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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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défensives (qui au reste, mettaient souvent en jeu l’existence<br />

<strong>de</strong> royaumes chrétiens). Elle dut, enfin, subir les autres<br />

conflits, sauf à avoir elle-même une force militaire pour les<br />

réduire. Et non seulement les subir mais encore, avec un pape<br />

trop politique ou <strong>de</strong>s évêques mondainement ambitieux, les<br />

fomenter, y participer, voire les conduire. L’Eglise est aussi <strong>de</strong><br />

cette terre.<br />

Quoiqu’il en ait été, dans un long cheminement à travers<br />

ces interminables guerres privées qui désolèrent tout le Moyen<br />

Age, l’Eglise s’efforça, non sans réussite, d’adoucir la fureur<br />

guerrière que les peupla<strong>de</strong>s germaniques avaient apportées<br />

jusqu’aux rives <strong>de</strong> la Méditerranée. Aux moyens ordinaires<br />

que le droit canonique mettait à sa disposition pour la<br />

circonstance (excommunication, interdit, etc.), elle ajouta <strong>de</strong>s<br />

moyens extraordinaires et, en quelque sorte, spécialisés : la<br />

paix <strong>de</strong> Dieu (X ème siècle ; interdiction totale <strong>de</strong> guerres<br />

privées ; ce fut un échec), la trêve <strong>de</strong> Dieu (XI ème siècle ;<br />

interdiction temporaire – du samedi au lundi, puis étendue aux<br />

jeudi et vendredi, à tout l’Avent, à tout le Carême, aux<br />

gran<strong>de</strong>s fêtes et aux jours <strong>de</strong> foires – <strong>de</strong> ces mêmes guerres ;<br />

elle eut <strong>de</strong>s résultats très appréciables), et enfin, attaquant le<br />

mal dans son âme, la chevalerie.<br />

III. – Un compromis entre le guerrier<br />

et le chrétien : le chevalier<br />

Si la paix puis la trêve <strong>de</strong> Dieu furent en quelque sorte <strong>de</strong>s<br />

créations <strong>de</strong>s bureaux <strong>de</strong> la papauté (elles furent instaurées par<br />

<strong>de</strong>s conciles), la chevalerie, elle, naquit au hasard quand le<br />

christianisme, nous l’avons dit, rencontra en Europe cette<br />

classe <strong>de</strong>s soldats sortie <strong>de</strong>s anciens initiés <strong>de</strong>s tribus<br />

germaniques. Il reste, pour cela, bien périlleux <strong>de</strong> fixer cette<br />

date <strong>de</strong> naissance. Au mieux, puisque le plus le plus ancien<br />

cérémonial d’adoubement qui ait été conservé date <strong>de</strong> 950, et<br />

qu’il semble une compilation <strong>de</strong> textes plus anciens, peut-on<br />

admettre que la chevalerie dut se dégager lentement du rite <strong>de</strong><br />

la remise <strong>de</strong>s armes vers la fin du VIII ème siècle ou, si l’on<br />

veut, au cours du règne <strong>de</strong> Charlemagne.<br />

Ainsi, au cœur <strong>de</strong> ce que nous avons appelé le Moyen Age<br />

mais qui étaient alors les temps mo<strong>de</strong>rnes, un homme<br />

d’Eglise – qui fut-il ? évêque ? abbé d’une <strong>de</strong> ces puissantes<br />

abbayes seuls centres alors <strong>de</strong> civilisation ? simple clerc ? –<br />

pensa que faire intervenir Dieu dans l’antique coutume <strong>de</strong> la<br />

remise <strong>de</strong>s armes ai<strong>de</strong>rait au bon usage <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières. Peutêtre<br />

même ne fut-ce pas là l’aboutissement d’une pieuse<br />

méditation mais un geste tout naturel dans un temps où une foi<br />

vivante imprégnait chaque moment <strong>de</strong>s journées d’un homme,<br />

et dans ses actes les plus quotidiens. Nul doute alors – et<br />

même si cette démarche <strong>de</strong> l’esprit ne nous est plus guère<br />

compréhensible avec notre XX ème siècle désacralisé – que le<br />

possesseur <strong>de</strong> cette arme bénite ait eu, amour <strong>de</strong> Dieu et peur<br />

<strong>de</strong> l’Enfer mêlés, répugnance à en mésuser (peut-être pas<br />

chaque fois qu’il tira l’épée car la passion <strong>de</strong> la guerre et<br />

l’ivresse du sang versé mordaient toujours au cœur <strong>de</strong> ces<br />

néophytes qu’étaient encore, par exemple, les Francs <strong>de</strong> la<br />

Gaule, mais parfois, mais quelquefois – et c’était déjà<br />

beaucoup).<br />

Peu à peu cette bénédiction <strong>de</strong>s armes (essentiellement<br />

celle <strong>de</strong> l’épée) se fit plus fréquente. Elle <strong>de</strong>vint ainsi le rite<br />

primitif qui faisait, d’un soldat, un chevalier ; et le resta<br />

longtemps. La chevalerie fut accomplie quand elle se fut<br />

généralisée à travers toute l’Europe occi<strong>de</strong>ntale. Le chevalier<br />

est alors juridiquement, si ce mot n’est pas trop limitatif pour<br />

cerner une institution privée et coutumière, l’homme en<br />

principe sorti <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong>s soldats (mais pas<br />

obligatoirement) qui a reçu une double consécration :<br />

4<br />

– celle d’un soldat déjà chevalier (et le rite qui marque<br />

cette consécration est la colée et la remise <strong>de</strong> l’arme) ;<br />

– celle <strong>de</strong> l’Eglise (et le rite qui marque cette consécration<br />

est l’exposition <strong>de</strong> cette épée sur l’autel et sa<br />

bénédiction).<br />

Si donc, la création <strong>de</strong> l’institution chevaleresque ne fut pas,<br />

autant que les rares documents que nous possédons sur ses<br />

origines nous permettent d’en juger, un propos délibéré <strong>de</strong><br />

l’Eglise, il n’est pas douteux que celle-ci admit très vite<br />

l’importance <strong>de</strong> ce phénomène et sut le faire servir à ses fins.<br />

Ce faisant, elle appliquait une nouvelle fois une politique qui<br />

lui était, et lui reste, traditionnelle jusqu’à être en partie<br />

inconsciente chez elle : les forces qu’elle ne peut briser <strong>de</strong><br />

front, elle les pénètre, y substitue sa foi à leurs moteurs et,<br />

ainsi transformées, en use à son profit.<br />

C’est cette politique qui fit bâtir, par les premiers évêques,<br />

<strong>de</strong>s églises là où s’élevaient <strong>de</strong>s temples païens. C’est elle qui<br />

fit fixer au solstice d’hiver la naissance <strong>de</strong> Jésus-Christ<br />

(probablement venu au mon<strong>de</strong> en l’an 4/6 avant son ère et au<br />

commencement <strong>de</strong> l’automne), pour effacer par la naissance<br />

du Ré<strong>de</strong>mpteur jusqu’au souvenir <strong>de</strong>s saturnales et <strong>de</strong>s fêtes<br />

païennes du feu qui marquaient le retour <strong>de</strong> la lumière, c’està-dire<br />

le temps après lequel la nuit (cette nuit dont nous<br />

gardons encore la terreur ancestrale) reculerait désormais pas à<br />

pas <strong>de</strong>vant le jour. C’est toujours elle qui fit admettre par<br />

l’Eglise ces saints légendaires et guérisseurs tant appréciés du<br />

peuple jusqu’au moment où ce peuple les eut ou les aura<br />

oubliés. De cette politique, l’Eglise nous a encore donné un<br />

exemple récent, en 1955, quand elle a déplacé la fête<br />

solennelle <strong>de</strong> saint Joseph, protecteur du mon<strong>de</strong> du travail, du<br />

19 mars au 1 er mai alors que, pourtant, ce 1 er mai <strong>de</strong>s<br />

travailleurs est d’abord une création <strong>de</strong> combat <strong>de</strong>s syndicats<br />

ouvriers généralement hostiles à toute Eglise.<br />

Au VIII ème siècle, le christianisme, incapable <strong>de</strong> maîtriser<br />

et encore moins d’abolir par la seule décision d’un concile la<br />

barbare coutume <strong>de</strong> l’initiation guerrière que l’Europe avait<br />

héritée <strong>de</strong>s Germains, et donc d’en limiter toutes les<br />

sanglantes conséquences, s’introduisit, par une démarche qui<br />

lui était habituelle, dans cette initiation guerrière et la<br />

transforma lentement en une institution <strong>de</strong> plus en plus<br />

baignée par la foi <strong>de</strong> son Christ comme le montrera l’évolution<br />

<strong>de</strong>s cérémoniaux d’adoubement. De Siegfried, elle a fait<br />

Parsifal.<br />

IV. – La chevalerie dans les Etats<br />

Fruit encore âpre et épineux <strong>de</strong> l’aspiration à mieux faire<br />

– car il y a aussi une tentation du bien – <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s soldats<br />

isolés, la chevalerie bientôt animée par l’Eglise, avait encore à<br />

trouver sa place <strong>de</strong>vant le pouvoir civil. Celui-ci, quand<br />

l’institution chevaleresque prend son essor, est entièrement<br />

assis sur ce que nous avons appelé avec, tout justement, un<br />

esprit trop systématique, le système féodal. Tous les hommes,<br />

dans un même gouvernement (on ne peut guère dire Etat tant<br />

sont encore indécises les coutumes, les lois et les frontières),<br />

sont rendus solidaires les uns <strong>de</strong>s autres par <strong>de</strong>s liens<br />

d’allégeance, voire <strong>de</strong> dépendance, <strong>de</strong> personne à personne.<br />

Au roi qui dépend <strong>de</strong> Dieu (et ce n’est point, alors, une<br />

soumission d’apparences), les grands feudataires doivent la foi<br />

(c’est-à-dire une loyale fidélité dans leurs engagements) et<br />

l’hommage (c’est-à-dire la reconnaissance <strong>de</strong> ces engagements<br />

tant militaires que fiscaux), comme leurs barons, à leur tour<br />

les leur doivent. Et cette foi et cet hommage, <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré en<br />

<strong>de</strong>gré, l’homme <strong>de</strong> guerre tenant un médiocre arrière-fief, les<br />

rend à son suzerain immédiat. Au plus bas <strong>de</strong> cette échelle <strong>de</strong><br />

Jacob, le serf, sur la glèbe, n’est plus, lui, que le prisonnier <strong>de</strong>

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