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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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l’institution chevaleresque. Rien n’empêchait un seigneur<br />

chevalier d’affranchir un serf avant <strong>de</strong> l’emmener se battre,<br />

puis si ce soldat improvisé en avait acquis le mérite, d’en faire<br />

un chevalier. Au reste, les chansons <strong>de</strong> geste rapportent<br />

plusieurs cas d’adoubements <strong>de</strong> serfs. Il y a dans Girard <strong>de</strong><br />

Roussillon (XII ème siècle), une plainte amère qui est aussi un<br />

aveu : Il ne trouve pas sa récompense celui qui fait chevalier<br />

le fils d’un vilain. Et si vilain ne veut dire, ici, que paysan sans<br />

entendre une condition serve (ce qui paraît bien douteux), dans<br />

Amis et Amiles (XIII ème siècle), ne voit-on pas <strong>de</strong>ux serfs à<br />

l’état indiscutable être armés chevaliers après avoir montré<br />

une exemplaire fidélité envers Amis atteint <strong>de</strong> ce mal qui<br />

terrorisa le Moyen Age, la lèpre. Qui plus est, la chevalerie,<br />

dans Berte aux grands pieds (secon<strong>de</strong> moitié du XIII ème<br />

siècle), est octroyée à <strong>de</strong>s bateleurs et à <strong>de</strong>s jongleurs, gens<br />

ignobles (au sens premier du mot) s’il en fut.<br />

Il faut donc admettre que la chevalerie, avant que les<br />

gouvernements se fussent préoccupés d’en restreindre le<br />

recrutement, resta, en théorie, ouverte à tous.<br />

2. Le recrutement réel. – En théorie. Dans la réalité, on doit<br />

bien constater que les adoubements <strong>de</strong> serfs ou même<br />

d’hommes libres qui ne fussent pas déjà <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

guerre restèrent l’exception. Le plus souvent, répétons-le, le<br />

nouveau chevalier sortira <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong>s soldats qui s’est<br />

formée dans le mon<strong>de</strong> féodal quand les envahisseurs germains<br />

s’installèrent dans leur conquête. Cette classe militaire, outre<br />

qu’elle ait été imposée par les circonstances ainsi que nous<br />

l’avons dit, répondait aussi à un goût <strong>de</strong>s Germains que nous<br />

ne saurions mieux appeler que le compagnonnage (goût qui<br />

s’est longtemps perpétué dans les armées prussiennes puis<br />

alleman<strong>de</strong>s et que l’on retrouve dans la fameuse chanson <strong>de</strong><br />

Uhland [1787-1862], Ich hatt einen Kemera<strong>de</strong>n). Chaque chef<br />

<strong>de</strong> tribu <strong>de</strong> l’ancienne Germanie, pour satisfaire à sa volonté<br />

<strong>de</strong> puissance, pour sa sûreté personnelle ou simplement pour<br />

paraître plus, s’entourait d’une troupe <strong>de</strong> soldats d’élite. Ces<br />

compagnons lui étaient unis autant par la fraternité <strong>de</strong>s<br />

champs <strong>de</strong> bataille que par le profit <strong>de</strong>s butins partagés. Quand<br />

ils eurent envahi toute l’Europe occi<strong>de</strong>ntale, les Germains<br />

conservèrent cette coutume : dans un mon<strong>de</strong> tout entier en<br />

<strong>de</strong>venir, une gar<strong>de</strong> fidèle et hardie était plus que jamais<br />

indispensable.<br />

Tout naturellement, les premiers chevaliers allèrent<br />

chercher ceux qui <strong>de</strong>viendraient leurs pairs par l’adoubement<br />

parmi les meilleurs soldats. Et d’autant plus volontiers que,<br />

employons le mot, ces gar<strong>de</strong>s du corps appartenaient presque<br />

toujours sinon à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s familles du moins à <strong>de</strong> vieilles<br />

races militaires. Notons encore que <strong>de</strong> ce compagnonnage<br />

sortira aussi, vers le XIII ème siècle, cette noblesse, organisée<br />

par les gouvernements, elle, dans quoi viendra se perdre et<br />

disparaître l’ancienne et libre chevalerie.<br />

Ainsi, au moment <strong>de</strong> sa parfaite expression, la chevalerie<br />

se recrute à peu près exclusivement parmi la classe <strong>de</strong>s soldats<br />

qui, du roi au petit seigneur sur son arrière-fief, entoure<br />

chaque chef du mon<strong>de</strong> féodal. Quant au recrutement <strong>de</strong> cette<br />

classe elle-même, nul doute qu’il dut se faire au hasard <strong>de</strong>s<br />

batailles et <strong>de</strong> leurs morts. Le très haut chevalier <strong>de</strong> l’an mil,<br />

dressé sur son lourd cheval <strong>de</strong> guerre, sa marque <strong>de</strong><br />

connaissance à la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa lance (cette marque qui, un<br />

siècle plus tard, allait <strong>de</strong>venir son blason) ne dut être plus<br />

d’une fois, en dépit <strong>de</strong> son orgueil et <strong>de</strong> sa présente gran<strong>de</strong>ur,<br />

que le petit-fils d’un rustaud aux gros bras qui, dans une mêlée<br />

haletante, avait, pour la plus gran<strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> son prince, frayé<br />

le chemin à la victoire à grands coups <strong>de</strong> hache ou <strong>de</strong> masse<br />

d’armes.<br />

6<br />

III. – L’apprentissage du chevalier<br />

Il tombe sous le sens que, dans le cas le plus général, on<br />

n’accédait pas à la chevalerie sans un apprentissage. Encore<br />

que très grossier, l’art militaire médiéval n’en <strong>de</strong>mandait pas<br />

moins quelques connaissances techniques (équitation, escrime<br />

à l’épée, au bâton et à la lance, etc.), sans compter celles,<br />

moins guerrières mais cependant indispensables au parfait<br />

chevalier, <strong>de</strong> la chasse (notamment <strong>de</strong> celle au faucon si<br />

importante alors) ou du savoir-vivre féodal.<br />

Le fils d’un membre <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong>s guerriers recevait<br />

cette formation soit auprès <strong>de</strong> son père qui tenait, pour son<br />

suzerain, un morceau <strong>de</strong> terre, soit, et cela surtout pour les<br />

puînés, auprès <strong>de</strong> ce suzerain lui-même. Et comme il a<br />

toujours été préférable <strong>de</strong> servir Dieu lui-même que l’un <strong>de</strong><br />

ses saints, ce sera vers le seigneur suprême, vers l’empereur<br />

ou le roi, que les héritiers <strong>de</strong>s guerriers iront, chaque fois que<br />

cela sera possible, faire leur classe <strong>de</strong> chevalier.<br />

Avoir un protecteur puissant était une nécessité autant<br />

politique qu’économique. Politique, cela s’entend d’évi<strong>de</strong>nce.<br />

Pour l’économique, il faut se souvenir que l’équipement du<br />

chevalier était une très lour<strong>de</strong> charge. Lentement, le<br />

combattant à <strong>de</strong>mi-nu <strong>de</strong>s forêts germaniques était <strong>de</strong>venu un<br />

cavalier bardé <strong>de</strong> fer. Le paquetage et l’armement <strong>de</strong> ce<br />

cavalier – ou <strong>de</strong> ce chevalier, le mot est le même –<br />

comprenaient, outre la monture, l’épée, la lance, le bouclier et<br />

les éperons, le heaume, le haubert, la cuirasse <strong>de</strong> l’homme et<br />

le caparaçon du cheval. Peu <strong>de</strong> guerriers pouvaient offrir cet<br />

équipement à leur <strong>de</strong>mi-douzaine <strong>de</strong> fils. Un riche parrain<br />

<strong>de</strong>vait donc y pourvoir. Ce <strong>de</strong>rnier, en outre, récompenserait<br />

peut-être ceux <strong>de</strong> ses “filleuls” restés à son service en leur<br />

donnant <strong>de</strong> belles terres en gar<strong>de</strong>, terres d’où, à leur tour, ils<br />

enverraient leurs propres enfants apprendre le dur métier <strong>de</strong><br />

chevalier auprès du fils <strong>de</strong> leur seigneur <strong>de</strong>venu maintenant<br />

maître et suzerain.<br />

Cependant, on l’a vu plus haut, un rejeton <strong>de</strong> la classe<br />

guerrière pouvait franchir toutes les étapes qui, <strong>de</strong> l’enfance,<br />

menaient à la chevalerie, en <strong>de</strong>meurant auprès <strong>de</strong> son père, et<br />

finir son apprentissage en recevant <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier les<br />

armes chevaleresques. Il n’apparaît pas, en fin <strong>de</strong> compte, que<br />

cette éducation totalement familiale air été très fréquente, sauf,<br />

peut-être, dans le cas <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> roi. Aussi est-ce le cours d’un<br />

apprentissage classique que nous allons suivre avec :<br />

1) Les premières armes ;<br />

2) Les écuyers ;<br />

3) La majorité chevaleresque.<br />

* *<br />

* *<br />

1. Les premières armes. – Sur le fief qu’il tient soit<br />

directement <strong>de</strong> l’empereur ou du roi, soit en vavasseur, le<br />

guerrier a laissé chacun <strong>de</strong> ses fils jusqu’à l’âge <strong>de</strong> 7 ans<br />

environ aux soins <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> la maison. Cet âge <strong>de</strong> raison<br />

venu, les garçons ont accompagné leur père dans la plupart <strong>de</strong><br />

ses activités, sauf la guerre qui, d’ailleurs, appelle presque<br />

toujours ce <strong>de</strong>rnier loin <strong>de</strong> son fief. Ainsi, peu à peu, les<br />

enfants ont reçu les premiers rudiments <strong>de</strong> l’équitation, <strong>de</strong><br />

l’escrime et <strong>de</strong> la chasse. Ils ai<strong>de</strong>nt déjà, dressés sur la pointe<br />

<strong>de</strong> leurs pieds, leur père à revêtir sa pesante armure <strong>de</strong> fer<br />

chaque fois que son suzerain lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> assistance. Ils ont,<br />

avec lui, pansé les chevaux. Maintenant, ils savent lancer vers<br />

le ciel, du haut <strong>de</strong> leur petit poing brandi, le faucon ébloui par<br />

le soleil.<br />

Cette première formation familiale durera quelque cinq<br />

ans. Chaque fois que l’un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> la maison atteindra sa<br />

douzième année, il faudra, à son père, lui trouver un

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