La Suisse face à la Chine - une continuité impossible ... - SinOptic

Même si le Conseil fédéral rappelait donc le caractère provisoire des privilèges
remontant à 1918, il ne put masquer l'esprit dilatoire de sa déclaration et son désir de
maintenir le "statu quo", au moins jusqu'à la fin de la guerre, pour mieux protéger les
intérêts helvétiques.
Les privilèges liés à l'exterritorialité représentaient en effet un enjeu majeur pour les
Suisses en Chine. Ils permettaient aux ressortissants suisses de se soustraire à la
juridiction chinoise tout comme les ressortissants des puissances coloniales pouvaient le
faire. 30 Lorsqu'un Suisse était accusé par un autre Suisse ou par un Chinois, l'instance
judiciaire compétente était le tribunal consulaire suisse. Si le plaignant était un autre
étranger, le tribunal consulaire du pays du plaignant était compétent. Si enfin le plaignant
était un ressortissant suisse et l'accusé un citoyen chinois, le différend était jugé par un
tribunal mixte, où le juge chinois était aidé par un représentant de la Suisse, qui disposait
pratiquement d'un droit de veto, car son accord était nécessaire pour que le verdict soit
valable. 31
50
Suisse
Accusé
Etranger Chinois
Suisse TC suisse TC suisse T mixte
Plaignant Etranger TC étranger - -
Chinois TC suisse - -
Note : TC : tribunal consulaire ; T : tribunal
Toutefois, dès le début, les parties contractantes avaient considéré la juridiction
consulaire comme une structure provisoire liée à l'instabilité politique et au sousdéveloppement
du système judiciaire chinois par rapport à l'Etat de droit. Ces deux
problèmes résolus, elle n'aurait plus eu raison d'être. 32
Jusqu'à la moitié de 1945 et malgré la déclaration du 2 avril 1943, encore aucune
négociation sino-suisse avait eu lieu pour régler cette question de la renonciation aux
droits d'exterritorialité. Cette inactivité mit la Suisse dans une position presque solitaire
car la plupart des pays avait signé un accord à ce propos: la Suède et les Pays-Bas en
avril et mai 1945. Selon les informations disponibles à Berne, 33 le Portugal était le seul
autre pays ayant conservé ses privilèges et exerçant toujours une juridiction consulaire.
Or, suite à la rétrocession des droits d'exterritorialité par les différents pays, les
30 La déclaration annexée au traité de 1918 explique: "En ce qui concerne la juridiction consulaire, soit
les droits d'exterritorialité, les consuls suisses jouiront des mêmes droits qui sont ou pourront être
accordés aux agents consulaires de la nation la plus favorisée."; in RO, vol. 37, 1921, p. 68.
31 Sur le tribunal consulaire, voir AF E 2001(H) 1, Dubois H. (1978), pp. 54-55, Marchand M. (1947).
32 "Lorsque la Chine aura modifié son système judiciaire, la Suisse sera prête avec les autres puissances à
renoncer au droit de juridiction consulaire.", RO, vol. 37, 1921, p. 68.
33 La position de la France était ambiguë car le gouvernement de Vichy avait renoncé aux droits
d'exterritorialité, mais le gouvernement De Gaulle considérait les actes de Vichy comme nuls et nonadvenus.
Ainsi, en décembre 1945, un conflit éclata entre Paris et Chongqing à ce propos: qui exerçait la
juridiction sur les Français en Chine? Cf. PRO FO 371/53695.