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Dossier pédagogique de l'exposition Collector - Centre national des ...

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TAiRe LA VioLeNCe<br />

Renaud Auguste-dormeuil est l’auteur <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

photographies où l’on voit <strong>de</strong> petits point blancs sur un fond<br />

noir très envahissant. on pense à un ciel étoilé. on lit le titre<br />

<strong>de</strong> la série The Day Before - Star System. Ce que l’on pensait est<br />

confirmé, il s’agit bien d’étoiles. À regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus près le titre<br />

<strong>de</strong> chaque photo, on en apprend un peu plus.<br />

Ces images s’intitulent The Day before Guernica-April 25,<br />

1937-23:59, The day before dres<strong>de</strong>n-February 12, 1945-23:59<br />

(page 47), The Day before Hiroshima-August 5, 1945-23:59.<br />

Chacune d’elle est une reconstitution du ciel d’une ville,<br />

précisément à minuit moins une, la veille du jour où elle<br />

allait être bombardée. la ville espagnole <strong>de</strong> guernica, alors<br />

sous contrôle républicain, a subi les attaques <strong>de</strong>s avions<br />

allemands <strong>de</strong> la légion Condor accompagnés <strong>de</strong> quelques<br />

appareils italiens. trois jours plus tard, la ville tombait aux<br />

mains <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> franco à cause <strong>de</strong> l’intervention décisive<br />

<strong>de</strong> ses alliés hitler et mussolini. Ce n’est pas tant le nombre<br />

<strong>de</strong> victimes - environ un millier, voire moins – qui a fait <strong>de</strong><br />

guernica un symbole <strong>de</strong> la guerre civile espagnole, que l’écho<br />

inter<strong>national</strong> que cet événement a eu.<br />

C’est l’une <strong>de</strong>s premières fois où un bombar<strong>de</strong>ment d’une telle<br />

ampleur contre une ville sans défense a lieu. le rôle <strong>de</strong>s États<br />

fascistes y est clairement révélé. le tableau <strong>de</strong> picasso réalisé<br />

pour <strong>l'exposition</strong> Universelle <strong>de</strong> 1937 à paris a aussi contribué<br />

à faire connaître le sort <strong>de</strong> la ville basque.<br />

dres<strong>de</strong>, riche d’un superbe patrimoine artistique, avait, en<br />

1945, 600 000 habitants. <strong>de</strong> nombreux réfugiés s’étaient<br />

installés dans la ville lorsqu’elle a été bombardée par les<br />

alliés. Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> ses richesses<br />

artistiques sont alors réduites en cendres. la bombe atomique<br />

a été lancée à hiroshima par les etats-Unis afin <strong>de</strong> contraindre<br />

le Japon à capituler, il faudra cependant une <strong>de</strong>uxième bombe<br />

à nagasaki pour parvenir à cela. le choc est immense. Une<br />

seule bombe pouvait tuer et détruire bien plus que les milliers<br />

<strong>de</strong> tonnes déversées sur dres<strong>de</strong>.<br />

auguste-dormeuil ne nous montre rien <strong>de</strong> tout cela. il nous<br />

fait voir le ciel nocturne et calme qu’il y avait le jour précé<strong>de</strong>nt<br />

la catastrophe, alors que les habitants ne se doutaient en rien<br />

<strong>de</strong> l’horreur venue du ciel qui allait s’abattre sur eux. l’artiste<br />

a utilisé un logiciel qui reconstitue la voûte céleste à la date,<br />

à l’heure et au lieu que l’on choisit. « J'essaie <strong>de</strong> ne pas faire<br />

l'éloge <strong>de</strong> la violence <strong>de</strong> la guerre et <strong>de</strong> me placer du côté<br />

<strong>de</strong>s victimes. Ces voûtes montrent ce que les gens voyaient la<br />

veille <strong>de</strong> leur mort alors que d'autres avaient déjà décidé <strong>de</strong> les<br />

bombar<strong>de</strong>r 22 » nous dit le plasticien.<br />

Ces images sont peu i<strong>de</strong>ntifiables, ce ne sont donc pas <strong>de</strong>s<br />

photos prises le jour indiqué sur le cartel, ce ne sont pas <strong>de</strong>s<br />

documents d’archives. renaud auguste-dormeuil sollicite<br />

l’imagination du spectateur qui, en lisant la date, se met dans<br />

la peau d’un habitant <strong>de</strong> guernica ou d’hiroshima à ceci près<br />

que, lui, le spectateur, sait <strong>de</strong> quoi sera fait le len<strong>de</strong>main. C’est<br />

ce savoir qui fait prendre conscience <strong>de</strong> l’horreur.<br />

<strong>de</strong>nnis adams a adopté un parti pris un peu similaire à celui<br />

<strong>de</strong> l’artiste français. il se refuse aussi à représenter la tragédie<br />

mais il choisit <strong>de</strong> nous montrer l’après. le 11 septembre 2001,<br />

l’américain était chez lui, dans son appartement new-yorkais<br />

situé un peu au nord <strong>de</strong> manhattan et <strong>de</strong>s tours du World tra<strong>de</strong><br />

Center. dans les jours et les mois qui suivent, il photographie<br />

du toit <strong>de</strong> son immeuble les débris dans le ciel, <strong>de</strong>s sachets<br />

plastiques, <strong>de</strong>s journaux qui volent au gré du vent. Ces petits<br />

riens proviennent apparemment <strong>de</strong>s tours détruites. la série<br />

s’intitule Airborne qui signifie littéralement « porté par l’air ».<br />

<strong>de</strong>ux photos ont pour nom les gros titres <strong>de</strong>s journaux qui sont<br />

leur sujet. la démarche est plutôt ironique.<br />

en effet, l’une d’elles s’appelle Payback, c’est-à-dire « paiement<br />

en retour, » peut-être pour la politique américaine menée au<br />

moyen-orient. C’est du moins ce que laisse entendre l’œuvre,<br />

vu le contexte. He’s no terrorist nous dit paradoxalement le<br />

journal d’une autre photographie. le sac en plastique <strong>de</strong> la<br />

troisième œuvre, Patriot, est rouge comme le sang versé par<br />

le … patriote prêt à défendre son pays. <strong>de</strong>nnis adams n’offre<br />

aucune vision concrète du drame. il suggère qu’il a eu lieu.<br />

quelqu’un, aujourd’hui mort, a utilisé ce sachet, a lu ce journal.<br />

d’une certaine manière, ces objets, à travers le regard du<br />

photographe, sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s memento mori.<br />

Les artistes comme beaucoup sont sensibles à<br />

l’environnement dans lequel ils vivent. ils se font l’écho<br />

dans leurs œuvres <strong>de</strong>s problèmes qui affectent le mon<strong>de</strong> et<br />

l’humanité. La guerre et la violence se trouvent au cœur <strong>de</strong>s<br />

préoccupations <strong>de</strong>s plasticiens évoqués ci-<strong>de</strong>ssus. Chacun à<br />

sa manière a tenté <strong>de</strong> fabriquer une image du drame.<br />

la peinture d’erró fait surgir un film d’épouvante dans l’esprit<br />

du spectateur. les travaux <strong>de</strong> sophie ristelhueber, gianni<br />

motti et eric Bau<strong>de</strong>laire paraissent à première vue être <strong>de</strong>s<br />

« photographies » prises sur le vif. en réalité ce sont <strong>de</strong>s<br />

simulacres plus vrais que nature et qui fonctionnent <strong>de</strong><br />

manière autonome. ils nous amènent à nous interroger sur<br />

notre croyance en l’image, sur sa validité, sur les faits qu’elle<br />

dévoile, sur notre position en tant que citoyen du mon<strong>de</strong>. les<br />

photographies <strong>de</strong> renaud auguste-dormeuil et <strong>de</strong> <strong>de</strong>nnis<br />

adams sont plus allusives. leur sujet est parfaitement bénin :<br />

le ciel et ce que l’on y voit. lire leurs titres change du tout au<br />

tout la vision. les <strong>de</strong>ux photographes propulsent le spectateur<br />

dans la peau du témoin, impuissant mais plein <strong>de</strong> révolte et <strong>de</strong><br />

compassion.<br />

18 guillaume apollinaire, « l’adieu du cavalier », Calligrammes, 1918.<br />

19 Ce qui peut se traduire par : Colonne <strong>de</strong> fumée et <strong>de</strong> poussière après un tir<br />

<strong>de</strong> canon sur la colline au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> tetovo, environ 50 km au nor<strong>de</strong>st<br />

<strong>de</strong> skopje.<br />

20 Cité par e. launet dans « les faux-semblants <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire », Libération, 7<br />

septembre 2006<br />

21 eric Bau<strong>de</strong>laire dans une lettre adressée à agnès <strong>de</strong> gouvion saint-Cyr le 26<br />

septembre 2005.<br />

22 interview <strong>de</strong> renaud auguste-dormeuil réalisée par Catherine francblin<br />

et sébastien pluot consultable sur le site <strong>de</strong> la fondation d’entreprise ricard.<br />

http://www.fondation-entreprise-ricard.com/conferences/entretiens/art/dormeuil<br />

collector p49

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