, le Plateau des Guyanes, les Montagnes rocheuses et la Sierra Madre du Sud ; Europe : les Alpes, les
146

Du point de vue écologique et sécuritaire, le massif himalayen et centrasiatique, par exemple,
semblent avoir davantage de points communs avec les Andes qu’avec les Alpes, malgré la
présence de différences significatives, à l’instar de la dimension des écorégions et des états
concernés. 1 Dans certains cas, notamment là où il n’existe pas d’autre organisation
d’intégration régionale, des modèles alternatifs d’accords régionaux sur la montagne peuvent
être considérésolution En ce moment, la Communauté andine est la seule alternative existante
à la Convention alpine et à son jumeau carpatique qui ait une valeur juridique. 2
A une époque marquée par une réflexion sur le destin de la modernité, en particulier à
propos de la nature postmoderne (selon la French Theory) ou néo-médiévale / néo-féodale
(selon la English School) de l’ordre mondial, la problématisation des trois éléments normale-
ment acceptés comme constitutifs de l’état moderne (gouvernement, population et territoire) a
été au centre de l’attention des sociologues et des politistes les plus pointus de notre temps. 3
Michel Foucault a contribué grandement à la problématisation des deux premiers éléments
Balkans, les Carpates, le Caucase, la Cordillère cantabrique, les Alpes dinariques, le Jura, les Scandes, le Pinde,
les Pyrénées, les Rhodopes et les Sudètes ; Asie-Pacifique : l’Altaï, les Annamites, la Chaîne de l’Arakan, les
monts Asir, le Bintang, le Chang-pai Shan, le Dawna, l’Himalaya, le Kelabit, le Ningling Shan, les monts
Maoke, les monts Tian, le Truong Son et les monts Zagros ; Afrique : le plateau Adamaoua, le Hoggar, l’Atlas,
le Drakensberg, les Highlands est-africains, le Plateau d’Ethiopie, le Fouta-Djalon, les monts Mitumba, les monts
Nimbas et le Tibesti.
1 Sur « La Chine, l’Inde et l’environnement », lire inter alia l’article récent par Kamaljit S. Bawa et al. (2010),
«China, India, and the environment», Science, vol. 327, n. 5972.
2 La Convention des Carpates reproduit essentiellement le modèle de la Convention alpine (supra).
3 Sur la postmodernité, lire, par exemple, Anthony Giddens (1990), The consequences of modernity, Cambridge,
Polity Press, Bruno Latour (1991), Nous n’avons jamais été modernes: essai d’anthropologie symètrique, Paris,
La Découverte et Ulrich Beck (1992), Risk society: towards a new modernity, London, Sage. Sur le néo-
médiévalisme, voir les différentes contributions de l’Ecole anglaise, de Hedley Bull (1977), The anarchical
society: a study of order in world politics, Basingstoke, Palgrave aux déjà cités Hurrell, «Regionalism in
theoretical perspective», p. 45 et Gamble, «Regional blocs, world order and the new medievalism». Voir aussi,
aux Etats-Unis, John Gerard Ruggie (1993), «Territoriality and beyond: problematizing modernity in
international relations», International Organization, vol. 47, n. 1 et Stephen D. Krasner (1999), Sovereignty:
organized hypocrisy, Princeton, NJ, Princeton University Press; id. (1993), «Westphalia and all that», dans Ideas
and foreign policy: beliefs, institutions, and political change, édité par Judith Goldstein et Robert O. Keohane,
Ithaca, Cornell University Press.
147

avec ses études sur la santé et la sexualité et ses spéculations sur le gouvernement postmo-
derne. Cependant, la contribution de Foucault sur le territoire se réduit à quelques cours qu’il
a donnés pendant l’année universitaire 1977-1978 et qui n’ont pas été publiés avant 2004. 1 A
partir du début des années 80, des épigones en Europe et aux Etats-Unis, à l’instar de Claude
Raffestin à Genève, de Friedrich Kratochwil à Columbia ou de John Ruggie à Harvard, ont
contribué eux aussi aux réflexions sur la « territorialité », qui peut être définie comme le pro-
cessus à travers lequel le territoire est connu et approprié dans le temps. 2 Ce concept est
proche de celui de « gouvernabilité », telle qu’elle a été définie par Foucault lui-même (le
processus à travers lequel une population est connue et sécurisée aussi par elle-même), qui est
souvent confondu avec celui de « gouvernance ». 3 Bien que ce dernier ait été banalisé et ait
perdu son sens précis, plusieurs spécialistes de la politique internationale de l’environnement
l’utilisent comme l’outil principal pour comprendre le processus souvent déroutant de la for-
mation des politiques publiques dans le domaine écologique, en particulier en se référant au
rôle important des OIG, des collectivités territoriales, des ONG, de la communauté scienti-
fique, bref de tout ce qui n’est pas l’état central, notamment si l’on compare ce processus avec
ceux dans les secteurs de la défense ou de la finance. Dans cette perspective, les réflexions de
Saskia Sassen sur la territorialité n’ajoutent pas grand chose au débat : selon elle, la territoria-
lité se déplace au-delà des états-nations vers des réseaux mondiaux de centres financiers et
d’activistes locaux et vers des juridictions transnationales et transfrontalières. Elle souligne
1 Lire par Michel Foucault (2004), Sécurité, territoire, population: cours au Collège de France (1977-1978),
Paris, Seuil; id. (2004), Naissance de la biopolitique: cours au collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard,
p. 355 ; voir aussi inter alia Pierre Lascoumes (1994), L’éco-pouvoir: environnements et politiques, Paris, Ed. la
Découverte, Giorgio Agamben (1997), Homo sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, Bruno
Latour (1999), Politiques de la nature: comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, Découverte et
Antonio Negri (2006), Fabrique de porcelaine: pour une nouvelle grammaire du politique, Paris, Stock.
2 Voir notamment Claude Raffestin (1986), «Ecogenèse territoriale et territorialité», dans Espaces, jeux et enjeux,
édité par F. Auriac et R. Brunet, Paris, Fayard - Fondation Diderot, Friedrich Kratochwil (1986), «Of systems,
boundaries, and territoriality: an inquiry into the formation of the state system», World Politics, vol. 39, n. 1 et
aussi Ruggie, «Territoriality and beyond: problematizing modernity in international relations». Voir aussi supra.
3 Voir également Foucault, Sécurité, territoire, population: cours au Collège de France (1977-1978), p. 111-112.
148

correctement la nécessité d’intégrer la temporalité dans les analyses spatiales. 1 Or, qu’est que
c’est la territorialité, sinon « quelque chose qui est lié au territoire » ?
Les vieux travaux sur la territorialité par Friedrich Kratochwil et John Ruggie étaient
plus des réflexions sur la gouvernance déroutante de l’UE, qui défie plusieurs principes de
l’état moderne, que sur la territorialité définie, par exemple, par Raffastin, qui souligne le rôle
de l’information et de sa temporalité. Il n’est pas surprenant que des spécialistes aient critiqué
Ruggie d’être tombé dans un « piège territorial », dans le sens où le même espace ne produit
pas les mêmes résultats politiques dans le temps et où, par exemple, les flux économiques
vont au-delà d’un territoire donné, notamment dans le contexte mondialisé de l’après-guerre
froide. 2 C’est, en fait, une banalité d’affirmer que, si le territoire de l’état est aussi produit par
le gouvernement dans le temps et si la gouvernabilité a évolué de manière significative ces
dernières décennies, avec la crise de l’état-nation après la fin de la deuxième guerre mondiale
et l’émergence de processus d’intégration régionale comme l’UE ou le MERCOSUD, mais
aussi comme la Communauté andine et la Convention alpine, la production du territoire a aus-
si évolué. Pour ne pas parler de la propriété des « moyens de production » du territoire mo-
derne, qui peut aller de l’extrême de l’état patrimonial à celui de la république. L’existence de
processus d’intégration régionale – ainsi que de leurs politiques de cohésion territoriale, inté-
gration physique, etc. – modifie concrètement la manière dont les gouvernements et les
peuples se réapproprient leur terre, ce qui ajoute une dimension nouvelle à la territorialité. Ce-
ci est particulièrement innovant quand cette dimension nouvelle ne coïncide pas avec les
vieilles frontières et suit des éléments écologiques. La présence aujourd’hui de la Convention
alpine et de la Communauté andine crée en fait des attentes aussi à l’échelle écorégionale, au
1 Voir Saskia Sassen (2006), Territory, authority, rights: from medieval to global assemblages, Princeton, NJ,
Princeton University Press, p. 386-397.
2 Voir John Agnew (1994), «The territorial trap: the geographical assumptions of international relations theory»,
Review of International Political Economy, vol. 1, n. 1. Des propos similaires, mais plus nuancés, peuvent être
trouvés dans John Allen et Allan Cochrane (2007), «Beyond the territorial fix: regional assemblages, politics and
power», Regional Studies, vol. 41, n. 9; John Allen et al. (1998), Rethinking the region, London, Routledge.
149

moins pour certains individus. Quand les acteurs se mobilisent autour d’une zone écologique,
les dynamiques politiques en sont en quelque sorte touchées et la territorialité nationale est
partiellement redéfinie, dans son processus continu de reproduction.
150

II ELEMENTS HISTORIQUES

3 Genèse : phase constitutive
A notre connaissance, aucun texte d’« histoire » de la Convention alpine dans son ensemble
n’a été publié jusqu’à ce jour, alors que ce processus international s’apprête à fêter ses vingt ans. Les
rares historiens sur les Alpes se sont concentrés notamment sur des aspects démographiques, en
s’arrêtant à la fin du 19 e siècle. 1 La Convention est donc encore terra incognita pour la recherche
historique. Les nombreux géographes, juristes et écologistes qui ont publié sur ce processus ont tous
ou presque liquidé la question historique dans des termes comparables à ceux utilisés par Martin Price
dans le texte suivant :
La Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) a été fondée en 1952…
Ses documents de base demandent déjà une convention pour protéger l’environnement alpin et
ses ressources naturelles… mais le processus n’a pas décollé avant 1987, quand la CIPRA et
l’UICN [Union internationale pour la conservation de la nature] ont présenté un document de
prise de position… L’année suivante, les corps politiques bavarois, alpins et européens ont
offert leur soutien et des experts […] ont préparé un projet de convention. Le Ministère
1 Par exemple, ceux réunis autour de l’Association internationale pour l’histoire des Alpes, de la revue annuelle
Histoire des Alpes ou du Laboratoire d’histoire des Alpes (LABISALP) auprès de l’Université de la Suisse
Italienne à Lugano. Voir notamment Jon Mathieu (2009), History of the Alps, 1500-1900: environment,
development, and society, Morgantown, WV, West Virginia University Press; Paul Guichonnet, éd. (1980),
Histoire et civilisations des Alpes, Toulouse, Privat; Pier Paolo Viazzo (1989), Upland communities:
environment, population and social structure in the Alps since the sixteenth century, Cambridge, Cambridge
University Press.
151

fédéral de l’environnement allemand a développé ultérieurement le projet et a organisé la 1 e
Conférence des ministres des Alpes (Berchtesgaden, octobre 1989)…
L’Autriche a présidé les phases successives de la préparation de la convention. Elle a
accueilli la 2 e Conférence alpine (Salzbourg, novembre 1991), où la « Convention sur la
protection des Alpes (Convention alpine) » a été signée par l’Autriche, la France,
l’Allemagne, l’Italie, le Liechtenstein, la Suisse et la Communauté européenne. La Slovénie a
participé aux négociations par compte de la Yougoslavie, mais elle n’a pas signé. […] En
1994, l’Autriche, le Liechtenstein et l’Allemagne ont ratifié la convention, de manière qu’elle
est entrée en vigueur en mars 1995. La France et la Slovénie l’ont ratifiée en 1995, l’Union
européenne (UE) en 1996, la Suisse en 1998, ainsi que l’Italie et Monaco en 1999. 1
Dans ses études sur la Convention, Price a bien sûr rapporté de nombreux détails d’intérêt historique,
mais l’objectif de ses travaux ainsi que ceux d’autres auteurs n’a jamais été celui d’une étude
rigoureuse, qui vérifie systématiquement les informations et leurs sources et qui clarifie
l’enchaînement chronologique des événements. Pour ne pas mentionner le dévoilement de nouvelles
sources et l’avancement de nouvelles hypothèses ! Pour paraphraser Verlaine, tout le reste est donc
« littérature » ou presque.
Faute de recherche majeure qui approfondisse l’histoire de la Convention alpine, les pages qui
suivent visent donc à reconstruire, tout d’abord, les étapes principales qui ont conduit à la négociation
du texte fondateur en 1991 2 ; ensuite, une deuxième partie propose une lecture des vingt premières
années de la Convention alpine, divisée en deux moments : la négociation des protocoles de 1991 à
1 Citation de Martin F. Price (2000), «The Alpine Convention: a model for other regions?», Mountain Research
and Development, vol. 20, n. 2, p. 192, je traduis.
2 Des documents, des initiatives et des perspectives dans cette première phase ont été recueillies et publiées par le
soin de Stephan Ortner, éd. (1992), Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes,
Vaduz, CIPRA International. Malheureusement, cet ouvrage couvre exclusivement l’un des acteurs impliqués.
L’auteur remercie chaleureusement Jon Mathieu pour avoir partagé cette référence et, par extension, le Service
interbibliothécaire de la Harvard Kennedy School aux Etats-Unis pour son aide inestimable dans la localisation
d’une partie importante des ouvrages cités.
152

l’an 2000 et la création des institutions de l’an 2000 jusqu’à 2009. Une analyse des développements
récents est elle aussi proposée.
Une analyse approfondie de l’histoire de la Convention alpine mériterait au moins l’analyse du
mare magnum des archives auprès des sièges du Secrétariat permanent à Innsbruck 1 et également à
Bolzano, ainsi que des principaux ministères de l’environnement et des affaires étrangers des
principaux états alpins, de la CIPRA au Liechtenstein et des autres organisations et individus qui ont
fait cette histoire. A notre connaissance, ces archives sont pour la plupart consultables, les documents
confidentiels étant très rares et portant notamment sur la gestion du personnel. Les raisons pour
empêcher l’accès à ces archives pourraient être plus d’un niveau pratique que de toute autre nature, la
classification protocolaire suivant des règles strictes. 2 Le chercheur qui s’aventurera dans ces fichiers
découvrira une quantité étonnante de rapports et de correspondance, qui seront certainement utiles à
son analyse. Les communications internes et les quelques mémorandums qu’il trouvera lui seront
précieux pour reconstruire la « mémoire » des organisations étudiées, mais il est destiné à manquer les
notes et, plus récemment, certains messages électroniques, qui jouent un rôle important, mais qui ne
trouvent forcement pas leur place dans les archives. 3 Si ces textes existent encore, ils sont souvent
gardés dans des bureaux isolés et parfois dans des archives privées, pour ne pas mentionner les
conversations orales ou les appels téléphoniques. Or, une histoire orale de la Convention alpine aurait
aussi son intérêt. Une analyse minutieuse mériterait le recueil des témoignages de nombreux
protagonistes, à travers des entretiens approfondis. Certes, le filtre de la mémoire devra être décompté
de toute analyse, tandis que les biais reflètent souvent des expériences précises. Dans tous les cas, il est
fondamental de faire des recherches rapidement, car un individu qui avait soixante ans au moment de
la signature de la convention atteindra bientôt quatre-vingt ans. Heureusement, l’intégralité de
1 Ils ont été réorganisés et partiellement numérisés en 2006. Voir le rapport du Secrétariat permanent sur cette
question (document IX/20, 2006).
2 En France, voir les Archives nationales (Section des missions, Centre des archives contemporaines, Ministère
de l’écologie, Direction nature et paysages, Mission internationale, côte CAC 20060155 ou encore Cabinet, côte
CAC 20080439). Ces documents sont accessibles, sauf pour les documents contentieux, qui seront consultables
dans un délai de trente ans.
3 La plupart des organisations ont commencé à les archiver seulement très récemment et partiellement.
153

quelques interviews ou des extraits ont été publiés. 1 Par contre, les sources journalistiques sur la
Convention alpine ont été plutôt limitées à des journaux locaux et la couverture s’est avérée souvent
approximative 2 , à l’exception du Neue Zürcher Zeitung, un journal de référence en Suisse
germanophone qui, dans les années 90, avait vu un vif débat dans ses pages autour de la Convention
alpine.
Dans les limites de cette recherche, l’analyse systématique de toutes les archives et des
entretiens approfondis avec tous ceux qui le mériteraient n’a malheureusement pas été possible. Cette
partie n’a certainement pas l’ambition de reconstruire l’« histoire définitive » de la Convention alpine ;
elle se donne l’objectif moins ambitieux de clarifier l’enchaînement des principaux événements de ce
processus, en vérifiant scrupuleusement les informations fournies et leurs sources. De ce point de vue,
elle se veut plus systématique et approfondie que les textes existants. Les sources utilisées sont
d’abord les documents officiels des différents organes de la Convention alpine. 3 En ce sens, elle
présente des aspects d’« histoire officielle », plus livienne que tacitienne, notamment dans la deuxième
partie. 4 Des centaines de conversations informelles avec plusieurs protagonistes de l’histoire de la
Convention ont permis d’identifier des épisodes significatifs et des sources importantes. Les
informations résultantes de ces colloques ont été vérifiées méthodiquement auprès au moins une tierce
source, notamment les publications scientifiques. Enfin, les sources secondaires ont aussi leur place :
la quasi-totalité des textes publiés en langue française, italienne et anglaise sur la Convention alpine
ont été recensés et les contenus pertinents répertoriées. Le texte qui en résulte vise, pour paraphraser
1 Voir, par exemple, les entretiens avec Curt Fossel, Wolfgang Burhenne, Erich Kessel et Herbert Wille dans
Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 48-61.
2 Voir, par exemple, la couverture de l’inauguration du siège de la Task force « espaces protégés » du Secrétariat
permanent à Chambéry parue dans Le Dauphiné libéré du 11 juillet 2006.
3 Notamment toutes les publications officielles par le Secrétariat permanent, y compris la base de données SOIA,
les procès-verbaux des sessions de la Conférence alpine (1996-2009) et les rapports techniques (2004-2009), les
procès verbaux des réunions du Comité permanent et les rapports techniques (2003-2010), ainsi que certains
documents des groupes de travail ou plateformes, y compris le Groupe de vérification. La plupart de ces
documents a été repérée à partir de 2006 dans l’archive électronique CIRCA, gérée par le Secrétariat permanent,
ou dans l’archive de l’Unité de coordination « Convention Alpine-IMA » de l’Académie européenne de Bolzano.
4 Référence au style chronologique de l’historien padouan Tite-Live (59 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.), opposé à
l’approche interprétative du romain Tacite (55-120 ca. ap. J.-C.).
154

Humboldt, à « exposer ce qui a eu lieu », en présentant de manière chronologique les événements en
fonction des parties suivantes, sans l’ambition d’être une « histoire critique ».
Pour mieux cadrer l’histoire de ce processus dans son contexte, cette partie est précédée d’une
esquisse de géopolitique alpine, où les principaux facteurs géographiques, démographiques,
économiques et financiers sont présentés pour chaque état alpin, y compris leurs institutions
politiques : la France, l’Italie, la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, la Slovénie, ainsi que les micro-états
du Liechtenstein et de Monaco. 1 C’est donc une histoire au niveau national, avec quelques références
au niveau régional dans les cas du Haut Adige en Italie, de la Bavière en Allemagne et de la Carinthie
en Autriche, dans l’espoir qu’un jour une histoire au niveau régional sera elle aussi écrite.
Eléments de géopolitique alpine
France
Les Alpes françaises se trouvent dans la partie sud-orientale de l’hexagone et représentent,
avec les Pyrénées, le Massif central et le Jura, les massifs les plus importants de France. 2 Elles
définissent la frontière terrestre avec l’Italie et la partie méridionale de celle avec la Suisse. Le Mont-
Blanc se situe à la rencontre des frontières française, italienne et suisse. Traditionnellement, les Alpes
françaises sont divisées entre le nord humide et le sud sec, bien que cette distinction ne soit pas
particulièrement nette d’un point de vue climatique. 3 Ce sont des sources importantes pour le bassin
hydrique du Rhône. Elles accueillent trois parcs nationaux : Vanoise, Ecrins et Mercantour. Les Alpes
représentent le 7,5 % du territoire national et le 3,8 % de la population. 4 Deux villes moyennes comme
Grenoble et Chambéry se trouvent dans les Alpes françaises, tandis que des villes majeures comme
Nice, Marseille et Lyon côtoient son périmètre. Les minorités linguistiques occitane et franco-
1 La source principale de cette approche panoramique est le géographe allemand Werner Bätzing et Henri
Rougier (2005), Les Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, Lausanne, LEP, p. 394-406.
2 Les deux ouvrages classiques sur les Alpes françaises sont Raoul Blanchard (1938-1956), Les Alpes
occidentales, Grenoble, Arthaud; Paul Veyret et Germaine Veyret (1979), Atlas et géographie des Alpes
françaises, Paris, Flammarion.
3 Voir la thèse Ernest Bénévent (1926), Le climat dans le Alpes françaises, Paris, Chiron, citée par Bätzing et
Rougier, Les Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, p. 402-403.
4 Source : Convention alpine, SOIA (1999), «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une
étude réalisée dans le cadre de la Convention alpine», Luxembourg, Commission européenne.
155

provençale se trouvent dans ce territoire. A partir de l’après-guerre, la population, qui était en
diminution, a vu un influx d’immigrés depuis les zones extra-alpines, ce qui contribue à une
disparition progressive des vielles traditions de montagne.
Dans l’analyse critique de Werner Bätzing, les pouvoirs publics ont promu une modernisation
précoce des Alpes françaises à travers le développement urbain et industriel et des réseaux routier et
électrique. Des disparités régionales persistent toutefois entre le nord urbanisé et le sud pauvre. 1 Le
développement touristique, notamment pendant la saison hivernale, a une place toute particulière dans
la stratégie de développement territorial, ce qui fait penser à une sorte de « disneylandisation » des
Alpes françaises. Traditionnellement, le territoire présente des zones importantes de sylviculture et
d’élevage, y compris la transhumance. La France reste un état centralisé, bien que des reformes
territoriales aient donné une autonomie majeure aux collectivités territoriales. La division entre les
Alpes septentrionales et méridionales est renforcée par la présence de la Région Rhône-Alpes au nord
et de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) au sud. Elle était marquée aussi par l’existence
de deux comités de massifs différents pour les Alpes du nord et celles du sud, mais ils ont été
finalement réunis en un seul comité. A l’échelle alpine, les Alpes françaises représentent 21,4 % du
territoire et 17,5 % de la population. 2
Italie
Les Alpes italiennes définissent les frontières septentrionales de la péninsule avec la France, la
Suisse, l’Autriche et la Slovénie. 3 Pour l’Italie, ce massif est donc un passage obligé pour la presque
1 Voir ibid.
2 Source : Convention alpine (2010), Convention alpine, 2 e éd., Innsbruck, Secrétariat permanent. Pour des
questions d’ordre pratique, le territoire alpin est défini ici par le périmètre d’application de la Convention alpine.
3 Les ouvrages de référence sur les Alpes italiennes sont l’ouvrage classique en deux tomes par Giotto Dainelli,
éd. (1963), Le Alpi: l’ambiente naturale, l’ambiente umano, Torino, UTET, ainsi que le grand dictionnaire en
douze volumes édité par Enrico Camanni et al., éd. (2007), Le Alpi: il grande dizionario, Scarmagnio, Priuli e
Verlucca, le livre par Luigi Zanzi (2004), Le Alpi nella storia d’Europa: ambienti, popoli, situazioni e forme di
civiltà del mondo “alpino” da passato a futuro, Torino, CDA-Vivalda, et le recueil comparatif entre Alpes et
Appennines par Guglielmo Scaramellini et al., éd. (1998), Montagne a confronto: Alpi e Appennini nella
transizione attuale, Torino, Giappichelli.
156

totalité des échanges commerciaux et culturels avec l’Europe centrale et septentrionale. 1 Dès le temps
d’Annibal, de nombreux envahisseurs ont traversé les Alpes. Aujourd’hui, les Alpes continuent à être
traversées, mais pour bien d’autres raisons ! Les axes routiers que traversent les Alpes italiennes sont
au nombre de huit : Fréjus, Mont-Blanc, Grand-Saint-Bernard, Simplon, Saint-Gothard, Saint-
Bernardin, Brenner et Villach-Tarvisio. Les Alpes possèdent donc un rôle stratégique dans l’ouverture
et en même temps dans la défense du pays ; elles représentent, avec les Apennins, le massif le plus
important d’Italie. 2 Les Alpes représentent 17,5 % du territoire national et 7,8 % de la population. 3
Depuis son unité il y a 150 ans, l’Italie a été un état essentiellement centralisateur sur le modèle
français. Cependant, à partir des années 70, un processus de décentralisation et d’européanisation de la
politique italienne est en cours, avec une tendance vers le fédéralisme. Les scandales de corruption du
début des années 90 (en italien : tangentopoli) ont conduit à l’arrivée au pouvoir de l’entrepreneur
milanais Silvio Berlusconi et des postfascistes, en alternance avec les postcommunistes. Dans la partie
septentrionale du pays, on observe aussi l’émergence de la Ligue Nord. Ce mouvement aux
revendications indépendantistes met toutefois l’accent sur la Plaine du Pô (Padania) et non sur les
Alpes. Des villes petites et moyennes comme Sondrio, Trento et Belluno se trouvent dans les Alpes
italiennes, tandis que de nombreuses villes majeures comme Turin, Milan, Vérone et Trieste sont
situées à leurs pieds. Aux deux extrémités du massif, les Alpes occidentales et orientales italiennes
souffrent d’une crise démographique, qui conduit au dépeuplement et même à la disparition de
certaines localités. Dans les Alpes centrales, par contre, on observe un solde démographique positif, dû
notamment à l’extension de la zone périurbaine de Milan et à une complexité de facteurs dans la
Vallée de l’Adige.
1 Voir, inter alia, Annibale Salsa (2005), Viaggio alle Alpi: alle origini del turismo alpino, Torino, Museo
nazionale della montagna, sur le voyage dans les Alpes, Hans-Rudolf Egli et Paul Messerli (2003), «Zur
geopolitischen und geoökologischen Interpretation der Alpen als Brücke», dans Welt der Alpen, Gebirge der
Welt: Ressourcen, Akteure, Perspektiven, édité par F. Jeanneret et al., Bern, Haupt Verlag, et les ouvrages
collectifs Piero Bassetti, éd. (1974), Le Alpi e l’Europa, Roma-Bari, Laterza; Edoardo Martinengo, éd. (1988), Le
Alpi per l’Europa, una proposta politica: economia, territorio e società - istituzioni, politica e società, Milano,
Jaca.
2 Traditionnellement, les Alpes italiennes sont divisées entre – de l’ouest à l’est – maritimes, cottiennes, graies,
pennines, lépontines, rhétiques, carniques et juliennes (« ma-con-gran-pena-le-re-ca-giù »).
3 Source : Convention alpine, SOIA «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une étude
réalisée dans le cadre de la Convention alpine».
157

Le territoire alpin est divisé en six régions – Ligurie, Piedmont, Vallée d’Aoste, Lombardie,
Vénétie et Frioul-Vénétie Julienne – et deux provinces autonomes de Trente et de Bolzano. Ces
dernières, la Vallée d’Aoste et le Frioul-Vénétie Julienne ont acquis, depuis l’après-guerre, le statut de
région autonome, vu notamment la présence d’importantes minorités linguistiques germanophones,
francophones et slovénophones, respectivement. Spécialement dans les années 70, des mouvements
sécessionnistes ont été à l’origine d’actes terroristes dans l’Haut Adige. Des disparités importantes
existent, notamment entre les provinces alpines dans les régions ordinaires aux revenus modestes et les
régions et les provinces autonomes et leurs hauts niveaux de vie. La diversité est la caractéristique
principale des Alpes italiennes : à côté d’un développement industriel, qui peut être important, on
trouve de nombreux sites d’exploitation touristique à la française en même temps que des localités qui
ont su conserver leurs atouts traditionnels, y compris dans le domaine agricole et de l’élevage. Les
Alpes italiennes accueillent des parcs nationaux importants : Gran Paradiso, Val Grande, Stelvio et
Dolomites. Fondé en 1856, le Gran Paradiso est le doyen des parcs alpins, tandis que les Dolomites ont
récemment fait leur entrée sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour l’Italie
septentrionale, les Alpes sont une source fondamentale d’eau et d’énergie hydroélectrique. Elles
rentrent presque totalement dans le bassin hydrique du Pô. A l’échelle alpine, les Alpes italiennes
représentent 27,2 % du territoire et 30,5 % de la population. 1
Suisse
Avec l’Autriche, la Suisse est le pays alpin par définition. 2 Cependant, si les Alpes
représentent 60,4 % de son territoire, seulement 23,6 % de la population y réside. 3 Elles couvrent la
partie méridionale et un gros morceau de la partie centrale. Les Alpes représentent le massif principal
du pays, mais elles ne sont pas le seul, car le Jura a aussi un poids remarquable. La partie méridionale
de la frontière avec la France et la totalité de celle avec l’Italie, l’Autriche et le Liechtenstein se trouve
1 Source : Convention alpine, Convention alpine.
2 Pour une lecture critique de cette vision un peu stéréotypée, voir Werner Bätzing (2008), «Die Schweitz und
Österreich als “Alpenländer”? Zum wirtschaftlischen, kulturellen und politischen Stellenwert der Alpen in
beiden Staaten», Geographische Rundschau, vol. 60, n. 3 ; pour les ouvrages de référence, voir Bätzing et
Rougier, Les Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, p. 399.
3 Source : Convention alpine, SOIA «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une étude
réalisée dans le cadre de la Convention alpine».
158

à l’intérieur du territoire alpin. Le seul parc national du pays se trouve au cœur des Alpes, qui
représentent une réserve de biodiversité importante pour le pays. Avec leurs glaciers, dont le Jungfrau-
Aletsch-Bietschhorn est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, les Alpes suisses,
constituent aussi une réserve en eau importante, qui se trouve menacée par le changement climatique.
La plupart du pays se trouve dans le bassin hydrique du Rhin, qui trouve son origine dans les Alpes
suisses. Actuellement, on constate la retraite de ces glaciers, ce qui a également un effet sur les sols.
L’usage et l’observation du changement du sol joue donc un rôle fondamental dans la réduction des
risques d’avalanches, d’inondations, de coulées de boue et de glissements de terrain.
La Suisse est aussi un pays démocratique par excellence. Avec son système confédéral et ses
traditions et mécanismes de démocratie directe, le niveau cantonal et la volonté populaire y jouent un
rôle fondamental. La force de la majorité a parfois le dessus sur les droits de base et les rapports avec
l’étranger. Les Suisses sont souvent perçus comme isolationnistes, ayant rejoint l’ONU en 2002 et
n’ayant pas encore adhéré à l’UE. La Suisse est le pays de la diversité, mais aussi des disparités. La
Confédération a trois langues officielles – l’allemand, le français et l’italien – et une langue nationale –
le romanche. Or, à l’échelle locale, la population est une mosaïque encore plus variée. Par exemple, les
cantons protestants jouxtent souvent les cantons catholiques. L’importance donnée au libre marché et,
récemment, la prédominance relative de la Suisse germanophone sur le reste alimentent des disparités
régionales qui peuvent être importantes, notamment dans les cantons alpins du Valais et du Tessin,
d’Uri et des Grisons. Avec l’exception de Bâle, les villes majeures du pays, qui sont aussi des pôles
importants de richesse, se trouvent le long du périmètre des Alpes : Genève, Lausanne, Berne et
Zurich. Les villes alpines sont pour la plupart de petite taille, les plus importantes étant Lucerne et
Lugano. La démographie des Alpes suisses reflète leur diversité, avec des territoires qui sont
progressivement abandonnés à côté d’autres qui jouissent d’une croissance soutenue, notamment
autour des agglomérations urbaines de Zurich et de Berne.
Les stratégies de développement poursuivies sont aussi plurielles, avec des territoires qui se
distinguent pour leur développement agricole, à côté d’autres qui misent plus sur le tourisme d’élite, à
l’image de Saint-Moritz, et même sur l’industrie de pointe. Davos représente bien cette Suisse
contemporaine : situé dans une partie rurale au paysage idyllique, Davos accueille le Forum
159

économique mondial (FEM), où le gotha de la politique, de l’économie et de la finance mondiale se
réunit tous les ans depuis 1971. Le fait que Davos soit relié au reste du pays par le Chemin de fer
rhétique – une petite merveille d’ingénierie au point d’être inscrite à l’UNESCO – est aussi
significatif. 1 Les axes routiers qui traversent les Alpes suisses viennent tous du côté italien et jouent un
rôle important pour le transit des personnes et des marchandises entre l’Europe septentrionale et
méridionale : Grand-Saint-Bernard, Simplon, Saint-Gothard et Saint-Bernardin. Un grand chantier est
ouvert depuis 1996 pour le un nouveau tunnel de base (ferroviaire) du Saint-Gothard, censé réduire
sensiblement la durée du trajet entre les villes de Milan et Lugano, d’un côté, et Lucerne et Zurich, de
l’autre. La Suisse présente des réseaux routier et ferroviaire denses et investit considérablement dans
les transports en commun afin de réduire les embouteillages, les accidents et l’impact sur
l’environnement. A l’échelle alpine, les Alpes suisses représentent 13,2 % du territoire et 13,1 % de la
population. 2
Autriche
L’Autriche est donc, avec la Suisse, l’autre pays alpin par définition. 3 A l’image de la Suisse,
les Alpes couvrent la partie sud-occidentale et un gros morceau du centre du pays, puisqu’elles
représentent 64,8 % du territoire autrichien. Toutefois, par rapport au cas suisse, une partie plus
importante de la population nationale y réside, correspondant à 40,2 % de la population. 4 La partie
occidentale de la frontière avec l’Allemagne et la totalité de celle avec la Slovénie, la l’Italie, la Suisse
et le Liechtenstein se trouvent dans les Alpes. Des fleuves extrêmement importants pour l’Europe
centrale et sud-orientale ont leur origine dans les Alpes autrichiennes : le Danube, l’Inn et la Drave.
Atténuées peut-être par un développement économique plus faible, les conséquences des changements
du climat et des sols ont des effets similaires en Suisse et en Autriche, où les Alpes représentent aussi
1 Davos représente la Suisse contemporaine beaucoup mieux que les images de pâturages et les sons ridicules de
vache qui accueillaient les passagers en transit par l’aéroport de Zurich en 2010.
2 Source : Convention alpine, Convention alpine.
3 Pour une lecture critique de cette vision stéréotypée, voir l’article cité supra ; pour les ouvrages de référence,
voir Bätzing et Rougier, Les Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, p. 395. Un ouvrage classique
pour toutes les Alpes orientales est celui en deux tomes de Norbert Krebs (1928), Die Ostalpen und das heutige
Österreich: eine Länderkunde, Stuttgart, Engelhorn.
4 Source : Convention alpine, SOIA «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une étude
réalisée dans le cadre de la Convention alpine».
160

un réservoir important de biodiversité : on y trouve un parc national de grande dimension comme le
Hohe Tauern et trois parcs plus modestes : Gesäuse, Kakalpen et Nockberge.
Excepté une partie des Carpates et de la Forêt de Bohême, les Alpes sont le seul massif du
pays. Depuis la dissolution de l’Empire austro-hongrois, elles ont gagné une place capitale dans
l’identité nationale autrichienne. Cependant, Vienne n’est pas une ville alpine et à la fois Graz et
Salzbourg se trouvent vraiment aux limites. Parmi les villes avec plus de 100 000 habitants, seule la
ville d’Innsbruck se trouve en pleine zone de montagne. Les autres villes en territoire alpin sont de
dimensions modestes, à l’instar de Villach ou de Klagenfurt. En moyenne, les Alpes autrichiennes sont
significativement moins riches que les Alpes suisses, sauf à proximité des grandes villes. Les
disparités régionales sont donc moins fréquentes qu’en Suisse, grâce aussi à quatre décennies
d’économie mixte pendant la Guerre froide. La partie occidentale des Alpes autrichiennes est toutefois
significativement plus riche que la partie orientale, qui souffre de taux de chômage élevés, d’une chute
démographique, ainsi que du vieillissement de la population. Si l’occident autrichien se distingue par
son développement du tourisme et des services en général, la partie orientale souffre de la crise de
l’industrie et d’une agriculture faible.
Bien que la population soit plutôt homogène, on signale la présence d’une minorité slovène
assez importante en Carinthie et un nombre élevé de nouveaux immigrés d’origine notamment
balkanique et turque, concentrés spécialement dans les grandes villes. Si l’Autriche ne jouit pas de la
tradition démocratique de la Suisse, elle est toutefois une république fédérale sur le modèle allemand.
Les Länder autrichiens jouent donc un rôle important dans le système politique. Les axes routiers qui
traversent les Alpes autrichiennes sont seulement au nombre de deux : le Brenner à l’ouest et Villach-
Tarvisio à l’est, avec les diramations vers Munich et Vienne. Ils trouvent tous les deux leur origine en
Italie et ils jouent un rôle fondamental pour le transit entre l’Europe septentrionale, centrale et
orientale. Un grand chantier a été ouvert en 2006 pour le un nouvel tunnel de base (ferroviaire) du
Brenner, censé réduire sensiblement la durée du trajet entre les villes de Vérone et Bolzano, d’un côté,
161

et de Innsbruck et Munich, de l’autre. A l’échelle alpine, les Alpes autrichiennes représentent 28,7 %
du territoire alpin et 23,6 % de la population. 1
Allemagne
Bien qu’à l’échelle alpine, les Alpes allemandes représentent 5,8 % du territoire alpin et 10,6
% de la population, à l’échelle nationale, elles ne représentent que 3,1 % du territoire et 1,7 % de la
population. 2 Cependant, elles jouent un rôle important dans l’imaginaire allemand, plus
particulièrement bavarois : elles symbolisent la pureté et la vigueur de la nature par rapport à
l’insalubrité et la frénésie de la ville, des temps modernes et de la civilisation occidentale en général.
Elles sont le lieu de détente par antonomase. La conservation de la nature et la préservation des
traditions sont donc des impératifs catégoriques afin de maintenir l’image d’un pays capable de marier
les vaches Milka et les voitures Mercedes. Les Alpes allemandes se trouvent entièrement en Bavière et
le Parc national de Berchtesgaden, d’un côté, et la station de ski de Garmisch-Partenkirchen, de l’autre,
représentent pour Munich un peu ce que le Mercantour et la station de Sestrières sont pour Monaco.
Pour une question de proximité géographique, Berchtesgaden est cependant aussi étroitement lié à
Salzbourg. Les Alpes définissent, en fait, la frontière méridionale avec l’Autriche. Bien que la
population bavaroise soit plutôt homogène, on signale la présence d’une minorité alémanique dans
l’Allgäu et un nombre élevé de nouveaux immigrés d’origine notamment turque et balkanique. La
plupart des Alpes allemandes bénéficient de l’expansion et du rayonnement de l’aire périurbaine de la
riche ville de Munich, ce qui contribue à une croissance économique et démographique soutenue.
L’industrie principale est clairement représentée par le tourisme et les services. Les axes routiers
principaux sont ceux qui lient Munich à Innsbruck et à Salzbourg.
Slovénie
Bien qu’à l’échelle alpine, les Alpes ne représentent que 3,6 % du territoire et 4,2 % de la
population, à l’échelle slovène, elles représentent bien 33,4 % du territoire et 19,1 % de la population. 3
1 Source : Convention alpine, Convention alpine.
2 Sources : ibid. et Convention alpine, SOIA «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une
étude réalisée dans le cadre de la Convention alpine».
3 Sources : Convention alpine, Convention alpine, et Convention alpine, SOIA «Indicateurs démographiques de
la région alpine: résultats d’une étude réalisée dans le cadre de la Convention alpine».
162

Peut-être plus que pour les autres pays, les Alpes occupent une place centrale dans l’imaginaire
slovène. Mises de côté pendant la période yougoslave au profit de l’identité slave, elles ont joué un
rôle fondamental dans la construction de la Slovénie indépendante, au point même de figurer dans le
drapeau. Le massif définit la partie septentrionale de la frontière avec l’Italie et le secteur occidental de
celle avec l’Autriche. Les Alpes représentent le massif le plus important du pays, avec le Carso (en
slovène : Kras) et un bout d’Alpes dinariques. Elles abritent le parc national du Triglav, qui est le seul
du pays et qui prend son nom du sommet le plus haut des Alpes juliennes. Elles sont une réserve d’eau
significative pour les fleuves Save et Isonzo (Soča), qui y trouvent leur source. La Save est un fleuve
important car elle traverse Ljubljana, Zagreb et Belgrade avant de devenir Danube.
La Slovénie est un pays jeune et de petite taille, plus proche de celle d’une région que de celle
d’un état. Au sein de la communauté de travail Alpe-Adria, par exemple, la Slovénie siège au même
titre que la Région italienne de la Vénétie ou le Land autrichien de la Carinthie. Elle n’est donc pas
divisée en régions, hormis à des fins statistiques, bien que les régions soient historiquement
identifiables. 1 Si la partie orientale des Alpes slovènes est généralement plus riche que la partie
occidentale, c’est dans les zones périurbaines de Ljubljana et de Maribor où l’on retrouve les plus
grandes disparités. Sinon, bien que, pour des raisons militaires, les zones de frontière aient échappé à
la collectivisation agricole, l’héritage de quatre décennies de socialisme fait que, d’un point de vue
socio-économique, le pays est assez homogène. Il faut toutefois souligner que des minorités serbes,
croates et bosniaques importantes sont présentes dans le territoire national. L’économie slovène est
particulièrement dynamique et soucieuse de s’intégrer pleinement dans le contexte européen. La
transition à une économie de marché à été relativement souple par rapport à d’autres pays de l’Europe
centrale et orientale, bien que le processus de désindustrialisation et le développement des services ait
eu un impact significatif, à commencer par le secteur touristique. Aucun grand axe routier européen ne
traverse les Alpes slovènes à cause aussi de l’ancienne présence du rideau de fer et du changement
fréquent des frontières, bien que deux corridors de transport paneuropéens, en cours de
développement, soient censés les traverser. Il s’agit de l’axe cinq, qui lie Venise à Budapest, et de
1 Elles sont les suivantes : Carinthie slovène, Basse-Carniole, Carniole-Intérieure, Haute-Carniole, Istrie slovène,
Goriška, Prekmurje et Basse-Styrie.
163

l’axe dix, qui lie Salzbourg à Belgrade, les deux se croisant, de l’ouest à l’est et du nord au sud, à
Ljubljana.
Liechtenstein et Monaco
Les Alpes abritent aussi les deux micro-états de Monaco et du Liechtenstein. Dans les deux
cas, il s’agit de principautés extrêmement riches, qui ont bâti leur fortune grâce au développement du
secteur bancaire, encouragé par un régime fiscal particulièrement libéral. En fait, les deux micro-états
figurent actuellement sur la liste grise des paradis fiscaux de l’OCDE à même titre que, par exemple,
Antigua et les Îles Caïmans. Le Liechtenstein est situé entre la Suisse et l’Autriche et compte à peine
35 000 habitants dans un territoire de 160 km 2 . Même si la plupart de son territoire est en plaine, il est
le seul pays vraiment 100 % alpin. Il n’y a pas d’espace protégé, mais plus de 40 % de son territoire est
couvert par la forêt. La totalité de sa frontière avec la Suisse est définie par le Rhin. Le pays est divisé
en onze communes, dont la capitale est Vaduz et la commune la plus peuplée est Schaan.
L’administration et l’économie liechtensteinoises sont étroitement liées à la Suisse, même dans le
domaine des relations diplomatiques. La monnaie officielle est, par exemple, le franc suisse. Même si
les princes détiennent un pouvoir remarquable, il y a quand même une constitution, des élections
libres, un parlement, des referendums et même un court suprême. La tendance démographique est
positive, grâce notamment aux travailleurs immigrés, qui représentent une minorité importante. La
plupart de l’économie liechtensteinoise dépend du secteur tertiaire, notamment financier et touristique,
mais elle compte aussi sur une industrie de niche. Le Liechtenstein se trouve sur la ligne ferroviaire
entre Vienne et Zurich, mais ses gares ne sont pas desservies par les trains longue distance. Le rôle du
Liechtenstein dans le développement et dans l’évolution de la Convention alpine n’est pas
négligeable. 1
Monaco est encore plus petite. Elle consiste en environ 2 km 2 de territoire presque entièrement
urbain, enchâssé entre les Alpes-Maritimes et la Côte d’Azur, enclavé en France, mais proche de
l’Italie. L’administration et l’économie monégasques sont étroitement liées à la France, même dans le
domaine des relations diplomatiques. Autrefois le franc français, la monnaie officielle est actuellement
l’euro. L’essentiel du pouvoir est dans les mains du prince, mais Monaco a elle aussi une constitution,
1 Voir infra.
164

des élections libres, un conseil communal pour les questions locales et un conseil national pour les
autres. Avec ses 16 235 habitants par km 2 , elle est le pays le plus densément peuplé au monde. Cependant,
plus de 80 % de la population est étrangère, essentiellement des riches français, italiens et anglais. La
plupart de l’économie monégasque dépend du secteur tertiaire, notamment du commerce, de
l’immobilier et du tourisme, lié aussi au célèbre casino. Monaco se trouve sur la ligne ferroviaire entre
Gênes et Marseille et sa gare est desservie par la presque totalité des trains. Notamment depuis
l’arrivée au pouvoir du Prince Albert II, Monaco a investit beaucoup sur le développement durable et
sur la coopération internationale, avec des moyens financiers souvent importants, ce qui contribue à la
modernisation de l’image de la principauté.
Préhistoire de la coopération alpine (1952-1985)
En 1948 à Fontainebleau, avec la création de l’Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN) 1 , commence l’histoire des organisations non-gouvernementales (ONG) internationales
pour la protection de l’environnement à l’instar du WWF ou Greenpeace, fondées en 1961 et 1971,
respectivement. 2 Dès son lancement, l’UICN a été une organisation mixte et a compté parmi ses
membres des états, des agences publiques, des ONG nationales et maintenant d’autres ONG
internationales. 3 Comme il a été reconstruit par Barbara Lausche, l’UICN jouera un rôle fondamental
1 Initialement, « Union internationale pour la protection de la nature », puis « Union internationale pour la
conservation de la nature » à partir de 1956, puis encore « World Conservation Union » à décompter de 1990.
Maintenant, le nom officiel est à nouveau « l’Union internationale pour la conservation de la nature » depuis le
Congrès mondial de la nature de 2008 à Barcelone.
2 Sur les ONG en général, voir les textes de Philippe Ryfman (2004), Les ONG, Paris, La Découverte ; par
contre, sur les ONG environnementales en particulier, voir Thomas Princen et Matthias Finger (1994),
Environmental NGOs in world politics: linking the local and the global, London, Routledge; Barbara Gemmill et
Amimbola Bamidelu-Izu (2002), «The role of NGOs and civil society in global environmental governance»,
dans Global environmental governance: options and opportunities, édité par Daniel C. Esty et Maria H. Ivanova,
New Haven, CT, Yale School of Forestry and Environmental Studies; Catherine Aubertin, éd. (2005),
Représenter la nature? ONG et biodiversité, Paris, IRD Éditions.
3 En 2010, l’UICN comptait 1 073 membres, dont 83 étaient des états, 116 des agences publiques, 753 des ONG
nationales et 92 des ONG internationales. A l’époque de sa création, la participation des gouvernements à côté
des acteurs non-étatiques n’était pas anodine, si nous pensons, par exemple, aux délégations tripartites du BIT
(gouvernement, employeurs et travailleurs). Avec le temps, celle-ci est devenue plus rare, avec un renversement
de tendance récemment marqué par l’émergence au Sommet mondial pour le développement durable de 2002 à
Johannesburg des partenariats de « type 2 », à l’instar du Partenariat pour la montagne (infra).
165

dans le développement du droit international de l’environnement, y compris dans celui de la
Convention alpine. 1 Tandis que l’intégration européenne faisait ses premiers pas avec la création du
Conseil de l’Europe en 1949, de la CECA en 1952 et de la CEE en 1957, depuis 1953, au niveau
mondial, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) 2 organisait tous
les deux ans une première série de congrès internationaux sur la montagne, qui commençait donc à
prendre sa place dans l’agenda internationale de ces années d’après-guerre. 3
Création de la CIPRA
Dans ce contexte s’insère l’initiative du directeur du Parc national du Grand-Paradis (Italie) 4 ,
Renzo Videsott, auprès de l’Assemblée générale de l’UICN de 1950 à Bruxelles. Préoccupé par des
projets hydroélectriques et par la construction de lignes ferroviaires en Suisse (Chemin de fer
rhétique), Videsott lançait, avec le soutien de la Farnesina, un appel à la coopération transfrontalière
sous forme d’une Commission internationale italo-suisse, tandis qu’en Italie l’on développait la
première Loi « montagne » et l’on créait l’Union nationale des communes, des communautés et des
entités de montagne (UNCEM). 5 Suite à l’intérêt d’une ONG écologiste allemande 6 et du Land
Bavière et en notant que ces problématiques s’étendaient sur toute la région alpine, l’UICN décida,
lors de son Assemblée de l’année suivante à La Haye, de créer une Commission internationale pour la
1 Barbara Lausche (2008), Weaving a web of environmental law, Berlin, Erich Schmidt Verlag, est une
perspective sur l’évolution du droit international de l’environnement, en prêtant une attention toute particulière
au rôle du Comité puis de la Commission de droit de l’environnement (CEL) de l’UICN, créée en 1960.
2 La FAO a été créée en 1945. Anciennement, l’Institut international d’agriculture (IIA) siégeait depuis 1908
toujours à Rome. Voir Sergio Marchisio et Antonietta Di Blase (1991), The Food and Agriculture Organization
(FAO), Dordrecht, M. Nijhoff.
3 Voir Françoise Gerbaux et Jean-Paul Zuanon (1995), «La voie étroite de la Convention alpine», Revue de
géographie alpine, vol. 83, n. 2, p. 105.
4 Le Gran Paradiso a été créé en 1922, ce qui le rend le plus ancien parc national en Italie.
5 Loi 25 juillet 1952, n. 991 (Provvedimenti in favore dei territori montani), en application de l’article 44 de la
Constitution républicaine de 1948, selon lequel « la loi prévoit des mesures en faveur des zones de montagne ».
Elle fut précédée par le Décret royal 30 décembre 1923, n. 3267 (Riordinamento e riforma della legislazione in
materia di boschi e di terreni montani). Il faut rappeler que, dans cette période, l’Italie et la Suisse négociaient
aussi la Convenzione per il traffico di frontiera e il pascolo (Convention pour le trafic de frontière et le
pâturage), conclue à Rome le 2 juillet 1953.
6 Il s’agit de la Schutzgemeinschaft Deutsches Wild (Association pour la protection de la faune sauvage
allemande), crée dans l’après-guerre.
166

protection des Alpes (CIPRA), afin de promouvoir la conservation de la nature dans les Alpes. 1 Parmi
ses principaux instigateurs, la CIPRA comptait Edith Ebers, géologue allemande, ancienne nazie
convertie au pacifisme, qui interprétait bien l’esprit du temps dans une lettre à Willy Plattner de 1969 :
On se rendait compte – dans l’atmosphère qui s’était installée après cette épouvantable
guerre et le nazisme… – que toutes sortes d’atteintes importantes à la nature allaient se
produire. On était en train d’exploiter tous les cours d’eau et les lacs ; en France, il était
question de détourner des fleuves ; en Autriche, on voulait détruire les chutes d’eau de
Krimmel et… en Italie, construire un phare sur le Cervin. 2
Dès son lancement le 5 mai 1952 à Rottach (Allemagne), la CIPRA sera une entité
indépendante, mais elle s’insérera dans le cadre de l’UICN, dont elle suivra, au moins dans une
première phase, le modèle mixte, avec la présence de représentants d’agences publiques et d’instituts
universitaires. En fait, la résolution adoptée lors de la réunion constitutive de la CIPRA explique :
La Conférence… décide de constituer, dans le cadre de l’UIPN [UICN], un comité
international d’étude dans lequel chacun des pays intéressés désignera… un délégué et un (ou
deux) remplaçants. La tache de ce comité sera d’étudier et de réaliser une collaboration
internationale en faveur de la protection de la nature dans les régions alpestres.
En analysant le procès-verbal de Rottach, il est intéressant de noter que, contrairement à l’idée reçue,
selon laquelle la Convention alpine serait une initiative née au sein de la CIPRA, vu qu’elle était « l’un
1 Sur son histoire, voir notamment le numéro spécial CIPRA International (2002), CIPRA-info: la CIPRA a 50
ans, Schaan, CIPRA International. Initialement, « Commission internationale pour la protection des régions
alpines », puis « Commission internationale des régions alpines » dans les années 70, pour retourner à la
dénomination originelle dans les années 80 et substituer « régions alpines » avec « Alpes » en 1990. Voir id.,
CIPRA-info: la CIPRA a 50 ans, p. 17.
2 Cité de CIPRA International, CIPRA-info: la CIPRA a 50 ans, p. 4. Sur l’écologisme de droite en Allemagne,
qui opposait la vigueur et la pureté de la nature à l’insalubrité et la frénésie de la ville et de la civilisation
occidentale, voir Jonathan Olsen (2000), «The perils of rootedness: on bioregionalism and right wing ecology in
Germany», Landscape, vol. 19, n. 1-2, tandis que, sur le écologisme allemand nazi et Edith Ebers, voir le livre de
Frank Uekötter (2006), The green and the brown: a history of conservation in Nazi Germany, Cambridge,
Cambridge University Press, p. 191-192.
167

des objectifs principaux de l’organisation » depuis le début en 1952 1 , c’est à l’époque de l’Assemblée
générale de l’UICN de 1950 à Bruxelles que l’idée de charger la future CIPRA du développement
d’une « convention internationale » a été lancée publiquement. Or, même si la CIPRA rappelle que,
dans un des documents préparatoires de 1951, il a été suggéré que « la tâche certainement la plus
importante de la Commission pour la protection des Alpes doit être d’élaborer une Convention
internationale des Alpes et de s’efforcer de la faire adopter par les pays concernés », la discussion de
cette question a été marginale dans l’économie de la rencontre, ne figurant dans le procès-verbal qu’en
pièce-jointe sous forme d’un extrait d’une relation présentée lors d’une réunion de l’année précédente. 2
Cette marginalité contribue à expliquer pourquoi la convention ne figure pas dans le programme de
travail élaboré à Rottach, qui est plus centré sur des questions techniques (eau, forêt, agriculture, etc.),
ainsi que pourquoi la CIPRA a attendu plus de trois décennies avant de proposer un premier projet de
convention. La CIPRA se configurait donc plus comme commission d’étude et d’alerte par rapport à
des projets qui pouvaient mettre en danger l’environnement alpin que comme groupe de négociation 3 ,
en maintenant un caractère hybride à la fois gouvernemental et non-gouvernemental. Cette genèse
explique pourquoi le premier président de l’UICN, Charles Bernard, de nationalité suisse, fut aussi le
premier président de la CIPRA et que son premier secrétaire, Wolfgang Burhenne, juriste allemand,
ancien soldat de la Wehrmacht tourné la résistance, sera longtemps président de la Commission de
droit de l’environnement de l’UICN. 4
En tant qu’organisation mixte d’états et acteurs non-étatiques, la CIPRA représentera donc, en
tant qu’organisation en partie intergouvernementale, la première manifestation de coopération
interétatique dans la région alpine ; en tant qu’ONG environnementale, par contre, elle aura un rôle de
pionnière pour la mobilisation des acteurs autour des Alpes, notamment de la recherche scientifique,
1 Citation de l’actuel directeur de la CIPRA, Andreas Götz (2004), «The Alpine Convention as an example of the
role of non-governamental organizations (NGOs) in the adoption of an international agreement», dans
Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, p. 254, traduction de
l’auteur ; voir aussi Price, «The Alpine Convention: a model for other regions?», p. 192.
2 Cité depuis Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 41.
3 La dimension scientifique de la CIPRA a été renforcée par la succession entre 1965 et 1975 de deux présidents,
de nationalité suisse, zoologues de profession, Emile Dottrens et Willy Plattner.
4 Burhenne a grandi dans les Alpes. Il a été le président de la Commission de 1963 à 1969, puis de 1977 à 1990.
En 1991, il recevra le prestigieux Prix Sasakawa du PNUE, en même temps que sa femme, Françoise Guilmin.
168

en catalysant leur montée dans les agendas politiques et en jouant un rôle décisif dans l’évolution de la
Convention alpine. Pendant les années 50 et 60, l’activité principale de la CIPRA est celle de porter
l’attention sur des projets destructeurs de l’environnement à travers des résolutions spécifiques et de
contribuer parfois à leur arrêt. « Toutefois, la plupart du temps, les intérêts d’exploitation
l’emportaient. – rappelle Stephan Ortner 1 – En face des succès que la CIPRA a pu enregistrer, il faut
faire état d’un grand nombre d’efforts infructueux. » Les activités se concentrent aussi sur
l’organisation de conférences annuelles. Les conférences étaient organisées à tour de rôle par un pays
membre dans une localité alpine sur des thèmes spécifiques. Elles se terminaient par l’approbation de
résolutions sur les questions abordées et comprenaient souvent des excursions dans la nature. Certaines
de ces pratiques sont encore présentes dans la Convention alpine.
Développements mondiaux
Souvent négligées dans la littérature, les années 60 représentent la première étape dans le
développement d’accords régionaux pour la montagne. Tandis qu’en 1960, la FAO lançait une
première grande enquête sur les Alpes 2 , en 1965 la Commission régionale des Appalaches est créée
aux Etats-Unis. Elle suivra le modèle de l’Autorité de la vallée du Tennessee des années 30 et sera
suivie, dans les années 70, par le lancement du Mountain institute, ONG écologiste américaine, qui
jouera un rôle important au niveau mondial. Il faudra attendre la fin de la décennie pour que le premier
accord international autour d’une chaîne de montagne soit signé : il s’agit du Pacte andin, signé le 26
mai 1969 à Cartagena (Colombie). 3 Même s’il ne s’agit pas encore d’une convention internationale sur
l’environnement, il s’agit d’un processus d’intégration régionale avant-gardiste, qui à partir des années
90 commencera à s’occuper lui aussi de la protection de l’environnement.
Toutes aussi importantes – y compris dans la littérature – sont les années 70, qui se
caractérisent par des développements capitaux à l’instar de la Convention de Ramsar sur les zones
humides et les oiseaux migratoires de 1971 et la Convention de l’UNESCO sur le patrimoine mondial
(culturel et naturel) de 1972. Mais l’événement qui est considéré le premier tournant dans les relations
1 Cité depuis Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 13.
2 Voir Gerbaux et Zuanon, «La voie étroite de la Convention alpine», p. 105.
3 Sur la Commission régionale des Appalaches et la Communauté andine, voir supra.
169

internationales de l’environnement est le Sommet de la Terre de 1972 à Stockholm. A cette occasion,
le Club de Rome a publié son célèbre « Rapport Meadow », qui proposait la croissance zéro comme
remède contre l’épuisement des ressources naturelles, et le Programme des Nations Unies pour
l’environnement (PNUE) est créé. Le PNUE jouera le rôle de catalyseur pour les politiques
environnementales, au niveau mondial en même temps qu’au niveau régional et national. 1 Un premier
exemple a été le lancement en 1974, quand le canadien Maurice Strong était encore directeur exécutif,
du Programme régional des mers du PNUE, suivi par une prolifération d’accords régionaux pour la
mer, qui sont aujourd’hui arrivés au numéro de treize et qui ont été pour la plupart développés sous la
direction de l’égyptien Mostafa Tolba. La Convention d’Helsinki sur la Mer Baltique de 1974 et la
Convention de Barcelone sur la Mer Méditerranée de 1976 s’inscrivent dans ce processus et
représentent des modèles importants pour la Convention alpine.
Toujours dans les années 70, une contribution fondamentale arrive d’une autre agence
onusienne, à savoir l’UNESCO, qui lance en 1971 le programme Man and the biosphere (MAB), qui
succède au Programme biologique international des années 60 et qui promeut avec succès l’étude des
systèmes couplés homme-environnement. Le projet « régional 6 » du programme (MAB-6) étant
consacré aux montagnes, l’étude de l’environnement alpin progresse remarquablement, avec le
lancement de projets de recherche dans les Alpes françaises, suisses, autrichiennes et allemandes. 2
1 Sur le rôle du PNUE, voir Maria H. Ivanova (2009), «UNEP as anchor organization for the global
environment», dans International organizations in global environmental governance, édité par Frank Biermann
et al., Abingdon, Routledge, ainsi que le recueil sur l’histoire des relations internationales de l’environnement
par Ken Conca et Geoffrey D. Dabelko (2010), Green planet blues: four decades of global environmental
politics, 4th e éd., Boulder, CO, Westview Press.
2 Un premier panel d’experts se réunira en 1973 à Salzbourg, tandis que la première conférence internationale
aura lieu en 1974 à Munich et sera suivie par une série de séminaires internationaux dans les Alpes, ainsi qu’en
Europe orientale. Sur le MAB, voir supra, ainsi que, pour une perspective juridique, Michel Prieur (2004), Droit
de l’environnement, 5 e éd., Paris, Dalloz, p. 393. Pour un bilan du MAB-6, voir Jack D. Ives (1992),
«Institutional frameworks for the study of mountain environments and development», GeoJournal, vol. 27, n. 1;
Martin F. Price (1995), «Man and the Biosphere (MAB) Project 6 in Europe and the Former USSR», Mountain
Research and Development, vol. 15, n. 3; id. (1995), Mountain research in Europe: an overview of MAB
research from the Pyrenees to Siberia, Paris, UNESCO, et l’entretien avec Thomas Scheurer et Jon Mathieu par
Thomas Scheurer et Anne Sgard (2008), «La recherche sur les montagnes entre Alpes et monde: regards
rétrospectifs», Revue de géographie alpine, vol. 96, n. 4, p. 18. Plus généralement, voir Bernard Debarbieux et
Gilles Rudaz (2010), Faiseurs de montagne, Paris, CNRS Editions, p. 222. En 1968, une première Commission
170

C’est à ce stade qu’intervient l’Université des Nations Unies (UNU) qui, en 1978, à l’initiative de
Walter Manshard, lance un projet appelé Highland-lowland interactive systems, qui deviendra plus
tard le programme Mountain ecology and sustainable development, en partenariat avec le Centre pour
le développement et l’environnement (CDE) de l’Université de Berne et sous la coordination de Bruno
Messerli et Jack Ives. 1 Ces deux programmes ont rassemblé plusieurs experts en zones de montagnes ;
ils ont aussi contribué à l’émergence d’une communauté épistémique, au sens où l’entend Peter Haas 2 ,
autour de la Société internationale de la montagne (IMS), qui sera créée à cette période-là, et de la
revue spécialisée Mountain research & development (MRD), lancée en 1981.
Rôle du Conseil de l’Europe
Fille parfois reniée de l’Union européenne 3 , la Convention alpine peut être considérée comme
une petite-fille parfois ingrate du Conseil de l’Europe, organisation intergouvernementale à vocation
universelle, créée en 1949 afin de « réaliser une union plus étroite entre ses membres, afin de
sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de
favoriser leur progrès économique et social » 4 et qui siège à Strasbourg. Le plus célèbre des acquis du
de géo-écologie de la montagne s’était formée au sein de l’Union géographique internationale (UGI). Voir, à ce
propos, Lawrence S. Hamilton (1993), «Status and current developments in mountain protected areas», Mountain
Research and Development, vol. 13, n. 3, p. 311.
1 Sur le programme de l’UNU, voir Axel Borsdorf et Valérie Braun (2008), «Panorama de la recherche sur la
montagne en Europe et dans le monde», Revue de géographie alpine, vol. 96, n. 4, p. 111-112, ainsi que le site
internet www.unu.edu/mountains2002 (dernier accès: 18 mai 2010).
2 Voir Peter M. Haas (1990), Saving the Mediterranean: the politics of international environmental cooperation,
New York, Columbia University Press; id. (1992), «Introduction: epistemic communities and international policy
coordination», International Organization, vol. 46, n. 1, ainsi que l’échange sur les rapports entre scientifiques et
groupes écologistes par Dave Toke (1999), «Epistemic communities and environmental groups», Politics, vol.
19, n. 2; Claire A Dunlop (2000), «Epistemic communities: a reply to Toke», Politics, vol. 20, n. 3, Sheila
Jasanoff (1990), The fifth branch: science advisers as policymakers, Cambridge, MA, Harvard University Press,
sur le rôle des scientifiques dans les processus décisionnels et la réflexion sur le concept foucaldien d’épistème
par Yves Viltard (2006), «L’étrange carrière du concept foucaldien d’épistémè en science politique», Raisons
politiques, vol. 23.
3 Voir infra.
4 Citation de l’article 1 er du Statut du Conseil de l’Europe (but).
171

Conseil est certainement la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. 1 Entre 1968 et
1982, le Conseil concentre son attention sur l’agriculture, le tourisme et l’aménagement du territoire de
montagne, en lançant une série d’initiatives synergiques avec les conférences biennales de la FAO. 2
L’institution du Diplôme européen des espaces protégés en 1965 et la proclamation par le Conseil de
1970 comme l’Année européenne de la conservation de la nature joueront en faveur d’une prise de
conscience sur les particularités des zones de montagne, même si celles-ci étaient perçues davantage
du point de vue du développement rural. 3 A cette époque, la CIPRA essaya de profiter de cette
ouverture afin d’obtenir le statut d’observateur officiel du Conseil, mais ses efforts ne seront pas
couronnés de succès. 4
Déjà en 1973, le Conseil de Strasbourg commençait à s’occuper des problèmes généraux des
régions rurales. 5 Dans le prolongement de ces réflexions, le Comité des ministres, le plus haut niveau
décisionnel du Conseil, s’exprima l’année suivante avec une première résolution sur les problèmes
économiques et sociaux des régions de montagne. Ce texte naît de la reconnaissance que « les régions
de montagne présentent par rapport aux régions rurales les mêmes caractéristiques et les mêmes
handicaps, mais [aussi] des caractéristiques spécifiques qui sont dues notamment à l’altitude, à la
topographie, au climat et aux grandes difficultés d’accès ». Il propose une série de mesures touchant à
des domaines différents : agriculture et sylviculture ; industrie, artisanat et commerce ; éducation,
formation et animation ; tourisme ; ainsi que la sauvegarde de l’environnement et du paysage. Il
propose aussi des bases pour une politique de la montagne, qui comprennent des aides financières, des
1 Sur le Conseil de l’Europe, voir le classique par Arthur H. Robertson (1962), Le Conseil de l’Europe: sa
structure, ses fonctions et ses réalisations, Leiden, A.W. Sythoff, et le repère de Jean-Louis Burban (1996), Le
Conseil de l’Europe, 3 e éd., Paris, Presses universitaires de France.
2 Voir supra.
3 Sur le Diplôme européen, voir la Résolution (65) 6 du Conseil des ministres. Voir aussi le rapport sur la
Conférence européenne sur la conservation de la nature, tenue à Strasbourg du 9 au 13 février 1970 (document
2758).
4 Selon Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 17, au début des
années 1990, la CIPRA avait le statut d’observatrice dans le Comité de protection de la nature du Conseil de
l’Europe.
5 Sur les régions rurales, voir la Résolution (73) 3 du Conseil.
172

outils pour l’aménagement du territoire rural et des actions des collectivités territoriales. 1 Il s’agit donc
d’un schéma général présentant déjà plusieurs éléments que nous retrouverons dans les politiques de
Bruxelles et dans la Convention alpine. C’est dans ce contexte fécond qu’en 1974, la Confédération
européenne de l’agriculture (CEA), une ONG internationale dotée du statut d’observatrice de la FAO
et du Conseil de l’Europe, lance un Groupe de travail sur les questions socio-économiques dans les
régions de montagne (EUROMONTANA), qui organisait lui aussi des conférences biennales. 2
L’action du Conseil de l’Europe sur les zones de montagne commence donc à prendre de
l’élan avec une deuxième résolution, cette fois-ci sur les zones sensibles des hautes montagnes, plus
focalisée donc sur la protection environnementale et sur les dangers du développement touristique. 3
Contrairement aux résolutions de l’année précédente, celle-ci a été préparée par le Comité européen
pour la sauvegarde de la nature et des ressources naturelles, un organe consultatif du Conseil, sur la
base de l’étude Les régions menacées des Alpes et les mesures de prévention publié par Herbert
Aulitzky de l’Université des Sols (BOKU) de Vienne. Préparée elle aussi par le même Comité, une
première Charte écologique des régions de montagne en Europe, plus axée sur la protection du
patrimoine naturel et culturel, sur les échanges scientifiques et l’harmonisation législative et plus
ambitieuse, a été proposé au Comité des ministres, qui approuvera ses principes en 1976. 4 Ces
« principes de Charte » marquent en même temps la contribution majeure du Conseil dans cette
première phase et la dernière résolution approuvée par le plus haut organe décisionnel du Conseil sur
le thème de la montagne.
1 Sur les problèmes économiques et sociaux des régions de montagne, voir la Résolution (74) 7 du Conseil, y
compris sa note explicative. Certains éléments de ce texte seront repris l’année suivante par la « malheureuse »
Directive sur l’agriculture de montagne de la CEE : confronter le point 2.2 de la Résolution du Conseil avec le
préambule de la Directive de la CEE, toute centrée sur la montagne comme « handicap naturel permanent » à
l’agriculture (infra).
2 En 2010, EUROMONTANA comptait 69 organisations membres dans 18 pays européens. Sur le CEA, voir
Françoise Gerbaux (2004), «Les groupes de pression et la défense des zones de montagne européenne», Revue de
géographie alpine, vol. 92, n. 2, p. 18-22, tandis que sur EUROMONTANA, voir Don C. Funnell et Romola
Parish (2001), Mountain environments and communities, London, Routledge, p. 363-364.
3 Sur les zones sensibles des hautes montagnes, voir la Résolution (75) 9 du Conseil des ministres.
4 Sur la Charte écologique des régions de montagne en Europe, voir la Résolution (75) 9 du Conseil, ainsi que
Jean Billet (1976).
173

Il ne s’agit ni d’un « chant du cygne » du conseil ni d’un texte qui restera à jamais dans le
tiroir d’un bureau à Strasbourg. La balle passera à la Commission de l’aménagement du territoire et
des pouvoirs locaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil. Après avoir commissionné une
première étude à l’Alpeninstitut de Munich, préparée par Walter Danz et publiée en 1978, l’Assemblée
approuvera une résolution sur l’aménagement du territoire européen et sur la fonction des régions
alpines, ce qui ouvrira la voie à l’activation de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et
régionaux, un autre organe consultatif du Conseil, vers la fin des années 80. 1 Pendant les dix ans qui
suivent, les activités du Conseil en faveur des zones de montagne subiront un arrêt presque total, mais
en partant du développement rural, en passant par la protection environnementale et le développement
touristique et en terminant par l’aménagement territorial, le Conseil a touché la plupart des
thématiques qui seront centrales au développement de la Convention alpine. De plus, le Conseil avait
un avantage sur toutes les autres organisations régionales européennes : il était le seul à réunir tous les
états alpins, y compris le Liechtenstein (depuis 1978), mais à l’exception de la Slovénie (jusqu’en
1993).
Les réseaux écologistes à l’instar de l’UICN et de la CIPRA ont certainement joué un rôle
important dans ce dialogue entre les Alpes et l’Europe ainsi que dans le développement de la
Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, signée à
Berne en 1982, toujours dans le cadre du Conseil de l’Europe (Convention de Berne). De plus, nous
pourrions interpréter le passage de la question montagnarde du Comité des ministres à la Conférence
permanente des pouvoirs locaux et régionaux à la fin des années 70 sous la perspective de l’émergence
des acteurs régionaux sur la scène européenne. 2 Il faut rappeler qu’au début des années 70, nous
assistons à la création des premières eurorégions autour du Golfe de Botnie et du Lac de Constance. 3
Ce processus a été accompagné lui aussi par le Conseil, qui approuvera, en 1980, la Convention-cadre
européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (Convention de
1 Voir la Résolution 687 (1979) de l’Assemblée parlementaire.
2 Voir, par exemple, Brian Hocking (1993), Localizing foreign policy: non-central governments and multilayered
diplomacy, London, Macmillan.
3 Voir, inter alia, Giuseppe Vedovato (1997), «La coopération transfrontalière, les Eurorégions et le Conseil de
l’Europe», Annuaire européen, vol. 43.
174

Madrid) qui, avec ses protocoles, contribuera à l’approfondissement de la coopération transfrontalière
dans plusieurs « eurorégions ». Ce terme parfois galvaudé désigne une multitude d’expériences de
coopération internationale entre collectivités territoriales de deux ou plusieurs états européens, ayant
une continuité territoriale et souvent un héritage commun et affichant une volonté politique plus ou
moins forte de dépasser leurs frontières nationales et de s’intégrer dans une région transfrontalière.
Normalement, ces initiatives sont encadrées par le Conseil de l’Europe ou de la CEE.
Figure 15 : Le point de vue de la CIPRA sur les efforts du Conseil de l’Europe pour la montagne (Danz, 1990, p. 6).
Développements nationaux
Il faudrait aussi rappeler qu’en France, en 1961, on procédait à une première délimitation des
zones de montagne 1 , qu’en 1971, on créait le Ministère de la protection de la nature et de
l’environnement (premier parmi les pays alpins) 2 , et qu’en 1982, sous la première présidence de
Mitterrand, on installait les conseils régionaux dans le cadre du processus de décentralisation. En
1 Voir les arrêtés des 26 juin 1961 et 3 août 1962 relatifs à la délimitation des zones de montagne en application
du décret n° 61-650 du 23 juin 1961 relatif à l’application du régime d’assurance vieillesse agricole aux
exploitants montagnards.
2 « Ministère de la qualité de la vie » à partir de 1974 ; « de l’environnement » depuis 1978 ; « de l’aménagement
du territoire et de l’environnement » depuis 1997, « de l’écologie et du développement durable » (MEDD) depuis
2002, enfin « de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire »
(MEEDDAT) depuis 2007 sous Jean-Louis Borloo (rassemblant le MEDD avec le Ministère des transports, de
l’équipement, du tourisme et de la mer d’une manière analogue à l’ancien « super-ministère » de l’équipement,
des transports et de l’environnement entre 1986 et 1988 sous Alain Carignon).
175

Italie, par contre, si le Ministère de l’environnement n’existait pas encore 1 , les régions ordinaires (en
italien : regioni ordinarie) ont été créées en 1970, tandis que les régions autonomes à statut spécial
(statuto speciale), dont trois étaient dans les Alpes, existaient déjà depuis 1948 dans le cas de la Vallée
d’Aoste et du Trentin-Haut Adige (Südtirol) et depuis 1963 dans le cas du Frioul-Vénétie Julienne. 2
Dans le cas de l’Haut Adige, il ne faut pas oublier les épisodes de terrorisme liées aux Comité pour la
libération du Tyrol du Sud (Befreiungsausschuss Südtirol) dans les années 60, qui ont marqué les
relations entre population italophone et germanophone et qui se sont évanouies suite à l’intervention
massive des forces de l’ordre et avec l’approbation d’un nouveau statut en 1972. 3 Dix ans plus tard,
afin de faciliter la coordination entre état et régions, le premier gouvernement Craxi (PSI), créera enfin
la Conférence permanente pour les rapports entre l’état, les régions et les provinces autonomes
(Conférence état-régions), en marquant un tournant dans le processus de régionalisation. De plus,
consciente des spécificités des zones de montagne, en 1971, l’Italie institue les Communautés de
montagne (Comunità montane) 4 , assimilables à des communautés de communes et destinataires de
subventions de l’état. Dans les deux pays, cette époque est marquée par la modernisation des régions
alpines par le biais d’intervention structurelles, à commencer par les grands chantiers routiers, à
l’instar de l’autoroute « d’Allemagne » (A27), en Italie, inaugurée en 1972, qui était censée joindre
Venise et Trévise, région industrielle, à la Carinthie et donc l’Europe centrale, en passant par les
1 Depuis 1974, il y avait, par contre, un Ministère pour le patrimoine culturel et naturel, faisant écho à la
Convention de l’UNESCO sur le patrimoine mondial de 1972, qui concurrencera internement le futur ministère
de l’environnement jusqu’en 1998. Cette tutelle culturelle de l’environnement perdurera donc plusieurs années et
sera partagée par plusieurs pays, notamment dans l’Europe centrale et orientale.
2 Il faudra attendre la solution de la question triestine avec le Traité de Paris de 1947 sur les territoires occupés
par les pays de l’Axe Rome-Berlin, mais surtout avec l’Accord de 1954 sur la reconnaissance des zones italienne
et yougoslave et, finalement, avec le traité d’Osimo de 1975 pour l’acceptation définitive de la partition entre
Italie et Yougoslavie de Tito.
3 Suite au nouveau statut, la « Région autonome » Trentin-Haut Adige a été divisée à son tour en deux
« Provinces autonomes » (Bolzano et Trente) (Loi constitutionnelle 10 novembre 1971, n. 1, puis article 116 de
la Constitution italienne). Voir aussi l’Accord entre De Gasperi et Gruber, respectivement premier ministre
italien et ministre des affaires étrangers autrichien, de 1948.
4 Voir la Loi 3 décembre 1971, n. 1102 (Nuove norme per lo sviluppo della montagna), en application de l’article
44 de la Constitution, ainsi que Gino De Vecchis (1988), La montagna italiana tra degrado e sviluppo: il ruolo
delle Comunità montane, Roma, LUMSA.
176

Dolomites, ou les grands tunnels des Alpes occidentales : celui du Mont-Blanc en 1965 et ceux du
Fréjus et du Saint-Gothard en 1980.
Pour la Suisse, par contre, il faut rappeler la création, déjà dans les années 40, du Groupe
parlementaire pour la défense des intérêts de la population de montagne (aujourd’hui Groupement
suisse pour les régions de montagne ou SAB) et l’adoption, en 1974, de la première loi qui favorise les
investissements dans les régions de montagne. La victoire du Parti radical-démocratique (PRD) aux
élections fédérales de 1983 est aussi importante, car le PRD restera le premier parti pour toute une
décennie, en donnant une certaine stabilité au pays. 1 En Autriche, il faut signaler aussi la longue
permanence au gouvernement du Parti social-démocrate (SPÖ), avec une période de coalition avec les
populistes du FPÖ entre 1983 et 1986. 2 En Allemagne, enfin, nous trouvons encore une victoire
électorale, qui marquera une longue période de stabilité avec le chancelier Helmut Kohl (CDU). C’est
sous son cabinet qu’en 1986, Bonn se dotera d’un Ministère fédéral de l’environnement, de la
protection de la nature et de la sécurité nucléaire (BMU), qui sera suivi, deux mois plus tard, par
l’Italie qui, avec le deuxième gouvernement Craxi, créera son premier véritable Ministère de
l’environnement. 3
Création des Communautés de travail
C’est dans ce contexte qu’au début des années 70, des acteurs nouveaux entrent en jeu : les
régions. Dans les Alpes centrales, l’institution des régions italiennes en 1970 donne l’occasion aux
cantons suisses et aux Länder autrichiens et allemands de se mettre en réseau. Réunis en 1972 à
Mösern (Autriche), le Land allemand de la Bavière, les Länder autrichiens de Salzbourg, du Tyrol et
du Vorarlberg, la Région italienne de la Lombardie, les Provinces autonomes de Bolzano et Trente et
les Cantons suisses des Grisons, de Saint-Gall et du Tessin, créent la « Communauté de travail des
1 Voir, inter alia, Jörg Balsiger (2009), Uphill struggles: the politics of sustainable mountain development in
Switzerland and California, Köln, Lambert Academic Publishing, p. 149-152.
2 Le leader charismatique Bruno Kreisky a été chancelier de 1970 à 1983, suivi par Franz Vranitzky entre 1986 et
1997.
3 Un Ministère pour l’écologie existait déjà depuis 1983, mais il n’avait pas de portefeuille (il empruntait le
personnel des autres ministères), tandis que le ministère de la culture s’appelait Ministère du patrimoine culturel
et naturel depuis 1974.
177

égions alpines » (ArgeAlp) avec une attention toute particulière à l’environnement. 1 ArgeAlp prévoit
un minimum d’institutionnalisation avec des conférences régulières des gouverneurs et un secrétariat
technique à Innsbruck (Autriche). La création d’ArgeAlp a conduit à une dynamisation ultérieure de
l’action des régions. Suite à une première conférence en 1973 à Milan sur « Les Alpes et l’Europe »,
un « Comité d’initiative pour la coopération entre les régions de l’Arc alpin » a été créé sous la
direction du Président de la Région de la Lombardie, Piero Bassetti (DC), qui réunissait des
représentants de toutes les régions alpines à l’exception des Cantons suisses allemands, de certains
Länder autrichiens du nord et de la Bavière et qui, avant la fin des années 70, s’était doté d’un centre
de documentation à Lugano (Suisse). Bassetti se souvient que : « le Comité a collaboré avec le Conseil
de l’Europe, afin d’organiser la “Conférence des régions alpines” qui s’est tenue en 1978 à Lugano. » 2
Cette conférence, que Peter Haßlacher du Club alpin autrichien considère le « sommet » des efforts
paneuropéens 3 , produira une « Déclaration finale », en énonçant une série de principes censés régler la
politique envers les régions alpines. Mais qu’est-ce que cherchaient les régions avec ces initiatives ?
La relecture des documents de l’époque laisse transpirer une certaine frustration avec la gestion des
espaces transfrontaliers à travers les instruments traditionnels de la politique étrangère. De plus, il faut
rappeler que ces efforts n’étaient pas limités à la dimension environnementale. En effet, Bassetti lui-
même insère ces initiatives dans le processus de « construction européenne », qui ne pouvait pas
oublier une « région vaste » et – on peut ajouter – centrale, comme les Alpes et qui relevait de la
1 Voir l’article 1 (objectif) du Statut d’ArgeAlp. Pour une introduction à l’histoire d’ArgeAlp, à son contexte
institutionnel et en général à la coopération régionale dans l’Arc alpin, voir l’excellent livre de Giovanni Delli
Zotti et Bruna De Marchi (1985), Cooperazione regionale nell’area alpina, Milano, Franco Angeli.
2 Citation extraite de Piero Bassetti (1988), «Le Alpi per l’Europa, una proposta politica», dans Le Alpi per
l’Europa, una proposta politica: economia, territorio e società - istituzioni, politica e società, édité par Edoardo
Martinengo, Milano, Jaca, p. 5, traduction de l’auteur, qui fournit un vaste panorama sur cette période de la
perspective des régions. Voir aussi la publication en cinq volumes des actes de la conférence sous la direction du
même Bassetti, éd., Le Alpi e l’Europa, notamment la contribution d’Edoardo Martinengo, ainsi que Ruggero
Crivelli et Claude Raffestin (1992), «Blanche Neige et les Sept Nains ou la transformation des Alpes en
patrimoine commun», Revue de géographie alpine, vol. 80, n. 4, p. 222-223.
3 Voir l’entretien avec Sigrun Lange de décembre 2005, publié dans la newsletter du projet DIAMONT de février
2006. Même si, en 2008, il a été au centre d’un scandale qui a miné sa crédibilité, Haßlacher reste une source
précieuse autour de la Convention alpine et de son histoire.
178

dimension plus « amplement politique ». 1 L’institution des régions en France et en Italie donnait
l’espoir et les moyens d’une politique nouvelle, qui permette la pleine insertion des régions alpines
dans l’espace et les marchés européens. Innsbruck est toujours plus près de Munich que de Vienne. 2
De toute manière, d’autres raisons peuvent aussi émerger, notamment la nécessité d’affirmer la
présence institutionnelle des nouvelles régions, mais aussi, au niveau individuel, d’échanger des
contacts et des expériences avec les collègues des régions voisines. 3
Il a été question de quelque mois seulement pour qu’une deuxième Communauté suive le
modèle d’ArgeAlp et voie le jour. Suite à une série de réunions préparatoires, le Président de la Région
de la Vénétie, Carlo Bernini (DC), eut l’initiative d’organiser à Venise une réunion pour la création de
la « Communauté de travail des Alpes adriatiques » (Alpe-Adria). A cet appel répondaient, sans
compter la Région de la Vénétie, non seulement le Land de la Bavière (qui était aussi membre
d’ArgeAlp), les Länder autrichiens de la Carinthie, de l’Haute-Autriche et de Salzbourg (qui était un
observateur actif ainsi que membre lui aussi d’ArgeAlp) et la Région autonome italienne du Frioul-
Vénétie Julienne, mais aussi deux Républiques yougoslaves de l’époque, à savoir la Slovénie et la
Croatie. 4 Comme pour ArgeAlp, une autre ville autrichienne, Klagenfurt, fut choisie pour accueillir le
secrétariat technique d’Alpe-Adria. Cette initiative – très médiatisée – fut présentée comme une
« percée » du rideau de fer qui séparait l’Occident de l’Europe orientale ; or, elle reposait sur la
1 Citation extraite de la correspondance avec l’auteur du 3 décembre 2010.
2 Pour une perspective du point de vue des Länder autrichiens, voir l’article de Duncan Morrow (1992),
«Regional policy as foreign policy: the Austrian experience», Regional Politics and Policy, vol. 2, n. 3.
3 Au sujet de la politique étrangère des collectivités territoriales, voir le texte de Hocking, Localizing foreign
policy: non-central governments and multilayered diplomacy, ainsi que celui de Jean-Pierre Paulet (1998), Les
régions à l’heure de la mondialisation, Paris, A. Colin, et l’article récent sur la diplomatie des villes par Yves
Viltard (2008), «Conceptualiser la “diplomatie des villes” ou l’obligation faite aux relations internationales de
penser l’action extérieure des gouvernements locaux», Revue française de science politique, vol. 58, n. 3.
4 Sur Alpe-Adria, voir les travaux de Liviana Poropat (1993), Alpe-Adria e Iniziativa centro-europea:
cooperazione nell’Alpe-Adria e nell’area danubiana, Napoli, Edizioni scientifiche italiane; id. (1996), Le attività
della Comunità di lavoro Alpe-Adria: 1978-1994, Trieste, Regione Autonoma Friuli-Venezia Giulia. Au fur et à
mesure, des régions ont rejoint Alpe-Adria et d’autres l’ont quittée : des sept membres fondateurs la participation
a augmenté jusqu’à dix-neuf, pour revenir plus tard aux onze actuels. Aux fondateurs, s’ajoutent les Länder
autrichiens du Burgenland et de la Styrie, ainsi que les Régions hongroises de Baranya et du Vas. A l’heure
actuelle, Alpe-Adria se configure comme une organisation à composition mixte, qui inclut des états souverains
(la Slovénie et la Croatie, suite au démembrement de la Yougoslavie) en plus des régions sous-nationales.
179

coopération déjà entamée depuis les années 60 entre le Frioul, la Carinthie et la Slovénie autour de leur
espace transfrontalier (le « Quadrigon », avec la Croatie) et d’initiatives pointues dans les domaines de
la culture, du sport et du tourisme. De toute façon, on ne peut pas éviter de soulever la question de la
légitimité de la projection internationale des régions, notamment dans le cas d’Alpe-Adria, où les
enjeux politiques étaient d’une certaine envergure. En effet, dans tous les pays alpins la politique
étrangère est une compétence exclusive de l’état central. La question, qui remonte à la pratique des
jumelages européens de l’après-guerre au niveau communal, a été et est encore l’objet d’un vif débat
sur le plan juridique autour du partage des compétences entre l’état et les régions et sur le plan
politique autour des risques liés aux mouvements autonomistes dans certaines régions (notamment le
Haut Adige en Italie, la Corse en France, etc.). En France, l’état veille activement sur les actions
internationales des régions par l’intermédiaire des préfets. En Italie, ces débats ont conduit à plusieurs
saisies de la Court constitutionnelle de la part du gouvernement central afin d’affirmer sa compétence
en matière de politique étrangère et même à une révision de la Carte constitutionnelle qui, depuis
2001, mentionne expressément « les relations internationales et avec l’Union européenne des
régions », toujours dans le cadre « des principes fondamentaux » fixés par l’état. 1
Les Alpes centrales avaient ArgeAlp ; les Alpes orientales avaient Alpe-Adria : qu’en est-il
donc des Alpes occidentales ? En France, il faudra attendre l’installation des Conseils régionaux en
1982 2 , pour que les Alpes occidentales puissent se doter, elles aussi, de leur communauté. A quelque
mois seulement de leur instauration, les représentants des Régions françaises Provence-Alpes-Côte
d’Azur et Rhône-Alpes se réunirent à Marseille avec leurs collègues des Régions italiennes de la
Ligurie, du Piémont et de la Vallée d’Aoste et des Cantons suisses de Genève, du Valais et de Vaud
1 Voir le nouvel article 117 de la Constitution italienne (Loi constitutionnelle 18 octobre 2001, n. 3), ainsi que sa
loi ordinaire d’application (Loi 5 juin 2003, n. 131) ; voir aussi les jugements constitutionnels 16 janvier 2003, n.
13 (Cooperazione e relazioni internazionali della Regione Calabria), et 5 mai 2008, n. 131 (Lettera di intenti tra
Regione Veneto e e Repubblica Argentina). Pour la doctrine juridique, voir Fabio Marcelli, éd. (1998), Le
Regioni nell’ordinamento europeo e internazionale, Milano, Giuffrè; Alessandro Alfieri, éd. (2004), La politica
estera delle regioni, Bologna, Il Mulino.
2 Voir supra.
180

afin de signer le protocole instituant la « Communauté de travail des régions des Alpes occidentales »
(COTRAO). 1 L’objectif affiché de la communauté était de :
…discuter à un niveau informatif et technique afin de coordonner les solutions et les
problèmes qui sont de l’intérêt des Cantons et des Régions qui la constituent. Grandes lignes
faisant l’objet d’une attention particulière de la communauté : grandes communications et
transports – mouvements portuaires – production et transport d’énergie – agriculture et
économie forestière et montagnarde – économie hydrique – tourisme – protection du milieu et
de la nature et sauvegarde du paysage – aspect territorial et urbanistique – culture et bien
culturel. 2
Il est intéressant de noter à quel point les trois Communautés suivent le même modèle, qui sera repris
par la Convention alpine, même dans les secteurs auxquels elle s’intéressera. Avec la création de
COTRAO, on peut affirmer qu’une première forme de configuration institutionnelle qui recouvre l’Arc
entier a vu le jour, avec les trois Communautés régionales « jumelles » couvrant les Alpes
occidentales, centrales et orientales. En fait, la réplique du modèle d’ArgeAlp a été l’un des résultats
principaux de l’action plus ou moins directe du Comité d’initiative pour la coopération entre les
régions de l’Arc alpin. Par contre, même si, à l’occasion de la première Conférence des régions alpines
de 1978 à Lugano, les régions présentes s’exprimaient en faveur de la création d’un « Conseil des
régions alpines » et, en 1981 à Feldkirch (Autriche), les chefs de gouvernement d’ArgeAlp
approuvèrent un « Modèle commun pour le développement et la sauvegarde des régions alpines »
intéressant, l’idée d’une mise en réseau des régions alpines dans leur ensemble, qui était présente au
1 La « Communauté de travail des Pyrénées » (CTP) a vu le jour l’année suivante à Bordeaux, sous l’impulsion
du Conseil de l’Europe et dans le cadre de la Convention de Madrid de 1980 (voir supra). Elle siège à Jaca
(Espagne). En 1985, une « Communauté de travail du Jura » (CTJ) fut aussi créée avec les cantons suisses.
2 Article 3 du Protocole instituant la COTRAO, signé à Marseille le 2 avril 1982. Ce Protocole, la « Déclaration
conjointe » de Alpe-Adria et le « Statut » de ArgeAlp suivent le même modèle, avec les deux premiers articles
qui déterminent la composition, le troisième qui en annonce l’objectif (avec une liste de secteurs intéressés) et les
suivants qui établissent les règles de fonctionnement. La Convention alpine suivra un modèle similaire (voir
infra).
181

moins depuis la création d’ArgeAlp, n’a pas été concrétisée à l’époque. 1 Le fait que la deuxième
Conférence des régions alpines « Les Alpes et l’Europe », organisée en 1985 à Lugano toujours à
l’initiative du Comité, ait été transformée en une conférence universitaire est significatif de l’évolution
du contexte, même si elle a maintenu un haut niveau. 2 A cette époque, une nouvelle initiative d’autre
envergure prenait de l’élan : la Convention alpine.
Première relance de la CIPRA
Vers la fin des années 60, les activités de la CIPRA en tant que commission d’étude ont
traversé une crise profonde. 3 Aucun projet de convention internationale n’avait été élaboré et la
CIPRA n’avait pas organisé de conférences annuelles en 1970, 1972 et 1974. Le risque d’un
cloisonnement autoréférentiel était à l’ordre du jour. En 1974, l’UICN a convoqué à Trente (Italie),
avec le soutien du WWF, de l’Union internationale des associations d’alpinisme (UIAA) et du Club
alpin italien (CAI) 4 , une conférence sur « Le futur des Alpes ». Celle-ci a été l’occasion de faire le
bilan des vingt premières années de la CIPRA et d’en discuter le futur. Une longue liste de
recommandations des participants a été élaborée sous la forme d’un « Plan d’action » pour la politique
alpine. Selon l’actuel directeur de la CIPRA, Andreas Götz, ce Plan d’action restera, avec la
Déclaration finale des régions alpines de 1978 et le Modèle commun d’ArgeAlp de 1981, l’un des
instruments les plus significatifs développés dans la période qui a précédé immédiatement la
Convention alpine, même s’ils restaient de « simples déclarations d’intentions ». 5 La Conférence de
1 L’idée d’un « Réseau des régions alpines » a été récemment relancée en parallèle à la Convention alpine (voir
infra).
2 Les actes de la conférence ont été publiés par Martinengo, éd., Le Alpi per l’Europa, una proposta politica:
economia, territorio e società - istituzioni, politica e società, et représentent un excellent panorama de l’état de la
recherche sur les Alpes dans plusieurs disciplines, la recherche historique notamment. Lugano sera donc un
terrain fertile pour l’installation du Laboratoire d’Histoire des Alpes (LabiSAlp), siège du Secrétariat de
l’Association internationale pour l’histoire des Alpes (AISA).
3 Voir toujours le numéro susmentionné de la revue trimestrielle de la CIPRA International, CIPRA-info: la
CIPRA a 50 ans.
4 La UIAA fut créée en 1932 à Chamonix, tandis que le CAI naît en 1863 à Turin.
5 Citation extraite de Götz, «The Alpine Convention as an example of the role of non-governamental
organizations (NGOs) in the adoption of an international agreement», p. 234, traduction de l’auteur. Voir aussi
Martin F. Price (1999), «Towards cooperation across mountain frontiers: the Alpine Convention», European
182

Trente marquera un tournant dans l’histoire de la CIPRA et, en réaction à ceux qui en voyaient le
naufrage, elle jettera les bases pour sa relance, qui sera officialisée à l’occasion de sa conférence
annuelle de 1975 à Garmisch (Allemagne). On a discuté notamment de la création de comités
nationaux de la CIPRA, ce qui aura lieu au fur et à mesure dans chaque pays alpin : Autriche et
Allemagne déjà en 1975, Suisse en 1978, France en 1981, Slovénie en 1985 et Italie en 1992. 1 A noter
l’anomalie italienne qui fait qu’un comité sous-national a été formé en 1982 dans le Haut Adige et
qu’un comité national ne verra le jour que dix ans plus tard. Ceci est significatif du balancement vers
les Alpes germanophones, qu’on commençait à percevoir à l’époque au sein de la CIPRA et qui
perdure à ce jour.
Concrètement, cette première relance de la CIPRA se traduira par la nomination d’un nouveau
président, Curt Fossel, juriste et fonctionnaire autrichien, ainsi que par le transfert du siège à Graz
(Styrie). De plus, la CIPRA focalisera ses efforts autour de questions d’aménagement du territoire et
de paysage et, dans une manœuvre visant à dépasser sa vocation d’ONG écologiste et à accroître sa
base, elle décidera d’enlever le terme « protection » de son nom officiel (qui sera réintroduit en 1979).
Toujours dans le même souci, la CIPRA commencera à s’ouvrir au secteur privé, aux fondations
caritatives, aux collectivités territoriales et aux différentes administrations. Par contre, le français et
l’allemand resteront les seules langues officielles, en limitant ultérieurement, par conséquent, la
participation des allophones aux travaux. 2 Un nouveau programme d’activités en douze points sera
approuvé en 1977 lors de la Conférence annuelle de Bovec (Slovénie). Cette relance ouvrira la voie à
l’arrivée de Mario Broggi à la présidence de la CIPRA en 1983, qui donnera un nouvel élan à ses
activités : représentant du Liechtenstein, il concentrera l’attention sur les efforts de communication et
Environment, vol. 9, n. 3; id. (1999), Co-operation in the European mountains: the Alps, vol. 1, Gland, IUCN, p.
13.
1 En Autriche, elle se constituera en tant que groupe de travail de la Société autrichienne pour la protection de la
nature et de l’environnement (ÖGNU) ; en Allemagne, au sein du Club alpin allemand (DAV) ; en Suisse, de
l’UICN, qui en est également le siège ; en France, elle sera initialement hébergée par le Parc national de la
Vanoise, tandis qu’en ex-Yougoslavie ce sera le ministère slovène de l’urbanisme qui l’accueillera. Voir Walter
Danz (1990), Modèle pour la Convention alpine, Vaduz, CIPRA International, p. 99.
2 Sur la question linguistique, voir Paolo Angelini et Jon Marco Church (2008), «The logic of multilingualism in
the Alpine Convention», dans Harmonising legal terminology, édité par Leonhard Voltmer et Elena Chiocchetti,
Bolzano, EURAC.
183

la professionnalisation des structures. L’apparition en 1984 de la publication trimestrielle « CIPRA
info » facilitera grandement la diffusion d’informations spécifiques sur le territoire alpin dans son
ensemble. De plus, avec la refocalisation des débats autour des aspects socio-économiques, le concept
de développement durable deviendra central dans les efforts de la CIPRA à côté de celui de
conservation de l’environnement.
Rôle de l’ASA
La plupart des ébauches historiques sur la Convention alpine laissent en suspens la question
suivante : « quel est le rôle des partis politiques ? ». Ignorer cette question a l’avantage de ne pas
s’impliquer dans les querelles partisanes, en maintenant la sympathie des uns et des autres. Or, cela ne
permet non plus de comprendre comment nous sommes arrivés à identifier dans les différents pays des
alignements politiques, permettant d’atteindre d’abord la signature et après la ratification de cette
convention internationale. Dans la littérature existante sur les relations internationales de
l’environnement, on préfère présenter ces enjeux comme des questions transversales, voire des
dénominateurs communs, qui unissent plus qu’ils ne divisent, ceci du fait qu’ils ne rentreraient pas
dans la politique « haute », qui serait réservée aux questions sécuritaires ou socio-économiques. 1 Si ces
approches semblent s’appliquer à plusieurs conventions en matière d’environnement, elles ne
permettent pas d’apprécier le rôle joué par les associations et les contacts entre représentants politiques
dans le chemin qui a conduit à la Convention alpine. Le plus important de ces réseaux a certainement
été l’Association des socialistes de l’espace alpin (ASA). Les considérations qui suivent sont tirées de
la reconstruction faite par Hans Kolo, parlementaire bavarois de la SPD, et Konrad Walter,
fonctionnaire bolzanien, tous deux coordinateurs de l’ASA de 1988 à 2003 et de 2003 à 2004
respectivement, et postée sur le site internet de l’ASA en 2006, systématiquement confrontée avec
d’autres sources.
La réunion fondatrice de l’ASA a eu lieu en 1971 à Bolzano (Italie) à l’initiative du Président
du conseil provincial de l’Haut Adige, Silvio Nicolodi (PSI), qui convoqua ses collègues socialistes
autrichiens et allemands autour notamment de la construction de l’autoroute « du Brenner » (A22).
Réunis deux ans plus tard à Hofgastein (Autriche), à la même époque de la Conférence « Les Alpes et
1 Voir supra sur les approches fonctionnalistes.
184

l’Europe » de Milan et bien avant la première Conférence des régions alpines de 1978, les membres de
l’ASA proposent la création d’un « Conseil alpin » des régions, en nommant Volkmar Gabert, le porte-
parole de la SPD au parlement bavarois, son coordinateur. Le premier d’une série importante de
congrès thématiques sera organisé en 1975 à Igls (Autriche) sur le thème étonnamment actuel des
travailleurs étrangers et du transport alpin. A ce congrès assisteront des personnalités du calibre de
Willy Brandt, Bruno Kreisky, Giuseppe Saragat et Arthur Schmid, respectivement ancien chancelier
allemand, chancelier autrichien de l’époque, ancien président de la république italienne et ancien
président du Parti socialiste suisse. A partir de 1978, l’ASA organisera au moins un congrès par an sur
des thèmes d’actualité, qui auront un rôle significatif dans la prise de conscience des questions alpines
par la social-démocratie européenne. Les deux missions de l’ASA auprès de la Commission
européenne seront importantes à l’époque du débat sur l’introduction par la Suisse d’une vignette
autoroutière pour les véhicules étrangers et la menace de sanctions présentée par le gouvernement
chrétien-démocrate fédéral allemand. D’un côté, la vignette suisse vise à réduire les volumes de
transport sur route qui traversent son territoire afin d’en réduire l’impact sur l’environnement et sur la
sécurité routière, le transport sur rail de passagers et marchandise étant par conséquent encouragé ;
d’un autre côté, cette vignette discrimine les véhicules étrangers, en représentant une sorte de barrière
indirecte à la circulation des biens et des personnes. La non-appartenance de la Suisse et, jusqu’en
1995, de l’Autriche (qui imposera une vignette en 1997) à la CEE pose, entre autres, des problèmes de
détournement des échanges à l’échelle territoriale. 1
Rôle de la CEE
Pour conclure cette reconstruction de la préhistoire de la Convention alpine, passons donc à
l’acteur principal du processus d’intégration européenne : la Communauté économique européenne
1 Au début des années 90, la Directive « eurovignette » (93/89/CEE) était censée résoudre ce problème, si elle
n’était pas annulée par la Cour de justice (C-21/94). Elle a été substituée par une nouvelle directive en 1999
(1999/62/CE), amendée en 2006 (2006/38/CE) et déjà en cours de renégociation. Une « Déclaration de Zurich
sur la sécurité routière » à été adoptée en 2001 par les ministres des transports suisse, allemand, autrichien,
français et italien. Une enquête sur le transport de marchandises à travers les Alpes (CAFT) a été lancée en 2004
et un « Groupe de Zurich » se réunit régulièrement au niveau ministériel. Sur les transports dans les Alpes, voir
Convention alpine (2007), Rapport sur l’état des Alpes: transport et mobilité dans les Alpes, Innsbruck,
Secrétariat permanent, ainsi que l’étude par la Convention alpine, Groupe de travail transports, Sous-groupe
coûts (2007), «Les coûts réels des transports dans les corridors transalpins», Roma, Convention alpine.
185

(CEE). Il faut commencer par le fait que la Suisse n’a jamais adhéré à la CEE et que l’Autriche ne le
fera qu’en 1995. Puis, il faut ajouter que l’environnement en général et la « montagne » en particulier
ne figuraient pas dans le Traité de Rome, l’objectif principal étant l’établissement d’un marché
commun et le rapprochement progressif des politiques économiques – y compris des politiques
agricoles – pour promouvoir un développement harmonieux des activités économiques des états
membres. 1 Dans cette perspective, il n’est guère surprenant que la première action de la CEE qui a visé
la région alpine et les autres zones de montagne s’est faite dans le cadre de la Politique agricole
commune (PAC). Or, ceci a eu lieu par le biais de la Directive « honteuse » de 1975 sur l’agriculture
de montagne et de certaines zones défavorisées. 2 Cette mesure, qui représente de toute manière une
intervention positive en faveur d’un secteur stratégique, est en même temps à l’origine d’une sorte de
« stigmatisation institutionnelle » de ces zones, qui seront considérées – jusqu’à ce jour – comme des
« zones défavorisées », et pour les montagnes, qui seront définies comme des « handicaps naturels
permanents ». 3 Il faut admettre que celle-ci est, au moins, une définition « malheureuse ». Cependant,
il faut aussi reconnaître que cette Directive débloque des ressources considérables du Fonds européen
d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) 4 pour la couverture d’indemnités compensatoires pour
l’agriculture de montagne qui montaient à 1,4 milliards de francs de l’époque pour les trois premières
années. De plus, la même année la CEE crée un nouveau Fonds européen de développement régional
(FEDER), qui visait à soutenir les investissements en infrastructures pour l’agriculture de montagne et
qui deviendra un instrument fondamental de la future politique de cohésion territoriale de l’UE. 5 Ces
initiatives seront importantes pour le soutien des fonctions sociales et environnementales de
l’agriculture de montagne et pour l’inscription de la question de la montagne à l’ordre du jour des
1 Voir l’article 2 du Traité de Rome de 1957.
2 Directive 75/268/CEE du 28 avril 1975. Sur les origines de la politique européenne sur la montagne, voir
Céline Broggio (1992), «Les enjeux d’une politique montagne pour l’Europe», Revue de géographie alpine, vol.
80, n. 4. En France, elle a été anticipée par l’« Indemnité spéciale montagne » de 1973, que la nouvelle directive
a remplacée. Voir, à ce propos, id. (2002), «La politique de la montagne en France: représentations, discours et
montagne», Hérodote, vol. 107, n. 4, p. 48.
3 Article 3 de la Directive 75/268/CEE.
4 Créé en 1962, le FEOGA a été pendant plusieurs décennies le principal instrument financier pour la mise en
œuvre de la PAC. Depuis 2007, il a été divisé en FEAGA (Fonds européen agricole de garantie) et FEADER
(Fonds européen agricole pour le développement rural).
5 Règlement (CEE) 724/75 du 18 mars 1975. Voir infra.
186

institutions communautaires, mais elles contribueront aussi à la stigmatisation institutionnelle de celle-
ci comme un « handicap », en la reléguant à un plan secondaire et à un rôle passif.
Figure 16 : La perspective des états de la CEE sur la montagne interprétée par la CIPRA (Danz, 1990, p. 6).
Pendant les années 70, dans le sillage de la Convention de Ramsar, la CEE adoptera sa
première directive en matière d’environnement : la Directive « oiseaux » de 1979. 1 Les questions
environnementales n’ayant pas été explicitement communautarisées, la Commission s’appuiera sur une
décision à l’unanimité du Conseil et donc sur les « pouvoirs implicites » de la CEE. 2 A partir de 1973,
suite à la Conférence de Stockholm, la CEE approuvera une série de « Programmes d’action pour
l’environnement » (PEA), qui définissent les priorités et les objectifs de la politique européenne sur
l’environnement. Dans ce contexte, à la fin des années 70, elle commissionne une récolte de données
sur la région alpine à l’Alpeninstitut de Munich, le même institut auquel le Conseil de l’Europe avait
commandé une étude deux ans auparavant. Cette récolte sera réalisée toujours par Walter Danz, qui
sera aussi le vice-président de la CIPRA à partir de 1983. 3 Même si ces études nous repoussent vers la
CIPRA, il faudra attendre quelques années pour que la CEE renouvelle vraiment sont intérêt pour les
1 Directive 79/409/CEE.
2 Conformément à l’article 235 du Traité de Rome concernant les actions qui apparaissent nécessaires pour
réaliser l’un des objets de la Communauté sans que le Traité n’ait prévu de pouvoirs d’action.
3 Voir Walter Danz et Hans-Rudolf Henz (1981), «Integrated development of mountain areas: the Alpine
region», dans Regional policy series, Brussels, EEC.
187

Alpes, une fois dépassée la crise vécue par le processus d’intégration européenne entre la fin des
années 70 et le début des années 80.
Négociation de la convention (1985-1991)
Nous arrivons à la moitié des années 80 avec une série d’acteurs (CIPRA, ASA, Conseil de
l’Europe, CEE) et de scènes (mondiale, européenne, nationale, régionale), qui se configurent de
manière propice au lancement d’un processus intergouvernemental. Cependant, nous n’avons pas
encore de projet de convention internationale. Sorte d’intrigue shakespearienne, nous assisterons, dans
les paragraphes qui suivent, à la convergence de ces initiatives (qui étaient pour la plupart
indépendantes les unes des autres), à la conclusion d’un accord et à l’apparition des premières
divergences. Comme Andreas Götz le rappelle, trois instruments ont été développés à ce stade : le Plan
d’action de l’UICN de 1974 à Trente, la Déclaration finale des régions alpines de 1978 à Lugano et le
Modèle commun d’ArgeAlp de 1981 à Feldkirch. Dans les trois cas, il s’agit de « longues listes » de
mesures souhaitables, qui se limiteront à un impact déclaratoire. 1 Cette convergence aura lieu en deux
actes : le premier acte, qui portera à une première réunion des ministres de l’environnement des états
alpins en 1989 à Berchtesgaden (Allemagne), et le deuxième acte, qui portera à leur deuxième réunion
et, finalement, à la conclusion de la Convention, qui se concrétisera en 1991 à Salzbourg (Autriche).
Entre les deux conférences, nous interprétons la deuxième relance de la CIPRA comme une sorte
d’entracte, mais il faut se rappeler que ces processus procédaient parallèlement.
Nous nous retrouvons donc à l’époque de la Commission Brundtland, qui en 1987 publiera son
célèbre rapport Notre avenir à tous. Nous nous trouvons aussi, en France, à l’époque de la Loi
« montagne », qui instituera les « Comités de massifs » et qui divisera administrativement, pour des
raisons climatiques, les Alpes françaises entre Alpes du nord « humides » et Alpes du sud « sèches »
(elles seront réunies dans un même Comité en 2002). 2 Cette loi sera immédiatement précédée par la
1 Voir supra.
2 Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985. Sur la politique de la montagne en France, voir Françoise Gerbaux (1994), La
montagne en politique, Paris, L’Harmattan, ainsi que Josette Barruet et Louis Guimet (1995), Montagne,
laboratoire de la diversité, Saint-Martin-d’Hères, CEMAGREF; Broggio, «La politique de la montagne en
France: représentations, discours et montagne». Voir aussi le Rapport de la commission d’enquête parlementaire
sur la situation de l’agriculture dans les zones de montagne et défavorisées par Luis Besson de 1982, qui définit
188

création, en 1984, de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), qui sera un lieu
fondamental de socialisation et qui jouera un rôle important dans la promotion de la question de la
montagne à plusieurs niveaux. Dans ce contexte, une première convergence se réalise à l’occasion
d’une journée culturelle de l’ASA en 1984 à Gallenkirch (Autriche), où a lieu un premier contact entre
les socialistes et la CIPRA. Ceci conduira l’année suivante à l’organisation d’une conférence conjointe
sur la forêt de montagne, qui se tiendra à Salzbourg, qui sera un succès en termes de participation et
qui portera à la formulation de la part de la CIPRA d’une série de demandes sur la question. Toujours
en 1985, Hans Kolo de l’ASA présentera au Parlement bavarois (Landtag), pour la première fois, une
motion pour une convention internationale sur les Alpes. 1 Il faut rappeler que, depuis l’après-guerre,
les sociaux-démocrates bavarois se sont toujours trouvés dans l’opposition sur cette question. De toute
façon, cette action parlementaire s’avérera être un tournant décisif, qui marquera le début du processus
qui portera, sans véritable solution de continuité, à la Convention alpine.
L’an 1986 commence par deux événements majeurs à l’échelle continentale : d’un côté, l’Acte
unique européen, qui a relancé un processus d’intégration européen en crise permanente et qui a
étendu les compétences de l’UE en matière d’environnement 2 ; de l’autre, la catastrophe de
Tchernobyl, qui a représenté un épisode fondamental dans la prise de conscience des risques pour la
santé et pour l’environnement des centrales nucléaires et du modèle dominant de développement
industriel. 3 Celle-ci sera l’année de l’entrée en jeu d’autres acteurs au potentiel important : les
la montagne comme une « colonie métropolitaine », p. 69. Pour une note critique sur le fondement scientifique
de cette division, voir Bätzing et Rougier, Les Alpes: un foyer de civilisation au cœur de l’Europe, p. 402-403.
1 Voir Hans Kolo et Konrad Walter, «L’impegno per le Alpi: i 35 anni dell’Associazione della Sinistra
Democratica dell’Arco Alpino (ASA)», Association des Socialistes de l’espace Alpin (ASA), http://www.asa-
net.eu/html/it/asa/lobby.htm, dernier accès: 10 maggio 2010.
2 Article 25 de l’Acte commun européen de 1986, qui a ajouté un titre « environnement » au Traité CEE (anciens
articles 130 R-T, maintenant articles 174-176 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
3 A ce propos, pour une perspective critique, voir le classique de Ulrich Beck et al. (2003), La société du risque:
sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, publié opportunément dans sa version allemande en 1986.
Parmi les réactions à cette tragédie, il faut compter la dénucléarisation de l’Italie en 1987 (par référendum
populaire) et de l’Autriche en 1999 (par loi constitutionnelle) et de l’Allemagne à partir de 2000 (par loi
ordinaire), ainsi que le moratoire de 1990 pour la construction de nouvelles centrales en Suisse (par référendum
populaire).
189

alpinistes. 1 Face à la massification du tourisme de haute montagne et à l’anthropisation croissante du
territoire, au mois d’août, à l’invitation du Club alpin universitaire italien (CAAI), plusieurs alpinistes
d’élite se sont réunis à l’occasion du bicentenaire de la première ascension du Mont-Blanc et ont
adopté un « Manifeste » qui plaidait, entre sérieux et facétieux, pour que les « espaces ouverts à
l’aventure libre » soient considérés comme un Droit de l’Homme. L’année suivante, une conférence
internationale « Mountain wilderness : alpinistes du monde entier pour la défense de la haute
montagne » – de grande envergure – sera organisée à Biella (Italie) avec le soutien de la Banque Sella
(celle de la famille de Quintino Sella, le fondateur du CAI). Les « Thèses de Biella », un document
visionnaire pour une approche « haute » de la montagne, y seront adoptées et une nouvelle association
de portée mondiale y verra le jour : le Mountain wilderness. 2 Bien que le célèbre alpiniste et auteur
François Labande ait rappelé que les participants se réunissaient « sans savoir que, dans l’Europe de
langue allemande, [on] était en train de jeter les bases de la future Convention alpine » et que « Walter
Danz et Werner Bätzing [géographe allemand] n’étaient pas à Biella pour présenter ce projet », ce
mouvement a contribué à la remise en question du modèle dominant de développement touristique
dans les Alpes et à préparer le terrain pour le renforcement de « la protection de la montagne dans un
cadre institutionnel transfrontalier ». 3 Ce sera, en effet, vers la fin de l’année que, pendant une
conférence internationale sur les Alpes, co-organisée par l’ASA à Munich, les représentants du comité
allemand de la CIPRA, Walter Danz et Fritz März, apparemment « autour d’un bon verre de vin
franconien », ont repris l’idée d’une convention formulée par Hans Kolo, en suggérant pour la
première fois de reprendre le modèle de la Convention d’Helsinki sur la Mer Baltique et d’essayer de
1 Sur l’histoire de l’alpinisme, voir le classique de Gian Piero Motti (1993), Storia dell’alpinismo, 2 e éd., Torino,
Vivalda.
2 Sur l’histoire de Mountain wilderness, voir les témoignage de Carlo Alberto Pinelli (2007), «La genèse d’un
projet», Mountain Wilderness, n. 73, avec François Labande dans un numéro consacré au vingtième anniversaire
de l’association. Pour une étude de cas sur le concept de naturalité (wilderness) dans les Alpes, opposée au
concept de paysage culturel, voir le texte de Susanne Lehringer et al. (2008), Paesaggio culturale oppure
wilderness nelle Alpi? Il caso del Parco Nazionale della Val Grande e della Val Strona, Verbania, Provincia del
Verbano Cusio Ossola. Pour une digression utile, voir les passages savants de Bernard Debarbieux (2008), «Le
paysage selon Frederic E. Church et la réception de Humboldt parmi les peintres américains», Cahiers du
paysage, n. 16, sur le Hudson River School of Painting, sur le peintre américain Thomas Cole et sur la recherche
d’une vision américaine et d’une dimension spirituelle de la nature.
3 Citation extraite de Labande dans Pinelli, «La genèse d’un projet», p. 6.
190

l’appliquer aux Alpes. 1 En reprenant ainsi le vieux projet de l’UICN des années 50, la CIPRA dans son
ensemble donnera son aval à cette initiative au tout début de l’année suivante et agira avec une rapidité
étonnante. D’après la reconstruction de Stephan Ortner,
C’est le 7 février 1987 que la présidence de la CIPRA décida avec des représentants des sept
pays alpins, d’entreprendre les préparatifs pour une Convention alpine… La CIPRA
Allemagne fut chargée de la coordination. […] Deux semaines plus tard déjà, la CIPRA
présentait un plan de travail avec un calendrier et un budget. 2
Il faut toutefois rappeler que l’an 1987 commence par les élections allemandes et le troisième
gouvernement Kohl, qui nomme en tant que ministre de l’environnement Klaus Töpfer (CDU), qui
sera le directeur exécutif du PNUE de 1998 à 2006, mais avant tout une figure importante pour la
Convention alpine. Cette même année, les parlementaires bavarois Jürgen Vahlberge et Rudi
Schöfberger de l’ASA mentionneront le projet d’une convention internationale sur les Alpes au
Parlement fédéral (Bundestag), qui sera hué par la majorité chrétienne-démocrate pour avoir été
contraire à la modernisation des Alpes. 3 Toujours dans le milieu parlementaire, après quelques années
de silence du côté des institutions européennes, à l’initiative du représentant italien Carlo Alberto
Graziani (PCI), un « intergroupe montagne », toujours existant, sera créé au Parlement européen, afin
de
…favoriser l’émergence, au sein de la Communauté européenne, d’une politique de la
montagne… intégrée, conjuguant les impératifs de la protection de l’environnement et un
développement adéquat en faveur des populations. 4
1 Confronter Götz, «The Alpine Convention as an example of the role of non-governamental organizations
(NGOs) in the adoption of an international agreement», p. 234, et Kolo et Walter, «L’impegno per le Alpi: i 35
anni dell’Associazione della Sinistra Democratica dell’Arco Alpino (ASA)». Lire les recueils de cette époque par
la CIPRA et l’ASA donne l’impression, d’une certaine réticence à reconnaître le rôle des uns et des autres, même
s’il s’agit d’une histoire dans l’ensemble partagée.
2 Citation extraite de Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 41.
3 Voir ibid.
4 Citation extraite de Gerbaux et Zuanon, «La voie étroite de la Convention alpine», p. 106. Dans le même
numéro, voir aussi Philippe Huet (1995), «Les enjeux de la Convention alpine: un piège ou une chance?», Revue
191

Cette évolution sera immédiatement suivie par la publication du « Rapport Musso », qui porte le nom
de l’ancien eurodéputé François Musso (RPR). 1 A l’époque, le souci principal des eurodéputés était
l’échec des aides à l’agriculture de montagne des années 70 et la nécessité d’une réforme de la
politique rurale de la CEE. EUROMONTANA suivait de près toute la question agricole. Céline
Broggio résume bien le problème, soulevé par un eurodéputé en 1984 :
La politique de soutien des marchés, en bénéficiant davantage aux exploitations les plus
productives, a fait que 80% des soutiens versés sont allés à 20% des exploitants, situés
principalement en plaine. 2
La question de la montagne montait donc dans l’agenda européen, quand les Alpes italiennes
ont été frappées, vers la mi-juillet, par de graves crues, inondations et glissements de terrain,
notamment dans le versant nord des Alpes occidentales (Lombardie et Piedmont). 3 Ces événements
touchent l’opinion publique et les milieux politiques prennent conscience de l’importance de la
question. Un groupe de travail de l’ASA est réuni sous la coordination de Hans Kolo et avec le soutien
de l’Académie Georg-von-Vollmar de Munich, un institut de formation des sociaux-démocrates
bavarois. Le groupe commence à travailler à un premier projet de convention avec une nouvelle liste
de mesures souhaitables. Ce projet sera rédigé sur la base des documents de Trente, Lugano et
Feldkirch, relus sous une optique plus distinctement sociale-démocrate.
de géographie alpine, vol. 83, n. 2, ainsi que, dans la même revue, Broggio, «Les enjeux d’une politique
montagne pour l’Europe». Aujourd’hui, le nom officiel de l’intergroupe est « montagnes, îles et régions à faible
densité de population » (Intergroupe 174) et son secrétariat est assuré par l’AEM (infra).
1 Rapport fait au nom de la commission de la politique régionale et de l’aménagement du territoire sur les
régions de montagne du 27 mai 1987.
2 Citation extraite de Broggio, «Les enjeux d’une politique montagne pour l’Europe», p. 31. Sur l’échec des aides
à l’agriculture de montagne des années 70, voir notamment Gilles Bazin (1984), «Quelles perspectives pour les
agricultures montagnardes?», Paris, INRA; id. (1988), «PAC et zones défavorisées: bilan et perspectives»,
Economie rurale, n. 211.
3 Voir les deux articles de Michel Chardon (1990), «Les catastrophes naturelles de l’été 1987 en Lombardie:
crues, inondations, écroulement de Val Pola», Revue de géographie alpine, vol. 78, n. 1-3; Yvon Rey et Georges
Dayer (1990), «Crues de l’été 1987 dans les bassins versants glaciaires des Alpes Pennines», Revue de
géographie alpine, vol. 78, n. 1-3, dans un numéro consacré aux catastrophes naturelles de l’époque.
192

En parallèle, la CIPRA avait renoué ses contacts avec l’UICN, qui était à l’origine de
l’initiative des années 1950 et qui avait certainement plus d’expérience en matière de conventions
internationales. 1 En juillet, le comité national allemand de la CIPRA (CIPRA Allemagne) avait préparé
une prise de position pour une Convention. A la rentrée, sur cette base, CIPRA et UICN avaient lancé
ensemble un sondage touchant des centaines de services des gouvernements, d’associations et
d’experts et concernant « un bilan des succès et des échecs de la coopération transnationale réalisée
[…] dans la région alpine », avec une attention toute particulière à la politique environnementale. 2 Il
faut souligner, dans le prolongement de la pensée d’Ortner, que l’idée initiale de la CIPRA était de
« construire la Convention alpine à partir de la base » des collectivités territoriales. Or, avant la fin de
l’année, la CIPRA faisait déjà état de la faillite de cette tentative et était déterminée à refocaliser ses
efforts au niveau national et européen.
Qui plus est, il est intéressant de noter que la CIPRA, lors de la conférence annuelle à
Bressanone (Italie), a répondu au manifeste du Mountain wilderness avec son propre manifeste : les
« Dix thèses de Bressanone ». Au lyrisme dont témoignent les alpinistes à Biella, la CIPRA répond par
dix idées simples et concrètes, qui synthétisent efficacement leur perspective : plan des zones de
danger couvrant l’ensemble des surfaces, maintien des fonctions protectrices des forêts de montagne,
garantie de l’existence de l’agriculture de montagne, organisation du trafic d’une manière supportable
pour l’environnement, réduction considérable des polluants atmosphériques, maintien des cours d’eau
dans un état proche de la nature et les protéger, élimination des insuffisances dans l’exécution des
législations de protection de l’environnement, priorité à la préservation de l’environnement sur la
gestion anticatastrophes et enfin, collaboration transfrontalière plus efficace. 3 Dans ce contexte,
Wolfgang Burhenne, qui avait participé à la création de la CIPRA et qui aura été le président de la
1 L’UICN gère, inter alia, le secrétariat de la Convention de Ramsar sur les zones humides de 1971 et possède un
Comité puis une Commission de droit de l’environnement depuis les années 1960.
2 Citation extraite de Danz, Modèle pour la Convention alpine, p. 3. Concernant le taux de participation au
sondage, la CIPRA reporte deux chiffres : 170 réponses sur 200 (ibid.) ou 50% sur les 350 personnes interrogées
(2002). Ledit bilan a été publié dans Walter Danz, éd. (1989), Politique de l’environnement dans l’arc alpin,
Vaduz, CIPRA International.
3 Citation extraite de Ortner, éd., Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 68-
73.
193

Commission de droit de l’environnement de l’UICN jusqu’en 1990, lancera le Centre international
pour l’environnement alpin (ICALPE), une association non-gouvernementale à but non lucratif basée à
Chambéry, essentiellement une boîte de conseil « scientifique » sur les Alpes, qui jouera un rôle de
soutien important dans le développement de la Convention alpine. 1 Tandis que l’ASA, la CIPRA et
l’UICN travaillaient donc à leurs projets respectifs, vers la fin de l’année, le Parlement européen
approuvera une première résolution sur les zones de montagne, dans le sillage du Rapport Musso du
début de l’an 1987. 2
Pour résumer, on avait une pluralité étonnante d’initiatives sur les Alpes et de milieux
commençant à s’activer : les institutions européennes, qui s’intéressaient aux politiques agricoles ; les
environnementalistes, qui s’inséraient à droite et à gauche ; les régions, qui exploraient leurs relations
extérieures ; les socialistes, qui essayaient à concilier protection et développement ; les communautés
de travail, qui s’organisaient entre Alpes occidentales, centrales et orientales ; les alpinistes, qui
voulaient restaurer la montagne libre ; les institutions nationales, qui commençaient à être saisies.
Entre l’ASA et la CIPRA, il y avait les socialistes – qui se faisaient appeler, à cette période,
« Communauté de travail des sociaux-démocrates de l’Arc alpin », ce qui faisait penser aux
communautés de travail des régions (ArgeAlp, Alpe-Adria et COTRAO) – à présenter un premier
projet de texte. Le projet a été présenté en mars 1988 à la Conférence de Kochel, où des représentants
des partis sociaux-démocrates allemands, autrichiens, italiens et suisses allemands aux nivaux
régionaux étaient réunis. Ce projet, titré Sauver les Alpes, maintenant ! et sous-titré Un futur meilleur
pour la zone alpine : une convention sur la protection des Alpes 3 , n’avait pas, bien sûr, la forme d’un
traité international, ou d’une déclaration politique. Il contenait, quand même, une longue série de
mesures relativement concrètes, relatives à la création de groupes de travail thématiques, l’élaboration
de standards internationaux, la coordination de la recherche, la création d’un fonds commun et, plus
précisément, la pollution de l’air, les transports, les revenus et la qualité de la vie, le tourisme et la
nature, la forêt et la chasse, l’eau. Il visait à promouvoir, en même temps, le « succès économique, [la]
1 Voir Lausche, Weaving a web of environmental law, p. 485.
2 Résolution du Parlement européen du 16 novembre 1987 (zones de montagne). Voir Broggio, «Les enjeux
d’une politique montagne pour l’Europe».
3 Je traduis de l’italien. Ce texte est actuellement disponible sur le site internet de l’ASA.
194

justice sociale et [la] protection environnementale ». 1 Deux éléments se dégagent de ce texte : la
question alpine y est présentée comme « indivisible » et, deuxièmement, on y trouve le souhait d’une
participation « plus active » des populations alpines aux décisions concernant leur propre futur.
Le fait que le vice-président de la Commission « environnement » du Parlement européen était
l’eurodéputé bavarois Ursula Schleicher (CSU) a été important pour le développement de la
convention. Au début de l’année, à l’instigation de la CIPRA, elle déposait une requête, au nom du
PPE (non pas des socialistes), pour que la Commission européenne présente un projet de convention
internationale pour la protection de la région alpine, en intégrant la CIPRA dès les travaux
préparatoires. La proposition sera approuvée à l’unanimité par les eurodéputés. 2 Cette requête, à
laquelle la première Commission Delors ne donnera pas de suite à court terme, témoigne d’une
ouverture en cours chez les chrétiens-démocrates allemands et, en général, chez la droite européenne
par rapport au projet de convention alpine, du travail de lobbying intensif de la CIPRA au niveau
européen et de la convergence des différentes initiatives.
Cependant, tous les milieux européens n’étaient pas totalement preneurs du projet de
convention internationale pour la protection de la région alpine. Tandis qu’en France les élections
présidentielles portent le militant écologiste Brice Lalonde au poste de Ministre de l’Ecologie, à
Trente, le Conseil de l’Europe, qui rentrait ainsi sur la scène après un long silence, lançait la deuxième
Conférence européenne des régions de montagne, dix ans après la première. 3 Il est intéressant de noter
le renversement de perspective : si la Conférence de Lugano de 1978 était une « conférence des
régions alpines sur l’Europe », celle de 1988 était une « conférence des régions européennes sur la
montagne ». En effet, du point de vue de plusieurs régions, qui étaient déjà organisées en
1 Citation extraite de Kolo et Walter, «L’impegno per le Alpi: i 35 anni dell’Associazione della Sinistra
Democratica dell’Arco Alpino (ASA)».
2 Sur ce sujet, consulter CIPRA International, CIPRA-info: la CIPRA a 50 ans, p. 15; Ortner, éd., Documents,
initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 43. Il s’agit de la Résolution du 15 avril 1988, n°
B 2-177/88, ainsi que la question orale qui la précède (document n° B 2-90/88), les deux publiées au Journal
officiel.
3 Comparer avec l’extrait supra, voir la publication des actes par le Conseil de l’Europe, ainsi que le rapport de
Gianni Bazzanella sur la conférence de Trente à la 24 e session de la Conférence permanente des pouvoirs locaux
et régionaux du Conseil de l’Europe du 7-9 mars 1989.
195

communautés de travail, la priorité était celle de marier une reconnaissance des spécificités de la
montagne avec une ouverture croissante vers la dimension européenne, qui aurait pu être entravée par
un renfermement communautaire au niveau du massif. La déclaration finale de la conférence fera donc
appel à une initiative d’envergure de la convention proposée pour les Alpes, mais à l’échelle de
l’Europe tout entière et pour un projet de « Charte des régions de montagne ».
A l’occasion de la Conférence de Trente, les régions de montagne ont manifesté le souhait
qu’un instrument juridique rigide soit réalisé. Il devra être capable de synthétiser, dans un
contexte unique, les efforts faits depuis plusieurs années pour un développement économique
approprié de l’ensemble des régions de montagne de l’Europe dans le respect d’un
environnement naturel, qui est souvent très fragile. 1
Cet « instrument juridique » conduira au fil des années à un projet européen qui rivalisera avec la
Convention alpine pour les faveurs des régions, mais qui ne deviendra jamais cet outil « rigide »,
juridiquement obligatoire, souhaité à Trente. C’est dans cet esprit que les régions d’ArgeAlp, réunies
quelques jours plus tard dans la commune de Roncegno à quelques kilomètres de Trente ont repoussé
l’idée d’une « grande communauté de travail unitaire qui s’étend des Alpes françaises aux comtés
hongroises ». 2 S’il avait abouti, on aurait eu encore un autre projet, cette fois-ci au niveau régional.
Dans un crescendo commencé par la Conférence de Kochel de l’ASA et celle de Trente du
Conseil de l’Europe, une troisième conférence a finalement réuni une masse critique importante. A la
fin du mois de juin, la CIPRA, qui avait donc préparé une prise de position claire, lancé un sondage de
grande ampleur et effectué un lobbying intensif au niveau national et européen, a organisé dans la
localité paisible de Lindau, sur le côté allemand du Lac de Constance, une grande conférence
internationale autour de la politique environnementale dans la région alpine. L’intérêt pour la question
montait et la conférence, organisée conjointement à une ONG écologiste allemande 3 , a été un succès
remarquable en termes de participation, avec plus de deux cents participants, y compris des
1 Citation extraite de Luciano Caveri (2002), L’Europa e la montagna, Verbania, Tararà, p. 72-73, je traduis.
2 Décision XIX/3.2.2 (1988) de la Conférence des chefs de gouvernement d’ArgeAlp (je traduis de l’italien).
3 Il s’agit du Deutscher Naturschutzring (DNR ou Ligue allemande pour la conservation de la nature), un réseau
d’ONG écologistes allemandes, dont la Schutzgemeinschaft Deutsches Wild qui avait été instrumentale à la
création de la CIPRA dans les années 50, fait aussi partie.
196

eprésentants politiques des ministères de l’environnement des états alpins, et des médias. Selon
Walter Danz, les hommes et femmes politiques présents ont pu être persuadés de la nécessité de créer
une initiative qui intéresse les Alpes dans leur ensemble. 1 Comme on le verra dans les pages qui
suivent, cette « persuasion » n’a probablement pas été si inconditionnelle que cela, mais la Conférence
de Lindau a certainement été un tournant pour la Convention alpine. Selon la CIPRA, leurs sondages
démontraient que :
Ni le but des politiques nationales de l’environnement ni ceux des accords interétatiques
existants n’ont pour la plupart été atteints. Ils ne le seraient sans doute pas non plus dans dix
ans sin on en restait au statu quo. 2
Dans le texte final adopté par la conférence, le Conseil de l’Europe et la Communauté économique
européenne, qui étaient déjà actifs sur la question, on été invités à contribuer à la suite des travaux et la
CIPRA et l’UICN avaient proposé de développer une convention obligatoire de droit international
pour assurer que les accords pour la préservation de l’environnement au niveau alpin ne soient pas de
simples listes de souhaits, mais qu’ils soient mis en œuvre et respectés. 3 Or, ceux-ci n’étaient peut-être
pas les résultats principaux de la conférence. Selon Franz Speer du Club alpin allemand :
Après coup, ce qui a émergé comme crucial a été l’insistance des pays latins que la
Convention alpine ne devait pas avoir une fonction de pure conservation. Ils affrontaient le
1 Voir Walter Danz et al. (1993), La Convention alpine, un bilan provisoire: résultats de l’assemblée annuelle,
Vaduz, CIPRA International, p. 7. Les actes de la conférence de Lindau ont été publiés dans Danz, éd., Politique
de l’environnement dans l’arc alpin. Leur prise de position, les résultats de leurs sondages et les communications
des participants y sont rassemblés et représentent un panorama sur les politiques environnementales dans la
région alpine. Voir aussi Jacques Manesse et Ulf Tödter (1995), «Une organisation non gouvernementale et la
recherche appliquée dans les Alpes: la CIPRA et la Convention sur la Protection des Alpes», Revue de
géographie alpine, vol. 83, n. 2.
2 Citation extraite de Danz, éd., Politique de l’environnement dans l’arc alpin.
3 Sur la Proclamation de Lindau sur la politique de l’environnement dans l’arc alpin, voir ibid; Ortner, éd.,
Documents, initiatives, perspectives: pour un meilleur avenir des Alpes, p. 27.
197

problème de la dépopulation et de l’abandon des campagnes, tandis que les pays des Alpes
septentrionales expérimentaient un boom du tourisme et des projets de développement. 1
Qu’il soit lié à l’influence de la perspective des « pays latins », aux efforts de persuasion des
ONG écologistes, au lien avec le débat européen sur la question agricole ou bien encore à d’autres
considérations, avant la fin de l’été, un changement a lieu dans la droite allemande, qui avait hué le
projet auparavant : au mois d’août, le ministre de l’environnement, le chrétien-démocrate Klaus Töpfer
(CDU), change d’avis ; il sera suivi, le mois suivant, par le secrétaire d’état (vice-ministre) à
l’environnement bavarois, le chrétien-social Alois Glück (CSU), qui avait déjà encouragé l’initiative
en 1987, au tout début, et qui s’exprimera lui aussi en faveur de la convention. Selon l’ancien président
de la CIPRA Andreas Weissen, d’autres considérations ont influencé ce changement d’avis. En fait,
Töpfer aurait été à la recherche d’un slogan en préparation des élections de 1990 au Land de la Sarre,
où il était à la tête de la liste de la CDU et la Convention alpine lui en fournissait un. 2 Bref, d’une
manière ou d’une autre, la droite allemande converge elle aussi vers le projet de convention et la
CIPRA devient de plus en plus centrale dans ce processus. Au mois de septembre, elle organise un
séminaire à Vaduz (Liechtenstein) avec la participation de dix-sept experts nationaux, y compris des
représentants du Conseil de l’Europe, de la Commission européenne et des sociaux-démocrates
allemands, qui étaient actifs dans l’ASA, mais qui se trouvaient dans l’opposition à Bonn et à Munich.
Les experts provenaient des gouvernements et, s’ils étaient absents, des universités et des associations
des Alpes. Ceci sera connu comme le « Cercle du Liechtenstein ». Celui-ci discutera des contenus de
la future convention et il accueillera l’offre de la CIPRA et de l’UICN de préparer un projet de
« convention pour la protection du patrimoine naturel et culturel de l’Arc alpin ». 3 Il est intéressant de
1 Citation extraite de Götz, «The Alpine Convention as an example of the role of non-governamental
organizations (NGOs) in the adoption of an international agreement», p. 235.
2 Relaté dans l’étude de Stefan Brem et Stefano Bruno (1997), «The Swiss debate on the Alpine Convention:
more than a two-level game», Zürich, Institut für Politikwissenschaft, Abteilung Internationale Beziehungen.
Voir le discours d’Andreas Weissen, tenu le 30 janvier 1997 à l’ETH de Zurich et titré « Alpenkonvention un
Natur- und Landschaftschutz ». Voir aussi le compte-rendu de la réunion-débat avec le secrétaire Lebel du 14
avril 2004 (supra).
3 Citation extraite de Manesse et Tödter, «Une organisation non gouvernementale et la recherche appliquée dans
les Alpes: la CIPRA et la Convention sur la Protection des Alpes», p. 79. Voir, inter alia, Josette Barruet (1995),
«Convention alpine. Au delà de l’effet de catalyse...», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 2, p. 114.
198

noter comment cette formulation, qui vise à concilier protection de la nature et dimension
socioculturelle, rappelle celle de la Convention pour la « protection du patrimoine mondial, culturel et
naturel » de l’UNESCO, à la préparation de laquelle l’UICN avait elle-même contribué. Mais ce
séminaire souffrait du même déficit de légitimité de la Conférence de Lindau : l’invitation venait d’une
ONG environnementaliste, les états alpins n’étaient pas tous présents et les représentants n’avaient pas
de mandat pour s’engager légitimement dans quoi que ce soit. Pour cela, l’initiative devait venir des
gouvernements nationaux.
Pour les encourager, pendant l’automne de 1988, l’ASA a présenté, de son côté, le projet de
convention Sauver les Alpes !, tout d’abord au chancelier autrichien, le social-démocrate Franz
Vranitzky (SPÖ), puis au parlement bavarois (à majorité conservatrice) et enfin au président de la
Confédération suisse, le socialiste Otto Stich (PSS). 1 Preuve de la convergence vers les efforts de la
CIPRA, les présidents d’ArgeAlp, Alpe-Adria et COTRAO, qui avaient déjà exclu de lancer une
grande communauté de travail des régions alpines, à l’occasion de leur réunion de Lugano, ont décidé
de contribuer activement aux travaux préparatoires de la convention, qui désormais les dépassait. 2 A ce
stade, on pourrait ajouter que, du point de vue des régions, il était mieux de participer à ce processus
qui prenait de l’envergure, au lieu de risquer de s’en voir exclu. Cependant, il faut anticiper que cette
participation tardive des collectivités territoriales ne sera pas dénuée de conséquences pour la
convention future. Enfin, l’année 1988 se termine par l’apparition d’un nouveau rapport d’information
des institutions européennes, cette fois-ci du Comité économique et social (CES), au sujet de la
politique pour les zones de montagne. Sur la base des succès et des échecs de la politique européenne,
ce document, dont le rapporteur était Andrea Amato (d’où « Rapport Amato »), relevait la nécessité
d’une nouvelle politique régionale, plus intégrée et globale, des zones de montagne et d’une
redéfinition des critères, qui devaient considérer la « ruralité en 4D » (à l’altitude il faut ajouter la
latitude) des nouveaux membres de la CEE : le Royaume-Uni et l’Irlande. 3 Ceci nous rappelle que, si
1 Voir Kolo et Walter, «L’impegno per le Alpi: i 35 anni dell’Associazione della Sinistra Democratica dell’Arco
Alpino (ASA)».
2 Voir CIPRA International, CIPRA-info: la CIPRA a 50 ans, p. 14.
3 Une politique pour les zones de montagne : rapport d’information du Comité économique et social (avis
461/88). Voir Broggio, «Les enjeux d’une politique montagne pour l’Europe», p. 33.
199

les différents efforts convergeaient bien autour du projet de Convention alpine, il y avait quand même
d’autres contextes qui restaient actifs et qui pouvaient conduire à des discordes futures, par exemple,
autour de l’opportunité d’avoir une communauté « forte » au beau milieu de l’Europe ou encore une
pluralité de conventions « faibles » pour chaque massif au lieu d’une politique unique mais « forte »
pour les zones de montagne au niveau européen.
Conférence de Berchtesgaden (1989)
La Conférence internationale sur les Alpes des ministres de l’environnement ou « Conférence
alpine » de Berchtesgaden (Allemagne) sera le premier acte du processus intergouvernemental.
L’initiative part de Klaus Töpfer et du ministre de l’environnement bavarois, le chrétien-social Alfred
Dick (CSU), et s’appuie sur une résolution du conseil des ministres bavarois. En fait, si le
gouvernement fédéral est compétent en matière de coordination de la politique environnementale et
d’affaires étrangères, la compétence principale en matière de questions environnementales relève des
états fédérésolution Au mois de janvier, Töpfer invite donc ses homologues des autres états alpins à
participer à une conférence internationale pour discuter d’un accord régional sur l’environnement pour
les Alpes. Il faut cependant rappeler le contexte. C’est la fin de la Guerre froide. Au mois de juillet,
l’Autriche, qui était un pays neutre, présentera sa demande d’adhésion à la CEE et, le mois suivant,
elle ouvrira sa frontière avec la Hongrie. Au mois de novembre, le Mur de Berlin s’écroulera, en
ouvrant la voie à l’unification allemande. Au niveau régional, il faut signaler l’élection de Luis
Durnwalder du parti populaire du Haut Adige (SVP), un parti chrétien-social qui défend les intérêts
des populations de langue allemande et ladine, à la présidence de la Province autonome de Bolzano,
mais surtout l’arrivée du libéral-populiste d’extrême droite Jörg Haider (FPÖ) à la tête du Land de la
Carinthie, tandis que le gouvernement fédéral était toujours guidé par le social-démocrate Vranitzky,
avec qui Haider avait rompu en 1986. Les relations entre gouvernement central et entités territoriales
s’annonçaient souvent tendues. Enfin, l’échéance de 1992 pour l’accomplissement du Marché commun
européen était proche et la libre circulation des marchandises et des capitaux dans la CEE était une
préoccupation récurrente dans l’espace alpin, qui craignait d’être exclu de la nouvelle dynamique
commerciale et d’en sortir perdant.
200

Quelques mois avant la Conférence de Berchtesgaden, les chefs de gouvernement d’ArgeAlp,
réunis à Bregenz (Autriche), s’expriment dans des termes particulièrement encourageants par rapport à
l’initiative allemande :
La Conférence déclare la disponibilité d’ArgeAlp à participer à [la conférence pour la
protection des Alpes] et considère une Convention alpine comme une contribution souhaitable
au maintien du territoire alpin en tant qu’espace vital intègre. 1
Il est important de souligner l’équilibre maintenu par ArgeAlp entre « protection » environnementale
et maintien de l’« espace vital ». En même temps, si les régions d’ArgeAlp ou encore les députés du
Parlement européen s’étaient exprimés positivement, à quelques jours seulement d’intervalle,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe renvoyait une proposition de recommandation, qui
aurait appuyé le processus de la Convention alpine. 2 En fait, après la Conférence de Trente, il aurait
été bien surprenant que le Conseil de l’Europe travaille, en même temps, à une convention spécifique
pour les Alpes et à une charte générale pour les régions de montagne d’Europe, des Highlands écossais
au Caucase turc. Au-delà de ces deux initiatives, un silence étrange domine les mois qui précèdent la
Conférence de Berchtesgaden aussi du côté du PNUE, qui se prononçait tant, à la même époque, en
faveur des accords régionaux sur l’environnement dans le Programme pour les Mers Régionales, du
projet MAB-6 de l’UNESCO ou encore du programme coordonné par Messerli et Ives à l’UNU. 3 Les
débats sur la question de la montagne au niveau mondial, européen et même national se font discrets.
C’était comme si tout le monde attendait les résultats du processus alpin.
1 Décision XX/5.2.4 (1989) de la Conférence des chefs de gouvernement de ArgeAlp (je traduis de l’italien).
2 Document 6071 (1989), présenté le 20 juin 1989 par le délégué libéral-démocrate Sixtus Lanner (ÖVP),
originaire du Tyrol autrichien, et renvoyé à la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et
des pouvoirs locaux.
3 La seule exception est peut-être la proposition d’un Secrétariat international pour la montagne, qui a été l’objet
d’une étude de faisabilité préparée par Jack Ives et d’un séminaire organisé par Lawrence Hamilton en 1988 aux
Iles Hawaii. Voir, à ce propos, L. S. Hamilton et al. (1989), «Feasibility study for an international mountain
research and training centre», Mountain Research and Development, vol. 9, n. 2; Ives, «Institutional frameworks
for the study of mountain environments and development». L’initiative était focalisée sur la recherche
scientifique et n’est que faiblement liée au processus alpin.
201

Sur la base des orientations du séminaire de Vaduz, la CIPRA Allemagne consacre les
premiers trois-quarts de l’année à préparer, sous la direction de Werner Danz, un « modèle » de
Convention alpine. 1 Ce modèle a été l’objet de consultations avec une centaine d’agences
gouvernementales, associations et experts et a été approuvé par l’assemblée des délégués des comités
nationaux de la CIPRA, réunis à Groβkirchheim (Autriche), quelques semaines avant la conférence
des ministres de l’environnement des états alpins. Il s’agit d’un texte intéressant, même si la CIPRA
s’exprime souvent avec une arrogance inouïe (à côté des bandes dessinées), au moins dans la version
française, à commencer par la note préliminaire :
L’assemblée des délégués de la CIPRA […] a chargé […] le conseil de direction, en tant
qu’exigences minimales en vue de la réalisation du modèle, de viser prioritairement chez les
parlements et gouvernements des états alpins, mais également d’autres manières, à ce que :
(a) la CIPRA soit consultée considérablement lors de l’élaboration du projet concernant la
Convention alpine ; au cas où ce serait impossible, elle doit élaborer son propre projet de
convention sur la base du modèle ; (b) la mise en pratique rapide du modèle dans une
convention alpine et sa réalisation immédiate par la fondation d’un institut alpin […] soit
garantie ; (c) soient pris lors de la décision sur la convention alpine dès le début des
règlements obligatoires de droit international entre les états alpins sur la base du modèle
CIPRA… 2
De son point de vue, la CIPRA avait plusieurs raisons de s’approprier le processus, vu ses efforts et les
ressources considérables qu’elle a investis dans le projet, mais le registre employé est presque celui
d’un ultimatum, un registre à l’apparence particulièrement maladroit vu que le modèle de la CIPRA
n’est pas un document facilement traduisible dans un accord régional sur l’environnement, à l’instar
des Conventions d’Helsinki ou de Barcelone. Selon la CIPRA, ceci n’était pas son intention, car « il
était à prévoir que les parties contractantes […] n’auraient pas accepté un projet de convention
présenté par la CIPRA, une ONG. Par contre, s’il s’agissait d’un document proposant des actions, qui
avaient été l’objet d’analyses coûts-bénéfices ou d’évaluations de leur impact environnemental et qui
1 Ce modèle à été publié par Danz, Modèle pour la Convention alpine.
2 Citation extraite d’ibid., p. 6-7.
202

étaient facilement mesurables, rapportables et vérifiables, leur traduction dans un accord international
aurait été plus praticable. Il s’agit cependant d’un texte important, qui se révèle suffisamment
anticipateur et qu’il est intéressant d’analyser brièvement.
Le modèle de la CIPRA est divisé en trois parties : la première concerne les principes
généraux et postule la prédominance des intérêts des natifs sur ceux des étrangers aux Alpes et de
l’écologie sur l’économie ; la deuxième a trait aux grands thèmes, en présentant la situation et en
proposant des « mesures techniques » sur l’aménagement du territoire, l’agriculture de montagne, la
forêt de montagne, l’industrie et l’artisanat, le tourisme et les services, les agglomérations et les
infrastructures, les transports, l’énergie, l’eau, la protection de la nature, l’air et les déchets, la culture,
ainsi que la recherche, la formation et l’information. Concernant cette partie, elle ressemble beaucoup
aux listes de « mesures souhaitables » déjà élaborées par l’UICN, le Conseil de l’Europe, ArgeAlp ou
plus récemment l’ASA. On n’ira pas jusqu’à qualifier ce texte d’écologiquement maximaliste, car dans
sa formulation il tient aussi compte des soucis socio-économiques. Il souligne toutefois l’urgence, le
« besoin d’agir » sur chaque thème, ce qui n’est pas étonnant, vu l’activisme statutaire de la CIPRA.
Pour l’époque, les mesures probablement les plus critiques étaient la réduction drastique de la
circulation routière, la limitation du tourisme à court terme et des résidences secondaires, la limitation
ou l’interdiction de l’enneigement artificiel, le refus des sport motorisés et l’interdiction de centrales
nucléaires dans les Alpes, bien que ces mesures « limitatives » étaient couplées avec une série de
mesures « habilitantes », à l’instar de la participation active de la population (et des ONG, qui étaient
exclues, par exemple, des réunions d’ArgeAlp), d’une marque de qualité alpine ou encore de la
commercialisation directe des produits, juste pour donner quelques exemples. Par contre, même si
elles ont fait l’objet de consultations avec des « experts », ces actions ne semblent pas pouvoir être
immédiatement mises en œuvre.
Enfin, la troisième partie formule des recommandations spécifiques. Celle-ci est la partie la
plus intéressante d’un point de vue politique. En premier lieu, elle lie la réalisation de la Convention
alpine à l’accomplissement du Marché commun européen en 1992. Il s’agissait donc de sauvegarder
par le droit international conventionnel les sociétés et l’écologie alpine des conséquences de la
libéralisation économique. Selon la CIPRA, « il ne faut pas que la région alpine se laisse submerger
203

encore plus que dans le passé du développement économique dans les agglomérations urbaines
européennes ». 1 Il s’agissait d’une véritable course contre la montre et contre la CEE, qui par ailleurs
soutenait le processus. En second lieu, dans cette partie, la CIPRA propose un « Plan Marshall » pour
les Alpes très détaillé, à la hauteur de cent milliards de marks sur une période de dix ans (10 milliards
par an), la plupart de cet argent étant destiné à la gestion de la circulation et à la réduction de la
pollution de l’air et des déchets (1,5 milliards par an) et à la compensation entre régions actives et
passives, à la rémunération des services écologiques des agriculteurs, à la gestion du secteur
énergétique et au financement des espaces protégés (sous la forme d’un « Fond pour la protection de la
nature des Alpes ») (1 milliard par an). La CIPRA suggérait même comment financer ce fonds : une
moitié par des économies budgétaires (en « important » la durabilité alpine d’ailleurs) et l’autre moitié
par des impôts sur les activités polluantes (selon le principe du « pollueur-payeur »). 2 En troisième et
dernier lieu, la CIPRA aspirait à la création d’un « Institut alpin ». Cet organe, qui préfigurait le
Secrétariat permanent de la Convention alpine, aurait dû fournir l’expertise et le soutien technique
nécessaires à la mise en place de la Convention et à la poursuite de ses objectifs. Par ailleurs, ce qui
sonnait étrange était que cet Institut aurait porté le même nom que l’Alpeninstitut de Munich, qui avait
été dirigé par Walter Danz, le vice-président de la CIPRA Allemagne jusqu’en 1982 et l’éditeur du
modèle. Il s’agit donc d’un projet extrêmement révélateur. Par contre, il ne ressemblera que
lointainement au projet de convention qui sera finalement adopté par les états.
C’est donc quelques jours plus tard à peine, que les ministres de l’environnement des états
alpins se réunissent du 9 au 11 octobre 1989 à Berchtesgaden (Allemagne), sorte de réhabilitation
historique du lieu de l’ancien « nid d’aigle » d’Hitler (en allemand : Kehlsteinhaus), sous la présidence
de chrétien-démocrate Klaus Töpfer (CDU) pour le pays hôte. Autour de la table siégeaient le ministre
de l’environnement français, le militant écologiste Brice Lalonde, et ses homologues le socialiste
italien Giorgio Ruffolo (PSI), la libérale-démocrate autrichienne Marilies Flemming (ÖVP), à côté de
leurs collègues suisse et liechtensteinois. La République fédérale socialiste de Yougoslavie, qui était
frappée par la chute du bloc socialiste et par des fortes tensions entre les groupes nationaux et qui
1 Citation extraite d’ibid., p. 88.
2 Voir ibid., p. 93.
204

voyait dans la Convention Alpine une ouverture vers l’Europe occidentale, était représentée par le
secrétaire à l’urbanisme slovène, qui était compétent en la matière. 1 Pour la Commission européenne,
il y avait le social-vert italien Carlo Ripa di Meana (PSI). Parmi les représentants des Alpes « latines »,
il y avait donc une prédominance de la gauche « verte » qui se combinait avec une prévalence
« centriste » et favorable à la Convention alpine dans le versant « germanique ».
Berchtesgaden est la première Conférence alpine – un rendez-vous qui continue aujourd’hui –
et aura un impact considérable. Pendant trois jours, les ministres de l’environnement des états alpins et
le commissaire européen à l’environnement furent réunis en présence du Conseil de l’Europe et des
communautés de travail. La CEE était présente au même titre que les états membres, car il s’agissait de
domaines qui avaient été au moins partiellement communautarisés. Sébastien Marciali fait noter que,
en fait, elle y participait sur la base de ses pouvoirs en matière environnementale. 2 En effet, tous les
ministres y prenaient part pour leurs compétences dans ce domaine. Les ministres des affaires
étrangères, du commerce extérieur, des transports, du tourisme et des autres matières, qui auraient pu
être intéressés par une Convention alpine qui visait à une approche intégrée, n’étaient pas présents.
L’atmosphère de la réunion était sereine. Certains observateurs parlaient même d’un « esprit de
Berchtesgaden ». 3 Des ONG comme l’UICN et la CIPRA furent aussi invitées à participer aux travaux.
Ces dernières y ont présenté leur projet de convention et ont insisté, comme prévu, sur la nécessité et
l’urgence d’agir et de suivre leur modèle. Les ministres ont pris compte de ce travail, mais ils se
trouvaient dans une situation difficile face à des propositions qui manquaient souvent de fondement
scientifique et qui n’étaient pas facilement traduisibles sur le plan juridique. Ils ont donc travaillé une
1 A ce sujet, voir la communication par Anton Gosar, résumée dans Werner Bätzing et al. (2004), «Rapport de
session: la Convention alpine, entre législation internationale et mise en œuvre fédéraliste, obstacles et
perspectives», Revue de géographie alpine, vol. 92, n. 2, p. 111-112.
2 Voir la communication publié comme Sébastien Marciali (2008), «Convention alpine et Union européenne»,
dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA
France, p. 40. Sur les accords mixtes entre l’UE et les états membres, consulter le texte très complet d’Eleftheria
Neframi (2007), Les accords mixtes de la Communauté européenne: aspects communautaires et internationaux,
vol. 6, Bruxelles, Bruylant.
3 Par exemple, Jörg Balsiger (2008), «Regional sustainable development in the European Alps», dans EUI
Working Paper MWP, San Domenico di Fiesole, European University Institute, p. 11. Voir aussi le compte-
rendu de la réunion-débat avec le futur secrétaire général Noël Lebel du 14 avril 2004 auprès de l’association
française « Cercle pour l’Aménagement du Territoire » de Paris.
205

« résolution », à savoir une nouvelle liste de souhaits, qui prenait un peu des projets de la CIPRA et de
l’ASA et un peu des documents précédents.
Il s’agissait de « 89 » résolutions symboliques, tout juste comme l’année 89, qui se
différenciaient des initiatives antérieures non seulement pour le niveau politique d’où elles émanaient,
mais aussi parce que figurait parmi elles la décision, la seule véritable du document entier, de créer un
« groupe de travail d’hauts fonctionnaires » chargé, entre autre, d’« élaborer un projet de convention-
cadre » afin de « [prendre] successivement des dispositions contraignantes ». 1 S’il s’agit d’un petit
dénominateur commun, l’ensemble des mandataires est « convaincu que les exigences écologiques
[vitales] doivent avoir la priorité sur les intérêts économiques » et est « conscient des grandes
différences » parmi les états et les régions alpines 2 , il n’y a aucune référence à des souhaits phares de
la CIPRA, à l’instar du « Plan Marshall » pour les Alpes ou l’« Institut alpin », même si les ministres
s’accordent sur le fait « que les efforts déployés en vue de dresser un inventaire des causes et des
effets des pollutions dans l’ensemble de l’espace alpin ne suffisent pas encore ». 3 Cependant, les
ministres sont conscients de l’indispensabilité d’une « politique globale » – voir intégrale – de
l’environnement et ils s’expriment autour des thèmes désormais « classiques » : aménagement du
territoire, protection de l’air de la pollution, protection des sols, protection de la nature, gestion de
l’eau, gestion des déchets, tourisme, agriculture alpine, forêt alpine, circulation, approvisionnement
énergétique, recherche, éducation et information environnementale, y compris les bases de données,
qui sont en même temps essentielles pour la construction d’un sujet commun et stratégiques dans
l’équilibre des connaissances. Donc, même si le projet restait ancré dans le domaine environnemental,
il était porteur d’une approche intégrée, qui touchait aussi aux questions socio-économiques. Or,
1 Décision I/87-89 (1989). Pour se référer aux décisions et aux documents officiels de la Convention alpine, on
utilise, ici, la convention suivante : décision ou document (espace) numéro romain indiquant une réunion de la
Conférence alpine ou numéro cardinal indiquant une réunion du Comité permanent (barre) point à l’ordre du jour
(parenthèses) année.
2 Respectivement, décision I/6 et I/10.
3 Décision I/26.
206

serait-il possible, comme l’affirme Andreas Götz, que « les ministres eux-mêmes […] ne se rendaient
pas complètement compte de cet aspect nouveau et pionnier » ? 1
La conférence, qui n’avait pas été particulièrement médiatisée, décidait donc de reprendre le
modèle « typique » des conventions internationales pour l’environnement, avec un texte général qui
définit le cadre institutionnel pour élaborer, plus tard, des mesures spécifiques sous la forme de
protocoles d’application. 2 Pour les ministres, il s’agissait d’une manière de gagner du temps, même
s’ils avaient l’illusion que le gros du travail avait été fait et que les délais auraient été courts. Si, d’un
côté, ils étaient enclins à développer un instrument juridique pour la protection des Alpes, de l’autre,
ils étaient bien conscients de la nécessité d’adopter une convention internationale qui soit
scientifiquement solide et amplement partagée non seulement avec les citoyens et les entreprises, mais
aussi avec les autres ministères diversement compétents sur le vaste nombre de thèmes envisagés par
les résolutions de Berchtesgaden. Ils prenaient du temps, quand ils n’en auraient pas eu en abondance,
si leur objectif était vraiment, comme le souhaitaient les ONG environnementalistes, de protéger les
Alpes des effets néfastes du marché commun européen. Il s’agissait donc d’une sorte de réserve
d’étude, qui mettait simultanément en marche un processus intergouvernemental. A ce propos, la
Suisse, qui s’était mise un peu à l’écart du processus initial, invitera sa communauté scientifique à
s’exprimer sur le processus de la Convention alpine à travers son Académie des sciences naturelles
(SCNAT ou ASSN). 3 La plupart des entités territoriales, qui s’étaient déjà organisées à leur façon dans
les communautés de travail, accueillent avec « scepticisme » les résultats de Berchtesgaden, dont elles
doutaient la faisabilité. Elles craignaient aussi des entraves à leur développement économique et
réclamaient donc une participation majeure au développement de la convention.
1 Citation extraite de son intervention publiée comme Andreas Götz (2008), «Architecture, fonctionnement et
dysfonctionnements du système conventionnel», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la
montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 12.
2 Il s’agit du même modèle des Conventions d’Helsinki et de Barcelone ou encore des conventions de l’ONU sur
le changement climatique et la diversité biologique, qui étaient en cours de négociation et qui seront adoptées à
l’occasion du Sommet de Rio de 1992. En droit international, il ne s’agit de rien de particulièrement différent par
rapport à des sources conventionnelles prévoyant la possibilité de produire des sources dérivées, à l’instar des
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ou des directives du Conseil de l’UE.
3 Voir l’étude sur le débat suisse autour de la Convention alpine par Brem et Bruno «The Swiss debate on the
Alpine Convention: more than a two-level game».
207

Après la Conférence de Berchtesgaden, un groupe de travail de hauts fonctionnaires sera
constitué, d’habitude pour la rédaction des traités internationaux. Ce groupe sera coordonné par
l’Autriche, qui fera fonction de présidence. Elle présentera un projet de convention-cadre, qui sera
négocié dans cette enceinte serrée. D’autres groupes de travail sur les transports (sous la présidence de
la Suisse), le tourisme (France), la protection de la nature (Allemagne), l’agriculture de montagne
(Italie) et l’aménagement du territoire (France encore) seront aussi formés. Cette distribution du
leadership correspondait vaguement à l’intérêt que ces pays portaient sur ces thèmes, mais aussi à leur
état d’avancement. Cette distribution aura un impact durable sur le développement des différentes
questions. Ces groupes étaient censés préparer les protocoles d’application. Les ONG étaient invitées à
participer à ces réunions préparatoires en tant qu’observatrices, mais elles ne jouaient pas le rôle du
lion. Leur bébé commençait à marcher tout seul.
Thèmes Période Présidence
Transports 1 1989-1995 Suisse
Aménagement du territoire 1989-1994 France
Agriculture de montagne 1989-1994 Allemagne
Protection de la nature 1989-1994 Italie
Tourisme 1989-1998 France
Forêts de montagne 1991-1996 Autriche
Protection des sols 1991-1998 Allemagne
Energie 1995-1998 Italie
SOIA 1 1995-2000 Italie /UE
Transports 2 1998-2000 Liechtenstein
Solution des controverses 1998-2000 Autriche
Objectifs de qualité environnementale 1998-2004 Allemagne
Avalanches, croues, cloulées et glissements 1999-2004 Suisse
Mécanismes de mise en œuvre 2000-2002 Suisse
Population et culture 2000-2006 Italie
SOIA 2 2000- Tournante
Transports 3 2002- France
Vérification 2002- Tournante
Risques naturels (PLANALP) 2004- Suisse
Réseau écologique 1 2006-2009 Allemagne
Patrimoine mondial de l’UNESCO 2007- Italie
Démographie et occupation 2009- Italie
Eau 2009- Autriche
Réseau écologique 2 2009- France
Vie sauvage et société 2009- Liechtenstein
Tableau 3 : Principaux groupes de travail et plateformes de la Convention alpine de 1989 à nos jours.
Deuxième relance de la CIPRA
Dans l’intervalle de temps entre le début du processus de rédaction du texte de convention-
cadre par le groupe intergouvernemental et son adoption, la CIPRA en profitera pour procéder à une
208

nouvelle restructuration, qui lui donne les moyens de faire face à la nouvelle dimension
intergouvernementale du processus alpin et qui la transformera en l’ONG modèle pour la Convention
alpine qu’elle est aujourd’hui. Toujours sous l’impulsion de son président, l’écologiste liechtensteinois
Mario Broggi, son siège sera déplacé de Graz à Vaduz. En 1990, la CIPRA assumera son premier
directeur à plein temps, Ulf Tödter, et créera un noyau de secrétariat international dans ce micro-état
alpin. Au fil des années, l’équipe professionnelle, qui se créera autour du nouveau siège, se révélera
particulièrement efficace dans la diffusion d’informations autour de la Convention alpine et dans les
relations publiques. 1 Toujours en 1990, la CIPRA ajoutera l’italien à ses langues officielles, qui se
limitaient jusqu’alors au français et à l’allemand. Elle fit cela en espérant renforcer sa présence en
Italie, où elle ne disposait toujours pas de comité national et où son action avait une portée
particulièrement limitée, par rapport à d’autres institutions, à commencer par le Club alpin italien
(CAI) ou par l’ONG écologiste Legambiente, qui étaient fortement enracinés dans le terroir. 2 En 1991,
un nouveau statut entrait en vigueur. Dans la description donnée par Walter Danz, elle paraîtrait
presque être une boîte à conseil sur le modèle de l’Alpeninstitut de Munich. Selon ses propres mots,
les tâches principales de la CIPRA consisteraient :
à conseiller les décideurs responsables de la région alpine, à collaborer avec les parlements,
les gouvernements et les tribunaux ainsi qu’avec les organisations, institutions et personnes
poursuivant les mêmes buts et à procéder à des échanges d’expériences professionnelles… 3
La CIPRA visait clairement à capitaliser son expertise pour financer ses actions, comme cela
transparaît, par exemple, dans ce texte de 1992 : « la CIPRA poursuit ainsi ses prestations, jusqu’ici
essentiellement bénévoles, en faveur des parties contractantes de la Convention Alpine… ». 4
En effet, la professionnalisation et l’expansion de la CIPRA demandaient des moyens
conséquents. Pour financer sa restructuration et sa relance, la CIPRA sera soutenue par des
1 Voir CIPRA International, CIPRA-info: la CIPRA a 50 ans, p. 6.
2 Le slovène deviendra langue officielle en 1992, après l’adoption formelle de la convention.
3 Citation extraite de Walter Danz et al. (1991), La Convention alpine: mesures à prendre, Vaduz, CIPRA
International, p. 106.
4 Citation extraite de Walter Danz Danz et al., La Convention alpine, un bilan provisoire: résultats de
l’assemblée annuelle, p. 7.
209

ienfaiteurs importants, notamment par le prince Sadruddin Aga Khan. En 1977, le prince Sadruddin
avait lancé la Fondation Bellerive, basée à Genève, sur le modèle de la plus ambitieuse Fondation Aga
Khan, créée en 1967 par son frère aîné Aga Khan IV. La Fondation Bellerive était consacrée à la
protection de la nature et notamment à la promotion de l’écotourisme. En 1990, à l’occasion du Forum
économique mondial de Davos, il avait lancé sa propre ONG montagnarde : « Alp Action ». A
Chamonix, le prince Sadruddin se distinguera par son engagement personnel contre les poids lourds
dans le tunnel du Mont-Blanc 1 , tandis qu’Alp Action se distinguera par une longue série de projets
concrets, assez contestés dans les médias internationaux, souvent soutenus par des entreprises de
renom, qui en obtenaient un retour en termes d’image. 2 Parmi ces bénéficiaires, à côté d’Alp Action, il
y avait aussi la CIPRA. Au fil des années, plusieurs bailleurs de fonds, souvent basés au Liechtenstein
ou en Suisse et financés par des banques, ont soutenu à différents titres les activités de la CIPRA. 3 La
principauté finance une partie importante des frais courants de la CIPRA, ainsi que de nombreux
projets, de même que l’Office fédéral de l’environnement suisse (OFEV). 4
Présidence autrichienne et Conférence de Salzbourg (1989-1991)
La période de négociation de la convention sous la présidence autrichienne se déroulera dans
un contexte européen en pleine effervescence. L’an 1990 est marqué par le processus de réunification
allemande et par les premières élections libres en Slovénie, qui préfigureront son indépendance l’année
suivante. Tandis que l’Autriche créait le premier « comité national » sur la Convention alpine, la fin de
1 Suite à l’accident du 23 mars 1999, qui a conduit à la mort de 39 individus et à la fermeture du tunnel pour trois
ans.
2 Voir les références dans Fabrizio Bartaletti (2004), Geografia e cultura delle Alpi, Milano, FrancoAngeli, p.
118; Gerbaux et Zuanon, «La voie étroite de la Convention alpine», p. 106, ainsi que le manifeste Alp Action
(1993), Une stratégie européenne pour les Alpes. Voir aussi l’eulogie publiée par président de la CIPRA
Andreas Weissen dans la Tribune de Genève du 14 mai 2003. Alp Action ne survivra pas à son fondateur et la
Fondation Bellerive fusionnera avec la Fondation Aga Khan en 2006.
3 Selon les rapports annuels de la CIPRA, dans les dix dernières années, parmi ces fondations figurent
notamment les institutions et les individus suivants : Fondation Caritatis, Fondation MAVA pour la nature, Aage
V. Jensen Charity Foundation, Fondation Binding, Fondation Fürst-Franz-Josef von Liechtenstein, Fondation
Karl Mayer, Fondation Sonnenwiese, Fondation Fürstlicher Kommerzienrat Guido Feger, International Lottery
in Liechtenstein Foundation et Fondation Binding Stiftung.
4 A partir de 2009, les ministères de l’environnement français et allemand se sont ajoutés aux subventionneurs
des activités de la CIPRA.
210

la Guerre froide commençait à faire sentir ses premiers effets sur la politique environnementale en
Europe. Le comité autrichien est une plateforme composée par les ministères fédéraux compétents, les
entités territoriales intéressées, ainsi que des ONG nationales et des partenaires sociaux. D’autres pays
imiteront ce modèle de coordination nationale sur la Convention alpine. Dans le climat de l’après-
guerre froide, la Commission économique pour l’Europe de l’ONU (CEE) a été le lieu d’élection pour
le développement d’un instrument important comme la Convention sur l’évaluation de l’impact sur
l’environnement (EIE) dans un contexte transfrontier, adoptée en 1991 à Espoo (Finlande), ainsi que
pour le commencement d’un processus significatif comme « Un environnement pour l’Europe », lancé
la même année à Dobris (Tchécoslovaquie). En effet, les questions environnementales s’avéraient être
suffisamment consensuelles pour amorcer des efforts coopératifs entre les pays d’Europe occidentale
et orientale à l’instar de la Slovénie et des états alpins. De plus, la Convention d’Espoo aura un impact
non négligeable dans le contexte alpin, où la dimension transfrontalière est souvent répandue. Les EIE
seront un élément central dans les protocoles d’application.
Or, ces années sont également celles qui ont précédé le nouveau Sommet de la Terre de 1992 à
Rio, qui est considéré comme le deuxième tournant dans la politique internationale de l’environnement
après celui de 1972 à Stockholm. C’est à cette époque que le groupe réuni autour du programme
Mountain ecology and sustainable development de l’UNU et de l’Université de Berne et piloté par
Jack Ives et Bruno Messerli s’est activé en vue de la Conférence de Rio. Entre 1990 et 1991, ce groupe
(auquel s’ajoutait notamment l’universitaire indien Jayanta Bandyopadhyay), qui avait concentré ses
recherches sur les Himalaya et qui était financé par la Direction du développement et de la coopération
suisse (DDC), se réunira à deux reprises dans les Alpes suisses, à Appenberg et à Aeschi
respectivement. L’objectif était de s’assurer de l’inscription des questions montagnardes à l’ordre du
jour, ce qui sera finalement accompli par le Comité préparatoire de la Conférence de Rio. 1 A la même
époque, ces mêmes individus, réunis lors de la consultation internationale « Parcs, sommets et gens »
(en anglais : Parks, Peaks and People) aux Iles Hawaii, constitueront, sous le leadership de
1 Pour approfondir cette question, faire référence à la contribution de Jayanta Bandyopadhyay et Shama Perveen
(2004), «Emergence and future steps for sustainable mountain development uin the global environmental
agenda», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, p. 16-
18.
211

l’environnementaliste néo-zélandais Bing Lucas, le « réseau » sur les espaces protégés de montagne de
la Commission mondiale des aires protégées (WCPA) de l’UICN. Ce réseau est encore actif et est une
référence en la matière. 1 Si on ne peut pas parler d’une véritable convergence des initiatives alpines et
mondiales, car les points de départ et les communautés d’intérêt étaient différents, il faut noter que
certains aspects des deux initiatives étaient communs, notamment la nécessité « d’harmoniser les
intérêts économiques et les exigences écologiques ». 2 En réalité, la Convention alpine et le « Mountain
agenda », le nom avec lequel l’ensemble des activités du groupe onusien-bernois seront baptisées, se
développeront en parallèle. 3
Au fur et à mesure que les hauts fonctionnaires procédaient à la négociation de la convention-
cadre, plusieurs régions et élus alpins on commencé à nourrir des soupçons par rapport à ce processus.
Au nom de la protection environnementale, ils craignaient l’imposition de limites excessives au
développement économique. De plus, dans la plupart des cas, ils ne participaient pas directement aux
négociations. Ils s’inquiétaient de voir la Convention alpine se transformer en instrument ultérieur aux
mains des gouvernements centraux et des groupes environnementalistes, tandis qu’ils réclamaient plus
d’autonomie locale et plus d’intégration européenne. Ils avaient compris que la Convention alpine
n’aurait pas pu résoudre, par exemple, les problèmes de la politique rurale de la CEE. Ils se méfiaient
de ce nouvel instrument, dans lequel ils n’avaient pas de voix. Il était peu probable qu’il aurait
poursuivi leurs intérêts. Pour faire face à ce défi, l’intergroupe montagne au Parlement européen,
l’ANEM française et l’UNCEM italienne, ont lancé l’Association européenne des élus de montagne
(AEM), basée initialement à Strasbourg, qui s’intéressera notamment au développement d’une
1 Voir notamment Hamilton, «Status and current developments in mountain protected areas», p. 311, ainsi que le
préface et les annexes de la première édition des orientations sur les aires protégées de montagne par l’UICN, D.
Poore, éd. (1992), Guidelines for mountain protected areas, 1 e éd., Gland, IUCN. Il s’agit de l’une des suites du
séminaire de Hawaii de 1988, auquel on fait référence supra.
2 Citation extraite d’Andreas Weissen (2002), «Le Sommet de la Terre de Rio et la Convention alpine», CIPRA
info, n. 66.
3 Même si, en 1991, la Conférence alpine s’est exprimée en ces termes : « …la Convention alpine peut servir de
modèle pour des activités en matière de protection d’autres régions montagneuses de la terre et se sont déclarés
prêts à soutenir de tels efforts de façon durable […] notamment dans le processus de la CNUED » (décision
II/17).
212

politique européenne de la montagne et qui sera soutenue aussi par la SAB suisse. 1 A signaler, la faible
présence de représentants de l’Europe germanique dans l’AEM, qui ne partageait qu’en partie ces
problèmes et qui étaient plus proches des positions environnementalistes. La même année et suivant
les mêmes objectifs, plusieurs régions européennes s’associaient dans la Fédération européenne des
populations de montagne, basée à Bruxelles, qui renforcera l’action d’EUROMONTANA sur les
questions agricoles. 2 Le cas le plus emblématique de ces résistances à la Convention alpine a été celui
des cantons suisses des Grisons et du Valais, qui étaient organisés dans un « groupe de travail pour la
protection des Alpes suisse » rassemblant tous les porteurs d’intérêt 3 et qui ont opposé, jusqu’au
dernier moment, l’adoption de la convention-cadre.
Pour faire face à ces résistances et pour répondre aux réserves sur la valeur scientifique de ses
propositions, pendant l’été 1991, le Club alpin allemand (DAV) lancera un nouveau sondage pour le
compte de la CIPRA. 4 Cet effort, qui visait à identifier « les questions de recherche résolues [ou]
résolubles à court terme relativement aux problèmes des Alpes », a interpellé 154 « experts ou services
spécialisés dans tous les domaines de la Convention alpine ». 5 Ce sondage avait la double fonction
d’augmenter la crédibilité des mesures proposées, en identifiant notamment celles qui seraient
« résolues » par les « scientifiques », et de rappeler aux états alpins que le processus ne s’arrêtait pas à
la convention, qu’il fallait maintenant travailler aux protocoles d’application et qu’une bonne partie du
travail avait déjà été faite par la CIPRA. Mais un sondage, qui demandait aux experts d’affirmer s’ils
« approuvaient » les thèses de la CIPRA (oui ou non) et s’ils « estimaient » qu’une question était
résolue, résoluble à court terme ou résoluble à long terme, n’équivaut pas à une démonstration de la
validité scientifique de chacune et de l’ensemble des mesures proposées ! Il s’apparente plutôt à un
1 Aujourd’hui, l’AEM est basé à Chambéry et Bruxelles. Sur l’AEM, voir Gerbaux, «Les groupes de pression et
la défense des zones de montagne européenne», p. 23-26.
2 Voir notamment l’article par Françoise Gerbaux et Jean-Paul Zuanon (1995), «La voie étroite de la Convention
alpine», ibid., vol. 83, p. 104-105.
3 Mentionné par Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game», p.
10.
4 Après le sondage de 1988, qui débouche sur Danz, éd., Politique de l’environnement dans l’arc alpin, et celui
de 1989, qui prépare id., Modèle pour la Convention alpine.
5 Ce nouveau sondage a été publié par la CIPRA dans le petit volume par Danz et al., La Convention alpine:
mesures à prendre.
213

eferendum populaire, où les opinions politiques des interpellés pouvaient déterminer le résultat. Le
fait que le sondage se soit révélé un plébiscite pour les thèses de la CIPRA, avec un taux d’approbation
« bulgare » de 94 % 1 , n’a donc pas eu l’impact souhaité. Les négociations dans les groupes de travail
se déroulaient au ralenti et les protocoles tarderont à être adoptés. De plus et à nouveau, les résultats du
sondage n’ont été publiés et communiqués aux états alpins que le mois précédant la Conférence alpine.
Le temps à disposition pour intégrer les résultats du sondage dans les travaux ministériels était ainsi
extrêmement réduit, compte tenu des procédures diplomatiques.
En parallèle, la France, l’Italie et la Suisse formalisaient un premier projet d’espace
transfrontalier alpin, l’Espace Mont-Blanc (EMB), qui sera une expérience révélatrice des espoirs et
des difficultés derrière la Convention alpine. Après 1986, les ministres chargés de l’environnement
français, italiens et suisses développent, en effet, un projet de parc tri-national, suite à une proposition
des alpinistes de Mountain wilderness. Dès 1990, le projet trouve à nouveau l’opposition des
collectivités territoriales, qui craignaient toujours des entraves à leur développement économique et le
qualifient de « réserve indienne ». Réunis à Annecy, les mêmes ministres français, italien et suisse, qui
se retrouveront, quelques semaines plus tard seulement, pour signer la Convention alpine, conviennent
qu’« il est temps de faire confiance aux populations locales ». 2 Ils abandonnent l’idée du parc
transfrontalier et décident, sur proposition des collectivités territoriales, la création d’un « Espace
Mont-Blanc » (EMB) et d’une « Conférence transfrontalière » (CTMB) réunissant les représentants
des états et des collectivités, bien qu’elle soit dépourvue de statut juridique sur le plan international. 3
1 Calculé par l’auteur sur la base des résultats publiés ibid. Ce chiffre est la moyenne des taux d’approbation des
32 thèses considérées comme « résolues » par la CIPRA. L’auteur n’a pas connaissance d’éventuelles thèses
considérées comme « non-résolues ». Elles n’ont, de toute manière, pas été publiées par la CIPRA dans ledit
document.
2 Citation extraite du livre récent d’Alain de L’Harpe (2005), L’Espace Mont-Blanc en question, Paris,
L’Harmattan, p. 52 ; voir aussi la communication d’Alberto Cerise dans Chiara Bosonin et Egizia Ventura
(2005), «Strumenti giuridici della cooperazione per lo sviluppo sostenibile di un’area montana transfrontaliera»,
FAO, Roma, 1 giugno.
3 En fait, la Fondation Montagne Sûre de Courmayeur (Italie) doit encore « prêter » son statut juridique pour
faire « vivre » juridiquement le secrétariat technique de l’EMB. Sur l’Espace Mont Blanc, voir encore L’Harpe,
L’Espace Mont-Blanc en question, ainsi que l’article par Jean-Pierre Feuvrier (1996), «L’Espace Mont-Blanc:
exemplarité et limites», Revue de géographie alpine, vol. 84, n. 4. La Fondation Montagne Sûre a été créée en
2002. Elle est basée à Courmayeur et promue par la Région autonome Vallée d’Aoste, la Commune de
214

Autour de l’EMB, une nouvelle association, ressemblant tous les d’acteurs non-étatiques intéressés,
s’est aussi formée à l’initiative de Mountain wilderness, le Comité international des associations pour
la protection du Mont-Blanc (CIAPM). Aujourd’hui baptisée proMONT-BLANC, cette association
joue pour l’EMB un rôle analogue à celui que la CIPRA joue pour la Convention alpine. On verra que
l’EMB poursuit donc les mêmes objectifs et rencontre les mêmes difficultés que la Convention alpine.
Il représente donc un banc d’essai plus localisé et moins formalisé pour les négociations qui suivront.
Ce n’est donc que quelques jours plus tard, que les ministres de l’environnement des états
alpins se réunissent pour la deuxième fois du 6 au 7 novembre 1991 à Salzbourg (Autriche), sous la
présidence de la libéral-démocrate Ruth Feldgrill-Zankel (ÖVP) pour le pays hôte. Autour de la table
siégeaient, notamment, pour la France, l’ambassadeur André Lewin (pour le compte du Ministre de
l’environnement Brice Lalonde), pour l’Italie, toujours Giorgio Ruffolo (PSI), pour l’Allemagne,
Klaus Töpfer (accompagné lui aussi par l’ambassadeur conservateur Philipp Jenninger), pour la
Suisse, le ministre de l’intérieur (responsable pour les questions environnementales), le démocrate-
chrétien Flavio Cotti (PDC), à côté du vice-chef de gouvernement liechtensteinois, le conservateur
Herbert Wille (FBP). Pour la Commission européenne, il y avait toujours le social-vert Carlo Ripa di
Meana (PSI), tandis que l’ex-Yougoslavie était présente comme observatrice. Il y avait donc encore
quelques-uns des protagonistes de Berchtesgaden (Töpfer, Ripa di Meana, etc.). Une majorité de
représentants du centre-droite pouvait être remarquée, avec une présence significative de
l’environnementalisme, notamment du côté de Paris et de Bruxelles.
Courmayeur, le Secours alpin valdôtain et l’Union valdôtaine des guides de haute montagne. La Fondation
Courmayeur (créée en 1988 et toujours soutenue par la Région autonome Vallée d’Aoste, la Commune de
Courmayeur et al.), la Fondation Giovanni Angelini (lancée en 1991, elle est promue par la Commune de
Belluno et l’Université de Padoue et créera, en 1996, la Rete montagna, un réseau international de centres de
recherche sur la montagne) et l’Académie Européenne de Bolzano (EURAC) (un centre de recherche original
créé en 1992 et soutenu par la Province autonome de Bolzano et par un partenariat public-privé, y compris des
banques locales, la Cassa Rurale di Bolzano et la Banca Popolare dell’Alto Adige) représentent les éléments
principaux de la constellation de fondations et d’entités, qui ont été constituée, en Italie, aux alentours de la
signature de la Convention alpine. Voir Stephanie Risse-Lobis (2003), EURAC: una casa per l’Accademia
Europea di Bolzano, Wien, Folio Verlag. Il est intéressant de noter que, contrairement aux bailleurs de fonds
suisses ou liechtensteinois qui financent la CIPRA, il s’agit principalement d’initiatives avec une forte présence
du secteur public.
215

Même si, selon Andreas Weissen, « la Convention alpine, avec ses protocoles, est considérée à
juste titre comme le concept le plus complet créé jusqu’ici pour le développement durable d’une
grande région » 1 , le texte qui avait été préparé, sous la présidence autrichienne, par le groupe de travail
de hauts fonctionnaires était un accord typique de droit international de l’environnement. Du point de
vue formel, il est intéressant de noter que le champ d’application (article 1) est limité aux Alpes (telles
qu’elles sont définies par les parties en annexe) et non pas au reste du territoire des états alpins, comme
dans le cas, par exemple, de la Communauté andine. Elle se configure donc comme un traité
« territorial ». 2 La « Conférence alpine » (articles 5-7) y est institutionnalisée en tant que conférence
des parties contractantes (COP). Elle est l’organe de niveau politique (y participent les ministres
compétents en matière de protection internationale de l’environnement, parfois accompagnés par
d’autres représentants de l’état et des régions), qui se réunit en règle générale tous les deux ans et qui
prend formellement les décisions principales sur la mise en œuvre de la Convention alpine. Les autres
organisations internationales (ONU, Conseil de l’Europe, etc.) et les communautés de travail
régionales (ArgeAlp, Alpe-Adria, etc.) y ont le statut d’observatrices, qui peut être octroyé aux ONG
internationales (CIPRA, IUCN, etc.). La conférence délibère par consensus, sauf pour l’adoption de
son règlement intérieur et sur des questions générales de recherche scientifique et de collaboration
technique. Le groupe de travail de hauts fonctionnaires y est aussi formalisé en tant que « comité
permanent » (article 8). Il est l’organe exécutif de niveau administratif (y participent des hauts
fonctionnaires des ministères compétents, parfois accompagnés par d’autres représentants nationaux
ou territoriaux), qui se réunit de facto tous les six mois et qui prépare les décisions des ministres et suit
leur mise en œuvre. La convention cadre prévoit la possibilité d’instituer un « secrétariat permanent »
(article 9), qui ne sera formalisé qu’en 2002 (jusqu’à cette date-là les fonctions de secrétariat seront
assurées par la présidence tournante). De fait, les attentes de la CIPRA visant à lancer un « institut
1 Citation extraite de Weissen, «Le Sommet de la Terre de Rio et la Convention alpine», p. 4.
2 On utilise cette terminologie, même si, en doctrine juridique, les traités territoriaux sont, généralement, des
instruments bilatéraux, qui concernent des concessions mutuelles, normalement sur le plan économique (bases
militaires, navigation fluviale, etc.). A cet égard, voir l’article 15 (succession concernant une partie de territoire)
de la Convention de Vienne sur la succession d’états en matière de traités de 1978, qui, par ailleurs, ne
respecterait pas, selon plusieurs juristes, le droit coutumier Brigitte Stern (2000), La succession d’états, La Haye,
Kluwer, p. 255-264.
216

alpin », avec d’éventuels pouvoirs supranationaux, seront frustrées pendant maintes années, mais elles
seront contrebalancées par les fonctions attribuées de jure à la Convention alpine en termes
d’observation systématique et de collaboration scientifique. Il s’agira d’un organe commun de soutien
aux travaux conjoints.
Il s’agit donc d’une mise en place qui se distingue, du point de vue institutionnel, par son
minimalisme, qui est décrété par les ministres eux-mêmes :
…les « mesures » mentionnées dans la convention ne constituent pas de règlements normatifs
permettant de contourner une procédure de ratification. 1
Contrairement au processus d’intégration européen ou andin, les organes de la Convention alpine sont
donc dépourvus de pouvoirs supranationaux. En effet, toutes les délibérations qui voudront être
contraignantes sur le plan juridique doivent être validées au niveau national. Les protocoles
d’application représentent le seul instrument prévu par la Convention alpine à ce propos et consistent
en de nouveaux accords à négocier dans le cadre de la convention et à soumettre à une procédure
spécifique de ratification avant d’entrer en vigueur, à l’image du Protocole de Kyōto de 1997. Selon ce
schéma initial, pour mettre en œuvre la Convention alpine il fallait donc adopter des protocoles
d’application (article 2, paragraphe 3, et article 11). L’intention n’était donc pas celle de créer une
nouvelle organisation internationale ni de lancer un nouveau processus d’intégration régional
d’envergure. L’idée était de développer un instrument agile, voir de ne pas imposer aux Alpes une
bureaucratie ultérieure. Le seul élément ambitieux était le choix d’adopter quatre langues officielles :
le français, l’allemand, l’italien et le slovène. Il fallait se rapprocher des populations locales, l’anglais
n’étant pas une langue alpine et le français étant la langue officielle d’une partie contractante en
particulier. 2 L’origine de ce minimalisme pourrait se trouver, bien sûr, au carrefour entre la pensée de
Thatcher et de Reagan de l’époque – néolibérale et antiétatique (« small is beautiful ») – et le
localisme de certaines mouvances écologistes et populistes (« local is beautiful ») ; mais aussi, plus
simplement, leur origine pourrait dériver de l’idée que les questions environnementales relèvent de la
baisse politique – à l’instar des autres accords multilatéraux sur l’environnement. Les Alpes n’étaient
1 Extrait de la décision II/11 (1991).
2 Voir Angelini et Church, «The logic of multilingualism in the Alpine Convention».
217

pas un élément de mobilisation suffisant pour viser une « Communauté alpine » ou encore une
« Union alpine ». Les Alpes ne sont pas l’Europe.
Si la convention se démontre minimaliste du côté institutionnel, elle est tout à fait maximaliste
du point de vue substantiel. Après un préambule plutôt lyrique, qui vise à « harmoniser les intérêts
économiques et les exigences écologiques », la convention décline « les principes de prévention, du
pollueur-payeur et de coopération », toute en « utilisant avec discernement les ressources et en les
exploitant de façon durable » (développement durable) (article 2, paragraphe 1). Puis, elle définit une
liste extrêmement ambitieuse de « domaines » où « les parties contractantes prennent des mesures
appropriées », dans l’ordre suivant (paragraphe 2) :
a) Population et culture ;
b) Aménagement du territoire ;
c) Qualité de l’air ;
d) Protection du sol ;
e) Régime des eaux ;
f) Protection de la nature et entretien des
paysages ;
218
g) Agriculture de montagne ;
h) Forêts de montagne ;
i) Tourisme et loisirs ;
j) Transports ;
k) Energie ;
l) Déchets
A titre de comparaison, la Convention d’Helsinki et celle de Barcelone ne comptent qu’un domaine et
celui-ci est de nature technique, même dans leurs versions amendées de 1992 et de 1995 : la lutte
contre la pollution. Rien à voir, donc, avec la « stratégie de développement complète » qui aurait été
élaborée « pour tout l’espace alpin ». A ce sujet, en fin de compte, Andreas Götz se trompait peut-être,
en qualifiant d’inconscients les ministres par rapport à l’« aspect nouveau et pionnier » de la
Convention alpine 1 , car ce sont les ministres eux-mêmes, qui précisent que cette stratégie,
…s’appuyant sur des objectifs écologiques et correspondant aux besoins de la population
locale a été pour la première fois élaborée, qui prend globalement en considération sa
fonction de cadre de vie et d’espace économique sensible. 2
1 Voir supra.
2 Extrait de la décision II/7 (1991).

Cette liste de domaines, à la quelle est sous-entendue une nouvelle liste de mesures, rentre clairement
dans le sillage des listes de Trente, Lugano, Feldkirch et Berchtesgaden. En même temps, elle est aussi
le résultat de l’équilibre délicat, qui a été recherché entre nature et culture, protection et
développement, écologie et économie : six domaines d’un côté (nature, air, sols, eaux, forêts et
déchets) et six de l’autre (population et culture, aménagement du territoire, agriculture de montagne,
tourisme et loisirs, transports et énergie).
C’est dans ce sens, que la position de la Suisse peut trouver une explication. 1 Déjà plusieurs
cantons, notamment ceux des Grisons et du Valais, s’étaient opposés jusqu’au dernier moment à la
convention. Ils craignaient des entraves excessives au développement économique, qui étaient, par
exemple, dans certains propos protectionnistes de la CIPRA vis-à-vis du marché commun européen.
Tout l’enjeu de la négociation portait sur l’étendue des mesures de protection de l’environnement et de
promotion du développement dans la construction d’un concept de développement durable adapté aux
Alpes. Le souhait des régions alpines, notamment dans les Alpes latines, était de ne pas voir leur
intérêt pour le développement socio-économique oublié dans la convention. S’il était hors de question
d’insérer dans le texte le domaine économique, qui était l’objet de négociation dans d’autres enceintes
(CEE, parlements nationaux, etc.) et sur lequel les ministres de l’environnement n’étaient guère
compétents, les différents soucis des régions alpines ont été intégrés dans les domaines susmentionnés,
qui pouvaient être liés, d’une façon ou l’autre, aux questions environnementales, notamment dans les
domaines de « population et culture » (démographie, occupation, minorités, patrimoine, etc.) et de
l’« aménagement du territoire ». Vu qu’il était hors de question de risquer que la Suisse ne souscrive
pas à la convention (bien qu’elle représente une petite partie des Alpes, la Suisse et l’Autriche
incarnent davantage que les autres états le « mythe » du pays alpin), des concessions ont été obtenues
afin de rassurer notamment les régions alpines, même dans l’ordre dans lequel les domaines sont
présentés. Or, la convention ne reconnaît explicitement aucun rôle aux collectivités territoriales, sauf
celui d’observatrices à travers les communautés de travail ArgeAlp, Alpe-Adria et COTRAO, ce qui
1 Confronter, inter alia, Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level
game», p. 28-35, je traduis.
219

était pour celles-ci un résultat décevant, voir un « coup de poignard dans le dos ». 1 En même temps,
afin d’apaiser les cantons, le ministre suisse « promet que, dans le futur, les cantons alpins seront plus
impliqués dans tout le processus » et concède que « aucun protocole ne sera ratifié sans que les
cantons soient consultés ». 2 Mais la méfiance de la Suisse ne se limite pas à cela. Dans une déclaration,
dont les éléments principaux sont annexés au procès-verbal de la Conférence de Salzbourg, le ministre
fédéral précise que :
…la procédure de ratification de la convention à signer ne sera engagée qu’au moment où les
négociations sur les premiers protocoles supplémentaires ont trouvé une fin satisfaisante pour
la Suisse.
Ainsi que :
…la législation suisse en matière de protection de l’environnement prend en considération,
déjà dans son état actuel, les exigences particulières de l’espace alpin – une législation
spécifique […] n’est pas prévue.
En droit international, ces déclarations correspondent à des réserves formelles. Elles visent à
sauvegarder l’état qui l’exprime de l’effet de certaines dispositions. 3 Elle impose des conditions
lourdes à la participation de la Suisse, qui par ailleurs avait joué un rôle marginal dans le
développement de la convention. Le deuxième point ci-dessus équivaut, notamment, à exclure a priori
tout impact de la convention et de ses protocoles en Suisse en matière environnementale. La validité
juridique d’une telle réserve aurait été questionnable, car elle semblait incompatible, au moins prima
facie, avec l’objet et le but du traité, qui était celui de protéger les Alpes. 4 Mais les objections de la
part des autres parties sur la position de la Suisse ont été faibles. D’un côté, ils se félicitaient qu’elle
adhérât à la Convention alpine, tandis qu’elle restait en dehors de la CEE ; de l’autre, la Suisse
1 Voir ibid., p. 27, je traduis.
2 Voir encore ibid.
3 Voir les articles 2, paragraphe 1, alinéa d), et 19-23 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités ;
voir aussi l’abondante doctrine à ce sujet.
4 Voir l’article 19, alinéa c), ibid.
220

établissait un précédent, qui pouvait se révéler utile dans les négociations futures ou lors des processus
de ratification nationaux. On verra que cette approche sera reprise par d’autres parties.
Or, le premier point est aussi indicatif d’un autre problème. La convention ne créait que le
cadre pour l’adoption de mesures spécifiques, sur lesquelles il fallait encore s’accorder. Sur ce point,
les ministres partageaient apparemment les mêmes problèmes que la CIPRA, qui insistait à juste titre
que la plupart du travail avait déjà été fait et qu’il fallait agir rapidement :
…conformément à la Résolution de Berchtesgaden, de nombreuses autres mesures restent à
prendre. L’achèvement aussi rapide que possible des protocoles actuellement prévus a
notamment été définie comme objectif prioritaire. 1
Contrairement à la Convention d’Helsinki de 1974, qui déjà au moment de sa conclusion intégrait de
nombreuses mesures dans ses annexes techniques, la Convention alpine se configure donc comme un
processus à deux étapes, qui à la finalisation de la convention fait suivre la négociation des protocoles.
Autrement, la Convention alpine serait restée de facto sans effet juridique. Ceux-là sont, dans ses
grandes lignes, les contenus et le contexte dans lequel l’ouverture à la signature de la « Convention
pour la protection des Alpes » s’est achevée à Salzbourg le 7 novembre 1991. Ce jour-là, tous les états
alpins, y compris la CEE, ont signé le texte, sauf la Slovénie, qui participait en qualité d’observatrice,
son indépendance étant en cours d’achèvement. 2 L’Autriche assumera la fonction de dépositaire de la
convention.
1 Décision II/9 (1991).
2 Le texte original de la Convention alpine mentionne la « République socialiste fédérative de Yougoslavie »,
même si la Slovénie avait déjà déclaré son indépendance. A ce sujet, il faut rappeler que la reconnaissance de
l’indépendance slovène a eu lieu tardivement et que les premiers ont été les Allemands, en l’annonçant le 23
décembre 1991, quelques semaines après la conclusion de la convention.
221

Convention pour la protection des Alpes (1991)
Cette convention a pour objectif la sauvegarde à long terme de l’écosystème naturel des Alpes et leur
développement durable, ainsi que la protection des intérêts économiques des populations résidentes.
Les principes directeurs de la convention sont la prévention, le principe du pollueur-payeur et la
coopération transfrontalière. Les parties à la convention sont l’Allemagne, l’Autriche, la France,
Monaco, l’Italie, le Liechtenstein, la Suisse, la Slovénie ainsi que l’Union européenne. Afin de remplir
efficacement leur objectif, les parties à la convention agissent dans les domaines suivants:
aménagement du territoire, protection de la nature et entretien des paysages, agriculture de montagne,
forêts de montagne, protection des sols, tourisme et loisirs, énergie, transports, qualité de l’air, régime
des eaux, population et culture, déchets. La convention prévoit l’élaboration et l’adoption de
protocoles d’application pour chacun de ces domaines ainsi que pour le règlement des différends entre
les membres. Les membres sont tenus de coopérer dans les domaines de la recherche, de l’observation
de la région, ainsi qu’en matière juridique, scientifique, économique et technique. Une conférence des
parties contractantes (dite « Conférence alpine ») tient des réunions régulières (en principe tous les
deux ans) pour examiner les questions d’intérêt commun aux parties contractantes, prendre des
décisions et des recommandations, y compris sur les modifications de la Convention et des protocoles
et sur la création de groupes de travail. Elle délibère le plus souvent par consensus. Un Comité
permanent est aussi constitué et sa fonction est d’appliquer les décisions et de veiller à leur suivi. Il
prépare notamment toutes les sessions de la Conférence alpine. Celle-ci peut décider de mettre en
place un secrétariat permanent, au titre de service exécutif complémentaire.
La convention entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur
instrument de ratification. La convention est entrée en vigueur le 6 mars 1995.
Texte adapté depuis le message du Conseil fédéral au Parlement suisse du 10 septembre 1997
(ratification de la convention alpine), ainsi que du site internet « Synthèses de la législation de
l’UE » : http://europa.eu/legislation_summaries/
Afin de procéder rapidement à la négociation de protocoles ultérieurs, au-delà de ceux qui
avaient été déjà lancés deux ans auparavant à Berchtesgaden, cette deuxième Conférence alpine décide
d’accueillir l’offre de l’Autriche, de l’Allemagne et de l’Italie de présider à trois nouveaux groupes de
travail sur les forêts de montagne, respectivement sur la protection du sol et sur l’énergie. 1 Des trois,
seul le troisième tardera plusieurs années avant d’être convoqué. Une fois la période autrichienne
achevée, la présidence tournante de la Convention alpine passera à la France, qui s’était mise à
1 Décision II/20 (1991) (corrigée).
222

disposition, moins par conviction que parce qu’aucun pays n’était dans l’état de l’assumer. 1
L’Allemagne et l’Autriche avaient déjà effectuées leur deux années de présidence, la Suisse avait ses
problèmes, l’Italie ne voulait pas prendre la relève, tandis que le Liechtenstein, la Slovénie et la CEE
n’étaient pas en mesure. La présidence passe donc de Vienne à Paris. La convention était faite. Il
fallait maintenant la ratifier et faire les protocoles. Il fallait faire vite, mais contrairement aux attentes,
les négociations seront longues et difficiles.
1 Décision II/22 (1991). L’ordre des présidences suit aussi l’ordre alphabétique des pays majeurs : Allemagne,
Autriche, France, Italie, Slovénie, Suisse. A l’époque où son tour était venu, Rome n’avait pas encore ratifié la
convention. La présidence italienne passera donc en dernier.
223

4 Evolution : production législatif et consolidation institutionnelle
Avec la Conférence de Salzbourg et la signature de la convention-cadre, se termine la
phase « constitutive » de la Convention alpine. Elle recueille les fruits d’un long chemin, qui
commence durant l’après-guerre, mais qui se perd un peu dans les années 50 et 60. On peut
affirmer que le processus redémarre dans les années 70 et recommence véritablement la
décennie suivante, avec la politisation de la question par les socialistes et la
professionnalisation croissante des ONG écologistes. Cette phase n’a pas été dépourvue de
difficultés, notamment dans les rapports entre les gouvernements centraux et les collectivités
territoriales. La période suivante représente la phase qu’on peut appeler « législative » de la
convention, avec la négociation des protocoles. Il s’agit d’une période difficile. Le processus
se heurtera à toutes ses contradictions, il suscitera des passions naïves et des critiques féroces
et il en sortira profondément changé.
Négociation des protocoles (1991-2000)
Finalement, l’objectif de faire précéder l’entrée en vigueur du Marché commun
européen (MCE) par la Convention alpine a été atteint. Or, l’année 1992 a été marquée par
d’autres avancées significatives dans le processus d’intégration européenne, notamment la
signature du Traité de Maastricht au mois de février et, du côté environnemental, la signature
225

de la Directive « habitat » au mois de mai. 1 Le Traité de Maastricht a non seulement créé
l’Union européenne (UE) et établi l’objectif de la monnaie unique, mais il a aussi lancé une
institution symboliquement importante comme le Comité des régions (CdR), qui donnait une
voix aux régions Ŕ alpines aussi Ŕ au niveau communautaire. La Directive « habitat », par
contre, en mettant à jour la Directive « oiseaux » de 1979 et la Convention de Berne de 1982
et en créant aussi le réseau Natura2000, représentait la réponse communautaire aux
préoccupations pour les effets du MCE sur l’environnement. Ces efforts se croisaient donc
avec la Convention alpine et avec la Convention d’Helsinki sur la Mer Baltique, qui venait
d’être renégociée. 2
Or, dans l’esprit de l’après-guerre froide, 1992 a été l’année des grandes négociations
sur l’environnement à l’ONU et de le l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies
sur le changement climatique (CCNUCC) et de la Convention sur la diversité biologique
(CBD). En préparation du Sommet de la Terre à Rio, le groupe onusien-bernois du Mountain
agenda a élaboré le premier rapport sur l’état de la montagne dans le monde, le premier d’une
série de rapports du groupe. 3 Le groupe, sur la base de ce rapport et avec l’appui de la
Délégation suisse à Rio et du secrétaire général de la conférence Maurice Strong, a été
instrumental à l’inclusion dans l’Agenda 21 Ŕ le plan pour le 21 e siècle adopté par le sommet
1 Directive 92/43/CEE.
2 Sur le droit européen de l’environnement, se référer aux traités par Alexandre Charles Kiss et Dinah Shelton
(1995), Traité de droit européen de l’environnement, Paris, Editions Frison-Roche, et par Jan H. Jans et Hans
Vedder (2008), European environmental law, 3 e éd., Groningen, Europa Law Publishing, p. 451-462.
3 Ce rapport à été publié à temps pour la Conférence de Rio par Peter B. Stone, éd. (1992), The state of the
world’s mountains: a global report, London, Zed. Voir aussi la brochure du Mountain Agenda (1992), «Un
appel pour les montagnes: préparé avec le but de rehausser le statut des montagnes sur l’ordre du jour du
développement et de l’environnement du monde», communication presentée à la Conférence des Nations-Unies
sur l’environnement et le développement (CNUED), Rio de Janeiro, juin », qui sera diffusée à grande échelle.
Sur l’apport de la Mountain agenda au Sommet de Rio, voir Jayanta Bandyopadhyay et Shama Perveen (2004),
«Emergence and future steps for sustainable mountain development uin the global environmental agenda», dans
Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, p. 16-18, ainsi que la
reconstruction riche en détail faite récemment par Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz (2010), Faiseurs de
montagne, Paris, CNRS Editions, p. 223-226, 230-234.
226

Ŕ d’un Chapitre 13 (sur 40) sur la montagne, qui a été préparé par l’universitaire indien
Jayanta Bandyopadhyay. La montagne y est présentée comme un écosystème fragile à mettre
en valeur. La Délégation suisse, qui n’était pas la même qu’à la Conférence alpine, était aussi
forte de la décision prise par les ministres à Salzbourg, pour laquelle « la Convention alpine
peut servir de modèle pour des activités en matière de protection d’autres régions
montagneuses de la terre et [les pays alpins] se sont déclarés prêts à soutenir de tels efforts »,
notamment dans le processus de Rio. 1 Or, le Chapitre 13 ne fait aucune mention à la
Convention alpine et ne l’indique pas non plus en tant que modèle. Il limite ses propos à l’idée
de « mieux coordonner les efforts entrepris dans chaque région pour protéger les écosystèmes
de montagne fragiles, par l’examen de mécanismes appropriés, notamment d’instruments,
juridiques et autres, à vocation régionale ». 2 La Convention alpine serait donc l’un de ces
mécanismes. Par contre, « coordonner la coopération internationale et faciliter les échanges
d’informations et de données d’expérience », à travers, par exemple, des partenariats et des
fora, et « encourager la création d’un réseau international d’initiatives populaires », sous
initiative française, figurent dans le document et conduiront à de nouvelles initiatives. 3 Rio
semble donc plutôt ignorer délibérément la Convention alpine. Aucune décision de la
répliquer ailleurs sur le modèle du Programme régional des mers du PNUE n’a donc été prise.
En 1993, le suivi de la mise en œuvre du Chapitre 13 de l’Agenda 21 sera attribué à la FAO,
qui créera une « unité de coordination », avec la participation de l’UNESCO et du PNUE et
avec le soutien financier de la coopération suisse. 4 Dans l’après-guerre, la FAO avait été la
première parmi les agences spécialisées et les programmes de l’ONU à suivre la question de la
montagne.
1 Décision II/19 (1991).
2 Agenda 21, chapitre 13, action 5, alinéa e), ainsi que l’action 8, alinéa c).
3 Ibid., action 8, alinéa a) et b).
4 Voir Debarbieux et Rudaz, Faiseurs de montagne, p. 220.
227

Dans cette période riche en développements sur le plan international, le « non » suisse
à l’adhésion à l’Espace économique européen (l’accord d’association entre la CEE et
Association européenne de libre-échange dont elle faisait partie), issu du référendum
populaire de décembre 1992 (49.7% de « oui »), a eu un impact particulier sur la Convention
alpine, bien qu’il fût obtenu de justesse. Selon Stephan Brem et Stefano Bruno, l’opinion
générale est que ce résultat a affecté la position du gouvernement fédéral suisse par rapport à
la ratification de la Convention alpine et de ses protocoles. 1 En effet, la confédération, qui
attendra, par exemple, jusqu’en 2004 pour devenir membre de l’ONU, a décidé ainsi de se
replier, afin de préserver ses institutions démocratiques dans leur intégralité, sur une position
isolationniste par rapport non seulement à la CEE, mais aussi à la communauté internationale,
y comprise la Convention alpine. Mais, par rapport à cette dernière, Brem et Bruno
remarquent correctement que la position du gouvernement fédéral était problématique bien
avant le référendum, puisqu’elle reposait sur les réserves des cantons, exprimés aussi lors de
la signature de la convention-cadre. 2
Présidence française et Conférence de Chambéry (1991-1994)
Dans ce contexte, la stratégie de la présidence française, soutenue par la Délégation
suisse, est de faire ressortir la dimension de développement durable de la Convention alpine.
Comme on l’a vu dans le cas de l’Espace Mont-Blanc, les collectivités territoriales craignaient
la transformation des Alpes dans une « réserve indienne », tandis qu’elles ressentaient la
nécessité de se développer ultérieurement. Par le biais d’une protection de l’environnement
perçue comme extrême, on risquait de faire perdre légitimité au processus, notamment quand
il fallait ressembler le consensus nécessaire à la ratification de la convention et des protocoles
futurs. L’Italie, par contre, traversait une crise institutionnelle sans précédant dans l’après-
1 Voir Stefan Brem et Stefano Bruno (1997), «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-
level game», Zürich, Institut für Politikwissenschaft, Abteilung Internationale Beziehungen, p. 11.
2 Voir supra.
228

guerre, avec le scandale de Tangentopoli. Son rôle dans les négociations en pâtira pendant
toute la présidence française. La première réunion du Groupe de travail sur l’énergie, sous
présidence italienne, tardera jusqu’en 1995, par exemple. Il est intéressant de noter qu’en
1992, l’arrivé du premier gouvernement technique Amato, conduira au ministère de
l’environnement italien, pour une courte période, l’ancien commissaire, le social-vert Carlo
Ripa di Meana, qui avait représenté la Commission européenne lors des Conférences de
Berchtesgaden et de Salzbourg.
Bien que l’objectif de faire précéder l’entrée en vigueur du MCE par la Convention
alpine ait été atteint, la CIPRA y voyait encore et à juste titre des difficultés. La Convention
alpine devait attendre d’être ratifiée par au moins trois états avant d’entrer en vigueur. 1 Aucun
protocole n’avait encore été signé. En outre, il n’y avait pas d’« Institut alpin » 2 , pas de « Plan
Marshall » pour les Alpes. En octobre 1992, la CIPRA organisait une conférence
internationale à Schwangau (Allemagne), célèbre pour son château « des comptes des fées »
de Neuschwanstein, pour dresser un bilan critique de la Convention alpine. 3 Concernant les
protocoles, la CIPRA confirmait sa liste de souhaits, qui était déjà connue pour l’essentiel
depuis plusieurs années ; concernant la convention-cadre, les revendications de la CIPRA se
concentraient notamment autour de quatre points :
1 Article 12, alinéa 2, de la Convention alpine.
2 Entre-temps, l’Alpeninstitut de Munich disparaîtra pour manque de chiffre d’affaires. Son relais sera pris par
l’IFUPLAN (Institute for Environmental Planning, Landscape Management and Nature Conservation) de Stefan
Marzelli, un ancien collaborateur de l’Alpeninstitut, qui continue à prêter service notamment aux institutions
allemandes sur les thèmes de la Convention alpine.
3 Voir la publication des travaux préparatoires de la conférence par Walter Danz et al. (1993), La Convention
alpine, un bilan provisoire: résultats de l’assemblée annuelle, Vaduz, CIPRA International.
229

1. Le lancement d’une campagne d’information à grande échelle ;
2. La création s’un système décentralisé de coordination de l’observation, de la recherche
et de la documentation sur les Alpes ;
3. L’établissement immédiat d’un secrétariat permanent ;
4. L’homogénéisation des projets de protocoles. 1
Effectivement, avant la fin de 1992, les groupes de travail établis à Berchtesgaden
avaient tous terminé la préparation des cinq projets de protocoles que la Conférence alpine
leur avait confiés : transports, tourisme, protection de la nature, agriculture de montagne et
aménagement du territoire. Or, la plupart des protocoles contenaient de « nombreuses
formulations potentielles, non contraignantes » (signalées par des expressions comme « les
Parties contractantes encouragent », « examinent les possibilités » ou encore « mettent en
place les conditions nécessaires » 2 ) et peu spécifiques au contexte alpin et à la dimension
transfrontalière ; ils représentaient aussi une « recherche du plus petit commun
dénominateur ». La CIPRA demandait, par contre, « que le standard le plus élevé d’une des
parties contractantes soit considéré comme le but à atteindre pour toutes les autres parties ». 3
Mais le souci principal de la CIPRA était que, jusque-là, « aucun débat public n’[avait] eu lieu
sur les contenus techniques de la Convention alpine ». 4 Le processus maintenait un caractère
strictement intergouvernemental, contraire aux principes de participation publique, qui nous
retrouvons dans l’Agenda 21 et qui seront au centre, par exemple, de la Convention d’Aarhus
sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la
justice en matière d’environnement de 1998, développée dans le cadre du processus « Un
1 Extrait d’ibid., p. 7-8.
2 Ces expressions sont tirés du Protocole « aménagement du territoire et le développement durable » de 1994.
3 Citations extraites de Danz et al., La Convention alpine, un bilan provisoire: résultats de l’assemblée annuelle,
p. 8.
4 Voir ibid., p. 7.
230

environnement pour l’Europe » de la Commission économique pour l’Europe de l’ONU. 1
Mais le risque principal était d’aliéner ultérieurement les populations locales et donc les
collectivités territoriales, qui n’avaient pas d’occasion de s’approprier la convention. Ainsi, la
convention risquait non seulement de rencontrer des résistances dans son processus de
ratification de la convention-cadre et de négociation des protocoles, mais aussi de d’éloigner
ultérieurement du niveau local, qui était en charge de la plupart des mesures concrètes de mise
en œuvre de la convention. Vu l’hésitation des états alpins à cet égard, en 1993, la CIPRA
lancera, de son côté et dans les limites de ses moyens, une campagne médiatique pour
informer les populations locales des contenus de la Convention alpine et pour les promouvoir.
Bien que la deuxième conférence du processus « Un environnement pour l’Europe »
ait été tenue en 1993 à Lucerne (Suisse), la Convention alpine et les questions de montagne
ont étrangement été ignorées par le processus. Les ministres présents se sont limités, dans leur
Déclaration finale, à demander « à tous les états membres […] d’envisager le plus rapidement
possible la ratification […] aux conventions sur l’environnement » au niveau européen et à
approuver un rapport sur les instruments juridiques internationaux. De ce rapport émerge
l’idée que la préoccupation des ministres réunis à Lucerne était de viser à la mise en œuvre
des instruments déjà existants au niveau continental, notamment pour que les mécanismes de
vérification soient non complexes, non conflictuels et transparents, plutôt que d’encourager le
développement de nouveaux accords régionaux sur la montagne sur le modèle de la
Convention alpine. Les Conférences de Rio et Lucerne représentent donc des occasions
manquées par la convention, qui restait aux marges des négociations au niveau européen et
mondial et qui trouvait dans la Suisse, qui se retrouvait dans des positions stratégiques dans
1 Voir, entre autre, Jon Marco Church et Sabaheta Ramcilovic (2009), «Participation in the Alpine Convention»,
dans Sustainable development and transboundary co-operation in mountain regions: the Alpine and the
Carpathian Conventions, édité par Balázs Majtényi et Gianfranco Tamburelli, Budapest, L’Harmattan.
231

les deux cas, un partenaire potentiellement précieux, mais réellement difficile pour les raisons
qu’on a vues.
Parallèlement, l’adoption de la première Directive « eurovignette » remettait en
discussion le Projet de protocole « transports ». 1 La négociation de celui-ci était
particulièrement délicate, car les intérêts économiques et les enjeux écologiques étaient
d’envergure. La directive visait à harmoniser les taxes et les péages imposés par les certains
états membres sur les poids lourds. Elle rouvrait le débat sur la vignette suisse et la politique
du « chacun pour soi » (en anglais : beggar-thy-neighbour) de ce pays. Cette mesure
détournait non seulement les échanges, mais aussi le trafic de traversée des Alpes vers les
pays voisins. La Directive « eurovignette » permettait Ŕ sans les obliger Ŕ à tous les états
membres d’imposer des taxes et des péages autoroutiers avec l’objectif, d’un côté, de limiter
le détournement des échanges (si tous les pays adoptaient les mêmes standards) et, de l’autre,
d’internaliser une partie du coût environnemental du transport routier. 2 Si, en 1997, l’Autriche
et, en 2008, la Slovénie imposeront une vignette, elles ne seront pas suivies par les autres états
alpins, qui n’avaient aucun intérêt à augmenter le coût du transport de leurs produits vers les
marchés européens, notamment dans un contexte économique de plus en plus concurrentiel.
Bien que le pays se soit tenu à l’écart du processus alpin pendant la période précédent
la conclusion de la convention-cadre, c’est en Suisse que se développe, pendant la présidence
française, un débat passionnant autour de la convention, qui sera structuré par la Conférence
gouvernementale des cantons alpins (CGCA) et qui aura des effets importants sur le futur de
la convention. 3 Suite aux réserves exprimées par la Suisse lors de la signature de la
1 Voir la Directive 93/89/CEE (1993) et infra.
2 Voir, inter alia, Convention alpine, Groupe de travail transports, Sous-groupe coûts (2007), «Les coûts réels
des transports dans les corridors transalpins», Roma, Convention alpine.
3 Sur ce débat, voir notamment Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-
level game», p. 26-35, ainsi que le message du Conseil fédéral au Parlement du 10 septembre 1997 (FF 1997 IV
581, pp. 589-592).
232

convection-cadre, en 1992, au moment de la première réunion sous la présidence française, le
Groupe de travail de hauts fonctionnaires (future Comité permanent) a demandé à la Suisse de
produire un document de travail sur les objectifs, les instruments et les mesures capables
d’assurer durablement les intérêts économiques des Alpes et de leur population. L’Office
fédéral de l’environnement des forêts et des paysages (OFEFP) (aujourd’hui, simplement,
Office fédéral de l’environnement ou OFEV) confiait donc au Groupement suisse pour les
régions de montagne (SAB) la rédaction, avec l’appui des scientifiques de l’Académie des
sciences naturelles (SCNAT) et notamment du groupe autour du géographe bernois Paul
Messerli (à ne pas confondre avec Bruno Messerli, bernois lui aussi, du Mountain agenda !),
d’une première enquête sur les aspects socio-économiques de la Convention alpine et de ses
protocoles. 1
Cette étude, loin d’épouser les thèses de la CIPRA, confirme les craintes des cantons,
en dénonçant le déséquilibre de la convention et des protocoles proposés en faveur de la
protection de l’environnement et en souhaitant une réconciliation de celle-ci avec le
développement économique qui soit, bien sûr, durable. Sur la base du rapport de la SAB,
l’OFEFP a donc créé un group d’experts au niveau fédéral et cantonal (les cantons
réclamaient encore une participation accrue aux négociations) avec l’objectif de mieux
intégrer les aspects socio-économiques dans les protocoles existants et d’élaborer un Projet de
protocole « population et économie ». Ils faisaient ceci de manière unilatérale, sans avoir un
mandat clair des ministres ou des hauts fonctionnaires, en s’appuyant sur le premier dans la
liste des domaines mentionnés par la convention-cadre, à savoir « population et culture », qui
n’était clairement pas la même chose. 2 Ce groupe sera connu comme le « Groupe Messerli »,
1 Voir Daniel Wachter (1993), «Analyse des aspects socio-économiques de la convention alpine et de ses
protocoles / une enquête du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) sur mandat de l’Office
fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP)», Berne, OFEFP.
2 Article 2, paragraphe 2, alinéa a) de la convention cadre (je souligne).
233

vu le rôle de son président, qui donnera un visage médiatique au front du « oui » dans le débat
sur la Convention alpine en Suisse.
En même temps que la Suisse continuait dans cette direction, les régions alpines,
organisées dans les communautés de travail ArgeAlp et COTRAO, exprimaient formellement
leur mécontentement avec la Convention alpine et les ONG écologistes. En juin 1993, les
chefs de gouvernement des régions d’ArgeAlp, réunis à Films (Suisse), adoptent, à
l’instigation du Canton des Grisons, qui détenait la présidence tournante de la communauté,
une « Résolution sur l’autodétermination du territoire alpin » et contre les ingérences de
« Rome, Bonn et Paris », qui voulaient reléguer les Alpes à une réserve, en l’homogénéisant et
en supprimant sa diversité sociale et économique. 1 En septembre, leurs homologues de la
COTRAO, réunis à Leysin (Suisse), toujours à l’instigation des cantons suisses, adopteront
une résolution avec les mêmes contenus. C’est l’insurrection des collectivités territoriales
contre la Convention alpine et contre la CIPRA !
C’est dans ce climat tendu, qu’en France et en Italie des avances majeures ont lieu au
niveau législatif, avec l’approbation de la Loi « paysage », d’un côté des Alpes, et d’une
nouvelle Loi « montagne », de l’autre. 2 Avec ces interventions, l’objectif de Paris était celui
de relier la pratique de l’aménagement territorial avec la protection paysagère, à travers
notamment la planification urbaine, tandis que celui de Rome était de soutenir l’agriculture de
montagne, qui souffrait d’une forte crise, avec la création d’un Fonds national pour la
montagne. 3 Il est intéressant de noter que les deux documents, qui avaient été élaborés
1 Décision 24/7 (1993).
2 Respectivement, Loi n. 93-24 du 8 janvier 1993 (Protection et la mise en valeur des paysages) et Loi 31 janvier
1994, n. 97 (Legge sulla montagna). Cette dernière crée, entre autres, un Comité technique interministériel pour
la montagne, censé produire des rapports annuels sur l’état de la montagne italienne, coordonnés par le Comité
interministériel pour la programmation économique (CIPE).
3 Pour une perspective italienne sur l’aménagement du territoire dans les Alpes, voir le numéro spécial Istituto
nazionale di urbanistica, éd. (1999), Pianificazione e sviluppo sostenibile nelle Alpi italiane, Atlas, vol. 9, n. 18,
234

parallèlement à la convention, n’y font aucune référence. Bien sûr, elle n’avait pas encore été
ratifiée et le champ d’application de celle-ci était limité à une partie du territoire national,
mais rien n’empêchait une mention en passant, même dans les préambules respectifs.
Cependant, ces textes répondaient déjà à de nombreuses exigences qui figureront dans les
protocoles. 1
Entre-temps, deux années s’étaient déjà écoulées depuis l’ouverture à la signature de la
convention-cadre. La seule nouveauté était la signature de la part de la Slovénie en mars 1993.
En principe, le moment était venu de convoquer une nouvelle conférence ministérielle, qui
selon la convention devait être convoquée tous les deux ans. Or, aucun état n’avait encore
ratifié la convention. Les problèmes avec les régions et la réserve de la Suisse de ne pas
s’engager dans le processus de ratification avant que le premier protocole ne soit finalisé
avaient bloqué le processus dans tous les pays. Puis, le contexte politique avait changé
radicalement, avec le début de la cohabitation Mitterrand-Balladur (PS-RPR) en France,
l’arrivée de Berlusconi (FI) en Italie (et du nationaliste toscan Altero Matteoli (AN) au
Ministère de l’environnement) et la montée des socialistes (PSS) en Suisse.
La présidence française attendra donc jusqu’en mai 1994 pour convoquer à Paris une
réunion extraordinaire des ministres des états alpins. La rencontre, convoquée par le ministre
de l’environnement français de l’époque, l’actuel commissaire européen Michel Barnier
Bolzano, INU, publiant les actes de la conférence Le Alpi: pianificazione e sviluppo sostenibile, qui s’est tenue à
Bolzano du 25 au 26 septembre 1998.
1 Voir, inter alia, les contributions sur la mise en œuvre de la Convention alpine dans les différents états,
respectivement par François Servoin François Servoin (2002), «Mise en oeuvre de la Convention alpine en
France», dans International law and the protection of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano,
Giuffré; Paolo Angelini et al. (2002), «Implementation of the Alpine Convention in Italy», dans International
law and the protection of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, p. 101-116.
235

(RPR) 1 , visait à résoudre les questions urgentes, qui bloquaient les travaux, notamment les
processus de ratification de la convention et de négociation des protocoles. Barnier, un
« grand amoureux » des Alpes, avait même créé un Comité de suivi réunissant les collectivités
territoriales et les administrations concernées. 2 Entre-temps, l’Autriche, qui était aussi la
dépositaire de la convention, avait donné un coup de pouce au processus intergouvernemental
par la ratification, avec réserve d’exécution, de la convention-cadre au mois de février, suivie
par le Liechtenstein au mois d’avril. 3 Au moment de la réunion extraordinaire, il suffisait
qu’une partie ratifie la convention, pour qu’elle entre en vigueur, ce que l’Allemagne fera au
mois de juin, en redonnant de l’élan au processus.
Cependant, la Suisse a été à nouveau au centre des débats de cette réunion. 4 Elle
arrivera avec une délégation mixte fédérale et cantonale et présentera le projet de nouveau
Protocole « population et économie », préparé par le Groupe Messerli. Les ministres, qui
étaient plus intéressés par l’idée de finaliser les protocoles existants qu’à en élaborer des
nouveaux, ont rejeté le projet suisse, préférant en recueillir des éléments dans le Protocole
« aménagement du territoire ». Au-delà de l’ajout de la mention « développement durable »
dans son appellation, le protocole prévoyait maintenant la participation des collectivités
1 Elu d’Albertville (Jeux olympiques d’hiver 1992), avant d’être commissaire au marché intérieur et aux services
de l’actuelle Commission Barroso, Barnier a été commissaire à la politique régionale sous Prodi (1999-2004).
Sur la « Loi Barnier » de 1995, vois infra.
2 Voir l’allocution du futur ministre de l’écologie Serge Lepeltier (UMP) lors de la réunion du Comité de suivi
du 10 février 2005 à Grenoble.
3 En Autriche, la présence d’une réserve d’exécution écarte la possibilité d’applicabilité directe des dispositions
de la convention-cadre. Sur ce sujet, voir Céline Randier (2008), «Convention alpine et droit comparé: l’exemple
de l’Autriche», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France,
Grenoble, CIPRA France, p. 53-54. En même temps, la CIPRA Autriche ouvrait un bureau national sur la
Convention alpine, qui sera hébergé par le Club alpin autrichien à Innsbruck et qui collaborera activement avec
le Ministère de l’environnement autrichien. A partir de 1996, ce bureau publiera un bulletin conjoint Ministère et
CIPRA (Die Alpenkonvention), qui jouera un rôle dans la circulation de l’information sur la convention en
Autriche.
4 Sur ce point, voir encore Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level
game», p. 26-35.
236

territoriales à sa mise en œuvre, en mentionnant aussi des aspects socio-économiques. Or, la
teneur juridique des obligations prévues par le protocole était toujours faible. Dans le cadre du
débat qui s’ouvrira en Suisse pendant l’été, les cantons, même s’ils se réjouissaient de leur
entrée en délégation nationale à côté du gouvernement fédéral, rejettent en bloc tous les
projets de protocoles, qui étaient en cours de négociation. Si les autres parties n’acceptaient
pas les demandes suisses, les cantons estimaient que la Suisse ne devait pas adhérer aux
protocoles. Le gouvernement fédéral, par contre, ne voyait aucun risque dans les dispositions
fumeuses de la convention et des ses protocoles et craignait plutôt des effets éventuels dans
les relations avec les pays voisins.
En 1994, contrairement aux suisses, 66,6% des autrichiens s’expriment en faveur de
l’entrée de leur pays dans l’UE. Bien qu’elle ait ratifié la convention-cadre, l’Allemagne, dans
les mois qui précèdent la Conférence alpine, venait d’assumer le semestre de présidence de
l’UE et se trouvait, en même temps, en pleine campagne électorale. Celle-ci était donc une
période délicate et difficile pour les institutions allemandes, qui combinaient les lourdes
charges de travail des présidences de l’UE avec la paralysie politique, qui précède d’habitude
les élections fédérales. En octobre, celles-ci seront remportées à nouveau, mais de justesse,
par Köhl, qui nommera au Ministère de l’environnement l’actuelle chancelière Angela Merkel
(CDU).
Finalement, la France convoque la troisième Conférence alpine, qui se tiendra à
Chambéry en décembre 1994. A l’ordre du jour se trouve notamment l’ouverture à la
signature de trois protocoles, qui étaient pratiquement terminés : aménagement du territoire,
agriculture de montagne et protection de la nature. En fait, la négociation des Protocoles
« transports » et « tourisme » était encore ouverte. En préparation de la conférence
ministérielle et afin de faire avancer les dispositions de la convention sur l’observation, la
recherche et la documentation, l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) organisera
237

à Disentis (Suisse), avec le soutien de la CIPRA, le premier ForumAlpinum, une kermesse de
la recherche alpine « pour » la Convention alpine, qui deviendra un rendez-vous régulier. 1 A
cette occasion, le ForumAlpinum développera une feuille de route, qu’il appellera Plan
d’action « recherche alpine ». Ce document catalogue une liste de pistes de recherche,
organisées dans une série de modules, qui ont été recueillies par les organisateurs du
ForumAlpinum sur la base des communications présentées à Disentis. Si ce document aurait
pu être bien utile pour orienter les travaux de recherche, l’ambition des organisateurs allait
vers la convention. Or, qu’est-ce que la Convention alpine aurait dû faire avec cette liste ? Les
délégués nationaux ne pouvaient pas se mettre à combler eux-mêmes les lacunes de la
recherche alpine, les parties n’avaient pas créé de fonds alpin pour la recherche et la
convention ne s’était pas encore dotée d’institutions capables de relever ce défi. Aux
scientifiques donc de les combler !
Si les cantons suisses essayaient de s’opposer au développement de la Convention
alpine de visu au niveau national, certains élus et certaines collectivités territoriales françaises
et italiennes, réunies dans le réseau de l’AEM, cherchaient à la concurrencer au niveau
européen. En septembre 1994, juste avant la Conférence alpine de Chambéry, elles
organisaient à Chamonix, sous les auspices du Conseil de l’Europe, une troisième Conférence
européenne des régions de montagne, après celle de Lugano de 1978 et de Trente de 1988. 2
Les deux cents participants à la Conférence de Chamonix, provenant depuis une vingtaine de
1 Voir l’article par Thomas Scheurer et Kurt Hanselmann (1995), «Quelles orientations pour la recherche alpine?
Résultats du ForumAlpin 94 à Disentis», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 2, l’éditorial par Guido
Plassmann (1995), «Point de vue sur le Forum Alpinum de Disentis», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 1,
Françoise Gerbaux et Maria Chiara Zerbi (1996), «Les Alpes, une région?», Revue de géographie alpine, vol. 84,
n. 4, Thomas Scheurer et Anne Sgard (2008), «La recherche sur les montagnes entre Alpes et monde: regards
rétrospectifs», Revue de géographie alpine, vol. 96, n. 4, p. 20 ; voir aussi les actes de la conférence, publiés par
le SCNAT, éd. (1994), Plan d’action “recherche alpine”, ForumAlpinum 94, Bern, SCNAT. Thomas Scheurer a
participé à l’organisation du ForumAlpinum depuis le début.
2 Les actes de la conférence ont été publiés par le Conseil de l’Europe (1995), 3 e Conférence européenne des
régions de montagne: actes, Chamonix, 15-17 septembre 1994, Strasbourg, Conseil de l’Europe.
238

pays, approuveront à l’unanimité un projet de Charte européenne des régions de montagne. 1
La charte a été élaborée par un groupe de travail ad hoc de la Conférence permanente des
pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (à partir de l’année suivante, Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux de l’Europe ou CPLRE), avec la participation et à l’instigation de l’AEM.
Elle reposait sur la décision de la Conférence de Trente de 1988 de préparer un instrument
juridique rigide. 2 Préparée sur le modèle de la Charte européenne de l’autonomie locale de
1985, pour entrer en vigueur, le projet de Charte européenne des régions de montagne devait
être soumis à la signature et au processus de ratification de la part des états membres du
Conseil de l’Europe, au même titre que la Convention alpine. Or, la convention avait été
élaborée par les états, tandis que la charte était le produit des régions, ce qui compliquait le
processus. Dans leurs relations extérieures, la proximité démocratique des collectivités
territoriales avec les populations montagnardes se heurtait à la légitimité souveraine en
politique étrangère des gouvernements centraux. Toujours en 1994, la Commission
européenne proposait le concept de « macrorégion » pour relever les défis de l’élargissement.
Exemples de ces macrorégions étaient l’Océan atlantique ou la Méditerranée occidentale, y
compris les « Alpes latines ». Ce concept était plus attrayant pour les collectivités territoriales
que les initiatives du CPLRE par le biais de la politique régionale de l’UE. Même si les
institutions communautaires étaient moins ouvertes à la participation régionale que celles du
Conseil de l’Europe, l’espoir des financements européens rendaient le concept de macrorégion
plus attrayant que celui d’eurorégion ou de la Convention alpine, qui était dépourvue de
financement potentiel. 3
1 La version de la charte présentée à Chamonix a été publiée intégralement ibid., p. 251-271.
2 Voir supra. Sur la Charte européenne des régions de montagne, voir l’extrait du discours de Dino Viérin dans
Luciano Caveri (2002), L’Europa e la montagna, Verbania, Tararà, p. 73-77.
3 Sur les eurorégions, la Convention de Madrid et ses protocoles, voir supra, tandis que sur le concept de macro-
région, voir le rapport de l’UE, Commission européenne (1994), «Europe 2000+ : coopération pour
l’aménagement du territoire européen», dans EC regional policies, Luxembourg, CEE ; voir aussi l’étude très
générale sur la région alpine et périalpine, réalisée dans le cadre du projet Europe 2000, dans id. (1995), «Etude
239

Dans les semaines ayant immédiatement précédé la troisième Conférence alpine, les
niveaux fédéral et cantonal suisse ont décidé que les références aux aspects socio-
économiques et à la participation des collectivités territoriales qui avaient été insérées dans le
Protocole « aménagement du territoire et développement durable » n’étaient pas suffisantes.
Par conséquent, la Suisse n’allait signer aucun protocole. 1 Parallèlement, le Conseil européen
d’Essen, qui est connu pour avoir ouvert les portes de l’UE aux pays de l’Europe centrale et
orientale, désigne quatorze projets d’infrastructures de transports comme prioritaires. Parmi
eux figure la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin (en italien : TAV), qui traversait
longitudinalement les Alpes occidentales. 2 Ce nouveau projet ajoutait un élément de
complexité ultérieur aux négociations du Groupe de travail « transports ». Dans ce contexte,
on pourrait interpréter le souhait de Monaco de devenir partie contractante de la convention,
qui avait été formalisée à la veille de la Conférence alpine, de deux façons : d’un côté, à partir
du besoin de la ville-état de protéger ultérieurement son arrière-cour française (le Parc
national du Mercantour, les Alpes occidentales, etc.) d’un développement excessif et du
tourisme de masse ; de l’autre, afin d’empêcher que la convention puisse porter atteinte à ses
projets de développement infrastructurel de la région, notamment par le biais du futur
Protocole « transports ».
La Conférence alpine du 20 décembre 1994 à Chambéry est la première réunion
« ordinaire » des ministres. La convention-cadre venait d’être ratifiée par trois parties
(Autriche, Allemagne et Liechtenstein) et allait entrer en vigueur avec le délai statutaire de
prospective des régions de l’arc alpin et périalpin: Europe 2000», dans Etudes de développement régional,
Luxembourg, CEE.
1 Voir, encore, Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game», p. 32.
2 Voir l’article de Marianne Ollivier-Trigalo (2000), «Les grands projets de transport transeuropéens :
multiplicité des acteurs, conflits et coordination de l’action», Les cahiers scientifiques du transport, n. 37 ; se
référer aussi à l’ouvrage par Michel Gérard et al. (1998), La politique française des transports terrestres dans les
Alpes, Paris, La Documentation française ; par contre, sur la Lyon-Turin et le développement durable, voir
l’article récent de François Pelletier (2006), «La nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin: un enjeu majeur de
développement durable», Revue générale des chemins de fer.
240

trois mois après le dépôt du troisième instrument de ratification, qui a eu lieu le 5 décembre.
Comme cela deviendra coutumier, le Groupe de travail de hauts fonctionnaires s’est réuni à
Chambéry pour une dernière fois (aussi car, avec l’entrée en vigueur de la convention-cadre, il
devenait le « Comité permanent ») la veille même de la Conférence alpine, pour finaliser les
derniers détails et documents : d’un côté, l’accession de Monaco ne soulevait pas
d’inconvénient, de l’autre, le Projet de protocole « transports » devenait de plus en plus
problématique. 1 Pour Monaco, même s’il s’agissait d’une ville-état essentiellement maritime,
une partie de son territoire était bien montagneuse. De plus, son accession était dans les
intérêts de la présidence française, qui aurait ainsi pu compter sur une voix de plus pour les
états latins dans les négociations, en contrebalançant le Liechtenstein. Sinon, les latins avaient
deux voix, les Allemands trois, avec les Suisses et les Slovènes qui oscillaient entre les deux
camps. L’Autriche s’était présentée à la réunion, en déclarant qu’elle ne signerait aucun
protocole avant que les négociations sur le Protocole « transports » ne soient achevées. Le
précédent suisse des réserves faisait donc école. Les intérêts autour de la question des
transports étaient tels que l’Autriche préférait soumettre sa participation dans tous les autres
domaines à la conclusion du protocole. De toute façon, les autrichiens n’étaient pas les seuls,
car les négociations entre le niveau fédéral et cantonal avaient abouti à la décision de la Suisse
de ne pas signer les protocoles non plus. Sans la Suisse et l’Autriche, aucun accord sur les
transports dans les Alpes n’était bien sûr concevable. Quel cauchemar pour la France, qui
préparait en même temps son semestre de présidence de l’UE (janvier-juin 1995) et qui devait
produire des résultats concrets après trois ans de présidence !
Heureusement, un projet de Système d’observation et d’information des Alpes
(SOIA), préparé par un groupe d’experts, animé par le Pôle européen universitaire et
scientifique de Grenoble (universités, CEMAGREF, etc.), sur la base des articles 3 (recherche
et observations systématiques) et 4 (inter alia, collaboration scientifique et technique) de la
1 Voir le compte-rendu de la réunion.
241

convention-cadre, avait été approuvé. 1 Son objectif était de « développer un cadre descriptif
de l’environnement du massif alpin et de mettre à la disposition des responsables les résultats
de la recherche alpine » : documentation scientifique, thèmes prioritaires, indicateurs
harmonisés, cartographie, compilation de sources de données, lexique spécifique et « rapport
sur l’état des Alpes ». 2 Même si l’Italie avait été réprimandée pour n’avoir pas encore réuni le
Groupe de travail « énergie » et bien que la structure se veuille décentralisée, grâce à un
système de centres de communication en tant que points focaux nationaux du SOIA, la
présidence fut confiée à l’Italie, qui a bien su jouer la carte européenne. Afin d’intégrer le
SOIA dans les activités de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), qui poursuivait
les mêmes objectifs au niveau européen, l’Italie a donc proposé de s’appuyer sur le Centre
commun de recherche (CCR) de la Commission européenne (l’ancien Centre commun de
recherche nucléaire de l’EURATOM), qui siégeait à Ispra (Italie), pour l’animation
scientifique, technique et administrative du système. Or, aucune forme de financement
commune n’était prévue pour le SOIA, au-delà des contributions de chaque partie aux travaux
conjoints à travers la participation des experts, la communication d’informations ou la
préparation de rapports toujours nationaux. Ce système est certainement une réussite pour la
présidence française, mais il représente un succès aussi pour la CIPRA, même si son souhait
était de créer une structure organique au sein d’un secrétariat permanent de la Convention
alpine. Finalement, les états, qui s’appropriaient de plus en plus le processus, souhaitaient
établir des principes pour la participation des ONG aux travaux. A ce propos, l’UICN avait
1 Sur les origines du SOIA, voir notamment Vincent Briquel (1995), «D’un système d’observation des Alpes à
un système d’information», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 2; id. (1995), «Des descripteurs pour un
système d’observation des Alpes», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 2; Hervé Gumuchian (1995), «Quelle
place pour la recherche dans un système d’information des Alpes ?», Revue de géographie alpine, vol. 83, n. 2,
dans un numéro spécial de la revue, ainsi que le texte par Luciano Onori (2004), «La protezione delle specie
selvatiche (flora e fauna) nella Convenzione delle Alpi», Roma, APAT ; voir aussi l’ancien site internet
www.soia.int (consultable depuis l’archive historique : http://web.archive.org), ainsi que le nouveau
www.alpconv.org/soia (dernier accès : 18 juin 2011).
2 Voir la décision de la Conférence de Chambéry ; voir aussi le document VIII/9/2 (2004).
242

préparé un document, que les parties ont toutefois considéré « moins restrictif des dispositions
de la Convention alpine ». La décision est donc prise de confier à la Slovénie, qui aurait
assumé la prochaine présidence tournante biennale, la rédaction d’un règlement spécifique.
La troisième réunion de la Conférence alpine a eu lieu à Chambéry dans le Château
des Ducs de Savoie, avec la présence des ministres de l’environnement des états alpins et du
commissaire européen. Sous la présidence de Michel Barnier (RPR), qui était aussi le
président du Conseil général de la Savoie, la plupart des invités étaient des représentants du
centre-droite : Angela Merkel (CDU) pour l’Allemagne, Maria Rauch-Kallat (ÖVP) pour
l’Autriche et Altero Matteoli (AN) pour l’Italie. 1 Les seules exceptions étaient le centriste
Pavel Gantar (LDS) pour la Slovénie et la socialiste Ruth Dreifuss (PS) pour la Suisse. Après
les formalités pour l’accession de Monaco (expédiées par un conseiller du gouvernement, le
prince Rainier n’étant pas présent), les ministres se réunissent à huis clos (assistés par les
interprètes dans les langues officielles et parfois accompagnés par leur chef de délégation au
comité permanent), pour discuter librement (mais sans collaborateurs, observateurs, etc.) et
trancher sur les dernières questions que les hauts fonctionnaires n’avaient pas réussi ou pu
régler ou que les ministres eux-mêmes n’avaient pas eu le temps de discuter informellement
pendant le dîner du jour précédent. Cette procédure deviendra une coutume des travaux de la
Conférence alpine, y compris du Comité permanent.
Concernant les protocoles, trois des cinq en chantier étaient prêts à la signature. La
France, l’Italie, l’Allemagne, la Slovénie, la Commission européenne et même Monaco étaient
déterminés à les signer. Pour les raisons qu’on a déjà présentées, la Suisse et l’Autriche ne
l’étaient pas encore. Sans surprise, le Liechtenstein, qui se trouvait pris en sandwich entre les
1 Curieusement, au sein du Ministère de l’environnement italien, le dossier de la Convention alpine avait été
confié initialement à la Direction générale pour la protection de la nature (responsable des parcs, des réseaux
écologiques, etc.) au lieu de celle pour la protection internationale de l’environnement (responsable des
conventions, de la coopération transfrontalière, etc.).
243

deux, s’abstenait lui aussi. Cependant, il partageait les objectifs des protocoles, en confirmant
son soutien à la CIPRA. 1 En confirmant les réserves de Salzbourg, « la Suisse espère que la
priorité dans les protocoles sera donnée au développement durable ». 2 Pour la signature des
protocoles, elle confirme la position autrichienne, en affirmant que « les protocoles tourisme
et transports étant non finalisés, elle refuse pour l’instant de signer les trois premiers
protocoles ». Bien sûr, la Suisse se réjouissait du fait que, dans les Protocoles « aménagement
du territoire », « agriculture de montagne » et « protection de la nature », figuraient des
questions socio-économiques, ainsi que le développement durable. On suppose donc que les
positions suisse et autrichienne visaient, d’un côté, à gagner du temps au niveau national, de
l’autre, à assurer tactiquement que ces principes rentrent dans les protocoles en cours de
négociation. Il fallait s’assurer aussi que le Protocole « transports » ne porte pas atteinte aux
besoins infrastructurels des deux pays et à leur politique sur le trafic de traversée entre
l’Europe septentrionale et méridionale. A ce propos, l’Autriche estime que le cadre européen
est mieux placé pour aborder ces questions qui « ne sont pas Ŕ ils affirment Ŕ un problème
national mais européen ».
Dans ce contexte, la Commission européenne ne peut rien faire d’autre que s’aligner
sur la position de ses états membres, qui étaient tous d’accord (formellement, l’Autriche
n’était pas encore un état membre). Le Conseil de l’Europe, par contre, tient à présenter la
Charte européenne des régions de montagne, en soulignant qu’il s’agit d’un projet avec « une
application beaucoup plus large » et en ajoutant Ŕ on ne sait pas si c’est par conviction ou par
convenance Ŕ qu’« il croit dans la complémentarité des deux ». Du côté des ONG, Chambéry
a été la foire du désespoir. « La conférence est en crise », annonce déçue la CIPRA. D’un
côté, elle incite les états à travailler davantage avec la population locale et les collectivités
territoriales (ce qui n’avait pas été exactement sa stratégie depuis le milieu des années 80), de
1 Voir le résumé de la déclaration du Liechtenstein dans le compte-rendu de la conférence (document III/5).
2 Citation d’ibid., p. 3.
244

l’autre, elle les invite avec l’UICN à élaborer avec urgence un programme d’action (à l’instar
du Plan d’action du PNUE pour la Méditerranée de 1975 ou encore de celui pour le Pacifique
nord-occidental de 1994) « qui s’avérera nécessairement coûteux ». 1 Ils avaient compris qu’un
instrument juridique était peut-être trop rigide pour le type d’intervention souhaité. Ils
proposaient donc d’intégrer dans ce plan « tous les problèmes des protocoles » (sic), d’y
injecter des ressources importantes et de résoudre ces problèmes sur le terrain, comme si cet
actionnisme était une thérapie magique qui aurait permis aux états alpins de trouver la clé de
cet arbitrage stratégique entre protection et développement. Parmi les autres observateurs,
figuraient aussi les communautés de travail ArgeAlp et COTRAO, l’AEM et la FIANET
(Fédération internationale des associations nationales de téléphériques), qui reste toujours le
seul représentant du secteur économique et qui rappellera constamment, au fil des années, que
les Alpes sont aussi un lieu de travail pour des millions de professionnels.
Finalement, la biennale de la présidence française s’achève avec la signature des
Protocoles « aménagement du territoire et développement durable », « agriculture de
montagne » et « protection de la nature et entretien des paysages » par les deux tiers des
parties contractantes et avec la création d’un nouveau Groupe de travail sur le SOIA. Il s’agit
d’un résultat décevant par rapport aux espoirs de Salzbourg, mais compréhensible dans son
contexte. L’Italie, la Suisse et la Slovénie étaient les seules à n’avoir pas encore assumé la
présidence tournante. Etant la seule à être proche de la ratification, vu les problèmes de la
Suisse et vu que l’Italie ne pouvait pas cumuler trop de présidences, avec déjà le Groupe
« énergie » et du SOIA, la présidence passe donc à la Slovénie, qui jouera un rôle important
dans la finalisation des protocoles et dans la normalisation du processus.
1 Citation d’ibid., p. 4.
245

Protocole « aménagement du territoire et développement durable » (1994)
Ce protocole prévoit que, lorsqu’il s’agit de mettre en balance la capacité de tolérance des écosystèmes et les
intérêts économiques, il faut accorder la priorité aux exigences écologiques, si cela est nécessaire pour conserver
les fondements naturels de la vie. Il expose les dispositions générales à prendre : définir des objectifs
d’aménagement de l’espace alpin qui visent à concilier les besoins économiques et culturels avec les exigences
d’un développement durable du massif alpin. Le protocole fixe des obligations fondamentales : s’efforcer de
favoriser l’action des collectivités territoriales et d’harmoniser leurs politiques, notamment sectorielles. Il énonce
également les principes directeurs : la coopération internationale (éliminer les obstacles à une coopération entre
les collectivités territoriales de l’espace alpin) ; l’obligation de prendre en compte les objectifs du protocole dans
les autres domaines de la convention alpine, ainsi que de coordonner leur action sectorielle ; l’association des
collectivités territoriales directement concernées à l’élaboration et à la mise en œuvre des mesures d’application
du protocole et la possibilité pour les parties de prendre des mesures complétant celles prévues par le protocole.
Les dispositions spécifiques prévoient en premier lieu la mise en œuvre d’une planification sous la forme de
plans et/ou programmes qui sont élaborés par, ou avec, les collectivités territoriales concernées (article 8)
sur la base d’un canevas harmonisé. Il est fait obligation d’instaurer un dispositif d’évaluation préalable des
projets publics ou privés susceptibles de porter des atteintes importantes et durables à la nature et aux paysages.
Dans le cadre de leur droit national, les parties examinent l’opportunité de mesures économiques et financières
de nature à favoriser le développement durable de l’espace alpin qu’il s’agisse d’internaliser certains coûts dans
le prix des prestations offertes aux utilisateurs, de soutenir des projets transfrontaliers ou d’instaurer une
péréquation entre les collectivités territoriales. Les parties encouragent aussi les actions de recherche et à intégrer
les résultats nationaux de la recherche et de l’observation dans un système commun d’observation et
d’information, accessible au public. Elles doivent également favoriser la formation et l’information du public sur
les objectifs et la mise en œuvre du protocole. Un dispositif de contrôle du respect et de l’évaluation des
obligations est également prévu, fondé sur la remise de rapports et l’adoption de recommandations.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois états ont déposé leur instrument de
ratification. Il est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour l’article 8, qui pourrait donner lieu aussi à une
application directe, la valeur du protocole est plus politique que juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
246

Protocole « agriculture de montagne » (1994)
L’objectif général de ce protocole, que les parties s’engagent à poursuivre, prévoit : la préservation et
l’encouragement d’une agriculture de montagne adaptée aux sites et compatible avec l’environnement de
manière à reconnaître et à assurer dans la durée sa contribution essentielle. Ceci est poursuivi à travers : le
maintien de la population et la sauvegarde d’activités économiques durables, la sauvegarde du cadre de vie
naturel, la prévention des risques naturels, la conservation de la beauté et de la valeur récréative du paysage
naturel et rural, la vie culturelle de l’espace alpin et le développement optimal de toutes les fonctions de
l’agriculture de montagne.
Avec ce protocole, les parties s’engagent aussi dans l’adoption d’une série de mesures spécifiques,
particulièrement : encouragement à l’agriculture de montagne (différentiation des exploitations à tous les
niveaux, soutien particulier des sites extrêmes. compensation appropriée de la contribution à la
conservation et à l’entretien des paysages ainsi qu’à la prévention des risques naturels) (article 7, alinéa 1
et 2), l’encouragement de méthodes de production naturelles, ainsi que le maintien d’un élevage adapté au terroir
et de la diversité des espèces. D’autres mesures de ce chapitre prévoient la promotion commerciale des produits
de l’agriculture de montagne sur la base d’appellations d’origine contrôlée, l’encouragement des sources de
revenus supplémentaires et l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnes exerçant des activités
agricoles et forestières.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. La valeur du protocole est plus politique que
juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi du Sénat italien du 29 mars 2009, n. 1474 (ratification des
protocoles), ainsi que du message du Conseil fédéral au Parlement suisse du 10 septembre 1997 (ratification de
la convention alpine)
247

Protocole « protection de la nature et entretien des paysages » (1994)
Ce protocole prévoit que, lorsqu’il s’agit de mettre en balance la capacité de tolérance des écosystèmes et les
intérêts économiques, il faut accorder la priorité aux exigences écologiques, si cela est nécessaire pour conserver
les fondements naturels de la vie. Il définit un objectif de protection de la nature et des paysages dans une
perspective de développement durable, de façon à garantir, sur le long terme, le fonctionnement des
écosystèmes, la conservation de la faune et de la flore ainsi que celle des paysages naturels. Le protocole fixe des
obligations fondamentales, à savoir l’engagement de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la
protection, la gestion et, si besoin est, la restauration de la nature et des paysages dans l’espace alpin ». Les
autres principes d’action du protocole concernent la coopération internationale (coopérer, notamment pour
cartographier, délimiter et gérer les espaces protégés), l’engagement à intégrer les objectifs du protocole dans les
autres domaines de la convention alpine, l’association des collectivités territoriales directement concernées par
l’élaboration et par la mise en œuvre.
Les mesures spécifiques imposent, en premier lieu, des obligations précises en matière d’inventaires généraux : il
est prévu l’établissement par chaque partie d’un état de protection de la nature et de l’entretien des paysages. A
celles-ci s’ajoutent des obligations sectorielles avec l’établissement de listes des types de biotopes et des espèces
à protéger. Il est prévu d’établir, dans un délai précis, un programme fixant les orientations et les mesures
prévues pour appliquer le protocole (article 7) et d’évaluer l’impact direct ou indirect sur la nature et les
paysages des projets publics ou privés. Les parties s’imposent des obligations de résultats en matière
d’aménagement du paysage, de gestion des espaces protégés, de conservation et si besoin est, de restauration
d’éléments caractéristiques d’écosystèmes, de biotypes et des paysages naturels et ruraux traditionnels
(article 10, alinéa 1 ; article 13, alinéa 1), dans un cadre à la fois national et transfrontalier, avec l’établissement
d’un réseau national et transfrontalier d’espaces protégés (article 12). Il est interdit de commercialiser
d’espèces animales et végétales protégées (article 15). De même, les parties veillent à que des espèces non
indigènes ne soient pas introduites, sauf si les risques ont été évalués préalablement, notamment pour les
organismes génétiquement modifiés. Les parties sont encouragées à entreprendre des actions de recherche
notamment dans les domaines prioritaires et à veiller à ce que les résultats des activités nationales soient intégrés
dans un système commun d’observation et d’information, accessible au public. Un dispositif de contrôle et
d’évaluation du respect des obligations, fondé sur la remise de rapports et l’adoption de recommandations, est
prévu.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour les articles 7, 10, 12, 13, 15 et 22-
24, la valeur du protocole est plus politique que juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
248

Double présidence slovène et Conférences de Brdo et Bled (1994-1998)
Avec la présidence slovène, s’achève la phase la plus convoitée du processus. La
Convention alpine deviendra de plus en plus marginale par rapport aux grands événements de
la politique mondiale, européenne et nationale des années 90, avec quelques exceptions. Elle
en sortira grandement redimensionnée. Au fur et à mesure, une communauté d’intérêt se
définit autour de la convention. Elle se structure autour des institutions communes qui ont été
formées (comité permanent, groupes de travail etc.) et des organisations gouvernementales ou
non qui y participent (délégations nationales, observateurs, etc.). Avec quelque sursaut, cette
communauté essaiera de se développer, mais elle sera limitée par les ressources disponibles et
par les responsabilités limitées qui ont été confiées à la Convention alpine. Cependant, dans
les paragraphes qui suivent, on continuera à présenter, dans ses grandes lignes, le contexte du
processus, avec l’idée que, si la phase constitutive à été le produit d’une convergence d’une
multiplicité de processus parallèles, on assiste plutôt, dans cette phase nouvelle, à une sorte
d’autisme formatif. La convention devait bien se développer à l’intérieur avant de pouvoir se
lancer à l’extérieur.
Au niveau mondial, dans le cadre du monitorage de la mise en œuvre du Chapitre 13 de
l’Agenda 21, la FAO prépare, au nom du Secrétaire général de l’ONU, un premier rapport plutôt
exhaustif, bien que focalisé sur les questions des forêts, sur le développement durable des
montagnes. 1 En faisant l’état des lieux des différentes initiatives en cours, ce rapport témoigne de
la difficulté de « percevoir les zones de montagne comme quelque chose de spécial, avec un
potentiel en soi mêmes et méritant donc une attention particulière » et propose « une charte
1 En application des accords de Rio, la France a approuvé la Loi n. 95-101 du 2 février 1995 (renforcement de la
protection de l’environnement ou « Loi Barnier »). Par rapport à la montagne, on signale deux évolutions : l’une,
impose une évaluation des excédents de débit solide pour les fleuves de montagne dans un contexte minier,
l’autre, clarifie les compétences administratives pour l’organisation des remontées mécaniques. Bien que la loi
ait été élaborée parallèlement à la loi de ratification de la convention (infra), aucune référence à celle-ci n’y est
faite.
249

mondiale des montagnes juridiquement non contraignante ». 1 Parallèlement, les scientifiques du
Mountain agenda peinaient à définir une feuille de route pour la suite de Rio, la balle étant dans le
champ du niveau politique. En juillet 1994, en réponse à une sollicitation de la FAO, les
Américains du Mountain institute convoquent un séminaire à Franklin (Virginie de l’ouest) et
proposent la création d’un réseau mondial d’ONG montagnardes. Au mois d’avril de l’année
suivante, ils réunissent 120 représentants d’organisations internationales gouvernementales et non
(ONG) au Centre international de la pomme de terre (CIP) à Lima, où ils examinent le rapport
préparé par la FAO pour Rio+5 et ils décident la création de ce réseau mondial, qui prendra le
nom de Mountain forum et qui sera soutenu notamment par la coopération suisse et néerlandaise.
Son nœud central sera accueilli par l’International centre for integrated mountain development
(ICIMOD) à Katmandu, qui mettra en réseau un système de nœuds régionaux (Europe, Afrique,
etc.), selon une structure à réseau plutôt avancée pour l’époque. 2 Au fil des années, le Mountain
forum, qui se dotera d’un secrétariat d’une douzaine d’unités de personnel, réussira à recueillir
une base documentaire et à promouvoir une série d’initiatives importante autour du monde. L’une
de ses premières « sorties » à été l’organisation en 1996 à Bichkek Ŕ la capitale du Kirghizistan, le
pays le plus montagneux au monde (sans compter les micro-états) Ŕ d’une première kermesse de
la recherche mondiale sur les montagnes.
Or, cet organisation autour des réseaux d’ONG ne satisfaisait complètement ni la FAO ni
les scientifiques. L’animation onusienne-bernoise du Mountain agenda concentrait, en effet, ses
efforts dans la publication d’une série de volumes sur la montagne à partir de Mountains of the
world: a global priority, publié par Bruno Messerli et Jack Ives en 1997 (à l’époque du Protocole
de Kyōto), qui restera longtemps le texte de référence sur ces questions. Ce texte sera reconverti
en une contribution du Mountain agenda pour la mise en œuvre du Chapitre 13 et sera complété
1 Voir les paragraphes 10, 56 et 102-107 du rapport E/CN.17/1995/5 (1995, je traduis).
2 L’ICIMOD est une entité originale, un centre de recherche appliquée et de transfert scientifique créé en 1983 et
soutenu actuellement par les Gouvernements afghan, bangladeshi, bhoutanais, chinois, indien, birmane, népalais
et pakistanais. Depuis 2009, le nœud central du Mountain forum est « retourné » à Lima.
250

par une série d’approfondissements techniques de vulgarisation sur l’eau en 1998 (avec l’image
forte des « montagnes tours d’eau »), le tourisme en 1999, les forêts en 2000 et l’énergie et les
transports en 2001. Par contre, la FAO encourage, de son côté, la création, en 1997, d’un
Programme mondial de la montagne (GMP) du Groupe consultatif pour la recherche agricole
internationale (CGIAR), qui recevra le soutien de la coopération canadienne et qui se dotera d’un
secrétariat à Banff (Alberta). Le GMP a été conçu comme un « programme parapluie » pour faire
converger toutes les initiatives existantes au niveau international (ONU, ONG, etc.) autour des
questions de l’alimentation et par extension de la pauvreté, qui correspondaient beaucoup mieux
aux préoccupations immédiates des populations montagnardes du monde que les documents
techniques ou les réseaux associatifs. En même temps, dans les différentes régions, la FAO
organise des consultations sur la mise en œuvre du Chapitre 13. En Europe, elle s’appuie sur
l’UICN et son bras chambérien, l’ICALPE, pour organiser, tout au long de l’année 1996, deux
consultations intergouvernementales à Aviemore (Ecosse) et à Trente, entre lesquelles se tient une
consultation avec les ONG à Toulouse, où les listes habituelles de recommandations sont récitées
presque à la façon des mantras tibétains. 1 Or, les efforts combinés de la FAO et du Mountain
agenda sont parvenus à inscrire la question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’ONU.
Fait très important, en 1998, elle parvient à déclarer 2002 « Année internationale de la montagne »
(AIM), « pour faire mieux percevoir l’importance de la mise en valeur durable des montagnes ». 2
Il s’agissait d’une des toutes premières initiatives de ce genre et la FAO sera invitée à jouer le rôle
de chef de file. Aujourd’hui, les années internationales de l’ONU ont été banalisées ; à l’époque, il
s’agissait d’un véritable exploit. 3 Il ne faut pas sous-estimer son impact.
1 Voir la publication des actes de la conférence de Trente par C. Backmeroff et al., éd. (1996), Consultation
europeenne intergouvernementale sur la mise en valeur durable de la montagne: actes de la session finale de
Trente (7-11 octobre 1996), Trento, IUCN - ICALPE - Guinta della Provincia Autonoma.
2 Résolution A/RES/53/24 (1998). See also Jack D. Ives et Bruno Messerli (1999), «2002 declared by the United
Nations as “International Year of Mountains”», Arctic, Antartic, and Alpine Research, vol. 31, n. 3.
3 Par exemple, 2010 a été déclarée, en même temps, année internationale de la jeunesse, de la biodiversité, du
rapprochement des cultures et des gens de mer.
251

Sur le plan européen, la renégociation de la Convention de Barcelone sur la Méditerranée
en 1996 (qui n’a pas conflué et ne doit pas être confondu avec le Processus de Barcelone ou
Partenariat euro-méditerranéen lancé en 1995) laisse croire que les accords régionaux sur
l’environnement n’ont pas encore été écartés par les états européens. Entre-temps, certaines
régions et certains élus, qui s’organisaient dans l’AEM et dans une EUROMONTANA
« ressuscitée », essayaient de faire avancer le projet de charte européenne, qui aurait contribué à
redresser le cadre pour la redistribution de ressources en faveur de la montagne et qui aurait expié
le péché originel de la directive européenne de 1975, qui considérait les montagnes comme des
« handicaps naturels permanents ». 1 Dans une séquence « féroce » : en avril 1995, le nouveau
Comité des régions de l’UE adopte un avis favorable sur le projet 2 ; au mois de juin, le CPLRE
puis l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommandent au Comité des ministres
« d’examiner dans les meilleurs délais le projet » 3 ; en septembre, une grande conférence est
organisée à Cracovie (Pologne), où la décision est prise de relancer EUROMONTANA, de
l’autonomiser de la CEA et d’élargir ses compétences au-delà des questions agricoles. 4
« Féroce », car le Comité des ministres n’adopteront jamais la charte et car aucun état ne la
signera. En 1997, les promoteurs on organisé à Rodez, sous les auspices du Conseil de l’Europe,
une conférence parlementaire afin de plaider encore pour une politique paneuropéenne des régions
de montagne, sans suite majeure. Les montagnes européennes n’étaient pas une priorité et d’autres
approches, combinées avec la politique régionale de l’UE, semblaient plus prometteurs. A
l’époque, le Conseil de l’Europe était, en effet, plus intéressé par le développement de cadres
généraux pour faciliter la coopération transfrontalière, à l’instar des protocoles additionnels à la
1 Voir supra.
2 Avis 156/95 (1995), appuyé sur l’avis 59/95 de la Commission « aménagement du territoire… ».
3 Recommandations (95) 14 du CPLRE et 1274 (1995) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
4 Au fil des années, EUROMONTANA reprendra la tradition d’organiser des conférences à cadence biennale :
Ljubljana en 1998 (à la fin de la présidence slovène de la Convention alpine), Trente en 2000, Inverness (Ecosse)
en 2002, Rodez (France) en 2004, Chaves (Portugal) en 2006, Brigue (Suisse) en 2008 et Lillehammer (Norvège)
en 2010.
252

Convention de Madrid de 1995 et l’Accord de Karlsruhe de 1996 entre l’Allemagne, la France, la
Suisse et le Luxembourg. Ces instruments juridiques furent finalisés pour permettre aux
collectivités territoriales de conclure des accords de coopération transfrontalière en respectant les
compétences de politique étrangère des états centraux. Ils avaient, inter alia, le potentiel
d’inventer des nouveaux espaces comme la Regio Insubrica (l’eurorégion lancée en 1995 par le
Tessin et la Lombardie septentrionale) ou de résoudre, par analogie, de vieilles affaires comme
l’Espace Mont-Blanc.
Ces instruments, couplés avec les nouvelles initiatives en matière de politique
régionale et agricole de l’UE, pouvaient répondre à plusieurs demandes des régions de
montagnes européennes : plus d’autonomie dans le transfrontalier et plus de ressources pour
l’agriculture et la coopération. En 1990, la CEE avait lancé le programme INTERREG pour
l’encouragement et le financement de projets de coopération interrégionale ; l’année suivante,
elle avait lancé le programme LEADER pour le soutien de projets de développement rural.
Les deux programmes s’appuyaient sur les fonds FEDER (développement régional) et
FEOGA (agriculture), respectivement. Cependant, INTERREG attendra jusqu’en 1998 pour
lancer un programme pilote dans l’espace alpin (sous l’impulsion des communautés de travail
Alpe-Adria et ArgeAlp). 1 Certes, la Suisse ayant refusé d’adhérer à l’EEE en 1992 et
l’Autriche accédant à l’UE en 1995 seulement, la Commission européenne percevait
forcément les Alpes comme un territoire fragmenté, dont la gestion semblait finalement plus
aisée en l’associant, par exemple, dans le cas d’INTERREG, à d’autres régions, contrairement
à d’autres régions environnementales comme l’Océan Atlantique, la Mer Baltique, etc.
1 Avec son « Plan commun » de 1996, ArgeAlp a mis à jour celui de 1981 (supra), en produisant une nouvelle
liste de mesures souhaitables, qui reprend la Convention alpine et de la Charte européenne. En même temps, elle
réduit sa structure à des comités et réoriente ses activités autour de projets à réaliser sur la base des ressources
disponibles, y compris de financements communautaires.
253

Figure 17 : Régions identifiées en 1994 dans INTERREG II (gauche) et zones éligibles aux fonds structurels (excepté
INTERREG) dans l’Arc alpin dans la période 1994-1999 (jaune, bleu et rouge). 1
Figure 18 : Régions identifiées en 1998 pour le Programme pilote « espace alpin / Alpes orientales » (gauche) avant et
en 2000 pour le Programme « espace alpin » dans INTERREG III (droite). 1
1 La figure de gauche à été reproduite d’après l’étude préparée par LRDP (2003), «Ex post evaluation of the
INTERREG II community initiative (1994-99)», London, LRDP, p. 5, sous la commission de l’UE ; celle de
droite depuis l’étude prospective sur la région alpine par UE, Commission européenne «Etude prospective des
régions de l’arc alpin et périalpin: Europe 2000», p. vi.
254

Ces initiatives, particulièrement celles que pouvaient être reconduites à un
développement respectueux de l’environnement, ont été renforcées par le Traité d’Amsterdam
de 1997. Ce traité inclut non seulement le développement durable parmi les objectifs de l’UE
(article 3), mais il établit aussi le « principe d’intégration » de la protection de
l’environnement dans les actions de la CE (article 6). 2 La communautarisation des questions
environnementales avance. Cependant, les initiatives les plus remarquables en matière de
protection de l’environnement se déroulaient en-dehors de l’UE, avec la Convention d’Aarhus
sur l’accès à l’information de 1998 (processus « Un environnement pour l’Europe ») et le
lancement, la même année, par la Convention de Berne, du réseau Emeraude, qui étendait de
facto le réseau écologique Natura2000 au-delà de l’UE. Il est intéressant de noter que,
s’agissant des processus en dehors de l’UE, ils pouvaient intéresser tous les états alpins, y
compris la Suisse. 3
Du côté des états alpins, à cette période, plusieurs gouvernements basculent à gauche.
En 1995, les socialistes gagnent les élections fédérales suisses pour la première fois depuis les
années 70, en même temps que Moritz Leuenberger (PS), une « bête noire » de la Convention
alpine, arrive au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la
communication (DETEC), où il a régné pendant quinze ans. 4 En 1996, le centre-gauche de
Romano Prodi s’impose en Italie (pendant le semestre de la présidence de l’UE, comme dans
1 La figure de gauche à été reproduite depuis LRDP «Ex post evaluation of the INTERREG II community
initiative (1994-99)», p. 7 ; celle de droite a été réalisée par la Direction générale de la politique régionale de la
Commission européenne.
2 Voir Nele Dhondt (2003), Integration of environmental protection into other EC policies : legal theory and
practice, vol. 2, Groningen, Europa Law Pub., p. 56-57.
3 Cependant, la Suisse n’a pas encore ratifié la Convention d’Aarhus et elle n’a commencé à désigner ses sites
émeraude qu’en 2009. En 2003, dans le cadre du processus « Un environnement pour l’Europe », l’ensemble des
deux Réseaux « natura2000 » et « émeraude » formera le Réseau écologique paneuropéen.
4 A l’époque, le DETEC était simplement le Département fédéral des transports, des communications et de
l’énergie. En 1998, l’environnement, qui relevait de la compétence du Département fédéral de l’intérieur, passe
au DETEC, dont le nom prendra la forme actuelle. Leuenberger a démissionné de son poste de conseiller fédéral
en septembre 2010.
255

le cas des présidentielles françaises de l’année précédente) et signe le retour des verts au
Ministère de l’environnement dans la personne d’Edoardo Ronchi. C’étaient les années de la
« troisième voie » de Bill Clinton et Tony Blair. Après les élections législatives de 1997,
commence la cohabitation Chirac-Jospin et, en France aussi, un vert se réinstalle au Ministère
de l’environnement, avec l’arrivée de Dominique Voynet. Finalement, l’année 1998 marque la
victoire électorale du SPD en Allemagne, la formation du premier cabinet de la coalition
rouge-verte sous le leadership du social-démocrate Gerhard Schröder (chancelier) et du vert
Joschka Fischer (ministre des affaires étrangères) et donc la fin du règne Köhl à Bonn. En
Allemagne aussi, un vert s’installe au Ministère de l’environnement en la personne de Jürgen
Trittin.
Voynet, Ronchi, Trittin : trois verts à l’environnement en France, en Italie et en
Allemagne. Puis, 1995, 1996, 1998, 1999 : quatre semestres de présidences « alpines » de
l’UE : la France, l’Italie, l’Autriche (pour la première fois) et l’Allemagne. On pourrait
s’attendre à des effets majeurs sur la Convention alpine. Or, s’il en y a eu, ils n’ont pas été du
tout visibles. Seule exception, la ratification de la convention-cadre par la CE en 1996, qui a
eu lieu sous la présidence italienne, mais qui avait plus à voir avec l’unité affichée par les
états membres à Chambéry, qu’avec la présidence elle-même. 1 A l’issue des deux années
passées à la tête de la présidence sans avoir réussi à ratifier la convention, pour la France, la
situation se débloque quelque mois avant la ratification par la CE. Etablissant un précédent
significatif, elle émet une déclaration unilatérale, qui « interprète » les dispositions les plus
« restrictives » de la convention dans le sens d’un « équilibre stable et à long terme entre
protection et développement », qui considère qu’aucune modification du dispositif législatif
français existant n’est nécessaire, qui rassure les collectivités territoriales que leurs
compétences seront respectées (et l’AEM et le FIANET qu’elles seront associées à la
négociation des protocoles), en les mettant en garde des prérogatives du gouvernement
1 Décision 96/191/CE (1996).
256

central, et qui formule une réserve fumeuse selon laquelle « les différentes mesures
d’application de la convention devront être mises en œuvre sur des territoires appropriés eu
égard à la nature de celle-ci ». Une telle formulation laisse une telle marge de manœuvre pour
la définition des « territoires appropriés » et de la « nature de la convention », qu’il est
légitime de se demander si cette déclaration ne représente pas une réserve incompatible avec
l’objet ou le but du traité. 1
En Suisse, la situation commence à se débloquer aussi. A Paris et à Chambéry, la
confiance entre le gouvernement fédéral et les cantons avait été rétablie. Selon Stefan Brem et
Stefano Bruno, en respectant la position des collectivités territoriales, Berne avait jeté les
bases pour un accord. 2 En août 1995, lors du « Sommet » alpin d’Arosa entre le gouvernement
fédéral et les cantons, ils prennent conscience que les dispositions de la convention
« correspondent dans une large mesure au droit suisse actuellement en vigueur », qu’« aucune
révision des lois concernées ne sera donc nécessaire » et que « dans certains cas, des
déclarations interprétatives peuvent être faites lors de la ratification des protocoles ». 3
Finalement, la protection de l’environnement était importante pour eux aussi et ceci n’était
qu’un geste de bon voisinage. L’année suivante, une nouvelle loi pour aider les
investissements dans les régions de montagne est approuvée, en soulageant le lobby fort des
cantons alpins, même si la loi fédérale s’étend aussi aux cantons jurassiens. 4 Or, il faudra
attendre jusqu’en septembre 1997 pour que le conseil fédéral s’adresse au parlement et
1 Voir les articles 2, paragraphe 1, alinéa d), et 19-23 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités ;
voir aussi supra.
2 Voir Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game», p. 34 ; voir
aussi le message du Conseil fédéral au Parlement du 10 septembre 1997 (FF 1997 IV 581, pp. 589-592).
3 Citation extraite de la Déclaration finale du Sommet alpin d’Arosa de 1995.
4 Loi fédérale du 21 mars 1997 (LIM). Les cantons suisses à l’intérieur du périmètre de la Convention alpine sont
les suivants : Appenzell Rhodes-Intérieures et Extérieures, Berne, Fribourg, Glaris, Grisons, Lucerne, Nidwald,
Obwald, Saint-Gall, Schwyz, Tessin, Uri, Vaud et Valais. Il faut noter que la définition du périmètre est faite au
niveau communal et que les grandes villes de Genève, Berne, Fribourg et Saint-Gall (puis, bien sûr, Lausanne,
Bienne, Bâle, Zurich et Winterthur) ne rentrent pas dans la définition, à l’exception de Lucerne.
257

jusqu’en décembre 1998 pour que le débat parlementaire s’achève et que la décision de
ratifier la convention-cadre soit formalisée. Pour l’Italie, la seule nouvelle à signaler est la
création en 1997 d’un Institut national sur la montagne (INRM), qui n’aura pas d’impact
véritable sur la Convention alpine. 1 Sinon, en 1996, Rome n’avait pas encore lancé le
processus de ratification de la convention-cadre. Au-delà de la lenteur chronique du système
parlementaire, la Convention alpine n’avait pas l’air d’être une priorité à Rome. Pourquoi être
pressé si même la Suisse n’avait pas encore ratifié ? Certes, la CIPRA n’était pas du même
avis.
Dans ce contexte, la Convention alpine entre en vigueur le 6 mars 1995. La CIPRA en
profitera pour élargir ainsi son secrétariat et pour inciter les clubs alpins des états membres à
se fédérer dans le Club arc alpin (CAA). 2 Il fallait renforcer les capacités pour accompagner le
processus. Les négociations des protocoles sont menées tranquillement, à l’exception du
Protocole « transports ». En juillet 1995, la présidence allemande du groupe homonyme, en
ayant « doublé les efforts » depuis la Conférence de Chambéry, déclarait avoir terminé le
travail technique, mais faisait état de l’absence d’un accord sur la mesure « phare » du projet,
à savoir l’interdiction stratégique de nouvelles routes de transit de grande capacité. Si pour la
Suisse le problème avait été résolu par le passage, en juillet 1994, d’une loi qui empêchait la
construction de nouvelles routes de transit à travers les Alpes, la question restait ouverte entre
l’Autriche, d’un côté, qui était un pays « traversé » et qui imposait son véto à la mesure, et
1 L’INRM (Istituto nazionale per la ricerca scientifica e tecnologica sulla montagna) a été transformé en IMONT
(Istituto nazionale della montagna) en 2002, à l’occasion de l’AIM. Redimensionné en EIM (Ente italiano della
montagna) par la Loi financière de 2006, il a été supprimé par celle de 2010. Par souci de complétude du
panorama scientifique de l’époque, l’Association internationale pour l’histoire des Alpes (AISA) est créée par
des historiens du calibre de Jon Mathieu et Luigi Zanzi en 1995, à Lucerne. En 2000, elle s’appuiera notamment
sur le Laboratoire d’histoire des Alpes (LabiSAlp) de l’Univerisité de la Suisse Italienne (USI) à Lugano. Elle
organise des congrès biennales, en publiant la revue annuelle Histoire des Alpes. Voir René Favier (1996),
«L’association internationale pour l’histoire des Alpes», Cahiers d’histoire, vol. 41, n. 2.
2 Le CAA a été lancé en 1995 à Schaan (Liechtenstein). Depuis 2006, il est devenu une association de droit
allemand.
258

l’Allemagne et l’Italie, de l’autre, qui étaient souvent à l’origine des marchandises qui
traversaient les Alpes et qui réclamaient un vote à la majorité. 1 Les ONG écologistes les
incitaient à ne pas céder à la pression autrichienne. La question des nouvelles routes de grande
capacité était désormais une question de principe. Théoriquement, l’Allemagne et l’Italie
auraient pu porter la question à l’attention du Conseil des ministres de l’UE (l’organe qui
réunit les ministres des transports), mais les transports nécessitaient un vote à l’unanimité, ce
qui empêchait donc la Commission européenne de s’exprimer sur le protocole, l’Autriche
étant un état membre. Cette situation confirmait qu’on ne pouvait pas compter sans la
participation de l’Autriche. Elle soulignait aussi une limite importante à la participation de la
Commission aux travaux de la convention.
En proposant une approche non juridique à la mise en œuvre de la convention, en
octobre 1995, la présidence slovène lance, lors d’une grande conférence à Gap, un Réseau
alpin des espaces protégés (ALPARC). Ce réseau sera fortement soutenu par la France, qui
assurera le financement de base du réseau. Le Parc national des Ecrins mettra à disposition
une équipe de coordination de cinq unités de personnel. L’Allemagne soutiendra, elle aussi, le
développement d’ALPARC, vu les caractéristiques de son territoire alpin et l’héritage de la
présidence allemande du groupe de travail qui a élaboré le Protocole « protection de la
nature ». Ce réseau jouera un rôle significatif dans la prise de conscience des objectifs de la
convention par les acteurs territoriaux et dans sa mise en œuvre. 2 Entre-temps, sous
présidence respectivement autrichienne et française, la négociation des Protocoles « forêts de
1 Sur la Suisse, voir le message du Conseil fédéral au Parlement du 10 septembre 1997 (FF 1997 IV 581, p. 593),
ainsi que la Loi fédérale du 17 juin 1994 (LTRA).
2 Sur ALPARC, voir les articles par son directeur historique Guido Plassmann et al., éd. (1995), Les aires
protégées de l’arc alpin: un panorama, Grenoble, Institut de géographie alpine, et, plus récemment, par Cristina
Del Biaggio (2009), «L’institutionnalisation de la région alpine à travers l’étude de deux réseaux pan-alpins
(Alliance dans les Alpes et Alparc)», Revue de géographie alpine, vol. 97, n. 2 ; voir aussi le numéro spécial
Institut de géographie alpine, éd. (2002), Espaces protégés, espaces de recherche: le cas de l’Arc Alpin, Revue
de géographie alpine, vol. 90, n. 2, Grenoble, IGA.
259

montagne » et « tourisme » était pratiquement terminée. Deux ans étant passés depuis
Chambéry, la présidence slovène estimait donc que le moment de convoquer une quatrième
réunion de la Conférence alpine était arrivé. Comme la fois précédente, les suisses du SCNAT
organisent à la veille de la conférence ministérielle un deuxième ForumAlpinum, focalisé
cette fois-ci autour du thème de l’un des protocoles en cours de négociation : l’usage des sols. 1
Toujours soutenue par la CIPRA, cette kermesse attirera des participants de presque tous les
états alpins.
La quatrième Conférence alpine se réunit le 20 septembre 1996 à Brdo (Slovénie) sans
grande fanfare. 2 Crise de la convention ? A écouter la présidence slovène et les Allemands, le
mot semblait à l’ordre du jour. Mais quelle crise ? Bien sûr, l’échéance de 1992 pour sceller
les protocoles avait été ratée. Le marché commun européen était en vigueur et la catastrophe
annoncée n’était pas à l’horizon. Les Alpes étaient toujours là et les populations alpines ne se
portaient pas trop mal du point de vue social et économique. Trois protocoles avaient été
adoptés et cela était déjà beaucoup, au moins si comparaison était faite avec les autres
conventions sur l’environnement, qui négocient difficilement plus d’un ou deux protocole à la
1 Sur le ForumAlpinum, voir supra ; les actes de tous les ForumAlpinum ont été publiés par l’institution
organisatrice : le SCNAT, éd., Plan d’action “recherche alpine”, ForumAlpinum 94; Institut de géographie
alpine, éd. (1996), Nouvelles modalités d’utilisation de l’espace alpin, ForumAlpinum 96, Revue de géographie
alpine, supplément n. 4, Grenoble, IGA; BaDW, éd. (1998), Les forces du changement dans l’Arc alpin: leçons
du 20ème siècle, ForumAlpinum 98, Garmisch-Partenkirchen - Müchen, Bayerische Akademie der
Wissenschaften; INRM, éd. (2001), Les Alpes: espace de transit, espace de vie, ForumAlpinum 2000, Torino,
Centro Documentazione Alpina; ÖAW, éd. (2002), The nature of the Alps, ForumAlpinum 2002, Wien,
Österreichische Akademie der Wissenschaften; Anton Brancelj et al., éd. (2004), The Alps of the next
generation: from forecast to action, ForumAlpinum/Alpweek 2004, Wien, Österreichische Akademie der
Wissenschaften; Heinz Veit et al., éd. (2007), Landscape development in mountain regions, Proceedings of the
ForumAlpinum 2007, Vienna, Austrian Academy of Sciences Press. Le BaDW est l’Académie des sciences
bavaroise et l’ÖAW est l’Académie des sciences autrichienne.
2 D’un point de vue formel, le procès-verbal de la Conférence de Brdo représente un hybride entre un compte-
rendu des discussions (comme auparavant) et un procès-verbal des décisions (comme après). Cette évolution
rend plus difficile la reconstruction des débats. Cependant, le processus devient de moins en moins politique et
les débats se font de plus en plus techniques.
260

fois. Même avec les présidences faisant fonction de secrétariat tournant, la Convention alpine
en négociait cinq en même temps ! Compte tenu des objectifs ambitieux et de ses institutions
minimalistes, la convention se portait bien. Même la CIPRA, qui utilisait le mot « crise » à
Chambéry, préfère se montrer, avec l’UICN, « préoccupée », voire révéler son « espoir ». Elle
présente aux ministres un Plan d’action pour la mise en œuvre de la convention plus modeste,
mais concret : logo, marque de qualité alpine, « livre blanc » de bonnes pratiques et « liste
noire » des mauvaises (par les ONG), service d’expertise pour un examen de compatibilité
avec la convention (par les états), une série de mesures plus typiquement écologistes (soutien
des produits locaux et du bois, réduction de la circulation automobile, extension des espaces
protégés, « libre circulation » de l’ours, du lynx et du loup, sauvegarde des races autochtones),
mais aussi une série de propositions (projets pilote de développement, fond public et
fondation privée pour les Alpes) pour financer des projets conjoints.
Les propositions de la CIPRA n’auront pas de suite véritable, à l’exception du logo qui
sera repris par la présidence slovène. 1 Par contre, ce qui sera retenu est le mot d’ordre de
mettre en œuvre ce que la convention a déjà produit avant de mettre en chantier des nouvelles
initiatives. Le Liechtenstein a donc proposé un moratoire à l’élaboration de nouveaux
protocoles, ce qui sera secondé notamment par la France et par la Suisse. La négociation était
compliquée et prenait du temps (leur adoption en bloc à partir de l’existant avait été de facto
écartée). Puis, il fallait les ratifier, les faire connaître, les appliquer concrètement, veiller à leur
respect, les mettre éventuellement à jour : bref, le travail était énorme et les résultats
incertains. Pour donner un coup de main au processus, l’Autriche a présenté un document
articulé pour la création d’un secrétariat permanent. 2 Accueilli avec enthousiasme par la
CIPRA, cette initiative se heurte au réalisme allemand et liechtensteinois, qui jugent qu’avec
1 Document IV/6 (1996). Ensuite, la présidence slovène a développé une image visuelle, qui a été adoptée par la
conférence suivante en 1998 (Décision V/11 et annexe).
2 Décision IV/6.3 (1996).
261

toutes ces questions ouvertes, la création d’un secrétariat aurait pris trop de ressources : il
fallait quand même s’accorder sur les attributions, élaborer le statut, choisir le siège,
sélectionner le personnel, etc. Bref, l’initiative était bonne, mais le moment ne l’était pas. Sur
le Protocole « transports », la question des nouvelles routes de grande capacité restait
ouverte. 1 L’Allemagne, qui présidait le groupe de travail en charge des négociations, proposait
de prévoir, en même temps, des dérogations à l’interdiction dans des cas exceptionnels et une
procédure de solution des controverses sur le modèle de la Convention d’Espoo sur
l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontalier. La convention-
cadre ne le prévoyait pas. L’Autriche appréciait les propositions de compromis allemandes.
Elle soulignait, toutefois, que ce n’était pas une question procédurale, sinon qu’il fallait
rechercher un consensus politique. Elle invitait donc les ministres compétents à Vienne pour
une réunion extraordinaire.
Pour le tourisme, le protocole semblait finalisé, quand une modification de la dernière
minute a été négociée sur l’enneigement artificiel, qui peut maintenant être autorisé « si les
conditions hydrologiques, climatiques et écologiques le permettent. 2 L’Allemagne, la CIPRA
et l’UICN crient au scandale, mais il était impératif de prendre en compte le tourisme
hivernal. Le protocole a donc été approuvé par la conférence, mais il n’a pas pu être ouvert à
la signature à cause de cette modification substantielle. Par contre, toujours sans grande
fanfare, l’autre protocole qui avait été complété, celui sur les forêts de montagne, a été signé à
l’occasion de la Conférence de Brdo, bien que l’Autriche, la Suisse et le Liechtenstein
continuassent à s’abstenir avant que les négociations sur le Protocole « transports » ou la
procédure de ratification aient été achevées. Les négociations du Protocole « protection des
sols » étaient presque terminées. 3 Seul le Groupe « énergie », sous présidence italienne,
1 Décision IV/5.2.1 (1996).
2 Décision IV/5.2.2 (1996).
3 Décision IV/5.2.3 (1996).
262

n’avait pas encore produit de texte. Pour le SOIA, l’Italie présente un projet de mandat, qui
formalise la structure déjà mise en place (unité de coordination du CCR de la Commission
européenne, système de centres de communication nationaux, groupe de travail) et qui permet
de procéder avec les projets en cours : définition d’indicateurs environnementaux et socio-
économiques, développement d’un système cartographique, compilation de sources de
données, développement d’un système d’information et d’une plateforme internet. 1 Le
règlement de la Conférence alpine a aussi été adopté, en déléguant la décision sur l’admission
des observateurs au Comité permanent. 2 Concernant la présidence tournante, les deux pays à
ne pas l’avoir encore assumée étaient l’Italie et la Suisse. Ces dernières n’ayant pas encore
ratifié la convention, la décision fut prise de maintenir la convention sous présidence slovène
pour une autre biennie.
1 Document IV/5.3/7 (1996) ; voir aussi supra.
2 Décision IV/4/1 (1996). Le Règlement du Comité permanent, développé lui aussi sous présidence slovène,
établit les critères suivants pour leur admissibilité : contribution aux travaux de la Convention alpine (en italien :
enti attuatori), activités dans tout l’espace alpin (pas de localisme), siège dans l’espace alpin et structures
permanentes et défense d’« un intérêt qui ne soit pas déjà suffisamment représenté par d’autres organisations »
(pas de concurrence).
263

Protocole « forêts de montagne » (1996)
Ce protocole reconnaît le rôle de protection contre les risques naturels constitué par les forêts de montagne, qui
sont également une source de matières premières renouvelables et ont une fonction récréative croissante. Son
objectif est la conservation de la forêt de montagne et son extension si nécessaire : la réduction des polluants
atmosphériques impliqués dans les pluies acides, l’harmonisation nécessaire des décisions de régulation du grand
gibier et la réduction, voire l’interdiction, du pâturage en forêt ont un impact certain sur la conservation des
forêts de montagne. Le principe de l’association des collectivités territoriales directement concernées est énoncé,
ainsi que celui de l’exécution d’évaluations et d’autres initiatives communes sur la politique forestière.
Parmi les mesures spécifiques figurent d’autres objectifs généraux déclinés selon les différentes fonctions
(protection, production, rôle écologique et social). La fonction de protection est prioritaire et doit prévoir des
projets d’entretien ou d’amélioration (article 6). Le protocole met en exergue la nécessité d’une
planification, notamment en ce qui concerne la création d’infrastructures. Il prévoit la possibilité d’aides pour
compenser financièrement les contraintes induites par les fonctions forestières (article 11) et la délimitation
suffisante de réserves de forêt naturelle. Les projets de recherche et de formation dans le domaine forestier sont
encouragés, ainsi que l’intégration des résultats nationaux dans un système commun accessible au public. Le
protocole prévoit un dispositif de contrôle du respect des obligations et l’évaluation en commun de son
efficacité.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour les articles 6 et 11, qui pourraient
donner aussi lieu à une application directe, la valeur du protocole est plus politique que juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
L’année suivante, ALPARC commence à faire école. A Brdo, la CIPRA, qui avait déjà
obtenu un financement de l’UE à cet égard, avance l’idée d’un réseau de communes, qui
prendra le nom d’« Alliance dans les Alpes » (AdA) et qui sera couplée avec l’initiative
« Ville des Alpes de l’année ». Internet commence à se banaliser. Le réseau séduit par son
agilité et sa spontanéité apparente. Bref, c’est la fin des comités, commissions et similia.
L’objectif de la CIPRA, qui devient « animatrice » de réseaux, était de faire connaître la
Convention alpine sous un nouvel angle et de recruter des acteurs sur le territoire pour la mise
en œuvre de ses principes. Mais, comme l’a montré Cristina Del Biaggio, l’impact d’AdA a
été plutôt limité, avec une faible adhésion de la part des communes (moins de 2% en 2010) et
un double discours : d’un côté, les communes participent à AdA pour l’intérêt qu’elles portent
à la Convention alpine et au « développement durable », de l’autre pour avoir plus de poids au
264

niveau politique. 1 AdA sera lancée en 1997 à Bovec (Slovénie), tandis que la première localité
à être reconnue comme ville alpine de l’année est Villach (Autriche). Au fil des années, les
villes alpines de l’année constitueront elles-mêmes leur propre « réseau », toujours sous
l’impulsion de la CIPRA. 2 Il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’initiatives complètement
super partes. Par exemple, le jury de l’initiative « villes alpines de l’année » est composé d’un
représentant de la CIPRA, d’un deuxième de l’AdA (lancée par la CIPRA) et d’un troisième
de l’association Pro Vita Alpina (amie de la CIPRA). Bref, ces « réseaux » contribuent bien
sûr à faire mieux connaître la convention. Or, ils représentent aussi une occasion pour la
CIPRA d’être plus présente au niveau local et pour faire avancer ses principes
environnementalistes.
En même temps, la CIPRA produit son premier « rapport sur l’état des Alpes ».
C’était, par ailleurs, l’un des objectifs du SOIA. 3 Rapports sur l’environnement, réseaux de
parcs, de communes et de villes : face aux blocages de la convention (ratification, protocoles,
etc.), la CIPRA commençait à faire ce que les parties ne faisaient pas ou ce qu’elles prenaient
du temps à faire. Cette approche est certes louable, mais elle n’était pas dépourvue de
risques. N’ayant plus une composition intergouvernementale, la CIPRA ne pouvait pas
vérifier si ses initiatives étaient partagées par toutes les parties. Elle risquait constamment que
ses positions soient démenties par les états et ignorées par la convention. Certes, la CIPRA
aurait pu soumettre ses projets à l’approbation des parties avant de les démarrer, mais ses
1 Lire l’article Del Biaggio, «L’institutionnalisation de la région alpine à travers l’étude de deux réseaux pan-
alpins (Alliance dans les Alpes et Alparc)». Il faut signaler que l’adhésion à l’AdA est payante (en 2010 : entre
300 et 2 300 euros).
2 L’association « Ville des Alpes de l’année » est actuellement composée des villes suivantes : Villach (Autriche)
depuis 1997, Belluno (Italie) depuis 1999, Maribor (Slovénie) depuis 2000, Bad Reichenhall (Allemagne) depuis
2001, Gap (France) depuis 2002, Herisau (Suisse) depuis 2003, Trente (Italie) depuis 2004, Sonthofen
(Allemagne) depuis 2005, Chambéry (France) depuis 2006, Sondrio (Italie) depuis 2007, Brigue-Glis (Suisse)
depuis 2008, Bolzano (Italie) en 2009, Bad Aussee (Autriche) en 2010, Idrija (Slovénie) en 2011.
3 Voir CIPRA (1998), «1 er rapport sur l’état des Alpes: données, faits, problèmes, esquisses de solutions», Aix-
en-Provence, Édisud.
265

positions environnementalistes étaient désormais connues et, même avec trois ministres de
l’environnement des verts, elles risquaient de ne pas être partagées.
En mars 1998, lors d’une réunion d’un groupe d’experts sur l’environnement et les
transports au niveau technique à Vienne, les négociations sur le Protocole « transports »
reprennent après presque trois ans de blocage, la réunion au niveau politique proposée à Brdo
n’ayant jamais eu lieu. Pour des raisons budgétaires, l’Autriche avait finalement introduit une
vignette, qui rapprochait sa politique routière à celle de la Suisse. A Bruxelles, les
négociations pour une nouvelle directive « eurovignette » étaient encore en cours 1 et
l’Allemagne, qui détenait encore la présidence du groupe de travail, était visiblement irritée
par le blocage des négociations et préoccupée pour ces coûts qui allaient empiéter sur ses
exportations. De façon inhabituelle et courageuse, le Liechtenstein se propose comme
médiateur. Finalement, le groupe décide de créer un nouveau groupe de travail sous
présidence liechtensteinoise. Ce groupe sera chargé de refaire la copie du projet. 2 Pour ne
faire de tort à personne, la décision est prise de créer deux groupes de travail ad hoc 3
ultérieurs : un Groupe Ŕ sous présidence allemande Ŕ pour l’élaboration d’une « procédure de
consultation et de règlement des litiges » (pour l’interprétation, par exemple, des règles
procédurales ou encore de provisions controversées, à l’instar de celle sur les nouvelles routes
à grand débit) et un autre Groupe Ŕ sous présidence autrichienne Ŕ sur les « objectifs de
qualité de l’environnement » (pour évaluer tout particulièrement la situation des transports). 4
1 Voir supra.
2 Décision V/8.3 (1998).
3 Articles 14 et 15 du Règlement du Comité permanent. La différence entre « groupes de travail ad hoc » et
« groupes de travail » tout court est que les derniers peuvent être créés par la Conférence alpine (généralement,
pour l’application de la convention) ou par le Comité permanent (plus spécifiquement, pour l’élaboration des
protocoles et pour la préparation des résolutions de la conférence), tandis que les premiers sont formés
uniquement par le Comité permanent pour des « travaux spécifiques » (voire techniques).
4 Décisions V/6.2 et V/6.3 (1998).
266

L’Autriche changera son attitude par rapport au protocole, ayant trouvé une façon de réduire
et de rentabiliser le trafic de traversée.
La cinquième Conférence alpine est convoquée le 16 octobre 1998 à Bled (Slovénie).
Elle sera précédée de quelques semaines, comme d’habitude, par le troisième ForumAlpinum,
qui a lieu à Garmisch-Partenkirchen (Allemagne), mais qui évolue d’une manière de plus en
plus indépendante. Bien que, à quatre ans de Chambéry, aucun pays n’ait ratifié aucun
protocole, trois nouveaux protocoles sont prêts à être signés : « tourisme » (qui était prêt
depuis 1996), « énergie » (qui avait été négocié très rapidement sous présidence italienne) et
« protection des sols » (qui était stratégique, vu la question de l’érosion et des avalanches).
Pour faciliter leur processus de ratification et la mise en œuvre, les ministres encouragent à
installer des groupes de travail spécifiques, même avant l’entrée en vigueur des protocoles. 1
Mais pour quoi faire ? L’utilité des groupes à cet égard étant douteuse, ils resteront souvent
lettre morte. 2 En 1998, le SOIA traversait une phase critique. La mise en œuvre des projets
pilotes était empêchée par ce qui semblerait être une dispute avec la Commission européenne,
qui commençait à s’éloigner de la convention. L’unité de coordination à Ispra coûtait à l’Italie
environ six millions de francs par an. 3 Les ministres chargent donc le Comité permanent de
suivre de près la question avec la Commission et les travaux du groupe.
Entre-temps, le Comité permanent n’a pas su trouver un accord sur la question du
secrétariat. 4 Le débat oscillait entre opportunité du choix (dimension institutionnelle, moment
1 Décision V/6.4.2 (1998).
2 A l’exception du Protocole « transports », bien que le groupe que sera proposé en 2000 ne s’intéressera
qu’indirectement aux provisions du protocole. Autour du Protocole « forêts de montagne », les parties lanceront
une série de réunions internationales, mais sans conséquence majeure. Sur les politiques forestières des pays
alpins, voir la thèse de Nathalie Subotsch (1999), «Comparaison des politiques de gestion des forêts à rôle de
protection dans les pays alpins, signataires de la Convention alpine: étude comparée de cinq pays alpins»,
Université de Grenoble 1 - Joseph Fourier.
3 Ce chiffre peut être déduit de l’article 5, alinéa a), du Projet de loi du 18 mars 1997, n. 2242 (13 e législature).
4 Décision V/10 (1998).
267

politique, etc.) et choix du siège, des candidatures spontanées étant parvenues de la part de
certaines villes. Les ministres demandent donc qu’un rapport permettant de trancher
(fonctions, coûts, etc.) et dessinant une procédure (siège, financement, etc.) soit rédigé. La
Suisse, qui préparera ce texte, assumera la présidence tournante de la convention pour la
biennie suivante. En effet, la confédération sera au centre de tous les espoirs. Après un long
débat entre les niveaux fédéral et cantonal, elle s’apprête à ratifier formellement la
convention. A Bled, elle signe, avec le Liechtenstein, tous les protocoles à l’exception du
Protocole « énergie » : la France retardera elle aussi la signature de ce protocole afin de
vérifier Ŕ on peut supposer Ŕ qu’aucun compromis avec sa politique énergétique, notamment
dans le domaine nucléaire, ne soit prévu. L’Autriche, de son côté, maintenait, par contre, sa
ligne de conduite : refuser de signer avant que les négociations du Protocole « transports » ne
soient achevés. L’Italie, par contre, qui était la seule à ne pas avoir ratifié la convention-cadre,
se retrouvait aussi dans la situation bizarre de ne pas être dans les conditions de signer les
Protocoles « tourisme » (même s’il avait été finalisé deux ans auparavant) et « énergie » (bien
qu’elle ait présidé sa négociation). En effet, dans le cadre du processus de décentralisation,
Rome était désormais censée rechercher l’accord (en italien : intesa) avec les régions et ceci
prenait du temps, un peu comme dans le cas suisse. 1 De plus, la question énergétique était
particulièrement délicate, vu que le pays dépendait énormément de l’importation d’électricité
des pays voisins, notamment la France, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie, vu que le pays
avait choisi, après Tchernobyl, la voie de la dénucléarisation et vu aussi que les Alpes
italiennes étaient entourées des centrales françaises, suisses et slovènes. 2 L’Italie demandait
donc aux autres de patienter aussi. La CE, par ailleurs, avec deux états membres qui n’étaient
pas prêts à signer, se trouvait obligée de s’abstenir. Finalement, pour ce qui concerne la
Charte européenne des régions de montagne, qui prenait les allures d’une « Convention
1 Dans le cadre, entre 1997 et 1999, de la « Conférence unifiée » (état, régions, provinces, communes et comunità
montane).
2 Voir supra.
268

européenne », les ministres prirent une décision importante, qui marquera de facto le début de
la fin du projet. Dans le souci d’éviter des incompatibilités éventuelles du côté juridique, ils
déclarèrent que la Convention alpine devait être considérée comme une lex specialis par
rapport à cette charte ou projet de convention européenne, à savoir comme supérieure, parce
que plus précise, dans la hiérarchie des sources du droit international. 1 Les ministres se
déclarent aussi prêts à défendre cette position au sein du Conseil de l’Europe.
La biennie de présidence de la Slovénie s’achève avec des résultats importants (quatre
protocoles, deux nouveaux groupes, etc.), notamment pour ce qui concerne la normalisation
des travaux et des procédures. Dans cette perspective, l’élaboration des règlements de la
Conférence alpine et du Comité permanent a été précieuse. La Slovénie portait un grand
intérêt pour la Convention alpine. Son ministère de l’environnement avait même publié une
première monographie sur la convention (en anglais). 2 A l’époque où Ljubljana se tournait
vers l’ouest, la Convention alpine devenait un instrument de politique étrangère pour se
rapprocher de l’occident. Avec le début des négociations pour son adhésion à l’UE en
novembre 1998, la convention perd progressivement son importance (vis-à-vis de Bruxelles,
de Paris, etc.), bien que la Slovénie reste un pays alpin. C’est dans ce contexte que la
présidence passe donc à Berne.
1 Sur ce sujet, voir l’abondante littérature en droit international.
2 Voir Vesna Kolar-Planinsic, éd. (1998), The Alpine Convention in Slovenia, Ljubljana, Ministry of the
Environment and Physical Planning. Voir aussi la contribution de Senko Plicancic (2002), «Implementation of
the Alpine Convention in Slovenia», dans International law and the protection of mountain areas, édité par
Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, sur la mise en œuvre de la convention en Slovénie.
269

Protocole « tourisme » (1998)
Ce protocole insiste sur la nécessité de la tendance récente à une meilleure harmonisation entre tourisme et
environnement, sans affaiblir le potentiel des Alpes face à leurs principaux concurrents. Son objectif du
protocole est de contribuer à un développement durable des Alpes par un tourisme respectueux de
l’environnement. Les parties facilitent la coopération internationale entre les collectivités territoriales, qui sont
associées dans la mise en œuvre du protocole, et considèrent les politiques définies dans les protocoles comme
interdépendantes.
Ses mesures spécifiques représentent des orientations très générales : capacités d’hébergement, équipements
sportifs, moyens de transport, toutes axées sur l’optimisation de l’existant, les transports collectifs et l’intégration
des stations dans le paysage. L’équilibre entre tourisme intensif et extensif doit être assuré (article 6). Parmi
les dispositions plus contraignantes : obligation d’évaluation préalable de projets de développement touristique
susceptibles d’avoir un impact notable sur l’environnement, engagement à délimiter des « zones de
tranquillité » prives d’aménagement touristique, autorisations pour des nouvelles remontées mécaniques
assujetties à l’enlèvement de celles hors d’usage (article 12) et à la renaturalisation des surfaces inutilisées,
utilisation de techniques particulières pour les pistes et l’enneigement artificiel ou la possibilité d’interdire des
pratiques sportives de plein air incompatibles avec la préservation de l’environnement (article 15). Le
protocole suggère aussi des instruments incitatifs comme des concours alpins pour l’innovation touristique. Les
parties promeuvent la recherche innovante et le transfert d’expériences et elles informent le public. Le protocole
prévoit un dispositif de contrôle du respect des obligations et l’évaluation en commun de son efficacité.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour l’article 12, qui pourrait donner
lieu aussi à une application directe et l’article 6 qui a été interprété d’une telle façon, la valeur du protocole est
plus politique que juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
270

Protocole « énergie » (1998)
Ce protocole souligne notamment la sensibilité environnementale des Alpes en ce qui concerne les activités de
production, de transport et d’emploi de l’énergie. Son objectif est la création de conditions-cadre ainsi que
l’adoption de mesures tendant à réaliser une situation énergétique de développement durable dans le massif
alpin. Ses recommandations détaillées appellent notamment les parties à harmoniser leur planification
énergétique avec leur plan d’aménagement général des Alpes, à adapter leurs infrastructures énergétiques aux
besoins de protection de l’environnement, à évaluer l’impact sur l’environnement de projets de construction de
grandes infrastructures énergétiques. Les parties sont invitées à respecter ces principes dans les autres accords en
vigueur, en déclarant l’interdépendance de tous les protocoles sectoriels. Les parties associent les collectivités
territoriales dans la mise en œuvre et se concertent sur tous les projets pouvant avoir des effets transfrontaliers.
Les dispositions spécifiques insistent sur l’obligation d’adopter un large éventail de mesures (portant notamment
sur l’amélioration de l’isolation des bâtiments et l’optimisation des rendements des installations de chauffage)
visant à la réalisation d’économies d’énergies ainsi qu’à leur utilisation rationnelle. Le protocole recommande
aussi des mesures par sous-secteur (énergie hydroélectrique, énergie à partir de combustibles fossiles, énergie
nucléaire, transport et distribution d’énergie) portant, d’une part, sur la nécessité d’optimiser l’utilisation des
installations existantes avant d’envisager des constructions nouvelles et, de l’autre, sur l’harmonisation, voire la
connexion, des systèmes nationaux de contrôle des émissions ainsi que de surveillance de la radioactivité,
s’agissant de l’énergie nucléaire.
L’évaluation préalable de l’impact sur l’environnement de tout projet d’installation énergétique ou de toute
modification substantielle de celle-ci s’impose aux parties, qui sont aussi invitées à développer et à harmoniser
leurs instruments d’analyse des impacts sur l’environnement, ainsi qu’à veiller à ce que les résultats nationaux
soient intégrés dans un système commun, accessible au public. Le protocole prévoit un dispositif de contrôle et
d’évaluation du respect des obligations.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. La valeur du protocole est essentiellement
politique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
271

Protocole « protection des sols » (1998)
Ce protocole insiste sur la lente reconstitution et régénération des sols endommagés, qui peuvent être une source
d’apports de polluants dans les écosystèmes avoisinants. En conséquence, les modes de production agricoles et
sylvicoles doivent ménager les sols et freiner l’érosion. Son objectif est la réduction des atteintes d’ordre
quantitatif et qualitatif causées aux sols, en recherchant une utilisation des sols adaptée au lieu, économe en
surfaces, préventive d’érosions ainsi que minimisant la pollution. Les parties s’engagent à prendre les mesures
nécessaires, considèrent les politiques définies dans les protocoles comme interdépendantes et associent les
collectivités territoriales dans la mise en œuvre du protocole, en facilitant leur coopération internationale.
Ses mesures spécifiques comportent des délimitations de zones, dont des zones à risques et des zones menacées
d’érosion, vis-à-vis desquelles les Parties contractantes ont convenu d’effectuer une tâche d’inventaire
(cartographie) et de s’inspirer des recommandations du protocole concernant leur utilisation. Le protocole
prévoit l’obligation de préserver les tourbières (article 9), ainsi que celle de protéger les terres de l’érosion et
des effets négatifs de certaines pratiques agricoles en travaillant à la définition de pratiques communes,
techniquement adaptées aux contraintes propres au milieu alpin. S’y ajoute le devoir d’inventorier les sites
anciennement pollués et de prendre les mesures qui s’imposent pour éviter la contamination des sols par les
déchets. En outre, les parties sont incitées à assurer une utilisation économe et précautionneuse des sols, qu’il
s’agisse d’urbanisation, de construction d’infrastructures, d’exploitation du sous-sol ou d’implantation
d’infrastructures touristiques (article 14). Les parties encouragent aussi les actions de recherche et portent une
attention particulière aux évaluations de vulnérabilité des sols. La mise en place de dispositifs d’information
(inventaire de l’état des sols de l’espace alpin effectué selon des critères et des méthodes harmonisés) et
d’observation (création de placettes d’observation permanente, en les intégrant dans un réseau transalpin
d’observation des sols) y est prévue, les résultats nationaux devant être intégrés dans un système commun,
accessible au public. Le protocole prévoit un dispositif de contrôle du respect des obligations et l’évaluation en
commun de son efficacité.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour les articles 9 et 14, qui pourrait
donner lieu aussi à une application directe, la valeur du protocole est plus politique que juridique, bien que moins
des autres.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
Présidence suisse et Conférence de Lucerne (1998-2000)
La biennie de présidence suisse commence par une série d’événements catastrophiques
qui contribueront à tourner l’opinion publique, au moins de manière temporaire, vers les
problématiques de la montagne. Le 24 mars 1999, après une série d’avalanches graves en
France, en Suisse et en Autriche, un camion belge prend feu à l’intérieur du tunnel du Mont-
Blanc. L’accident a coûté la vie à 39 personnes et rouvre le débat public sur les conditions des
272

transports dans les Alpes. Le tunnel restera fermé au trafic pendant trois ans. Alp Action et le
prince Sadruddin en personne se battront assidument contre la réouverture du tunnel aux poids
lourds. 1 Cet accident, les avalanches, mais aussi les creuses de mai 1999 en Suisse, porteront
l’attention de la convention sur la question des risques en montagne, particulièrement sur les
risques naturels. En conséquence, le Comité permanent créera le Groupe de travail
« avalanches » susmentionné, qui produira un rapport détaillé et proposera une analyse
compète de protection intégrée, qui repose notamment sur les services d’alerte et la lisibilité
des systèmes pour faciliter l’apprentissage réciproque.
Du côté européen, par contre, en même temps que la Suisse signait ses premiers
accords bilatéraux sectoriels avec l’UE, Bruxelles continuait à ignorer les demandes des
organisations de la montagne. Même si, en 1997, le Conseil des régions ait émis un nouvel
avis sur l’inadéquation de la politique européenne sur l’agriculture de montagne, bien que, en
1998, l’ICALPE de Chambéry ait produit une étude superbement documentée sur une
éventuelle politique européenne de la montagne à la demande du Parlement européen et bien
que l’euro-parlementaire Santini (PPE) ait présenté une proposition de résolution sur une
nouvelle stratégie pour les zones de montagne, en 1999, l’UE restera indifférente à la
montagne. 2 En effet, même si le nouveau règlement du FEOGA proposait une nouvelle
définition de montagne, comme cela avait été préconisé par les travaux susmentionnés,
l’objectif principal de cette définition était d’assimiler montagnes et territoires arctiques pour
adapter les critères d’allocation des fonds communautaires aux spécificités de la Suède et de
la Finlande, qui venaient de rejoindre l’UE en 1995. 3 Pour le reste, les montagnes
continueront d’être définies comme des « handicaps naturels permanents ». 4
1 Sur Alp Action, voir supra.
2 Voir, respectivement, l’Avis (97) 178 (1997) du Conseil des régions, l’étude par ICALPE (1998) et le
Document du Parlement européen PE 228.114 (1998).
3 Règlement (CE) 1257/1999 (1999). Voir, en particulier, l’article 18 (montagne).
4 Voir supra.
273

En contrepartie, on assiste à la relance du projet de Charte européenne, qui était
désormais « Convention européenne » et qui avait l’avantage d’évoluer en dehors des
institutions communautaires. 1 En mai 2000, suite au séminaire du mois précédent à Saint-
Vincent (Italie), les promoteurs de l’initiative ont réussi à faire passer une recommandation du
CPLRE au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour l’adoption d’une convention-
cadre européenne, qui soit juridiquement contraignante. L’objectif était celui d’aller au-delà
de l’autisme de la Convention alpine et de l’arrogance des politiques communautaires. 2 Entre-
temps, en juin, un Forum mondial de la montagne à même été organisé à Chambéry, avec la
participation de 800 représentants des quatre coins du monde, qui ont lancé une Association
des populations des montagnes du monde, siégée à Paris. Ils ont aussi fait suite au rapport du
Secrétaire général de l’ONU de 1995, en demandant une charte mondiale pour les populations
de montagne. Or, retournant au Conseil de l’Europe, au mois de septembre, les ministres
responsables de l’aménagement du territoire (CEMAT), réunis à Hanovre, ont renvoyé la
lettre à l’expéditeur concernant le projet de convention européenne sans faire trop de
compliments. 3 Ils étaient plus intéressés par le document « Principes directeurs pour un
développement spatial durable du continent européen », qu’ils ont approuvé lors de la même
réunion, qui mentionnait passim les montagnes, ou bien encore par la Convention européenne
du paysage (Convention de Florence), qu’ils allaient signer le mois suivant. Le blocus alpin
sur le projet a donc résisté et les autres pays n’ont pas insisté.
1 A ce sujet, voir Caveri, L’Europa e la montagna, p. 73-77.
2 Recommandation 75 (2000). La Région autonome Vallée d’Aoste a été le chef de file de ces initiatives. Il est
intéressant de noter que les socialistes de l’ASA, réunis en juin 2000 à Munich, ne font aucune mention du projet
de convention européenne (ils font mention, par contre, d’un projet de « Parlement alpin » à titre officieux). Dans
les années 90, l’activité de l’ASA consistera en l’organisation de conférences annuelles ou biannuelles, de temps
en temps sur des thèmes liés à la Convention alpine. En 2000, l’ASA sera réorganisée, mais son déclin était
évident.
3 A ce propos, voir le projet de réponse du Comité des Ministres (2001) 745/12.4, qui, par ailleurs, n’a
apparemment jamais été adopté.
274

Cependant, en 2000, avec la nouvelle période de programmation économique de l’UE
(2000-2006), l’UE étend le programme pilote INTERREG « espace alpin » à l’Arc entier et relance
le programme LEADER (qui devient LEADER+). 1 Ces programmes seront accueillis d’une
manière extrêmement positive par les responsables politiques et par les acteurs territoriaux, car ils
promettaient des financements pour des projets de coopération interrégionale (échanges
d’expériences, plateformes de collaboration, etc.) et de développement rural. Même si la zone de
coopération du Programme « espace alpin » (ASP) était beaucoup plus vaste que le champ
d’application de la Convention alpine et bien que les ressources à disposition fussent plutôt
modestes (10 millions d’euro par an avec un cofinancement de 50% seulement), c’était une manne
pour les acteurs engagés dans la Convention alpine, qui n’avait pas encore de ressources propres. 2
La convention étant le seul processus institutionnel spécifique aux Alpes, le potentiel de ces fonds
européens pour le développement de projets pour la mise en œuvre de la convention Ŕ on dirait
presque au lieu de protocoles Ŕ était énorme. 3 Par exemple, ASP pouvait financer certaines activités
des groupes de travail. Bien sûr, les objectifs de la convention et du programme ne sont pas toujours
les mêmes, mais on peut dire que l’enjambement de l’un à l’autre a fourni un tremplin à la
Convention alpine au même moment où l’UE commençait à s’éloigner (SOIA, transports, etc.) et à
aliéner certains élus pour l’absence d’une politique européenne de la montagne. 4
1 Au tout début, les acteurs engagés dans la Convention alpine n’avait pas su saisir pleinement le potentiel du
programme INTERREG. Entre 2000 et 2002, les tout premiers projets relevaient des activités des régions
notamment dans les Alpes orientales (Alpe-Adria) et occidentales (COTRAO). En 2000, quatre projets
intéressant l’Espace Mont-Blanc ont été approuvés : « Schéma de développement durable de l’Espace Mont-
Blanc », « Skipass international autour du Mont-Blanc » et « A la découverte des plus beaux paysages
géologiques du Pays du Mont-Blanc » et « Musée transfrontalier du Mont-Blanc ».
2 Voir la brochure Alpine Space Programme (2008), «Bridging potentials: projects of the INTERREG IIIB
Alpine Space Programme», München, Alpine Space Programme, Joint Technical Secretariat, p. 47, et le
catalogue des projets réalisés dans la période 2000-2006, id. (2006), «Alpine Space Programme INTERREG IIIB
project booklet (2000-2006)», Rosenheim, Alpine Space Programme, Joint Technical Secretariat, p. 57.
3 Décision VI/5.5 (2000).
4 Voir, par exemple, la demande de l’eurodéputé italien Luciano Caveri et la réponse par le commissaire à la
politique régionale Michel Barnier, qui ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes C 151
275

Figure 19 : Zone de coopération du Programme INTERREG « espace alpin » (2000-2006).
Dans ce contexte, en 1999, tandis que le WWF, qui était en train de restructurer ses
activités autour de l’« approche écosystémique », lançait son Programme alpin européen, deux
projets indépendants voient le jour, tandis que la Suisse prenait son temps pour organiser sa
présidence : premièrement, la création du Comité scientifique international pour la recherche
alpine (ISCAR), une association de membres des académies des sciences, qui s’occupera
notamment de l’organisation du ForumAlpinum et qui comptera sur un secrétariat technique
mis à disposition par les Suisses du SCNAT ; deuxièmement, le lancement, à l’initiative de
l’association française Grande traversée des Alpes (GTA), du projet « Via alpina », un sentier
E/54-55 (2001). Ce dernier semble réduire la question à une faible « lisibilité » de l’action de l’UE en faveur des
zones de montagne par le biais de ses politiques structurelles. Pour mieux expliquer, la Commission avait donc
produit une « brochure » (sic). Voir aussi Luciano Caveri (2002), «Cinq arguments pour la reconnaissance de la
singularité des montagnes d’Europe», dans La montagne entre sciences et politique, Dossier de la Revue de
géographie alpine, édité par Bernard Debarbieux et Pierre-Antoine Landel, Grenoble, IGA.
276

de randonnée et de découverte de Monaco à Trieste, qui sera soutenu par plusieurs élus et qui
sera l’un des premiers projets à être financé par INTERREG. 1 Or, l’année avait été marquée
par l’aboutissement du processus de ratification en Italie et, le même jour, à Monaco. Non
seulement la convention allait donc entrer en vigueur dans tous les états alpins, mais elle allait
aussi gagner un pays qui représentait à lui seul 27,6 % de la surface, 33,8 % de la population
et 29,5 % des communes. 2 L’enthousiasme était à l’ordre du jour. Les espoirs d’une relance de
la convention étaient palpables. Le processus de ratification italien, qui a duré trois ans, a
reproduit certains éléments du cas suisse, notamment les négociations entre gouvernement
central et collectivités territoriales, avec des revendications de ces dernières par rapport à leur
participation à la négociation des protocoles, y compris ceux qui avaient déjà été signés
(agriculture de montagne, protection de la nature, etc.). Le résultat est une loi de ratification
qui, au-delà de confirmer l’attribution de la convention au Ministère de l’environnement,
institue un « Conseil état-régions de l’Arc alpin » (en italien : Consulta). 3 Ce conseil est
constitué des organes compétents du gouvernement central (environnement, industrie,
agriculture, transports, intérieur, culture, etc.), ainsi que des représentants des régions et des
autres collectivités territoriales. Il est censé valider les protocoles avant qu’ils le soient au
1 L’un des premiers produits du programme a été l’étude d’ensemble de l’écorégion alpine WWF (2001), «Alps
ecoregion: final reconnaissance report», Bellinzona, WWF European Alpine Programme. En 2000, une
conférence internationale sur la biodiversité des montagnes a été organisée à Rigi Kaltbad (Suisse) dans
l’ensemble par des scientifiques qui avaient participé au programme MAB-6 de l’UNESCO. A cette occasion, le
Ministère de l’éducation autrichien a lancé l’initiative GLORIA (Réseau mondial d’observation des
environnements alpins), tandis que le SCNAT suisse a proposé le projet GMBA (Evaluation mondiale de la
biodiversité des montagnes) dans le cadre du programme DIVERSITAS (Programme international des sciences
de la biodiversité). Voir Eva Spehn (2001), «Global Mountain Biodiversity Assessment: a report on the first
international conference on mountain biodiversity», Mountain Research and Development, vol. 21, n. 1, ainsi
que Debarbieux et Rudaz, Faiseurs de montagne, p. 235-237.
2 Voir l’ouvrage de référence Convention alpine (2003), Convention alpine: ouvrage de consultation, 1 e éd.,
Innsbruck, Secrétariat permanent, p. 47-52, ainsi que la première étude sur les indicateurs démographiques par
Convention alpine, SOIA (1999), «Indicateurs démographiques de la région alpine: résultats d’une étude réalisée
dans le cadre de la Convention alpine», Luxembourg, Commission européenne.
3 Loi du 14 octobre 1999, n. 403 (ratifica ed esecuzione).
277

niveau international et d’être le trait d’union entre les différentes administrations pour la mise
en œuvre de la convention. Pour donner une idée de l’ordre de grandeur de la convention, la
loi estime le coût de la participation de l’Italie à la hauteur de 55 000 euros par an ! Il faut
remarquer aussi que, au sein du Ministère de l’environnement italien, le dossier de la
convention passera aussi de la Direction générale (DG) pour la protection de la nature
(responsable des parcs, des réseaux écologiques, etc.) à celle pour la protection internationale
de l’environnement (responsable pour les conventions, pour la coopération transfrontalière,
etc.), renouvelant ainsi la composition de la Délégation italienne, qui prenait une orientation
plus marquée vers les négociations internationales.
Suite à la médiation du Liechtenstein, en mars, lors du Comité permanent de Château-
d’Œx (Suisse), la présence des nouveaux Groupes de travail sur la solution des controverses et
sur les objectifs de qualité environnementale, ainsi que l’arrivée de la vignette en Autriche,
ont fait que les négociations du Protocole « transports », qui était le dernier à être resté sur la
table, se débloquent à nouveau. Chaque pays de son côté avait trouvé une manière d’accepter
l’idée d’arrêter la construction de nouvelles routes à grand débit, seule provision
véritablement contraignante de l’ensemble des protocoles, souvent sous la forme
d’« ententes » (en anglais : understandings ou encore gentlemen’s agreements) sur l’exclusion
de certains projets en cours de cette provision : le périphérique d’Innsbruck pour l’Autriche,
celui de Grenoble et quelque autre projet autoroutier pour la France, etc. 1 En Italie aussi,
1 Voir le schéma directeur routier national (SDRN) de 1992, qui était en vigueur à l’époque. En France, la
convention continue à être ignorée. Le code de l’environnement, créé en 2000, ne fait non seulement aucune
référence à la convention, mais aussi ne touche aux questions de la montagne que de manière extrêmement
limitée. Curieusement, la plupart des dispositions de la Loi « montagne » de 1985 se retrouvent dans le code de
l’urbanisme. Voir Sylvie Caudal (2008), «Convention alpine et système institutionnel français», dans La
Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France;
Jean-François Davignon (2008), «Le droit français des opérations d’aménagement en zone de montagne et les
préconisations de la Convention alpine», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?, édité
par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France; Jean-François Joye (2008), «Les plans/programmes français
278

l’idée a dû être validée par les régions, dans le nouveau cadre du Conseil état-régions de l’Arc
alpin, avant que le gouvernement puisse souscrire au protocole. 1 En même temps, le premier
projet de loi pour la ratification de tous les protocoles existants est déposé au Parlement
italien. 2 En Suisse, par contre, la nouvelle constitution, approuvée par référendum obligatoire
le 18 avril 1999, met la situation particulière des agglomérations urbaines au même niveau de
celle des régions de montagne, en témoignant du recul de la politique spéciale pour la
montagne Ŕ non seulement de la Convention alpine Ŕ dans la confédération. 3
Entre-temps, la Convention sur le Patrimoine mondial de l’UNESCO s’est aperçue du
potentiel de la Convention alpine pour promouvoir une meilleure représentation des sites
alpins dans la Liste du patrimoine mondial et pour faire un triage préalable des futures
candidatures au niveau écorégional, ce qui aurait facilité le travail de sélection de l’UNESCO,
qui se banalisait, en se spécialisant, en même temps. En 2000, une réunion a eu lieu à Hallstatt
(Autriche), laquelle rassemblait les principaux experts en patrimoine naturel et les délégués
des pays alpins, insistait sur l’importance de la Convention alpine pour la conservation du
patrimoine naturel de cette écorégion et encourageait, entre autre, le rassemblement de la
documentation pertinente sous la coordination d’ALPARC. 4
Les mois qui précèdent la sixième conférence alpine seront caractérisés par les
élections fédérales en Autriche, la formation d’un gouvernement de centre-droite (avec la
participation de l’extrême droite de Jörg Heider) et l’épisode étrange des sanctions
d’urbanisme et d’aménagement du territoire et la Convention alpine», dans La Convention alpine: un nouveau
droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France.
1 Le protocole a été approuvé lors de la réunion du 26 septembre 2000.
2 Voir la contribution sur l’état de mise en œuvre de la convention en Italie par Angelini et al., «Implementation
of the Alpine Convention in Italy», p. 108. La discussion de ce projet sera empêchée par les élections législatives
de 2001. Un nouveau projet sera déposé en 2002 par le nouveau parlement.
3 Voir notamment le livre par Jörg Balsiger (2009), Uphill struggles: the politics of sustainable mountain
development in Switzerland and California, Köln, Lambert Academic Publishing, p. 153.
4 Document WHC-2000/CONF.204/WEB.2 (2000). Le rapport d’ALPARC a été publié en 2006.
279

« symboliques » de l’UE à l’Autriche pendant une période d’essai de six mois. On pourrait
imaginer que celles-ci aient eu des répercussions dans les Alpes. Or, dans les faits, il est
difficile d’identifier des conséquences précises. Le chemin vers la conférence continuait
paisiblement, avec la finalisation du Protocole « transports » et les dernières réunions des
groupes de travail. Les travaux confluaient vers le Comité permanent selon un schéma qui
s’affinait. Alors que les préparatifs s’accélèrent et que les travaux avancent, dans les jours
précédents la Conférence alpine, de nouvelles crues, des coulées de boue et des glissements de
terrain frappent à nouveau les Alpes italiennes et suisses. Ces catastrophes portent encore
davantage l’attention de l’opinion publique sur la dégradation des sols (comme cause),
l’importance des forêts (comme solution) Ŕ donc les protocoles respectifs de la Convention
alpine Ŕ et l’évolution du climat (comme cause concomitante). 1
La sixième réunion de la Conférence alpine a eu lieu à Lucerne (Suisse), en présence
des représentants des ministres de toutes les parties, à l’exception de la CE. En fait, cette
réunion marque le début de l’abstention de la Commission européenne des travaux de la
convention. En réponse à la demande de l’eurodéputé italien Luciano Caveri (ELDR) de
motiver l’absence, le commissaire à l’environnement Margot Wallström (PSE) formulera celle
qui reste à ce jour la position de la CE sur la Convention alpine :
La mise en œuvre de la Convention alpine est mieux assurée au niveau des états
membres alpins et de leurs régions qu’au niveau communautaire… L’absence de la
commission aux travaux dans le cadre de la Convention alpine […] ne devrait pas être
interprétée comme un manque d’intérêt… Des restrictions d’ordre budgétaire et en
ressources humaines ne permettent pas une participation assidue… Les réalités
1 Suite à ces catastrophes, les ministres élargiront le mandat du Groupe « avalanches » aux « crues, coulées de
boue et glissements de terrain » (Décision VI/8).
280

montagnardes sont prises en compte dans […] les programmes de développement
régional et rural. 1
Cette position a été confirmée deux ans plus tard par le commissaire Wallström. En réponse à
un autre eurodéputé italien, Michl Ebner (PPE), elle soulignait :
…que les régions de montagne sont des zones défavorisées et font dès lors partie, avec
d’autres zones présentant de graves handicaps géographiques ou naturels, des dix
priorités de la future politique de cohésion. 2
Si, d’un côté, la commission confirmait poliment que la convention était une perte de temps et
de ressources, vu aussi l’impossibilité de facto de s’exprimer indépendamment des états
membres, et si elle insistait sur l’usage de cette expression odieuse (« zones présentant de
graves handicaps »), de l’autre côté, elle n’éteignait pas l’espoir de voir une politique
européenne pour les montagnes dans le cadre d’une future politique de cohésion, qui
promettait de dépasser la politique régionale et de tisser des liens de plus en plus étroits au
niveau territorial, le tout clairement arrosé par des fonds communautaires. 3
La conférence se réunit donc sous la présidence du conseiller Luenenberger. Après une
année 2000 extrêmement intensive, les groupes de travail ont produit une quantité
remarquable de rapports, établissant ainsi une pratique nouvelle : la convention passait
progressivement de la production de protocoles à la préparation de rapports sur les sujets les
plus différents. Il s’agissait de rapports parfois prédisposés par la présidence et validés par les
1 La demande de Caveri et la réponse par Wallström ont été publiées au Journal officiel des Communautés
européennes C 187 E/19-20 (2001).
2 Demande et réponse ont été publiées elles aussi au Journal officiel C 28 E/140-141 (2002).
3 Pour une perspective historique, voir l’ouvrage de Jean-François Drevet (2008), Histoire de la politique
régionale de l’Union européenne, Paris, Belin. En 2002, à l’occasion de l’Année internationale de la montagne,
la commission organisera une conférence de très haut niveau (président de la commission, commissaires à la
politique régionale, à l’agriculture, etc.) sur les politiques communautaires (coopération régionale,
développement rural, etc.) et les régions de montagne, dont les actes ont été publiés (2002).
281

parties, parfois rédigés conjointement, avec un partage des tâches (par exemple, la France
s’occupe du premier chapitre, l’Italie du deuxième, etc.). Même si des rapports sur les
différents thèmes existaient déjà et étaient préparés, par exemple, par des ONG ou par des
centres de recherche, aucune autre institution n’avait la force de frappe de la convention :
aucune autre n’avait la capacité de récolte de données des administrations publiques, pouvait
couvrir tout le territoire alpin ou encore pouvait vanter leur degré de légitimité.
Ces rapports continuaient souvent le travail commencé par le SOIA (indicateurs
environnementaux, harmonisation linguistique 1 , etc.), qui traversait, par ailleurs, une crise
profonde. Le système pivotait sur le CCR d’Ispra n’était plus en fonction. Le groupe de travail
avait donc procédé à un partage des tâches selon le principe de « coordination
décentralisée ». 2 A partir de l’an 2000, chaque pays s’était initialement porté volontaire pour
continuer le travail dans un domaine spécifique : l’Autriche prenait l’eau, l’Italie la faune et la
flore, etc. La division du travail suivra le schéma ci-dessous, auquel il faut ajouter
l’Allemagne, qui suivait la question des objectifs ou indicateurs de qualité environnementale
dans le groupe homonyme. 3
1 Un rapport sur l’harmonisation linguistique des protocoles a été présenté lors de la Conférence de Lucerne. En
2006, le projet INTERREG « LexAlp » a été lancé afin de compléter ce processus et de développer des outils de
travail à l’appui des opérateurs.
2 Décision VI/7B (2000).
3 Voir le rapport coordonné par Bennio Hain (2004), «Pour une documentation des changements dans l’espace de
vie alpin: système d’indicateurs et concept pour un rapport d’évaluation de l’état des Alpes», Berlin, Convention
Alpine, Groupe de travail objectifs environnementaux et indicateurs.
282

Thèmes Projets Coordination
Environnement Changement climatique Suisse
Eau Autriche
Risques naturels France
Protection de la flore et de la faune (vie sauvage) Italie
Développement Indicateurs socio-économiques Slovénie
socio-économique
Communication Portal / site internet (publique) Suisse
télématique
Catalogue de sources de données sur les Alpes (CSDA) et
système d’information sur la recherche alpine (SIRA)
Suisse
Système d’information géographique (GIS) Autriche
Système d’information interne au SOIA (CIRCA) Autriche
Cartographie Cartographie des espaces protégés Allemagne
Carte écopédologique (sols) Italie
Tableau 4 : Thèmes et projets du SOIA (2000). 1
Cette division reflète souvent les intérêts ou au moins les capacités des parties et aura un
impact durable sur le développement de la convention. Il est important de souligner que, bien
qu’une partie assume la coordination d’un projet particulier, il y a toujours une participation
des autres à l’élaboration des rapports, au moins à travers la communication de données et la
validation ou simple acceptation des résultats.
La CIPRA arrive à la conférence avec une position écrite et plutôt articulée, dans
laquelle elle met l’accent sur la mise en œuvre de la convention et sur la nécessité, entre autre
d’une « liste de priorités » et d’un mécanisme de vérification pour « ouvr[ir] la porte à des
rappels à l’ordre pour les traînards », selon les termes du future secrétaire général ad interim
Noël Lebel. 2 La question avait déjà été abordée par le Comité permanent et le rapport entre
cette liste et les protocoles, qui devaient, en principe, déjà établir les priorités, apparaissait
problématique, car il fallait éviter de rouvrir la négociation des protocoles. La présidence
suisse avait pris la question à cœur et avait préparé deux rapports : l’un sur les « principes » de
mise en œuvre, l’autre sur les « mécanismes ». Le premier rapport suivait de près les contenus
des protocoles, en analysant son langage et en déduisant les priorités, tandis que le deuxième
était ciblé sur l’évaluation de la mise en œuvre. La conférence demandera donc au Comité
1 Reproduit depuis Onori «La protezione delle specie selvatiche (flora e fauna) nella Convenzione delle Alpi», je
traduis.
2 Voir le compte-rendu de la réunion-débat avec le secrétaire Lebel du 14 avril 2004 (supra).
283

permanent la préparation d’un « programme de travail pour la mise en œuvre à moyen terme »
de la convention et de ses protocoles 1 et décidera la création d’un nouveau Groupe de travail
« mécanismes de mise en œuvre », à présidence suisse, afin d’élaborer une procédure
d’évaluation, qui reposait sur la remise de rapports nationaux et sur une approche
consensuelle. 2 Il est intéressant de noter les différences entre ce groupe de travail et celui, à
présidence allemande, qui avait été lancé à Brdo pour élaborer une procédure de règlement
des différends. En effet, ce groupe a dû faire état de l’absence d’intérêt pour la création d’un
mécanisme contraignant, sans aller vers l’extrémisme d’une « cour de justice alpine ». Ce
groupe avait donc élaboré un Protocole « règlement des différends », qui a été ouvert à la
signature lors de la Conférence de Lucerne et qui ne faisait rien d’autre que confirmer les
principes généraux du droit international des traités, en établissant une procédure arbitrale de
type classique. 3 Ce protocole n’établissait donc pas une procédure suffisamment agile pour
permettre le suivi de près de la mise en œuvre de la convention et de ses protocoles. Voici
donc le besoin d’un mécanisme ultérieur.
Bien qu’aucun protocole n’ait encore été ratifié par les parties, deux protocoles ont
donc été adoptés par la Conférence de Lucerne, celui sur les transports et celui sur le
règlement des différends. Pour le Protocole « transports », sa finalisation représente un
véritable exploit. Après plus de dix ans de négociations et deux présidences, l’acquis du
protocole était premièrement qu’aucune nouvelle route à grand débit ne pouvait être construite
à travers les Alpes. De plus, du fait de la finalisation du protocole, l’Autriche va lever sa
réserve vieille de six ans et va procéder à la signature de tous les protocoles. Après plus de dix
ans, ceux-ci représentaient aussi la fin de la période de négociation des protocoles pour la
convention et le début d’une phase de consolidation, qui était déjà reflétée par la décision
1 Ce programme devait être aussi aligné sur le Chapitre 13 de l’Agenda 21 (Décision VI/9).
2 Décision VI/5.4 (2000).
3 Décision VI/6 (2000).
284

d’établir un secrétariat. Deux groupes de travail ont été créés aussi pour continuer les
échanges sur les deux questions stratégiques ci-dessous : le Groupe « transports » et le Groupe
« mécanismes de mise en œuvre », qui deviendra bientôt « Groupe de vérification ». 1 Mais il
fallait surtout que les parties ratifient les protocoles et que ceux-ci entrent en vigueur.
Cependant, une des questions qui a attiré plus d’intérêt était celle du secrétariat
permanent. Sur la base du rapport demandé à Brdo et préparé par la présidence, la décision de
constituer un secrétariat a finalement été prise. 2 Ses fonctions et son siège restaient à définir,
donc une procédure a été adoptée, notamment pour le choix du siège. La question était
extrêmement sensible, car elle possédait une valeur symbolique : il fallait quand même choisir
la « capitale » (symbolique) des Alpes ! Cette procédure prévoyait un appel d’offres
international et un vote à bulletin secret et à la majorité simple, dans le cas où aucune des
candidatures ne recueillerait le consensus des parties. Cette question, avec l’institution d’un
mécanisme de vérification, la gestion de l’année internationale de la montagne et la création
d’un nouveau Groupe de travail sur le thème « population et culture » (à ne pas confondre
avec la question « population et économie »), furent donc au centre de la biennie de
présidence suivante, qui passait finalement à l’Italie.
1 Il est important de souligner qu’il s’agit plus d’un exercice de suivi entre pairs que d’un groupe de compliance
sur le modèle de celui de la Convention d’Aarhus de 1998, qui peut être déclenché (en anglais : triggered) non
seulement par les parties, mais aussi par le secrétariat et par les citoyens.
2 Décision VI/7 (2000).
285

Protocole « transports » (2000)
Ce protocole souligne l’intérêt d’une politique des transports fondée sur les principes de durabilité et
développant les principes de l’interopérabilité des modes de transports les plus respectueux de l’environnement
(ferroutage et transport fluvio-maritime). Ses dispositions générales définissent globalement les objectifs visés :
concilier la réduction des nuisances que les transports entraînent pour l’homme et pour l’environnement et la
nécessité d’assurer une circulation intra-alpine et transalpine à des coûts économiquement supportables. Sous la
forme d’exigences environnementales, humaines et économiques, trois principes sont énoncés :
l’interdépendance des protocoles, l’association des collectivités territoriales, la possibilité de prendre des
mesures renforcées.
Les mesures spécifiques soulignent la nécessité d’évaluation préalable des risques et de consultation
intergouvernementale lorsqu’il est décidé de construire ou de modifier des infrastructures de transport et sur la
nécessité d’appliquer le principe pollueur-payeur en vue d’aboutir à une meilleure répartition du trafic entre les
différents modes de transport. Elles comportent également des mesures techniques déclinées par sous-secteur :
transports publics, transports ferroviaires et fluvio-maritimes, transports routiers, transports aériens, qui ont pour
dénominateur commun l’optimisation de l’existant et la limitation, autant que faire se peut, du recours à de
nouvelles infrastructures routières (article 11) et aéroportuaires. Enfin, l’efficacité des mesures concrètes est
évaluée au travers d’un état sur la réduction des nuisances, ainsi que d’indicateurs de qualité environnementale.
Les parties sont aussi invitées à se coordonner avant des décisions importantes dans le domaine des transports, à
favoriser la recherche, notamment en appuyant la réalisation de projets pilotes et à informer le public sur le
protocole. Un dispositif de contrôle du respect des obligations est enfin prévu, fondé sur la remise de rapports et
l’adoption de recommandations, et une évaluation régulière de l’efficacité des dispositions prises.
Le protocole entre en vigueur trois mois après la date à laquelle trois Etats ont déposé leur instrument de
ratification. Ce protocole est entré en vigueur le 18 décembre 2002. Sauf pour l’article 11, qui pourrait donner
lieu à une application directe, la valeur du protocole est plus politique que juridique.
Synthèse préparée sur la base du Projet de loi de l’Assemblée nationale n. 813 du 23 avril 2003 (approbation
des protocoles)
Renforcement institutionnel (2000-2009)
Les vents de la crise soufflent encore, quand l’optimisme gagne à nouveau le
processus. Même si aucune partie n’avait encore ratifié aucun protocole, la convention-cadre
était entrée en vigueur sur tout le territoire alpin et neuf protocoles avaient été négociés sur
une période de onze ans. C’était tout à fait extraordinaire, car aucun accord régional sur
l’environnement ne peut se vanter d’autant de protocoles. De plus, bien qu’ils relevaient plus
de la sphère politique que de celle juridique, il s’agissait, pour la plupart, d’accords sans
équivalent au niveau international, par exemple dans le domaine énergétique. Sa dimension
286

multisectorielle était aussi rare sur la scène mondiale, au point que des commentateurs ont vu
dans la Convention alpine, non seulement un « modèle » pour le développement durable, mais
aussi une véritable « perle noire » des conventions internationales. 1 Or, avec les protocoles, la
convention s’était lancée dans une production normative qui dépassait ses institutions encore
modestes. Il fallait que la convention renforce son cadre institutionnel. Celle-ci était la
conditio sine qua non pour que la convention puisse jouer un rôle sur la scène nationale,
européenne et mondiale des années 2000.
Présidence italienne et Conférence de Merano (2000-2002)
Comme cela a été le cas pour la présidence suisse, les élections législatives de juin
2001, qui ont marqué le retour de Berlusconi au gouvernement et de Mattioli à
l’environnement ont retardé la reprise des travaux de la convention. 2 Ces élections ont aussi
vu la nomination de Franco Frattini (FI) aux affaires étrangères, lui qui était moniteur de ski et
candidat dans le collège électoral de Bolzano (Haut Adige). Vu l’absence d’un secrétariat
permanent, chaque présidence tournante devait mettre en place une équipe qui puisse non
seulement soutenir la présidence, mais aussi faire fonction de secrétariat technique. Les
élections ont retardé la création de cette équipe, qui sera finalement accueillie à Bolzano par
l’EURAC. Entre-temps, l’Italie avait quand même pris le leadership de l’initiative sur le
Patrimoine mondial de l’UNESCO, en organisant en juillet 2001 à Turin une réunion
intergouvernementale, où la décision avait été prise de ressembler tous les sites potentiels
dans une candidature unique Ŕ nommée « Arc alpin » Ŕ et d’attribuer à la Convention alpine la
tâche d’établir des critères pour identifier ces sites. Cette candidature unique aurait dû
1 Voir, par exemple, Casey J. Caldwell (2003), «The black diamond of harmonization: the Alpine convention as
a model for balancing competing objectives in the European Union», Boston University International Law
Journal, vol. 21, ou encore Jörg Balsiger (2007), «Regionalism reconsidered: the Alpine Convention as a model
of earth system governance», communication presentée à la Conference on the Human Dimensions of Global
Environmental Change, Amsterdam.
2 Toute l’année a été particulièrement mouvementée par l’adoption d’une loi constitutionnelle (3/2001), qui a
élargi remarquablement les pouvoirs des régions dans le cadre du processus de décentralisation.
287

eprésenter un modèle de coopération transnationale et aurait eu, selon les représentants réunis
à Turin, plus de chances d’être inscrite sur la liste de l’UNESCO, qu’une série de candidatures
isolées. 1 Toutefois, cette approche présentait trop d’inconvénients (les candidatures sont
nationales, la convention n’avait pas encore de familiarité avec les procédures de l’UNESCO,
etc.) et ne sera jamais adoptée et l’initiative restera en chantier pendant plusieurs années,
avant d’être reprise récemment. Or, elle a eu le mérite de faire avancer, au niveau national, le
processus d’inscription de plusieurs sites alpins. 2
Une des priorités de la présidence italienne était l’Année internationale de la montagne
(AIM). Les préparatifs se déroulaient tranquillement. En 2000, la FAO avait préparé un
rapport pour le secrétaire général de l’ONU sur l’état des préparatifs pour l’AIM, qui dressait
une liste d’initiatives prévues aux niveaux international, régional et national. 3 Ils étaient
centrés autour de comités nationaux, qui étaient en cours de formation dans 78 pays. Bien que
la Convention alpine ne figurât pas dans le rapport, les états alpins, notamment l’Italie, la
Suisse et l’Allemagne, furent parmi les plus actifs lors des travaux préparatoires. Sur cette
base, l’Assemblée générale approuva une résolution, en demandant notamment des
contributions financières volontaires pour réaliser le programme d’activités. 4 Dans ce
contexte, en 2001, l’Ukraine se montre intéressée pour développer un accord environnemental
régional pour les Carpates sur le modèle de la Convention alpine. Elle demande l’assistance
du PNUE à Genève, qui met Kiev en contact avec la présidence italienne de la convention. 5
1 Document 19/15.1 (2001).
2 A ces faits, il faut ajouter qu’au mois d’août, après avoir été approuvé par le Conseil état-régions de l’Arc alpin,
l’Italie a finalement signé les Protocoles « énergie » et « tourisme ». Au mois de décembre, le Comité permanent
a aussi lancé l’appel d’offres international pour le siège du secrétariat permanent.
3 Rapport A/55/218 (2000). Sur l’apport de la FAO à l’AIM, voir la contribution de Mohamed Ali Mekouar
(2004), «L’apport de la FAO à l’année internationale de la montagne», dans Sustainable development of
mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré.
4 Résolution GA/55/189 (2000).
5 Voir les publications par Harald Egerer (2004), «The Carpathian Convention: partnership for protection and
sustainable mountain development», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et
288

Dans le cadre de l’AIM, l’Italie lance donc un partenariat Alpes-Carpates, qui sera soutenu
aussi par l’Autriche, pour le partage d’expérience entre le processus alpin et la future
Convention des Carpates.
L’année 2002 sera caractérisée par une série impressionnante de conférences,
séminaires et rencontres sur le thème de l’AIM, qui ont débuché sur une pléthore d’initiatives
et de déclarations : de la Déclaration de Tokyo des scientifiques de l’UNU à la Charte des
valeurs des montagnes du célèbre alpiniste Reinhold Messner ; de la Conférence
d’Adelboden, qui a lancé le projet « agriculture et développement rural durables en régions de
montagne » (ADRD-M) de la FAO, à la Rencontre de Quito, qui a produit une Charte des
populations des montagnes du monde. Mais cette année coïncidait aussi avec le Sommet
mondial sur le développement durable (SMDD) de Johannesburg (Afrique du Sud), prévu
pour le mois d’août. Ce sommet, qui était aussi connu comme Rio +10, était censé faire le
bilan du Sommet de la Terre de 1992, ainsi que consacrer le développement durable, qui se
banalisait de plus en plus. 1 Bien que le sommet soit généralement considéré comme une
faillite par rapport à Rio, l’absence d’accord entre l’UE et l’Amérique de Bush sur plusieurs
questions (principe de précaution, OGM, etc.) et sa coïncidence avec l’AIM ont fait que la
question de la montagne trouvait de l’espace dans l’agenda de la réunion. Le groupe onusien-
bernois du Mountain agenda avait préparé une mise à jour du rapport sur l’état des montagnes
du monde déjà présenté à Rio, mais ciblé cette fois sur les aspects institutionnels. 2 Sur la base
d’un concept formalisé lors d’une réunion préparatoire au mois de juin à Bali (Indonésie)
al., Milano, Giuffré; Paolo Angelini et al., éd. (2002), Sharing the experience: mountain sustainable
development in the Carpathians and in the Alps, Bolzano, EURAC research; Juliet J. Fall et Harald Egerer
(2004), «Construire les Carpates: la Convention des Carpates et la recherche d’un idéal spatial», Revue de
géographie alpine, vol. 92, n. 2.
1 Voir, par exemple, François Mancebo (2006), Le développement durable, Paris, Colin, p. 21-59.
2 Voir Mountain Agenda (2002), «Mountains of the world, sustainable development in mountain areas: the need
for adequate policies and instruments», communication presentée au Sommet mondial pour le développement
durable, Johannesburg.
289

(« Document de Bali »), la Suisse et l’Italie ont donc proposé la création d’un Partenariat
international de la montagne, financé notamment par Berne et siégé à la FAO de Rome. Si la
Convention alpine encourageait ces développements, sa présence à Johannesburg était
fortement véhiculée par ses parties, notamment par la présidence. 1 Autour d’une structure
légère et d’un petit secrétariat, le partenariat rassemble états, organisations
intergouvernementales, acteurs privés et ONG afin d’améliorer les conditions de vie des
populations de montagne et de protéger leurs environnements. 2 Ce type de partenariat public-
privé promettait de combiner de manière agile la légitimité populaire du secteur public avec
les moyens financiers des privés.
Dans l’élan de Johannesburg et pour boucler l’AIM, un Sommet mondial de la
montagne a été organisé au mois d’octobre à Bichkek. Pour cette occasion, le PNUE a produit
une étude particulièrement approfondie sur les montagnes du monde, qui recueillait les
meilleures représentations cartographiques disponibles. 3 A l’époque, le PNUE essayait de
lancer, entre cette étude, le Sommet de Bichkek et la Convention des Carpates, un
« Programme des montagnes » sur le modèle du Programme régional des mers, ce qui ne sera,
à ce jour, jamais validé par les instances décisionnelles du PNUE, bien que Klaus Töpfer ait
été le directeur exécutif du PNUE depuis 1998. 4 Pour préserver l’élan de l’AIM, en janvier
2003, l’Assemblée générale de l’ONU a déclaré le 11 décembre de chaque année « journée
internationale de la montagne », qui est encore célébrée. 5 Toutes ces initiatives, combinées
1 Décision VII/10 (2002).
2 Pour un bilan, voir les articles par Jane Ross (2006), «The Mountain Partnership at the CSD Partnerships Fair»,
Mountain Research and Development, vol. 26, n. 4; id. (2007), «International Year of the Mountains + 5 and the
Mountain Partnership», Mountain Research and Development, vol. 27, n. 1, et les pages dans Debarbieux et
Rudaz, Faiseurs de montagne, p. 237-238, y compris sur le rôle de la Suisse et de l’Italie (p. 239-241).
3 Voir Jim Thorsell et Larry Hamilton (2002), «A global overview of mountain protected areas on the World
Heritage List», Cambridge, UNEP/WCMC.
4 Voir supra.
5 Résolution 57/245 (2003). Au mois de juillet, le Secrétaire général de l’ONU a présenté son rapport sur l’AIM,
toujours préparé par la FAO (A/58/134). A la demande de l’Assemblée générale, le Secrétaire général présentera
290

avec les progrès de la Convention alpine, ont eu l’effet de débloquer le processus de
ratification des protocoles : en une année seulement, on passe d’une situation où aucune partie
n’avait ratifié de protocole à la ratification de tous les protocoles par le Liechtenstein,
l’Autriche et l’Allemagne, et à leur entrée en vigueur au mois de décembre. Il est important de
souligner que la ratification liechtensteinoise a eu lieu suite à un référendum populaire sur le
Protocole « transports » et que la ratification autrichienne a été approuvée sans réserve
d’exécution, ce qui ouvrait la voie de l’application directe de certaines provisions. 1 Il faut
ajouter aussi que, au mois de novembre, la France s’ajoutait au nombre de pays ayant ratifié
les Protocoles « agriculture de montagne » et « règlement des différends » et que la chambre
des représentants italienne avait approuvé elle aussi le projet de loi pour la ratification de tous
les protocoles. 2 En préparation de l’AIM et de la conférence ministérielle, la CIPRA, qui
traversait une situation financièrement difficile 3 , avait préparé un deuxième rapport sur l’état
des Alpes 4 , toujours riche en informations et données, et avait lancé le nouveau service
d’information « alpMedia », consciente de la nécessité de faire mieux connaître les
spécificités alpines et les contenus de la Convention alpine. Parallèlement, avec les mêmes
objectifs, la présidence italienne mettait en ligne un premier site internet consacré à la
convention juste à temps pour la conférence.
régulièrement des rapports d’information sur le « développement durable dans les régions montagneuses » :
Documents A/60/309 (2005), A/62/292 (2007) et A/64/222 (2009).
1 Sur le processus liechtensteinois, voir Thomas Bruha (2002), «Implementation of the Alpine Convention in
Liechtenstein», dans International law and the protection of mountain areas, édité par Tullio Treves et al.,
Milano, Giuffré, tandis que sur les conséquence juridiques de la ratification autrichienne, voir supra et, inter alia,
Randier, «Convention alpine et droit comparé: l’exemple de l’Autriche».
2 Voir le Projet de loi du 22 février 2002, n. C 2381 ; voir aussi Angelini et al., «Implementation of the Alpine
Convention in Italy».
3 Comparer les rapports annuels de 2001, 2002 et 2003.
4 Voir CIPRA (2002), «2 e rapport sur l’état des Alpes: données, faits, problèmes, esquisses de solutions»,
Schaan, CIPRA.
291

La septième Conférence alpine se réunit le 19 et 20 novembre 2002 à Merano (Italie).
Suite aux protestations qui ont suivi la Conférence de Lucerne, un représentant de la
Commission européenne a assisté aux travaux, à côté de celui du PNUE, qui s’intéressait
finalement à la Convention alpine, et de deux délégués des Carpates. Les quatre groupes de
travail techniques (avalanches, transports, population et culture et objectifs de qualité
environnementale) ont présenté leurs rapports et ont eu leur mandat confirmé ou étendu sans
aucun problème. Seul le Groupe « population et culture » mérite d’être mentionné, car il était
clair que les parties n’étaient pas d’accord sur la nature juridique ou non du document qu’elles
allaient négocier. 1 Les parties n’étaient pas convaincues de la nécessité d’élaborer de
nouveaux protocoles avant la pleine exécution des protocoles existants : le « Principe de
Brdo » était encore en vigueur. 2
Sous présidence suisse, le Groupe « mécanismes de mise en œuvre » avait finalement
produit une procédure de vérification, qui reposait sur un système de rapports nationaux, qui
étaient rédigés sur la base d’un questionnaire standardisé et qui étaient transmis tous les quatre
ans à un nouveau « Groupe de vérification » permanent (sous présidence tournante). 3 Ce
groupe était censé identifier les lacunes dans la mise en œuvre de la convention dans un
rapport régulier au Comité permanent, contenant des projets de décision ou de
1 Décision VII/9 (2002).
2 Voir supra.
3 Document VII/4 (2002). Sur le Groupe de vérification, voir Tim Enderlin (2002), «A compliance mechanism
within the Alpine Convention», dans International law and the protection of mountain areas, édité par Tullio
Treves et al., Milano, Giuffré; id. (2003), «A different compliance mechanism», Environmental Policy and Law,
vol. 33, n. 3-4, ainsi que Laura Pineschi (2004), «The Convention for the protection of the Alps and its
protocols», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, p.
200-207. Espèce de « projet pilote » du mécanisme de vérification, la publication par le juriste italien Tullio
Treves et al., éd. (2002), International law and the protection of mountain areas, Milano, Giuffré, et préparée
comme contribution à l’AIM, contient, inter alia, les résultats d’un questionnaire sur la mise en œuvre de la
convention et de ses protocoles dans chaque partie. Une deuxième édition de cet ouvrage a été profondément
retravaillée et publiée comme id., éd. (2004), Sustainable development of mountain areas, Milano, Giuffré. Sur
les procédures de vérification (en anglais : compliance) des accords multilatéraux sur l’environnement, voir
l’abondante littérature juridique.
292

ecommandation pour la Convention alpine. Bien qu’elle ait une « nature consultative, non-
conflictuelle, non-judiciaire et non-discriminante », la procédure permettait aux parties et Ŕ ce
qui est tout à fait exceptionnel Ŕ aux observateurs, en principe, de formuler des avis sur la
mise en œuvre des autres parties. Ceci était important pour prévenir des incompatibilités. Si,
comme on peut l’imaginer, les parties critiqueront difficilement l’œuvre de leurs pairs, les
observateurs comme la CIPRA ou l’UICN Ŕ l’esprit critique de la convention Ŕ seront
centraux dans ce processus. Même si la procédure prévoit l’adoption des rapports de mise en
œuvre à la majorité qualifiée (trois-quarts), les parties rechercheront toujours le consensus,
aussi car le rapport passe, en seconde instance, au Comité permanent et, en troisième, à la
Conférence alpine, qui délibère à l’unanimité. A Merano, la procédure sera l’objet d’un débat
intense sur sa compatibilité avec l’esprit et la lettre de la convention-cadre, mais le projet du
groupe de travail était suffisamment équilibré et le texte sera finalement été approuvé sans
modification. 1
La question la plus épineuse était sans doute celle du secrétariat permanent. Sous la
présidence italienne, un appel d’offres international avait été publié. Le Comité permanent
avait donc reçu et, comme cela avait été décidé à Lucerne, évalué « techniquement » toutes les
candidatures parvenues. Le statut du secrétariat, la procédure de nomination du secrétaire
général et de son adjoint et les règles de financement étaient prêts. Quatre candidatures se
distinguaient des autres : Lugano (Suisse), Innsbruck (Autriche), Grenoble (France) et
Bolzano (Italie). Aucune partie ne semblait prête à céder sa candidature. Finalement, l’Italie,
en la personne du ministre Mattioli, et de ses hautes fonctionnaires, qui étaient pressés
d’obtenir des résultats au terme de la biennie de présidence, a débloqué la situation, en se
lançant dans une série de négociations bilatérales pour tisser le soutien nécessaire à porter le
secrétariat en Italie : avec l’Autriche, en proposant de souder les candidatures des villes
« jumelles » d’Innsbruck et Bolzano dans une candidature transfrontalière ; avec la France, en
1 Voir aussi Pineschi, «The Convention for the protection of the Alps and its protocols», p. 206-207.
293

soutenant le candidat français au poste de secrétaire général ad interim ; avec l’Allemagne, en
promettant, on peut supposer, un vice-secrétaire de langue allemande ; avec la Slovénie, en
promettant de financer le poste d’un expert slovène au secrétariat ; enfin, avec la Suisse, en
levant une réserve que l’Italie avait exprimé sur le mécanisme de vérification. 1 Le paquet avait
donc été confectionné selon les règles de l’article
La conférence ministérielle a donc choisi Innsbruck et Bolzano comme sièges
conjoints du secrétariat permanent. 2 Innsbruck accueillerait les fonctions politiques et
administratives, tandis que Bolzano, qui hébergerait le secrétariat dans les locaux de
l’EURAC, assurerait les fonctions techniques et scientifiques. Ceci était particulièrement
significatif non seulement pour le SOIA, qui retrouvait ainsi une nouvelle unité de
coordination en Italie, mais aussi pour les services de traduction et d’interprétation, qui étaient
facilités par le bilinguisme italien et allemand de Bolzano. Pour soutenir les travaux du
secrétariat, les ministres ont approuvé un financement obligatoire à la hauteur de 800 000 euro
par an. Pour la répartition des contributions, les parties se sont servies d’une formule, qui
tenait compte de la surface, de la population et du PIB et qui attribuait donc à l’Italie et à
l’Autriche, avec 26,5 % et 24,5 % du total, le rôle de financeurs principaux, ce qui était tout à
fait raisonnable. 3 On ne peut pas exclure que cette question soit liée au résultat des
négociations sur le secrétariat.
La conférence a aussi choisi un Français, en la personne de Noël Lebel, l’un des
initiateurs de Via alpina, comme secrétaire général ad interim, avant que la procédure pour la
1 Cette reconstruction repose, en particulier, sur une interprétation du Document VII/2 (2002), notamment de la
quatrième annexe.
2 Décision VII/5 et Document VII/2 (2002). Il faut noter que l’appellation des sièges conjoints ne correspond pas
exactement dans les quatre langues : par exemple, dans la version italienne, on parle de « sede di Innsbruck » et
« sede di Bolzano », tandis que dans le texte français on trouve « siège d’Innsbruck » et « bureau de Bolzano »
(Document VII/2, section A).
3 Suivis par la France (18 %), la Suisse (14,5%), l’Allemagne (8,5%), la Slovénie (4%) et les micro-états (2%
chacun).
294

nomination d’un secrétaire ne soit entamée. Il est important de souligner que le secrétariat
possède un statut international avec toutes les immunités diplomatiques qui en dérivent.
Certaines parties ne considéraient pas la Convention alpine comme une organisation
internationale et voulaient maintenir une structure minimaliste d’ordre national, tandis que
certaines autres estimaient que la convention devait se doter d’institutions indépendantes. 1
Finalement, l’accord conclu représentait un compromis entre ces deux perspectives : avec le
secrétaire général, son adjoint, quatre unités de personnel et quelques collaborateurs externes,
répartis qui plus est sur deux sièges et alourdis par quatre langues de travail, on ne peut pas
considérer le secrétariat comme une grande organisation, exception faite de ses tâches. En
principe, sa dimension et ses prérogatives devaient lui donner, en même temps, l’agilité et la
crédibilité nécessaires pour poursuivre les objectifs de la convention.
A la fin de la présidence italienne, on aurait pu penser que la phase de renforcement
institutionnel était conclue. La convention commençait même à avoir des épigones dans
d’autres contextes, à commencer par les Carpates, sous tutelle italo-autrichienne, mais aussi
dans le Caucase, sous initiative allemande, et en Asie centrale, avec le soutien de la Suisse. A
Merano, ces régions de montagne avaient été déclarées « zones prioritaires de coopération » et
la Convention alpine avait été présentée comme un « modèle de développement durable » et
même un « exemple de renforcement de la participation citoyenne et de la démocratie » : s’il
était vrai, d’un côté, que la convention intégrait une quantité extraordinaire de domaines
pertinents au développement durable, de l’autre, cela est bizarre car dans son histoire elle s’est
souvent trouvée en difficulté du fait de sa distance des collectivités territoriales et des
représentants parlementaires. 2 Dans ces contextes, certaines parties jouaient donc un rôle
important dans le soutien des initiatives existantes (pour ne pas parler de « zones
1 Voir la contribution par l’ancien membre de la Délégation italienne Irini Papanicolopulu (2004), «The
Secretariat of the Alpine Convention», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves
et al., Milano, Giuffré.
2 Document VII/10 (2002).
295

d’influence »), souvent dans le cadre du Partenariat de la montagne qui, par ailleurs,
organisera sa première assemblée mondiale toujours à Merano en octobre 2003. 1 Mais
l’événement le plus significatif est certainement la conclusion de la Convention pour la
protection et le développement durable des Carpates (« Convention des Carpates »), signée au
mois de décembre à Kiev lors de la cinquième conférence du processus « Un environnement
pour l’Europe ». 2 Elle était censée avoir appris des erreurs de la Convention alpine, mais voici
à nouveau un processus dicté par Kiev, Bucarest, etc., qui reproduit presque intégralement le
texte de sa convention « sœur ». L’Autriche soutient le processus en faisant cadeau d’un
secrétariat petit mais compétent, hébergé ad interim par le PNUE à Vienne, tandis que le
Ministère de l’environnement italien finançait un projet parapluie pour le soutien technique
aux premières phases du processus. 3 Il est intéressant de noter ici l’entrée sur le terrain du
1 Une deuxième assemblée aura lieu à Cusco (Pérou) en 2004. Aucune autre réunion mondiale du Partenariat
n’aura lieu jusqu’à ce jour.
2 En 2008, les secrétariats et les présidences des deux conventions ont signé un memorandum of understanding
(MoU), en formalisant leur coopération.
3 Ce projet a produit une série de publications par les Hongrois du REC (Regional Environmental Center) et les
Italiens de l’EURAC : Flavio V. Ruffini et al. (2006), «Implementing an international mountain convention: an
approach for the delimitation of the Carpathian Convention area», Bolzano, EURAC, sur le périmètre
d’application de la Convention des Carpates (2006), les états de lieux politiques, juridiques et institutionnels dans
les sept parties de la convention par Ingrid Belcakova (2007), «National assessment of the national policy,
legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention: Slovakia», dans National
assessments of the policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention,
Szentendre, Regional Environmental Center for Central and Eastern Europe, European Academy Bolzano;
Tetyana Budyakova et al. (2007), «National assessment of the national policy, legislative and institutional
frameworks related to the Carpathian Convention: Ukraine», dans National assessments of the policy, legislative
and institutional frameworks related to the Carpathian Convention, Szentendre, Regional Environmental Center
for Central and Eastern Europe, European Academy Bolzano; Emilian Burdusel (2007), «National assessment of
the national policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention: Romania»,
dans National assessments of the policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian
Convention, Szentendre, Regional Environmental Center for Central and Eastern Europe, European Academy
Bolzano; Jelka Crnobrnja-Isailovic et Rada Matic (2007), «National assessment of the national policy, legislative
and institutional frameworks related to the Carpathian Convention: Republic of Serbia», dans National
assessments of the policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention,
Szentendre, Regional Environmental Center for Central and Eastern Europe, European Academy Bolzano; Jana
296

PNUE, qui s’était tenu, avant cela, à l’écart des montagnes, mais qui arrivait avec toutes ses
compétences en accords régionaux sur l’environnement. Parallèlement, le lancement en 2004
à Kuala Lumpur d’un Programme de travail sur la diversité biologique des montagnes de la
CBD ne semble qu’indirectement lié aux processus alpin, carpatique ou au Partenariat de la
montagne. 1 Or, la phase de renforcement institutionnel ne faisait que commencer.
Hajduchova et Veronica Zocsop (2007), «National assessment of the national policy, legislative and institutional
frameworks related to the Carpathian Convention: Czech Republic», dans National assessments of the policy,
legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention, Szentendre, Regional
Environmental Center for Central and Eastern Europe, European Academy Bolzano; László Máthé et Fiona
Borthwick (2007), «National assessment of the national policy, legislative and institutional frameworks related to
the Carpathian Convention: Hungary», dans National assessments of the policy, legislative and institutional
frameworks related to the Carpathian Convention, Szentendre, Regional Environmental Center for Central and
Eastern Europe, European Academy Bolzano; Wojciech Mroz (2007), «National assessment of the national
policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention: Poland», dans National
assessments of the policy, legislative and institutional frameworks related to the Carpathian Convention,
Szentendre, Regional Environmental Center for Central and Eastern Europe, European Academy Bolzano, ainsi
que REC (2007), «Handbook on the Carpathian Convention», Szentendre, REC - EURAC. Entre 2006 et 2008,
le développement de la convention a été soutenu aussi par le programme communautaire INTERREG
« CADSES » (Central, Adriatic, Danubian and South Eastern European Space).
1 Décision VII/27 (2004). En 2008, lors de la COP-7 de la CBD à Bonn, afin de rapprocher les deux processus,
les secrétariats et les présidences des trois conventions ont signé un nouveau memorandum of understanding
(MoU). D’un autre côté, les Résolutions 3.038-40 (2004) du Congrès mondial de la nature de l’UICN (sur la
conservation et le développement durable des régions de montagne, sur un partenariat pour les montagnes
méditerranéennes et sur la coopération transfrontière dans les régions de montagne, respectivement) reposent
aussi sur les expériences alpine et carpatique, ainsi que sur le partenariat et sur une brochure présentée lors du
forum parallèle du congrès et éditée par Martin F. Price, éd. (2004), Conservation and sustainable development
in mountain areas, Gland, IUCN. En 2003, une « Mountain Initiative Task Force » s’était installée auprès de
l’UICN. Depuis cette année-là, Price dirigeait le projet GLOCHAMORE (Global Change in Mountain Regions)
du programme UNESCO/MAB, qui a été soutenu aussi par le 6 e programme-cadre de recherche communautaire.
Dans le cadre de ce projet, une première grande kermesse mondiale de la recherche sur les montagnes a été
organisée en 2005 à Perth (Ecosse). Les actes de la conférence ont été publiées par id., éd. (2006), Global change
in mountain regions, Duncow, Sapiens, à ne pas confondre avec le volume par Uli. M. Huber et al., éd. (2005),
Global change and mountain regions: an overview of current knowledge, Dordrecht, Springer. Une deuxième
kermesse a été organisée en 2010 toujours à Perth, où Price a créé un Centre for Mountain Studies (CMS) en
2000. La même année, l’UICN avait adopté une résolution sur la préservation des écosystèmes de montagne en
Europe (2.45).
297

L’Allemagne, qui assumait à nouveau la présidence de la convention quatorze ans après
Berchtesgaden, se retrouvait donc dans une situation délicate à gérer. 1
Finalement, il faut signaler, avec Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz, une
conséquence de longue période de la Présidence italienne de la Convention alpine. 2 Au
deuxième semestre de 2003, l’Italie détenait la présidence tournante de l’UE et concentrait la
presque totalité de ses efforts sur l’adoption du « Traité constitutionnel » pour l’UE. Suite à
une rencontre informelle des ministres européens en charge de l’aménagement du territoire à
Taormine (Italie), Caveri et l’AEM arrivent à faire inscrire dans le Traité de Rome de 2004,
avec le soutien de Giscard d’Estaing, une mention sur la montagne, même si les termes
employés peignaient toujours la montagne sous une lumière négative :
…une attention particulière est accordée aux zones rurales […] et aux régions
souffrant de handicaps graves et permanents telles que les régions septentrionales
[…] et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. 3
Bien que le traité ne fût pas ratifié suite au « non » français et néerlandais, la mention restera,
selon la même formulation, dans le texte du Traité de Lisbonne de 2009, donnant ainsi pour la
première fois un mandat clair à l’intention de l’UE de s’occuper de la montagne. 4 Cela ne
serait qu’un détail, si cela ne représentait une avancée majeure pour la cause montagnarde à
Bruxelles.
1 La séquence recommençait donc : Allemagne, Autriche, France, Slovénie, etc.
2 Voir Debarbieux et Rudaz, Faiseurs de montagne, p. 277-278.
3 Article III-220 du Traité de Rome de 2004.
4 Article 174 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (version consolidée).
298

Présidence allemande et Conférence de Garmisch-Partenkirchen (2002-2004)
La présidence passait donc à l’Allemagne. 1 Le ministre de l’environnement allemand
était encore le vert Trittin. Des trois ministres verts, il était le seul à être resté en poste.
L’Allemagne reprenait la présidence avec enthousiasme, en focalisant la période sur le
développement du programme de travail pour la mise en œuvre à moyen terme de la
convention qui avait été décidée à Lucerne. La présidence italienne n’avait pas eu le temps de
l’aborder. Mais il y avait encore plusieurs questions à régler concernant le secrétariat, y
compris l’élaboration des règlements du personnel et financier. 2 Sous l’impulsion du
secrétaire Lebel, deux accords de siège ont dû être négociés de toute urgence et conclus avec
l’Autriche et l’Italie, respectivement en juin et en septembre 2003, pour rendre les bureaux
d’Innsbruck et de Bolzano enfin opérationnels. Il fallait également lancer la procédure de
sélection du premier véritable secrétaire général et de son adjoint en temps utile pour la
conférence ministérielle. Des signaux contrastants arrivaient des parties : si, en novembre, la
Slovénie s’ajoute aux états qui ont ratifié tous les protocoles et si, en Autriche, la cour
constitutionnelle s’exprime en faveur de l’applicabilité directe du Protocole « protection des
sols », les chambres hautes italienne et suisse décident de retarder le processus de ratification
des protocoles toujours en 2003. 3 Dans le cas italien, c’est notamment le Protocole
« transports » qui, avec son interdiction de nouvelles routes à grand débit, préoccupe les
sénateurs au point de renverser la décision de la chambre basse de l’année précédente.
Entre-temps, l’AIM avait encouragé les promoteurs du processus en faveur de la
Charte européenne des régions de montagne (AEM, EUROMONTANA, etc.) à essayer une
dernière fois. La procédure était celle qu’on a déjà vu : suite à un rapport et à une résolution
du Parlement européen sur les effets néfastes des politiques communautaires sur l’agriculture
1 A partir de 2004, cette reconstruction repose aussi sur l’intégralité des décisions des Comités permanents et de
la documentation relative.
2 Décision VIII/18 (2004).
3 Sur le rapport entre la Convention alpine et le droit autrichien, voir supra.
299

de montagne en 2001 1 et à un rapport du Comité des régions de la même teneur 2 , en 2003, le
CPLRE du Conseil de l’Europe approuve une recommandation pour l’adoption de la Charte
européenne 3 , en insistant cette fois-ci sur la nature non-contraignante de ses provisions, suivie
par une nouvelle recommandation de l’Assemblée parlementaire, qui insistait par contre sur
l’importance du développement durable des régions de montagne. 4 Encore une fois,
l’initiative s’arrête à ce stade, où elle se trouve à ce jour. Si, par exemple, la réforme de la
PAC de 2005 reformule la définition de zones de montagne, en pratique, elle ne fait que
réaffirmer les principes de 1975. 5 Par contre, ce que la Commission européenne retient de ces
initiatives est l’importance d’obtenir une définition claire des régions de montagne, qui aurait
permis de mieux cibler des politiques éventuelles, mais qui n’était pas encore disponible. Pour
cette raison, elle commissionne une étude, qui utilise aussi les nouvelles technologies de la
géographie digitale (SIG), mais qui ne servira finalement pas à la définition de politiques
nouvelles. 6 A ce stade, il faut constater tout simplement le manque d’intérêt pour une
politique européenne : la coopération régionale, le développement rural ou d’autres domaines
avaient des capacités de mobiliser le niveau européen bien supérieures aux questions
montagnardes. En ce sens, à partir de 2003, l’envoi à la Commission européenne d’une unité
de personnel financée par l’Allemagne et l’Autriche pour s’occuper de la Convention alpine a
eu une utilité limitée. Le discours de l’époque était que les montagnes n’avaient rien de
spécial, qui ne puisse justifier leur séparation des autres politiques sectorielles. Cette
1 Rapport PE 286.44 (« Rapport Ebner ») et Résolution 2000/2222(INI) (2001) : « considérant que les paiements
compensatoires établis par l’UE […] ont contribué à enrayer cet exode des populations des régions de montagne
et l’abandon des activités agricoles » (paragraphe G).
2 Rapport 182/2002 (2003).
3 Recommandation 130 (2003).
4 Recommandation 1638 (2003).
5 Voir Sébastien Marciali (2008), «Convention alpine et Union européenne», dans La Convention alpine: un
nouveau droit pour la montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France, p. 48.
6 Voir l’étude par NORDREGIO (2004), «Zones de montagne en Europe: analyse des régions de montagne dans
les états membres actuels, les nouveaux états membres et d’autres pays européens», Commission éuropéenne ;
voir aussi supra.
300

echerche d’une spécificité montagnarde sera aussi l’un des thèmes centraux et l’une des
difficultés principales de la convention dans cette période.
Avec la dimension transnationale, cette question des « mesures spécifiques » aux
Alpes, sera au centre de l’élaboration du programme de travail pluriannuel (PTP), qui était
prioritaire pour la présidence allemande. La phase d’élaboration des protocoles étant terminée,
il fallait développer un plan d’action pour la période suivante. L’accent était mis sur la
concrétisation des protocoles existants, bien que quatre objectifs de la convention restassent
sans protocole d’application (« population et culture », « qualité de l’air », « régime des
eaux » et « déchets »). Puis, il y avait des questions transversales comme la recherche
scientifique qu’il fallait reprendre. Certains, comme la CIPRA mais aussi l’Italie, proposaient
de s’engager dans la négociation d’au moins deux nouveaux protocoles : « population et
culture », qui pouvait compter sur le groupe de travail homonyme à celui de la présidence
italienne, et « régime des eaux », dont un projet avait été proposé par la CIPRA. 1 D’autres,
comme la France, souhaitaient maintenir le « Principe de Brdo » et continuer à s’abstenir de
participer à l’élaboration de nouveaux protocoles avant que les protocoles existants ne soient
ratifiés par toutes les parties et pleinement mis en œuvre. Un plan d’action à moyen terme
était donc une manière de relancer le processus sans s’engager nécessairement dans de
nouveaux protocoles. La tâche d’élaborer un projet de plan a été l’un des premiers travaux à
être confié au secrétariat. 2 Cependant, tandis que les travaux des différents groupes
procédaient tranquillement, le secrétariat traversait une première crise.
En septembre 2003, lors d’une réunion du Comité permanent, le secrétaire Lebel
propose la nomination d’un fonctionnaire de l’UNESCO, Axel Hebel, au poste de vice-
1 Décision 26/12 (2004). Le Projet de protocole « eau » a finalement été écarté par le Comité permanent, car la
législation communautaire en vigueur, notamment la Directive « eau » (2000/60/CE) suffisait déjà aux nécessités
des Alpes (Décision 27/11).
2 Décision 25/3, paragraphe I, alinéa 3 (2003).
301

secrétaire général, avant de procéder à l’embauche du reste du personnel. 1 Finalement, cette
personne renonce au poste et, en décembre 2003, la présidence allemande convoque une
réunion extraordinaire du Comité permanent à Berlin pour choisir un nouveau vice-secrétaire
général. A Merano, la décision avait été prise que la personne devait être de langue allemande
et à Berlin le choix est tombé sur Ruggero Schleicher-Tappeser, qui avait fondé et dirigeait
une petite boîte de consulting en développement durable et coopération européenne à Fribourg
(Allemagne). A l’époque, la Délégation italienne avait exprimé sa préoccupation quant à
l’absence d’unités de personnel du secrétariat de langue italienne. 2 La question n’était pas
uniquement formelle. Si le secrétariat devenait complètement germanophone, les parties de
langue allemande se trouvaient dans une situation d’avantage par rapport aux autres. De plus,
Noël Lebel ne pouvait plus maintenir son poste de secrétaire général ad interim et devait
prendre sa retraite, avec le projet Via alpina, qui était devenu une réalité. La compétition pour
lui trouver un successeur était lancée.
Le vice-secrétaire étant en charge du siège de Bolzano, l’arrivée de Schleicher au
secrétariat a coïncidé avec une crise majeure entre l’Italie et le Secrétariat permanent. Le
Ministère de l’environnement, la Province autonome et la Commune de Bolzano mettaient
non seulement à disposition du secrétariat les locaux à Bolzano, mais avaient créé aussi une
« unité de coordination » d’environ six unités de personnel, qui était censée soutenir le siège
de Bolzano, qui était à court de personnel, dans ses fonctions de coordination scientifique et
de service linguistique, ainsi que dans les partenariats internationaux. 3 Ceci aurait été
1 Décision 27/6, alinéa 4 (2004).
2 L’article 5 du Statut établit le principe de la « prise en compte de valeur égale des langues officielles » qui
devra être garantie dans la sélection du personnel, auquel s’est ajouté par voie coutumière le corollaire de la
présence d’au moins une unité de personnel pour chaque langue officielle.
3 Voir l’entretien avec Paolo Angelini, tout à la fois point focal national italien et chef de cette unité de
coordination, par Stefania Coluccia (2003), «Tra Roma e Bolzano, distanze ravvicinate (a colloquio con Paolo
Angelini)», Academia, n. 33. Voir aussi le compte-rendu de la réunion-débat avec le secrétaire Lebel du 14 avril
2004 supra.
302

particulièrement important pour le SOIA, qui se retrouvait dans une impasse : la coordination
décentralisée établie à Lucerne se réduisait à une série d’initiatives, qui se concrétisaient
parfois dans des groupes de travail, comme dans le cas des indicateurs environnementaux, ou
encore parfois dans des projets nationaux, qui étaient simplement mis à disposition des
parties, comme dans le cas du site internet (Italie), du système intranet « CIRCA » (Autriche),
etc. Le Groupe de travail « SOIA » avait été transformé en de simples réunions de
coordination des points focaux nationaux, qui avaient adopté comme tactique de court terme
l’intégration de tous les rapports produits par la convention, à commencer par celui sur les
indicateurs, dans le SOIA, qui devenait ainsi une espèce de centre de documentation, et
comme stratégie de long terme la préparation d’un rapport sur l’état des Alpes (en anglais :
environmental outlook), reprenant ainsi l’un des éléments du projet initial qui avait été préparé
par Grenoble et présenté à Chambéry en 1994 et qui avait été repris par la CIPRA dès 1998. 1
Cette impasse du SOIA se manifestait, par exemple, par sa marginalité dans l’élaboration du
rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) sur la biodiversité en Europe de
2002, bien que le rapport consacre une section entière à la région alpine, qui comprenait, par
ailleurs, toutes les montagnes d’Europe dans une seule région biogéographique. 2 Même si,
dans le projet initial, le SOIA avait dû être intégré dans les activités de l’AEE, l’agence aurait
finalement fait appel à la CIPRA pour obtenir les informations dont elle avait besoin.
Or, vu les ressources limités du secrétariat, ainsi que d’autres considérations,
Schleicher a décidé d’ignorer l’offre italienne et a préféré concentrer ses efforts sur le siège
d’Innsbruck. Il est clair que l’Italie n’a pas apprécié du tout. La « bataille des recueils », à
savoir la publication à peu près contemporaine de deux recueils des documents fondamentaux
1 Décisions 26/13 (2003) et VIII/9 (2004). Le rapport sur les indicateurs à été publié sous la coordination de Hain
«Pour une documentation des changements dans l’espace de vie alpin: système d’indicateurs et concept pour un
rapport d’évaluation de l’état des Alpes».
2 Voir le rapport EU, EEA (2002), «Europe’s biodiversity: biogeographical regions and seas», Copenhagen,
EEA.
303

(convention, protocoles, etc.), l’un par le secrétariat et l’autre par l’Italie, les deux dans les
quatre langues officielles, a été représentative de cette période. 1 A propos d’un rapport préparé
par Schleicher, l’Italie s’exprimera formellement en ces termes :
L’Italie est d’avis que […] la responsabilité de la baisse de performance lors de
l’exécution du programme de travail dans l’accord-cadre [sur le siège de Bolzano]
incombe uniquement au Secrétariat… En outre, l’Italie ne partage pas le fait que la
responsabilité pour l’interruption, en juillet 2004, des travaux de réorganisation du
SOIA lui soit attribuée, étant donné que celle-ci a été décidée par le Secrétariat sous
sa propre responsabilité. 2
La présidence allemande s’était donc retrouvée à gérer, avec un certain dirigisme, une
situation délicate, qui n’a fait que polariser le « bloc allemand », auquel s’ajoutait la France,
d’un côté, et le « bloc italien », sur lequel s’alignait la Slovénie, de l’autre.
La huitième Conférence alpine a été précédée par une série de grands changements sur
la scène européenne et de cérémonies : le « grand » élargissement de l’UE à l’est, y compris la
Slovénie, le 1 er mai 2004 (seule la Suisse et les micro-états restent au-dehors de l’UE), la
signature du Traité « constitutionnel » de Rome du 29 octobre, etc. La Conférence a eu lieu le
16 novembre 2004 à Garmisch-Partenkirchen (Allemagne), sous la présidence du vert Trittin
et en présence de tous les ministres de l’environnement, à l’exception de l’Italie, qui était
représentée par le sous-secrétaire d’état, et du Commissaire européen, qui n’était pas présent.
Même si les principes d’une répartition des tâches organisationnelles entre le secrétariat et la
présidence avaient été approuvés, la présidence maintenait, et continue à ce jour à jouer, un
rôle important d’orientation. 3 La priorité de la présidence était, bien sûr, le programme de
1 Voir Convention alpine, Convention alpine: ouvrage de consultation; Paolo Angelini et al. (2004), Collectio de
la Convention alpine, Bolzano, EURAC research.
2 Déclaration de l’Italie sur la Décision VIII/17 (2004).
3 Décisions 26/5-8 (2003).
304

travail pluriannuel (PTP), mais la question la plus délicate était la nomination du secrétaire
général. Le PTP était réduit à une liste de priorités sans valeur particulière. Il codifiait ce que
la convention faisait déjà (groupes de travail, rapport sur l’état des Alpes, etc.). Il renforçait le
mandat sur les partenariats internationaux, les risques naturels et la question émergente des
changements climatiques. Le PTP sera approuvé sans grande difficulté, mais il terminera aussi
dans un tiroir, l’attention de la conférence étant focalisée sur le choix du secrétaire : il fallait
quand même choisir le « chef » (symbolique) des Alpes ! 1 Deux mois avant Garmisch, dans le
cadre d’une procédure de sélection internationale, le Comité permanent a identifié « deux
candidats fondamentalement aptes » au poste de Secrétaire général : le vice-secrétaire
Schleicher et le juriste italien Marco Onida, qui était à l’époque fonctionnaire auprès de la DG
« environnement » de la Commission européenne. En raison, notamment, de l’expérience
négative de la Délégation italienne avec le vice-secrétaire Schleicher autour de la gestion du
siège de Bolzano et de l’absence de collaborateurs de langue maternelle italienne ou, par
ailleurs, française parmi le personnel du secrétariat, l’Italie a mis son véto à la nomination de
Schleicher, qui recueillait les faveurs de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse et du
Liechtenstein, auxquels s’étaient ajoutés, apparemment au dernier moment, la France et
Monaco. 2
Bien qu’en position presque isolée (soutenue uniquement par la Slovénie), l’Italie,
représentée par le sous-secrétaire d’état, qui à l’époque était le berlusconien toscan Roberto
Tortoli (FI), n’a pas levé son véto. Finalement, la présidence allemande a dû constater qu’« un
1 Le PTP sera publié par le secrétariat (2005), accompagné par la brochure La Convention alpine se concrétise :
objectifs et mise en œuvre (2004) préparée par la Délégation allemande. Celle-ci contribuera à irriter
ultérieurement la Délégation italienne à cause non seulement de la faible présence d’exemples italiens, mais
aussi d’une banale erreur d’orthographe dans le titre de la version italienne, qui était une preuve tangible des
conséquences de l’absence d’une unité de personnel de langue italienne au sein du secrétariat.
2 Voir le communiqué de presse de l’ONG environnementaliste italienne Legambiente du 17 novembre 2004.
Voir aussi l’allocution du ministre Lepeltier du 10 février 2005 (supra).
305

consensus n’a pas pu être obtenu ». 1 De jure, la convention se trouvait donc sans tête pour au
moins une autre biennie, car seule la conférence avait le pouvoir de nommer le secrétaire
général et son adjoint. De facto, Schleicher se retrouvait à la direction du secrétariat,
remplissant les fonctions de vice d’un secrétaire général qui n’existait pas. Ceci
compromettrait ultérieurement les relations de Schleicher avec Bolzano et Rome et
compliquerait celles de l’Italie notamment avec Berlin et Paris.
Indépendamment de ces questions, une fois archivée la question du Protocole « eau »
proposée par la CIPRA, la conférence décide formellement de ne pas procéder à la
négociation d’un nouveau Protocole « population et culture », mais d’en transposer plutôt les
éventuels contenus dans une déclaration politique à approuver lors de la prochaine
conférence. 2 Apparemment, le « Principe de Brdo » ainsi que les rapports délicats de certains
pays (France, Suisse, etc.) avec leurs minorités ethnolinguistiques ont effrayé certaines
délégations plus que le fantasme du Protocole « population et économie », rejeté à Chambéry.
Cependant, l’insistance d’autres parties (Italie, Autriche, etc.), appuyés par la CIPRA 3 , a fait
qu’une solution de compromis sera trouvée, sous la forme de la vérification de la mise en
œuvre de la déclaration à quatre ans de distance de son adoption, pour que l’option du
protocole soit reprise en considération. Ce qui pourrait apparaître bizarre est que la convention
semblait se distancer des protocoles, en même moment que, à Paris, le processus de
1 Décision VIII/19 (2004).
2 Décision VIII/11 (2004).
3 La CIPRA était arrivée à la conférence avec une série de revendications de son bureau : ratification de tous les
protocoles par toutes les parties (Italie, Suisse et France), élaboration des Protocoles « eau » et « population et
culture », participation des régions et des communes, établissement de fonds de la convention pour des projets et
réalisation d’initiatives de mise en œuvre. Voir CIPRA (2004), «Résolution: revendications de la CIPRA à
l’attention des organes de la Convention alpine», CIPRA info, n. 73.En 2003, le réseau de communes Alliance
dans les Alpes avait déjà présenté une résolution spécifique concernant le Protocole « population et culture ».
Lors de la conférence, un memorandum of understanding (MoU) a été conclu entre le secrétariat et l’alliance, en
formalisant la coopération entre la convention et ce réseau de communes. En 2008, un autre MoU sera signé avec
l’association « Ville des Alpes de l’année ». Ces formes de coopération se banaliseront au fil des années.
306

atification des protocoles se débloquait à travers le rapport fait par Michel Destot (PS) à
l’Assemblée nationale (Rapport Destot) et la relance du Comité de suivi de la convention. 1 Si
ce rapport s’exprimait sur la non-applicabilité directe des protocoles, donc sur l’« innocuité »
de la convention, en même temps la Cour de justice des communautés européenne (CJCE)
condamnait la France dans le cas « Etang de Berre » pour le non-respect d’un protocole
d’application de la Convention de Barcelone sur la Méditerranée, même si ce protocole n’était
en vigueur qu’en droit communautaire à l’époque des faits. 2 Dans la Convention alpine, donc,
l’approche juridique reculait, tandis qu’elle semblait gagner du terrain pour d’autres accords
régionaux sur l’environnement.
Concernant les autres dossiers, la convention continue à élaborer une quantité
remarquable de rapports : le deuxième rapport sur les transports sous présidence française
(focalisé sur les grands corridors ferroviaires), le rapport final et les recommandations sur les
indicateurs environnementaux sous présidence allemande (plaidant une définition au niveau
communal et numérique du périmètre d’application) 3 et le rapport final et les
recommandations sur les avalanches, inondations, coulées de boue et glissements de terrain
sous présidence suisse (exhortant une gestion globale des risques) ; de plus, elle décide de
préparer un premier rapport sur l’état des Alpes et en donne la responsabilité au secrétariat
1 Rapport du 2 juin 2004 fait par Michel Destot au nom de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée
nationale sur le Projet de loi n. 813 autorisant l’approbation des protocoles d’application de la Convention alpine
qui n’avaient pas encore été ratifiés (« Rapport Destot »). Voir aussi la contribution de Caudal, «Convention
alpine et système institutionnel français».
2 Affaires de la CJCE C-213/03 du 15 juillet 2004 (Syndicat professionnel coordination des pêcheurs de l’Etang
de Berre et de la région et EDF) et C-239/03 du 7 octobre 2004 (Commission européenne contre France). Voir
l’article par Antoinette Hildering et al. (2009), «Tackling pollution of the Mediterranean Sea from land-based
sources by an integrated ecosystem approach and the use of the combined international and European legal
regimes», Utrecht Law Review, vol. 5, n. 1, et le commentaire par Nathalie Hervé Fournereau (2005),
«Commentaire sous CJCE, 15 juillet 2004, Syndicat professionnel coordination des pêcheurs de l’étang de Berre
et de la région et EDF, aff. C-213/03 et CJCE, 7 octobre 2004, Commission des Communautés européennes c/
République française, aff. C-239/03», Revue juridique de l’environnement, n. 2.
3 Voir encore Hain «Pour une documentation des changements dans l’espace de vie alpin: système d’indicateurs
et concept pour un rapport d’évaluation de l’état des Alpes».
307

avec l’aide des parties ; elle approuve le mandat pour un troisième rapport sur les transports
toujours sous présidence française (centré sur l’accès aux grands sites touristiques) ; enfin, la
convention continue aussi à instituer de nouveaux groupes de travail : dans ce cas, la Plate-
forme « risques naturels » (PLANALP) sous présidence suisse. 1 Il est important de s’arrêter
un moment sur l’appellation « plate-forme » de ce groupe de travail. A l’intérieur de
l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT), les « plates-formes » et les « forums »
sont des instances visant à promouvoir l’interdisciplinarité et la participation. De manière
analogue, cette première plate-forme de la Convention alpine était vouée au dynamisme et à
l’ouverture, sans cependant modifier la composition des membres, qui restait limitée aux
représentants des parties contractantes et des observateurs officiels. 2 Il est intéressant de noter
aussi que le mandat de cette plate-forme s’étend jusqu’aux changements climatiques. Dans la
période 2006-2008, ceci permettra à la plate-forme d’obtenir des cofinancements de la part
d’INTERREG à travers le projet « ClimChAlp ».
En effet, sous présidence allemande, des acteurs présents dans les cercles de la
Convention alpine (ALPARC, CIPRA, ministères allemand et italien, etc.) ont commencé à
utiliser le Programme « espace alpin » pour financer des projets (HABITALP, DYNALP,
AlpFRail, etc.) pour l’application des protocoles (« protection de la nature », « transports »,
etc.) ou pour la récolte d’informations nécessaires pour l’élaboration des rapports (transports,
risques naturels, etc.). 3 Bien que les critères pour l’approbation des projets (transports et
environnement, mais aussi compétitivité et développement) ne correspondent pas exactement
aux priorités de la convention, le Programme « espace alpin » et la convention ont
suffisamment d’éléments de convergence pour permettre l’approbation de plusieurs projets
1 Décisions VIII/7-10 (2004).
2 Document VIII/10/4 (2004).
3 A vrai dire, ces initiatives ont été précédées par les projets Via Alpina (2001-2004) et CulturALP (2002-2005).
Or, dans ces projets le mouvement n’a pas été de la convention vers le programme, mais du projet vers la
convention.
308

stratégiques pour les travaux de cette dernière. On peut estimer que, pendant leur « vie » de
projet, environ 30% des projets approuvés par le programme correspondent à des priorités
« vivantes » de la convention. Ce chiffre augmente considérablement si l’on compte aussi les
priorités passées ou potentielles. Il faut souligner que tous ces projets ont des budgets
importants : sur une base annuelle, chaque projet a normalement un budget de 850 000 euros.
Par comparaison, ces chiffres sont du même ordre de grandeur que le financement de base de
l’ensemble du secrétariat de la convention ! Entre 2001 et 2009, on peut estimer que le
programme a approuvé des cofinancements à la hauteur d’environ quatre millions d’euro par
an, qui sont déboursés par l’UE pour des activités convergentes avec les travaux de la
convention. 1 La tactique de la mise en œuvre de la convention par des projets devient de plus
en plus courante, mais on ne peut pas encore parler de stratégie. La perspective du programme
sera toujours celle de l’UE et l’attitude des acteurs de la convention sera plutôt tactique,
parfois prédatrice. 2
1 Les cofinancements étaient de 50% entre 2000 et 2006. Ils sont de 76% depuis 2007.
2 Une conciliation entre la perspective de l’UE et la convention pourrait se produire dans le processus pour une
« Stratégie macrorégionale pour les Alpes » en cours de développement depuis 2009. Cependant, on peut
supposer que le même processus conduit a contrario à un dépassement de la Convention alpine d’ici 2013, dans
le cas où les contenus de la convention seraient complètement intégrés à cette stratégie.
309

Durée Acronyme Convergences Financement
2001-04 Via Alpina Protocole tourisme 2 488 085 €
2002-05 CulturALP Groupe population et culture 1 665 000 €
2002-06 HABITALP Protocole protection de la nature 2 100 000 €
2003-06 DYNALP Autre 2 141 932 €
2003-06 Alps Mobility II - Alpine Pearls Groupe transports, Protocole tourisme 3 216 960 €
2003-07 AlpFRail Groupe transports 3 988 153 €
2005-07 ALPENCOM Protocole protection de la nature, SOIA 1 400 000 €
2005-08 DIAMONT SOIA 2 125 290 €
2005-08 LexALP SOIA 1 892 596 €
2005-08 MONITRAF Groupe transports 1 490 058 €
2006-08 AlpCheck Groupe transports 4 607 900 €
2006-08 NENA Autre 2 380 000 €
2006-08 ClimChAlp Déclaration climat, Plate-forme risques naturels 3 537 130 €
2008-11 AdaptAlp Plan climat 2 870 635 €
2008-11 ClimAlpTour Plan climat, Protocole tourisme 2 806 500 €
2008-11 CLISP Plan climat 2 522 990 €
2008-11 ECONNECT Plate-forme réseau écologique 3 198 240 €
2008-11 iMONITRAF! Groupe transports 1 734 768 €
2009-12 Alp-Water- Scarce Plate-forme eau 2 110 663 €
2009-12 DEMOCHANGE Groupe démographie et occupation 2 818 000 €
2009-12 MANFRED Autre 3 323 700 €
2009-12 SHARE Eau 2 700 000 €
2009-12 TRANSITECTS Groupe transports 3 209 375 €
Total 60 327 975 €
Tableau 5 : Projets approuvés par le Programme « espace alpin » et stratégiques pour les travaux en cours de la
Convention alpine. 1
Figure 20 : Représentation cumulative des financements approuvés par le Programme « espace alpin » pour des
projets stratégiques pour les travaux en cours de la Convention alpine (2001-2009). 2
1 Elaboration de l’auteur sur la base des données publiées par le programme, ainsi que de l’étude et de
l’observation directe des travaux de la convention.
2 Id.
70,000,000 €
60,000,000 €
50,000,000 €
40,000,000 €
30,000,000 €
20,000,000 €
10,000,000 €
- €
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
310
Tourisme
Culture
Nature
Transports
SOIA
Risques
Climat
Eau
Démographie
Autre

Pour conclure, vers la fin de la conférence, la France a présenté avec le soutien de
l’Allemagne un projet d’institution d’une Task force « espaces protégés » et de son
rattachement auprès du secrétariat. 1 Entièrement financée à travers une contribution volontaire
de la France, l’opération avait été présentée comme un soutien aux travaux du secrétariat, qui
manquait apparemment de personnel pour la communication, le SOIA, etc. :
…le rattachement du personnel de la « task force » au secrétariat concrétiserait
l’engagement commun du secrétariat et du réseau au service de la mise en œuvre du
Protocole « protection de la nature et entretien des paysages »… Il renforcerait aussi
les capacités et compétences du secrétariat et diversifierait ses capacités d’action sur
le terrain, notamment en matière de communication envers le grand public sur la
nature et les paysages… 2
En apparence, il s’agissait d’une contribution louable, dont le secrétariat aurait grandement
bénéficié. Cependant, cette opération aurait pu déranger les équilibres délicats du secrétariat. 3
A l’époque, personne n’aurait pu imaginer que cette contribution « innocente » à la fin de la
conférence cacherait autant de problèmes !
Nouvelle présidence autrichienne (2004-2006)
Fin 2004, la présidence passait donc pour une deuxième fois à l’Autriche. Cette
période sera marquée par un grand pragmatisme et par un individu faisant fonction de
président du Comité permanent, qui pouvait compter sur plus de dix ans d’expérience directe
des travaux de la Convention alpine. Ceci sera particulièrement important, vu la situation
délicate d’un secrétariat acéphale. Dans cette période, l’Autriche se distinguera aussi par une
série de décisions importantes, qui voient pour la première fois l’application des protocoles de
la Convention alpine dans un contexte judiciaire. Déjà à partir de 2003, par exemple, à un an
1 Décision VIII/13, alinéas 5-6 (2004).
2 Citation extraite du Document VIII/13/4 (2004).
3 Voir infra.
311

seulement de la ratification des protocoles par Vienne, sur la base de l’application directe du
Protocole « protection des sols », des décisions administratives du Land Tyrol Ŕ celui où siège
le secrétariat Ŕ empêchaient la construction de pistes de ski en zone instable. La même année,
la Cour constitutionnelle a confirmé ces décisions, ouvrant la porte à une série d’autres
interventions administratives et judiciaires, fondées pour la plupart sur ce protocole. 1 Afin de
procéder à une mise en œuvre correcte et d’éviter un recours excessif aux tribunaux, vu
l’absence de mesures d’application législatives des protocoles, à partir de 2005, le Land Styrie
d’abord, suivi deux ans plus tard par le Ministère de l’environnement autrichien, ont élaboré
des manuels d’application de la convention et de ses protocoles à l’usage des acteurs
territoriaux. En 2006, indépendamment de l’initiative styrienne, le Ministère de
l’environnement italien publie un texte qui, s’il est comparable et ceux-ci, est par contre issu
d’un autre contexte, celui du mécanisme de vérification. La Bavière et le Ministère fédéral
allemand publieront eux aussi un manuel en 2008, qui prévoit, par ailleurs, l’application
directe de quelque disposition. 2 Ces manuels ont l’avantage d’encourager la mise en œuvre
1 Voir, notamment, Randier, «Convention alpine et droit comparé: l’exemple de l’Autriche», p. 56-58; Céline
Randier et al. (2009), «La transposition juridique de la Convention alpine et de ses Protocoles d’application en
droit français, italien, autrichien et allemand: une présentation de droit comparé», Revue européenne de droit de
l’environnement, vol. 13, n. 1, p. 26-29.
2 On renvoie à Styrie (Autriche. Amt der Steiermarkischen Landesregierung (2005), Anleitung zur Umsetzung
der Alpenkonvention in der Steiermark, Graz), Italie (Paolo Angelini et al., éd. (2006), La Convenzione delle
Alpi: politiche, leggi e misure di attuazione in Italia, Bolzano, EURAC), Autriche (Ewald Galle, éd. (2007), Die
Alpenkonvention, Handbuch für ihre Umsetzung: Rahmenbedingungen, Leitlinien und Vorschläge für die Praxis
zur rechtlichen Umsetzung der Alpenkonvention und ihrer Durchführungsprotokolle, Wien, Bundesministerium
für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft), Bavière (Allemagne. Bayerische
Staatsministerium für Umwelt Gesundheit und Verbraucherschutz et Bundesminsiterium für Umwelt
Naturschutz und Reaktorsicherheit (2008), Die Alpenkonvention: Leitfaden für Ihre Anwendung, München,
StMUGV - BMU). La même année, la CIPRA Allemagne publiera son propre manuel (CIPRA Deutschland, éd.
(2008), Leitfaden zur Umsetzung der Bestimmungen der Alpenkonvention in Deutschland, Berlin, Erich Schmidt
Verlag) et la CIPRA France organisera une conférence sur les aspects juridiques de la Convention alpine, dont
elle publiera les actes (CIPRA France, éd. (2008), La Convention alpine: un nouveau droit pour la montagne?,
Grenoble, CIPRA France). En autre, le Secrétariat permanent vient de publier un manuel à l’usage des
communes italiennes (Convention alpine (2010), Convenzione delle Alpi e buone pratiche nei comuni italiani:
312

sans passer par une procédure d’exécution législative ou encore même en l’absence de
ratification des protocoles, comme dans le cas italien.
Au cours du premier semestre de l’année 2006, l’Autriche cumulera la présidence de
la Convention alpine avec celle de l’Union européenne. Vienne en profitera pour faire avancer
le processus de ratification des protocoles par Bruxelles, qui n’en avait encore ratifié aucun. 1
En mai 2005, la France, en vue, entre autre, de sa présidence de la convention à partir de fin
2006, avait procédé à la ratification de tous les protocoles, en formulant une déclaration
interprétative sur le Protocole « transports », laquelle avait l’apparence d’une réserve :
… les dispositions de [l’article 11] intéressant les « routes à grand débit » ne sont pas
applicables aux projets d’infrastructures routières suivants :
a) ceux qui, pour des raisons d’utilité publique, ont moins de 15% et moins de 6 Km
de leur longueur situés dans la région des Alpes… ;
b) ceux dont la réalisation est justifiée par les impératifs prévus [par le] présent
protocole, notamment les itinéraires de contournement d’agglomération ou de
conurbation ;
c) ceux dont le principe était acquis le 31 octobre 2000, jour de la signature du
présent protocole en vertu de leur mention au schéma directeur routier national…
vademecum per l’applicazione della Convenzione delle Alpi, per la buona amministrazione del territorio
montano e per la qualità della vita della popolazione, Innsbruck-Bolzano, Secrétariat permanent).
1 Sur le long terme, une autre initiative importante que l’Autriche a prise dans cette période a été la création
d’une unité de recherche sur la montagne (IGF) auprès de l’Académie autrichienne des sciences (ÖAW) sous la
direction du géographe culturel Axel Borsdorf. Cette unité est étroitement liée aux réseaux MAB, GLORIA,
ISCAR et GLOCHAMORE.
313

…[ces] conditions […] doivent s’apprécier globalement au regard des critères définis
à l’article 14 de la Loi n. 82-1153 du 30 décembre 1982… 1
Des parties et des observateurs se plaindront de cette réserve, car elle limiterait la portée du
protocole. Or, ces plaintes ne seront pas formalisées, et permettront ainsi à la France d’établir
un précédent. Ceci pourrait se révéler utile pour les parties qui n’ont pas encore ratifié les
protocoles : l’Italie, la Suisse et l’Union européenne. Les deux chambres du parlement italien
continuaient, en effet, à se renvoyer le projet de loi pour la ratification toujours à cause du
Protocole « transports ». 2 Cependant, il est intéressant de noter qu’aucune référence à la
Convention alpine et à ses protocoles n’est faite par la loi française sur le développement des
territoires ruraux, élaborée et adoptée en même temps que la loi de ratification des protocoles,
ce qui signalait à nouveau la marginalité grandissante de la convention. 3
L’initiative de l’Autriche en faveur du processus de ratification par la Communauté
européenne était donc particulièrement délicate pour l’Italie. Rome risquait de se retrouver
avec des protocoles Ŕ y compris le Protocole « transports » Ŕ applicables sur le territoire
national par le biais de la ratification communautaire. Or, avant de le ratifier, Bruxelles devait
encore signer certains protocoles, ce qu’elle n’avait pas encore fait à cause du désaccord des
états membres ou, plus tard, à cause de son absence des réunions. Si la signature des
1 Loi n. 2005-492 du 12 mai 2005 (approbation des protocoles).
2 Après la décision du Sénat italien de détacher, avec le contreprojet de loi n. S.1842 de 2003, le Protocole
« transports » du Projet de loi n. C.2381, la Chambre des députés le réintègre en 2005, avec le nouveau Projet de
loi n. C.2381-B, retardant ainsi le processus de ratification. Parallèlement, en Suisse, après l’approbation en 2004
des Protocoles « transports », « protection des sols » et « aménagement du territoire » par la Chambre haute, la
procédure n’avancera pas non plus.
3 Loi n. 2005-157 du 23 février 2005 (développement des territoires ruraux). Par ailleurs, la Loi n. 2006-11 du 5
janvier 2006 (orientation agricole), décide la création d’un « Code de la montagne » sur le modèle du Code de
l’environnement. Un projet a été réalisé par l’ADECOHD (Association pour le Développement Economique de
la Haute Durance) de Briançon, très actif dans l’ANEM. Voir ADECOHD, «Législation relative au
développement et a la protection de la montagne», http://www.adecohd.com/index.php?rubr=10&arti=83,
dernier accès: 5 septembre 2010. Ce projet officieux est actuellement disponible sur le site internet de
l’association, mais il reste, cependant, sans suivie.
314

Protocoles « énergie », « protection des sols » et « tourisme » par l’UE s’est achevée
rapidement en janvier 2006, celle du Protocole « transports » a dû attendre le mois d’octobre,
après une longue série de consultations : non seulement il fallait convaincre les états non-
alpins de l’utilité du protocole, mais il fallait aussi apaiser l’Italie, qui craignait de se voir
imposer par Bruxelles ce que son parlement refusait d’accepter. 1 Une solution possible aurait
été de considérer ipso facto les protocoles conformes à l’acquis communautaire, à savoir avec
toutes les initiatives européennes en cours, par exemple, dans le domaine des transports, et de
déclarer que ceux-ci n’imposaient aucune obligation ultérieure aux états membres de la
Communauté européenne. Mais, étant donné qu’il s’agissait d’une simple signature Ŕ ce que
tous les états alpins avaient déjà fait Ŕ et non pas d’une ratification, l’accord n’a pas été
difficile. Somme toute, elle signifiait seulement que le texte du protocole avait été finalisé et
non pas qu’il avait été accepté par les organes qui comptaient le mettre en œuvre. Vu
l’innocuité de leur contenu, la Présidence autrichienne réussira à faire ratifier les Protocoles
« agriculture de montagne », « énergie » et « protection des sols » en juin 2006, le dernier
mois de son semestre de présidence à la tête de la Communauté. 2 Par contre, à ce jour, le
Protocole « transports », auquel s’ajoutent les Protocoles « protection de la nature », « forêts
de montagne » et « aménagement du territoire », n’a pas encore été ratifié par Bruxelles faute
d’avoir trouvé un accord ou par manque d’intérêt des états membres. Toujours au niveau
communautaire, il est important de signaler le lancement du Groupement européen de
coopération territoriale (GECT). 3 Il s’agit d’un instrument juridique, qui facilite la conclusion
1 Décisions 2005/923/CE du 2 décembre 2005 (signature des Protocoles sur la protection des sols, sur l’énergie
et sur le tourisme de la Convention alpine) et 2007/799/CE du 12 octobre 2006 (signature du Protocole dans le
domaine des transports).
2 Décisions 2006/516/CE du 27 juin 2006 (conclusion des Protocoles sur la protection des sols, sur l’énergie et
sur le tourisme) et 2006/655/CE du 19 juin 2006 (approbation du Protocole dans le domaine de l’agriculture de
montagne).
3 Règlement (CE) 1082/2006 (2006). Sur le GECT, voir les publications par le Comité des régions de l’UE
(2009), ainsi que la contribution par Virginie Cremades et al. (2009), «Recompositions territoriales, formes de
coopérations et gouvernance en Europe», dans Un monde en recomposition: géographie des cooperations
315

d’accords internationaux entre collectivités territoriales pour la mise en œuvre de projets ou
pour la réalisation d’actions communes. Il est intéressant pour les Alpes, car il rend obsolète la
Convention de Madrid de 1980. 1 Il fournit, en effet, un outil pour l’approfondissement de la
coopération territoriale dans des cas significatifs pour la Convention alpine (Espace Mont-
Blanc, Parc transfrontalier Alpes Maritimes Ŕ Mercantour, etc.), mais aussi un cadre de
coopération alternatif à celle-ci.
Entre-temps, la France et Schleicher travaillaient en grand secret au rattachement au
Secrétariat permanent de la Task force « espaces protégés », qui avait été instituée à
Garmisch. En 2006, les états alpins découvraient progressivement que cette task force était
représentée par les quatre unités de personnel, qui siégeaient à Gap et qui constituaient l’unité
de coordination du Réseau alpin des espaces protégés (ALPARC). Après celles d’Ispra et de
Bolzano, il s’agissait donc de la troisième unité de coordination qu’une partie contractante,
cette fois-ci la France, essayait de mettre à disposition de la Convention alpine, avec la
différence de la présence d’un mandat fort de la conférence ministérielle. Plus concrètement,
d’un côté, l’unité de coordination, qui était siégée à Gap, est transférée dans les nouveaux
locaux de la Maison de la montagne à Chambéry, qui avaient été mis à disposition par la
mairie ; de l’autre, la France et Schleicher concluaient un accord sur l’établissement d’une
antenne du Secrétariat permanent dans la ville savoyarde, au lieu de rattacher l’unité au siège
d’Innsbruck ou de Bolzano. 2 De plus, la ville savoyarde venait d’être nommée ville alpine de
l’année. 3 Au mois d’avril, lors d’un Comité permanent à Bolzano, les autres états sont
informés des modalités du rattachement et demandent à la Présidence autrichienne de les
territoriales, édité par Michel Bussi, Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, et
le mémoire de Giacomo Luciani (2009), «EGTC - European Grouping of Territorial Cooperation», College of
Europe.
1 Voir supra.
2 Accord sous forme d’échange de lettres entre la France et le Secrétariat permanent du 24 février 2006
(établissement d’une antenne à Chambéry).
3 Voir supra.
316

vérifier ultérieurement. L’approche suivie se différenciait grandement de celle adoptée pour la
création des sièges d’Innsbruck et de Bolzano, qui était marquée par une participation active
des autres parties. A Bolzano, l’Italie, pour laquelle s’ajoutait à l’affaire Schleicher la question
du versement de ses contributions obligatoires au Secrétariat, qui était en retard, s’est montrée
spécialement attentive à la question et a exprimé une réserve d’étude formelle afin de vérifier
la compatibilité de l’opération avec le statut et les règlements du Secrétariat. 1 De plus, l’usage
du mot « antenne » pour définir les nouveaux bureaux était problématique, car il y avait une
polémique en cours sur le nom officiel du siège de Bolzano du Secrétariat, qui dans les textes
italiens était « sede tecnica », tandis que les mêmes textes en langue française parlaient de
« bureau ». Siège, bureau, antenne : le jeu des noms rendait l’opération particulièrement
délicate.
Cependant, la France et Schleicher procèdent comme si rien n’était. En juillet, ils
inaugurent les nouveaux locaux et Schleicher fait embaucher au Secrétariat le personnel de
l’ancienne unité de Gap avec des contrats à durée indéterminée (CDI), tandis que, par son
statut et par la nature de son financement, le Secrétariat ne pouvait embaucher qu’à temps
déterminé. Ces questions sont donc formalisées dans une convention-cadre, qui engage le
Gouvernement français (à la hauteur de 270 000 euros par an sur cinq ans), les collectivités
territoriales directement intéressées (y compris les Régions Rhône-Alpes et PACA, qui
cofinançaient le projet à la hauteur de 70 000 euros par an chacune) et le Secrétariat
permanent de la Convention alpine. Ces questions apparemment formelles auront une
importance capitale dans les années suivantes. En effet, cette configuration institutionnelle
laisse une grande liberté à la task force, qui continue à œuvrer en tant qu’unité de coordination
du Réseau alpin des espaces protégés, mais qui ne contribue que très peu aux travaux du
Secrétariat. Or, la convention-cadre « de la discorde » attribue toute la responsabilité pour les
actions de la task force au Secrétariat et, en ultime instance, à tous les états alpins, tandis que
1 Décision 32/12b (2006).
317

ceux-ci n’ont de facto aucun contrôle sur la task force, par exemple dans la gestion du
personnel ou dans sa participation aux projets. Lors du Comité permanent de septembre 2006
à Innsbruck, un débat s’anime autour de ces questions. L’Italie se montre de plus en plus
critique des modalités d’intégration de la task force et maintient aussi sa réserve formelle, qui
menaçait de jure la validité des accords entre la France et le Secrétariat. 1 De plus, les
arguments italiens commencent à raisonner aussi au sein d’autres délégations. On arrive à la
veille de la Conférence alpine avec cette question brûlante sur la table.
Les élections fédérales de septembre 2005 en Allemagne ont conduit au premier
gouvernement Merkel de la grande coalition SPD-CDU/CSU et ont marqué le départ du vert
Trittin et l’arrivée du social-démocrate Siegmar Gabriel au ministère de l’environnement.
Cependant, ce changement n’a pas eu d’impact majeur sur la convention. Par contre, la défaite
électorale du gouvernement Berlusconi suite aux élections politiques d’avril 2006 en Italie
avait suscité de grandes attentes chez certains pour la relance du processus. En effet, dans son
programme électoral, L’Unione, la coalition de centre-gauche qui a gagné les élections,
s’engageait « à ratifier les protocoles à la Convention alpine, un instrument valide pour
conjuguer harmonieusement la tutelle des intérêts économiques et la coopération
transfrontalière avec les impératifs de la protection de l’écosystème ». 2 De plus, le
gouvernement Prodi avait confié le poste de ministre de l’environnement au vert Alfonso
Pecoraro Scanio. En l’espace de quelques semaines, pas moins de six projets de loi ont été
présentés au parlement après l’ouverture de la nouvelle législature. 3 Cependant, le
gouvernement Prodi se trouvait à gouverner avec une majorité exigüe au Sénat et le ministre
Pecoraro se retrouvait à gérer des dossiers bien plus urgents que celui de la Convention
1 Décision 33/12b (2006).
2 Voir la section “La nuova alleanza con la natura: ambiente e territorio per lo sviluppo” (L’Unione, 2006, p.
148, je traduis).
3 Projets de loi n. C.188 du 28 avril 2006 (tous les protocoles), S.123 du 2 mai, C.583 du 10, S.630 du 13 juin
(seulement le Protocole « transports »), S.650 du 14 (idem), S.651 du même jour (tous les protocoles), C.661 du
29 juin.
318

alpine. 1 Dans le cas italien, le changement au sommet n’a donc pas eu d’impact significatif sur
la convention non plus. Les projets de loi n’avanceront donc pas et l’arrivée du nouveau
gouvernement ne conduira à aucun changement dans la position italienne en convention, de
quoi frustrer les espoirs de plusieurs observateurs et de quelques protagonistes.
La neuvième Conférence alpine a eu lieu le 9 novembre 2006 à Alpbach (Autriche),
sous la présidence du ministre de l’environnement autrichien, le chrétien-démocrate Josef
Pröll (ÖVP), et en présence de tous les ministres de l’environnement à l’exception de
l’Allemagne et de la Slovénie, qui étaient représentées par leur secrétaire d’état. Après deux
ans sans une véritable tête du Secrétariat permanent, il était absolument impératif de nommer
un secrétaire général. La procédure de sélection mise en place par la Présidence autrichienne
avait mis en avant deux nominatifs : l’environnementaliste suisse Regula Imhof et, à nouveau,
le juriste italien Marco Onida. Les ministres ont tranché pour ce dernier, qui se présentait
comme le candidat communautaire et qui était un fonctionnaire de la Commission
européenne, s’exprimant qui plus est en français. 2 Le poste de vice-secrétaire a donc été offert
à la candidate suisse. Symptomatique de la frustration généralisée par la gestion Schleicher,
seule la France avait appuyé sa candidature. L’autre question institutionnelle sur laquelle les
ministres étaient appelés à s’exprimer était l’intégration de la Task force « espaces protégés »
dans le Secrétariat. L’Italie avait formulé une réserve d’étude et maintenait des doutes sur la
compatibilité de l’opération avec le statut et les règlements du Secrétariat. Dans le cadre des
1 Les accusations dans Sergio Rizzo et Gian Antonio Stella (2007), La casta: così i politici italiani sono diventati
intoccabili, 1. e éd., Milano, Rizzoli, p. 12, je traduis, qui commencent leur attaque contre la classe politique
italienne par un abus du régime de soutien à la montagne, resté inchangé depuis la Loi « montagne » de 1994 :
« La plate comunità montana de Palagiano est unique au monde : elle n’a pas de montée, pas de descente ; elle
atteint les 39 (trente-neuf) mètres sur le niveau de la mer », n’auront pas d’impact significatif non plus.
Symptomatique de la fatigue de la politique nationale pour la montagne, en décembre 2006, l’IMONT a été
fortement redimensionné et rebaptisé Ente italiano della montagna (EIM). Ce dernier sera définitivement
supprimé en juillet 2010. Au niveau alpin, il est encore incertain qui prendra la place de l’EIM dans l’ISCAR
(supra).
2 Décision IX/22 (2006).
319

négociations, en ce qui concerne une contribution généreuse de la France, l’Italie a finalement
accepté de retirer sa réserve, en espérant trouver des solutions dans un deuxième temps. 1 Les
ministres ont donc validé l’intégration de la task force, y compris la présence d’une antenne
du Secrétariat à Chambéry. Quatre ans après son institution, la création du Secrétariat
permanent aurait pu être considérée encore une fois comme achevée. 2 L’Italie venait aussi de
verser ses contributions arriérées. Cependant, la gestion de la task force se révèlera un
véritable cauchemar pour la convention, qui dépensera une quantité inouïe de temps et
d’énergie à cette affaire.
Le reste de la conférence a été consacrée à l’adoption formelle d’une série de textes
d’importance moyenne. Une Déclaration « population et culture » a été finalement adoptée
suite à six ans de travail du groupe homonyme sous présidence italienne. Les contenus étaient
ceux d’un protocole hypothétique, mais ils n’étaient pas juridiquement contraignants dans la
forme. Il faut toutefois souligner la décision des ministres de soumettre la mise en œuvre de la
déclaration à une procédure de vérification, afin d’établir, dans un délai de quatre ans,
l’opportunité de la transformer en un nouveau protocole. 3 Certes, la CIPRA s’est félicitée de
cette ouverture apparente à des nouveaux protocoles, mais on peut se demander s’il ne s’agit
pas simplement d’une façon d’apaiser les partisans du thème et de repousser la question. La
Conférence alpine se dotait ainsi d’un nouvel instrument : la déclaration politique.
La Présidence autrichienne a par ailleurs insisté sur l’adoption d’une deuxième
déclaration, celle sur le changement climatique. 4 Bien que la qualité de l’air figure parmi les
objectifs spécifiques de la convention, celle-ci ne s’était jamais occupée directement de
changement climatique. Or, ce thème était en train de s’imposer en tant qu’enjeu central sur la
1 Décision IX/19 (2006).
2 Son fonctionnement ne sera normalisé qu’en 2007, avec la relance du siège de Bolzano et l’intégration de
l’antenne de Chambéry.
3 Décision IX/11 (2006).
4 Document IX/7/1 (2006).
320

scène internationale et il y avait la sensation diffuse que la Convention alpine devait y faire
face. Seule la Plate-forme « risques naturels » s’y était intéressée, mais de façon
exclusivement spéculative. Dans la période menant à la conférence, la Présidence autrichienne
a donc élaboré un projet de déclaration qui, sans engager les parties de manière spécifique,
focalisait au moins l’attention sur ce thème. Le seul engagement concret a été la décision de
procéder à l’élaboration d’un « plan d’action recommandant des mesures spécifiquement
alpines et des initiatives à long terme ». 1 Il était clair que la Convention alpine ne pouvait pas
résoudre la question sur le court terme et qu’il était inutile de dupliquer ce qui était déjà fait
par les états sur le plan national ainsi qu’au niveau communautaire ou encore à l’ONU. Vu
l’importance des sports d’hiver pour le tourisme dans la région et les limites de la neige de
culture pour faire face au réchauffement climatique, on pouvait imaginer que l’engagement de
la convention aurait suscité de l’intérêt. De plus, une étude de l’OCDE venait de porter
l’attention sur la menace des changements climatiques pour le secteur des sports d’hiver dans
les Alpes. 2
Déclaration « changement climatique » (2006)
Cette déclaration fait le lien entre le changement climatique à l’échelle mondiale et les risques naturels. Elle
souligne en même temps la nécessité de mitiger les émissions de gaz à effet de serre et de s’adapter aux
conséquences du changement climatique, en insistant sur l’importance de développer des stratégies et des actions
appropriées aux Alpes. Les ministres insèrent leur action dans le cadre de l’UE et de l’ONU et insistent sur la
promotion de la recherche, qui permet un transfert des connaissances d’une région de montagne à l’autre.
Avec cette déclaration, ils recommandent une série d’actions pour la mitigation (efficience énergétique,
préférence aux ressources locales, transports, agriculture, forêts) et l’adaptation (alternatives pour les secteurs
fragiles, gestion intégrale des risques, systèmes d’alerte précoce, participation active des de la population,
gestion des ressources hydriques, etc.). Du côté des travaux de la Convention alpine, l’accent est mis sur les
risques naturels, la recherche internationale et la gestion hydrique.
1 Décision IX/7 (2006).
2 Voir le rapport édité par Shardul Agrawala, éd. (2007), Changements climatiques dans les Alpes européennes:
adapter le tourisme d’hiver et la gestion des risques naturels, Paris, OCDE.
321

Déclaration « population et culture » (2006)
Cette déclaration souligne l’importance des aspects socioéconomiques et culturels et identifie dans la diversité la
valeur portant de l’Arc alpin. Elle insiste sur le droit des autochtones de vivre durablement dans les Alpes et
d’avoir les mêmes opportunités que les populations extra-alpines. Elle propose une liste d’objectifs et une série
d’exemples de mise en œuvre, structurés autour de cinq axes : conscience communautaire et coopération ;
diversité culturelle ; espace, qualité de vie et égalité des chances ; espace économique ; rôle des villes et des
territoires ruraux.
Elle touche plusieurs questions centrales pour la population alpine, sans jamais trancher : conscience
communautaire et identité, coopération alpine et extra-alpine, promotion de la transparence et de la participation,
mais aussi conservation et développement du patrimoine culturel matériel et immatériel, reconnaissance du
pluralisme linguistique et amélioration de ses conditions cadre ; production artistique, préservation et
modernisation des structures d’habitat existantes et développement de nouvelles conditions durables et
compatibles, maintien et développement des services d’intérêt général (y compris la formation scolaire et
professionnelle, l’offre récréative et des moyens de communication et d’information modernes), développement
régional utilisant durablement les potentiels endogènes et les technologies nouvelles, produits locaux et
régionaux, emploi, rapport entre les villes alpines et les zones environnantes, rapports entre villes alpines et
extra-alpines, reconnaissance du rôle des espaces ruraux.
Parmi les autres résultats de la conférence, il faut mentionner le premier volume du
rapport sur l’état des Alpes. 1 La préparation de ce document ambitieux aurait dû avoir été la
responsabilité du secrétariat. Cependant, bien que la CIPRA ait montré le chemin, Innsbruck
n’avait ni les compétences ni les ressources pour le produire. 2 Quelques mois seulement avant
la conférence, les parties avaient donc pris la situation entre leurs mains. Elles avaient décidé
de ne pas s’aventurer dans un travail encyclopédique, mais de consacrer un volume spécifique
pour chaque thème d’intérêt pour les Alpes. Puis, vu que le temps était limité, les parties ont
choisi d’utiliser les résultats du groupe de travail le plus avancé, à savoir celui sur les
transports, comme point de départ pour le rapport. La réalisation de celui-ci, pour respecter la
forme, toujours sous la responsabilité du secrétariat, a donc été confiée à un groupe d’experts
1 La CIPRA demande que le titre de ce document soit changé en « relation » sur l’état des Alpes, afin de le
différencier du rapport homonyme de l’organisation liechtensteinoise. Il faut rappeler, cependant, que le nom de
« rapport sur l’état des Alpes » est apparu pour la première fois dans le cadre des travaux du SOIA en 1994.
2 Voir CIPRA «1 er rapport sur l’état des Alpes: données, faits, problèmes, esquisses de solutions»; id. «2 e rapport
sur l’état des Alpes: données, faits, problèmes, esquisses de solutions»; id. (2007), «Nous les Alpes! des femmes
et des hommes façonnent l’avenir: 3 ème rapport sur l’état des Alpes», Gap, Ed. Y. Michel.
322

nommés par les parties. Même s’il a été compilé dans la foulée, ce texte, qui a été présenté
aux ministres et publié l’année suivante, représente une vue panoramique inégalée sur les
transports alpins. 1 Il montre bien la situation des infrastructures, du transport de fret et de
passagers, ainsi que les déterminants (population, économie, tourisme) et les conséquences
(économiques, sociales, environnementales, sanitaires) du transport dans les Alpes, ainsi que
les politiques existantes aux niveaux national et international, y compris par l’UE. Il est
intéressant de noter que ce rapport redimensionne, à l’appui de donnés communautaires, la
question du trafic de traversée et de longue distance, en montrant que la plupart du trafic est
local. La question des effets de la traversée de pays comme la Suisse et l’Autriche par des
convois extra-alpins pourrait donc être réévaluée. Cependant, ce rapport n’aura par de
retombée majeure à court terme, à l’exception de celle d’encourager les parties à se lancer
dans un second rapport, cette fois-ci Ŕ sous impulsion autrichienne Ŕ sur la question hydrique,
à réaliser selon les mêmes termes avant la prochaine Conférence alpine.
La Conférence a été l’occasion de présenter un autre type de travail encyclopédique :
les rapports nationaux pour le premier exercice du Groupe de vérification. Sur la base d’un
modèle standardisé mis au point par le groupe en 2004, les parties ont présenté des rapports
parfois très synthétiques (France, Slovénie), parfois très prolixes (Italie, Autriche). Il est
intéressant de relever que chaque partie a pu afficher plusieurs actions (lois, règlements,
financements, projets, etc.) pour chaque objectif de la Convention alpine, même si souvent les
activités mentionnées n’avaient aucun lien direct avec celle-ci. Si l’Autriche et l’Allemagne
étaient les seules à pouvoir inclure des activités judiciaires 2 , il est aussi important de noter que
la Suisse, qui plus tard sera suivie par l’Italie dans cette pratique, a répondu aux questions sur
les protocoles, bien qu’elle ne les ait pas ratifiés, en épousant le principe absurde de « mise en
1 Voir Convention alpine (2007), Report on the state of the Alps: transport and mobility in the Alps, Innsbruck-
Bolzano, Secrétariat permanent.
2 Voir supra.
323

œuvre sans ratification ». Cette évolution est significative, car elle contient un indice ultérieur
de la mise à l’écart des protocoles et de la voie juridique, ce qui est tout à fait paradoxal, si
l’on considère le début de la prise en compte de la convention par les tribunaux autrichiens et
allemands.
Finalement, la Conférence alpine d’Alpbach a été l’occasion du lancement d’une série
de projets secondaires. L’Allemagne et la France ont proposé la création d’une Plateforme
« réseau écologique », avec un modèle plus ouvert que celui de la Plateforme « risques
naturels » et avec des points en commun évidents avec le réseau d’ALPARC : il s’agit ici non
seulement de renforcer le réseau d’administrateurs des parcs, mais aussi de créer des
connexions physiques (corridors biologiques), afin de permettre le passage des espèces d’un
espace protégé à l’autre. 1 Il s’agit donc d’un projet typique de conservationnisme, qui met en
œuvre le Protocole « protection de la nature » de la convention et qui va s’ajouter à plusieurs
initiatives à tous les niveaux Ŕ notamment au niveau européen Ŕ sur les réseaux écologiques. 2
Piloté par des ONG conservationnistes (CIPRA, WWF), mais aussi par ALPARC et ISCAR,
cette Plateforme jouira du soutien inconditionnel de l’Allemagne et de la France, mais elle ne
saura pas intéresser les autres parties, sinon pour des initiatives spécifiques ou territorialement
circonscrites (régions pilotes), susceptibles de capter des financements communautaires
(projet ECONNECT) ou privés (Fondation MAVA, Fondation Prince Albert II de Monaco,
1 Décision IX/17 (2006).
2 Article 12 du Protocole « protection de la nature et aménagement du territoire » (1994) : « Les Parties
contractantes prennent les mesures adéquates pour établir un réseau national et transfrontalier d’espaces
protégés, de biotopes et d’autres éléments protégés ou dignes de protection dont le caractère est reconnu. Elles
s’engagent à harmoniser les objectifs et les mesures applicables aux espaces protégés transfrontaliers ». Au
niveau mondial, l’article 8, alinéa a, de la Convention sur la diversité biologique de 1992 « établit un système de
zones protégées » ; au niveau européen, on compte le Réseau « natura2000 » (établi par l’UE en 1992), auquel
s’ajoute le Réseau « émeraude » (lancé par le Conseil de l’Europe en 1998). Depuis 1995, toutes les initiatives
pour la connectivité écologique sont réunies dans le Réseau écologique paneuropéen (REP), toujours sous l’égide
du Conseil de l’Europe dans le cadre de la Stratégie paneuropéenne pour la protection de la diversité biologique
et paysagère (PEBLDS).
324

etc.). Quelle est la valeur ajoutée de travailler à l’échelle alpine dans la poursuite de cet
objectif ? Qu’est-ce que la convention peut apporter aux initiatives de l’UE ou des états
alpins ? Il s’agit d’une contribution petite, mais elle a le mérite d’être concrète. Parmi les
autres initiatives qui ont été lancées à Alpbach, on signale la proposition par l’ISCAR/SCNAT
d’un Agenda de la recherche alpine, qui vise à traduire le Programme de travail pluriannuel de
la Convention alpine en questions scientifiques. 1 Comme dans le cas du vieux modèle du Plan
d’action « recherche alpine » de 1994, elle n’aura pas d’impact particulier, sauf peut-être pour
la cinquantaine de chercheurs, qui ont contribué à la rédiger. Une nouvelle zone de
coopération prioritaire a aussi été identifiée dans les Balkans et la première édition du
parlement des jeunes de la Convention alpine a commencé à faire connaître le processus à
quelques écoles dans les Alpes. 2
Vu la nomination du premier véritable secrétaire général, cette Conférence pourrait
être considérée encore une fois comme la dernière de la phase de renforcement institutionnel
de la Convention alpine et la première d’une période de normalisation relative. Cependant, on
verra que l’affaire de la Task force « espaces protégés » absorbera une quantité significative
de temps et de ressources du Comité permanent et du secrétariat pendant toute la période de
présidence successive. La France reprenait donc le guide de la convention à une douzaine
d’années de distance de la Conférence de Chambéry de 1994.
Nouvelle présidence française (2006-2009)
Le passage de la présidence à la France a coïncidé avec le passage de la compétence
sur la Convention alpine du Quai d’Orsay au Ministère de l’Ecologie. 3 Suite aux élections
présidentielles de 2007, il deviendra bientôt, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy et de Jean-
Louis Borloo, le super-Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de
1 Décision IX/10 (2006).
2 Respectivement, Décisions IX/15 et IX/12 (2006).
3 Voir encore l’intervention de Caudal, «Convention alpine et système institutionnel français».
325

l’aménagement du territoire (MEEDDAT). Cependant, dans le cas français, contrairement aux
autres états, le Ministère des affaires étrangères continuera à participer activement aux travaux
de la convention et en nommera le président du Comité permanent, l’ambassadeur à
l’environnement Laurent Stefanini. Ce passage n’aura pas de conséquence majeure, au moins
sur le court terme. Par contre, le Grenelle de l’environnement, qui terminera ses travaux vers
la fin de l’année 2007, aura un effet catalyseur pour la politique française en matière
environnementale, bien que ni la convention ni la montagne ne figurent parmi les 238
engagements du gouvernement. Au niveau européen, par exemple, la France affichera une
attitude volontariste sur le changement climatique, qui conduira, sous la présidence française
de l’UE, à l’adoption en 2008 du paquet « climat-énergie » avec l’objectif symbolique du
« 20/20/20 » : 20% d’émissions de gaz à effet de serre en moins (par rapport à 1990), 20% de
renouvelables et une réduction du 20% de la consommation d’énergie (par l’augmentation de
l’efficience énergétique) avant 2020. Cette approche volontariste de la France aura aussi des
conséquences sur la gestion de la présidence de la convention.
Au niveau européen, l’année 2007 sera chargée de nouveautés, liées à la conclusion du
Traité de Lisbonne au mois de décembre, mais aussi au lancement du nouveau cycle de
programmation communautaire 2007-2013. Vu l’inclusion dans le nouveau traité de la
cohésion territoriale comme objectif explicite de l’UE, le Programme INTERREG est
renforcé et renommé ETC (Coopération territoriale européenne). Le Programme « espace
alpin », qui était financé par INTERREG, passe de 60 à 130 millions d’euros et d’un taux de
cofinancement de 50% à 76% sous ETC. 1 Dans le domaine de la coopération transfrontalière,
les eurorégions et les eurodistricts reprennent de l’élan, grâce notamment au nouvel
1 Voir le nouvel article 3, alinéa 3, paragraphe 3, du Traité sur l’UE (2008) : « Elle promeut la cohésion
économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres. » ; comparer avec l’article 2 de la
version précédente : « L’Union se donne pour objectifs de promouvoir le progrès économique et social ainsi
qu’un niveau d’emploi élevé, et de parvenir à un développement équilibré et durable, notamment par la création
d’un espace sans frontières intérieures, par le renforcement de la cohésion économique et sociale et par
l’établissement d’une union économique et monétaire… ».
326

instrument du GECT. 1 Dans les Alpes occidentales, la présence de cinq présidents de région
de centre-gauche dans les cinq régions contigües des Alpes françaises et italiennes facilite la
relance de l’Eurorégion « Alpes-Méditerranée » sous la forme d’un GECT. Certaines
délégations auprès de la Convention alpine réserveront un accueil tiède à cette initiative
externe à la convention, qui risquait de politiser inutilement l’instrument juridique du GECT,
qu’ils voyaient plus comme un outil technique pour la création, par exemple, de parcs
transfrontaliers. 2
Toujours au niveau européen, l’AEM persiste dans son travail de lobbying pour une
politique communautaire plus positive vis-à-vis de la montagne. Dans cette perspective, elle
propose au président de la Commission européenne un « livre vert » sur la montagne, à savoir
un éventail d’idées, dans l’espoir que celui-ci conduise à l’élaboration d’un « livre blanc »,
donc des propositions d’action, qui conduise à son tour à une politique communautaire de la
montagne. 3 Cette proposition ne conduira pas à un livre vert spécifique, mais à l’inclusion
d’un sous-chapitre consacré aux régions aux « caractéristiques géographiques particulières »,
dans celui sur la cohésion territoriale, qui sera publié l’année suivante, dans le contexte de la
définition d’une nouvelle politique régionale de l’UE, suite au Traité de Lisbonne. 4 En 2008,
1 Voir supra.
2 Par exemple, dans le cas du Parc national du Mercantour et du Parc naturel piémontais des Alpes Maritimes,
qui sont jumelés depuis 1987 et qui travaillent, depuis 2006, avec les Ministères de l’environnement italien et
français et la Région Piedmont, pour l’élaboration d’un statut juridique pour un parc transfrontalier. Voir Chiara
Bosonin et Egizia Ventura (2005), «Strumenti giuridici della cooperazione per lo sviluppo sostenibile di un’area
montana transfrontaliera», FAO, Roma, 1 giugno. En 2008, ils ont signé un accord cadre avec la Fondation
Prince Albert II de Monaco pour renforcer leur coopération, notamment dans le domaine de la protection de la
biodiversité et d’une candidature conjointe à la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, avec un financement
à la hauteur de 620 000 euros sur trois ans.
3 Cette proposition a été publiée comme Association européenne des élus de montagne (AEM) (2007), Vers une
politique de la montagne de l’Union européenne: une vision européenne des massifs montagneux (proposition
pour un livre vert), Chambéry, AEM.
4 Avec les régions montagneuses, ce chapitre inclut les zones insulaires et celles « à faible densité de population,
toutes rurales et presque toutes frontalières ». Il faut rappeler que le Traité de Lisbonne contient pour la première
fois une mention à la montagne (supra).
327

la Commission européenne propose même de procéder à la ratification du Protocole
« transports » signé en 2006 :
Les dispositions du Protocole sur les transports sont conformes à la politique
commune des transports de la Communauté et en parfait accord avec l’approche
préconisée par la Commission… la ratification du Protocole sur les transports
renforcerait également la coopération transfrontalière avec les pays tiers, à savoir la
Suisse, le Liechtenstein et Monaco. 1
En procédure de consultation, le Parlement européen approuve la proposition en 2009, mais
celle-ci n’est toujours pas approuvée fin 2010, signalant le manque de consensus ou d’intérêt
pour ce texte controversé.
Concernant les autres pays, en 2007, la Suisse publie finalement le rapport demandé en
2004 par la Chambre haute et commandité par le Conseil fédéral au SAB (Groupement suisse
pour les régions de montagne), afin d’établir les mesures et les modifications de loi requises
par l’éventuelle ratification des protocoles (Rapport Egger). 2 En conclusion d’une analyse
pointue du contexte suisse et de la Convention alpine, les auteurs confirment l’absence d’une
politique coordonnée des régions de montagne et expriment des réserves sur la capacité des
politiques sectorielles existantes et de la nouvelle politique régionale de mener au
développement durable de ces régions. 3 Cependant, à propos de la Convention alpine, le
rapport conclut qu’elle n’est plus qu’une « référence possible au niveau international » et que
« les points contenus dans la convention et les protocoles sont déjà remplis par la législation
suisse en vigueur ». La convention n’aurait donc pas d’effet négatif et la confédération
1 Document COM(2008)895 du 23 décembre 2008. Voir aussi la Résolution législative du Parlement européen
TA(2009)0230 du 22 avril 2009.
2 Voir Thomas Egger et François Parvex (2007), «Convention alpine et régions de montagne: rapport relatif à la
motion de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des
Etats du 25 mai 2004 (04.3260)», Bern-Tasserete, SAB-SEREC.
3 Une nouvelle politique régionale a été lancée en Suisse en 2008.
328

n’aurait rien à craindre des organisations écologistes. Elle serait une référence parmi tant
d’autres pour une politique intégrée des régions de montagne. La participation de la Suisse à
la convention se réduirait donc presque à une exigence de bon voisinage. Il faut ajouter que
l’appartenance de l’auteur principal du rapport Ŕ Thomas Egger Ŕ au SAB peut contribuer à
expliquer un certain attachement aux politiques spécifiques en faveur de ces organisations
écologistes.
En Italie, le retour du gouvernement Berlusconi en 2008 n’aura pas d’impact majeur
sur le court terme, sinon d’augmenter la continuité avec l’action gouvernementale du début
des années 2000. L’Italie n’a toujours pas de politique sur la montagne actualisée. Elle réduit
les fonds disponibles, les acteurs publics se tournant de plus en plus vers les fonds
communautaires. 1 Récemment, un projet de nouvelle loi « montagne » a été approuvé par la
chambre basse du parlement. 2 Finalement, elle présenterait la montagne comme une ressource
pleine d’atouts à valoriser et elle mettrait à disposition un Fond national intégratif pour les
communes montagnardes défavorisées. Bien que modeste, ce projet a été bien reçu par
plusieurs associations montagnardes (CAI, Secours alpin, etc.). Cependant, la Convention
alpine n’est qu’une référence parmi tant d’autres à ce projet, qui attend encore l’approbation
du sénat. La présidence allemande de l’UE au premier semestre de 2007 n’aura pas non plus
d’effet particulier, contrairement à celle de la CBD en 2008, qui contribuera à donner une
certaine visibilité aux activités de la Plate-forme « réseau écologique », qui venait d’être
renforcée par le lancement de deux projets de mise en œuvre, financés par les fonds
structurels UE et par la fondation suisse MAVA. 3
1 Entre 2007 et 2009, le fonds montagne, prévu par la loi homonyme, passe de 50 à 39 millions d’euros, avec des
difficultés inouïes de payement. L’EIM de Rome est finalement supprimé en 2010, dans le contexte du processus
de réduction des dépenses publiques lié aux conséquences de la crise financière de 2008.
2 Projet de loi n. 434 approuvé par la Chambre des députes le 14 février 2011.
3 Dans le cadre d’un side event à la COP-9 de la CBD, un memorandum of understanding (MoU) entre les
présidences et les secrétariats de la Convention alpine, de la Convention des Carpates et de la CBD, sera signé à
329

En 2007, le Comité permanent lance le Groupe de travail « Patrimoine mondial de
l’UNESCO ». Il s’agit d’une initiative lancée par l’Italie, qui en assume la présidence. Son
objectif est d’étudier la situation dans la région alpine et de contribuer à l’harmonisation des
candidatures, à savoir à une sorte de présélection des sites ayant un potentiel majeur. Il s’agit
donc d’une opération hybride de coopération technique et de lobbying interétatique de la part
d’une convention régionale par rapport à un processus universel comme la Convention sur le
Patrimoine mondial de l’UNESCO. Si la phase de documentation a été conclue avec succès,
celle d’harmonisation est toujours en cours. Idéalement, elle conduira à la révision des Listes
prépositives nationales de chaque pays alpin et à l’inscription de nouveaux sites sur la Liste du
Patrimoine mondial de l’UNESCO, à l’instar du Mont-Blanc, du Parc transfrontalier Alpes
Maritimes Ŕ Mercantour, etc. Il s’agit de la première initiative de ce genre au niveau mondial.
Dans une première phase, elle a maintenu un profil bas. Suite à l’approbation de son mandat
par les ministres en 2009, elle a été l’objet d’un certain intérêt de la part de l’UNESCO. 1 A
partir de 2007, sous l’impulsion du secrétaire Onida, une nouvelle stratégie de communication
et une identité graphique (en anglais : corporate identity) fraîche à été lancée, en commençant
par un site internet renouvelé, afin de faire mieux connaître la Convention alpine et de
signaler que celle-ci est un instrument moderne et non pas une vieille chimère.
En 2006, lors de l’inauguration des nouveaux locaux d’ALPARC à Chambéry et lors
de la Conférence alpine d’Alpbach, la ministre de l’écologie Nelly Olin avait listé trois
priorités pour la biennie de présidence française de la Convention alpine : les espaces
Bonn le 29 mai 2008. Il s’agit respectivement des projets ECONNECT et Continuum écologique (MAVA). Avec
quatorze partenaires de tous les états alpins à l’exception de la Slovénie et de Monaco et une dotation de plus de
trois millions d’euros, le projet ECONNECT aurait le potentiel de contribuer de manière significative à la mise
en œuvre de corridors biologiques dans les Alpes, mais son ampleur rend sa gouvernabilité difficile. Cependant,
le projet MAVA, qui ne compte que quatre partenaires (ALPARC, CIPRA, ISCAR et WWF), souffre parfois
d’une présence disproportionnée des groupes environnementalistes.
1 Décision X/B3/UNESCO (2009) et documents annexes. Voir aussi l’article récent par Paolo Angelini et al.
(2010), «La protezione integrata dell’ambiente alpino: armonizzazione delle Liste Propositive a livello
ecoregionale», Gazzetta ambiente, n. 6.
330

protégés, le tourisme durable et le changement climatique. Si les deux premiers thèmes
n’étaient pas nouveaux pour la convention, qui s’en chargeait à travers la Plate-forme « réseau
écologique » et ALPARC, dans le premier cas, et par le biais du Groupe de travail
« transports », dans le deuxième, la question du changement climatique était essentiellement
nouvelle, excepté pour des travaux de la Plate-forme « risques naturels ». A Alpbach, les
ministres avaient décidé d’élaborer un plan d’action avec des mesures et des initiatives
spécifiques. 1 Or, les années 2008 et 2009 ont été le carrefour des efforts notamment de l’UE et
de l’ONU pour conclure un accord mondial sur le climat, qui a culminé avec l’échec de
Copenhague. La France en avait fait une priorité de son semestre de présidence de l’UE entre
juillet et décembre 2008, qui a conduit à l’adoption du paquet « climat-énergie ». La validité
scientifique étant acquise par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC) de l’ONU, l’accent était mis sur la volonté politique et sur la nécessité de
mesures symboliques, qui soient lisibles par les citoyens et par la communauté internationale.
Mais, avec toutes ces initiatives en cours aux niveaux de l’ONU, de l’UE et des
différents états, que pouvait ajouter la Convention alpine ? Avec la plupart des régions et
même des villes développant leurs plans climat, la convention ne pouvait pas s’abstenir,
compte tenu aussi de la relative disponibilité de financements européens sur le thème. De
plus, avec un impact sur les émissions de gaz à effet de serre mondiales très faible, la
contribution de la région alpine aux efforts de réduction des émissions (mitigation) est
négligeable, compte tenu des coûts de ces mesures, qui peuvent s’avérer élevés par rapport
aux bénéfices. Par contre, le réchauffement climatique, à savoir le changement des saisons et
la fonte des glaciers, aurait des conséquences importantes notamment pour le tourisme
hivernal, pour la gestion de l’eau et des sols et, en général, pour l’écosystème alpin. Des
1 Voir supra.
331

mesures d’adaptation, donc, s’imposent, mais leur mise en œuvre demeure plus difficile. 1 La
France avait fait de l’adoption du Plan d’action sur le climat (PAC) par la Conférence alpine
le point de référence pour définir le succès ou l’échec de sa biennie à la présidence de la
convention. Les autres délégations comprenaient la situation de leurs homologues français.
Toutefois, pour la plupart, elles peinaient à identifier des mesures spécifiquement alpines et
elles n’étaient pas nécessairement soutenues par la même volonté politique affichée par la
France. Pour ces raisons, le plan qui sera adopté lors de la Conférence ministérielle, ne
contiendra aucun engagement spécifique et aucune mesure obligatoire. 2 Aucune analyse
coûts-bénéfices n’a été conduite pour les mesures proposées ; la cohérence et la valeur
scientifique du plan est discutable. Peut-être la mesure la plus concrète sera-t-elle la décision
des ministres de créer une rubrique climat sur le site internet de la Convention alpine ! Sinon,
sont à signaler l’engagement à évaluer la mise en œuvre du plan et à étudier la possibilité pour
les Alpes de devenir une zone neutre en carbone d’ici 2050. 3 Un projet européen est
actuellement à l’étude autour de cette proposition qui, vu le faible impact des émissions
alpines à l’échelle mondiale, ne recueille pas le consensus.
1 Voir les rapports scientifiques Agrawala, éd., Changements climatiques dans les Alpes européennes: adapter le
tourisme d’hiver et la gestion des risques naturels; UE, Agence européenne pour l’environnement (2009),
«Changement climatique régional et adaptation: les Alpes face au changement des ressources en eau (résumé)»,
Copenhagen, Agence européenne pour l’environnement; ONERC (2008), «Changement climatique dans les
Alpes: impacts et risques naturels», Paris, ONERC. Récemment, l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, certaines
régions italiennes la CIPRA, le WWF ont eux-aussi publié des ouvrages de vulgarisation sur le climat dans les
Alpes.
2 Document X/B6 (2009).
3 Décision X/B6 (2009). Les mêmes réserves formulées supra sur la Déclaration « population et culture » et sur
le Groupe de vérification s’appliquent aussi à l’évaluation de la mise en œuvre du Plan.
332

Plan d’action sur le changement climatique dans les Alpes (2009)
Le Plan d’action sur le climat (PAC), sous-titré Faire des Alpes un territoire exemplaire dans le domaine de la
prévention et de l’adaptation au changement climatique, contient une liste d’objectifs, mesures et bonnes
pratiques. Ces éléments sont divisés entre stratégies de mitigation et d’adaptation et sont focalisés sur les
domaines traditionnels de la Convention alpine : aménagement du territoire, énergie, transports, tourisme, forêts,
biodiversité, eau et agriculture de montagne. Le document lance un appel à développer la recherche appliquée
sur le climat à l’échelle alpine et à améliorer la communication. Les orientations pour la mise en œuvre du Plan
d’action sur le climat sont partagées entre la dernière partie du document et la décision de la Conférence alpine
qui l’approuve. Une responsabilité toute particulière dans la mise en œuvre du Plan est attribuée au Secretariat
permanent de la Convention alpine.
Il est à signaler que, de manière totalement indépendante de la Convention alpine, en 2009, à
l’occasion de la Conférence sur le climat de Copenhague, le groupe bernois du Mountain
agenda a publié, après sept ans de silence, un nouveau rapport sur les montagnes, cette fois-ci
sur le climat. 1 Il faut lire cet événement dans le contexte de la tentative de restructuration et de
relance de l’internationale de la recherche sur la montagne, après la conclusion du projet
ADRD-M de la FAO et autour de personnalités comme Martin Price au Royaume-Uni,
détenteur depuis 2009 d’une Chaire UNESCO sur le développement durable de la montagne,
Axel Borsdorf en Autriche ou encore Daniel Maselli et Bernard Debarbieux en Suisse.
Si une quantité considérable d’énergie a été consacrée au climat, la question
d’ALPARC a distrait les travaux de la Convention alpine d’une manière inouïe. Les défauts
de forme qui avaient été signalés dès le début par l’Italie, s’avéraient des sources de querelles
infinies, au fur et à mesure que l’intégration de la task force dans le Secretariat permanent
était mise en œuvre. Des difficultés réelles et des antipathies croisées conduisaient à des
discussions interminables au sein du secrétariat et des réunions du Comité permanent. Si
certaines parties avaient présenté des tableaux détaillés des éléments problématiques et si le
Secretariat permanent avait proposé des amendements substantiels, afin de résoudre les
1 Voir Thomas Kohler et Daniel Maselli (2009), «Mountains and climate change: from understanding to action»,
Bern, University of Bern, Institute of Geography, Centre for Development and Environment.
333

incompatibilités entre règlements existants et le statut de la task force, il y avait, d’un côté, les
états qui la soutenaient financièrement, notamment la France et l’Allemagne, qui demandaient
un geste de bonne volonté, et les autres parties qui considéraient la question comme étant
essentiellement un problème causé par la France et qui estimaient que la responsabilité
principale de la recherche d’une solution tombait sur la France. A partir du Comité permanent
de Bolzano fin 2007 jusqu’au Comité permanent de Paris, convoqué spécialement début 2009
pour discuter de la task force et du Plan « climat », une partie considérable du temps et de
l’énergie des délégués à été consacrée à la question, sans trouver cependant de solution
définitive. Lors de la Conférence alpine, les ministres demanderont donc à la France « de
poursuivre son travail sur le statut définitif de la task force ». 1 La France se donnait donc deux
ans de plus pour trouver une solution. Nous nous trouvons maintenant en 2011 et aucune
solution n’a encore été trouvée. Au bout de cinq ans de litiges, les parties sont épuisées par la
situation, à commencer par la France. A une époque de rigueur budgétaire, il n’est pas exclu
que le financement de la task force ne soit pas maintenu à l’horizon de 2013 et que la question
perde son sens.
On arrive donc à la dixième Conférence alpine. Elle s’est réunie à Evian le 12 mars
2009, sous la présidence du Secrétaire d’état à l’aménagement du territoire, Hubert Falco
(UMP). Comme elle l’avait déjà fait lors de sa première présidence, la France s’est donnée
quelques mois de plus pour conduire à terme son mandat, cette fois-ci à cause de la
concomitance du semestre de présidence de l’UE. Seulement la Suisse, la Slovénie et les deux
micro-états étaient représentés par leur ministre de l’environnement ; les autres chefs de
délégation étaient des secrétaires d’état ou occupaient des fonctions subalternes. A l’exception
du suisse Leuenberger, le profil politique des représentants réunis à Evian était plutôt
modeste. Etant donné le peu de temps à disposition, la présidence française a proposé, pour la
première fois, de diviser l’ordre du jour en points à adopter sans discussion (A), car le
1 Décision X/A4 (2009).
334

consensus était déjà acquis par le Comité permanent et les groupes de travail, et points à
discuter (B). A vrai dire, la question du Plan d’action sur le climat avait déjà été traitée et il
restait très peu de points à discuter. Les chefs de délégation se sont donc lancés dans un débat
aberrant sur le thème du prochain volume de la Relation sur l’état des Alpes (RSA) : chaque
partie avait ses préférences et sans d’autre critère que celui du compromis, le choix est tombé
sur « développement rural durable et innovations » avec comme sous-thème « l’énergie dans
le cadre de la lutte contre le changement climatique » (sic). 1 Dans le peu de temps qui restait,
l’Allemagne a essayé d’ouvrir un débat sur le futur de la Convention alpine, sans toutefois
susciter l’intérêt des autres parties.
Parmi les autres résultats de la Conférence d’Evian, on peut mentionner l’approbation
du deuxième volume de l’RSA, consacré à l’eau, et à la création d’une nouvelle Plate-forme
« eau » sous coprésidence suisse et autrichienne, mais avec un rôle important de l’Italie. 2 Fin
2008, les contenus du rapport, qui présentait l’état de la recherche sur l’eau dans les Alpes,
avaient été présentés lors d’une conférence à Munich en Allemagne. L’Italie y avait été
vivement critiquée par certains participants. Le rôle recherché par l’Italie dans cette nouvelle
initiative peut être lu comme une réaction à la situation qui s’était créée, mais aussi comme un
reflet de l’importance de la question pour le pays transalpin. Puis, en plus du renouvellement
du mandat de tous les groupes de travail et de toutes les plates-formes existantes, la
Conférence a aussi créé trois nouvelles entités : la Plate-forme « eau », puis une autre
Plateforme « grands carnivores », sous présidence liechtensteinoise, ainsi qu’un Groupe de
travail « changement démographique (emploi, innovation, fuite des cerveaux) », sous
présidence italienne. Ce dernier touche à un thème particulièrement sensible et est issu des
manifestations entreprises notamment par l’Italie et l’Autriche autour de la Déclaration
1 Décision X/B5/RSA3 (2009).
2 Décision X/B5 (2009). L’Italie organisera une série de séminaires internationaux dans tout l’Arc alpin, qui
culmineront avec une conférence finale à Venise en 2010.
335

« population et culture ». La Plateforme « grands carnivores » aborde, par contre, des thèmes
qui intéressent en même temps les populations alpines et les groupes conservationnistes,
notamment la question du loup pour l’occident et de l’ours pour l’orient. Il est intéressant de
noter que, sous l’initiative de la Région Rhône-Alpes, une Conférence des régions alpines
s’est réunie pour la première fois à Chambéry quelques semaines avant la Conférence
d’Evian. En 2010, lors d’une deuxième réunion à l’invitation de la Province autonome de
Trente en Italie et avec le soutien du Secrétariat permanent et de la Convention alpine, celles-
ci ont créé le Réseau des régions alpines (REREA). 1 Celui-ci a non seulement le potentiel de
réunir dans un même forum toutes les régions alpines, jusqu’ici divisées en trois
communautés de travail (ArgeAlp, Alpe-Adria et COTRAO), mais aussi la possibilité
d’augmenter la participation des régions dans les travaux de la convention.
Développements récents (2009-2011)
Nouvelle présidence slovène (2009-2011) et future présidence suisse
La présidence passe donc une nouvelle fois à la Slovénie, qui se retrouve à gérer une
situation difficile avec des moyens limités par sa petite taille. Les priorités affichées par la
présidence sont le changement climatique, la coopération régionale (Alpes et Europe) et la
communication. 2 Elle donnera une impulsion toute particulière à la recherche alpine et lancera
un débat structuré sur le futur de la convention. Sur le changement climatique, la Présidence
slovène s’est retrouvée coincée entre l’Allemagne, les groupes environnementalistes et des
collectivités territoriales, qui auraient l’ambition de transformer les Alpes en une région à
émissions zéro en 2050, pour qu’elle puisse être un modèle pour les autres régions, et les
autres, qui ont des réserves par rapport à l’opportunité de l’initiative et qui sont plus intéressés
aux mesures d’adaptation dans le contexte de rigueur budgétaire, qui a investi tout les pays
européens. Concernant la recherche, une série d’événements ont été promus et le Secrétariat a
1 Voir les déclarations de Chambéry et de Trente, respectivement datées du 13 février 2009 et du 2 mars 2010.
2 Document 41/A1 (2009) : Les Alpes, potentiel de développement de l’Europe.
336

contribué de manière importante à la systématisation de l’information disponible sur les Alpes
à travers la rubrique internet du SOIA. Une collaboration intéressante a été mise au point avec
l’Agence européenne de l’environnement (AEE), qui est intéressée par un partenaire
régional. 1 Il s’agit d’un retour à une idée déjà explorée dans les années 90. 2 Peut-être
rencontrera-t-elle des conditions plus favorables.
Mais c’est au sujet du futur de la Convention alpine et de son rôle en Europe que les
développements les plus intéressants ont eu lieu. Avec l’assistance du Secrétariat, la
présidence a structuré un débat autour d’une série de consultations, positions et papiers de
synthèse : une succession de propositions impressionnante a été recueillie, allant des grands
principes aux solutions techniques, du maintien de l’existant à l’octroi de la gestion des
travaux à la CIPRA. A ce stade, après plus d’un an de consultations et même un Comité
permanent spécialement consacré à la question, on peut affirmer tranquillement qu’aucune
proposition n’allant changer significativement le statu quo ne recueille le consensus de toutes
les parties. A contrario, des doutes sur le futur même de la Convention alpine commencent à
apparaître. Le 11 décembre 2009, après un débat passionné, la Chambre basse suisse, qui avait
expérimenté un renforcement des verts et des populistes lors des élections fédérales de 2007,
rejette avec fermeté la ratification des protocoles de la Convention alpine, tandis qu’en Italie
les chambres du parlement continuent à se renvoyer la loi de ratification des protocoles. 3 Les
mots du parlementaire suisse Laurent Favre résument bien la problématique :
1 Voir les publications UE, Agence européenne pour l’environnement «Changement climatique régional et
adaptation: les Alpes face au changement des ressources en eau (résumé)»; EU. EEA (2010), «Europe’s
ecological backbone: recognising the true value of our mountains», Copenhagen, EEA.
2 Voir supra.
3 Le projet de loi n. S.1474 est passé à la Chambre haute le 14 mai 2009, tandis que le 3 février 2010, la
Commission des affaires étrangères de la Chambre basse élimine le Protocole « transports » du projet de loi, tout
en l’approuvant, mais en prévoyant un nouveau renvoi au Sénat. Voir Paolo Angelini (2009), «Ratifying Alpine
Convention Protocols», Environmental Policy and Law, vol. 39, n. 4/5. Il s’agit du même parcours déjà suivi
entre 2003 et 2004. A ce point, le scepticisme sur le futur des protocoles en Italie est total.
337

Le souhait a été exprimé de pratiquer une politique de développement durable sur le
plan économique dans la zone alpine, en zone de montagne de manière générale…
Ainsi, la convention-cadre de la Convention alpine, qui donne des principes généraux
à cet égard, est suffisante… Toutefois, les protocoles d’application, eux, posent
différents problèmes et nous ne pouvons pas soutenir leur ratification… D’abord, c’est
une aventure, puisque leur évolution est imprévisible… Cela démontre bien toute la
problématique démocratique en relation avec la mise en œuvre des protocoles
d’application et les conséquences qui en résultent sur les législations cantonales et
fédérale internes à notre pays. Je dirai que le dernier point faible de ce projet, c’est
l’omniprésence des éléments environnementaux et la peur généralisée de voir le droit
de recours utilisé de manière abusive de la part d’un certain nombre
d’organisations… Je conclurai en disant que […] les protocoles d’application […]
représentent des risques évidents pour le développement économique durable de la
zone de montagne. 1
Le non de la Suisse, qui est censée succéder en 2011 à la présidence de la convention,
réévalue son engagement, bien que son gouvernement ait précisé immédiatement que le rejet
des protocoles ne signifiait pas celui de la convention et qu’il aurait continué à participer
activement aux travaux. Entre-temps, si les travaux de la Convention alpine continuent au sein
de ses groupes, il y a une volonté partagée d’en diminuer le nombre. La convention se trouve
clairement dans une impasse. Une solution pourrait être offerte par l’UE. On disait que le
Traité de Lisbonne faisait de la cohésion territoriale un objectif prioritaire de l’UE. Dans les
prochaines années, les institutions communautaires seront donc censées redéfinir leur stratégie
de développement régional. L’une des approches privilégiée par Bruxelles semble être le
développement de « stratégies macrorégionales ». Sans valeur juridique particulière, ces
stratégies joueraient un rôle important dans l’orientation des politiques régionales de l’UE et
1 Citation extraite de son intervention au Conseil national.
338

des fonds qui les soutiennent, y compris le Programme « espace alpin ». Une Stratégie
macrorégionale pour les Alpes est en cours d’élaboration sur le modèle de celles pour la Mer
Baltique et le Danube. La participation de la Convention alpine à ce processus est en cours de
définition, mais il est certain que cette stratégie pourrait prendre la place de la Convention
alpine par rapport au Programme « espace alpin ».
L’adoption par les institutions communautaires d’une stratégie Ŕ qui ne serait pas
limitée aux questions environnementales et qui verrait la participation d’un nombre important
d’acteurs Ŕ risquerait de concurrencer la Convention alpine et donc de la priver de
nombreuses opportunités de développement de projets de mise en œuvre. Pour cette raison, le
développement de cette stratégie représente pour certains acteurs l’occasion de mieux définir
le rôle de la convention et de l’insérer pleinement dans le contexte de l’intégration
européenne. Cette perspective ne recueille certainement pas le consensus de toutes les parties
et ne sera pas développée pleinement. Faut-il définir une division du travail claire entre
stratégie et convention ? Faut-il rechercher une convergence entre les deux ? Faut-il archiver
la Convention alpine ? Ou encore, faut-il ignorer la Stratégie macrorégionale pour les Alpes ?
Dans cette phase critique de son parcours, la convention peut heureusement compter sur des
institutions désormais consolidées par la période entre la présidence italienne et la deuxième
présidence française. En 2003, ceci lui a permis de représenter un modèle pour la Convention
des Carpates. En 2011, lors de la Conférence ministérielle de Brdo, une Résolution sur la
coopération dans les Alpes dinariques, qui comprennent la Croatie, la Bosnie, la Serbie, le
Monténégro, l’Albanie et le Kosovo, sera signée, sous l’influence slovène. Peut-être que cette
initiative aura plus de succès que celle pour les Balkans, arénée depuis la conférence « Un
environnement pour l’Europe » de 2008 à Belgrade. La Convention alpine se projette donc au-
dehors des Alpes. 1 Ceci pourrait l’aider à retrouver le sens de son existence.
1 La dernière mise à jour de cette reconstruction et analyse date du 31 janvier 2011.
339

III DYNAMIQUE NORMATIVE ET
STRUCTURATION INSTITUTIONNELLE

5 Ecorégionalisation : l’émergence d’une norme ?
Au début de notre recherche, nous avons présenté et analysé l’écorégionalisme à
travers le prisme de l’idéologie. Présenter un concept en lui apposant le suffixe « isme »
signifie mettre l’accent sur les acteurs qui l’épousent en s’identifiant à une cause, y compris
les savants. Dans le débat scientifique, la dimension volontariste tend par contre à passer au
second plan. Porter l’attention sur les éléments structurels, à l’instar des processus et des
déterminants, aurait l’avantage de réduire le risque que l’auteur soit assimilé avec le
phénomène étudié. 1 Il est nécessaire d’éviter toute prise de position politique afin de maintenir
la distance nécessaire avec l’objet. Il serait donc convenable d’épouser la perspective
dominante dans l’analyse de l’organisation internationale 2 et d’étudier la Convention alpine
1 Sur la question de l’agent et de la structure dans les relations internationales, voir Alexander Wendt (1987),
«The agent-structure problem in international relations theory», International Organization, vol. 41, n. 3; Kate
O’Neill et al. (2004), «Actors, norms and impact: recent international cooperation theory and the influence of the
agent-structure debate», Annual Review of Political Science, vol. 7, n. 1. Dans cette littérature scientifique,
l’agent correspond à la perspective structuraliste de l’acteur, qui serait donc une variable dépendant du système.
Wendt propose le passage du structuralisme à la théorie relationnelle de la structuration, à savoir le processus de
coproduction de l’agent et de la structure. Voir Pierre Bourdieu (1972), Esquisse d’une théorie de la pratique
précédée de trois études d’ethnologie, Genève, Droz; Anthony Giddens (1984), The constitution of society:
outline of the theory of structuration, Cambridge, Polity Press; Wendt, «The agent-structure problem in
international relations theory», p. 350.
2 Selon plusieurs des anciens présidents de l’International Studies Association (ISA), les spécialistes en relations
internationales auraient passé la dernière décennie à commenter les travaux de Martha Finnemore et de ses
collègues sur les normes internationales. Ils étaient réunis lors de la 50 e conférence annuelle de la société à New
341

sous l’angle de la norme. On parlerait donc du processus d’« écorégionalisation », comme s’il
y avait des variables structurelles et des dynamiques conduisant à l’émergence d’une nouvelle
norme internationale, à savoir la convergence politique vers l’échelle écorégionale. 1 Or, il est
assez bizarre de qualifier le phénomène étudié de processus d’écorégionalisation, car les
parties précédentes ont bien montré qu’il s’agit d’un concept plutôt ancien, qu’on peine à
qualifier d’émergent. Cependant, il y a toujours des acteurs (hommes politiques,
fonctionnaires, activistes, scientifiques, etc.), qui épousent cette idée, et des organisations
(états, collectivités territoriales, ONG, réseaux, etc.), qui essaient de la mettre en œuvre, mais
ils sont restés jusqu’à ce jour marginaux dans l’agenda politique.
Il y a toutefois des avantages dans l’adoption d’une perspective normative dans cette
dernière partie. D’un côté, elle nous permet d’appliquer d’autres éléments de la théorie des
relations internationales à l’étude de la Convention alpine, ce qui conduit à une meilleure
compréhension du phénomène ; de l’autre, cette étude de cas nous amène à explorer des
hypothèses sur le rôle de l’état dans le processus normatif, qui contribuent aux débats en cours
parmi les spécialistes en relations internationales. On commencera donc par un cadrage
théorique de la question des normes internationales ; puis, on procédera à la présentation d’un
exemple récent (Groupe de travail « Patrimoine mondiale de l’UNESCO »), qui illustre bien
le processus de circulation d’une norme internationale, selon un schéma consolidé
York en 2009, qui était consacrée au thème « explorer le passé, anticiper le futur ». Voir notamment Martha
Finnemore et Kathryn Sikkink (1998), «International norm dynamics and political change», International
Organization, vol. 52, n. 4; Thomas Risse-Kappen et al. (1999), The power of human rights: international norms
and domestic change, Cambridge, Cambridge University Press; Michael Barnett et Martha Finnemore (2004),
Rules for the world: international organizations in global politics, Ithaca, NY, Cornell University Press.
1 Voir les actes du colloque recueillis par Jörg Balsiger et Bernard Debarbieux, éd. (2011), «Regional
environmental governance: interdisciplinary perspectives, theoretical issues, comparative designs (REGov),
Université de Genève», Procedia Social and Behavioral Sciences, vol. 14, n. 1-8, Amsterdam, Elsevier. La
plupart des intervenants ne font que parler d’écorégionalisation, comme si le fait était acquis qu’il s’agissait
d’une norme émergente.
342

(« deuxième image à l’inverse » 1 ) ; enfin, on analysera une série de documents pertinents à un
autre processus toujours dans le cadre de la Convention alpine (Protocole « aménagement du
territoire et développement durable ») et on essayera de retracer l’origine de plusieurs normes
en même temps et de comprendre les raisons de l’inclusion ou de l’exclusion de normes
spécifiques dans le document final de la série. Ceci nous permettra de formuler des
hypothèses ultérieures sur le rôle de l’état dans les organisations internationales, qui seront
l’objet du chapitre final.
La norme déclinée de plusieurs façons
« L’environnement est ce que les états font de lui. » Si l’on exclut toute lecture
« hyperstructuraliste », qui réduirait les normes aux produits des rapports de forces entre les
états, à savoir les éléments principaux du système international (le droit international serait
donc dicté par les grandes puissances et défini sur la base de leurs attributs de position :
superficie, population, nombre de têtes nucléaires, PIB, etc.) 2 , on pourrait commencer en
paraphrasant la célèbre expression « l’anarchie est ce que les états font d’elle » d’Alexander
Wendt 3 pour présenter les principales contributions de ceux qu’on assimile normalement avec
le constructivisme. Il est en fait généralement accepté par la communauté savante, même par
les représentants du réalisme structurel 4 , que toute norme est coproduite par les acteurs et par
leur contexte : les acteurs façonnent le contexte et la structure contraint les agents. Comme
l’illustrent ces deux citations de Wendt, « les êtres humains et leurs organisations sont des
1 Voir la critique de Kenneth N. Waltz (1959), Man, the state, and war, New York, Columbia University Press,
par Peter Gourevitch (1978), «The second image reversed: the international sources of domestic politics»,
International Organization, vol. 32, n. 4.
2 Voir les ouvrages classiques Hans Joachim Morgenthau (1948), Politics among nations: the struggle for power
and peace, New York, Alfred A. Knopf; Kenneth N. Waltz (1979), Theory of international politics, Reading,
MA, Addison-Wesley.
3 Citation tirée de Alexander Wendt (1992), «Anarchy is what states make of it: the social construction of
power», International Organization, vol. 46, n. 2.
4 Voir, par exemple, Kenneth N. Waltz (1999), «Globalization and governance», Political Science and Politics,
vol. 32, n. 4
343

acteurs intentionnés, qui contribuent à la reproduction ou à la transformation de la société
dans laquelle ils vivent » et « la société est formée par des relations sociales, qui structurent
les interactions entre ces acteurs intentionnés ». 1 Les agents humains et le contexte social sont
donc « nécessaires » l’un pour l’autre et « inséparables ». 2 Dans ce sens, toute réalité est
socialement construite. Les écorégions seraient donc le résultat d’une coproduction de la part
d’agents engagés et de la structure du système international. De plus, si l’on accepte le
postulat selon lequel les êtres humains seraient des objets au même titre que des ordinateurs
ou des arbres, on pourrait suivre les partisans de la théorie de l’acteur-réseau et considérer
aussi les éléments naturels parmi les variables structurelles de l’équation. 3 On ne parle donc
plus de constructivisme social à la Wendt, mais de constructivisme tout court, sauf si l’on
adopte la perspective extrême du philosophe anglais George Berkeley qui subordonne
l’existence de tout objet à notre observation : « les arbres ne sont dans le jardin que s’il y a
quelqu’un pour les percevoir ». 4
Martha Finnemore et Kathryn Sikkink, qui s’inscrivent dans le courant du
constructivisme social, proposent une approche aux « dynamiques normatives
internationales » 5 , laquelle a beaucoup influencé les débats de la dernière décennie dans les
relations internationales. Elles commencent par une définition classique de la norme, qu’elles
présentent comme « un standard de comportement acceptable pour les acteurs avec une
1 Citation tirée de Wendt, «The agent-structure problem in international relations theory», p. 337-338, je traduis.
2 Voir ibid., p. 335.
3 Voir l’anthropologie symétrique de Bruno Latour (1991), Nous n’avons jamais été modernes : essai
d’anthropologie symètrique, Paris, La Découverte. Pour une introduction à la théorie de l’acteur-réseau, lire John
Law et John Hassard, éd. (1999), Actor network theory and after, Oxford, Blackwell; Bruno Latour (2005),
Rassembling the social: an introduction to actor-network-theory, Oxford, Oxford University Press.
4 Citation tirée de George Berkeley (1710), A treatise concerning the principles of human knowledge, Dublin,
Jeremy Pepyat, s. 45, je traduis.
5 Voir Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change». Ici, on considère les termes
« dynamique », « circulation » et « diffusion » normatives comme des synonymes.
344

identité donnée ». 1 Les normes des politistes, qui sont proches du concept d’institution chez
les sociologues 2 , ne sont pas à confondre avec les règles de droit (en italien : norma
giuridica), à savoir des dispositions générales, impersonnelles et rendues obligatoires par
l’état, qui dérivent de l’interprétation légitime des sources du droit. Sous forme de coutume,
les juristes considèrent les normes comme des sources du droit parmi d’autres, à côté de celles
de la loi, des règlements et de la jurisprudence. 3 Un élément clé dans la théorisation des
auteurs est celui de « masse critique » d’acteurs nécessaire pour considérer un comportement
acceptable.
Finnemore et Sikkink, qui adoptent une approche séquentielle, caractérisent le « cycle
vital » des normes de la manière suivante : on se trouverait dans une phase d’émergence d’une
norme jusqu’au moment où on atteint un seuil critique (en anglais : tipping point ou
threshold), passé lequel on observerait une « cascade normative » qui déboucherait sur
l’internalisation de la norme. 4 Dans ce cas, l’exemple classique est certainement celui du
Protocole de Kyōto de 1997 : après la prise de conscience des effets des émissions de gaz à
effet de serre et l’émergence du principe selon lequel il faudrait les limiter, une masse critique
d’états membres de l’ONU a négocié, signé et ratifié un accord multilatéral sur
l’environnement spécifique, auquel d’autres états ont adhéré et qui a conduit à l’internalisation
du principe. 5 Dans ce sens, cette approche se distingue des autres en ne se limitant pas
seulement à l’origine des normes, mais en s’intéressant aussi aux phases successives.
1 Citation tirée d’ibid., p. 891, je traduis. Voir aussi Peter J. Katzenstein, éd. (1996), The culture of national
security: norms and identity in world politics, New York, Columbia University Press, p. 5. Comme la plupart des
politistes, on utilise ici les termes « norme », « principe » et « règle » comme des synonymes.
2 Voir infra.
3 Comparer avec n’importe quel manuel de droit public récent français.
4 Voir Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change», p. 895.
5 Voir inter alia Sebastian Oberthür et Hermann Ott (1999), The Kyoto Protocol: international climate policy for
for the 21st century, New York, Springer; Urs Luterbacher et Detlef F. Sprinz (2001), International relations and
global climate change, Cambridge, MA, MIT Press; Joanna Depledge (2005), The organization of global
345

Les deux principales variables indépendantes selon Finnemore et Sikkink seraient les
« entrepreneurs normatifs » et les « plates-formes organisationnelles ». Les entrepreneurs
normatifs seraient ces acteurs (parlementaires, fonctionnaires, universitaires, citoyens, etc.)
« qui portent l’attention sur certaines questions ». 1 Ils feraient cela en suivant leurs intérêts et
en se conformant à une « logique d’adéquation » (appropriateness), qui peut être lue aussi
comme une forme de résistance. 2 Les plates-formes organisationnelles sont par contre
présentées comme des outils (organisations internationales 3 , ONG, etc.) dont les entrepreneurs
normatifs ont besoin afin de « promouvoir leurs normes ». Il va de soi que ces organisations
« façonnent le contenu des normes promues » 4 et que les experts peuvent eux aussi constituer
des plates-formes sous la forme de « communautés épistémiques ». 5
Les études qui s’inspirent de cette approche 6 portent donc une attention toute
particulière à l’identification des seuils critiques qui déterminent les cascades normatives et
negotiations: constructing the climate change regime, Sterling, VA, Earthscan; Steve Rayner et Elizabeth L.
Malone (1998), Human choice and climate change, Columbus, OH, Battelle Press.
1 Citation tirée de Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change», p. 897, je traduis.
2 Sur la logique d’opportunité, se référer aux classiques James G. March et Herbert A. Simon (1958),
Organizations, New York, Wiley; Mancur Olson (1971), The logic of collective action: public goods and the
theory of groups, Cambridge, MA, Harvard University Press ; pour une perspective sociologique sur les
résistances, voir Choukri Hmed et Sylvain Laurens (2010), «Les résistances à l’institutionnalisation», dans
Sociologie de l’institution, édité par Jacques Lagroye et Michel Offerlé, p. 131-148, Paris, Belin.
3 Voir, en particulier, Susan Park (2006), «Theorizing norm diffusion within international organizations»,
International Politics, vol. 43, n. 3.
4 Citations tirées de Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change», p. 899, je
traduis. Pour le concept proche mais alternatif de « paysage organisationnel » (en anglais : organizational
landscape), voir Jörg Balsiger (2009), Uphill struggles: the politics of sustainable mountain development in
Switzerland and California, Köln, Lambert Academic Publishing, p. 33-59.
5 Voir l’article de référence par Peter M. Haas (1992), «Introduction: epistemic communities and international
policy coordination», International Organization, vol. 46, n. 1, ainsi que Sheila Jasanoff et Bryan Wynne (1998),
«Science and decisionmaking», dans Human choice and climate change: the societal framework, édité par Steve
Rayner et Elizabeth L. Malone, Columbus, OH, Battelle Press.
6 Selon le site du Cambridge Journals, Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political
change», est l’article de la célèbre revue International Organization le plus cité des deux dernières années et le
troisième depuis le lancement de la revue en 1947 (dernier accès : 4 août 2011).
346

aux éléments qui permettent l’internalisation des normes. 1 Sur la base de la littérature
scientifique existante, Finnemore et Sikkink formulent l’hypothèse selon laquelle le besoin de
légitimation internationale 2 , l’importance (prominence) des acteurs promoteurs (la diffusion
d’une norme « occidentale » est plus probable) et les caractéristiques intrinsèques des normes
sont des éléments déterminants. Les auteurs se penchent aussi sur les contextes des normes et
identifient deux autres critères : la proximité des revendications soit à des normes existantes,
soit à des contextes où ces normes sont reconnues (dépendance au sentier) et la temporalité
(world-time), par exemple la persistance d’une crise ou la concomitance d’une réunion de
l’ONU.
Un élément de la définition de norme qui n’est pas suffisamment problématisé dans la
perspective de Finnemore et Sikkink est certainement la question identitaire. Ronald
Jepperson, Alexander Wendt et Peter Katzenstein considèrent les valeurs, les normes et les
institutions comme les éléments constitutifs de l’identité nationale et, en tant que tels, comme
des caractéristiques culturelles. 3 Le changement d’une norme pourrait donc modifier une
identité ou créer une identité nouvelle, potentiellement en conflit avec l’identité de départ. Or,
ceci serait extrêmement rare. Si une norme émerge presque toujours en opposition souvent
partielle, parfois totale, à des normes existantes, elle le fait généralement à l’intérieur d’une
identité donnée. Elle serait adoptée si elle est acceptable pour la plupart des acteurs ou si elle
est l’objet d’un consensus, sinon elle perdrait son caractère « normal » et on se retrouverait
1 Voir ibid., p. 905-909.
2 Pour une analyse des composantes du processus de légitimation, voir Daniel Bodansky (1999), «The legitimacy
of international governance: a coming challenge for international environmental law», American Journal of
International Law, vol. 93, n. 3.
3 Voir Ronald L. Jepperson et al. (1996), «Norms, identity and culture in national security», dans The culture of
national security: norms and identity in world politics, édité par Peter J. Katzenstein, New York, Columbia
University Press.
347

dans un « état d’exception » où la loi du plus fort est la norme. 1 Avec les réalistes classiques,
nous estimons donc que la norme est généralement déterminée par l’identité et que, dans le
cas où elle ne le serait pas, la norme est une fonction résiduelle de la puissance. 2 Mais,
contrairement à eux, nous considérons l’existence et la pertinence dans les relations
internationales d’identités autres et multiples, qui ne soient pas forcément réduites aux
identités nationales.
Une autre question absente de l’article de Finnemore et Sikkink est une théorie de la
différenciation et de la hiérarchisation des normes. Toutes les normes ne sont pas égales.
Jeffrey Legro propose une approche pour mesurer le poids des normes. 3 Suite à une simple
corrélation avec une mesure des « cultures organisationnelles » (de facto une mesure du poids
des normes nationales) il conclut que les normes nationales ont un poids supérieur aux normes
internationales. 4 Mis à part les implications de l’étude de Legro pour le débat juridique entre
monistes (il y a un seul ordre juridique où les normes internationales sont supérieures aux
normes nationales) et dualistes (l’ordre juridique national et l’ordre juridique international
constituent deux ordres distincts, ce dernier n’ayant force de loi que dans le cas où il est
transposé en droit national) 5 , il est assez difficile de mesurer le poids d’une norme de manière
objective. La seule distinction généralement acceptée en droit international est celle de
l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice de La Haye : conventions, coutume,
1 Voir en particulier March et Simon, Organizations; Olson, The logic of collective action: public goods and the
theory of groups ; sur la fabrique de l’action collective, voir Virginie Tournay (2009), Vie et mort des
agencements sociaux: de l’origine des institutions, Paris, Presses universitaires de France, ch. 2 ; sur l’état
d’exception, voir enfin Giorgio Agamben (2003), Etat d’exception, Paris, Seuil ; pour le même concept appliqué
aux sciences, voir la distinction entre science normale et « science extraordinaire » (ou exceptionnelle) dans
Thomas S. Kuhn (1962), The structure of scientific revolutions, Chicago, University of Chicago Press.
2 Voir Morgenthau, Politics among nations: the struggle for power and peace; Raymond Aron (1962), Paix et
guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy.
3 Voir en particulier Jeffrey W. Legro (1997), «Which norms matter? Revisiting the failure of internationalism»,
International Organization, vol. 51, n. 1, p. 39-42.
4 Voir ibid., p. 57-59.
5 Vérifier dans n’importe quel manuel de droit international.
348

principes généraux de droit, décisions judiciaires et doctrine ; par contre, la seule
hiérarchisation relativement objective est celle élaborée entre « droit dur » et « droit mou »
(en anglais : hard law et soft law). 1 Moins ambitieux, Amitav Acharya se penche donc sur la
question de la source des normes internationales qui finissent par être acceptées. 2 En adoptant
une approche à la question identitaire proche de la nôtre, l’auteur se penche sur la question de
la localisation des normes, à savoir leur origine et leur destination. Des normes d’origine
européenne sont-elles plus acceptables que des normes d’origine chinoise ? Des normes
d’origine américaine sont-elles plus faciles à adopter au Mexique ou en Iran ? Dans une vision
qui rejette tout cosmopolitisme moral, cela dépendrait des « différentes capacités des agents
locaux de reconstruire les normes afin de garantir que la taille des normes nouvelles soit
adaptée aux normes locales existantes ». 3 Le contenu de la norme en question serait donc
également important dans ce processus de localisation.
Un autre concept pertinent est celui de régulation avancé par le sociologue français
Jean-Daniel Reynaud. 4 Selon cet auteur, il y aurait une tendance générale à la codification des
standards de comportement (ce qui peut paraître bizarre à l’époque de la mondialisation
dérégularisante). Ce processus serait l’objet de négociations entre les acteurs concernés par le
jeu social. Les règles seraient donc produites par la société, en la « réglant » en même temps.
Ce qui semble à première vue être une tautologie, est toutefois une vision courante du rôle des
normes dans la société, qui nous conduit vers un modèle circulaire ou spiralé de la normation.
1 Voir inter alia Kenneth W. Abbott et Duncan Snidal (2000), «Hard and soft law in international governance»,
International Organization, vol. 54, n. 3; Sylvia I. Karlsson-Vinkhuyzen et Antto Vihma (2009), «Comparing
the legitimacy and effectiveness of global hard and soft law: an analytical framework», Regulation &
Governance, vol. 3, n. 4.
2 Voir Amitav Acharya (2004), «How ideas spread: whose norms matter? Norm localization and institutional
change in Asian regionalism», International Organization, vol. 58, n. 2.
3 Citation tirée de ibid., p. 239, je traduis
4 Lire surtout Jean-Daniel Reynaud (1989), Les règles du jeu: l’action collective et la régulation sociale, Paris,
Armand Colin; Gilbert de Terssac, éd. (2003), La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud:
débats et prolongements, Paris, La Découverte.
349

Or, la théorie de la régulation sociale de Reynaud nous en dit très peu sur les normes strictu
sensu (Quelle est la différence et quel est le lien entre les règles et les normes ?), sur leurs
critères d’acceptabilité (Pourquoi les normes sont-elles « normales » ? Pourquoi les
acceptons-nous ?) et sur le lien entre normes et identité. De plus, cette théorie n’a aucun
pouvoir de prévision, car, comme dans la théorie des jeux, on reste dans l’impossibilité de
déterminer avec exactitude les préférences des acteurs lors des négociations. 1
En 2000, un numéro entier de la revue américaine International Organization a été
consacré au concept de légalisation, à savoir « un type spécifique d’institutionnalisation
caractérisé par trois composantes : obligation, précision et délégation ». 2 Il s’agit d’un
processus qui conduit à la codification des relations internationales selon des éléments
normatifs, la norme étant conçue comme une règle de droit. 3 Or, selon certains auteurs, il
s’agit « d’une “conception limitée” du droit, enracinée dans le “positivisme”, le “formalisme”
et la tradition “occidentale” ». 4 Ce qui est sans doute intéressant dans cette approche est l’idée
d’un continuum entre politique et droit et la tentative de décoder le processus de traduction
des relations politiques en normes juridiques. Les éditeurs du numéro n’avancent pas
l’hypothèse que ceci soit une tendance générale, mais que la légalisation – qu’elle soit
« dure » ou « moue » – représente une différence qualitative avec des effets importants pour
1 Voir l’ouvrage classique par Thomas C. Schelling (1960), The strategy of conflict, Cambridge, Harvard
University Press, ch. 6.
2 Citation extraite de Kenneth W. Abbott et al. (2000), «The concept of legalization», International
Organization, vol. 54, n. 3, à savoir de l’article introductif dudit numéro.
3 Voir supra.
4 Citation tirée de Karlsson-Vinkhuyzen et Vihma, «Comparing the legitimacy and effectiveness of global hard
and soft law: an analytical framework», p. 403, je traduis. Voir aussi Martha Finnemore et Stephen J. Toope
(2001), «Alternatives to “legalization”: richer views of law and politics», International Organization, vol. 55, n.
3, p. 742-745.
350

les relations internationales. En paraphrasant la célèbre citation de Clausewitz, « le droit serait
– selon les éditeurs – la continuation des rapports politiques avec l’ajout d’autres moyens ». 1
Un autre concept intéressant est celui de la normalisation ou standardisation. 2 Les
normes dont on parle dans cette littérature scientifique ne sont pas « des règles intériorisées
que l’on peut suivre sans avoir à y réfléchir », mais « un document déterminant des
spécifications techniques ». 3 L’atout de cette approche est celui de faire émerger en quoi
« l’univers de la normalisation internationale est lui-même en proie à un antagonisme profond,
qui oppose les partisans d’une socialisation des normes internationales à ceux d’une
mondialisation des normes marchandes ». 4 D’un côté, on assisterait donc à un processus
spontané de socialisation des normes, de l’autre, on subirait donc l’imposition violente des
normes dictées par les puissances économiques. Dans ce sens, soit le système capitaliste soit
les structures étatiques seraient les substrats du processus de normalisation. Michel Foucault
propose une lecture historique de l’histoire de la « société de normalisation » et formule une
distinction critique entre la « norme de la discipline » et la « norme de la régulation ». 5 Tout
d’abord, la discipline créerait l’« homme normal », puis cette normalité serait considérée
1 Tiré d’Abbott et al., «The concept of legalization», p. 419, je traduis.
2 Voir notamment François-Xavier Dudouet et al. (2006), «Politiques internationales de normalisation: quelques
jalons pour la recherche empirique», Revue française de science politique, vol. 56, n. 3; Olivier Borraz (2005),
«Les normes: instruments dépolitisés de l’action publique», dans Gouverner par les instruments, édité par Pierre
Lascoumes et Patrick Le Galès, Paris, Presses de Sciences Po.
3 Citations tirées de Borraz, «Les normes: instruments dépolitisés de l’action publique», p. 124, qui cite Niels
Brunsson et Bengt Jacobsson, éd. (2000), A world of standards, Oxford, Oxford University Press, p. 12, et
Benoît Lelong et Alexandre Mallard (2000), «Dossier sur la fabrication des normes», Réseaux, vol. 18, n. 102,
respectivement.
4 Citation tirée de Dudouet et al., «Politiques internationales de normalisation: quelques jalons pour la recherche
empirique», p. 377, qui cite à son tour Jean-Christophe Graz (2004), «Quand les normes font loi: topologie
intégrée et processus différenciés de la normalisation internationale», Études internationales, vol. 35, n. 2.
5 Voir Michel Foucault (1976), Histoire de la sexualité, vol. 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, ch. 5, et
id. (2004), Il faut défendre la société: cours au Collège de France (1975-1976), Paris, Gallimard-Seuil, p. 225,
dans Luca Paltrinieri (2010), «Gouverner le choix procréatif: biopolitique, libéralisme, normalisation», Cultures
& conflits, n. 78, p. 62-66.
351

comme naturelle. Tout au long de l’ère moderne, il y aurait donc un passage au niveau de
l’individu de la « nature humaine » à l’homme normal, dans le cadre du processus qu’il
qualifie de « normation ». Au niveau de la population, on observerait au 18 e siècle une œuvre
de « normalisation », à savoir le repérage de distributions « anormales » de la population. 1
Ceci aurait lieu par le biais de trois dispositifs : la maîtrise de l’aléatoire dans les sciences, la
quantification statistique des multiplicités humaines et la régulation de la distribution de la
population dans son milieu. 2 Ce dernier est un concept qu’on retrouve également en
physiologie, en biologie, en démographie et, on peut ajouter, dans les pratiques de
l’aménagement du territoire.
Dans une autre perspective historique, la normalisation a été « d’abord développée
pour rendre compatibles les objets de communication ». 3 L’existence d’un langage qui permet
la compréhension entre êtres humaines nous conduit à postuler l’existence d’éléments
partagés qui nous conduisent à coder nos messages d’une manière qui puisse être décodée par
les autres. La nature et l’origine de ces éléments communs est l’objet de spéculations au
moins depuis l’époque de Platon et d’Aristote. Aujourd’hui, on peut identifier trois courantes
principaux dans ce débat : d’un côté, ceux qui, avec Noam Chomsky, considèrent le langage
comme une faculté mentale, souvent innée 4 ; de l’autre, ceux qui voient dans le langage une
convention sociale et arbitraire, à l’instar de Ferdinand de Saussure 5 ; enfin, il y a ceux qui
1 Voir Michel Foucault (1999), Les anormaux: cours au Collège de France (1974-1975), Paris, Gallimard-Seuil,
p. 199, toujours dans Paltrinieri, « Gouverner le choix procréatif : biopolitique, libéralisme, normalisation », p.
63.
2 Voir encore Paltrinieri, « Gouverner le choix procréatif : biopolitique, libéralisme, normalisation », p. 64-66.
3 Tiré de Dudouet et al., « Politiques internationales de normalisation : quelques jalons pour la recherche
empirique », p. 367.
4 Voir inter alia Noam Chomsky (1957), Syntactic structures, The Hague, Mouton.
5 Voir notamment Ferdinand de Saussure et al. (1988), Cours de linguistique générale, Paris, Payot (édition
originale : 1916).
352

adoptent une approche pragmatique au langage, en y voyant un outil de communication. 1 La
norme étant un standard qui permet la compréhension et la coexistence acceptable des acteurs,
on pourrait lui appliquer par analogie des approches linguistiques : les normes pourraient être
innées (correspondre à des « valeurs universelles »), conventionnelles (dériver d’accords plus
ou moins consensuels) ou être des outils de communication. On pourrait rejoindre le
philosophe allemand Jürgen Habermas dans sa lecture communicationnelle de la norme et du
droit : ce dernier serait le produit de la tension entre les faits (les choses telles qu’elles sont) et
les normes (les choses telles qu’elles devraient être), dans une logique communicative qu’il
oppose à la raison stratégique et instrumentale. 2 C’est dans cette logique que réside la source
de légitimité du droit.
La normalisation, tout comme la logique communicative, nous conduisent à focaliser
notre attention, dans ce parcours savant sur la norme, sur le concept ancien de légitimité, à
savoir « une qualité qui conduit les peuples (ou les états) à accepter l’autorité […] à cause
d’une sensation générale que cette autorité est justifiée ». 3 Selon Daniel Bodansky, la
légitimité en relations internationales pourrait dériver non seulement de la démocratie, de la
participation du public, de l’expertise ou indépendance (de la Banque centrale européenne, par
exemple) ou encore de l’équité procédurale (transparence, accès au public, etc.), mais aussi de
1 Voir par exemple Umberto Eco et Myriem Bouzaher (1988), Sémiotique et philosophie du langage, Paris,
Presses universitaires de France.
2 Voir Jürgen Habermas (1997), Droit et démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, et, pour le
fondement théorique de cet ouvrage, id. (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard. Sur le débat
autour de la démocratie délibérative, voir inter alia Shawn W. Rosenberg, éd. (2007), Deliberation,
participation, and democracy, New York, Palgrave Macmillan; Alban Bouvier (2007), « Démocratie
délibérative, démocratie débattante, démocratie participative », Revue européenne de sciences sociales, vol.
XLV, n. 136; Yves Sintomer et Julien Talpin (2011), « La démocratie délibérative face au défi du pouvoir »,
Raisons politiques, n. 42.
3 Citation tirée de Bodansky, «The legitimacy of international governance: a coming challenge for international
environmental law», p. 600, je traduis. Voir aussi Susan L. Woodward (2005), « Construire l’état : légitimité
internationale contre légitimité nationale ? », Critique internationale, n. 28; Karlsson-Vinkhuyzen et Vihma,
«Comparing the legitimacy and effectiveness of global hard and soft law: an analytical framework», p. 408-414.
353

sources traditionnelles à l’instar de l’intérêt national, de la réciprocité et du consentement. 1 Le
concept de légitimité nous renvoie donc à celui de l’autorité émanant de la norme et lierait
l’existence et l’efficacité de cette dernière à l’acceptabilité de l’autorité elle-même. Selon Max
Weber, il y a trois types de légitimité du pouvoir, voir de domination : traditionnelle (usages,
coutumes, etc.), charismatique (qualités extraordinaires d’un leader) et légale (loi, règles,
etc.). 2 Dépourvue de gouvernement mondial, cette autorité n’est pas forcément hiérarchique ;
au niveau international, elle a forcément une qualité diffuse. L’autorité serait subordonnée à
une « sensation générale » de justice, à des « normes fondamentales » qui pourraient être
considérées immanentes (déterminées par des éléments circonstanciels à l’instar des rapports
de force ou du hasard) ou, dans une regressio ad infinitum, transcendantes (dérivées de
principes universels comme la soi-disant « règle d’or » biblique).
Finalement, pour retourner aux images de taille et d’échelle dans Oran Young 3 , si la
taille est dans une perspective habermasienne un fait, une « mauvaise » adéquation entre les
systèmes biogéophysiques et les institutions 4 , elle cache une norme, à savoir l’attente par
certains acteurs (les écologistes, les citoyens, etc.) que cette adéquation soit « bonne ». Par
contre, l’image d’échelle, la possibilité de transfert micro-macro serait en même temps un fait,
une possibilité réelle, un souhait lié à une norme existante ou émergente, ou la prise de ses
désirs pour des réalités. Or, selon Young, il s’agit dans les deux cas d’attributs des
normes/institutions. Dans la perspective d’un système homme-environnement complexe, elles
peuvent avoir – comme on l’a déjà vu – une bonne ou mauvaise taille et échelle. Un autre
concept qu’on retrouve chez Young est celui d’« interaction » (en anglais : interplay) entre
normes/institutions, qui peut être verticale (entre échelles) ou horizontale (entre questions
1 Voir Bodansky, «The legitimacy of international governance: a coming challenge for international
environmental law».
2 Voir Max Weber et al. (1995), Economie et société, Paris, Presses Pocket (édition originale: 1921).
3 Voir supra.
4 Citation tirée de Oran R. Young (2002), The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay,
and scale, Cambridge, MA, MIT Press, p. xiv, je traduis.
354

différentes à la même échelle). 1 Si l’auteur formule des hypothèses assez banales, elles
contribuent à compléter l’étude panoramique menée sur les questions liées aux normes :
« avec la croissance du nombre d’institutions qui opèrent dans un espace social donné (densité
institutionnelle) […] les opportunités d’interaction entre institutions sont majeures » ; « les cas
individuels d’interaction institutionnelle se trouvent sur un continuum allant des interactions
essentiellement symétriques à des interactions principalement unidirectionnelles » ; « il est
utile de faire une distinction entre les interactions concernant des institutions adjacentes et
celles qui portent sur des agencements plus distants ». 2 De plus, Young s’intéresse
particulièrement à la question du chevauchement des normes et des institutions, ainsi qu’à ses
conséquences. 3
On peut donc conclure que la norme internationale est « un standard [technique] ou
[un] comportement acceptable » 4 au poids variable coproduit (à proximité de valeurs
universelles et de normes existantes ou en opposition avec ces dernières, souvent à travers des
négociations) par une masse critique légitime d’acteurs (entrepreneurs normatifs ou
communautés épistémiques plus ou moins importantes) et par leur contexte (y compris les
plates-formes organisationnelles, la spatio-temporalité, l’identité et la puissance des acteurs)
dans un cycle vital politico-juridique, qui commence par l’émergence de la norme et
l’achèvement d’un seuil critique, jusqu’à l’enchaînement d’une cascade normative et à son
internalisation. Ces normes sont donc localisées à différentes échelles, peuvent se chevaucher
et permettent une meilleure communication internationale, en régulant les interactions. Dans
les pages qui suivent, on s’intéressera donc à deux exemples tirés de la Convention alpine : le
premier illustre la circulation d’une norme du niveau mondial au niveau écorégional selon le
1 Voir ibid., p. 83-137.
2 Citations tirées d’ibid., p. 83-85, je traduis.
3 Voir ibid., p. 112.
4 Voir supra. Citation tirée de Finnemore et Sikkink, «International norm dynamics and political change», p. 891,
je traduis.
355

schéma de Finnemore et Sikkink ; le deuxième propose un cas moins linéaire et plus
complexe, qui permet d’analyser plusieurs normes en parallèle et de tester le cadrage
théorique qu’on vient de présenter. Ceci fera avancer en même temps notre compréhension de
la Convention alpine et des normes internationales.
Circulation normative du niveau mondial à l’écorégional : l’exemple du
Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO »
Pour illustrer les dynamiques mises en avant par Finnemore et Sikkink, on propose ici
un exemple de circulation normative du niveau mondial à l’écorégion alpine. Il s’agit donc
d’une illustration du phénomène qui est aussi connu, dans le débat autour de l’origine des
normes internationales, comme la « deuxième image inversée » (second image reversed). 1
Selon Kenneth Waltz, on peut distinguer trois images ou niveaux : l’individu, l’état et la
structure du système international. 2 Si on adopte une lecture classique, la source des normes
résiderait au niveau inférieur : l’individu (première image) pour les normes nationales et les
états (deuxième image) pour les normes internationales. Dans un article célèbre, Peter
Gourevitch conteste la perspective waltzienne et soutient, à l’appui d’illustrations éloquentes,
l’origine internationale de certaines normes nationales. 3 Les pages qui suivent représentent un
exemple de cette perspective classique.
La Convention pour le patrimoine mondial de l’UNESCO de 1972 est un accord
international qui sous plusieurs angles – contenus, institutions, protagonistes, etc. – ressemble
à la Convention alpine. 4 L’activité la plus connue de la Convention pour le patrimoine
1 Voir Peter Gourevitch (1978), «The second image reversed: the international sources of domestic politics»,
ibid., vol. 32, et supra.
2 Voir l’ouvrage classique par Waltz, Man, the state, and war.
3 Voir Gourevitch, «The second image reversed: the international sources of domestic politics»; Robert Jervis
(1989), The logic of images in international relations, New York, Columbia University Press.
4 Une première version des pages suivantes a été présentée lors de la conférence annuelle de la International
Studies Association, qui a lieu à la Nouvelle-Orléans en 2010. Je souhaite remercier les intervenants du panel
356

mondial est l’inscription de sites culturels et naturels de valeur universelle exceptionnelle dans
la soi-disant Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Vu le succès initial de la liste et le
nombre croissant de candidatures, au début des années 80, le Comité du patrimoine mondial, à
savoir l’organe qui décide l’inscription des sites dans la liste, institue des « listes indicatives »
nationales (anciennement « propositions d’inscription »), un inventaire des sites du territoire
d’un état qui sont considérés éligibles par la partie pour être inscrits dans la liste. 1 L’objectif
initial était celui d’améliorer la préparation des nominations (évaluer si elles remplissaient les
critères définissant la valeur universelle exceptionnelle) et d’augmenter la transparence du
processus. Ces listes permettent, entre autre, une comparaison préalable des nominations et
l’auto-exclusion des propositions manquant d’intérêt.
Ce qui est intéressant pour nous est le fait que, à partir de 1983, selon le comité, « les
biens naturels devraient être groupés par provinces biogéographiques ». 2 Pour renforcer la
fonction comparative des listes indicatives, à partir de 1999, le comité envisage « des réunions
« Comparative Regional Environmental Governance », notamment Jörg Balsiger, pour leurs précieux
commentaires. Ensuite, certains passages des paragraphes ci-dessous ont déjà été publiés par l’auteur dans
Alpine Convention, UNESCO World Heritage Working Group (2010), «Working Group on World Heritage
meets under the Alpine Convention», World Heritage, n. 58, ainsi que dans Paolo Angelini et al. (2010), «La
protezione integrata dell’ambiente alpino: armonizzazione delle Liste Propositive a livello ecoregionale»,
Gazzetta ambiente, n. 6. Cette perspective repose sur la documentation qui a été recueillie et publiée par le
Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO » de la Convention alpine lors de son premier mandat
(2007-2009) et qui a été annexé à la décision X/B3/UNESCO (2009) de la Conférence alpine. Cette présentation
prend aussi en considération la mise à jour du 23 juin 2010 de l’étude préliminaire Alpine Convention, UNESCO
World Heritage Working Group (2010), «Alpine sites and the UNESCO World Heritage», Innsbruck-Bolzano,
Alpine Convention, produite par l’auteur et en cours de publication en langue anglaise, française et italienne par
le Secrétariat permanent de la Convention alpine et le Ministère de l’environnement italien. Voir aussi l’étude
initiale Jon Marco Church (2007), «An analysis of the Alpine sites inscribed in the UNESCO World Heritage
List», Saltrio, EURAC.
1 Pour les définitions et les procédures en vigueur, faire référence à UNESCO, Comité du patrimoine mondial
(2008), « Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial », Paris,
UNESCO, par. 62-76.
2 Citation tirée de l’édition de 1983 des « Orientations », par. 7, je traduis à partir de la version anglaise
(traduction harmonisée avec la version française de la nouvelle édition de 1987).
357

pour harmoniser les listes indicatives d’une même région géoculturelle ». 1 A partir de 2005,
cette formulation est substituée par l’encouragement aux états d’« harmoniser leur liste
indicative aux niveaux régional et thématique ». 2 Ici, harmoniser signifie identifier les sites
comparables dans les autres états et décider soit d’abandonner les candidatures les plus faibles
soit de joindre les forces avec les états ayant des sites comparables et proposer des sites
transfrontaliers (s’ils sont contigus) ou seriaux transnationaux (s’ils ne le sont pas). En faisant
cela, les parties sont incitées à « comparer les thèmes, les régions, les groupements
géoculturels et les provinces biogéographiques ». 3 On voit donc clairement l’émergence d’une
norme internationale dans la recherche de valeur universelle exceptionnelle, à l’échelle des
provinces biogéographiques, donc des écorégions. 4 En principe, les sites appartenants à la
même écorégion devraient se ressembler, donc ils doivent – selon l’UNESCO – être
considérés ensemble. En combinant les formulations du comité, il faudrait « harmoniser les
listes indicatives au niveau écorégional ». Nous ignorons exactement comment cette norme a
émergé. Il s’agit probablement d’une combinaison, d’un côté, d’entrepreneurs normatifs qui
on épousé l’idéal écorégional et, de l’autre, d’une plate-forme organisationnelle sous pression
(UNESCO), qui demande l’assistance des états membres et d’autres organisations
internationales pour trier les nominations potentielles, améliorer celles à haut potentiel et
éventuellement décourager celles dont les probabilités de réussite sont faibles. De façon
générale, nous pouvons considérer que, dans la deuxième moitié des années 90, le principe
d’harmonisation écorégional était internalisé par plusieurs acteurs dans le contexte mondial de
l’UNESCO. Ce qu’on étudiera dans les pages qui suivent est donc le processus de
transposition de cette norme dans le contexte écorégional de la Convention alpine.
1 Tiré de l’édition de 1999 des « Orientations », par. 94.
2 Tiré de l’édition de 2005 des « Orientations », par. 73.
3 Tiré d’ibid., par. 71.
4 Pour le rapport entre les concepts de province biogéographique et d’écorégion, voir supra.
358

Le label du Patrimoine mondial de l’UNESCO est une reconnaissance convoitée par
un nombre important d’acteurs, puisqu’elle augmente la visibilité et le prestige d’un territoire
avec des effets sur le tourisme et l’emploi, à coût modéré. Les Alpes ne sont pas immunisées
contre l’attraction suscitée par ce label. Pour la Convention alpine, cette liste représente une
opportunité de valoriser durablement le patrimoine des Alpes. En 2010, la Convention alpine
comptait vingt-deux biens inscrits, plus trente et un sites dans les listes indicatives des états-
parties qu’on peut considérer alpins. 1 Cependant, la plupart des biens inscrits sont des sites
culturels. Les sites naturels alpins inscrits sur la liste sont seulement quatre : deux en Suisse,
un en Italie et un site transfrontalier entre la Suisse et l’Italie. 2 En fait, des sites symboliques
comme le Mont-Blanc entre la France, l’Italie et la Suisse ou le Triglav en Slovénie ne
figurent pas dans la célèbre liste. Certains acteurs territoriaux concernés, à l’instar du Pro-
Mont-Blanc 3 , souhaitent trouver un moyen d’assurer l’inscription de leurs sites dans la liste.
Ces acteurs peuvent faire beaucoup pour mobiliser une masse critique de ressources autour de
leurs projets, mais la Convention du patrimoine mondial centralise les procédures au niveaux
des comités nationaux et des délégations auprès de l’UNESCO. Cependant, les pays alpins
doivent suivre eux-aussi les règles du jeu mondiales pour faciliter la rencontre de l’« offre »
alpine avec la « demande » mondiale de sites de valeur universelle exceptionnelle.
Au début des années 90, la plupart des sites était située dans les pays développés,
surtout en Europe. Les sites naturels inscrits dans la liste étaient toutefois en nombre limité et
les sites mixtes – à la fois culturels et naturels – étaient rares, ce qui donnait de l’espoir aux
états alpins. Afin de rééquilibrer la liste, en 1994, le comité a développé une « stratégie
globale » qui envisageait une redéfinition du patrimoine. La stratégie encourageait l’adhésion
1 Voir Alpine Convention, UNESCO World Heritage Working Group «Alpine sites and the UNESCO World
Heritage».
2 Il s’agit des sites naturels du Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn (Suisse, 2001), du Monte San Giorgio (Suisse,
2003 ; Italie 2010), du Tectonic Arena Sardona (Suisse, 2008) et des Dolomites (Italie, 2009).
3 Voir supra.
359

à la convention par les pays en voie de développement et l’inclusion dans les listes indicatives
nationales des thèmes et des régions qui étaient sous-représentées sur la Liste du patrimoine
mondial. 1 Les thèmes alpins et l’écorégion dans son ensemble étaient-ils sous-représentés ?
Au début des années 2000, les organisations consultatives du Comité du patrimoine mondial,
à savoir l’UICN pour les sites naturels et l’ICOMOS (Conseil international des monuments et
des sites) pour les sites culturels ont conduit des analyses pour identifier ces thématiques et
ces régions qui n’étaient pas adéquatement représentées (en anglais : gap analysis). Sur la
montagne, en 2002, Jim Thorsell et Larry Hamilton du PNUE ont produit une étude
spécifique des sites naturels. 2 En 2004, le WWF a produit aussi une carte des zones
prioritaires pour la conservation de la biodiversité dans les Alpes. 3 Bien que les propriétés
européennes soient surreprésentées par comparaison avec celles d’autres continents et bien
que, pour les sites naturels, les écosystèmes de montagne soient aussi surreprésentés par
rapport aux autres biomes, l’impression générale, selon laquelle les sites naturels et les soi-
disant paysages culturels des Alpes ne sont pas surreprésentés dans la liste, subsiste. 4 Cette
perception est fondamentale pour les sites alpins. S’ils étaient perçus comme surreprésentés,
les espoirs de réussite seraient assez réduits. Les pays alpins doivent tenir le pari que les états
membres du Comité du patrimoine mondial et, dans une moindre mesure, l’UICN, aient la
même perception.
Vers la fin des années 90, le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, à savoir le
secrétariat de la convention, était à la recherche d’une zone pilote où démarrer un processus
1 Voir UNESCO, Comité du patrimoine mondial (1994), « Stratégie globale pour une Liste du patrimoine
mondial équilibrée, représentative et crédible », Paris, UNESCO.
2 Voir Jim Thorsell et Larry Hamilton (2002), «A global overview of mountain protected areas on the World
Heritage List», Cambridge, UNEP/WCMC.
3 Voir Frank Mörschel et al. (2004), « Les Alpes : le patrimoine naturel unique, une vision commune de la
préservation de la diversité biologique », Frankfurt, WWF Deutschland, p. 27.
4 Voir Andrea Burmester et al. (2005), «World natural heritage and cultural landscapes in Europe: the potential
of Europe’s world natural heritage», Bonn, Federal Agency for Nature Conservation.
360

d’harmonisation des listes indicatives au niveau écorégional. Vu l’existence de la Convention
alpine et vu la faible représentation du patrimoine naturel des Alpes dans la liste, l’attention
du centre se focalisait à cette époque sur les Alpes comme modèle pour les autres régions. 1 Le
états alpins répondent de manière positive et c’est dans ce contexte qu’en 2000 une première
réunion, laquelle rassemblait à Hallstatt (Autriche) les principaux experts en patrimoine
naturel et les délégués des pays alpins, a été organisée et financée par l’UNESCO. Sur la base
d’un énorme travail d’expertise sur les sites potentiels, des recommandations ont été
formulées, lesquelles insistaient sur l’importance de la Convention alpine pour la conservation
du patrimoine naturel de cette écorégion et encourageaient, notamment, le rassemblement de
la documentation pertinente sous la coordination d’ALPARC. 2 L’espoir du centre était que les
états alpins prennent le relais et produisent des listes indicatives nationales harmonisées au
niveau écorégional, dans un rare exemple de coopération entre deux organisations
internationales.
En fait, les états alpins, qui étaient de toute façon déjà membres de l’UNESCO (à
l’exception du micro-état liechtensteinois), démontrent immédiatement un certain intérêt pour
le projet. La Présidence italienne de la Convention alpine prend la tête de l’initiative et
organise en 2001 à Turin une réunion intergouvernementale, où la décision est prise de
ressembler tous les sites potentiels dans une candidature unique – nommée « Arc alpin » – et
d’attribuer à la Convention alpine la tâche d’établir des critères pour identifier les sous-sites
de cette macro-candidature. Cette candidature unique aurait dû représenter un modèle de
coopération transnationale et aurait eu, selon les représentants réunis à Turin, plus de chances
d’être inscrite sur la liste de l’UNESCO, qu’une série de candidatures isolées. 3 On observe
1 Cette perspective a émergé de conversations avec des hauts fonctionnaires du centre auxquelles l’auteur a
assisté à Paris en 2010.
2 Voir le rapport WHC-2000/CONF.204/WEB.2 (2000).
3 Confronter le document de la Convention alpine PC19/15.1 (2001) et le rapport de l’UNESCO WHC-
01/CONF.208/INF.6.
361

donc ce qu’on peut lire en même temps comme une cascade normative du niveau mondial à
l’écorégional ou comme la localisation d’une norme mondiale à l’échelle écorégionale. On
préfère toutefois y lire une cascade normative puisque, s’il est vrai que de jure les états
membres de l’UNESCO ont accepté la norme relative à l’harmonisation écorégionale, de facto
seule l’Italie s’est engagée dans sa mise en œuvre dans les Alpes. Cependant, l’approche de la
candidature unique présentait trop d’inconvénients : les candidatures sont nationales, la
Convention alpine n’avait pas encore de familiarité avec les procédures de l’UNESCO, mais
surtout tous les états alpins n’avaient pas vraiment épousé l’harmonisation écorégionale.
L’initiative de la Convention alpine restera donc en chantier pendant plusieurs années. Entre-
temps, elle a eu le mérite de faire avancer, au niveau national, le processus d’inscription de
plusieurs sites alpins et ALPARC complétera le recueil de documents demandé à Hallstatt. 1
En 2006, avec l’achèvement du recueil, la France, qui n’avait pas de sites alpins
naturels inscrits sur la liste, avait pris ALPARC sous sa propre tutelle et allait assumer la
présidence de la convention l’année suivante, démontre un certain intérêt dans la relance du
processus. 2 L’Italie rappelle donc les efforts qu’elle avait prodigués au début des années 2000
et propose de créer un Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO » sous sa
présidence. L’objectif du groupe était d’étudier la situation dans les Alpes et d’harmoniser des
candidatures, à savoir à une sorte de présélection des sites ayant un potentiel majeur. Les
autres pays, notamment l’Autriche, démontrent immédiatement un grand intérêt, en raison du
fait que le principe de l’harmonisation écorégionale était en train d’être adopté par un nombre
croissant d’états alpins. De plus, le Centre du patrimoine mondial a remarqué en 2007 que,
sans parler de la candidature unique, les états n’avaient encore proposé ni de candidature
transfrontalière ni de candidature transnationale dans les Alpes, bien que celles-ci figurassent
1 Voir ALPARC (2006), « Récolte et analyse de la documentation sur le patrimoine mondial naturel dans l’Arc
alpin », Chambéry, ALPARC.
2 L’auteur a participé directement au lancement et aux travaux du groupe de septembre 2006 à octobre 2010.
362

parmi les conclusions de Hallstatt et de Turin et qu’un tri au niveau écorégional fût attendu
des états alpins. 1 Ceci a renforcé la détermination des pays alpins à continuer avec
l’harmonisation. La même année, au moment de l’approbation du mandat du groupe, seule la
Suisse exprimera des réserves et demandera de changer le texte du mandat d’« harmoniser » à
« contribuer à l’harmonisation » des listes indicatives, probablement davantage par manque de
confiance en la Convention alpine que par manque d’adhésion au principe d’harmonisation
écorégionale. 2 Finalement, l’exercice crée de la valeur ajoutée, en donnant l’avantage de
montrer à l’UNESCO que les sites proposés ont été l’objet d’une présélection dans un
contexte international, une sorte de proto-label de la Convention alpine. Entre 2007 et 2010,
l’Italie, l’Autriche, la Suisse et l’Allemagne ont constamment soutenu les travaux du groupe et
Monaco a fourni un soutien financier important à la candidature transfrontalière des Alpes
Maritimes – Mercantour, tandis que la participation de la France et de la Slovénie a manqué
de constance. Dans cette période, on a vu la norme internationale de l’harmonisation
écorégionale des listes indicatives être progressivement intériorisée, de l’UNESCO à l’Italie et
aux autres états alpins. Entre le mandat approuvé en 2007 et le deuxième en 2009, on voit
comment les travaux du groupe sont de plus en plus nourris par ce principe, au point que, suite
à l’approbation du deuxième mandat par le niveau ministériel, même l’UNESCO, qui avait
perdu tout espoir dans le potentiel de la Convention alpine pour l’harmonisation des listes
indicatives, regagne un certain intérêt pour ce processus. 3
Les états alpins restent pleinement souverains sur leurs listes indicatives. Au fur et
à mesure, une masse critique de ces états a toutefois adopté la norme internationale selon
laquelle il faudrait harmoniser les listes au niveau écorégional. Dans une cascade normative,
1 Voir Mechtild Rössler et Cécile Menétrey-Monchau (2007), «Periodic reporting and action plan: Europe 2005-
2006», dans World Heritage Reports, Paris, UNESCO World Heritage Centre, p. 36.
2 Voir PC35/9 (2007).
3 Décision X/B3/UNESCO (2009) et documents annexes. Lire aussi le communiqué de presse de la réunion entre
la Convention alpine et l’UNESCO qui a eu lieu à Paris le 18 janvier 2010, qui a été publié sur le site internet de
l’UNESCO.
363

elle a fait cela dans le contexte organisationnel de la Convention alpine et de l’UNESCO.
Dans cet exemple, on retrouve toutefois des éléments qui vont bien au-delà de Finnemore et
Sikkink. Non seulement il s’agit d’une cascade normative du niveau mondial à l’écorégional,
mais on observe aussi la localisation décrite par Acharya d’une norme développée dans le
contexte universel de l’UNESCO à une autre échelle. La question de l’harmonisation des
listes indicatives n’est pas à un niveau technique suffisamment élevé pour permettre de parler
de standardisation, mais on peut affirmer facilement qu’il s’agit du droit « mou » décrit par
Legro. Son adoption et sa mise en œuvre sont le produit de négociations entre les états alpins
comme nous l’enseigne Reynaud. L’existence d’une identité partagée par les états alpins sur
laquelle insiste Katzenstein, la présence de la Convention alpine et le poids relatif de l’Italie
dans les deux conventions (avec la France et l’Espagne, elle est le pays avec le plus grand
nombre de sites inscrits) ont certainement influencé l’adoption de cette norme internationale.
Elle n’est pas encore passée par le processus de légalisation dont parle Abbott, mais elle a
permis à une pluralité d’acteurs de mieux se comprendre lorsqu’ils affrontent des thèmes liés
au patrimoine alpin et de faire avancer des dossiers communs.
Poids de l’état dans l’émergence des normes internationales :
l’expérience du Protocole « aménagement du territoire et développement
durable »
Les paragraphes précédents ont permis d’illustrer les différents outils à notre
disposition pour étudier les normes internationales, mais ils n’ont qu’un caractère
anecdotique, au moins pour ce qui concerne la Convention alpine. Pour augmenter la valeur
scientifique de l’analyse, nous proposons ici d’itérer ce type d’exercice et d’étudier plusieurs
normes en parallèle. Bien que nous ne fassions pas de recours formel à des élaborations
statistiques, l’élargissement de l’échantillon étudié est utile pour réduire l’incidence des
comportements exceptionnels (normes adoptées dans la foulée, rôle excessif d’un acteur, etc.)
et des erreurs matérielles (dates, transcription, etc.). Ce qui nous intéresse aussi est que ceci
364

permet d’essayer de vérifier le poids de certains phénomènes dont on a connaissance, par
exemple le rôle des états ou les raisons pour lesquelles certaines normes sont acceptées, mais
dont on ne connaît pas la mesure. Vu le matériel à disposition, les cas les plus appropriés sont
probablement ceux de l’élaboration des protocoles : ils contiennent plusieurs normes et, à
travers les travaux préparatoires, ils permettent l’étude de leur évolution dans le temps. Parmi
tous les protocoles, on a choisi celui du Protocole « aménagement du territoire et
développement durable » de 1994. Contrairement aux autres, il touche à une grande quantité
de secteurs et permet de ce fait de prêter moins attention aux spécificités qu’on retrouverait en
choisissant, par exemple, le tourisme ou les transports. Il s’agit d’un cas moins linéaire et plus
complexe que celui du Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO ». L’objectif
général est de faire avancer en même temps notre compréhension du fonctionnement de la
Convention alpine et de l’émergence des normes internationales. On va donc commencer
notre analyse par un petit rappel sur l’évolution des pratiques d’aménagement du territoire et
par des éléments du contexte historique du protocole. 1
Les différents acteurs étaient déjà sensibilisés aux questions de l’aménagement du
territoire alpin depuis au moins les années 70. L’aménagement du territoire (en anglais :
spatial planning, expression qui fédère les concepts d’urbanisme ou urban planning et de
regional planning) a des origines anciennes, mais son histoire récente s’entrelace avec celle
de la planification, donc avec l’essor et la chute des économies planifiées. 2 Son instrument par
excellence est le plan de la ville, du paysage, etc., mais la pratique de l’aménagement ne se
réduit pas seulement à cela : par exemple, la programmation, les scénarios à long terme, la
1 Pour une reconstruction de l’histoire de la Convention alpine, voir supra.
2 Pour une perspective historique et comparative ancrée dans la pratique, lire Christian Comeliau (1999),
Planifier le développement : illusion ou réalité, Louvain-la-Neuve - Paris, Academia-Bruylant - L’Harmattan, ou
encore Lucien Nizard (1972), «De la planification française: production de normes et concertation», Revue
française de science politique, vol. 22, n. 5. Voir aussi les ouvrages de référence Pierre Merlin (2002),
L’aménagement du territoire, Paris, Presses universitaires de France; Jean Girardon (2006), Politiques
d’aménagement du territoire, Paris, Ellipses.
365

démocratie participative, l’arbitrage entre les objectifs d’équité sociale et de durabilité
environnementale, l’intégration des politiques sectorielles et les mobilités jouent aussi un rôle
fondamental pour l’aménagement. 1 Sur le plan alpin, en 1974, l’aménagement du territoire
occupait déjà une place importante dans le Plan d’action de Trente de l’UICN et, en 1978, le
Conseil de l’Europe, qui était saisi des problèmes généraux des régions rurales déjà au début
des années 70 2 , approuve une résolution spécifique sur l’aménagement du territoire européen
et sur la fonction des régions alpines par le biais de la Commission de l’aménagement du
territoire et des pouvoirs locaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil. 3 Il s’agissait de
l’époque de la fin de la guerre au Vietnam, des crises du pétrole et du rapprochement franco-
soviétique : le modèle américain semblait en déclin et l’économie planifiée apparaissait mieux
équipée que l’économie capitaliste pour répondre aux chocs et aux cycles économiques de
l’époque. L’intérêt pour une planification alpine se consolidait.
La marche vers un instrument juridique sur le plan international sera longue et passera
à travers l’adoption de la Convention alpine. Bien que les acteurs impliqués dans ce processus
eussent déjà codifié des éléments normatifs dans des documents partagés à plusieurs niveaux
(ONG, collectivités territoriales et états alpins), il a fallu l’adoption de la convention-cadre et
la création d’un groupe de travail sous présidence française en 1989 pour achever le texte d’un
protocole obligatoire sur le plan du droit international. Il faut rappeler que l’inclusion de
l’aménagement du territoire, de la population et la culture, parmi les objectifs de la
convention, est étroitement liée au souhait des régions alpines, notamment dans les Alpes
latines, de ne pas voir leur intérêt pour le développement socio-économique oublié dans la
convention. A Berchtesgaden, la position de la Suisse était particulièrement délicate, vu
l’opposition des cantons alpins à la convention, ce qui conduira le ministre suisse à promettre
1 Voir le Projet de déclaration Pour une planification durable issu des Premières rencontres internationales en
sustainability studies, qui on eu lieu à Reims en 2011, la rédaction duquel a vu la participation de l’auteur.
2 Sur les régions rurales, voir la Résolution (73) 3 du Conseil et, pour le contexte, supra.
3 Voir la Résolution 687 (1979) de l’Assemblée parlementaire.
366

que, « dans le futur, les cantons alpins seront plus impliqués dans tout le processus ». 1 De
plus, la Suisse déclarera que « la procédure de ratification de la convention à signer ne sera
engagée qu’au moment où les négociations sur les premiers protocoles supplémentaires
[auront] trouvé une fin satisfaisante pour la Suisse ». 2 Berne et les cantons joueront donc un
rôle central dans le processus de négociation du protocole.
Avant la fin de l’année 1992, le groupe de travail, qui incluait les délégations
nationales et des observateurs, à l’instar de la CIPRA et de l’UICN, avait terminé la
préparation du premier projet. Selon la CIPRA, il contenait de « nombreuses formulations
potentielles, non contraignantes » et peu spécifiques au contexte alpin et à la dimension
transfrontalière ; il représentait aussi une « recherche du plus petit commun dénominateur ». 3
Mais le souci principal de la CIPRA était que, jusque-là, « aucun débat public n’[avait] eu lieu
sur les contenus techniques de la Convention alpine ». 4 Le processus maintenait un caractère
strictement intergouvernemental et risquait d’aliéner ultérieurement les populations locales et
les collectivités territoriales. Vu sa tradition démocratique et le rôle des cantons dans son
système institutionnel, la Suisse s’est démontrée particulièrement attentive à ces éléments. En
1993, le rapport sur les aspects socio-économiques de la Convention alpine et de ses
protocoles, confié par l’administration fédérale au Groupement suisse pour les régions de
montagne (SAB), loin d’épouser les thèses de la CIPRA, confirme les craintes des cantons, en
dénonçant le déséquilibre de la convention et des protocoles proposés en faveur de la
protection de l’environnement et en souhaitant une réconciliation de celle-ci avec un
1 Citation extraite de Stefan Brem et Stefano Bruno (1997), «The Swiss debate on the Alpine Convention: more
than a two-level game», Zürich, Institut für Politikwissenschaft, Abteilung Internationale Beziehungen, p. 28-35,
je traduis.
2 Tiré de la déclaration annexée au procès-verbal de la Conférence de Salzbourg de 1991. Pour la reconstruction
historique, voir supra.
3 Citations extraites de Walter Danz et al. (1993), La Convention alpine, un bilan provisoire : résultats de
l’assemblée annuelle, Vaduz, CIPRA International, p. 8.
4 Tiré d’ibid., p. 7.
367

développement économique qui soit, bien sûr, durable. 1 Berne a donc créé le Groupe Messerli,
à savoir un groupe d’experts au niveau fédéral et cantonal (les cantons réclamaient encore une
participation accrue aux négociations) avec l’objectif de mieux intégrer les aspects socio-
économiques dans les protocoles existants et d’élaborer un projet de protocole « population et
économie ».
La Suisse arrivera à la réunion extraordinaire des ministres des états alpins à Paris, qui
avait été convoquée par la présidence française en mai 1994, avec une délégation mixte au
niveau fédéral et cantonal. Elle y présentera le projet de nouveau Protocole « population et
économie », préparé par le Groupe Messerli. Les ministres, qui étaient plus intéressés par
l’idée de finaliser les protocoles existants qu’à en élaborer de nouveaux, ont rejeté le projet
suisse, préférant en recueillir des éléments dans le Protocole « aménagement du territoire » et
renvoyant le reste à un document à élaborer dans le futur sur la population et la culture. Avec
l’ajout de la mention « développement durable » dans son appellation, le protocole prévoyait
maintenant la participation des collectivités territoriales à sa mise en œuvre, en mentionnant
aussi des aspects socio-économiques. Or, la teneur juridique des obligations prévues par le
protocole était toujours faible. Dans le cadre du débat qui s’ouvrira en Suisse pendant l’été
1994, les cantons, même s’ils se réjouissaient de leur entrée en délégation nationale aux côtés
du gouvernement fédéral, rejetaient en bloc tous les projets de protocoles existants, y compris
celui sur l’aménagement du territoire et du développement durable. Vu qu’à Paris les autres
parties n’avaient pas accepté les demandes suisses, les cantons estimaient que la confédération
ne devait pas souscrire aux protocoles. Le gouvernement fédéral, par contre, ne voyait aucun
risque dans les dispositions fumeuses de la convention et de ses protocoles et craignait plutôt
des effets éventuels dans les relations avec les pays voisins.
1 Voir Daniel Wachter (1993), « Analyse des aspects socio-économiques de la convention alpine et de ses
protocoles : une enquête du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) sur mandat de l’Office
fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) », Berne, OFEFP.
368

Le protocole a finalement été adopté en décembre 1994, lors de la troisième
Conférence alpine à Chambéry. Dans les semaines ayant immédiatement précédé la
conférence, les niveaux fédéral et cantonal suisses ont décidé que les références aux aspects
socio-économiques et à la participation des collectivités territoriales qui avaient été insérées
dans le texte du protocole n’étaient finalement pas suffisantes. Par conséquent, la Suisse,
l’Autriche (qui attendait la finalisation du Protocole « transports ») et le Liechtenstein (qui
était pris en sandwich par les deux) n’allaient signer aucun protocole. 1 Cependant, le texte du
protocole, qui était une priorité pour la présidence française, a été ouvert à la signature lors de
la Conférence alpine de Chambéry. A ce jour, le protocole a été signé par toutes les parties
contractantes, y compris la Suisse. Il a été ratifié par tous à l’exception de l’Italie, de la Suisse
et de l’Union européenne et il est entré en vigueur en 2002. 2 Il faut remarquer toutefois que le
Protocole « aménagement du territoire et développement durable » n’a été adopté que vers le
milieu des années 90, à savoir après la chute de l’économie planifiée, la fin de la guerre froide
et l’abolition des plans quinquennaux français en 1993. 3 Le sens de la planification était
différent au début des années 90 que dans les années 70 : il s’agissait d’un concept plus souple
et adapté à l’économie de marché.
Notre question de départ dans cette analyse est donc l’origine des normes contenues
dans le protocole. Sur la base de notre analyse historique, on a identifié sept textes qu’on sait
avoir été utilisés lors de la rédaction et de la négociation du protocole :
1. Plan d’action de Trente de 1974 (UICN) ;
2. Déclaration de Lugano de 1978 (Conseil de l’Europe) ;
3. Plan commun de Feldkirch de 1981 (ArgeAlp) ;
1 Voir encore Brem et Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game», p. 32.
2 Pour les contenus, voir la fiche supra.
3 Sur l’expérience française, voir Comeliau, Planifier le développement : illusion ou réalité, p. 21-25. Par contre,
le Commissariat général du plan français n’a été fermé qu’en 2006 et transformé dans le Centre d’analyse
stratégique (CAS) sous tutelle du premier ministre.
369

4. Modèle de l’ASA de 1988 ;
5. Modèle de la CIPRA de 1989 ;
6. Résolutions de Berchtesgaden de 1989 ;
7. Projet de protocole « population et économie » de 1993 (Suisse). 1
Les trois premiers sont mentionnés par la CIPRA comme source pour son modèle 2 , tandis que
les quatre derniers ont clairement été pris en considération vu que les acteurs présents à
l’élaboration de ces documents étaient souvent les mêmes. Le seul document dont on ne
possède pas de copie est le projet de protocole « population et économie » de 1993, mais on
peut considérer le processus qui va des Résolutions de Berchtesgaden de 1989 au Protocole
« aménagement du territoire et développement durable » en 1994, en passant par ledit projet
de protocole, comme un processus sans solution de continuité. 3 Bien sûr, il ne s’agit pas d’une
liste exhaustive de toutes les sources des normes contenues dans le protocole. Par exemple, il
peut s’avérer que certaines normes qui ne figurent pas dans ces documents, étaient déjà
présentes ailleurs dans des textes nationaux, européens ou scientifiques ou encore qu’ils
n’avaient pas été codifiés dans un texte écrit. L’avantage des normes contenues dans le
protocole est qu’elles représentent des points de repère sûrs, correspondants aux moments
principaux de la réflexion autour de l’aménagement dans l’écorégion alpine. Il faut aussi
rappeler que les sept textes correspondent à des niveaux décisionnels différents : des ONG
écologistes pour le premier, le quatrième et le cinquième, des régions alpines pour le
1 La version française de tous ces documents, excepté la Déclaration de Lugano de 1978 et le Plan commun de
Feldkirch de 1981 qu’on ne possède qu’en italien, se trouve en annexe. Le modèle de l’ASA de 1988 est
disponible en italien sur le site internet de l’association : www.asa-net.eu (dernier accès : 10 août 2011).
2 Voir Walter Danz (1990), Modèle pour la Convention alpine, Vaduz, CIPRA International, p. 3, 94.
3 On peut se faire une bonne idée des contenus du projet de protocole « population et économie » dans Brem et
Bruno «The Swiss debate on the Alpine Convention: more than a two-level game». On a essayé de se procurer
une copie du document auprès du Secrétariat permanent de la Convention alpine, de membres de la délégation
suisse de l’époque, du Ministère de l’environnement italien et de l’ISCAR. Malheureusement, ces tentatives
n’ont pas été couronnées de succès.
370

deuxième et la troisième, les parties contractantes pour le sixième et un état partie pour le
septième. La plate-forme organisationnelle ne peut donc pas être considérée comme constante.
On a donc isolé les éléments normatifs dans les sept textes en identifiant, également
dans le texte du protocole, des dispositions correspondant à des standards de comportement,
sur la base du modèle ci-dessous :
- Texte d’origine : « Préconisent que le respect des exigences de l’aménagement du
territoire et de la protection de l’environnement soit assuré par l’adoption de clauses
appropriées dans les réglementations techniques » 1 ;
- Norme extrapolée : « Adoption de clauses appropriées dans les réglementations
techniques ».
On voit qu’il y a une composante subjective dans ce travail d’extrapolation, mais on estime
que cela n’a pas d’impact majeur sur les tendances générales, le travail ayant été conduit de
manière systématique. Nous estimons toutefois que l’importance de cette composante rend
vaine toute élaboration statistique complexe (écarts-type, corrélations, etc.) de cette base de
données. De plus, il faut noter que souvent les sept documents incluent aussi d’autres normes
qui relèvent du domaine d’autres protocoles. Pour cette raison, on a exclu les parties de ces
textes qui concernent ces questions, à l’instar de la partie sur le tourisme ou sur les transports
dans le modèle de la CIPRA de 1989, et on n’a inclus que les parties correspondantes aux
contenus du Protocole « aménagement du territoire et développement durable », y compris les
principes généraux qu’on retrouve normalement dans les préambules. On s’intéressera donc
au groupement des normes identiques ou très similaires des textes différents sous un titre
synthétique sur la base de cet exemple :
1 Citation tirée du point 40 de la Résolution de Berchtesgaden de 1989.
371

[E8] ZONES DE PROTECTION DE LA NATURE 1
[94]-9/4/a/1 Délimitation des zones de protection de la nature et des paysages
[89/2]-37/2 Délimitation d’espaces appropriés pour l’habitat
[89/2]-37/10 Protection, entretien et développement de la nature et du paysage
[88]-[28]/5/4 Création de parcs naturels 2
Cette opération, qui n’est pas exempte de considérations subjectives (nous estimons, par
exemple, que la création de parcs naturels est une façon de délimiter des zones de protection
de la nature), nous permet de suivre l’évolution des différentes normes, de les comparer au
niveau thématique (selon des groupes arbitraires) et d’identifier trois catégories de normes
présentes dans ces textes :
- Normes existantes avant le protocole ;
- Normes nouvelles pour le protocole ;
- Normes rejetées dans le protocole.
Les normes ainsi catégorisées ont été recueillies dans les trois documents annexés. Bien que
leur portée ne soit pas toujours identique, dans un premier temps, il est inutile des les
différencier selon le poids normatif, qu’il s’agisse dans tous les cas d’exhortations politiques
ou de droit mou. Dans les annexes, on a toutefois indiqué les mesures qui, selon certains
juristes, seraient applicables directement et celles que, en 1991, la CIPRA estimait pouvoir
« être immédiatement décidées, sans recherche complémentaire » ou avoir besoin « de
recherches complémentaires ». 3
1 Le code entre crochets représente un code unique identifiant la norme. La lettre E correspond aux normes
existantes, N aux normes nouvelles et R aux normes rejetées. Dans les analyses qui suivent, on ne considérera les
normes répétées à l’intérieur d’un même document qu’une seule fois.
2 Les premiers nombres entre crochets identifient le document d’origine selon l’année et l’ordre d’adoption ; les
nombres suivants identifient les articles ou les éléments numérotés correspondant à la norme citée (s’ils sont
entre crochets, ils correspondent à des éléments non-numérotés dans le texte originel).
3 Voir Walter Danz et al. (1991), La Convention alpine : mesures à prendre, Vaduz, CIPRA International.
372

Ceci nous permet de commencer à analyser certains aspects de l’origine des normes
contenues dans le protocole. Le simple calcule du numéro de normes apparues pour la
première fois dans chaque document laisse entendre que 45 des 98 normes qu’on retrouve
dans le protocole étaient déjà en circulation dans les années 70. 1 Par exemple, à l’époque on
retrouvait déjà l’importance de la « sauvegarde et [du] rétablissement de l’équilibre
écologique et de la diversité biologique des régions alpines », la nécessité de mettre en œuvre
les politiques d’aménagement « en concertation avec la population locale et ses élus ainsi
qu’avec les agents économiques et les associations » ou encore la persuasion que « certains
problèmes […] exigent des mesures communes de la part des Etats alpins ». 2 Ceci dépend
probablement de la centralité de la planification à l’époque. Cependant, 35 des 98 normes sont
apparues pour la première fois dans le protocole lui-même, ce qui donne une mesure de
l’apport du groupe de travail intergouvernemental qui a rédigé et négocié le texte. Parmi les
normes qu’on ne retrouve pas dans les documents précédents, on peut mentionner à titre
d’exemple la « réalisation des objectifs [qui] s’effectue dans le cadre des dispositions
législatives et réglementaires des Parties », la « conservation et aménagement d’espaces verts
urbains et de zones de loisirs suburbaines », mais aussi des dispositions étonnantes comme
« le respect des spécificités culturelles des régions alpines » ou l’« amélioration de l’offre de
transports publics ». 3 Il est en fait surprenant que ces mesures ne figurassent pas dans les
textes existants, au moins pour ce qui concerne les parties générales, ou dans celles
spécifiquement consacrées à l’aménagement. Il faut toutefois s’arrêter un instant pour
souligner que 6 des 35 normes apparues pour la première fois dans le protocole concernent
des prérogatives des parties contractantes, dont l’origine est difficilement attribuable aux
ONG ou à un niveau supérieur aux états. Dans ces normes, on trouve des expressions comme,
« au niveau de chaque partie », « examiner les possibilités d’aider », « mesures appropriées »,
1 Voir le tableau ci-dessous.
2 Voir les articles 3, 8 et 15 du protocole.
3 Voir les articles 3, 8 et 9 du protocole.
373

mesures complémentaires », « dans le cadre institutionnel existant », « dans le cadre des
dispositions des parties ». 1 On y retrouve aussi 6 autres normes qui concernent des éléments
techniques des travaux des organisations internationales qui ne peuvent qu’émaner des
délégations nationales ou, à la limite, de juristes internationaux au service des ONG qui ont
participé à la rédaction et à la négociation du protocole en tant qu’observateurs.
Document Total
UICN 1974 69
Conseil de l’Europe 1978 65
ArgeAlp 1981 40
ASA 1988 73
CIPRA 1989 36
Berchtesgaden 1989 48
Chambéry 1994 98
Tableau 6 : Nombre total de normes dans chaque document. 2
Document Récurrence
UICN 1974 23
Conseil de l’Europe 1978 22
ArgeAlp 1981 4
ASA 1988 11
CIPRA 1989 2
Berchtesgaden 1989 1
Chambéry 1994 35
Tableau 7 : Nombre de normes apparues pour la première fois dans chaque document. 3
S’il est clair que le contexte historique a joué un rôle dans l’émergence des normes du
protocole, on pourrait explorer le rôle du contexte organisationnel. Les sept documents ont été
développés sur trois niveaux décisionnels : les ONG, les régions et les états. L’étude du
niveau d’acceptation des normes de chaque document dans le protocole montre comment les
documents élaborés par l’UICN et l’ASA ont en taux d’acceptation moyen de 35 %, une
vingtaine de points en moins par rapport aux textes développés dans des contextes régionaux
ou nationaux. Parmi les documents élaborés dans le cadre d’une ONG, seule la CIPRA atteint
1 Expressions tirées du préambule et des articles 1-3,7-9, 12-14, 16, 18 du protocole.
2 Calculé par nous-mêmes sur la base des trois annexes contenant les normes existantes, nouvelles et rejetées.
3 Calculé par nous-mêmes sur la base des annexes contenant les normes existantes et nouvelles.
374

50%, ce qui peut dériver de la brièveté du texte avec un total de 36 normes contre la moyenne
de 65 des autres. Vu la l’aspect prolifique de la CIPRA, on a de bonnes raisons de croire que
cela est le résultat d’un processus volontaire de sélection (plutôt que de normes plus
incisives).
Document Pourcentage
UICN 1974 33 %
Conseil de l’Europe 1978 55 %
ArgeAlp 1981 50 %
ASA 1988 37 %
CIPRA 1989 50 %
Berchtesgaden 1989 58 %
Chambéry 1994 -
Tableau 8 : Taux d’acceptation des normes de chaque document dans le protocole. 1
On peut donc conclure non seulement que, dans les protocoles, il y a beaucoup de normes
« matures », qu’il est probable qu’on les retrouve déjà inscrites dans les législations
nationales, mais aussi que le moment historique, les négociations intergouvernementales et les
contextes régionaux et nationaux ont joué un rôle important dans l’origine des normes du
protocole. En particulier, les textes développés dans des contextes régionaux ou nationaux,
donc dans le cadre d’institutions étatiques, ont eu un poids majeur par rapport aux ONG.
Notre cadrage théorique nous permet d’aller au-delà de l’identification de quand et où
et d’avancer des hypothèses sur les raisons pour lesquelles certaines normes ont été acceptées
et intégrées dans le protocole. De plus, le matériel à notre disposition fournit des éléments
pour vérifier ces hypothèses. Pourquoi des normes ont-elles finalement été acceptées ?
Pourquoi d’autres ont-elles été rejetées ? Pour simplifier, on considérera initialement le
contexte historique et la plate-forme organisationnelle comme constants. Il faut donc prendre
en considération deux variables principales : d’un côté, les normes elles-mêmes et, de l’autre,
les acteurs. Concernant le contenu des normes, la raison de leur acceptation ou de leur rejet
1 Calculé par nous-mêmes en divisant le nombre de normes acceptés dans le protocole par le nombre total des
normes proposées dans chaque document et en multipliant par cent.
375

peut résider dans leur degré de maturité ; elles peuvent aussi répéter des normes déjà inscrites
ailleurs ou bien être repoussées puisqu’elles sont déjà inscrites ailleurs. Par exemple, la norme
relative à la nécessité d’« [intégrer] davantage les préoccupations d’environnement [dans les
politiques d’aménagement] » peut être considérée comme étant arrivée à maturité pour se voir
inscrite dans le protocole : avec ladite norme sur la participation, elle est présente dans chaque
document à partir de 1974. 1 De plus, elle est proche d’autres concepts qu’on retrouve dans le
protocole et dans le contexte normatif dans son ensemble et elle a été certainement appliquée
à plusieurs reprises avec succès dans des projets pilotes qui doivent avoir été considérés
comme de bonnes pratiques. La maturité d’une norme peut indiquer que le moment est venu
pour son inscription dans un accord international dans le cadre d’un processus de légalisation.
Cependant, son inscription peut toujours être entravée par une mauvaise conjoncture. Par
contre, on peut supposer que le rejet d’une norme comme la nécessité d’« examens de
compatibilité avec l’environnement selon des critères uniformes » a été facilité par le fait
qu’elle était déjà inscrite ailleurs, par exemple dans la Convention d’Espoo de 1992. 2
En ce qui concerne les acteurs qui façonnent les normes, on peut observer la présence
ou l’absence de consensus 3 ; il peut s’avérer aussi qu’une norme soit inscrite ou non suite à
des négociations et à des compromis. Il est fort probable qu’un projet de norme comme celui
selon lequel « l’évaluation des incidences sur l’environnement des projets ne doit pas
s’appuyer sur les seuils minimaux en vigueur dans la Communauté [économique
1 Tirée de l’article 9 du protocole et du tableau à la fin de ce chapitre.
2 L’exemple de norme a été tiré du point 1.2.5 du modèle de la CIPRA de 1989. Voir la Convention sur
l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontier (EIE), développée dans le cadre du
processus « Un environnement pour l’Europe » de l’UNECE et la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 sur
l’évaluation des incidences sur l’environnement et ses modifications successives, ainsi qu’infra.
3 Voir Michel Dobry (1986), « Le jeu du consensus », Pouvoirs, vol. 38 ; Serge Moscovici et Willem Doise
(1992), Dissensions et consensus : une théorie générale des décisions collectives, Paris, Presses universitaires de
France.
376

européenne] » 1 n’ait pas recueilli le consensus des parties, car il critiquait la CEE et les états
qui en étaient membres. Il est probable que certaines normes n’aient pas achevé la masse
critique dont elles avaient besoin à cause de la présence du véto d’au moins une partie. Ces
situations sont normalement débloquées dans le cadre de négociations intergouvernementales,
où la partie à l’origine du véto peut consentir à le lever en échange d’une concession sur une
autre question, qui peut être aussi la simple pression psychologique exercée par une masse
critique d’autres parties sur la délégation qui se trouve en position isolée. 2 On sait, par
exemple, que la plupart des références à la participation des collectivités territoriales qui se
trouvent dans le protocole ont été intégrées pour accueillir les demandes de la Suisse, qui a en
échange accepté de ne plus bloquer les négociations et de permettre l’ouverture à la signature
à Chambéry. 3 Si l’on adopte la perspective du champ bourdieusien, maturité et consensus,
d’un côté, et répétition et négociation, de l’autre, peuvent être considérés respectivement
comme des prédispositions et des dispositions, dans la mesure où une norme peut être
disposée. Dans ce sens, les normes sont à considérer comme des variables dépendantes
(normes réifiées) des normes à accepter dans un champ ou système mixte acteurs-normes.
Normes
Acteurs
Mature
Consensus
Prédispositions
Non mature
Consensus absent
377
Répétée
Négociation
Dispositions
Tableau 9 : Schéma des hypothèses sur l’acceptation des normes dans le protocole. 4
1 Norme tirée du paragraphe 28 du Modèle de l’ASA de 1988, je traduis.
Déjà inscrite
Compromis
2 Sur ce type d’échange (en anglais : tit-for-tat), lire Robert Axelrod (1984), The evolution of cooperation, New
York, Basic Books.
3 Voir la reconstruction historique supra.
4 Schéma établi par nous-mêmes sur la base du cadrage théorique ci-dessous et d’une lecture critique du
protocole et des documents précédents, à notre disposition.

En l’absence de reproduction complète des négociations, on ne peut utiliser notre base
de normes acceptées ou rejetées pour tester de manière exhaustive ces hypothèses. Nous
pouvons toutefois nous faire une idée du poids différent des normes matures, répétées et qui
ont fait l’objet de consensus par rapport aux autres, en observant la vue synoptique de la
concordance entre les normes acceptées et les normes rejetées dans le protocole que l’on
trouve à la fin de ce chapitre. Le fait que la densité de normes qui figurent dans plusieurs
textes soit indéniablement plus importante parmi les normes acceptées que parmi les normes
rejetées, peut être interprétée comme un signe du fait que la maturité, la répétition et la
consensualité d’une norme ont un impact remarquable sur son inclusion dans un accord
international. On voit aussi que les 13 normes qui figurent dans quatre ou plus des documents
préexistants ont toutes été acceptées dans le texte final, c’est-à-dire qu’aucune des normes
qu’on a prises en considération et qui ont été incluses dans plus de trois documents n’a pas été
exclue du protocole. Il s’agit des normes suivantes, qu’on retrouve déjà et sans exception dans
les textes des années 70 :
1. Prise en compte des exigences écologiques ;
2. Participation de la population locale ;
3. Maintien de l’équilibre écologique ;
4. Solidarité territoriale vis-à-vis l’exode rural ;
5. Maintien et développement de l’agriculture ;
6. Examen des effets des projets ;
7. Prise en considération des prestations d’intérêt général ;
8. Prise de mesures communes des états alpins ;
9. Prise en compte des limites naturelles à la croissance ;
10. Protection contre les risques naturels ;
378

11. Garantie du cadre de vie ;
12. Dimension européenne des Alpes ;
13. Prise en considération du long terme. 1
De plus, trois de ces normes figuraient parmi les cinq que, en 1991, des experts interviewés
par la CIPRA considéraient pouvoir « être immédiatement décidées, sans recherche
complémentaire ». 2 Ces observations semblent valider la thèse selon laquelle les normes
internationales sont acceptées puisqu’elles sont matures, répétées et consensuelles. On
rappelle toutefois que les normes apparues pour la première fois dans le protocole s’élèvent au
nombre de 35 sur un total de 98. Un certain nombre de normes – notamment les normes moins
matures ou récurrentes – doivent avoir été l’objet de négociations et de compromis.
Il est particulièrement difficile de décider, dans tous les cas, si les normes du protocole
sont matures, répétées, consensuelles ou négociées. De plus, la même norme peut
correspondre en même temps à des situations différentes. En principe, même une norme
mature et répétée peut être négociée à un moment donné. Il y a toutefois des normes qui
correspondent clairement à l’un ou l’autre cas. Nous souhaitons maintenant focaliser notre
attention sur les normes qui ont probablement été l’objet de négociations. Or, nous n’avons
pas de moyen d’établir avec certitude quelles normes ont été effectivement négociées et de
quelle manière. Les normes qui suivent ont été sélectionnées à titre d’exemple en se
demandant quelles normes peuvent avoir été vraisemblablement contestées par les états alpins
et les observateurs. Elles ont été organisées sur la base du type d’objection que les états
peuvent avoir formulé.
1 Voir les normes (dans l’ordre de la synopsis) E3, E47, E4, E37, E9, E14, E16, E54, E5, E13, E36, E55, E29
dans les annexes, respectivement.
2 Citation tirée de Danz et al., La Convention alpine : mesures à prendre. Il s’agit des normes E3, E13, E14 sur
les cinq analysées par les experts de la CIPRA ; par contre, ils estimaient que la norme E37 avait besoin « de
recherches complémentaires » ; voir toujours id., La Convention alpine : mesures à prendre, ainsi que supra
pour le contexte.
379

Rester dans les limites de compétence. Le principe qu’il faut « reconnaître les besoins
spécifiques de l’espace alpin » 1 a probablement émergé dans le cadre de discussions autour de
propositions spécifiques – par exemple, dans le domaine du zonage ou de la politique urbaine
– afin de trancher entre les questions qui rentrent dans les limites de compétence des délégués
et les autres. On peut supposer que la norme selon laquelle « des plans et/ou programmes sont
établis pour l’ensemble de l’espace alpin » 2 ait été contestée, car il s’agirait de plans assez
ambitieux. En 1991, la CIPRA elle-même considérait que cette norme avait besoin « de
recherches complémentaires ». 3 Mais quel autre type de plan peut-il être élaboré dans le cadre
de la Convention alpine ? Des plans à presque toute autre échelle possèdent un niveau
décisionnel correspondant. L’aménagement du territoire à un haut potentiel de coordination
des politiques sectorielles et le développement durable est une préoccupation transversale à
toutes les politiques. Il est facile d’imaginer que la coordination des politiques sectorielles ait
été proposée lors des négociations. Vu les limites de compétence des délégués, il est toutefois
impensable que la Convention alpine puisse jouer un rôle pareil. Les formulations qu’on
retrouve dans le protocole sont en fait plus souples, allant de la « [prise] en compte » des
objectifs du protocole dans les autres politiques à la « mise en place des instruments de
coordination » 4 , sans autre précision.
Rôle des politiques écologiques. Au fil du temps, les questions écologiques sont
devenues de plus en plus importantes dans les agendas politiques. En 1991, le modèle de la
CIPRA et la résolution de Berchtesgaden ont déclaré que « les exigences écologiques doivent
avoir la priorité sur les intérêts économiques ». 5 Cependant, lorsqu’il s’agissait de codifier ce
principe dans le protocole, les parties l’ont rejeté en faveur de l’idée que « la protection de
1 Voir l’article 1 du protocole.
2 Voir l’article 8, ibid.
3 Citation tirée de Danz et al., La Convention alpine : mesures à prendre, p. 20.
4 Voir les articles 5 et 6 du protocole.
5 Tiré du point 6 des résolutions.
380

l’environnement, la promotion sociale et culturelle et le développement économique […] sont
des objectifs de même importance ». 1 On peut supposer que des représentants des ministères
de l’écologie de certains pays n’étaient pas dans la position de défendre la supériorité de leur
mandat sur celui des représentants d’autres ministères, notamment dans les pays où les Alpes
restent importantes du point de vue économique. 2
Conséquences économiques. Parmi les décisions les plus délicates, on retrouve
toujours les questions ayant des conséquences économiques, qui engagent les finances de
l’état ou qui ont un effet sur l’occupation. Des normes comme « aider […] par des mesures
économiques et financières », « les fonctions d’intérêt général [peuvent] justifier des mesures
de soutien adéquates » ou « imputer aux utilisateurs […] des prix de marché intégrant […] le
coût de la mise à disposition » 3 ont certainement été formulées avec grand soin. Du côté
budgétaire, il est important que les mesures négociées ne dépassent pas les moyens financiers
à disposition de la mission chargée de la mise en œuvre de la Convention alpine, sinon la
responsabilité des fonctionnaires serait engagée ; du côté socio-économique, il faut être
conscient du fait qu’une mesure peut avoir des conséquences importantes sur l’emploi et sur
le développement. Pour adopter une norme ou une règle de ce type, il faut un mandat fort.
Peut-être des délégations nationales avaient ce type de mandat politique, mais il est clair au vu
de la formulation vague du texte final que ces positions n’ont pas eu raison des autres.
Questions délicates. Lorsque le protocole mentionne le « handicap naturel » 4 qui est
représenté par la montagne, il ne fait que réitérer une perspective négative, qui a été l’objet de
1 Voir le préambule du protocole.
2 De manière analogue, on peut supposer que le concept qu’on retrouve au point 4 de Berchtesgaden, ainsi
qu’ailleurs, selon lequel « les Alpes représentent le plus vaste espace naturel cohérent en Europe », ne soit pas
vraiment défendable au niveau européen, notamment par les représentants de la CE.
3 Voir l’article 12, le préambule et l’article 11, respectivement. Avec « fonctions d’intérêt général on entend aussi
des payements pour des services écosystémiques.
4 Voir le préambule et l’article 1 du protocole.
381

querelles à différentes occasions au fil des années. 1 En fait, l’expression figure dans plusieurs
textes législatifs et il n’y a pas de formulation alternative qui justifie les « mesures de
soutien » dont auraient besoin les Alpes. 2 La « définition des espaces et des installations
nécessaires aux activités de loisirs compatibles avec les autres utilisations du sol » 3 touche un
secteur qui est stratégique pour l’économie alpine. Cependant, les loisirs – notamment le
tourisme de masse – ont un impact important sur l’environnement – en particulier sur le sol
(pistes de ski, installations hôtelières, etc.). Dans le texte approuvé, les négociateurs ont donc
cherché à maintenir un équilibre entre promotion du tourisme et protection de
l’environnement et entre pays qui penchent plus pour l’une ou l’autre extrême. Pour les
mêmes raisons, ils ont rejeté le principe de Berchtesgaden, selon lequel le « développement du
tourisme peut être encouragé ». 4
Une autre question délicate est représentée par certaines mesures qui figurent dans le
protocole et qui touchent la distribution dans l’espace et le domaine des transports. Compte
tenu que le Protocole « transports » était lui aussi en cours de négociation, on peut facilement
imaginer que l’« orientation et [la] concentration de l’urbanisation sur les axes desservis par
les infrastructures » 5 ait été débattu, vu la coprésence de conceptions différentes de
l’occupation de l’espace et du développement du territoire : par exemple, d’un côté, une
distribution uniforme de la population sur l’ensemble des Alpes, qui serait donc desservie par
un système capillaire de transports, y compris des nouvelles infrastructures ; de l’autre,
l’abandon des habitations isolées et des petits centres en faveur des villes, ce qui représente,
entre autre, un usage plus économe du sol et d’autres ressources, avec le renforcement à la
limite des infrastructures existantes. Finalement, le protocole tranche en faveur de la
1 Voir la reconstruction historique supra.
2 Par exemple, l’article 3 de la Directive 75/268/CEE. Voir aussi le préambule et l’article 12 du protocole.
3 Voir l’article 9 du protocole.
4 Tiré du point 14 de la résolution de Berchtesgaden.
5 Voir id.
382

deuxième conception, qui était plus en accord avec les pratiques de l’époque. On peut
facilement imaginer les protestations des partisans de la première vision, qui se concilie mieux
avec une idée romantique de la ruralité alpestre. On trouve des traces de ce débat dans
d’autres normes, qui contrebalancent dans une lecture conjointe cette vision de l’urbanisation
alpine, comme l’illustre par exemple cette citation : « favoriser […] la répartition harmonieuse
de la population ». 1 Une question encore délicate aujourd’hui est la « modération du trafic ». 2
Lorsqu’on retrouve dans une même région des états comme l’Allemagne, où le territoire alpin
correspond presque exclusivement à un parc national, et comme l’Italie, qui possède des
établissements industriels à l’intérieur du périmètre de la Convention alpine, toute question de
modération du trafic recouvre une dimension stratégique. On ne s’étonne donc pas de
retrouver cette norme insérée dans une formulation clarifiant qu’il s’agit d’un exemple de
question qu’il faudrait considérer lors de la définition des plans. Finalement, une autre
question stratégique est représentée par la « limitation des résidences secondaires ». 3 Avec
une bonne partie de l’économie alpine qui dépend du secteur touristique, on peut imaginer que
la limitation de cette activité ait été l’objet de réserves de la part d’un certain nombre
d’acteurs. Elle se trouve aussi insérée dans une formulation vague, mais on ignore les détails
du débat qui a conduit la norme à être inscrite dans le protocole.
Une question ultérieure qu’on trouve dans le protocole est le respect des « identités
régionales » et des « spécificités culturelles des régions alpines ». 4 En connaissant les réserves
exprimées par la France et la Suisse dans le cadre du Groupe de travail « population et
culture », on s’étonne de voir ces principes inscrits dans le Protocole « aménagement du
1 Voir l’article 1 du protocole. Sur les villes alpines, voir Jon Marco Church et Nicolas Maisetti (2011), «On the
sustainability of urban institutional dynamics: capitalization, decentralization, and the case of two Alpine cities»,
Environnement Urbain / Urban Environment, n. 5.
2 Voir l’article 9 du protocole.
3 Voir id.
4 Voir les articles 1 et 3 du protocole.
383

territoire ». 1 Il est possible que les pays ayant des positions singulières dans ces domaines – la
France, par exemple, avait des difficultés à reconnaître la diversité de communautés
particulières, tandis qu’en Suisse l’existence d’une culture montagnarde distincte des autres
cultures nationales est l’objet de débats – aient décidé de ne pas approfondir ces questions
secondaires dans un document sur l’aménagement et de focaliser leur efforts sur des questions
plus centrales dans l’économie du protocole.
Mesures internationales trop ambitieuses. Lorsqu’à Berchtesgaden les pays alpins ont
proposé « l’élaboration de réglementations nationales et internationales spécifiquement
alpines plus rigoureuses », 2 ils étaient probablement conscients de la difficulté de s’accorder
sur des mesures internationales plus restrictives. Il est fort plausible que des pays sceptiques
par rapport aux règlementations internationales comme la Suisse aient imposé leur veto, faute
d’impulsion politique contraire des hauts niveaux décisionnels. De plus, il est difficile de se
mettre d’accord sur des mesures spécifiques, notamment lorsqu’elles sont plus contraignantes
que le statu quo. D’autres pays peuvent aussi avoir exprimé des réserves par rapport à une
augmentation de la régulation à une époque qui était caractérisée par la dérégulation. Il n’y a
pas de mention de cette proposition dans le protocole.
Idées farfelues. Dans sont modèle, la CIPRA proposait une « transformation
qualitative des installations » dans les zones les plus développées des Alpes ayant « pour but
une réduction de la pollution ». 3 Vu que cette mesure a été considérée par les experts
interpellés par la CIPRA comme pouvant « être immédiatement décidée, sans recherche
complémentaire » 4 , on imagine qu’elle a été prise en concertation avec les négociateurs du
protocole. Bien qu’il s’agisse d’une proposition intéressante, on peut comprendre que des
1 Information recueillie par l’auteur dans le cadre de conversations informelles avec des participants aux travaux
du groupe dont on souhaite maintenir l’anonymat.
2 Voir le point 28 des résolutions.
3 Voir le point 1.2.1 du modèle.
4 Citation extraite de Danz et al., La Convention alpine: mesures à prendre, p. 13.
384

états aient manifesté leur scepticisme vis-à-vis d’un principe dont la mise en œuvre apparaît
difficile, notamment au vu du flou de concepts comme « transformation » ou « qualitative ».
Pour être immédiatement adoptée, ce type de transformation devrait être mieux détaillé, en
spécifiant, par exemple, des paramètres qualitatifs. Une autre idée farfelue est représentée par
l’insistance de la CIPRA et, avant elle, d’ArgeAlp, sur la distinction entre personnes indigènes
et étrangères aux Alpes. 1 Le contexte socio-démographique des Alpes n’est, de toute
évidence, pas le même que celui des Andes, où il y a une vraie question indigène 2 ; de plus, à
une époque où on essaie de faire l’Europe et d’éliminer la catégorie d’étranger entre
européens et les barrières à l’intérieur du continent, il est impensable que des pays européens
puissent adopter des normes reposant sur cette distinction. On exclut toutefois que l’idée n’ait
pas été considérée lors des discussions à propos, par exemple, de la question des résidences
secondaires.
Souveraineté nationale. Selon le protocole, il faut « encourager l’harmonisation des
politiques d’aménagement du territoire » et non « harmoniser » tout simplement, puisque – on
peut supposer – l’harmonisation effective des politiques représente une atteinte à la
souveraineté de chaque état alpin. 3 Si l’on concède que les normes d’un pays soient
conditionnées par les normes d’autres états, ce pays n’est plus pleinement indépendant dans la
détermination de ses normes. On peut penser qu’un état particulièrement attaché à sa
souveraineté nationale et à l’indépendance de ses institutions démocratiques comme la Suisse
ait opposé leur veto à l’harmonisation tout court.
Orgueil et truismes. Des projets de norme comme l’« application des lois existantes et
leur adaptation aux nécessités régionales » 4 , qui étaient présents à Berchtesgaden mais qu’on
1 Voir le point 1.2 et 2.2 du modèle.
2 Voir supra.
3 Pour un cas similaire, voir l’exemple de l’harmonisation des listes indicatives dans le cadre du Groupe de
travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO » (supra).
4 Tiré du point 28 des résolutions de Berchtesgaden.
385

ne retrouve plus dans le protocole, ont facilement été mis aux oubliettes par l’orgueil des pays
alpins. Accepter une norme qui concerne l’« application des lois existantes » signifie admettre
que les autorités ne respectent pas les normes en vigueur. Prévoir leur « adaptation aux
nécessités régionales » suppose que les pays ne le font pas. Vu que les états alpins sont en
même temps les sources et les objets de ces normes, il s’agirait d’une forme d’autocritique,
mais aussi de critique de la part des administrations concernées par la mise en œuvre de la
Convention alpine vers les collègues d’autres autorités. Par contre, une norme similaire
comme « assurer que les surfaces ainsi délimitées seront effectivement construites » 1 peut être
acceptée par les parties et inscrite dans le protocole, car la non-construction des surfaces
planifiées est due aux entreprises et non à l’état. De plus, comment procéder à l’application de
la loi sur l’application des lois existantes ? Il s’agit d’un véritable truisme au même titre que la
question de « la répercussion mutuelle des effets produits par les normes adoptées », qui n’a
pas été retenue dans le protocole non plus. 2 Bien sûr que les états alpins prennent en
considération les effets produits par les normes qu’ils adoptent à tous les nouveaux, y compris
les voisins et l’Europe !
Collectivités territoriales et participation publique. Le partage du pouvoir et du travail
administratif entre l’état central et les collectivités est contesté dans plusieurs états alpins, à
l’instar de l’Italie, où les collectivités territoriales s’allient souvent avec le mouvement
indépendantiste de la Ligue Nord pour protester contre le centralisme romain. L’autonomie
relative des collectivités peut donc être problématique pour certaines délégations vis-à-vis de
la nécessité de garantir une participation adéquate du public à la planification. Des normes
comme « assurer la possibilité de représenter de façon efficace les intérêts de la population
[…] lorsque des collectivités territoriales ne peuvent mettre en œuvre des mesures, parce
qu’elles relèvent de compétences nationales ou internationales », ou encore « la collaboration
1 Voir l’article 9 du protocole (cette norme ne figurait pas dans les textes précédents).
2 Extrait du point 11, ibid.
386

transfrontalière des collectivités territoriales […] doit être encouragée » 1 , qui engage la
compétence extérieure des collectivités, représentent probablement des concessions des
délégations nationales aux demandes des collectivités territoriales, des ONG et des états
proches de leurs positions. En particulier lorsque le protocole mentionne l’idée d’« éliminer
les obstacles à une coopération internationale entre les collectivités territoriales » 2 , les parties
utilisent un langage assez fort dans ce sens. Il faut toutefois noter qu’il s’agit de normes dont
la mise en œuvre est plutôt difficile, qui relève de questions d’ordre constitutionnel ne
pouvant pas être résolues dans le cadre du protocole. De plus, on peut observer qu’aucun
traitement de faveur n’est réservé aux régions et à leurs communautés de travail (ArgeAlp,
Alpe Adria et COTRAO), ce qui peut signaler une prise de distance des capitales de ce niveau
et de ce type d’activités. Une autre question contestée est le degré de participation publique,
notamment par le biais des ONG, dans les accords multilatéraux sur l’environnement. 3 On
peut considérer que la mention de la possibilité de consulter les ONG à la fin du protocole et
de recourir à « d’autres sources d’informations » dans le cadre du contrôle du respect des
obligations est une concession faite aux observateurs et aux parties qui sont proches de leurs
positions. 4 Vu le scepticisme qui est souvent manifesté par les représentants des états à propos
de la légitimité des ONG, on ne doute pas que ces questions aient été l’objet de négociations.
Normes déjà traitées ailleurs. A la fin des années 80, les modèles de la CIPRA et de
l’ASA proposaient des critères uniformes pour les examens de compatibilité avec
l’environnement. 5 Cependant, on ne retrouve pas de trace de ces propositions dans le
1 Voir l’article 4 et le préambule du protocole.
2 Voir encore l’article 4, ibid.
3 Voir la Convention d’Aarhus de 1998 et Jon Marco Church et Sabaheta Ramcilovic (2009), «Participation in
the Alpine Convention», dans Sustainable development and transboundary co-operation in mountain regions:
the Alpine and the Carpathian Conventions, édité par Balázs Majtényi et Gianfranco Tamburelli, Budapest,
L’Harmattan.
4 Voir les articles 17 et 18 du protocole.
5 Voir le point 1.2.5 du modèle de la CIPRA.
387

protocole. Vu l’adoption de la Convention d’Espoo en 1992, il est fort probable que des états
alpins aient considéré que l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte
transfrontalier ait déjà été traité de manière adéquate dans cet autre texte, qu’il n’y avait pas
d’élément suffisamment alpin pour justifier l’adoption d’une nouvelle norme et qu’il était
inutile de la répéter. 1 Il est toutefois étonnant de ne pas retrouver, dans le Protocole
« aménagement du territoire », une référence à la proposition avancée à Berchtesgaden en
1989 de « mettre en place des programmes et des plans en matière de paysage ». 2 Or, on
suppose qu’un raisonnement analogue a été avancé par rapport au fait que, au début des
années 90, l’UNECE, puis le Conseil de l’Europe, avaient lancé le processus qui aurait
conduit à l’approbation de la Convention européenne du paysage à Florence en 2000. 3 Si
d’autres instances étaient saisies de la question, pourquoi la Convention alpine devait-elle s’en
occuper ? Nota bene que cette question peut aussi porter sur la Convention alpine elle-même
et sur ses protocoles. 4
Sauvegardes et technicismes internationaux. La pratique diplomatique n’est pas
dépourvue de technicismes concernant, par exemple, les rapports entre les différentes
composantes des organisations internationales. Il s’agit donc de questions dont les praticiens
ont une certaine expérience et sur lesquelles ils peuvent avoir des positions différentes, par
exemple sur le moyen le plus efficace de vérifier la mise en œuvre d’un traité international.
Ceci résulte en des négociations interminables autour de ces questions. Or, la bataille des
technicismes cache souvent des intérêts nationaux divergents. La norme selon laquelle « le
Comité permanent [vérifie] que les parties contractantes ont rempli leurs obligations » et qu’il
1 Sur la Convention d’Espoo, voir supra. Tous les états alpins ont participé aux travaux de cette convention.
2 Extrait du point 38 des résolutions.
3 En France, la démarche des plans de paysages est promue depuis 1993.
4 Voir, par exemple, les points 32 (institutionnalisation ultérieure) et 43 (coordination transfrontalière) des
résolutions de Berchtesgaden.
388

« peut demander des informations complémentaires aux parties » 1 signale qu’il y a des parties
ou des observateurs qui ont des doutes sur la bonne foi d’autres parties dans la mise en œuvre
du protocole ; elle signale aussi que le Comité permanent – qui n’est pas un organe impartial
comme le futur secrétariat ou un acteur indépendant comme un rapporteur externe – est
chargé de cette tâche puisqu’il s’agit d’une instance où toutes les parties ont une voix. On
observe donc comment une norme de ce type a été rédigée de manière à combiner les
exigences de vérification des engagements des autres, mais aussi de maintenir un certain
niveau de contrôle sur le processus, afin de limiter les risques d’être attaqué pour le non-
respect éventuel du protocole. De ce point de vue, ces normes représentent de véritables
sauvegardes pour les parties.
De plus, on peut considérer comme des sauvegardes toutes ces expressions qu’on
trouve pour la première fois dans le texte final et qui formulent des réserves : « assurer […] au
niveau de chaque partie », « examiner les possibilités d’aider », « [mise] en œuvre de mesures
appropriées », mais aussi « au niveau approprié », « dans le cadre institutionnel existant » ou
encore « dans le cadre des dispositions des parties ». 2 Elles ont certainement été proposées par
des délégations nationales afin de limiter la portée de certaines mesures qui les mettaient en
difficulté. En faisant cela, elles ont eu un impact drastique sur le caractère obligatoire du
protocole dans son ensemble. En fait, parmi les sept normes du protocole que les juristes
internationaux Jean-François Joye et Albane Geslin considèrent des mesures passables
d’applicabilité directe au niveau national, on estime qu’une norme seulement a été l’objet de
négociations, à savoir celle sur la nécessité de plans pour l’ensemble de l’espace alpin. 3 La
presque totalité des normes négociées n’est donc pas directement applicable. Or, si les états
1 Voir l’article 17 du protocole, ainsi que l’article 18 sur l’évaluation de l’efficacité des mesures.
2 Voir les articles 2, 4, 7, 8 12, 14, 16, 18, ainsi que le préambule, ibid.
3 Voir Albane Geslin (2008), « Convention alpine et droit international public », dans La Convention alpine : un
nouveau droit pour la montagne ?, Grenoble, CIPRA France; Jean-François Joye (2008), « Les
plans/programmes français d’urbanisme et d’aménagement du territoire et la Convention alpine », ibid. ; voir
l’article 8 du protocole, ainsi que les normes E25, E26, E51, E52, N7, N8 et N24 en annexe ; voir aussi supra.
389

sont bien conscients des effets pervers de cette « langue de bois » juridique, ils ont souvent
peu d’alternatives pour trancher sur un texte : il faut trouver des formulations assez précises
pour satisfaire les défenseurs de la norme et assez fumeuses pour sauvegarder les détracteurs.
La prévalence de ces derniers et du plus petit dénominateur commun n’est pas rare,
aussi car la mise en œuvre de mesures ambitieuses peut entraîner une augmentation de la
charge de travail des fonctionnaires responsables, ce qui est rarement accompagné par des
compensations salariales. Même des principes intéressants comme « promouvoir une
solidarité dans la responsabilité » 1 peuvent rentrer dans cette catégorie. Faute de volonté
politique de mettre en œuvre un programme de solidarité à grande échelle dans les Alpes,
cette expression grandiloquente est assez vague pour ne pas engager de responsabilité
internationale et renvoyer la question. Comment établir, par exemple, qu’une partie n’a pas
été assez responsable dans ses pratiques solidaires ? Finalement, une autre expression qu’on
retrouve facilement dans les textes négociés est la nécessité d’« [informer] en temps utile ».
Des participants à la rédaction du texte ont probablement proposé des termes précis pour
informer les autres pays des effets potentiels d’un projet d’aménagement. Or, spécifier une
échéance signifie risquer qu’un jour, son pays ne respecte pas cette limite et qu’il se retrouve
en difficulté. Si, d’un côté, les partisans de la nécessité d’informer ont donc obtenu
l’inscription de la norme dans le protocole, ils ont dû concéder, de l’autre, qu’une date boutoir
ne soit pas spécifiée.
Dans cette étude de cas, on a donc identifié une dizaine de types d’objections que les
états peuvent avoir formulé à propos des normes qu’on estime avoir été l’objet de
négociations : il faut rester dans les limites de compétence ; il faut respecter le rôle des
politiques écologiques ; on doit considérer les conséquences économiques des normes ; il y a
des questions objectivement délicates ; on peut avoir des idées farfelues ; il faut respecter la
1 Tiré de l’article 7, ibid.
390

souveraineté nationale ; il faut prendre en compte l’orgueil et éviter les truismes ; on doit faire
attention aux collectivités territoriales et à la participation publique ; il y a des normes qui ont
déjà été traitées ailleurs ; il faut sauvegarder le rôle de l’état et prendre au sérieux les
technicismes internationaux. Bien sûr, une objection n’exclut pas l’autre et on peut imaginer
d’autres types d’objections, comme par exemple le questionnement de la légitimité des
représentants des contreparties ou encore l’opportunité politique d’une norme particulière par
rapport à des épisodes contingents comme des élections (cette liste n’est pas exhaustive).
On voit donc que l’état joue la part du lion dans la négociation des normes. Les
objections tendent toutes à porter sur des éléments de l’état : souveraineté, territoire, citoyens,
politique, justice, finance, diplomatie, compétence, sérieux, honneur, etc. Il n’est bien sûr pas
le seul. D’autres acteurs, à l’instar des ONG, participent eux-aussi aux négociations, mais on a
vu dans les exemples ci-dessus comment les états peuvent changer la portée des normes. De
plus, on a vu qu’il y a plusieurs normes qui ont été en circulation pour des longues périodes
avent d’être incluses dans le protocole et qui se trouvent donc déjà inscrites dans les
législations nationales. La maturité, la répétition et le consensus d’une norme ont un impact
remarquable sur son inclusion dans un accord international. Il y a cependant une quantité
importante de normes qu’on retrouve dans le protocole pour la première fois. Il est fort
probable que la plupart de ces normes ait émergé dans le cadre des négociations
intergouvernementales, qu’on a vu jouer un rôle remarquable dans l’origine des normes du
protocole, avec le moment historique et les contextes régionaux et nationaux. Dans notre
étude de cas, on peut conclure que les institutions étatiques ont eu un poids majeur par rapport
aux ONG, même dans un contexte, celui des accords régionaux sur l’environnement, qui
répond à un idéal souvent anti-étatique. 1
1 Voir l’analyse de l’écorégionalisme supra.
391

Dans le débat actuel sur le poids des différents agents et structures dans l’émergence
des normes internationales, on rejoint donc les réalistes et des auteurs comme Thomas Risse-
Kappen, qui soutiennent la prédominance des agents et des structures étatiques. 1 On estime
que, ces dernières décennies, l’attention donnée par les spécialistes des relations
internationales aux organisations internationales, aux ONG, bref, à tout ce qui n’est pas l’état,
a eu l’effet de faire oublier la centralité de l’état en relations internationales. Dans le chapitre
suivant, on propose donc d’explorer l’hypothèse selon laquelle la structure institutionnelle de
la Convention alpine en tant qu’organisation internationale serait fortement influencées par les
structures étatiques, dans l’espoir que nos analyses puissent contribuer à une meilleure
compréhension du phénomène de l’organisation internationale.
ACC 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994 REJ 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994
E3 R47 -
E47 R53 -
E4 R56 -
E37 R50 -
E9 R43 -
E14 R98 -
E16 R102 -
E54 R10 -
E58 R46 -
E24 R51 -
E17 R59 -
E43 R76 -
E35 R134 -
E61 R109 -
E18 R40 -
E42 R5 -
E10 R7 -
E7 R8 -
E26 R12 -
E62 R15 -
E12 R16 -
E48 R17 -
E63 R18 -
E5 R19 -
E13 R20 -
E36 R21 -
E55 R27 -
E29 R32 -
E41 R36 -
E22 R37 -
E23 R44 -
E28 R45 -
1 Voir Thomas Risse-Kappen (1994), «Ideas do not fleet freely: transnational coalitions, domestic structures, and
the end of the cold war», International Organization, vol. 48, n. 2 ; pour les ouvrages principaux du réalisme,
voir inter alia Morgenthau, Politics among nations: the struggle for power and peace; Aron, Paix et guerre entre
les nations; Waltz, Theory of international politics.
392

ACC 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994 REJ 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994
E34 R48 -
E40 R84 -
E56 R93 -
E25 R103 -
E50 R107 -
E59 R110 -
E19 R121 -
E44 R122 -
E46 R126 -
E49 R127 -
E51 R128 -
E52 R130 -
E53 R133 -
E1 R137 -
E11 R66 -
E6 R11 -
E39 R60 -
E38 R72 -
E8 R1 -
E57 R111 -
E60 R28 -
E2 R41 -
E21 R49 -
E27 R54 -
E31 R57 -
E32 R61 -
E33 R62 -
E45 R63 -
E30 R64 -
E15 R71 -
E20 R90 -
N1 R114 -
N2 R116 -
N3 R123 -
N4 R125 -
N5 R132 -
N6 R135 -
N7 R136 -
N8 R92 -
N9 R106 -
N10 R91 -
N11 R58 -
N12 R65 -
N13 R68 -
N14 R69 -
N15 R70 -
N16 R83 -
N17 R89 -
N18 R96 -
N19 R97 -
N20 R99 -
N21 R101 -
N22 R31 -
N23 R129 -
N24 R29 -
N25 R34 -
N26 R74 -
N27 R14 -
N28 R22 -
N29 R24 -
N30 R105 -
N31 R3 -
N32 R4 -
N33 R13 -
N34 R23 -
N35 R25 -
R26 -
393

ACC 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994 REJ 1974 1978 1981 1988 1989/1 1989/2 1994
R35 -
R39 -
R42 -
R55 -
R67 -
R75 -
R77 -
R78 -
R79 -
R80 -
R81 -
R82 -
R85 -
R86 -
R87 -
R88 -
R94 -
R95 -
R113 -
R120 -
R131 -
R2 -
R6 -
R9 -
R30 -
R38 -
R52 -
R108 -
R115 -
R33 -
R73 -
R100 -
R104 -
R112 -
R117 -
R118 -
R119 -
R124 -
Tableau 10 : Vue synoptique de la concordance entre les normes acceptées (à gauche) et les normes rejetées (à droite)
dans le protocole. 1
1 Tableau établi par nous-mêmes sur la base des annexes. Le tableau de gauche a été établi en joignant les normes
existantes et nouvelles. Les données ont été ordonnées d’une manière permettant de suivre facilement
l’émergence des normes dans un ordre chronologique.
394

6 Organisation internationale : la pyramide à l’envers et le retour
de l’état
James March et Johan Olsen définissent les institutions comme un « ensemble
relativement stable de pratiques et de règles définissant des comportements appropriés pour
des groupes spécifiques d’acteurs dans des situations spécifiques ». 1 Martha Finnemore et
Kathryn Sikkink soulignent comment « les normes isolent des standards de comportement
discrets, tandis que les institutions mettent l’accent sur la manière avec laquelle les règles de
comportement sont structurées ensemble et mises en relation les unes avec les autres ». 2 Les
institutions sont donc des ensembles de normes en relation. Ce chapitre représente une autre
façon de les analyser. Or, March et Olsen soulignent aussi le lien entre institutions et identités,
d’un côté, et entre institutions et ressources, de l’autre. 3 Selon ces auteurs, les structures de
signification et les schémas d’interprétation propres d’une identité particulière sont en relation
avec les institutions existantes, tandis que les rôles des individus et leur socialisation dans une
collectivité sont liés aux principes d’allocation des ressources en vigueur. Normes, identités et
1 Citation extraite de James G. March et Johan P. Olsen (1998), «The institutional dynamics of international
political orders», International Organization, vol. 52, n. 4, p. 948, je traduis ; voir aussi id. (1989), Rediscovering
institutions: the organizational basis of politics, New York, The Free Press.
2 Tiré de Martha Finnemore et Kathryn Sikkink (1998), «International norm dynamics and political change»,
International Organization, vol. 52, n. 4, p. 891, je traduis.
3 Voir James G. March et Johan P. Olsen, ibid., «The institutional dynamics of international political orders», p.
948.
395

essources, mais aussi relations et stabilité, apparaissent comme des éléments clés des
institutions.
Une définition plus complète nous est offerte dans un ouvrage récent des sociologues
français Jacques Lagroye et Michel Offerlé :
Un système de relations, qu’il prenne la forme d’un dispositif ou d’un groupement, relève
d’une analyse par la sociologie des institutions, s’il est réglé et non laissé au hasard des
recompositions et des arrangements circonstanciels entre individus, si les conduites de ses
membres sont – au moins pour partie – déterminées durablement par leur appartenance à ce
groupe, si la préservation des règles et des savoir-faire qui les caractérisent est un enjeu
important pour ceux qui ont à faire à lui, et si les mécanismes d’encadrement et de contrôle
des pratiques sont effectivement organisés. 1
Ordre, enjeux et contrôle sont donc d’autres éléments clés pour notre étude de la Convention
alpine. En rejetant la notion de hasard et en incluant la subjectivité des préférences, la
définition de Lagroye et Offerlé laisse finalement beaucoup de place à la dimension humaine.
Un élément contesté dans la définition d’institution est son degré de réification, c’est-à-dire la
question de savoir s’il faut considérer une institution et tout autre agrégat social comme une
chose ou comme un ensemble de relations humaines. 2
Dans le chapitre précédent, on a vu que les états jouent un rôle décisif dans le
processus normatif de la Convention alpine. Aussi sommes-nous amenés à formuler
l’hypothèse que les états occupent une position dominante dans la dynamique institutionnelle
de la Convention alpine. On commencera donc par explorer les perspectives principales sur
les institutions qu’on retrouve en sciences sociales. Nous prêterons une attention toute
1 Définition tirée de Jacques Lagroye et Michel Offerlé, éd. (2010), Sociologie de l’institution, Paris, Belin, p. 15.
Voir aussi ibid., p. 330, pour une série de définitions célèbres.
2 Voir le débat classique entre Georg Lukács (1960), «Réification et la conscience du prolétariat», dans Histoire
et conscience de classe, Paris, Minuit, et Louis Althusser (1965), «Marxisme et humanisme», dans Pour Marx,
Paris, Maspero.
396

particulière au fonctionnement des institutions et donc à la théorie de l’organisation. Nous
procèderons ainsi à une description synthétique des organes de la Convention alpine et, en
employant de façon critique des outils issus de la théorie de l’organisation, nous proposerons
une nouvelle lecture du fonctionnement de la convention, qui nous permette de vérifier notre
hypothèse. Nous essaierons enfin d’en tirer les conséquences pour le débat savant en science
politique et pour le débat général sur le rôle de l’état à l’époque de la mondialisation et de la
crise écologique.
De l’institution à la théorie de l’organisation : trombinoscope analytique
Selon les partisans de la théorie de l’acteur-réseau, il faudrait considérer les
institutions comme des choses au même titre que les éléments naturels. 1 Pour eux, les êtres
humains seraient des objets au même titre qu’un ordinateur ou un arbre. Ceci permettrait
d’appliquer les concepts et les méthodes des sciences naturelles à l’étude des institutions,
comme le fait, par exemple, Virginie Tournay, qui nous propose un renouvellement des
perspectives organicistes à la Hobbes. 2 Selon cet auteur, les institutions seraient en fait des
espèces vivantes. Elles sont donc non seulement soumises à la sélection naturelle, mais elles
souffrent aussi des mêmes limites que le concept d’espèce, à savoir la grande difficulté à en
tracer les frontières. Pour faire cela, Tournay s’appuie sur la théorie des agrégats sociaux du
juriste français Maurice Hauriou, qui est fondée, comme les théories de Lamarck, sur le jeu
semblable/différent. 3 On retrouve des perspectives comparables dans la théorie des relations
internationales avec, par exemple, la théorie que nous n’hésitons pas à qualifier de
1 Voir l’anthropologie symétrique de Bruno Latour (1991), Nous n’avons jamais été modernes: essai
d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte. Pour une introduction à la théorie de l’acteur-réseau, lire John
Law et John Hassard, éd. (1999), Actor network theory and after, Oxford, Blackwell; Bruno Latour (2005),
Rassembling the social: an introduction to actor-network-theory, Oxford, Oxford University Press.
2 Lire Virginie Tournay (2009), Vie et mort des agencements sociaux: de l’origine des institutions, Paris, Presses
universitaires de France.
3 Voir Maurice Hauriou (1896), La science sociale traditionnelle, Paris, Larose; Lucien Sfez (1966), Essai sur la
contribution du doyen Hauriou au droit administratif français, Paris, LGDJ.
397

« physiologique » de l’équilibrage des puissances par Kenneth Waltz, la théorie
« vitaliste/spiralée » de l’essor et du déclin des grandes puissances par Robert Gilpin et plus
tard Paul Kennedy ou encore l’approche « évolutive » de la coopération internationale par
Robert Axelrod. 1 La puissance est la variable indépendante principale dans ces perspectives.
Or, il est intéressant de noter que Tournay, tout comme les théoriciens de l’acteur-
réseau, ont recours au concept d’« agencement » (en anglais : assemblage). 2 Gilles Deleuze et
Félix Guattari définissent l’agencement de la manière suivante :
Un agencement dans sa multiplicité travaille à la fois forcément sur des flux sémiotiques, des
flux matériels et des flux sociaux (indépendamment de la reprise qui peut en être faite dans un
corpus théorique ou scientifique). On n’a plus une tripartition entre un champ de réalité, le
monde, un champ de représentation, le livre, et un champ de subjectivité, l’auteur. Mais un
agencement met en connexion certaines multiplicités prises dans chacun de ces ordres, si bien
qu’un livre n’a pas sa suite dans le livre suivant, ni son objet dans le monde, ni son sujet dans
un ou plusieurs auteurs. 3
Il s’agit donc d’un concept qui sous-entend une continuité réel-représentation-subjectivité aux
contours flous. Bien que l’humain et le non-humain se retrouvent sur le même continuum,
cela ne signifie pas réduire les êtres humains aux objets. Penser en termes d’agencement ne
1 Voir, respectivement, Kenneth N. Waltz (1979), Theory of international politics, Reading, MA, Addison-
Wesley; Robert Gilpin (1981), War and change in world politics, Cambridge, Cambridge University Press; Paul
M. Kennedy (1988), The rise and fall of the great powers: economic change and military conflict from 1500 to
2000, London, Unwin Hyman; Robert Axelrod (1984), The evolution of cooperation, New York, Basic Books.
2 Tournay, Vie et mort des agencements sociaux: de l’origine des institutions, p. 30, justifie banalement le choix
du terme « agencement » au lieu d’« agrégat », car il « sous-entend déjà l’idée d’une découpe, d’un ordre articulé
possiblement distinct du reste du social ».
3 Citation tirée de Gilles Deleuze et Félix Guattari (1980), Mille plateaux: capitalisme et schizophrénie, Paris,
Éditions de Minuit, ch. 1. Dans un numéro dédié au sujet de l’agencement en géographie, voir notamment Ben
Anderson et Colin McFarlane (2011), «Assemblage and geography», Area, vol. 43, n. 2; Colin McFarlane et Ben
Anderson (2011), «Thinking with assemblage», Area, vol. 43, n. 2.
398

signifie pas le fait d’ignorer la représentation et la subjectivité. Il s’agit d’une vision beaucoup
plus large que les perspectives scientistes et positivistes.
L’étude des institutions ou organisations internationales a une place centrale dans la
théorie des relations internationales. Mis à part les vieilles approches idéalistes libérales et
leurs variantes fonctionnalistes 1 , qui plaident normativement pour l’organisation
internationale et un gouvernement mondial, Robert Keohane et les autres partisans du
néolibéralisme institutionnel soutiennent que les relations internationales sont caractérisées
par une interdépendance complexe, où les avantages relatifs (en anglais : relative gains) se
substituent aux avantages absolus. 2 Elles ne seraient donc pas un jeu à somme nulle, où tout
avantage serait obtenu au détriment des autres acteurs. Les néolibéraux utilisent souvent la
théorie des jeux, à savoir l’étude de l’interaction stratégique, afin de démontrer que les états
ont plus à gagner de la coopération que du conflit, car elle réduit les coûts de transaction. Les
institutions permettraient donc aux acteurs d’épargner littéralement des ressources. L’une des
critiques fondamentales du néolibéralisme institutionnel est l’insistance sur le choix rationnel,
comme si l’on pouvait réduire l’être humain à l’homo economicus. Or, les néolibéraux
proposent un cadre de réflexion élégant pour l’étude des institutions ou – dans leur jargon –
régimes internationaux. 3 Steven Krasner définit un régime international comme des
1 Voir les ouvrages classiques Norman Angell (1910), The great illusion: a study of the relation of military
power in, London, William Heinemann; David Mitrany (1933), The progress of international government, New
Haven, CT, Yale University Press; Ernst B. Haas (1964), Beyond the nation state: functionalism and
international organization, Stanford, CA, Stanford University Press.
2 Voir notamment Robert O. Keohane et Joseph S. Nye (1977), Power and interdependence: world politics in
transition, Boston, Little, Brown; Robert O. Keohane (1984), After hegemony: cooperation and discord in the
world political economy, Princeton, NJ, Princeton University Press; David A. Baldwin (1993), Neorealism and
neoliberalism: the contemporary debate, New York, Columbia University Press; Robert Powell (1994),
«Review: Anarchy in international relations theory: the neorealist-neoliberal debate», revue de Robert O.
Keohane, Neorealism and its critics, David A. Baldwin, Neorealism and neoliberalism: the contemporary debate,
International Organization, vol. 48, n. 2.
3 Voir Ernst B. Haas (1980), «Why collaborate? Issue-linkage and international regimes», World Politics;
Stephen D. Krasner (1983), International regimes, Ithaca, Cornell.
399

« principes, normes, règles et procédures décisionnelles implicites ou explicites autour
desquels il y a une convergence des attentes des acteurs dans un secteur donné ». 1 Cette
approche permet d’étudier l’efficacité des institutions sous le prisme de leurs résultats par
rapport aux objectifs qu’on retrouve explicités, par exemple, dans les accords internationaux. 2
Il s’agit d’une perspective très rationnelle, bien adaptée aux exigences managériales, par
rapport à l’arbitraire et à l’imprévisible du comportement humain. Les objectifs d’une
institution peuvent être très variés et il ne faut pas confondre les objectifs avec les déclarations
d’intention qu’on retrouve normalement, par exemple, dans les premiers articles des traités
internationaux. Le philosophe américain John Rawls formule l’hypothèse que l’institution est
un moyen commun pour atteindre des objectifs différents. 3 Les individus utiliseraient les
institutions pour poursuivre leurs intérêts personnels sur la base des informations disponibles :
Mancur Olson démontre, par exemple, que les travailleurs adhèrent davantage aux syndicats
pour améliorer leur situation individuelle que pour défendre la cause syndicale. 4 Dans la
même veine, les fonctionnaires d’une organisation internationale sur l’environnement
pourraient poursuivre les objectifs du traité constituant pour préserver leur emploi plutôt que
pour faire avancer les principes écologistes.
Une perspective alternative qui, en réagissant au rationalisme dominant, promet de
prendre les choses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles devraient être est le soi-disant
1 Citation extraite de Krasner, International regimes, p. 2, je traduis.
2 Dans le domaine environnemental, voir inter alia Oran R. Young (1999), The effectiveness of international
environmental regimes: causal connections and behavioral mechanisms, Cambridge, MA, MIT Press; Helmut
Breitmeier et al. (2009), «The effectiveness of international environmental regimes: comparing and contrasting
findings from quantitative research», communication presentée à la International Studies Association annual
conference, New York, 15 February.
3 Voir John Rawls (1971), A theory of justice, Cambridge, MA, Harvard University Press ; voir aussi la théorie
de l’acteur stratégique par Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977), L’acteur et le système: les contraintes de
l’action collective, Paris, Seuil.
4 Voir Mancur Olson (1971), The logic of collective action: public goods and the theory of groups, Cambridge,
MA, Harvard University Press.
400

institutionnalisme historique. 1 Portant une attention toute particulière au « rôle des moments
fondateurs pour les développements futurs, [à] la manière dont les héritages institutionnels ont
un impact sur le degré dans lequel les ressources de pouvoir peuvent être utilisées et [aux]
façons dans lesquelles des textures variées d’adaptations incrémentales forment les
institutions dans le temps » 2 , les institutionnalistes historiques donnent une importance
capitale à la temporalité et utilisent et comparent souvent des études de cas comme le nôtre.
Ils évitent les approches formalistes au pouvoir, qui ne se réduirait pas aux structures
étatiques 3 , et ils sont parfois considérés comme des « comparatistes », peut-être de manière
sceptique par rapport à la réplicabilité, la validité externe et, en dernière analyse, la valeur
scientifique de leurs études. 4 Par le biais du concept de dépendance au sentier, ils sont aussi
critiqués pour le poids excessif qu’ils donneraient aux moments fondateurs, bien qu’ils
rejettent les perspectives déterministes.
Selon Emile Durkheim, le fait social est l’objet d’étude de la sociologie. 5 En
interprétant la dépendance au sentier de façon atemporelle, l’institutionnalisme sociologique
ou néoinstitutionnalisme reprend l’analyse de Max Weber à propos de la « cage de fer »
1 Pour une étude panoramique récente sur cette approche et pour un plaidoyer en faveur de sa pertinence en
relations internationales, voir Orfeo Fioretos (2011), «Historical institutionalism in international relations»,
International Organization, vol. 65, n. 1 ; en complément des ouvrages de Michel Foucault déjà cités, voir aussi
la sociologie historique de Norbert Elias (2008), La société de cour, Paris, Flammarion; Charles Tilly (1980),
«Historical sociology», dans Current perspectives in social theory, édité par Scott G. McNall et Gary N. Howe,
Greenwich, CT, JAI Press; Yves Déloye (2003), Sociologie historique du politique, 2 e éd., Paris, Ed. La
Découverte.
2 Citation extraite de Fioretos, «Historical institutionalism in international relations», p. 370, je traduis.
3 Sur les formes du pouvoir au-dehors de l’état, voir inter alia James C. Scott (1985), Weapons of the weak:
everyday forms of peasant resistance, New Haven, CT, Yale University Press; id. (2009), The art of not being
governed: an anarchist history of upland Southeast Asia, New Haven, CT, Yale University Press. Merci à Ryan
Sheely pour cette référence.
4 Pour une synthèse des principales critiques à l’institutionnalisme historique, voir Sven Steinmo et al., éd.
(1992), Structuring politics: historical institutionalism in comparative analysis, Cambridge, Cambridge
University Press, p. 1-32.
5 Voir Emile Durkheim (1894), Les règles de la méthode sociologique, Paris, Félix Alcan, ch. 1.
401

eprésentée par les institutions bureaucratiques. 1 Si Weber s’intéressait au processus par
lequel les institutions bureaucratiques sont devenues dominantes, les néoinstitutionnalistes
focalisent leur attention sur le phénomène de l’isomorphisme institutionnel. Pourquoi les
institutions se ressemblent-elles ? Pierre Bourdieu considère les institutions comme un
champ. 2 Les champs peuvent mêler des agents et des institutions en tant qu’acteur collectif
dans un ensemble relationnel. Selon Paul DiMaggio et Walter Powell, les institutions seraient
des « champs organisationnels » opérant dans un « environnement institutionnel », à savoir un
champ ultérieur où les institutions luttent pour leur survie. 3 Par analogie, l’homogénéisation
relative des institutions serait donc comparable à la sélection naturelle. A l’intérieur, les
institutions emploieraient des stratégies – coercition, normalisation et imitation – et des
approches – pragmatique, morale et cognitive – qui conduiraient, dans une recherche
d’efficacité accrue, à des résultats isomorphes. 4 Or, isomorphisme ne signifie pas
indistinction. Les champs et les institutions possèdent quand même des degrés d’autonomie.
En soulignant la fermeture autoréférentielle de certaines institutions, notamment dans le
domaine des organisations internationales, certains ont analysé leur processus
d’autonomisation. 5 Enfin, on assiste aujourd’hui à une remise en question de la centralité de la
la dépendance au sentier pour une sociologie de l’institution. Lagroye et Offerlé nous invitent,
de fait, à « éviter toute confusion entre le moment initial de naissance d’une institution et le
1 Voir notamment Max Weber (2003), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Gallimard; Paul J.
DiMaggio et Walter W. Powell (1983), «The iron cage revisited: institutional isomorphism and collective
rationality in organizational fields», American Sociological Review, vol. 48, n. 2; id., éd. (1991), The new
institutionalism in organizational analysis, Chicago, Chicago University Press ; pour une approche mélangeant
l’institutionnalisme sociologique et historique en relations internationales, voir inter alia March et Olsen, «The
institutional dynamics of international political orders».
2 Pour la définition du concept sociologique de champ, voir supra.
3 Voir DiMaggio et Powell, «The iron cage revisited: institutional isomorphism and collective rationality in
organizational fields», p. 148-150.
4 Voir ibid., p. 150-154.
5 Voir Martin Koch (2009), «Autonomization of IGOs», International Political Sociology, vol. 3, n. 4; Robin R.
Churchill et Geir Ulfstein (2000), «Autonomous institutional arrangements in multilateral environmental
agreeements: a little-noticed phenomenon in international law», American Journal of International Law, vol. 94.
402

processus continu d’institutionnalisation ». 1 Si le néoinstitutionnalisme peine à expliquer le
changement, cette perspective nous permet d’étudier aussi les résistances à
l’institutionnalisation dans un processus continu de configuration institutionnelle. 2
On s’intéresse donc, dans cette brève étude panoramique des approches savantes aux
institutions, à la théorie de l’organisation ou du fonctionnement des institutions. Si Max
Weber analyse le phénomène bureaucratique 3 et Frederick Taylor étudie l’optimisation
managériale de la production industrielle, notamment à travers la gestion du temps et du
contrôle hiérarchique 4 , au début du 20 e siècle, l’ingénieur français Henri Fayol propose une
théorie de l’administration qui repose sur cinq fonctions : prévoir, organiser, constituer,
commander, coordonner et contrôler. 5 Il propose aussi quatorze principes de gestion, qu’on
retrouve dans la plupart des pratiques managériales. Bien que certains aient suggéré qu’il ne
s’agit pas d’une organisation internationale 6 , même la Convention alpine n’échappe pas aux
principes fayolistes : il y a une division du travail claire entre les organes, l’autorité réside
dans la Conférence alpine (qui assure aussi l’unité de commandement), la discipline des
1 Citation tirée de Lagroye et Offerlé, éd., Sociologie de l’institution, p. 18 ; voir aussi ibid., p. 331-332.
2 Voir ibid; Choukri Hmed et Sylvain Laurens (2010), «Les résistances à l’institutionnalisation», dans Sociologie
de l’institution, édité par Jacques Lagroye et Michel Offerlé, Paris, Belin.
3 Voir Max Weber (1995), Economie et société, Paris, Presses Pocket ; voir aussi les passages sur les politiques
bureaucratiques dans Graham T. Allison (1971), Essence of decision: explaining the Cuban missile crisis,
Boston, Little, Brown; Graham T. Allison et Morton H. Halperin (1972), «Bureaucratic politics: a paradigm and
some policy implications», dans Theory and policy in international relations, édité par Raymond Tanter et
Richard H. Ullman, Princeton, NJ, Princeton University Press.
4 Sur le soi-disant « taylorisme » ou « fordisme », voir Frederick W. Taylor (1911), The principles of scientific
management, New York, Harper & Brothers; Hugh G.J. Aitken (1960), Scientific management in action:
Taylorism at Watertown Arsenal, 1908-1915, Cambridge, MA, Harvard University Press.
5 Voir Henri Fayol (1916), Administration industrielle et générale: prévoyance, organisation, commandement,
coordination, contrôle, Paris, Dunod et Pinat; Jean-Louis Peaucelle (2003), Henri Fayol, inventeur des outils de
gestion: textes originaux et recherches actuelles, Paris, Economica.
6 Sur le débat entre ceux qui soutiennent qu’elle est une organisation internationale et ceux qui estiment qu’elle
ne l’est pas, voir Irini Papanicolopulu (2004), «The Secretariat of the Alpine Convention», dans Sustainable
development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré, ainsi que la reconstruction
historique supra.
403

parties devrait être garantie par le groupe de vérification, etc. 1 Le principe de la « chaîne
scalaire » nous intéresse particulièrement, puisqu’il plaide pour la définition d’une chaîne de
commandement qui établisse les « échelons » de l’organisation de la direction jusqu’aux
assistants.
Dans les pratiques managériales, le « tableau d’organisation », qui est censé
représenter ladite chaîne, est un outil d’importance fondamentale, car son étude permettrait
d’évaluer l’adhésion de l’organisation aux principes fayolistes et donc d’appréhender sa
performance. A l’échelle du personnel, ces tableaux sont aussi connus comme
« organigrammes ». Ces schémas peuvent représenter des hiérarchies ou des réseaux 2 et les
hiérarchies sont normalement figurées en arbre ou en pyramide. Il s’agit d’une distinction
importante, qu’on trouve chez Fayol, mais que l’on ne retrouve pas dans le débat actuel autour
des structures organisationnelles. Si les arbres et, pour ce qui nous concerne, les réseaux
permettent de visualiser les chaînes de commandement et les flux d’informations entre une
unité de personnel et l’autre, entre un nœud et l’autre, la pyramide, qui pour Fayol peut être
plus ou moins pointue selon le rapport employés/dirigeant, nous renvoie à une image moins
linéaire, qui a le mérite de répondre à deux principes géométriques : d’un côté, la pointe doit
être plus étroite que la base et, de l’autre, la pointe doit reposer sur la base. Ces deux principes
correspondraient, à la fois, aux deux principes d’organisation sociale de l’oligarchie et de la
légitimité, à savoir le fait qu’il y a un numéro limité de gouvernants 3 et au fait que ceux-ci
1 Pour une présentation des organes de la Convention alpine, voir infra.
2 Sur le débat entre structures de pouvoir verticales (hiérarchies) et horizontales (réseaux), lire Manuel Castells
(2000), «Materials for an exploratory theory of the network society», British Journal of Sociology, vol. 51, n. 1,
p. 19-20; Yann Moulier Boutang (2003), «Le modèle productif du logiciel libre: une institution intermédiaire
entre le marché et l’Etat», dans Actes du colloque “Construction d’identités, construction de sociétés” en
l’honneur de Renaud Sainsaulieu, Royaumont, 4 juin 2002, Paris, LSCI-IRESCO; Steven Weber (2004), The
success of open source, Cambridge, MA, Harvard University Press. Les travaux de Moulier Boutang et Weber
étudient en particulier les formes institutionnelles à la base des logiciels libres.
3 Voir la « loi d’airain de l’oligarchie » dans Robert Michels (1914), Les partis politiques: essai sur les
tendances oligarchiques des démocraties, Paris, Flammarion, ainsi que la « théorie des élites » classique dans
404

doivent maintenir un niveau de confiance minimale des gouvernés. 1 Les schémas en arbre ou
en réseau, par contre, ne répondent pas forcément à ces principes : d’un côté, un schéma en
arbre peut facilement avoir une base moins large que la pointe (pensez, par exemple, à une
coopérative agricole avec très peu d’ouvriers) et, de l’autre, un réseau n’a pas nécessairement
un rapport de confiance entre les nœuds (pensez aux ONG de petite dimension). Les pages qui
suivent veulent donc contribuer à l’étude des hiérarchies et des relations de pouvoir,
notamment des différents types d’organisation, en formulant l’hypothèse que la structure
organisationnelle de la Convention alpine et, par extension, d’autres organisations
internationales, puissent être représentées par une pyramide à l’envers.
Les théories de Taylor et de Fayol ont tellement imprégné le tissu socio-économique
du 20 e siècle, qu’on peut facilement affirmer qu’elles ont été parmi les objets les plus critiqués
en sciences sociales. 2 Elton Mayo, par exemple, et le mouvement des relations humaines
partent du constat de l’existence de groupes d’individus au sein des entreprises, qui se forment
indépendamment de la hiérarchie et de la structure organisationnelle. 3 En changeant
radicalement de contexte, l’existence d’alliances et de phénomènes d’alignement au sein des
organisations internationales ne représente certes pas une nouveauté pour les spécialistes en
relations internationales. 4 Or, ce qui est intéressant pour nous est la nécessité pour le
leadership de comprendre le système de relations entre les composantes et les groupes qui se
Alan Zuckermann (1977), «The concept of political elite: lessons from Mosca and Pareto», The Journal of
Politics, vol. 39, n. 2. L’élitisme a été critiqué dans Robert A. Dahl (1961), Who governs? Democracy and power
in an American city, New Haven, CT, Yale University Press, et opposé au pluralisme. Pour une perspective
récente, voir Robert D. Putnam (1976), The comparative study of political elites, Englewood Cliffs, NJ, Prentice
Hall.
1 Sur la légitimité, voir supra, ainsi que Machiavel.
2 Les paragraphes qui suivent s’inspirent de l’étude panoramique de René Daval (2007), «Théorie des
organisations», dans Encyclopaedia Universalis.
3 Voir Elton Mayo (1933), The human problems of an industrial civilization, New York, Macmillan.
4 Voir inter alia Stephen Walt (1985), «Alliance formation and the balance of world power», International
Security, vol. 9; Hall Gardner (2003), «Aligning for the future», Harvard International Review, vol. 24, n. 4.
405

forment à l’intérieur de l’organisation, leurs intérêts, leurs sentiments par rapport aux autres
composantes et à l’organisation elle-même. Selon Douglas McGregor, « le principe central
qui [en découle] est celui d’intégration : la création de conditions telles que les membres de
l’organisation puissent atteindre leurs propres buts avec le plus de succès en dirigeant leurs
efforts vers la réussite de l’entreprise ». 1 Même si elles ont été développées dans un contexte
industriel, on voit bien que ces théories sont très proches des théories de l’intégration
européenne et de l’institutionnalisme néolibéral, bien qu’elles possèdent une subtilité
psychologique qu’on peine à trouver parmi les spécialistes en relations internationales. 2 Cela
n’est pas anodin si les consultants en gestion sont parfois considérés comme « les psys des
organisations ». 3
On retrouve déjà dans la théorie des organisations classique une attention toute
particulière portée à l’acte organisationnel. Or, elle est limitée aux actions du leadership,
tandis que l’on a vu qu’il faut prendre en considération le système d’interrelations entre tous
les acteurs de l’organisation. La problématique devient donc à se poser la question de savoir
comment les acteurs à tous les niveaux produisent et reproduisent les organisations. James
March et Herbert Simon montrent que les acteurs ne recherchent pas une solution optimale,
mais des solutions satisfaisantes dans une logique d’adéquation, à l’instar des équilibres de
1 Citation de Douglas McGregor (1970), La dimension humaine de l’entreprise, Paris, Gauthier-Villars,
reproduite depuis Daval, «Théorie des organisations».
2 Confronter avec les théories de l’intégration européenne de Karl W. Deutsch (1957), Political community and
the North Atlantic area: international organization in the light of historical experience, Princeton, NJ, Princeton
University Press; Ernst B. Haas (1958), The uniting of Europe: political, social and economic forces, 1950-1957,
Stanford, CA, Stanford University Press; Ben Rosamond (2000), Theories of European integration, New York,
St. Martin’s Press. Pour de rares exemples de réflexion psychologique en relations internationales, voir Herbert
Simon (1984), «Human nature in politics: the dialogue of psychology with political science», American Political
Science Review, vol. 79, n. 2.
Comparer avec supra.
3 Expression empruntée à Marianne Najafi, ancienne consultante en gestion, que je remercie pour ses idées
pointues. Sur la « socioanalyse », voir notamment François Petit et Michel Dubois (2008), Introduction à la
psychosociologie des organisations, 3 e éd., Paris, Dunod.
406

Nash, où un acteur qui connaît les stratégies d’autrui se trouve dans une situation qui lui
permet de modifier sa stratégie sans détériorer sa position. 1 Vu que la connaissance des
stratégies d’autrui et du contexte est toujours imparfaite, Michel Crozier et Erhard Friedberg
critiquent leur approche, la rationalité des acteurs étant limitée. 2 Ils proposent donc de
considérer les stratégies des acteurs non pas comme un concept cohérent, mais comme un
phénomène suffisamment régulier pour être passé au crible de l’analyse sociologique. Par
exemple, Crozier observe que, en essayant d’augmenter leur pouvoir, les agents produisent de
nouvelles structures organisationnelles, souvent de manière non-cohérente avec les
organigrammes établis de façon hiérarchique. 3 D’autres critiques au taylorisme et au
fayolisme concernent le rôle des systèmes techniques et leur rapport à l’organisation, qui
seraient marginaux dans la théorie des organisations classiques, au même titre que le contexte
externe et l’environnement institutionnel ou non. 4 Bien sûr, la théorie de l’acteur-réseau essaie
d’intégrer ces concepts dans un ensemble humain – non-humain, tout en rencontrant les
difficultés que nous avons vues au début de notre analyse. 5 Pour résumer, dans cette première
partie de notre dernier chapitre, nous avons commencé par faire le lien entre normes et
institutions. Nous avons donc problématisé le concept d’institution, en présentant les courants
principaux de l’institutionnalisme à travers une lecture critique. On a porté une attention toute
particulière à l’analyse du fonctionnement des institutions et aux outils de la théorie de
1 Voir James G. March et Herbert A. Simon (1958), Organizations, New York, Wiley; Olson, The logic of
collective action: public goods and the theory of groups. Sur l’équilibre de Nash dans la théorie des jeux, voir sa
formulation originelle dans John F. Nash (1950), «Equilibrium points in n-person games», Proceedings of the
National Academy of Sciences, vol. 36, n. 1.
2 Voir Crozier et Friedberg, L’acteur et le système: les contraintes de l’action collective. Pour une réflexion sur
la rationalité limitée et la mauvaise perception en relations internationales, voir Robert Jervis (1976), Perception
and misperception in international politics, Princeton, NJ, Princeton University Press.
3 Voir Michel Crozier (1971), Le phénomène bureaucratique, Paris, Seuil.
4 Voir Eric Trist et Hugh Murray, éd. (1993), The social engagement of social science, vol. II, The socio-
technical perspective, Philadelphia, PA, University of Pennsylvania Press. Sur la contingence, voir notamment
Henry Mintzberg (1983), Power in and around organizations, Englewood Cliffs, NJ, Prentice-Hall.
5 Voir supra.
407

l’organisation. Nous avons, en particulier, réfléchi aux différents types de tableaux
d’organisation, notamment aux formes en arbre et en pyramide. Enfin, nous avons brièvement
présenté les critiques principales au schématisme de la théorie de l’organisation classique, ce
qui devrait nous permettre d’étudier la structure organisationnelle de la Convention alpine
avec une distance critique suffisante.
Cartographier une institution : les tableaux d’organisation
Afin d’appréhender la structure organisationnelle de la Convention alpine, nous
commencerons par l’analyse des tableaux, qui représentent une véritable cartographie des
organisations. Un peu comme les cartes géographiques du Moyen Age, les tableaux
d’organisation représentent un parcours : pour aller du point A au point B dans les cartes
médiévales ; pour produire le résultat X dans ces tableaux. 1 En même temps, ils nous
permettent aussi de réfléchir à l’image que les acteurs ont et se font du fonctionnement des
organisations et donc des institutions elles-mêmes. En comparant les tableaux, on peut
observer plusieurs différences : certains tableaux représentent le fonctionnement tel qu’il
devrait être selon les textes constitutifs ou selon les auteurs, d’autres essaient de reproduire le
fonctionnement des organisations tel qu’il est, tandis que certains tableaux sont extrêmement
approximatifs ou contiennent tout simplement des erreurs. Dans cette analyse, nous
souhaitons corriger des perceptions biaisées du fonctionnement de la Convention alpine et,
dans la mesure du possible, d’autres organisations internationales, en nous inscrivant
pleinement dans l’effort de représenter le fonctionnement des organisations tel qu’il est. 2 Avec
cet objectif, nous essayerons de prendre en compte le développement de la théorie de
l’organisation et des institutionnalismes. L’objectif général reste cependant celui visant à tirer
1 Sur la cartographie médiévale, voir John B. Harley et David Woodward, éd. (1987), The History of
Cartography, vol. 1, Cartography in prehistoric, ancient, and medieval Europe and the Mediterranean, Chicago,
University of Chicago Press ; voir, par exemple, la carte des étapes de Castorius du 13 e siècle, conservée à la
Hofbibliothek de Vienne, qui représente un itinéraire de la Gaule à l’Asie.
2 Voir encore Jervis, Perception and misperception in international politics.
408

les conséquences de la structure organisationnelle de la Convention alpine pour la théorie des
relations internationales, notamment en ce qui concerne le rôle de l’état.
Normalement, on trouve deux types de tableau d’organisations internationales. Le
tableau du système de l’ONU ci-dessous est un premier type de représentation. Vu l’étendue
et la complexité de l’organisation, il est clair qu’il ne s’agit que d’une représentation à
l’échelle des organes. Un deuxième type correspond à l’organigramme à l’échelle du
personnel dirigeant du PNUE reproduit ci-dessous. On retrouve une structure
organisationnelle plus rationnelle, ce qui ne signifie pas forcément une efficacité particulière,
vu les nombreuses critiques à la situation chaotique de la politique internationale de
l’environnement. 1 Ce qui étonne, suite à notre étude de la Convention alpine, est de ne pas
retrouver les états membres, qui sont quand même les éléments constituants de ces
organisations internationales, dans ces tableaux. C’est le cas aussi bien pour le tableau du
système de l’ONU dans son ensemble que pour celui des bureaux du PNUE.
1 Voir, par exemple, le plaidoyer en faveur d’une « Organisation mondiale de l’environnement » (OME) ou
d’une « Organisation des nations unies pour l’environnement » (ONUE), dans Frank Biermann et Steffen Bauer
(2005), A world environment organization: solution or threat for effective international environmental
governance?, Ashgate, Aldershot; Andreas Rechkemmer (2005), UNEO, towards an international environment
organization: approaches to a sustainable reform of global environmental governance, Baden-Baden, Nomos;
Maria H. Ivanova (2009), «UNEP as anchor organization for the global environment», dans International
organizations in global environmental governance, édité par Frank Biermann et al., Abingdon, Routledge; id.
(2010), «International environmental governance: where can civil society add value and how?», communication
presentée au 11 th UNEP global major groups and stakeholders forum, Bali, 21-22 February.
409

Figure 21 : Tableau d’organisation de l’ONU. 1
Figure 22 : Organigramme du PNUE. 1
1 Source : site internet de l’ONU (dernier accès : 18 août 2011).
410

Le tableau du Plan d’action pour la Méditerranée ci-dessous à gauche ne fait pas apparaître les
parties contractantes non plus, tandis que celui de la Convention alpine à droite ne spécifie pas
le type de relation entre états membres, partenaires et observateurs, d’un côté, et la
Convention alpine, de l’autre. 2 Bien que la position des états membres, de la Conférence
alpine, du Comité permanent et du Secrétariat permanent dans ce dernier schéma anticipe
certaines conclusions de notre analyse, ces deux tableaux représentent les organisations
respectives d’une manière assez imprécise.
Figure 23 : Exemple de tableau d’organisation du Plan d’action pour la Méditerranée (gauche) et de la Convention
alpine (droite). 3
On observe en tout cas des tableaux en arbre avec une hiérarchie entre organes
décisionnels et niveaux exécutifs qui, dans les accords multilatéraux sur l’environnement,
correspond normalement à l’ordre suivant, avec un secrétariat qui soutient les travaux :
1 Source : site internet du PNUE (dernier accès : 18 août 2011).
2 Sur le Plan d’action pour la Méditerranée et la Convention de Barcelone de 1976, voir supra.
3 Sources : site internet du Centre d’activités régionales pour les aires spécialement protégées (CAR/ASP) du
Plan d’action pour la Méditerranée (PAM) de Tunis (dernier accès : 18 août 2011) et présentation PowerPoint
par l’Unité de coordination « Convention alpine – IMA » de l’EURAC de Bolzano (2006).
411

1. Conférence des parties (COP) ;
2. Comité préparatoire (PrepCom) ;
3. Groupes de travail ;
4. Sous-groupes de travail. 1
De plus, vu qu’on tend à considérer tout ce qui est international comme supérieur dans le
continuum qui va du niveau local au niveau mondial et vu que, dans certains systèmes
juridiques, le droit international est considéré comme formellement supérieur au droit national
dans la hiérarchie de sources du droit 2 , on peut adopter une schématisation plus simplifiée et
penser aux organisations internationales comme à une pyramide avec l’organisation en haut et
les états en bas, comme dans l’image ci-dessous à gauche. Une première hypothèse laisserait
penser que la forme pyramidale dériverait du fait que l’organisation a une dimension toujours
inférieure à celle des états et du fait que l’organisation doit maintenir un niveau de confiance
minimale des états.
S’il est vrai, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, qu’il y a des normes
internationales qui dépassent les parties contractantes, on a vu aussi que les états jouent un
rôle décisif dans le processus normatif de la Convention alpine. Au bout du compte, ce sont
les états qui ont le dernier mot, pas la convention. Nous sommes donc amenés à formuler
l’hypothèse que la structure organisationnelle de la Convention alpine est mieux représentée
par une pyramide à l’envers, avec les états en haut et la convention en bas. Ce type d’image a
l’avantage de mettre en avant le rôle prédominant des états et de clarifier que la convention est
un instrument des états pour leur politique de la montagne et non vice-versa.
1 Pour le cas de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, voir inter alia Joanna
Depledge (2005), The organization of global negotiations: constructing the climate change regime, London,
Earthscan.
2 Voir supra pour le débat entre monisme et dualisme en droit international.
412

Figure 24 : Schéma simplifié (à l’échelle des parties) de la Convention alpine : perspective traditionnelle (gauche) et
pyramide à l’envers (droite). 1
Dans les pages qui suivent, nous essaierons donc d’examiner cette hypothèse, en commençant
par une description synthétique des organes de la Convention alpine. Sur la base de notre
analyse, nous proposerons ensuite un schéma plus détaillé du fonctionnement de la
convention, en passant de l’échelle des parties et des relations internationales à celle du
personnel. Ceci nous permettra de vérifier si notre hypothèse tient d’une échelle à l’autre.
Nous essaierons enfin d’en tirer les conséquences pour le débat savant en science politique et
pour le débat général sur le rôle de l’état à l’époque de la mondialisation.
Les organes de la Convention alpine
Selon la convention-cadre, les organes de la convention sont la Conférence alpine, le
Comité permanent, les Groupes de travail et le Secrétariat permanent. Pendant les années
2000, la Conférence alpine a aussi créé un Groupe de vérification, des Plates-formes, à savoir
des typologies spéciales de groupes de travail avec des fonctions ou une composition
particulière, ainsi que des sous-groupes. Dans les paragraphes qui suivent, on va essayer de
présenter synthétiquement les caractéristiques principales de ces organes et leur
fonctionnement. Pour cet exercice, on s’appuie sur l’analyse des dispositions de la
convention-cadre et des décisions adoptées dans le cadre de la Convention alpine et sur
1 Schéma établi par nous-mêmes sur la base des études supra.
413

l’observation directe de l’auteur, complétées par des entretiens informels et par la littérature
scientifique touchant à cette question. 1
Conférence alpine. L’organe décisionnel de la convention est représenté par la
Conférence alpine ou conférence ministérielle. Elle réunit les représentants des ministres de
l’environnement des états alpins, y compris le commissaire à l’environnement de l’Union
européenne ou son délégué. 2 Initialement, des représentants des ministères des affaires
étrangères participaient eux aussi aux réunions, selon la division du travail décrétée par
chaque partie. Au fil des années, on observe une diminution de la participation des affaires
étrangères aux réunions, mais aussi des ministres de l’environnement, qui tendent à se faire
représenter soi par leur adjoint soi, plus rarement, par leurs missions diplomatiques, bien que
celles-ci suivent de moins en moins et soient donc de moins en moins informées des travaux
de la convention. Des représentants des collectivités territoriales sont parfois inclus par les
parties, notamment par la France, dans leur délégation nationale. Des représentants d’autres
pays de montagne, en particulier des zones de coopération prioritaire (Carpates, Balkans,
Caucase et Asie Centrale) sont souvent invités à participer aux réunions. D’autres
organisations internationales, les communautés de travail des régions, ainsi que certaines
1 Voir, notamment, Martin F. Price (1999), «Towards cooperation across mountain frontiers: the Alpine
Convention», European Environment, vol. 9, n. 3; Laura Pineschi (2004), «The Convention for the protection of
the Alps and its protocols», dans Sustainable development of mountain areas, édité par Tullio Treves et al.,
Milano, Giuffré; Papanicolopulu, «The Secretariat of the Alpine Convention»; Tim Enderlin (2002), «A
compliance mechanism within the Alpine Convention», dans International law and the protection of mountain
areas, édité par Tullio Treves et al., Milano, Giuffré; Andreas Götz (2008), «Architecture, fonctionnement et
dysfonctionnements du système conventionnel», dans La Convention alpine: un nouveau droit pour la
montagne?, édité par CIPRA France, Grenoble, CIPRA France.
2 A propos de la participation au sein de la Convention alpine, voir Jon Marco Church et Sabaheta Ramcilovic
(2009), «Participation in the Alpine Convention», dans Sustainable development and transboundary co-
operation in mountain regions: the Alpine and the Carpathian Conventions, édité par Balázs Majtényi et
Gianfranco Tamburelli, Budapest, L’Harmattan.
414

ONG participent comme observateurs officiels et peuvent prendre la parole lors des réunions. 1
Même si elle est de jure une partie contractante, de facto l’Union européenne participe aux
travaux de la conférence comme si elle était un observateur. 2 Les collectivités territoriales ne
peuvent donc participer aux réunions que par le biais de leurs délégations nationales ou des
communautés de travail. Normalement, toutes les parties contractantes (à l’exception de
l’Union européenne), le PNUE et la plupart des autres observateurs officiels participent
régulièrement à la conférence. Pour donner une idée de la dimension des délégations, lors de
la Conférence alpine d’Evian en 2009, la présidence française était représentée par vingt-huit
délégués, l’Italie et l’Allemagne par une dizaine, l’Autriche, la Suisse et la Slovénie par une
demi-douzaine et les micro-états de Monaco et du Liechtenstein par trois délégués chacun.
Une dizaine d’ONG sont normalement représentées à un niveau assez élevé (président,
directeur, etc.) par deux individus en moyenne. 3
Comme on l’a vu, la Conférence alpine est antérieure à la convention elle-même, qui
la rend régulière. 4 En 1991, la convention-cadre en définit les fonctions générales. Son
fonctionnement spécifique est détaillé par un règlement approuvé sous présidence slovène
dans les années 90. 5 Elle se réunit tous les deux ou trois ans : la convention-cadre prévoit deux
ans, mais deux présidences ont dépassé ces limites. 6 Les réunions durent normalement une
matinée entière. Elles sont précédées par un dîner de travail où les questions les plus délicates
sont discutées par les ministres autour d’un repas. Elles commencent régulièrement par une
session à portes fermées d’une demi-heure pour finaliser le débat sur les questions délicates et
1 Selon l’article 3, alinéa 2, du règlement du comité, afin d’être admises comme observateurs officiels, les ONG
doivent démontrer qu’elles peuvent poursuivre les objectifs de la Convention alpine, qu’elles sont actives sur
tout l’Arc alpin, qu’elles ont un siège dans les Alpes, qu’elles ont une structure démocratique et qu’elles sont
capables de représenter un intérêt qui ne soit pas déjà suffisamment représenté par les autres observateurs.
2 Pour une analyse de cette situation, voir supra.
3 Notre estimation repose sur les listes des participants aux quatre dernières conférences.
4 Voir la reconstruction historique supra.
5 Voir les articles 5-7 de la convention, ainsi que la décision IV/4/1 (1996) qui a adopté le règlement.
6 Il s’agit des deux présidences françaises de 1991-1994 et de 2006-2009 (supra).
415

éventuellement trancher. Seulement un ou deux représentants de haut niveau des parties
(généralement le ministre et le chef de délégation auprès du Comité permanent) et du
secrétariat (le secrétaire général et son adjoint) participent à cette session. Les autres membres
des délégations et les observateurs en sont systématiquement exclus et il est rare qu’il y ait des
fuites sur les détails des négociations.
Les réunions sont organisées et présidées par l’état alpin qui détient la présidence de la
convention (l’Union européenne n’a jamais assumé ce rôle). Jusqu’à ce jour, elles ont toujours
eu lieu dans une localité alpine. Jusqu’à la création du Secrétariat permanent en 2002, la
présidence assumait aussi les fonctions de secrétariat de la conférence. Même s’il est établi en
consultation avec les autres parties, qui peuvent toujours proposer des ajouts et des
amendements avant ou lors de l’ouverture des travaux, l’ordre du jour des réunions est préparé
par la présidence, qui a donc l’opportunité de l’influencer de manière substantielle. Il faut
noter aussi que, si en principe on devrait faire la distinction entre le bureau de la présidence et
la délégation de la partie qui détient la présidence, en pratique il est assez rare que l’un
contredise l’autre. En fait, la partie qui détient la présidence met souvent en avant ses
priorités, en choisissant, par exemple, d’ouvrir le débat sur certains points au début de la
réunion, quand les délégations sont encore fraîches et de reléguer certaines questions à la fin
de la réunion, quand personne n’a plus la force ou l’envie de négocier et quand les délégués
ont parfois un avion ou un train à attraper ! 1 Après 2002, la présidence a toutefois maintenu un
rôle actif dans les aspects organisationnels et logistiques de la conférence. Il y a une division
du travail entre la présidence, qui accueille la conférence sur son territoire, et le secrétariat,
qui est censé accompagner le processus, en soutenant la présidence et les autres parties.
1 Sur le rôle des présidences tournantes dans l’Union européenne et dans les négociations sur le changement
climatique, voir Jonas Tallberg (2006), Leadership and negotiation in the European Union, Cambridge,
Cambridge University Press; Depledge, The organization of global negotiations: constructing the climate change
regime. Depuis la conférence de 2009, l’ordre du jour est divisé en points A à adopter sans discussion et points B
à débattre.
416

Après avoir vérifié que tous les participants sont dûment accrédités – afin d’assurer la
légitimité des représentants des parties et d’éviter la présence d’intrus parmi les observateurs –
et après avoir adopté l’ordre du jour, la conférence continue avec la présentation d’une série
de rapports, par exemple, sur l’état de ratification et la mise en œuvre des protocoles, sur les
travaux du Comité permanent, sur l’état d’avancement des travaux du groupe de vérification
et des autres groupes et plates-formes, sur la situation du Secrétariat permanent, y compris les
aspects financiers (le budget doit être approuvé par la Conférence alpine) et du personnel
(sélection du secrétaire général, règlement, etc.), ainsi que sur d’autres questions pertinentes.
Ces rapports sont normalement préparés par la présidence, par les présidences des groupes de
travail, par le secrétariat et parfois par d’autres parties et sont diffusés dans les quatre langues
officielles de la convention. En principe, ils devraient être présentés au moins deux mois avant
la réunion, mais de facto ils peuvent également être présentés au dernier moment, à condition
que le secrétariat ou, si celui-ci n’a pas le temps, la partie intéressée, ait le temps de le faire
traduire dans les quatre langues. Présenter les rapports au dernier moment augmente la
possibilité qu’ils soient contestés. Ils comportent deux parties, à savoir le rapport proprement
dit et un projet de décision, qui peut aller du tout simple « la Conférence alpine prend acte du
rapport » aux mandats et à la composition des groupes de travail et des plates-formes. Les
mandats sont souvent annexés, avec d’autres documents pertinents, à l’instar des rapports
substantiels, parfois très volumineux, des groupes de travail.
Il va de soi que les projets de décision sont les parties les plus importantes des
rapports, car ils constituent la base des négociations pour les décisions des ministres. Il va
aussi de soi que, si en principe les ministres peuvent tout changer, normalement les
propositions de modification des décisions se limitent à des phrases ou à des mots spécifiques,
même aux virgules près ! En fait, dans les limites du temps à disposition, il est difficile de
justifier et de défendre un numéro élevé d’objections. Les délégations, mais aussi les
observateurs, doivent donc être sélectives et concentrer leur attention sur les questions les plus
417

importantes. Les observateurs tendent à se focaliser sur les principes généraux, au point que
les interventions pointues sont tellement rares qu’elles apparaissent étranges. Pour les autres
questions, il faut vivre avec. Il est donc essentiel d’arriver à la conférence ministérielle avec
des projets de décision et des documents avec un nombre limité de questions à négocier.
Autrement, le temps à disposition ne sera pas suffisant et la conférence risque d’être un flop.
Vu que ces conférences sont organisées essentiellement par les présidences et vu qu’elles ont
lieu à la fin des biennies de présidence, la faillite des conférences est normalement considérée
comme une faillite des équipes des présidences, mais aussi des personnes impliquées dans les
autres organes de la Convention alpine, qui ne sont pas arrivées à produire des résultats
acceptables et qui doivent répondre à leurs ministres en cas d’échec. Les participants ont donc
tout l’intérêt à régler le plus grand nombre de questions à l’avance, ce qui donne parfois
l’impression que la Conférence alpine n’est l’occasion que de formaliser des décisions déjà
prises ailleurs. Un grand nombre de questions sont en fait adoptées sans aucun débat. 1 Il faut
savoir que la conférence ministérielle est immédiatement précédée par une réunion spécifique
du Comité permanent sur une durée de trois ou quatre demi-journées (la réunion se termine
normalement le jour précédent la conférence), laquelle est préparée avec grand soin par les
délégations dans des réunions internes et des rencontres bilatérales et qui est un point de
référence pour tous les groupes de travail, qui doivent impérativement finaliser leurs
documents en temps utile. Il est clair que, s’ils ne veulent pas avoir de problèmes au moment
du passage au Comité permanent, les groupes doivent prendre dûment en considération la
position de toutes les parties, vu aussi que le renouvellement du mandat et des groupes – donc
des évaluations positives des fonctionnaires et des contrats des experts impliqués – dépend des
décisions du comité et de la conférence.
1 Lors de la conférence d’Evian en 2009, il y avait neuf points A (à ne pas débattre) contre six points B (à
débattre)
418

Bien que la convention-cadre prévoie des voix à la majorité des trois-quarts et que le
règlement de la conférence définisse les procédures de vote, toutes les décisions sont
inexorablement prises par consensus, lequel est idéalement acquis après la lecture du projet de
décision, après la déclaration standard « si personne n’a rien à ajouter, on considère la
décision adoptée et on passe au prochain point à l’ordre du jour » de la part du président de la
réunion et après des regards croisés et un silence éloquent dans la salle. 1 Cela ne contredit pas
les constats faits auprès d’autres organisations internationales, à l’instar de l’Organisation
mondiale du commerce ou de l’Union européenne ; mais cela ne signifie pas non plus que les
délégations ne réfléchissent pas en termes de majorités : le consensus peut être spontané, mais
il peut aussi, ce qui n’est pas rare, partir du constat qu’il y a des états en faveur et des états
contre un projet de décision. Le jeu du consensus se fait par la cooptation progressive des états
en opposition à travers une œuvre de persuasion ou à travers des concessions, souvent en
modifiant le texte de base. Le secrétaire général ou certains pays peuvent de temps en temps
assumer le rôle de médiateurs dans la recherche d’une position acceptable pour tout le monde.
Il peut arriver qu’un ou deux états se trouvent dans une position isolée, où qu’ils soient les
seuls à s’opposer à un projet. Dans la plupart des cas, l’état en position isolée cède sous
pression psychologique, notamment s’il s’agit d’une question d’orgueil du type « j’ai déjà
rejeté cette proposition et, puisque je tiens ma parole, j’insiste ». Or, dans le cas où il s’agit
d’une question d’intérêt national, l’histoire récente de la Convention alpine témoigne de
plusieurs positions isolées qui ont été maintenues sur de longues périodes : citons, à titre
d’exemples, la non-sélection du secrétaire général en 2004 et la question de l’intégration de la
Task force « espaces protégés » au sein du Secrétariat permanent en 2006. 2 Dans les cas les
plus graves, des délégations ont récemment considéré, avec la participation des ministères des
affaires étrangères respectifs, l’ouverture de contentieux sur la base du Protocole « règlement
1 Voir l’article 7, alinéa 1, de la convention et les articles 17 et 18 du règlement. Sur le consensus, voir supra.
2 Voir supra.
419

des différends » et des procédures typiques de la négociation, de la médiation et de l’arbitrage
éventuel, mais à ce jour aucune procédure n’a été entamée par aucune partie. Il est clair qu’il
est plus facile pour un poids lourd de la convention comme l’Italie ou l’Autriche de tenir une
position isolée que pour un petit état comme la Slovénie. Dans la plupart des cas, les
échanges, qui peuvent être francs, restent cordiaux.
Une fois adoptées, les décisions sont recueillies par le secrétariat dans un procès-
verbal, qui est adopté de façon provisoire à la fin de la conférence et de façon définitive, après
avoir pris en considération les révisions et les commentaires des parties, lors de la réunion
suivante du Comité permanent, qui a normalement lieu entre six et neuf mois après, le temps
pour la nouvelle présidence de s’installer. En général, les procès-verbaux sont rédigés de
manière suffisamment neutre et sont adoptés sans problème majeur. Ces dernières années, on
a observé une tendance de la part de certaines délégations à instrumentaliser le processus
d’adoption des procès-verbaux afin de renforcer ou d’amorcer la portée de décisions selon
leurs intérêts respectifs. Ceci est dû aussi à des négociations objectivement confuses, comme
celle qui a conduit à la décision de consacrer le troisième Rapport sur l’état des Alpes au
thème « développement rural durable et innovations » et de « [prendre] en compte notamment
le sujet important de l’énergie dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ». 1
Comité permanent. La Conférence alpine ne se réunit que tous les deux ou trois ans.
Afin de suivre les travaux de la convention, un Comité permanent des dirigeants des parties
contractantes se réunit régulièrement deux fois par an, sans compter les réunions
extraordinaires. Des réunions extraordinaires peuvent être convoquées dans des circonstances
exceptionnelles, notamment dans les mois qui précèdent la conférence ministérielle, lorsque la
présidence craint de ne pas arriver à un accord sur des questions délicates, comme les résultats
1 Décision X/B5 (2009). Voir le document final Convention alpine (2011), Rapport sur l’état des Alpes:
développement rural durable et innovations, Innsbruck, Secrétariat permanent.
420

de la procédure de vérification ou le fonctionnement du secrétariat. 1 Souvent, les observations
formulées à propos de la Conférence alpine s’appliquent aussi au comité. On va donc porter
notre attention sur les différences entre les deux organes. Le Comité permanent réunit des
dirigeants des ministères de l’environnement des états alpins et plus rarement des
représentants d’autres ministères, y compris le ministère des affaires étrangères, et de
quelques collectivités. D’autres organisations internationales, les communautés de travail des
régions, ainsi que certaines ONG participent comme observateurs officiels et prennent la
parole lors des réunions. L’observateur le plus actif est certainement la CIPRA. Ces deux
dernières années, la présidence slovène, l’Italie et la France comptaient en moyenne entre huit
et cinq représentants, entre cinq et trois pour l’Autriche, la Suisse et l’Allemagne et un
représentant de l’un des deux micro-états. 2 Environ quinze individus représentaient une
dizaine d’observateurs, pour la plupart des ONG.
Dans notre reconstruction historique, on a vu que le Comité permanent s’est voulu
fidèle à l’héritage du Groupe de travail de hauts fonctionnaires qui a préparé le texte de la
convention-cadre. 3 Le texte conventionnel qui le rend permanent en définit les fonctions
générales. Son fonctionnement spécifique est aussi détaillé par un règlement approuvé sous
présidence slovène dans les années 90. 4 Les réunions du comité durent normalement entre
deux et quatre demi-journées de travail et prévoient des repas communs et parfois un
programme culturel qui permet aux délégués de discuter informellement des travaux du
comité et surtout de se socialiser. Elles commencent régulièrement par une session à portes
fermées d’une demi-heure pour affronter les questions délicates. Seulement un ou deux
représentants des parties (généralement le chef de délégation et le point focal) et du secrétariat
1 Voir, par exemple, le procès-verbal du Comité permanent spécial de Paris approuvé par le document PC40/2
(2009).
2 Notre estimation repose sur les listes des participants aux trois premiers comités permanents sous présidence
slovène.
3 Voir supra.
4 Voir l’article 8 de la convention.
421

(le secrétaire général et son adjoint) participent à cette session. Les autres membres des
délégations et les observateurs en sont systématiquement exclus. 1
Les réunions sont présidées par l’état alpin qui détient la présidence de la convention
et sont organisées en alternance par la présidence sur son territoire, préférablement dans une
localité alpine, ou par le secrétariat dans l’un de ses deux sièges. L’ordre du jour est toujours
établi par la présidence, qui peut ainsi influencer les thèmes abordés et gérer le temps des
réunions. La présidence peut aussi proposer des séminaires thématiques afin de lancer des
sujets qui l’intéressent, par exemple les trois séminaires sur le tourisme durable organisés par
la présidence française entre 2007 et 2008. Ces séminaires ont commencé à être organisés à
l’initiative de la présidence autrichienne en réponse à la prolifération excessive de questions
abordées par la Convention alpine et à la perte conséquente de ligne directrice. Or, leur impact
sur les travaux de la convention a été négligeable et le problème de savoir comment focaliser
l’attention de la convention sur un nombre raisonnable de thèmes reste à régler. 2 Par exemple,
le Comité permanent d’Innsbruck en 2010 avait bien vingt-cinq points à l’ordre du jour à
traiter en à peine huit heures de travail, ce qui ne laisse plus de vingt minutes par point.
Comme pour les conférences ministérielles, à chaque point à l’ordre du jour correspond un
rapport avec un projet de décision. Imaginons que les huit parties prennent la parole pour un
laps de temps de deux minutes chacune dans un tour de table (ce qui est déjà très peu pour
articuler une position), cela ne laisserait pas plus de quatre minutes pour boucler une décision
partagée ! L’alternative serait que les décisions soient prises dans les couloirs ou pendant les
pauses café ou les repas. Cela arrive forcément, mais les questions discutées ouvertement en
comité sont toujours nombreuses.
1 L’auteur n’a jamais participé directement aux réunions à portes fermées.
2 Voir les résultats du débat lancé par la présidence slovène sur le fonctionnement du comité permanent et des
groupes de travail résumés dans le document PC44/B3a (2010), ainsi que le procès-verbal de la réunion PC45/2
(2011).
422

Or, sauf dans le cas des réunions ayant immédiatement précédé la conférence
ministérielle, il n’est pas rare que le comité renvoie une décision, faute d’éléments ou de
consensus. Maints rapports et de projets de décision sont préparés par les groupes de travail,
par des parties ou par le secrétariat. Il peut arriver que les documents recueillent
immédiatement le consensus des parties et que des décisions soient même prises sans débat,
mais il peut aussi arriver que le comité renvoie la copie aux auteurs, soit parce que les
documents proposés sont objectivement incomplets, soit parce que le comité n’arrive pas à
trouver un compromis acceptable. Il demande ainsi aux responsables de continuer les
négociations séparément et de formuler de nouvelles propositions lors des comités successifs.
Il y a donc un arbitrage important à faire entre ce dont on s’occupe en Comité permanent et ce
qu’on renvoie aux groupes de travail : parfois les délégations rouvrent en Comité permanent
des dossiers sur lesquels les groupes avaient déjà tranché (ce qui est tout à fait légitime) ;
parfois le comité cède à la tentation de ne pas aborder des questions qu’il peut renvoyer
ailleurs, surtout vers la fin des réunions. Il est rare que cela arrive en conférence ministérielle,
car il est difficile que le Comité permanent laisse passer aux ministres des questions qui ne
soient pas suffisamment matures, comme dans le cas de la création du Groupe de travail
« patrimoine mondial de l’UNESCO », qui avait été proposée lors du Comité permanent
d’Innsbruck de septembre 2006, mais que celui-ci avait décidé de ne pas soumettre à
l’attention de la Conférence alpine d’Alpbach en novembre 2006, puisque la question n’avait
pas été suffisamment discutée. 1
Comme en conférence ministérielle, toutes les décisions du Comité permanent sont
prises par consensus. En quatre ans d’expérience de la convention, nous n’avons jamais
observé ni entendu mentionner de voix à la majorité. Cependant, les discussions peuvent être
assez vivaces, parfois violentes, avec des accusations croisées, mais aussi des réconciliations
soudaines, notamment autour des questions les plus délicates. Mentionnons, par exemple, la
1 Décisions PC33/19 et PC34/17 (2006).
423

question de la task force, où des divergences compréhensibles autour de l’opportunité de son
intégration au sein du secrétariat et la responsabilité objective de gestion de la structure de la
part des états se sont croisées au risque que des individus perdent leur travail et l’émotion qui
en dérive et aux antipathies réciproques qui subsistent sur plusieurs années. 1 En principe, les
parties préparent leur position en avance. Dans les mois et encore plus dans les semaines qui
précèdent les comités, elles organisent des réunions internes et bilatérales et elles peuvent
définir des stratégies spécifiques pour défendre leurs positions et pour faire avancer leurs
intérêts sur des questions à l’ordre du jour. 2 Comme en conférence ministérielle, une fois
adoptées, les décisions du Comité permanent sont recueillies par le secrétariat dans un procès-
verbal, qui est adopté de façon provisoire à la fin des réunions et de façon définitive, après
avoir pris en considération les révisions et les commentaires des parties, lors de la réunion
suivante.
Groupes de travail, plateformes et groupe de vérification. Le Comité permanent ne se
réunit que tous les six mois. De plus, c’est un organe générique et de ce fait, l’expertise
nécessaire pour aborder des questions spécifiques lui fait souvent défaut. La conférence et le
comité peuvent donc créer des groupes de travail et des plates-formes pour approfondir
certains thèmes. 3 Ces organes peuvent s’organiser en sous-groupes pour aborder des questions
encore plus spécifiques. Les mandats des groupes sont à durée déterminée et doivent être
renouvelés à chaque conférence ministérielle. Le Groupe de vérification est un cas à part,
puisque son mandat le rend permanent. Dans notre reconstruction historique, on a vu que les
groupes de travail se sont voulus fidèles à l’héritage des groupes qui ont préparé les textes des
1 Voir supra.
2 Entre 2006 et 2010, l’auteur a participé activement à l’assemblage des documents et à l’organisation des
réunions préparatoires de la délégation italienne.
3 Ni les articles 6 et 8, alinéa 3, de la convention, ni les articles 14 et 15 du règlement du comité ne mentionnent
des plates-formes, qui ont été introduites à partir de 2004.
424

protocoles. 1 Le fonctionnement des groupes ressemble de près à celui du Comité permanent. 2
Mais, contrairement au comité, où la présidence est la même que celle de la conférence,
chaque groupe et sous-groupe, excepté le groupe de vérification, a sa propre présidence, qui
correspond normalement au pays qui a proposé de créer le groupe. Si, d’un côté, ceci
contribue à assurer une division des tâches entre les parties contractantes, de l’autre, cela
risque de créer des fiefs où des questions sont durablement appropriées pour une partie : la
France, par exemple, assume la présidence du Groupe « transports » depuis sa création en
2002 et la Suisse assure celle de la Plate-forme « risques naturels » depuis 2004. Parfois, on a
l’impression que des sous-groupes sont créés pour permettre à une partie d’avoir son propre
fief, afin qu’elle ne gène pas les travaux du groupe. Lorsque deux parties s’intéressent
particulièrement à une question, des groupes à présidence conjointe peuvent être créés,
comme dans le cas de Plate-forme « gestion de l’eau dans l’espace alpin » – à présidence
conjointe austro-suisse – ou la Plate-forme « espaces protégés » – à présidence tournante
allemande et française.
Les groupes de travail, les plateformes et le groupe de vérification réunissent
généralement des fonctionnaires des ministères de l’environnement (il s’agit normalement des
points focaux pour la convention), des experts sur les thèmes du groupe qui sont nommés par
les ministères et éventuellement des fonctionnaires d’autres ministères compétents, comme
par exemple des ministères des transports pour le Groupe « transports », des ministères de la
culture pour le Groupe « UNESCO », etc. De temps en temps, des dirigeants participent aux
réunions les plus délicates, comme par exemple celles pour la préparation du mandat d’un
nouveau groupe ou celles pour l’adoption des rapports du groupe de vérification. Il arrive
souvent que certains pays ne participent pas aux réunions par manque de temps, de ressources
1 Voir supra.
2 Il n’y a à ce jour de règlement spécifique pour aucun groupe de travail, bien qu’en 2009 la délégation italienne
ait essayé d’en introduire un pour les plates-formes, à partir de l’expérience problématique de la Plate-forme
« réseau écologique ».
425

ou tout simplement d’intérêt, notamment dans le cas de la Slovénie et des micro-états. Il est
par contre extrêmement rare qu’une réunion ait lieu avec moins de quatre parties (dans ce cas,
les réunions peuvent être annulées au dernier moment), qu’une délégation nationale dépasse
les quatre membres et qu’il y ait plus de deux ou trois observateurs. Les réunions comptent
normalement entre quinze et trente participants. 1 Les plates-formes sont des groupes de travail
qui encouragent une participation plus large. Il n’est pas clair si la participation est de jure
ouverte à des participants n’ayant pas été admis comme observateurs de la convention, mais
de facto la participation est ouverte à tous les intéressés. Cela étant dit, les réunions ne sont
pas annoncées publiquement. Si tous les participants peuvent s’exprimer lors des réunions,
cette configuration peut donner l’impression que les observateurs, notamment les ONG,
peuvent avoir voix au chapitre dans la prise des décisions au même titre que les parties, ce qui
est vivement contesté à un moment ou l’autre par la totalité des délégations. Or, on a souvent
l’impression que les parties qui prônent un rôle majeur des ONG ne le font que lorsque les
positions de ces dernières coïncident avec celles des délégations. On a observé comment les
mêmes parties peuvent se retourner de manière assez soudaine contre les ONG lorsque les
intérêts de celles-ci ne correspondent plus aux leurs.
Les groupes et les plates-formes se réunissent plus fréquemment que le Comité
permanent mais il est rare qu’ils soient convoqués plus d’une fois tous les trois mois. Sous la
présidence slovène, il y avait neuf groupes de travail actifs 2 : si chaque groupe se réunissait
tous les trois mois, cela signifierait trente-six réunions par an, auxquelles il faudrait ajouter les
deux réunions du comité permanent, pour une moyenne de plus de trois réunions
internationales par mois, sans compter la conférence ministérielle, les réunions des sous-
groupes éventuels et les rencontres bilatérales. De quoi donner raison à ceux qui considèrent
1 Estimations de l’auteur sur la base de l’observation directe.
2 Voir le tableau supra.
426

la Convention alpine une « agence de voyage » ! 1 Normalement, les réunions des groupes sont
préparées de manière plus superficielle. Les délégations s’appuient beaucoup sur les
contributions écrites ou sur les présentations orales des experts, qui sont souvent assemblées
dans la foulée sur la base de travaux existants. Il est rare que les experts produisent des
travaux originaux, fondés par exemple sur des enquêtes de terrain. C’est une question de
manque de ressources et parfois de volonté. Il y a toutefois des exceptions : les présidences et
parfois des parties arrivent de temps en temps à mobiliser des ressources spécifiques de leur
budget ou de projets européens, notamment dans le cadre du Programme « espace alpin », ou
à motiver les experts à contribuer de manière originale pour la gloire, pour la cause ou en
promettant d’éventuelles récompenses. 2
L’atmosphère de travail des groupes est normalement plus décontractée que celle du
Comité permanent. Il n’y a pas de modalité à portes fermées. Les réunions ont tendance à
durer entre une et deux demi-journées, parfois avec des programmes culturels
particulièrement intéressants. Selon le thème et les circonstances, les réunions peuvent être
organisées dans des localités alpines ou proches des Alpes, près du secrétariat ou dans les
capitales des états parties et des régions alpines. Certaines localités peuvent offrir d’accueillir
les réunions gratuitement comme forme de promotion touristique ou comme manière de porter
des questions à l’attention de la convention. En principe, les travaux devraient être conduits
dans les quatre langues alpines. 3 Or, les services d’interprétariat et de traduction sont chers et
de plus en plus de réunions ont lieu en anglais. Il y a des domaines comme le patrimoine
1 Commentaire d’un participant à une réunion de la convention recueilli informellement par l’auteur en 2008.
2 Pour des travaux originaux, voir inter alia Convention alpine, Groupe de travail transports (2008), «Mobilité
durable dans les Alpes: bonnes pratiques et analyse du système de mobilité», Grenoble, Convention alpine; Yann
Kohler et Anne Katrin Heinrichs (2011), «Ecological Continuum Initiative: catalogue of possible measures to
improve ecological connectivity in the Alps», ALPARC - ISCAR - CIPRA.
3 Sur la question linguistique, voir Paolo Angelini et Jon Marco Church (2008), «The logic of multilingualism in
the Alpine Convention», dans Harmonising legal terminology, édité par Leonhard Voltmer et Elena Chiocchetti,
Bolzano, EURAC.
427

mondial qui utilisent des termes techniques anglais qui sont extrêmement difficiles à rendre
dans les autres langues, y compris en français. Certains documents du Groupe « UNESCO »
ont donc été rédigés en anglais. 1 La contrepartie est que ceci met en difficulté certains
fonctionnaires et même certains experts, qui se retrouvent isolés ou exclus des travaux, mais
les incompréhensions sont fréquentes même lors des réunions avec le service interprétariat.
Certains experts se connaissent et travaillent ensemble depuis des décennies, tandis qu’il est
assez rare qu’un dirigeant ou un fonctionnaire participe à la Convention alpine depuis plus
d’une dizaine d’années. 2 De plus, même si les parties tendent à avoir recours à des experts
nationaux, on a des raisons de croire que plusieurs experts et consultants font attention à ne
pas déranger les autres parties, par peur de perdre des clients potentiels. On peut aussi
observer des jeux subtils entre fonctionnaires et experts, notamment pour ce qui concerne les
projets futurs, dans la recherche d’un arbitrage, qui permette à l’expert d’obtenir des nouveaux
contrats et au fonctionnaire de maintenir le contrôle sur l’expert. 3 Il faut absolument éviter que
des analyses et des projets contraires aux orientations politiques de son gouvernement soient
adoptés. Le fonctionnaire peut être appelé à répondre de tout dérapage devant à sa hiérarchie,
même si cela n’arrive que rarement.
Les groupes de travail, les plateformes et le groupe de vérification préparent donc des
rapports à l’attention du Comité permanent. A partir des rapports, les présidences des groupes
formulent des projets de décision ou de mandat qui devraient être soumis à l’attention du
groupe avant d’être transmis au Comité permanent. Cela n’est pas toujours le cas, faute de
temps et peut-être de bonne foi. Les présidences des groupes peuvent en fait essayer de forcer
1 Voir supra.
2 Sur les soi-disant communautés épistémiques, voir notamment Peter M. Haas (1992), «Introduction: epistemic
communities and international policy coordination», International Organization, vol. 46, n. 1.
3 Sur la coproduction de l’expertise, voir Sheila Jasanoff (1990), The fifth branch: science advisers as
policymakers, Cambridge, MA, Harvard University Press; Sheila Jasanoff et Bryan Wynne (1998), «Science and
decisionmaking», dans Human choice and climate change: the societal framework, édité par Steve Rayner et
Elizabeth L. Malone, Columbus, OH, Battelle Press.
428

l’aval de positions individuelles comme si elles étaient collectives, comme si il était suffisant
d’ajouter le logo de la convention pour rendre une initiative partagée, pour internationaliser
des initiatives nationales ou locales. Il va de soi que ces comportements ont des effets néfastes
sur l’atmosphère de travail des groupes et peuvent être contreproductifs surtout s’ils sont
répétés régulièrement. Certaines délégations peuvent se retourner contre la présidence et
boycotter de facto les travaux en rejetant systématiquement les projets ou plus simplement en
ne participant pas aux réunions des groupes. De plus, si les groupes n’arrivent pas à travailler,
le Comité permanent est forcé d’entrer dans les détails des questions qui avaient pourtant été
déléguées aux groupes. Les tensions au sein de certains groupes sont donc transférées au
comité, ce qui contribue à détériorer son atmosphère de travail. En fait, vu que le mandat des
groupes est généralement approuvé par la Conférence alpine, si des mandats n’ont pas été
respectés, les ministres demanderont des explications au comité, à savoir aux dirigeants de
leur propre ministère, et non pas sur les présidences des groupes. Les chefs de délégation au
Comité permanent exercent donc une pression considérable sur les fonctionnaires, notamment
sur les points focaux nationaux, pour que les mandats des groupes soient respectés. Ces
problèmes sont accrus lorsque les procès-verbaux, qui sont produits par les présidences des
groupes (le secrétariat n’a pas les ressources humaines pour soutenir tous les groupes), ne
reflètent pas les travaux. Dans la plupart des cas, la distinction entre les propositions de la
présidence ou des participants, y compris les observateurs, et les décisions consensuelles du
groupe peut ne pas être claire simplement par manque d’expérience de la présidence. Or, dans
d’autres cas, la présidence peut délibérément inclure dans le procès-verbal des propositions
comme s’il s’agissait de décisions et exclure des détails contraires aux intérêts de la
présidence ou qui reflètent le manque de consensus au sein d’un groupe. Sinon, le président et
son équipe pourraient être appelés par leur hiérarchie à répondre à des problèmes éventuels,
avec des effets négatifs sur la carrière des intéressés. Ces jeux sont clairement l’objet de
contestations parfois violentes au sein des groupes et même du comité. Ils peuvent
429

littéralement bloquer les travaux, surtout quand la présidence et une ou deux parties
s’obstinent à défendre leurs positions respectives. Or, dans la plupart des cas, l’atmosphère est
positive.
Il faut aussi noter que l’approbation des rapports du groupe de vérification suit une
procédure spéciale, due aux questions délicates qui y sont traitées et qui relèvent de la
responsabilité internationale des parties. 1 Cette procédure vise à vérifier l’état de la mise en
œuvre de la convention et de ses protocoles dans chaque partie. Elle recherche un équilibre
entre le fait d’exposer les défauts de mise en œuvre et d’essayer d’assurer le respect des
accords, d’un côté, et le fait d’éviter de mettre les parties en difficulté, de l’autre.
Normalement, les délégations sont d’un niveau légèrement plus élevé et incluent souvent des
représentants des bureaux juridiques des ministères de l’environnement ou des affaires
étrangères, notamment lors de la discussion des rapports et des recommandations finales à
l’attention de la Conférence alpine. Les observateurs, en particulier la CIPRA et l’UICN, qui
comptent parmi leurs membres des juristes renommés, n’hésitent pas à exprimer leurs
critiques, parfois publiquement, aux rapports nationaux. Les parties, de leur côté, ont défendu
systématiquement leurs positions et n’ont démontré jusqu’à présent aucun intérêt à s’attaquer
les unes les autres sur des questions qui ont un impact généralement marginal. La seule
question qui attire les critiques des parties est l’abstention à construire de nouvelles routes à
haut débit, prévue par le Protocole « transports ». 2 De nouvelles routes ont pourtant été
construites ou planifiées, mais les états, bien qu’ils soient conscients des projets des uns et des
autres, n’ont jamais démontré aucun intérêt à s’attaquer. Si un pays s’en prend à un autre sur
une question non grave et qu’un précédent est établi, il est possible qu’un jour ce même pays
se trouve dans la même situation. On n’a pas encore rencontré de question grave, comme par
1 Décision VII/4 (2002). Voir Enderlin, «A compliance mechanism within the Alpine Convention»; Tim
Enderlin (2003), «A different compliance mechanism», Environmental Policy and Law, vol. 33, n. 3-4.
2 Article 11, alinéa 1, du protocole.
430

exemple, la construction d’un nouvel axe routier majeur entre deux pays. Dans ce cas, on ne
pourra pas exclure l’ouverture d’un contentieux, qui mènera le groupe de vérification à lancer
une mission d’enquête 1 et les parties à rechercher un négociation, une médiation et peut-être
même un arbitrage international selon les dispositions du Protocole « règlement des
différends ». Mais cette perspective semble être plutôt lointaine.
En 2009, le groupe à terminé son premier cycle de vérification, qui a commencé par
l’élaboration d’un questionnaire commun et par la préparation de rapports nationaux, et qui a
conduit à leur analyse par le groupe, avec la participation active du secrétariat et sous l’œil
critique des observateurs. 2 Nous nous trouvons donc au début du deuxième cycle. Jusqu’à ce
jour, la seule partie à n’avoir jamais présenté de rapport est l’Union européenne. Dans le
premier exercice, malgré le modèle commun, chaque partie a répondu au questionnaire à sa
manière, ce qui a compliqué, en le rendant parfois inutile, le travail d’analyse et d’assemblage
du rapport final. Les parties ont souvent joué sur le fait que certaines dispositions de la
convention et des protocoles étaient inscrites dans le droit national ou sous-national ou qu’il
existait des projets de mise en œuvre, sans démontrer pour autant que les dispositions étaient
effectivement mises en œuvre. De plus, certaines parties se sont trouvées en difficulté par le
fait que les rapports nationaux sont à présenter dans les quatre langues. Ils peuvent être assez
volumineux – en 2005, le rapport de l’Autriche comptait 227 pages, celui de l’Italie 224 – et
leur traduction peut s’avérer extrêmement chère et difficile à justifier. Cependant, le rapport
adopté par la Conférence alpine en 2009 est arrivé à identifier des défauts de mise en œuvre et
à formuler des recommandations. 3 Rien de quoi troubler les parties, bien sûr !
Secrétariat permanent. Pendant la deuxième moitié des années 90, la présidence
tournante et les autres parties se sont aperçues de la difficulté de suivre tous les travaux et de
1 Point 4.2, tiré 4, de la décision VII/4 (2002).
2 Décision X/B2 (2009).
3 Id.
431

la nécessité de soutien constant de la part d’un secrétariat commun. 1 Le soutien accru d’une
partie sous forme d’une équipe mise à disposition de la convention n’aurait pas été accepté par
les autres, car la partie soutenant cette équipe aurait pu exercer des pressions inopportunes. 2
La convention-cadre prévoyait déjà cette éventualité, mais les parties contractantes ont
attendu jusqu’en 2002 pour procéder à la création de cet organe de soutien. 3 Le secrétariat a
deux sièges : un siège principal à Innsbruck en Autriche, l’autre technique à Bolzano en Italie,
plus une antenne à Chambéry, qui accueille la Task force « espaces protégés ». Il s’agit de
sièges diplomatiques, qui ont été mis à disposition gratuitement ou presque par les états et les
collectivités hôtes. Le siège d’Innsbruck se trouve dans un bâtiment historique et hautement
symbolique dans le centre-ville, celui de Bolzano dans un nouveau centre de recherche, tandis
que l’antenne de Chambéry partage une « maison de la montagne » avec d’autres
organisations. 4 Les bureaux sont assez petits et les bâtiments ne disposent ni de salles de
conférences spacieuses ni d’amphithéâtres, excepté le siège de Bolzano, un centre de congrès
qui est situé dans le même édifice. Les sièges d’Innsbruck et de Bolzano ont été sélectionnés
dans le cadre d’un appel à candidatures international, tandis que l’antenne de Chambéry a été
mise à disposition gracieusement par la France.
Il s’agit d’un petit secrétariat avec seulement huit unités de personnel à disposition sur
deux villes, plus dix unités qui siègent dans l’antenne de Chambéry. 5 Comme l’OSCE, la
Convention alpine n’est pas une organisation internationale de carrière sur le modèle de l’UE
1 Nous n’utilisons pas l’expression courante « au-dessus des parties », à juste titre, car on la considère trompeuse
à la lumière de notre analyse.
2 Voir les vicissitudes et les difficultés rencontrées par les unités de coordination d’Ispra et de Bolzano et par la
task force de Chambéry dans la reconstruction historique supra.
3 Voir l’article 9 de la convention, la décision VII/2 (2002), ainsi que documents VIII/18/1 et VIII/18/2 (2004),
contenant respectivement les règlements financier et du personnel. Voir aussi Papanicolopulu, «The Secretariat
of the Alpine Convention».
4 Il s’agit du bâtiment au petit toit d’or (en allemand : Goldenes Dachl) à Innsbruck et du siège principal de
l’Académie européenne de Bolzano (EURAC).
5 Le statut du secrétariat ne prévoit que six unités de personnel plus des experts externes.
432

ou de l’ONU. En principe, le personnel est recruté sur des contrats à durée déterminée de trois
ans maximum et renouvelables une fois seulement, excepté certaines catégories de personnel
local (assistants, secrétaires, etc.), qui peuvent bénéficier de contrats à durée indéterminée. 1 Le
recrutement du personnel a lieu suite à des appels à candidatures internationaux. Pour le
secrétaire général, le triage (élimination des candidats sans qualifications minimales,
classement des candidats selon des critères objectifs, etc.) est réalisé par le Comité permanent,
tandis qu’il revient à la Conférence alpine de trancher. Les délégations soutiennent
normalement les candidats de leur pays et s’engagent dans des négociations complexes, qui
tiennent compte des rapports de force et de la situation d’autres dossiers, même au-dehors de
la Convention alpine. L’appui d’une partie à un candidat peut être acquis, par exemple, en
échange d’une concession sur un autre dossier. De plus, il faut garantir un certain équilibre,
sinon le Secrétariat permanent perdrait de sa légitimité : les secrétaires généraux ne peuvent
pas être tous de la même nationalité. En général, la Convention alpine essaie de respecter le
principe de la « prise en compte de valeur égale des langues officielles » dans la sélection du
personnel. 2 Dans le cas où les parties ont l’impression de ne pas être adéquatement
représentées, leurs délégations n’hésitent pas à faire entendre leurs protestations.
Comme pour le siège, la nationalité du secrétaire est considérée comme étant
importante, car les états comptent sur un traitement de faveur de la part du secrétaire, qui sait
qu’il doit sa nomination et son éventuelle confirmation à la délégation à son gouvernement. Il
est aussi une source d’orgueil pour les pays, puisqu’il peut faire les titres dans la presse. Bref,
il y a bien une sélection sur dossier, mais le choix du Secrétaire général est finalement une
décision politique. Le Secrétaire général est nommé pour une période de quatre ans,
1 Article 14 du règlement du personnel.
2 Article 5 du statut. En pratique, cela se traduit par la présence d’au moins une unité de personnel pour chaque
langue officielle.
433

enouvelable une fois pour deux ans. 1 En principe, le Comité permanent est responsable de
nommer, sur indication du Secrétaire général, son adjoint avec un contrat de trois ans,
renouvelable une fois. 2 En pratique, le Secrétaire général adjoint actuel a été imposé par la
Conférence alpine dans le cadre des négociations pour sélectionner la tête du secrétariat. Le
recrutement des autres unités de personnel fait aussi l’objet d’appels à candidatures
internationales, mais leur responsabilité directe incombe au Secrétaire général. Ce dernier
serait censé rapporter au Comité permanent les critères et les motivations de son choix, mais
les parties n’ont jamais démontré d’intérêt particulier pour ces recrutements, sauf dans le cas
où une partie aurait l’impression de n’être pas suffisamment représentée. Conscients des
spécificités des organisations internationales, nous ne sommes pas au courant du niveau de
syndicalisation du personnel. On connaît toutefois l’existence de différences de rémunération,
d’encadrement et de conditions de travail entre les deux sièges, ce qui peut conduire à des
tensions au sein du secrétariat. De plus, on a vu que l’intégration de la task force à partir de
2006 a rencontré des difficultés objectives et a été durement contestée par certaines parties, ce
qui a été mal vécu par certains à Chambéry et qui a eu un impact négatif sur les relations
humaines à l’intérieur du secrétariat. 3 Nous avons reconstruit l’organigramme du Secrétariat
permanent dans la figure ci-dessous. On voit bien que le secrétariat est une structure assez
dirigiste avec sept unités de personnel qui répondent directement au Secrétaire général,
auxquelles il faut ajouter le directeur de la task force. Dans notre organigramme, nous avons
aussi distingué le personnel selon le niveau et pas seulement sa fonction : en comptant la task
force, on retrouve donc trois dirigeants, quatre fonctionnaires, sept experts, généralement
assez junior, et quatre assistants.
1 Article 3 de l’annexe 2 au document VII/2 (2002) et article 15 du règlement du personnel.
2 Article 16 du règlement du personnel.
3 Voir supra.
434

Figure 25 : Organigramme du Secrétariat permanent, y compris la Task force « espaces protégés ». 1
Le Secrétariat permanent est une petite structure aussi du point de vue financier. Le
budget du secrétariat consiste en des contributions de la part des états, avec l’Italie et de
l’Autriche qui, compte tenu de leur PIB, de leur population et du fait qu’elles accueillent le
secrétariat, financent respectivement 26,5 % et 24,5 % du budget. 2 Les contributions sont
généralement régulières, excepté les contributions italiennes en 2006 3 , et les parties
permettent de faire en sorte que les excédents éventuels soient reportés à l’année suivante,
avec l’exception de l’Allemagne, qui en raison de ses principes budgétaires doit demander que
ceux-ci soient remboursés. Avec un budget régulier annuel de 875 000 euros (auxquels il faut
ajouter la contribution française de 410 000 euros par an pour la task force et d’autres
contributions volontaires ponctuelles), il y a des limites objectives à l’action du secrétariat, qui
1 Organigramme établi par nous-mêmes sur la base des documents officiels de la Convention alpine de
d’ALPARC, y compris les pages consacrées aux collaborateurs des sites internet respectifs (dernier accès : 18
août 2011), ainsi que sur la base de l’observation directe de l’auteur.
2 Suivis par la France (18 %), la Suisse (14,5%), l’Allemagne (8,5%), la Slovénie (4%) et les micro-états (2%
chacun).
3 Voir la reconstruction historique supra.
435

doit se contenter de son rôle de soutien aux parties dans l’organisation des réunions. 1 Comme
on l’a vu, en 2008, la CIPRA avait des entrées de plus de 1,5 millions d’euros à elle seule. 2
Au niveau politique, bien qu’il essaie de prendre des initiatives ou de mettre en œuvre
des projets, le Secrétaire général n’a pas le profil pour avoir suffisamment d’influence sur les
agendas et les parties contractantes n’ont pas manifesté d’intérêt particulier pour ses initiatives
ou ses bons offices et n’envisagent pas de lui conférer un rôle plus important au Secrétariat
permanent de la Convention alpine. Le secrétariat lance et met en œuvre des petits projets
comme le parlement des jeunes ou le prix de photographie, ce qui contribue sans doute à tisser
un réseau d’amis de la convention et à attirer l’attention du public. Or, les parties sont plus
intéressées par un secrétariat qui résout les problèmes au lieu d’une structure qui augmente les
dossiers à suivre. Le mandat du secrétariat est clair : il doit avant tout « [soutenir] les travaux
des organes créés dans le cadre de la Convention alpine », « il exerce principalement les
attributions suivantes : (a) appui technique, logistique et administratif à la mise en œuvre de la
Convention alpine et de ses Protocoles ; (b) coordination des activités de recherche,
d’observation et d’information sur les Alpes ; (c) activité de relations publiques ; (d) activités
administratives et conservation des archives, activité de relations extérieures ». 3 Le secrétariat
a bien sûr un droit de proposition 4 , mais les parties apparaissent plus intéressées par l’idée
d’utiliser le secrétariat pour faire avancer leurs propres initiatives, en lui confiant la rédaction
et la publication de rapports ou la gestion de groupes d’experts, comme dans le cas des
volumes du Rapport sur l’état des Alpes. 5 En même temps, il va de soi que les parties
s’attendent à ce que le secrétariat assure tous les services nécessaires à l’organisation des
Conférences alpines et des Comités permanents, le soutien à l’organisation des réunions des
1 Voir les décisions X/A2 et X/A5 avec annexes (2009).
2 La source est le rapport annuel de la CIPRA pour 2008, qui est disponible en ligne.
3 Citation tirée du point B, article 2, du statut du secrétariat.
4 Point C du statut.
5 Voir Convention alpine (2006-2011), «Rapport sur l’état des Alpes», Innsbruck-Bolzano, Secrétariat
permanent.
436

groupes de travail, des plates-formes et du groupe de vérification, ainsi que l’organisation de
quelques conférences ou séminaires. Plus particulièrement, le secrétariat représente un outil
précieux pour la préparation, distribution et archivage des documents officiels, y compris leur
traduction dans les quatre langues. En collaboration avec l’Autriche, qui est aussi dépositaire
de la convention, le secrétariat maintient les archives centrales au siège d’Innsbruck et des
archives électroniques, qui sont accessibles à toutes les délégations depuis 2005. Nous
n’avons pas connaissance d’un système de classification des documents selon leur degré de
confidentialité ou de critères qui règlent l’accès aux archives, bien que des parties aient intimé
au secrétariat et à d’autres pays l’ordre de ne pas octroyer l’accès aux archives électroniques
de façon indiscriminée.
A partir de notre description des organes de la Convention alpine, nous avons donc
reconstruit le tableau d’organisation ci-dessous. On y voit représentées les relations
hiérarchiques entre la Conférence alpine et le Comité permanent et entre celui-ci et les
groupes de travail. On retrouve aussi le rôle ancillaire du Secrétariat permanent, qui soutient
les travaux. Dans notre tableau, nous avons aussi distingué les organes selon le niveau des
chefs de délégation. On voit donc que le Comité permanent et les groupes de travail ont lieu
entre dirigeants et fonctionnaires ou experts, respectivement. En même temps, on s’aperçoit
aussi du fait que, si la Conférence alpine a lieu au niveau ministériel, la tête du Secrétariat
permanent n’est pas au même niveau. On verra que la Convention alpine n’est pas la seule à
se retrouver dans cette situation, ce qui nous permet d’explorer des hypothèses sur le rôle de
l’état dans les organisations internationales.
437

Figure 26 : Tableau d’organisation de la Convention alpine. 1
La pyramide à l’envers et le retour de l’état
Dans les pages qui précèdent, en réfléchissant aux différents types de tableaux
d’organisation et de la dynamique normative de la Convention alpine, nous avons formulé
l’hypothèse que la structure organisationnelle de la convention pourrait être représentée par
une pyramide à l’envers, avec les états en haut et la convention en bas. Cela reviendrait à dire
que les états prélaveraient sur la convention, puisqu’ils seraient sa source de légitimité et que
les organes de la convention auraient une dimension inférieure à celle de l’ensemble des
organes pertinents des états. Afin d’examiner cette hypothèse, nous proposerons deux
approches. D’un côté, nous proposerons une expérience mentale et nous nous demanderons
quelles seraient les conséquences si la convention prévalait sur les états ; de l’autre, nous
changerons d’échelle et nous observerons si notre hypothèse tient au niveau du personnel. Si
les conséquences du prévaloir de la convention sur les états étaient absurdes et si les états
prévalaient sur la convention aussi au niveau du personnel, nous pourrions donc affirmer avec
plus de force que l’état se trouve dans une position dominante même dans un accord régional
1 Schéma établi par nous-mêmes sur la base des documents officiels de la Convention alpine et de l’expérience
directe de l’auteur. Les points focaux nationaux sont normalement des fonctionnaires. Certains points focaux
siègent aussi dans le comité de programme et dans les comités nationaux respectifs du Programme « espace
alpin » de l’UE, si bien qu’on pourrait considérer le comité de programme comme un quasi-organe de la
Convention alpine.
438

sur l’environnement comme la Convention alpine, c’est-à-dire là où on soupçonnerait un rôle
mineur des structures étatiques.
Imaginons que la Convention alpine se trouve dans une position dominante par rapport
aux parties contractantes. Dans un schéma à pyramide, la convention tirerait toujours sa
légitimité des parties et ne cesserait pas d’avoir une dimension inférieure à celle des états. Au
bout du compte, même le Secrétariat de l’ONU a un nombre de fonctionnaires équivalent à un
dixième du nombre de policiers en région parisienne 1 et la contribution de la France au budget
de l’Union européenne pour 2011 est plus de trois fois inférieure au seul budget du Ministère
de l’éducation nationale pour la même année. 2 Cependant, les normes de la Convention alpine
et des protocoles s’imposeraient systématiquement sur les dispositions des ordres juridiques
des parties contractantes, un peu comme les directives européennes s’imposent sur les lois
nationales dans le processus d’européanisation. 3 Qui plus est, les normes développées dans le
cadre de la convention seraient aussi une source d’inspiration pour les politiques publiques
des parties. Une autorité suffisante serait confiée à la Conférence alpine pour qu’elle puisse
élaborer des politiques publiques à l’échelle écorégionale. 4 Elle devrait posséder des outils
adaptés à la mise en œuvre de ces politiques, à l’instar d’instruments juridiques contraignants
et de ressources financières importantes, sans parler d’agents sur le territoire. 5 Si elle était en
1 Selon le site internet de l’ONU, le secrétariat emploie quelques 7 750 fonctionnaires (dernier accès : 18 août
2011), tandis que Le Figaro du 2 juin 2008 rapportait la présence de 77 476 policiers en région parisienne.
2 Selon le site internet de l’UE, la France est censée contribuer au budget de l’Union Européenne à la hauteur de
19,08 milliards d’euros contre les 61,91 milliards de budget de l’éducation nationale pour l’année 2011, selon le
site du Ministère du budget (dernier accès : 18 août 2011).
3 Sur l’européanisation de la politique étrangère des états, voir inter alia Reuben Wong (2005), «The
europeanization of foreign policy», dans International relations and the European Union, édité par Christopher
Hill et Michael Smith, Oxford, Oxford University Press.
4 Lire Franck Petiteville et Smith Andy (2006), «Analyser les politiques publiques internationales», Revue
française de science politique, vol. 56, n. 3.
5 Voir Charlotte Halpern et Patrick Le Galès (2011), «Pas d’action publique autonome sans instruments propres:
analyse comparée et longitudinale des politiques environnementales et urbaines de l’Union européenne», ibid.,
vol. 61, n. 1.
439

position supérieure par rapport aux parties, la conférence et les autres organes pourraient
imposer la volonté d’une majorité au moins qualifiée sur des parties récalcitrantes. En ayant
les moyens, elle devrait aussi pouvoir faire respecter ses décisions et être appelée à le faire.
De plus, le leadership de la Convention alpine – le président de la Conférence alpine ou le
secrétaire général – devrait être d’un niveau politique supérieur à celui des chefs de délégation
des parties, comme par exemple un ancien ministre ou premier ministre.
On voit clairement que ce n’est pas le cas. On a vu que les normes de la Convention
alpine et des protocoles tirent souvent leur inspiration des parties contractantes et non pas le
contraire. On ne trouve aucune trace d’élaboration de politiques publiques à l’échelle
écorégionale dans le cadre de la convention. L’élaboration de la Stratégie macrorégionale
pour les Alpes en cours a lieu au-dehors de la Convention alpine. 1 Les seuls instruments
juridiques contraignants de la Convention alpine sont les protocoles, mais de toute évidence
ils ne possèdent pas l’agilité et le dynamisme nécessaire à la mise en œuvre de politiques de la
montagne qui puissent s’imposer sur les normes nationales ou régionales. Sans parler de
ressources financières. On a vu que le budget du secrétariat est inférieur à celui de la CIPRA,
mais on a aussi vu comment le Programme « espace alpin », financièrement plus intéressant,
n’est lié à la convention que de manière indirecte. 2 Dans les organes de la Convention alpine,
même des majorités solides peinent à s’imposer aux parties en position isolée sur certaines
questions. De plus, le mécanisme de vérification est assez faible, même si le respect des
décisions est plutôt élevé, faute aussi de mesures fortes. 3 Enfin, même s’il s’agit d’une liste
non exhaustive des conséquences de l’hypothèse selon laquelle la convention prévaudrait sur
les parties, le leadership de la Convention alpine n’est certainement pas supérieur à celui des
1 Voir supra.
2 Voir la reconstruction historique supra.
3 Ce constat est en ligne avec les observations d’autres auteurs sur le respect des décisions et du droit
international en général. Voir notamment Aloysius P. Llamzon (2007), «Jurisdiction and compliance in recent
decisions of the International Court of Justice», European Journal of International Law, vol. 18, n. 5.
440

parties : le président de la conférence est normalement le ministre de l’environnement de l’une
des parties, un primus inter pares au même niveau que les chefs des autres délégations, tandis
que le secrétaire général est actuellement un ancien fonctionnaire de la Commission
européenne, à un niveau technique décidemment inférieur au niveau politique des ministres.
Cette expérience mentale nous permet pourtant d’exclure que la convention ne se trouve dans
une position supérieure aux parties.
Nous allons donc essayer de mieux comprendre le rapport entre les parties
contractantes et les organes de la Convention alpine. Pour cela, nous allons changer d’échelle,
en passant de celle des parties et des relations internationales à l’échelle du personnel. En fait,
ces rapports institutionnels sont aussi des relations humaines. Si, par exemple, les
représentants des états se retrouvaient au niveau humain dans une position d’infériorité par
rapport au personnel du secrétariat permanent ou de la présidence tournante, notre hypothèse
serait contredite par les faits. Nous allons donc nous intéresser au niveau des individus qui
participent aux réunions des différents organes de la convention. En jargon diplomatique, par
niveau, on entend la position occupée par les individus dans la hiérarchie institutionnelle. 1 La
distinction la plus courante se fait entre les niveaux politique (présidents, ministres,
parlementaires, etc.) et administratif. En principe, le niveau politique crée les normes et
l’administration les applique. Dans un contexte démocratique et républicain, la légitimité des
unes devrait dériver des élections, tandis que celle des autres devrait découler du mérite. En
pratique, les distinctions peuvent être moins nettes : par exemple, l’administration peut
influencer lourdement le processus normatif, un dirigeant avec vingt ans d’expérience dans le
même ministère peut peser davantage qu’un jeune ministre, un politicien peut être corrompu
et un bureaucrate peut rester dix ans à son poste sans produire de résultat. Au niveau
1 Voir Henry Kissinger (1994), Diplomacy, New York, Simon & Schuster; Guillaume Devin et Frédéric
Charillon (2002), «Les diplomaties de la politique étrangère», dans Politique étrangère: nouveaux regards, Paris,
Presses de Sciences Po; Yves Buchet de Neuilly (2009), «Devenir diplomate multilatéral: le sens pratique des
calculs appropriés», Cultures & conflits, n. 75.
441

administratif, on fait généralement la distinction – en ordre hiérarchique – entre dirigeants,
fonctionnaires et assistants 1 . Les experts travaillent sur commande (souvent comme
consultants). Ils peuvent être plus prisés que les dirigeants (pensez à un Prix Nobel) ou moins
importants que les assistants (pensez à certains techniciens), mais ils se colloquent
normalement entre les fonctionnaires et les assistants. Or, le niveau hiérarchique est un
attribut de position extrêmement important dans la Convention alpine : normalement, les
ministres ne participent aux réunions que si les autres ministres y participent, un ministre ne
négocie pas avec un fonctionnaire d’une autre partie et ne négocie avec un dirigeant que si
ceci est formellement délégué par son ministre, etc. De plus, bien que dans certains pays
comme l’Italie la fonction publique soit de jure indépendante du niveau politique, en pratique
un ministre ou un membre de son cabinet peut rendre la vie impossible à un dirigeant ou à un
fonctionnaire même ancien. 2 Sans parler des experts et des consultants qui peuvent être
remerciés du jour au lendemain ! Or, dans la plupart des états alpins, la fonction publique
n’est pas complètement indépendante et donc immune aux nominations et aux impositions du
niveau politique. 3
Afin d’étayer notre analyse, nous avons préparé le tableau ci-dessous, qui présente de
manière synthétique le niveau des participants aux 55 réunions de la Convention alpine et
d’autres processus internationaux comparables auxquels nous avons assisté entre 2006 et
2010. Malheureusement, pour certaines réunions, nous devons indiquer des estimations sur la
base de nos souvenirs. Cela découle du fait que, dans la phase initiale de la recherche, nous
n’avions pas encore défini nos hypothèses. Nous nous limitions donc à la récolte et au
classement de matériels et d’informations les plus divers. Cela étant dit, nous avons rassemblé
1 Dans le système de l’ONU, on parle de niveau D (dirigeant), P (professionnel) et G (soutien général).
22 Loi 15 mai 1997, n. 127 (snellimento dell’attività amministrativa e dei procedimenti di decisione e di controllo
ou Bassanini bis).
3 Voir inter alia Meryll David-Ismayil (2007), «La gestion des ressources humaines dans la fonction publique
internationale: l’impact des réformes en cours à l’UNESCO sur le principe d’indépendance», dans La GRH en
questions: une perspective internationale, édité par Stéphane Guerard et Philippe Pailot, Paris, L’Harmattan.
442

la liste des participants ou des documents comparables dans 36 cas, ce qui représente 65 % de
ces réunions.
Type Niveau Liste Date Lieu Délégation
Convention alpine
IXe Conférence alpine COP Ministres Oui 09/11/06 Alpbach, AT Italie
Xe Conférence alpine COP Ministres Oui 12/03/09 Evian. FR Italie
33e Comité permanent PrepCom Dirigeants Non 19/09/06 Innsbruck, AT Italie
34e Comité permanent PrepCom Dirigeants Non 06/11/06 Alpbach, AT Italie
35e Comité permanent PrepCom Dirigeants Non 02/05/07 Lanslebourg, FR Italie
36e Comité permanent PrepCom Dirigeants Non 22/10/07 Bolzano, IT Italie
38e Comité permanent PrepCom Dirigeants Oui 19/11/08 Innsbruck, AT Italie
39e Comité permanent (session spéciale) PrepCom Dirigeants Non 29/01/09 Paris, FR Italie
40e Comité permanent PrepCom Dirigeants Oui 12/03/09 Evian. FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » (définition mandat) Groupe Fonctionnaires Oui 15/03/07 Bolzano, IT Italie
8e Groupe de vérification Groupe Experts Non 23/03/07 Paris, FR Italie
Plateforme « réseau écologique » (première rencontre) Groupe Experts Oui 29/03/07 Munich, DE Italie
Groupe de travail « transports » Groupe Fonctionnaires Non 13/09/07 Paris, FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Fonctionnaires Oui 08/11/07 Saltrio, IT Italie
9e Groupe de vérification Groupe Fonctionnaires Oui 29/11/07 Paris, FR Italie
Groupe de travail « transports » Groupe Fonctionnaires Oui 07/02/08 Paris, FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Experts Non 07/04/08 Forte di Bard, IT Italie
Plateforme « réseau écologique » Groupe Experts Oui 16/04/08 Chambéry, FR Italie
10e Groupe de vérification Groupe Experts Non 28/04/08 Paris, FR Italie
Groupe de travail « transports » Groupe Experts Oui 01/10/08 Paris, FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Experts Non 12/02/09 Tirano, IT Italie
Groupe de travail « transports » Groupe Experts Non 24/04/09 Paris, FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Experts Oui 06/10/09 Turin, IT Italie
Rencontre bilatéral Convention alpine-UNESCO Groupe Fonctionnaires Oui 18/01/10 Paris, FR Italie
Groupe de travail « patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Experts Oui 12/04/10 Nice, FR Italie
Plateforme « Réseau écologique » Groupe Fonctionnaires Oui 21/09/10 Mikulov, CZ Italie
Groupe de travail « Patrimoine mondial de l’UNESCO » Groupe Experts Oui 07/10/10 Divača, SL Italie
Sous-groupe « mobilité douce » du groupe de travail « transport » Sous-groupe Experts Non 12/09/07 Paris, FR Italie
Sous-groupe « mobilité douce » du groupe de travail « transport » Sous-groupe Experts Non 06/02/08 Paris, FR Italie
Sous-groupe « mobilité douce » du groupe de travail « transport » Sous-groupe Experts Oui 15/04/08 Paris, FR Italie
Rencontre inaugurale ECONNECT Autre Experts Oui 02/09/08 Innsbruck, AT EURAC
Inauguration officielle ECONNECT Autre Fonctionnaires Non 04/11/08 Vienne, AT EURAC
Conférence AEM « innovation, croissance, emploi » Autre Autre Non 06/11/08 Toulouse, FR EURAC
Séminaire ECONNECT sur le cadre juridique des espaces protégés Autre Experts Oui 16/04/09 Domodossola, IT EURAC
Conférence ECONNECT sur la coopération transfrontalière entre espaces protégés Autre Fonctionnaires Oui 17/04/09 Domodossola, IT EURAC
Table de travail « Alpi Marittime et Mercantour » Autre Fonctionnaires Oui 29/04/09 Turin, IT MATTM
Rencontre ECONNECT sur les régions pilotes Autre Experts Oui 18/05/09 Zernez, CH MATTM
Convention des Carpates
2 e Conférence des parties (COP-2) COP Ministres Oui 17/06/08 Bucarest, RO EURAC
Groupe de travail « agriculture et développement rural et forestier durables » Groupe Experts Oui 22/11/07 San Vito di Cadore, IT EURAC
Groupe de travail « transport, infrastructure, industrie et énergie durables » Groupe Fonctionnaires Oui 11/12/07 Trieste, IT EURAC
Groupe de travail « tourisme durable » Groupe Fonctionnaires Oui 23/04/08 Cracovie, PL EURAC
Séminaire stratégique « aménagement du territoire » Groupe Fonctionnaires Oui 26/05/08 Vienne, AT EURAC
Rencontre inaugurale CADSES Autre Experts Oui 31/05/06 Vienne, AT EURAC
Rencontre CADSES des Work Package Leaders Autre Experts Oui 02/11/06 Bolzano, IT EURAC
Rencontre CADSES du Work Package 1 Autre Experts Oui 18/10/07 Bolzano, IT EURAC
Rencontre CADSES de tous les partenaires Autre Experts Oui 12/11/07 Xanthi, GR EURAC
ONU
7 e Conseil des droits de l’homme (CDH) COP Ministres Oui 03/03/08 Genève, CH ONG
COP-9 de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) COP Ministres Oui 29/05/08 Bonn, DE EURAC
COP-14 de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) COP Ministres Oui 01/12/08 Poznan, PL ONG
18 e Commission sur le développement durable (CDD) COP Ministres Oui 12/05/10 New York, US FAO
Autres
Consultation intergouvernementale sur les Balkans (SEEMORE) PrepCom Dirigeants Oui 03/11/06 Bolzano, IT EURAC
Rencontre des experts gouvernementaux sur le Caucase PrepCom Dirigeants Non 28/04/09 Bolzano, IT EURAC
Biennale Expo Alpi 365 Autre Experts Non 04/10/07 Vienne, AT PNUE
Rencontre de la Policy and Law Initiative du Partenariat international pour la montagne Autre Autre Non 01/01/08 Santander, ES EURAC
Conférence « nos montagnes entre paysage culturel et naturel » Autre Experts Non 13/09/08 Malesco, IT MATTM
Tableau 11 : Niveau de participation aux réunions auxquelles nous avons participé. 1
Le tableau ci-dessus montre clairement que les Conférences des parties (COP) comme la
Conférence alpine ont systématiquement lieu au niveau ministériel, que les Comités
préparatoires (PrepCom) comme le Comité permanent ont lieu au niveau dirigeant et que les
groupes et sous-groupes de travail ont lieu au niveau des fonctionnaires et des experts. On voit
1 Classées par organisation internationale et par type de réunion (conférence des parties, comité préparatoire,
groupe de travail, etc.).
443

ien que ce n’est pas le cas seulement dans le contexte de la Convention alpine, mais aussi
dans celui d’autres processus internationaux sur la montagne, mais pas seulement.
Si nous comparons maintenant les niveaux des réunions de la Convention alpine avec
le niveau du personnel du Secrétariat permanent 1 , nous nous apercevons du fait que celui-ci
manque du niveau politique, en se limitant au personnel administratif. Il faut rappeler que,
avant d’être nommé secrétaire général de la convention, Marco Onida (secrétaire général
depuis 2006) était fonctionnaire de la Commission européenne, plus précisément il était
administrateur principal du bureau italien de l’unité pour les infractions à la Direction
générale pour l’environnement, tandis que ses prédécesseurs, Ruggero Schleicher-Tappeser
(secrétaire de facto entre 2004 et 2006) et Noël Lebel (ad intérim entre 2002 et 2004), étaient
chargé des transports transalpins au Ministère des transports français et fondateur et directeur
d’un centre de recherche allemand 2 , respectivement. Sans légitimité populaire et
hiérarchiquement lointains du niveau politique, ceux qui assument et ont assumé les fonctions
de secrétaire général n’arrivent certainement pas au niveau des ministres qui représentent les
états lors de la Conférence alpine. Certes, le fait d’être nommé secrétaire a élevé leur statut :
par exemple, le secrétaire général peut être reçu par les ministres et il peut agir comme
médiateur entre les parties sur certains dossiers. Mais la situation de la Convention alpine
n’est pas différente de celle d’autres organisations internationales. Nous constatons en fait que
les secrétaires généraux et les directeurs exécutifs des organisations internationales ne sont
jamais à un niveau politique supérieur à celui des chefs de délégation des états membres : par
exemple, bien que les chefs de délégation à l’Assemblée générale de l’ONU soient souvent
des chefs d’état, Ban Ki-moon avant d’être nommé secrétaire général, était ministre des
affaires étrangères de la Corée du Sud ; bien que les chefs délégation aux Conférences des
parties de la CBD soient dans la plupart des cas des ministres, Ahmed Djoghlaf, avant d’être
1 Confronter avec l’organigramme supra.
2 L’ancien Institut pour les études régionales en Europe (EURES) de Freiburg.
444

choisi pour le poste de secrétaire exécutif, était directeur exécutif adjoint du PNUE, etc. Nous
avons donc représenté les relations entre les parties et les organes de la Convention alpine à
l’échelle du personnel dans le schéma ci-dessous. Notez bien que les observateurs (autres
organisations internationales, réseaux alpins, ONG, etc.) ne figurent pas dans ce schéma. Sur
la base de notre analyse de la dynamique normative de la convention et de nos observations
directes, nous avons en fait choisi de les considérer externes à la structure institutionnelle.
Ceci ne signifie pas qu’on ne puisse pas étudier le rapport avec la convention et leur apport au
processus. Or, il est clair qu’ils peuvent observer les travaux, mais qu’ils ne constituent pas la
convention. 1 Un signal de la position occupé par les observateurs est, par exemple, le fait que
les rapports sur les points à l’ordre du jour ne sont jamais préparés ou présentés par des
observateurs. 2
1 Sur les réseaux alpins, voir Cristina Del Biaggio (2009), «L’institutionnalisation de la région alpine à travers
l’étude de deux réseaux pan-alpins (Alliance dans les Alpes et Alparc)», Revue de géographie alpine, vol. 97, n.
2.
2 Qu’on sache, la seule exception a été la présentation de la soi-disant « Agenda de la recherche » lors de la
Conférence alpine d’Alpbach, qui a été délivrée par l’ISCAR. A ce propos, voir le document IX/10 (2006).
445

Figure 27 : Schéma détaillé (à l’échelle du personnel) de la Convention alpine : pyramide à l’envers. 1
Si le secrétariat permanent, en tant qu’organe commun, n’est pas dans une position
dominante par rapport aux parties, on pourrait formuler l’hypothèse qu’au moins la présidence
tournante de la Convention alpine et la Conférence ministérielle – en tant qu’organe collectif
– se trouvent à un niveau supérieur. Nous avons par exemple choisi d’utiliser les biennies de
présidence et les Conférences alpines comme unités chronologiques de base dans notre
reconstruction historique. 2 Bien que la présidence ait un rôle central dans le pilotage de la
convention, les présidents des réunions sont normalement au même niveau que les chefs de
délégation des autres parties. 3 Comme on l’a vu dans la reconstruction historique, les
présidences essaient d’imposer leurs priorités, mais il est fréquent qu’elles n’arrivent pas à le
faire, puisqu’elles doivent toujours recueillir le consensus des autres parties. Le président est
donc un primus inter pares et toute tentative d’imposition doit faire face à la résistance des
autres parties, comme dans le cas de la Task force « espaces protégés » ou de la question du
1 Schéma établi par nous-mêmes sur la base des documents officiels de la Convention alpine et de l’expérience
directe de l’auteur. A lire de gauche à droite : la partie bleue et jaune correspond aux parties (base), tandis que la
partie verte représente la convention (pointe). Les points focaux nationaux sont normalement des fonctionnaires.
2 Voir supra.
3 Sur le rôle des présidences tournantes dans l’Union européenne, voir également Tallberg, Leadership and
negotiation in the European Union.
446

Plan d’action sur le climat lors de la dernière présidence française. Par contre, représenter la
Conférence alpine et les autres organes collectifs à un niveau supérieur ne serait pas réaliste
non plus. Si elle l’était, ses décisions auraient, par exemple, un poids – factuel, non seulement
formel – au-delà de la convention.
En tant qu’actes d’une organisation internationale, les décisions de la Conférence
alpine ne produisent certes aucun effet juridique en-dehors du système conventionnel. 1 Par
exemple, elles ne prévalent pas sur les décrets issus par les mêmes ministres au niveau
national. De plus, en se limitant à la convention et aux protocoles, le groupe de vérification
n’a aucun mandat pour vérifier la mise en œuvre des décisions des organes de la convention. 2
En tant que normes internationales, même si elles représentent sans doute un standard de
comportement acceptable pour les parties contractantes, il est clair que les parties ne prennent
pas de décision qui change radicalement leur comportement, qu’elles sont conscientes que
toute décision est l’objet d’interprétation et peut être renversée lors de la prochaine conférence
et que, au bout du compte, les effets du non-respect des décisions on été jusqu’à ce jour
négligeables. En outre, on constate que, au fil du temps, la Conférence alpine se limite de plus
en plus à prendre acte des rapports des groupes de travail et à approuver leurs mandats, donc
les opportunités de contester les décisions des ministres sont objectivement limitées. 3
1 Voir inter alia Emmanuel Roucounas (1996), «L’application du droit dérivé des organisations internationales»,
dans L’intégration du droit international et communautaire dans l’ordre juridique national: étude de la pratique
en Europe, édité par Pierre Michel Eisemann, The Hague, Kluwer Law International.
2 La question de l’examen de la légitimité des actes est problématique pour les organisations internationales en
général, aussi pour ce qui concerne les tribunaux nationaux. Voir notamment August Reinisch, éd. (2011),
Challenging acts of international organizations before national courts, Oxford, Oxford University Press; Bernd
Martenczuk (1999), «The Security Council, the International Court and judicial review: what lessons from
Lockerbie?», European Journal of International Law, vol. 10, n. 3.
3 Comparer les procès-verbaux des conférences entre 1989 et 1994 en annexe et ceux entre 1996 et aujourd’hui
dans la Convention alpine (2003), Convention alpine: ouvrage de consultation, 1 e éd., Innsbruck, Secrétariat
permanent.
447

La Convention alpine se trouve donc dans la situation étrange où il y a un petit nombre
de « gouvernés », à savoir le personnel du secrétariat et les organes communs, et où ce sont
paradoxalement les gouvernés qui doivent avoir une confiance minimale en les
« gouvernants », à savoir les états. Il s’agit, d’un certain point de vue, du renversement de
l’élitisme sous-jacent aux lectures pyramidales des organisations internationales. 1 Il n’y a pas
de petite élite à Innsbruck, Bolzano ou ailleurs qui décide pour l’organisation. Il y a plutôt des
institutions communes au service des parties contractantes et une pluralité de décideurs
éparpillés dans les structures étatiques qui contribuent à façonner la convention. 2 Si le
secrétariat commet une erreur ou si le Comité permanent prend une décision malheureuse,
c’est la convention qui en souffre. Par contre, si un état prend une position néfaste pour la
Convention alpine, les conséquences pour l’état en question sont marginales. La convention
est une réalité périphérique et n’a pas beaucoup d’alternatives : dans la plupart des cas, elle
doit respecter les desiderata des parties si elle veut survivre. 3 L’état se trouve pourtant dans
une position dominante même dans la Convention alpine, qui est bien un instrument des états
alpins et non des régions ou des autres niveaux politiques ou territoriaux. Or, à partir de notre
analyse sur l’écorégionalisme, on s’attendait à ce que les structures étatiques jouent un rôle
mois central dans un accord régional sur l’environnement. Il serait donc intéressant d’explorer
systématiquement si notre hypothèse concernant la structure organisationnelle en pyramide à
l’envers est aussi applicable à d’autres organisations internationales à différents niveaux. Cela
dépasse les objectifs et les moyens de notre démarche scientifique, mais contribuerait –
comme nous avons essayé de le faire – au débat en cours sur la place de l’état face à la
mondialisation.
1 Sur la théorie des élites, voir supra.
2 Sur le pluralisme, voir encore supra.
3 Pour un raisonnement similaire dans un contexte différent, voir Carlos Escudé (1998), «An introduction to
peripheral realism and its implications for the interstate system: Argentina and the Condor II missile project»,
dans International relations theory and the Third World, édité par Stephanie G. Neuman, New York, St. Martin’s
Press.
448

La mondialisation est normalement définie comme « l’interdépendance économique
croissante de l’ensemble des pays du monde ». 1 Certains estiment que cette interdépendance,
qui ne se limite pas à la dimension économique, affaibli les états, au profit des entités sous ou
supra-étatiques, comme les régions ou l’Union européenne. 2 Comme on l’a déjà vu, d’autres
avancent des thèses comparables dans le domaine écologique, notamment en ce qui concerne
le soi-disant rééchelonnement des politiques. 3 La conscience croissante de notre
interdépendance écologique à l’échelle écosystémique et planétaire – non pas étatique – donne
l’illusion de l’affaiblissement de l’état. Sur la base de notre analyse, nous estimons que l’état
est tout sauf une espèce en voie de disparition. Il est fort probablement en train de se renforcer
par rapport à d’autres structures politiques, économiques, sociales et culturelles. On peut donc
parler d’un retour de l’état après trois décennies de dérégulation dominante. La crise
financière que le monde traverse depuis 2008 en est une preuve supplémentaire. 4 Malgré
l’antiétatisme affiché, ce sont les structures étatiques qui ont sorti les institutions financières
d’une crise profonde. Sans l’intervention des états, il est presque certain que nous aurions
assisté à l’effondrement des marchés et de notre société telle que nous la connaissons.
1 Citation du Fonds monétaire international tirée de Jean-Louis Mucchielli (2007), «Mondialisation», dans
Encyclopaedia Universalis. Voir, par exemple, Michael Hardt et Antonio Negri (2000), Empire, Cambridge,
MA, Harvard University Press; David Held et Anthony McGrew (2002), Governing globalization: power,
authority and global governance, Cambridge, Polity Press; James N. Rosenau (2003), Distant proximities:
dynamics beyond globalization, Princeton, NJ, Princeton University Press; Saskia Sassen (2006), Territory,
authority, rights: from medieval to global assemblages, Princeton, NJ, Princeton University Press.
2 Voir inter alia Jan-Aart Scholte (2005), Globalization: a critical introduction, New York, Palgrave, ch. 6.
3 Voir aussi Oran R. Young (2002), The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and
scale, Cambridge, MA, MIT Press; Thomas Gehring et Sebastian Oberthür (2008), «Global change: analyzing
scale and scaling in environmental governance», dans Institutions and environmental change: principal findings,
applications, and research frontiers, édité par Oran R. Young et al., Cambridge, MA, MIT Press; Roderick P.
Neumann (2009), «Political ecology: theorizing scale», Progress in Human Geography, vol. 33, n. 3; Liliana B.
Andonova et Ronald B. Mitchell (2010), «The rescaling of global environmental politics», Annual Review of
Environment and Resources, vol. 35.
4 Voir l’ouvrage provocateur Paul R. Krugman (2009), The return of depression economics and the crisis of
2008, New York, W.W. Norton & Company.
449

La crise écologique, qui menace la planète depuis le début de l’ère industrielle,
présuppose aussi qu’on engage une réaction forte. Ces dernières décennies, la littérature sur la
politique internationale de l’environnement a concentré son attention sur le rôle des
organisations internationales, des ONG, bref, de tout ce qui n’était pas l’état. 1 Dans la plupart
des cas, l’état est encore perçu davantage comme une cause que comme une solution à la crise
menaçante, vu la faillite de certaines politiques et les limites objectives de fonctionnement. A
travers une étude de cas détaillée, notre recherche contribue à remettre l’état au centre du
débat. Les défis écologiques auxquels nous devons faire face ne connaissent pas de frontières.
La coopération interétatique est donc nécessaire pour le futur de la planète. Ne pas prendre
l’état au sérieux dans cette démarche équivaudrait à ignorer un instrument fondamental à notre
disposition.
1 Voir supra.
450

REFLEXIONS CONCLUSIVES
L’état n’est donc pas une espèce en voie d’extinction. Il est plus vivant que jamais
même dans un accord régional sur l’environnement comme la Convention alpine. Nous
sommes arrivés à cette conclusion en contre-tendance par rapport aux derniers courants en
relations internationales après un long parcours. Cette réflexion a débuté, par un cadrage
théorique autour des écorégions et de l’écorégionalisme. En tant que fondement idéal de la
Convention alpine, le concept d’écorégion méritait d’être éviscéré : le lien entre la convention
et les autres accords régionaux sur l’environnement, d’un côté, et l’écorégionalisme en tant
qu’idéologie de l’écorégion, de l’autre, n’est souvent ni explicité ni compris. Nous avons
identifié une écorégion avec un territoire quand elle coïncide avec un élément géographique, à
l’instar d’un bassin fluvial, d’une mer, d’un lac ou encore d’un massif. A son tour, celui-ci
correspond normalement à un système écologique. Avec Andrew Hurrell, nous sommes
arrivés à la conclusion que la définition dépend souvent de la personne à qui on pose la
question 1 : les écologistes considèrent les caractères des différents royaumes ; les géographes
étudient les formes du paysage et des sociétés qui l’habitent ; les politologues s’intéressent
surtout aux identités locales et aux flux mondiaux. En particulier, une polarisation entre les
1 Voir Andrew Hurrell (1995), «Regionalism in theoretical perspective», dans Regionalism in world politics:
regional organization and international order, édité par Louise Fawcett et Andrew Hurrell, Oxford, Oxford
University Press, p. 38.
451

approches socio-économiques et écologiques au régionalisme a émergé de la littérature
scientifique. En explorant l’histoire de l’idée écorégionale et des accords régionaux sur
l’environnement, on a vu que l’écorégionalisme n’est pas un phénomène nouveau. Or, à ceux
qui critiquent son anhistoricisme et sa naïveté, nous avons répondu en dénonçant l’« a-
géographicité » des thèses qui ignorent la dimension écologique et territoriale. Le monde n’est
pas plat, il n’est pas un village et la territorialité n’est pas une cage. 1 A une lecture critique de
l’écorégion, nous avons donc fait suivre une perspective comparative entre la Convention
alpine en tant qu’accord régional sur l’environnement et la Communauté andine en tant que
processus d’intégration régional. Bien que toutes les deux soient des produits des capitales,
des différences importantes ont émergé : par exemple, les niveaux de diversité biologique, les
secteurs dominants, les tendances démographiques et les pratiques politiques. Malgré
l’orientation plus écologiste de la première et la plus grande institutionnalisation de la
deuxième, la Communauté andine a émergé comme un modèle alternatif d’accord régional
pour la montagne. Cette comparaison nous a donc permis de mettre en perspective
l’exemplarité de la Convention alpine – une expérience d’Amérique latine semble être plus
avancée (parlement, tribunal, obligatoriété des décisions, secrétariat avec cent unités de
personnel, etc.) – et son exceptionnalisme – il y a bien d’autres modèles pour la montagne (il
y a soixante-dix autres accords régionaux sur les fleuves et mers). On a donc rapproché la
convention aux autres organisations internationales.
Or, avant d’explorer la dynamique normative et la structuration institutionnelle de la
convention, une esquisse géopolitique nous a permis d’apprécier la grande variété des états
alpins pour position, dimension, morphologie, démographie, développement économique et
1 Pour des thèses contraires, voir Marshall McLuhan (1962), The Gutenberg galaxy: the making of typographic
man, 1 e éd., Toronto, University of Toronto Press; John Agnew (1994), «The territorial trap: the geographical
assumptions of international relations theory», Review of International Political Economy, vol. 1, n. 1; Thomas
L. Friedman (2005), The world is flat: a brief history of the twenty-first century, 1 e éd., New York, Farrar, Straus
and Giroux.
452

modèle politique. Il y a notamment une division entre Alpes germaniques au nord et Alpes
latines au sud et entre pays centralisés comme la France et fédéraux comme la Suisse, qui est
le seul état qui n’est pas membre de l’UE, ainsi que deux micro-états comme Monaco et le
Liechtenstein. Notre histoire de la genèse et de l’évolution de la Convention alpine a mis en
évidence des événements clés, en identifiant des tournants critiques. Pour résumer les
conclusions les plus remarquables par rapport à la littérature existante, dans la phase
constitutive entre 1952 et 1991, nous avons observé la transformation de la CIPRA d’une
organisation quasi-gouvernementale dans le cadre de l’UICN à une ONG écologiste. Nous
avons aussi accompagné le lecteur à travers la prolifération d’initiatives menées dans les
années 70, le rôle central du Conseil de l’Europe, la marginalité initiale de la CEE et du
PNUE et la faillite de la coopération au niveau régional. Surtout, nous avons constaté les
effets combinés de la professionnalisation de la CIPRA et la convergence avec les socialistes
de l’ASA et les alpinistes dans les années 80. Nous avons aussi redécouvert les racines anti-
européennes de la convention, qui visait à protéger les Alpes des effets pervers de
l’intégration économique, et nous avons souligné la grande différence entre le projet de la
CIPRA et la convention adoptée par les ministres. Par rapport à la période située entre 1991 et
2009, tout d’abord il y a eu une analyse du processus de négociations des protocoles jusqu’à
l’an 2000, qui a été suivie par une phase de renforcement institutionnel (secrétariat, groupe de
vérification, task force, etc.). Les présidences tournantes ont servi de repère pour notre cadre
analytique. Nous avons élucidé la résistance exercée de la part de la Suisse et de l’Autriche
dans la période initiale, mais aussi le rôle considérable joué par Berne pour imposer la
montagne sur l’agenda mondial. Notre attention a également été focalisée sur la perte
d’intérêts de Bruxelles pour la convention et sur le développement du Programme « espace
alpin », qui allait paradoxalement financer des activités de mise en œuvre. Nous avons aussi
reconstruit la question du siège et du choix du secrétaire général, ainsi que l’affaire des unités
de coordination mises à disposition de la convention par l’Italie et par la France. Le manque
453

de clarté sur ces questions a conduit à des lourds affrontements, qui ont dérangé les travaux
pour de longues périodes. De même, cette étude nous a permis d’analyser la baisse
d’engagements du niveau politique dans la convention, la perte de focus des dernières années
et les questionnements sur le futur.
Concernant la dynamique normative et la structuration institutionnelle de la
convention, nous sommes passés de l’analyse de l’écorégionalisme comme idéologie à l’étude
de l’écorégionalisation comme norme internationale. On a pu ainsi remarquer, comment l’état
joue la part du lion dans la négociation des normes, même dans un contexte comme celui des
accords régionaux sur l’environnement, qui répond à un idéal souvent anti-étatique. D’autres
acteurs, à l’instar des ONG, participent aux négociations, mais leur rôle apparaît relativement
marginal. Le taux d’acceptation des normes issues des ONG s’affiche autour de 35 %, tandis
que celui des normes issues des structures étatiques est d’environ 55 %. On a vu aussi que
seulement treize normes sur 98 ont été mises en circulation, pendant plus de vingt ans, avant
d’être incluses dans les textes normatifs. La maturité, la répétition et le consensus d’une
norme possèdent un impact remarquable sur son inclusion dans un accord international. Le
moment historique et les contextes régionaux et nationaux jouent aussi un rôle important dans
la production normative. On peut toutefois affirmer que trente-cinq normes sont
spécifiquement originaires de négociations intergouvernementales. Dans le débat récent sur le
poids des différents agents et structures dans l’émergence des normes internationales, on
rejoint donc Thomas Risse-Kappen en soutenant la thèse de la prédominance des agents et des
structures étatiques en relations internationales. 1 A partir du rôle de l’état dans le processus
normatif, des vérifications ont pu être faites concernant sa position à l’intérieur de la structure
institutionnelle de la Convention alpine. L’analyse des organes montre que considérer les états
dans une position secondaire porterait à des conclusions absurdes. Établis par nos soins sur la
1 Voir Thomas Risse-Kappen (1994), «Ideas do not fleet freely: transnational coalitions, domestic structures, and
the end of the cold war», International Organization, vol. 48, n. 2.
454

ase d’observations directes, l’étude des tableaux d’organisation de la Convention alpine à
l’échelle du personnel montre que le Secrétariat permanent manque de niveau politique et que
les bureaux des présidences tournantes et les instances communes en tant qu’organes
collectifs ne sont pas à un niveau supérieur par rapport à celui des représentants des autres
parties. Celle-ci apparait comme une propriété partagée par d’autres organisations
internationales. Cette analyse de la structuration institutionnelle de la convention consent donc
de confirmer que l’état se trouve bien dans une position prédominante. Il est donc possible de
représenter symboliquement cette relation entre la convention et les états en utilisant une
pyramide à l’envers.
Ce retour de l’état en Convention alpine est en ligne avec le retour observé, par
exemple, dans son intervention pour sortir les institutions financières de la crise profonde
qu’elles traversent depuis 2008 ou encore avec le printemps arabe. Ce sont bien les structures
étatiques qui sont visées par les manifestants, non pas pour détruire l’état, sinon pour les
substituer avec des structures étatiques plus légitimes. Le souhait est que ces structures
renouvelées produisent les changements sociaux que les manifestants s’attendent. A l’époque
de Facebook et de Twitter, d’Ikea et de Ryanair, c’est bien le processus de reproduction de
l’état qu’on observe à travers le monde. Un autre printemps nous attend pour faire face à la
crise écologique que nous connaissons. L’augmentation des risques naturels, la perte de la
diversité biologique, le dépassement des capacités porteuses, la désertification, la pollution
(notamment radioactive), nous forcent à réfléchir autour de moyens les plus appropriés pour
éviter que le genre humain ne soit lui-même inscrit sur la liste des espèces en voie
d’extinction. On estime que, ces dernières décennies, l’attention excessive donnée par les
spécialistes des relations internationales aux secrétariats des organisations internationales, aux
ONG, bref, à tout ce qui n’est pas l’état, a eu l’effet de faire oublier sa centralité en relations
internationales. A la lumière de notre recherche, nous estimons que cela représente une erreur
455

grave. Il faut remettre l’état au centre du débat. Il est un ingrédient de la solution à la crise
écologique. L’état est un instrument fondamental pour la transition vers la durabilité. 1
1 Voir encore Oran R. Young (2002), The institutional dimensions of environmental change: fit, interplay, and
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