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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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civilisations laissèrent une place à l’individuel, le citoyen<br />

romain, l’humaniste <strong>de</strong> la Renaissance, l’honnête homme du<br />

siècle <strong>de</strong> Louis XIV et le gentleman <strong>de</strong> l’Europe victorienne<br />

ont été, ainsi et tour à tour, les hérauts <strong>de</strong> leur temps. Le<br />

chevalier, lui, a été celui du Moyen Age. A d’autres <strong>de</strong> dire si,<br />

<strong>de</strong> ce chevalier – chrétien et aventureux – aux gentlemen<br />

anglais ou anglomanes – conformistes et à l’égoïsme<br />

intelligent – l’homme a gagné ou perdu.<br />

2. Les Etats européens après la chevalerie. – Il est, ici, plus<br />

difficile <strong>de</strong> porter un jugement. Pour estimer, en effet, si<br />

l’institution chevaleresque a été bénéfique ou nuisible aux<br />

Etats, il convient d’abord <strong>de</strong> savoir ce que l’on est en droit<br />

d’attendre <strong>de</strong> ces mêmes Etats. Doivent-ils, fut-ce par un<br />

pression continue sur leur peuple et par une tension constante<br />

<strong>de</strong>s rouages <strong>de</strong> la nation, s’efforcer à toujours plus <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur ? N’ont-ils, au contraire, qu’à tout sacrifier aux<br />

hommes qui vivent entre leurs frontières, fût-ce leur existence<br />

même ? Ou, sagesse sans doute, ont-ils la lour<strong>de</strong> tâche <strong>de</strong><br />

tendre sans cesse vers un équilibre sans cesse menacé entre la<br />

gran<strong>de</strong>ur nationale et le simple bonheur personnel ?<br />

On peut cependant avancer que jusqu’à la fin du XIX ème<br />

siècle, le patriotisme, d’abord fidélité à une dynastie, puis<br />

nationalisme souvent étroit à l’image du jacobinisme mis à la<br />

mo<strong>de</strong> par la Révolution française, n’a été que rarement mis en<br />

discussion. A juger, donc, la chevalerie à l’échelle <strong>de</strong> ce seul<br />

amour national, il est difficile <strong>de</strong> ne la pas condamner. Et cela<br />

pour <strong>de</strong>ux raisons.<br />

En premier, et c’est l’évi<strong>de</strong>nce, parce que les Etats ont<br />

toujours à craindre les unions qui se nouent par-<strong>de</strong>ssus leurs<br />

frontières. Aussi ces Etats furent ou sont, peu ou prou, hostiles<br />

à une Eglise unie, à la maçonnerie, aux organismes<br />

internationaux du syndicalisme, à la haute finance sans<br />

attaches nationales et même à <strong>de</strong>s institutions mondiales<br />

comme la défunte S.D.N. ou la présente O.N.U. – hostiles<br />

jusqu’au jour, toutefois, où l’une <strong>de</strong> ces puissances apatri<strong>de</strong>s a<br />

su s’emparer du pouvoir effectif dans l’un <strong>de</strong> ces Etats. Alors<br />

celui-ci en accepte non seulement le joug mais ai<strong>de</strong> à<br />

l’exportation <strong>de</strong>s principes auxquels il se soumet désormais.<br />

Ainsi, pour la France, <strong>de</strong> la maçonnerie avant la guerre 1914-<br />

1918 ou, pour l’U.R.S.S., du syndicalisme international.<br />

Les Etats du Moyen Age, encore qu’incertains d’euxmêmes<br />

et par là moins ombrageux quant à leur souveraineté,<br />

ne pouvaient donc que se dresser contre la chevalerie,<br />

institution qu’il leur échappait d’être hors <strong>de</strong> leurs lois<br />

propres. En retour, et d’un mouvement en partie instinctif et<br />

insoupçonné d’elle-même, la chevalerie pourra prendre <strong>de</strong>s<br />

positions “anti-patriotiques” (c’est là, avec l’explosion <strong>de</strong>s<br />

ambitions les plus terrestres, l’explication <strong>de</strong> plus d’une<br />

révolte <strong>de</strong> la chevalerie et <strong>de</strong>s fieffés qui la composaient en<br />

gran<strong>de</strong> partie contre les souverains médiévaux) et freiner la<br />

marche <strong>de</strong>s gouvernements vers une domination totale <strong>de</strong> la<br />

vie <strong>de</strong>s nations. Par son christianisme, par sa fraternité<br />

militaire, la chevalerie était au-<strong>de</strong>ssus ou du moins en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong>s patries ; et être en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> celles-ci c’est peu ou<br />

beaucoup, être contre elles – même si on rend à César ce qui<br />

est dû à César.<br />

Il ne s’agit pas d’exagérer cette opposition latente ou<br />

ouverte <strong>de</strong> la chevalerie aux Etats. Aux siècles où la<br />

chevalerie connaît son apogée, les membres <strong>de</strong> l’institution<br />

chevaleresque vivaient davantage pour <strong>de</strong> grands coups d’épée<br />

et <strong>de</strong> belles prouesses que pour l’accomplissement <strong>de</strong> subtils<br />

<strong>de</strong>sseins politiques contre <strong>de</strong>s Etats encore précaires. Et, en<br />

second, si la chevalerie fut plus funeste qu’heureuse aux Etats,<br />

c’est tout justement par cet amour <strong>de</strong>s grands coups d’épée et<br />

<strong>de</strong> belles prouesses plus que par ses conspirations politiques.<br />

Faut-il ici, rappeler comment la chevalerie française perdit<br />

les premières gran<strong>de</strong>s batailles <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> cent ans ? Se<br />

22<br />

jeter inconsidérément mais avec furie contre l’ennemi, et<br />

contre tous les impératifs <strong>de</strong> la stratégie en même temps, était<br />

assez <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> chez les chevaliers. Le sacrifice inutile, voire<br />

nuisible, dès l’instant qu’il était héroïque enivrait ces<br />

combattants pour la gloire. On peut <strong>de</strong>viner un <strong>de</strong>rnier reflet<br />

<strong>de</strong> cette bravoure dans le geste aussi héroïque que malfaisant<br />

<strong>de</strong>s saint-cyriens <strong>de</strong> 1914 jurant, et tenant leur serment, <strong>de</strong><br />

monter à leur premier assaut en casoar et en gants blancs – en<br />

cible. On sait encore que ce goût <strong>de</strong> la prouesse excessive, du<br />

combat singulier où le champion veut dépasser un autre<br />

champion, fit perdre aux Croisés, alors divisés en clans, ce<br />

royaume chrétien du Proche-Orient dont nous nous souvenons<br />

aujourd’hui comme d’une somptueuse légen<strong>de</strong> rouge et or, un<br />

peu barbare, qu’accompagne la plainte d’une noria dans un<br />

jardin sur l’Oronte.<br />

Que si maintenant, on estime que les patries ne sont que<br />

<strong>de</strong>s obstacles à l’épanouissement <strong>de</strong> l’homme, la chevalerie,<br />

en ce qu’elle fut opposée à cet obstacle, peut être jugée d’autre<br />

sorte : frein, hier, à l’absolutisme <strong>de</strong>s nations, elle pourrait<br />

l’être <strong>de</strong>main encore, ce <strong>de</strong>main dont on nous enseigne qu’il<br />

doit se construire contre les patries. Mais ceci, sans doute, est<br />

une autre histoire, et dont la fin n’est pas pour <strong>de</strong>main.<br />

* *<br />

* *<br />

Ainsi, tout pesé aussi justement qu’un homme peut peser<br />

chaque moment <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s hommes, on doit admettre<br />

que la chevalerie a permis dans le Moyen Age, que se<br />

dégagent et s’imposent au tout venant les hommes les<br />

meilleurs. Non pas <strong>de</strong>s hommes parfaits, ce qui ne se peut pas,<br />

car l’achèvement humain n’est pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> ; et non pas,<br />

aussi, <strong>de</strong>s hommes meilleurs que ceux d’hier et moins bons<br />

que ceux <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, car l’homme est éternellement prisonnier<br />

<strong>de</strong> lui-même ; mais, ainsi qu’à chacune <strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> l’éternel<br />

retour <strong>de</strong> l’humanité, <strong>de</strong>s êtres qui ont été les symboles <strong>de</strong> ce<br />

que leur temps avait <strong>de</strong> préférable. Le chevalier est l’une <strong>de</strong><br />

ces hautes figures que l’histoire gar<strong>de</strong>, pour l’orgueil <strong>de</strong> tous<br />

les humains, dans son grand livre d’images.<br />

CHAPITRE IV<br />

<strong>LA</strong> PSEUDO-<strong>CHEVALERIE</strong><br />

CONTEMPORAINE<br />

I. – Les ordres contemporains dits chevaleresques<br />

La plus authentique chevalerie est morte avec le XV ème<br />

siècle. On peut cependant rencontrer et reconnaître quelques<br />

témoins <strong>de</strong> son existence jusqu’au commencement du XIX ème<br />

siècle. Puis l’émotion populaire, avec son désir bien puéril<br />

d’une totale égalité, qui souleva l’Europe entière <strong>de</strong> 1830 à<br />

1850 en balaya les <strong>de</strong>rnières traces. Pourtant aujourd’hui<br />

encore <strong>de</strong>s compagnies d’hommes d’origines fort différentes<br />

empruntent soit le vocabulaire soit quelques-uns <strong>de</strong>s rites <strong>de</strong><br />

l’institution disparue et paraissent, pour qui ne s’arrête qu’au<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s choses, perpétuer cette <strong>de</strong>rnière. De quoi s’agit-il<br />

au vrai ? En outre, la nostalgie sinon la tentation <strong>de</strong> ce qu’on<br />

peut appeler l’esprit chevaleresque poignent encore <strong>de</strong> jeunes<br />

hommes <strong>de</strong> notre temps. Et lesquels ? Pour répondre à cette<br />

double question, on peut examiner successivement :<br />

1. Les ordres dits chevaleresques contemporains ;

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