LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
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sérieux, <strong>de</strong>s frais <strong>de</strong> chancellerie. Facture est donc jointe. De<br />
tels diplômes se vendaient, il n’y a guère, quelque 1000 F.<br />
Ces ordres <strong>de</strong> fantaisie ou d’escroquerie se retrouvent<br />
dans tous les pays et même chez ceux où une constitution<br />
encore monarchique d’un côté ou totalement démocratique <strong>de</strong><br />
l’autre semblerait <strong>de</strong>voir interdire cette sorte <strong>de</strong> jeux ou <strong>de</strong><br />
voleries. Ils y naissent, prospèrent, dépérissent et meurent à la<br />
suite <strong>de</strong> la fortune <strong>de</strong> leur inventeur. Ils s’unissent, parfois,<br />
pour publier un annuaire, lancent une publication périodique à<br />
leur seule gloire, parviennent à faire parler d’eux dans la<br />
presse – et quelquefois <strong>de</strong>vant les tribunaux –, se déchirent<br />
dans <strong>de</strong>s querelles intérieures ou entrent en lutte les uns contre<br />
les autres (nous connaissons ainsi, en 1966, <strong>de</strong>ux ordres du<br />
Temple <strong>de</strong> Jérusalem aussi fantaisistes d’un que l’autre et qui<br />
se jettent réciproquement excommunication majeure et<br />
anathème à la tête) puis retombent dans l’obscurité jusqu’au<br />
jour où un nouvel aigrefin ou un autre illuminé suppute les<br />
bénéfices qu’il pourrait titrer, grâce à l’un d’eux, <strong>de</strong><br />
l’inguérissable naïveté <strong>de</strong> l’homme, ou rêve jusqu’à la<br />
déraison <strong>de</strong>vant leurs manteaux, leurs insignes et leurs<br />
“secrets”. Alors, ils renaissent.<br />
En exemple <strong>de</strong>s excès d’imagination où peut mener cette<br />
manie <strong>de</strong> chevalerie, nous citerons, extraits d’un ouvrage paru<br />
en 1952, les extravagantes “titulatures” que s’y octroient<br />
quelques pittoresques personnages qui, sans doute, payèrent<br />
au moins d’une souscription à ce recueil, l’honneur d’être<br />
inscrits dans cet Annuaire mondial <strong>de</strong> la chevalerie, un <strong>de</strong>s<br />
plus curieux documents sur la pseudo-chevalerie<br />
contemporaine. Sans doute, tout cela n’est qu’anecdotique.<br />
Ces notices, pourtant, convaincront le sceptique qui n’est pas<br />
prêt à croire, à seul ouï-dire, à tant <strong>de</strong> vanité déréglée ; elles<br />
reposeront en outre le lecteur <strong>de</strong> ce bien sévère essai sur la<br />
vieille institution chevaleresque, et ce sera là leur vrai mérite.<br />
Une précision encore : nous avons, dans les citations qui vont<br />
suivre, conservé toutes les majuscules dont les psychiatres<br />
assurent que, abusives, elles sont, dans l’écriture <strong>de</strong>s<br />
mégalomanes, un <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> leur mal-être.<br />
Ainsi, un bon bourgeois <strong>de</strong> l’Indre n’est pas moins, dans<br />
notre Annuaire, que Donat <strong>de</strong> Dévotion <strong>de</strong> 1 ère classe <strong>de</strong><br />
l’Ordre Souverain <strong>de</strong> Malte. Chevalier <strong>de</strong> l’Ordre Equestre du<br />
Saint-Sépulcre <strong>de</strong> Jérusalem. Chevalier <strong>de</strong> l’Ordre Militaire<br />
et Hospitalier <strong>de</strong> Saint-Lazare <strong>de</strong> Jérusalem. Officier<br />
d’Académie. Chevalier du Mérite Agricole. Officier du Nichan<br />
Iftickar. Croix d’or <strong>de</strong> Latran. Grand dignitaire <strong>de</strong> la<br />
Couronne <strong>de</strong> Charlemagne. Grand-Croix <strong>de</strong> Droit et<br />
d’Honneur du Sinaï. Membre d’honneur à vie <strong>de</strong> la Noble<br />
Association <strong>de</strong>s Chevaliers Pontificaux. Membre <strong>de</strong><br />
l’Académie du Centre. Membre <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Antiquaires<br />
<strong>de</strong> l’Ouest. Etc.<br />
Un autre “chevalier” mêle curieusement, à l’étalage <strong>de</strong> ses<br />
titres d’honneur, les noms d’ordres vrais ou faux avec <strong>de</strong>s<br />
qualifications tout bonnement professionnelles . Chevalier <strong>de</strong><br />
l’Ordre Equestre du Saint-Sépulcre <strong>de</strong> Jérusalem. Prési<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> l’International Chamber of the Radio Industry. Lieutenant-<br />
Général <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong>s Chevaliers du Sinaï. Prési<strong>de</strong>nt du<br />
S.N.G.M.R.. Vice-prési<strong>de</strong>nt du Comité France-Union<br />
Française. Administrateur <strong>de</strong> la Caisse <strong>de</strong> Retraite C.G.R.P.<br />
Membre du Comité Technique <strong>de</strong> l’Importation Electrique.<br />
Membre <strong>de</strong>s Commissions Paritaires <strong>de</strong> Lutte contre<br />
l’Inflation. Membre d’honneur à perpétuité et Membre du<br />
Conseil <strong>de</strong> la Noble Association <strong>de</strong>s Chevaliers Pontificaux.<br />
Cette surprenante litanie est suivie <strong>de</strong> cette précision qui, pour<br />
n’être pas d’ordre chevaleresque, montre assez bien la sorte<br />
d’illusion dont se bercent ici, dans une pratique quelque peu<br />
boiteuse du parler français, les rêveurs <strong>de</strong> la pseudo-chevalerie<br />
d’aujourd’hui : Dans son orthographe actuelle, la famille F…<br />
existait avant 847… Chacun sait pourtant que les noms <strong>de</strong><br />
famille, en France, ne se formèrent qu’à partir <strong>de</strong> la fin du<br />
24<br />
XIII ème siècle et que, en 847, il n’existait que <strong>de</strong>s prénoms<br />
quelquefois héréditaires dans certaines gran<strong>de</strong>s lignées<br />
franques.<br />
Mais un troisième personnage va plus haut dans les<br />
honneurs inventés. S’il ne s’avoue qu’une seule et mo<strong>de</strong>ste<br />
fois chevalier, il se fait gloire d’être par contre Baron (féodal),<br />
Comte du Saint-Empire (1520), Marquis (Bref <strong>de</strong> 1860),<br />
Prince (titre héréditaire à tous les <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes.<br />
Bref du 10 mars 1851), Chevalier <strong>de</strong> l’Ordre Occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong><br />
Saint-Michel. Mais il est vrai que ce baron comte, marquis,<br />
prince et chevalier est encore Altesse sérénissime, Grand<br />
d’Espagne, Prince Inka, Duc et Prince <strong>de</strong> Gusco et <strong>de</strong> Potosi.<br />
Ainsi, <strong>de</strong> même qu’authentique chevalerie et vraie noblesse<br />
s’allièrent dans le passé, pseudo-chevalerie et fausse noblesse<br />
s’unissent volontiers sinon toujours dans le présent.<br />
Dernier exemple <strong>de</strong> déraison chevaleresque, et qui montre<br />
que, à la ressemblance <strong>de</strong> la plus pure chevalerie, la<br />
chevalerie d’invention se veut internationale. Un aimable<br />
citoyen <strong>de</strong> Naples étale une magnifique carte <strong>de</strong> visite : Grand<br />
Maître <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong>s Chevaliers du Saint-Sauveur et <strong>de</strong><br />
Sainte Brigitte <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong>. Chevalier Grand Croix <strong>de</strong> l’Ordre<br />
<strong>de</strong> Saints Maurice et Lazare. Chevalier Grand Croix <strong>de</strong><br />
Justice <strong>de</strong> l’Ordre Militaire et Hospitalier <strong>de</strong> Saint-Lazare <strong>de</strong><br />
Jérusalem. Grand Collier <strong>de</strong> l’Ordre Souverain et Militaire du<br />
Temple <strong>de</strong> Jérusalem. Chevalier Grand-Croix <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong><br />
Saint-Jean <strong>de</strong> Jérusalem et du Danemark. Chevalier Grand-<br />
Croix <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong> la Croix <strong>de</strong> Constantin le Grand.<br />
Chevalier Grand-Croix <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong> (sic) Constantinien <strong>de</strong><br />
Saint-Georges. Décoré <strong>de</strong> plusieurs Grands-Croix d’Ordres<br />
<strong>de</strong> Chevalerie. Docteur h.c. en droit et philosophie ès-lettres.<br />
Crois <strong>de</strong> Latran. Croix Militaire Polonaise <strong>de</strong> 2 ème classe<br />
(campagne d’Italie1943-1945).<br />
Après avoir signalé qu’une secon<strong>de</strong> édition <strong>de</strong> ce<br />
merveilleux – dans le sens étymologique <strong>de</strong> terme – Annuaire<br />
mondial <strong>de</strong> la chevalerie serait en préparation, faut-il préciser<br />
que la vraie chevalerie n’est présente dans ces mauvaises ou<br />
ridicules affaires que pour y souffrir <strong>de</strong> cette grotesque ou<br />
malhonnête parodie.<br />
* *<br />
* *<br />
Il serait oiseux <strong>de</strong> dresser ici la liste <strong>de</strong>s ordres <strong>de</strong><br />
fantaisie ou d’escroquerie, et monotone <strong>de</strong> retracer l’histoire<br />
<strong>de</strong> chacun d’eux. Il apparaît suffisant <strong>de</strong> reprendre, dans ses<br />
plus gran<strong>de</strong>s lignes, celle <strong>de</strong> l’un d’eux, au <strong>de</strong>meurant<br />
exemplaire : l’ordre <strong>de</strong>s chevaliers hospitaliers <strong>de</strong> Saint-<br />
Lazare <strong>de</strong> Jérusalem, vulgairement ordre <strong>de</strong> Saint-Lazare.<br />
Exemplaire parce que, ordre très authentique mais<br />
définitivement aboli en 1831, il a été “rénové” par un très<br />
douteux personnage, connut <strong>de</strong>s heures équivoques puis, l’âge<br />
et une certaine réussite venus, s’est assagi jusqu’à être<br />
actuellement dirigé par <strong>de</strong> bonnes gens désormais prisonniers<br />
<strong>de</strong> leurs songes et <strong>de</strong> leurs mensonges.<br />
L’authentique ordre <strong>de</strong> Saint-Lazare, comme bien<br />
d’autres, naquit en Palestine, pendant les Croisa<strong>de</strong>s. Ordre<br />
obscur (on ne sait pas le nom <strong>de</strong> son créateur qui,<br />
évi<strong>de</strong>mment, n’est pas saint Lazare comme voudraient le<br />
croire les membres du prétendu ordre d’aujourd’hui), il fut<br />
d’abord uniquement religieux et ne semble s’être adjoint une<br />
milice que vers l’an 1200. Assez vite, Saint-Lazare perdit le<br />
peu d’importance qu’il avait dans la chrétienté et si bien que,<br />
en 1459, une bulle du pape Pie II essaya <strong>de</strong> le réunir à<br />
quelques autres <strong>de</strong> même état pour former la milice <strong>de</strong> Notre-<br />
Dame <strong>de</strong> Bethléem. Ce fut un échec. En 1489, nouvel avatar :<br />
bulle papale unissant l’ordre à celui <strong>de</strong> Saint-Jean <strong>de</strong><br />
Jérusalem ; opération sans beaucoup <strong>de</strong> succès non plus.<br />
Après <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s quelquefois pittoresques, la situation <strong>de</strong><br />
l’ordre <strong>de</strong> Saint-Lazare <strong>de</strong>vait se stabiliser au XVII ème siècle.