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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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Il n’est que trop humain <strong>de</strong> choisir ceux-ci parmi les plus<br />

fortunés ou les mieux placés d’une parentèle qui pourront,<br />

plus tard, soutenir matériellement leur filleul – cela sans grand<br />

souci du sens chrétien <strong>de</strong> ce baptême (ou <strong>de</strong> cette entrée en<br />

chevalerie), et quand un parrain <strong>de</strong>vrait être un confort, si<br />

besoin était, dans le seul domaine <strong>de</strong> la foi.<br />

Aussi les adoubements furent-ils le plus souvent réservés,<br />

outre au père <strong>de</strong> l’adoubé, à <strong>de</strong> hauts seigneurs. De plus, et<br />

comme on le verra plus loin, la colée était souvent donnée sur<br />

les champs <strong>de</strong> bataille, les chefs <strong>de</strong> guerre – qui, au reste,<br />

étaient presque toujours <strong>de</strong> puissants princes – furent très<br />

souvent les officiants d’une entrée en chevalerie.<br />

Cet appel au prince comme officiant <strong>de</strong>vait confirmer<br />

celui-ci dans le bien-fondé <strong>de</strong> son opposition au libre<br />

recrutement <strong>de</strong> la chevalerie : puisque tout écuyer désirait<br />

avoir pour “parrain” un seigneur souverain, seuls les<br />

souverains pouvaient valablement adouber. Cette politique, si<br />

elle ne parvint pas, en fin <strong>de</strong> compte, à réserver aux seuls<br />

empereurs et rois le pouvoir <strong>de</strong> faire un chevalier (François 1 er<br />

fut adoubé par Bayard, après la bataille <strong>de</strong> Marignan en 1515,<br />

date qui peut marquer la fin <strong>de</strong> la chevalerie vivante), obtint<br />

cependant qu’aucun homme nouveau n’accédât à la chevalerie<br />

sans l’accord du prince.<br />

Nous ne reviendrons pas sur le “qui peut être fait<br />

chevalier ?”. Nous avons traité <strong>de</strong> cette question avec le<br />

chapitre du recrutement <strong>de</strong> la chevalerie. Répétons seulement<br />

que, en principe et jusqu’au XII ème siècle, tout chrétien mâle,<br />

en Europe occi<strong>de</strong>ntale, pouvait être adoubé, et quelle qu’ait<br />

été sa qualité sociale, mais que, au vrai, les chevaliers se<br />

recrutèrent presque toujours dans la classe militaire. A ce<br />

sujet, on se souviendra qu’il y a une différence à faire entre les<br />

soldats tenant une terre – on les dira fieffés ou chasés – et les<br />

simples hommes d’armes. S’ils furent égaux sur le seul plan<br />

chevaleresque, les premiers réussirent, peu à peu, à ce que leur<br />

postérité conservât les privilèges <strong>de</strong> leur état (la terre alors les<br />

anoblit), alors que les fils <strong>de</strong>s seconds, sans assise terrienne,<br />

retournèrent le plus souvent à l’obscurité.<br />

3. Le lieu et l’heure <strong>de</strong> l’adoubement. – Où adoubaiton<br />

? Cela aussi nous l’avons dit, pour le temps <strong>de</strong> paix : dans<br />

la cour d’honneur d’un château, sur une place, <strong>de</strong>vant le seuil<br />

d’une rési<strong>de</strong>nce princière, sur la grand-place d’une ville, ou<br />

l’herbe drue d’un pré. Quelquefois, pour donner plus d’éclat à<br />

la cérémonie, un dressait une estra<strong>de</strong> recouverte d’un riche<br />

tapis. Ainsi le bon peuple plus friand encore hier<br />

qu’aujourd’hui <strong>de</strong> cérémonies publiques, pouvait ne rien<br />

perdre du spectacle qu’il savait souvent suivi <strong>de</strong> largesses et<br />

<strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’officiant et <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s adoubés. Enfin, <strong>de</strong>s<br />

adoubements eurent lieu dans <strong>de</strong>s églises, sans doute à la<br />

prière d’écuyers d’une piété plus profon<strong>de</strong> que le commun.<br />

Pour le temps <strong>de</strong> guerre, le lieu <strong>de</strong> l’adoubement, on le<br />

<strong>de</strong>vine, était simplement le champ <strong>de</strong> bataille. La cérémonie,<br />

alors, était réduite à la remise <strong>de</strong> l’épée (qui était bénite si un<br />

prêtre se trouvait parmi les combattants, ce qui n’était pas<br />

exceptionnel) et à la colée. A travers les chansons <strong>de</strong> geste, il<br />

apparaît sans conteste que ces adoubements guerriers, qui<br />

retrouvaient toute l’ancienne pureté <strong>de</strong>s premiers<br />

adoubements, avaient la préférence <strong>de</strong>s soldats du Moyen Age<br />

héréditairement dressés à faire la guerre.<br />

Quand adoubait-on ? Pour le temps <strong>de</strong> guerre, c’était aussi<br />

bien avant le combat qu’après la victoire. Avant, pour<br />

encourager les nouveaux promus à se surpasser. Et il y a, là<strong>de</strong>ssus,<br />

un texte bien savoureux dans Froissart. Le roi Jean <strong>de</strong><br />

Portugal venait d’adouber, avant la rencontre d’Aljubarotta en<br />

1385, une soixantaine <strong>de</strong> chevaliers. Après les avoir placés au<br />

premier rang du front <strong>de</strong> bataille, il leur adressa ce discours<br />

qui est aussi un avertissement sans fard : - « Beaux seigneurs,<br />

l’ordre <strong>de</strong> la chevalerie est si noble et si haulte que nul bon<br />

10<br />

cœur ne doit penser, qui chevalier soit, à villonie, à ordure, ne<br />

à vilté ne couardise quelconque ; mais doit estre fier et hardy<br />

comme un lyon quand il a le bassinet en teste et il perchoit ses<br />

ennemis. Et pour tant que je vueil que aujourd’huy vous<br />

montrés prouesse là où il appartiendra <strong>de</strong> monstrer. Je vous<br />

envoie et ordonne tous au premier chief <strong>de</strong> bataille. Or faites<br />

tellement que vous y aiés honneur : car autrement vos<br />

esperons dorés ne seroient pas bien assis. » Ainsi, et pour le<br />

piètre résultat connu, fit-on quelque cinq cents chevaliers d’un<br />

seul coup avant que s’engageât la bataille d’Azincourt.<br />

Après la mêlée, et surtout du côté <strong>de</strong>s vainqueurs,<br />

l’adoubement était la récompense toute naturelle pour ceux<br />

<strong>de</strong>s écuyers qui s’y étaient vaillamment comportés.<br />

D’évi<strong>de</strong>nce, <strong>de</strong>s adoubements après une bataille heureuse<br />

étaient les plus glorieux et, pour cela, les plus recherchés. On<br />

sait, et nous l’avons noté plus haut, que François 1 er , celui que<br />

ses contemporains déjà surnommèrent le roi-chevalier, tint à<br />

cette consécration. Il fut adoubé sur le champ <strong>de</strong> bataille <strong>de</strong><br />

Marignan par un officiant exemplaire : Pierre du Terrail,<br />

chevalier, seigneur <strong>de</strong> Bayard. Bayard, mon amy, avait dit le<br />

roi, je veux aujourd’huy soye fait chevalier par vos mains,<br />

parce que celui qui a combattu à pied et à cheval, entre tous<br />

autres, est tenu et réputé le plus digne chevalier.<br />

Et pour le temps <strong>de</strong> paix ? Léon Gautier, qui a quelque<br />

peu outré le mysticisme <strong>de</strong>s chevaliers et <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> leur<br />

temps – gens <strong>de</strong> grand foi, certes, mais aussi gens du siècle –<br />

aurait voulu que les adoubements eussent été octroyés<br />

principalement lors <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s fêtes liturgiques <strong>de</strong> l’année :<br />

Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte et Saint-Jean d’été. Le<br />

très prolixe voir verbeux auteur <strong>de</strong> La chevalerie prétend que<br />

nos vieux poèmes l’ont autorisé a ainsi conclure. Dans la<br />

réalité, et plus humainement, l’heure choisie pour<br />

l’adoubement <strong>de</strong> toute une promotion d’écuyers fut le plus<br />

souvent, et tout simplement, celle d’un jour <strong>de</strong> fête. Fêtes<br />

religieuses, certes, mais aussi, et non moins fréquemment<br />

sinon plus, fêtes civiles. L’avènement d’un prince, son<br />

mariage, la naissance d’un héritier à la couronne, une victoire<br />

remportée en terre lointaine, la signature d’un traité <strong>de</strong> paix, la<br />

visite d’un souverain étranger étaient les occasions toutes<br />

naturelles d’adoubements collectifs qui mêlaient alors leurs<br />

réjouissances particulières à la commune frairie. Lacurne <strong>de</strong><br />

Sainte-Palaye, dans ses Mémoires sur l’ancienne chevalerie,<br />

rappelle que l’on adouba <strong>de</strong> la sorte, et généreusement, lors<br />

<strong>de</strong>s mariages <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux frères <strong>de</strong> saint Louis : Robert, marié en<br />

1238, et Alphonse en 1241.<br />

* *<br />

* *<br />

Encore une fois, nous ne saurions trop insister sur ce qu’il<br />

y a d’inévitablement schématique dans ce que nous venons<br />

d’écrire. L’entrée en chevalerie dont nous avons retracé la<br />

marche reste celle ordonnancée par un rituel qui restera<br />

toujours, peu ou prou, théorique. Jamais la chevalerie ne se<br />

plia à <strong>de</strong>s règles rigoureuses et qui, à n’être pas observées,<br />

auraient pu rendre un adoubement non vali<strong>de</strong>. Tout au<br />

contraire, le cérémonial <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers a varié au plaisir <strong>de</strong>s<br />

officiants et <strong>de</strong>s adoubés. Et l’on pourrait soutenir, sans être<br />

paradoxal, que chaque adoubement, chaque entrée en<br />

chevalerie a été, quant à sa forme, un fait unique.<br />

C’est que, et là aussi nous nous répétons, la chevalerie<br />

était avant tout un état d’âme. Ce qui comptait alors, ce qui<br />

était commun à tous les chevaliers – ou du moins l’eût dû être<br />

– était le contenu moral <strong>de</strong> l’engagement chevaleresque : la<br />

promesse faite, <strong>de</strong>vant Dieu et son représentant sur terre, le<br />

prêtre, <strong>de</strong> respecter, autant que le peut faire un homme<br />

pécheur et trop souvent faillible, le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la chevalerie.<br />

C’est <strong>de</strong> celui-ci qu’il convient donc <strong>de</strong> traiter maintenant, qui<br />

est au cœur <strong>de</strong> la chevalerie.

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