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M. Jerome arriva ; je le reconnus tout de suite à la sévérité similaire de sa mise, et, après avoir échangé
une poignée de main, nous sortîmes de l’auberge. Durant quelques instants, alors que je contemplais la
scène vivante et pittoresque devant nous, j’eus l’impression d’être une présence spectrale assistant à de
joyeuses festivités ; il me semblait que, parmi tous ces paysans en habit de travail ou en tenue
campagnarde, nous offrions l’image de deux oiseaux de mauvais augure. De fait, ce fut manifestement
l’effet que notre soudaine apparition produisit sur la foule : quand nous traversâmes la place, nous eûmes
droit à des coups d’œil embarrassés tandis que les hommes se raidissaient à notre approche et
interrompaient leurs conversations en reculant légèrement pour nous laisser passer, au point que je finis
par me sentir malheureux d’être ainsi traité en paria, et immensément soulagé lorsque nous prîmes une
ruelle tranquille qui, m’indiqua M. Jerome, menait directement à l’église.
C’était un homme singulièrement petit – un mètre soixante-cinq tout au plus –, doté d’un remarquable
crâne chauve et bombé qui s’ornait à l’arrière d’un liséré de cheveux roux semblable à quelque ouvrage
de passementerie garnissant un abat-jour. Il pouvait avoir trente-cinq ans aussi bien que cinquante-sept, et
son formalisme s’accompagnait d’une expression neutre, presque fermée, qui ne donnait aucune indication
sur son tempérament, son humeur ou ses pensées. Il se montra courtois, professionnel et loquace, mais pas
le moins du monde amical. Il m’interrogea sur mon voyage, sur le confort de ma chambre à L’Armorial,
sur M. Bentley et le temps qu’il faisait à Londres, me donna le nom du prêtre qui devait officier, puis me
précisa le nombre de biens – environ une demi-douzaine – que Mme Drablow possédait en ville et dans
les environs immédiats. En même temps, il ne me disait rien – rien de personnel, rien de significatif ni
même d’intéressant.
« Je suppose qu’elle sera enterrée dans le cimetière de l’église ? », demandai-je.
M. Jerome me coula un regard de biais, et je remarquai qu’il avait de très grands yeux clairs,
légèrement protubérants, d’une nuance gris-bleu qui me rappela celle des œufs de mouette.
« En effet.
— Existe-t-il une concession familiale ? »
Il garda le silence quelques instants, se bornant à m’examiner avec attention, comme pour essayer de
découvrir s’il y avait un double sens à cette question aussi simple que directe. Enfin, il répondit : « Non.
Du moins… pas ici, pas dans ce cimetière.
— Ailleurs, alors ?
— Elle n’est… plus utilisée, expliqua-t-il après avoir pris le temps de réfléchir. L’endroit ne s’y prête
pas.
— Je crains de ne pas bien comprendre… »
Au même moment, je m’aperçus que nous approchions de grandes grilles en fer forgé bordées par deux
immenses ifs formant une voûte en surplomb ; l’église se situait derrière, au bout d’une allée rectiligne
particulièrement longue. Sur la droite se dressaient des pierres tombales, tandis que sur la gauche étaient
regroupés plusieurs bâtiments que je supposai abriter la salle paroissiale et – plus près de l’édifice du
culte – l’école, reconnaissable à la cloche fixée haut sur le mur et aux voix enfantines qui s’en
échappaient.
Alors que nous remontions l’allée à pas mesurés, je fus obligé de suspendre mon interrogatoire sur le
cimetière familial des Drablow et de me composer, à l’instar de M. Jerome, une expression chagrine de
circonstance. Parvenus sous le porche, nous restâmes seuls tous les deux pendant environ cinq minutes
qui me parurent beaucoup plus longues, à attendre que le corbillard s’arrêtât devant les grilles et que le
prêtre sortît nous rejoindre. Puis, en sa compagnie, nous regardâmes avancer lentement vers nous le
cortège lugubre des employés des pompes funèbres portant le cercueil de Mme Drablow.
La brièveté de l’office ajouta encore au caractère mélancolique d’un événement réunissant si peu de
monde dans une église glaciale, et je frissonnai en songeant combien il était triste que la fin d’une vie
humaine – de la naissance à l’enfance, puis de la maturité au grand âge – ne fût point saluée par des