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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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presque toujours <strong>de</strong> l’engagement personnel à Dieu, à<br />

l’engagement collectif à un maître. Elle s’est laissée<br />

domestiquer.<br />

Parallèlement, et succès définitif <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong>s<br />

gouvernements, contre la chevalerie, les ordres<br />

chevaleresques, mêlant définitivement et contre l’esprit <strong>de</strong><br />

l’institution, noblesse et chevalerie, resserrèrent les limites <strong>de</strong><br />

leur recrutement. Pour être admis dans l’ordre <strong>de</strong>s Hospitaliers<br />

<strong>de</strong> Saint-Jean <strong>de</strong> Jérusalem, le postulant, dès la fin du XV ème<br />

siècle, et sauf rares exceptions, eut à faire la preuve <strong>de</strong> seize<br />

quartiers c’est-à-dire à établir que ses seize trisaïeuls<br />

appartenaient à la noblesse (il est vrai que, tout au moins en<br />

France, les juges d’armes <strong>de</strong> l’ordre fermaient assez<br />

facilement les yeux sur les “défauts <strong>de</strong> naissance”). Ne pouvait<br />

être reçu chevalier du Saint-Esprit que celui dont l’arrièregrand-père<br />

au moins possédait déjà la qualité noble. Plus<br />

encore : dans un ordre comme celui <strong>de</strong>s Hospitaliers <strong>de</strong> Saint-<br />

Jean, un véritable népotisme commanda bientôt aux<br />

admissions. On était chevalier d’oncle à neveu. Le maître d’un<br />

ordre chevaleresque, au XVIII ème siècle, a quelque chose d’un<br />

chef <strong>de</strong> clan si ce n’est d’un chef <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>.<br />

Domestiquée par les princes, stérilisée par elle-même dans<br />

son recrutement, la chevalerie, quand la Révolution française<br />

<strong>de</strong> 1789 ébranla toute l’Europe, n’était plus qu’un mot<br />

décoratif. Ce mot, en effet, la noblesse – phénomène social qui<br />

sera général dans la civilisation occi<strong>de</strong>ntale – l’avait peu à peu<br />

usurpé, avec celui d’écuyer qui lui aussi tenait à la chevalerie,<br />

pour en faire sa marque. D’abord état <strong>de</strong> fait, cette noblesse<br />

était <strong>de</strong>venue, sous la pression <strong>de</strong>s gouvernements soucieux <strong>de</strong><br />

la maîtriser, un état juridique. L’une <strong>de</strong>s obligations<br />

auxquelles se virent soumis ses membres était <strong>de</strong> porter en<br />

tout acte public les “qualifications nobles” : écuyer ou<br />

chevalier, le plus souvent. En France, par exemple, un <strong>Jacques</strong><br />

Bonhomme appartenant à la noblesse se qualifiera<br />

publiquement : <strong>Jacques</strong> Bonhomme, écuyer, ou <strong>Jacques</strong><br />

Bonhomme, chevalier. Et si bien que délaisser, continûment,<br />

les qualifications propres à la noblesse, était considéré, par<br />

ceux qui avaient à connaître <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong>s personnes, comme le<br />

signe d’un renoncement à l’état noble, à ses privilèges comme<br />

à ses <strong>de</strong>voirs.<br />

Cette attraction réciproque, et cette opposition aussi, entre<br />

la noblesse et la chevalerie – en fin <strong>de</strong> compte ce fut la<br />

noblesse qui absorba cette <strong>de</strong>rnière – s’expliquent à la fois par<br />

le contenu moral et les privilèges matériels qui furent ceux <strong>de</strong><br />

cette noblesse. Aussi convient-il <strong>de</strong> s’expliquer brièvement sur<br />

ce qu’a été, dans l’Europe occi<strong>de</strong>ntale, cette classe hors du<br />

commun que l’on appela en France le <strong>de</strong>uxième ordre, classe<br />

qui, à quelques particularismes nationaux près, connut dans le<br />

mon<strong>de</strong> chrétien européen un statut sensiblement i<strong>de</strong>ntique<br />

dans tous les Etats.<br />

En gros, l’on peut dire que la noblesse est née du fait que<br />

les hommes du haut Moyen Age puis les contemporains <strong>de</strong>s<br />

premiers Capétiens croyaient (ce qui reste vrai pour un<br />

catholique), et comme dans presque toutes les civilisations <strong>de</strong><br />

l’Antiquité, le pouvoir du chef une émanation et un don <strong>de</strong>s<br />

dieux ou <strong>de</strong> Dieu. Les maîtres <strong>de</strong>s tribus, les chefs <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

races, les princes <strong>de</strong>s Etats sont, sur la Terre, les délégués <strong>de</strong><br />

la puissance surnaturelle. Aussi ces princes seront-ils souvent<br />

<strong>de</strong>s thaumaturges ; et le sacre du roi <strong>de</strong> France, à Reims, est<br />

proche d’en faire l’oint du Seigneur.<br />

Mais dans le mon<strong>de</strong> qui émerge douloureusement <strong>de</strong><br />

l’effondrement <strong>de</strong> l’Empire romain, cette autorité ne peut être<br />

toute retenue dans les mains d’un seul. Pour résister au<br />

désordre venu à la fois <strong>de</strong> l’extérieur (les invasions) et <strong>de</strong><br />

l’intérieur (les guerres privées), le mon<strong>de</strong> féodal a émietté les<br />

Etats en petites circonscriptions (les fiefs) qui, vassales certes<br />

<strong>de</strong> l’empereur ou du roi, sont, dans la réalité, bien <strong>de</strong>s fois<br />

quasi autonomes. Sur ces territoires qu’il gouverne et défend,<br />

20<br />

le représentant du souverain a reçu délégation d’une part <strong>de</strong>s<br />

pouvoirs <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers. Il partage, en quelque sorte, la<br />

mission sacrée <strong>de</strong> son chef. Il tient donc, lui aussi et pour une<br />

part, sa qualité <strong>de</strong> Dieu. Autrement dit, il est d’une qualité<br />

extraordinaire.<br />

Qualité extraordinaire qui sera individuelle d’abord mais<br />

qui, lorsque les hommes <strong>de</strong> guerre eurent su rendre héréditaire<br />

leur état <strong>de</strong> tenancier d’un fief, qualité qui s’attachera non plus<br />

à l’individu mais à toute une famille. Et qualité dès lors<br />

héréditaire qui sera le fon<strong>de</strong>ment moral, la force première <strong>de</strong><br />

la noblesse et fera sa valeur spirituelle (cette noblesse ne sera<br />

discutée qu’autant que la civilisation européenne se<br />

désacralisera).<br />

Il était évi<strong>de</strong>nt que le chevalier, à la qualité, elle, par<br />

essence toute personnelle, aura, lui aussi, la tentation <strong>de</strong> rendre<br />

sa situation morale transmissible à ses enfants. Pour y parvenir<br />

– et, pratiquement, il y parviendra – il confondra volontiers<br />

noblesse et chevalerie, confusion que les princes non<br />

seulement accepteront mais encore ai<strong>de</strong>ront à s’installer. Si la<br />

chevalerie jouit d’un grand prestige dans le mon<strong>de</strong> féodal, la<br />

noblesse peu à peu, sut en acquérir aussi un très grand ; et qui,<br />

avec le XV ème siècle, sera sinon moralement du moins<br />

matériellement, supérieur à celui <strong>de</strong> la chevalerie.<br />

La noblesse, en effet, en compensation <strong>de</strong>s charges, tout<br />

d’abord presque uniquement militaires, qu’elle assumait, avait<br />

reçu <strong>de</strong> droits qui <strong>de</strong>vaient <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s privilèges. L’impôt du<br />

sang, a-t-on dit pour faire image, balançait l’impôt d’argent<br />

que l’homme <strong>de</strong> guerre (et le noble en était alors presque<br />

toujours un) n’avait pas à rendre. A côté <strong>de</strong> ces exemptions<br />

fiscales, la noblesse obtint <strong>de</strong>s passe-droits particuliers. Ceuxci<br />

firent que, quand les nations <strong>de</strong> l’Europe occi<strong>de</strong>ntale eurent<br />

pris forme au sortir du Moyen Age, les hautes charges <strong>de</strong>s<br />

Etats revenaient en fait, et souvent en droit, à la seule<br />

noblesse.<br />

Tout au contraire, le chevalier, en tant que chevalier, ne<br />

jouissait d’aucune prérogative. Si, sa vie durant et comme<br />

homme <strong>de</strong> guerre, il possédait <strong>de</strong>s droits et privilèges qui<br />

l’assimilaient à l’homme noble, il ne pouvait transmettre cette<br />

situation hors du commun à ceux <strong>de</strong> ses fils qui n’entreraient<br />

pas, à leur tour, en chevalerie. Aussi, là encore, le corps<br />

chevaleresque s’efforça, et parvint, à mêler intimement<br />

chevalerie et noblesse. Il n’est que trop humain, jugera le<br />

moraliste, <strong>de</strong> vouloir transmettre à sa postérité <strong>de</strong>s avantages<br />

durement acquis.<br />

(Nous nous permettons, sur le fait <strong>de</strong> noblesse si mal<br />

connu et sur quoi tant d’inexactitu<strong>de</strong>s, dans le blâme ou la<br />

louange, ont été commises, <strong>de</strong> renvoyer le lecteur à notre<br />

étu<strong>de</strong> parue dans cette collection : La noblesse. Nous<br />

ajouterons seulement ici que, très tôt, il se créa à côté <strong>de</strong> la<br />

noblesse militaire née <strong>de</strong> la possession <strong>de</strong>s fiefs, une noblesse<br />

que l’on pourrait dire civile, venue <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong>s hautes<br />

charges <strong>de</strong> justice et d’administration indispensables à la vie<br />

<strong>de</strong>s Etats. Mais là encore c’est la même démarche qui fit sortir<br />

<strong>de</strong> la condition commune ceux qui tinrent ces hauts emplois,<br />

puis leur famille : qui juge au nom du roi, qui administre au<br />

nom du prince est le délégué <strong>de</strong> ce roi et <strong>de</strong> ce prince euxmêmes<br />

délégués <strong>de</strong> Dieu ; il est donc d’une qualité hors <strong>de</strong><br />

tout venant, d’une qualité noble.)<br />

Ainsi, nourri pour une gran<strong>de</strong> part par la chevalerie qui<br />

trouvait son intérêt moral et matériel à le faire, le corps <strong>de</strong> la<br />

noblesse se distingua héréditairement du commun, sans doute<br />

d’un mouvement tout naturel mais abusivement il faut le<br />

reconnaître, par un terme qui était, puisqu’à l’origine propre à<br />

la chevalerie, l’expression d’une qualité strictement<br />

personnelle.<br />

Certes, tout le temps que la noblesse fut principalement<br />

militaire, cette usurpation pour exagérée qu’elle ait été<br />

conserva un semblant <strong>de</strong> justification. Sans connaître tout le

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