LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
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Sainte-Marie, qui, en 1718, publia les Dissertations<br />
historiques et critiques sur la chevalerie ancienne et mo<strong>de</strong>rne<br />
(bientôt suivi, en 1760, par J.-B. <strong>de</strong> Lacurne <strong>de</strong> Sainte-Palaye,<br />
auteur <strong>de</strong> Mémoires sur l’ancienne chevalerie). A moins qu’il<br />
faille tenir compte ici <strong>de</strong> cette photographie en négatif <strong>de</strong> la<br />
chevalerie qu’est L’ingénieux hidalgo don Quichotte le la<br />
Manche <strong>de</strong> Miguel <strong>de</strong> Cervantès.<br />
C’est pourtant avec ces textes et leurs informations que<br />
nous avons, avant d’en suivre les avatars, à définir la<br />
chevalerie. Elle est née, nous venons <strong>de</strong> le dire, <strong>de</strong> la rencontre<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux idéaux essentiellement opposés mais qu’elle tentera<br />
d’allier : la charité du chrétien et la force du guerrier. Elle<br />
s’est efforcée, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Eglise et <strong>de</strong>s grands moines<br />
conquérants d’alors, non point d’obtenir que la lame jamais ne<br />
sorte du fourreau du soldat (car la guerre aussi, pour l’Eglise,<br />
fait partie du lot <strong>de</strong> peines laissé aux hommes par le péché<br />
originel) mais <strong>de</strong> parvenir qu’elle n’en soit tirée que pour une<br />
œuvre <strong>de</strong> charité.<br />
Certes, et ainsi que toute chose humaine, les<br />
gouvernements, religieux comme civils, se servirent <strong>de</strong> la<br />
chevalerie pour <strong>de</strong>s fins politiques sans rapport avec ce grand<br />
rêve. Certes encore, les chevaliers eux-mêmes oublièrent<br />
souvent leur haut idéal, et plus d’un ne se fit adouber que pour<br />
satisfaire à un rite mondain sans qu’il se sentît pour cela tenu à<br />
moins <strong>de</strong> violence, à moins <strong>de</strong> cupidité, à moins <strong>de</strong> luxure. Il<br />
n’en reste pas moins que la chevalerie a été le co<strong>de</strong> d’honneur<br />
<strong>de</strong>s soldats du Moyen Age qui se voulaient meilleurs.<br />
Et comme le Moyen Age, par-<strong>de</strong>ssus ses abîmes d’ombre<br />
et avec ses éclatantes lueurs, est avant tout christianisme, il ne<br />
semble pas que l’on puisse donner <strong>de</strong> la chevalerie une autre<br />
définition que celle-ci : elle a été la fraternité <strong>de</strong>s soldats<br />
chrétiens, chacun appelé à la rejoindre par l’un <strong>de</strong> ses pairs et<br />
reconnu alors, comme tel, par tous.<br />
CHAPITRE PREMIER<br />
NAISSANCE DE <strong>LA</strong> <strong>CHEVALERIE</strong><br />
Dès la secon<strong>de</strong> moitié du XI ème siècle, <strong>de</strong>s textes se font<br />
<strong>de</strong> plus en plus nombreux où, sans autres commentaires, il est<br />
question <strong>de</strong> “faire” ou “d’ordonner” un chevalier. Ils<br />
témoignent ainsi d’un fait social : la chevalerie est désormais<br />
entrée dans les mœurs.<br />
D’où venait cette <strong>de</strong>rnière ? Nous le verrons en suivant<br />
successivement :<br />
1. L’initiation du guerrier germanique ;<br />
2. Le christianisme <strong>de</strong>vant la classe <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> guerre ;<br />
3. Un compromis entre le guerrier et le chrétien : le chevalier ;<br />
4. La chevalerie dans les Etats.<br />
I – L’initiation du guerrier germanique<br />
On doit à Tacite , au chapitre XIII <strong>de</strong> sa Germanie (De<br />
situ, moribus et populis Germaniœ libellus, 98 apr. J.-C.), un<br />
texte que tous les historiens <strong>de</strong> la chevalerie ont cité.<br />
L’annaliste latin y relate la cérémonie au cours <strong>de</strong> laquelle un<br />
adolescent, dans une tribu germanique, <strong>de</strong>venait un adulte,<br />
c’est-à-dire un guerrier.<br />
La scène, d’une assez brutale mais saisissante simplicité, a<br />
été souvent décrite. Au profond d’une <strong>de</strong> ces forêts sans<br />
limites qui couvraient la Germanie d’alors, les hommes libres<br />
d’une tribu (car seul l’homme libre a droit aux armes –<br />
l’esclave en est indigne) se sont rassemblés. Bouclier au bras,<br />
framée au poing, ils forment un cercle autour d’un jeune<br />
homme. Quel est l’âge <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ? Seize ou vingt ans ; en<br />
2<br />
tout cas, les anciens du clan ont reconnu que son apprentissage<br />
<strong>de</strong> guerrier était achevé – un ru<strong>de</strong> apprentissage – pendant<br />
lequel l’adolescent avait, à appeler les choses par leur nom,<br />
servi <strong>de</strong> valet d’armes et <strong>de</strong> chevaux à l’un <strong>de</strong>s puissants <strong>de</strong>s<br />
princes <strong>de</strong> la tribu.<br />
Le jeune homme se tient immobile au centre du cercle<br />
formé par les guerriers en armes. Seul. Ses cheveux rouges<br />
tombent en crinière sur son cou. Ses yeux sont <strong>de</strong> ce vert<br />
trouble du feuillage que le grand soleil païen illumine sans le<br />
percer, très haut au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête. Sur sa poitrine nue,<br />
quelques tatouages sacrés. C’est Seigfried au sortir <strong>de</strong><br />
l’enfance.<br />
Le chef <strong>de</strong> la tribu (ou le protecteur <strong>de</strong> l’adolescent, ou<br />
son père seulement s’il est d’un moindre rang) s’avance alors<br />
vers celui qui va recevoir l’initiation guerrière. Gravement, il<br />
lui tend, et la framée – cette javeline qui fut, avec la<br />
francisque, l’arme préférée <strong>de</strong>s Germains – et le bouclier rond.<br />
Sans doute un long cri rauque d’acclamation montait-il alors<br />
vers le faîte <strong>de</strong>s grands arbres. Et c’était tout. Désormais la<br />
tribu comprenait un combattant <strong>de</strong> plus, qui ne délaisserait<br />
jamais les armes reçues ce jour-là, insignes <strong>de</strong> sa dignité<br />
d’homme libre.<br />
Fort pertinemment, Tacite conclut : Telle est la robe virile<br />
<strong>de</strong> ces peuples ; tel est le premier honneur <strong>de</strong> leur jeunesse :<br />
Ante hoc domus pars vi<strong>de</strong>tur, mox rei publicae.<br />
Avant ce jour, un enfant dans la maison paternelle ;<br />
maintenant un homme dans la cité.<br />
Il n’est plus guère discuté, aujourd’hui, que la chevalerie<br />
se greffa sur ce très vieux rite germanique. Cependant nous<br />
rappellerons, en exemple <strong>de</strong> l’obscurité qui enveloppa<br />
longtemps les origines <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière, <strong>de</strong>ux thèses qui<br />
eurent quelques défenseurs :<br />
1) L’origine romaine ;<br />
2) L’origine arabe.<br />
1. L’origine romaine. – L’origine romaine <strong>de</strong> la chevalerie<br />
médiévale fut notamment soutenue par le P. Honoré <strong>de</strong> Sainte-<br />
Marie, qui crut reconnaître dans le fait chevaleresque un<br />
résidu <strong>de</strong> l’ancien ordre équestre <strong>de</strong>s Latins et, dans<br />
l’adoubement, un vestige <strong>de</strong> l’abandon, par l’adolescent, <strong>de</strong> la<br />
robe prétexte pour la robe virile. En outre, l’esprit <strong>de</strong> certaines<br />
coutumes militaires propres aux légionnaires <strong>de</strong> Rome se<br />
retrouverait dans quelques rites chevaleresques. Il suffit, pour<br />
réfuter cette vue <strong>de</strong> l’esprit, <strong>de</strong> comparer le cérémonial <strong>de</strong><br />
l’initiation germanique avec celui <strong>de</strong>s plus anciens<br />
adoubements connus. Il apparaît d’évi<strong>de</strong>nce que c’est le même<br />
rite <strong>de</strong> “passage”.<br />
2. L’origine arabe. – Quant à l’origine arabe, elle fut<br />
exposée, en particulier par Adalbert <strong>de</strong> Beaumont dans ses<br />
Recherches sur l’origine du blason et en particulier <strong>de</strong> la fleur<br />
<strong>de</strong> lis (1853). En gros, le raisonnement <strong>de</strong>s tenants <strong>de</strong> cette<br />
thèse était le suivant : qui dit chevalerie dit armoiries , qui dit<br />
armoiries dit Croisa<strong>de</strong>s et influence <strong>de</strong> la civilisation arabe sur<br />
celle <strong>de</strong> l’Europe occi<strong>de</strong>ntale ; et comme ce fut aux Arabes<br />
que les chevaliers empruntèrent une part <strong>de</strong> l’art héraldique –<br />
ce qui est exact – ce fut aussi à eux qu’ils empruntèrent l’idée<br />
chevaleresque. C’était seulement oublier que le blason ne prit<br />
forme qu’au XI ème siècle alors que la chevalerie, elle, naissait<br />
quand le guerrier barbare du VII ème siècle et du VIII ème siècle<br />
rencontra le christianisme sur la route <strong>de</strong> ses pillages.<br />
* *<br />
* *<br />
En effet, du fond <strong>de</strong> ce qui allait <strong>de</strong>venir l’Europe, parfois<br />
même <strong>de</strong>s steppes <strong>de</strong> l’Asie centrale, <strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s, tantôt