25.06.2013 Views

Télécharger ce livre au format PDF - Index of

Télécharger ce livre au format PDF - Index of

Télécharger ce livre au format PDF - Index of

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

ciel noir dégagé.<br />

Ma tête était lourde, ma bouche pâteuse et desséchée, mes membres raides. J’avais dormi quelques<br />

minutes ou peut-être plusieurs heures ; j’avais complètement perdu la notion du temps. Je me redressai à<br />

grand-peine, avant de comprendre que la sonnerie ne faisait pas partie de mon c<strong>au</strong>chemar chaotique :<br />

c’était un bruit bien réel qui se répercutait dans toute la maison. Il y avait quelqu’un à la porte.<br />

Alors que je sortais du salon pour me diriger vers le vestibule, luttant pour conserver mon équilibre<br />

tant mes jambes et mes pieds étaient engourdis par la position inconfortable que j’avais dû adopter sur le<br />

s<strong>of</strong>a, je me remémorai peu à peu <strong>ce</strong> qu’il s’était passé, en particulier – et <strong>ce</strong> seul souvenir m’emplit<br />

d’horreur – l’épisode de la carriole transportant l’enfant que j’avais entendu crier dans les marais.<br />

Quelqu’un avait dû aper<strong>ce</strong>voir les lumières malgré le brouillard, finalement, pensai-je <strong>au</strong> moment<br />

d’ouvrir la porte, galvanisé par l’espoir insensé de découvrir sur le seuil un groupe de s<strong>au</strong>veteurs – de<br />

solides gaillards capables de prendre les choses en main, qui s<strong>au</strong>raient quoi faire et, surtout, qui<br />

m’emmèneraient loin de <strong>ce</strong>t endroit.<br />

Or un seul homme se tenait dans l’allée de gravier, baigné par la lumière en provenan<strong>ce</strong> du vestibule et<br />

la clarté de la pleine lune : Keckwick. Je distinguai également la carriole derrière lui. Cocher, voiture,<br />

poney – tout avait l’air parfaitement normal, réel, intact. L’air était limpide et froid, le ciel constellé<br />

d’étoiles. Les marais, calmes et silencieux, se paraient de reflets argentés. Il ne subsistait plus <strong>au</strong>cune<br />

tra<strong>ce</strong> de brume ni de nuage, pas même une touche d’humidité. Le paysage avait tellement changé que<br />

j’<strong>au</strong>rais pu tout <strong>au</strong>ssi bien renaître dans un <strong>au</strong>tre monde <strong>au</strong> terme d’un rêve enfiévré.<br />

« Quand y a du brouillard, f<strong>au</strong>t attendre que ça se dégage. On peut pas traverser par un temps pareil,<br />

déclara Keckwick d’un ton neutre. Z’avez pas eu de chan<strong>ce</strong>, c’est sûr. »<br />

Il me semblait que ma langue était collée à mon palais, que mes genoux allaient céder sous mon poids.<br />

« Ah, et après, f<strong>au</strong>t attendre <strong>au</strong>ssi le reflux. » Il regarda <strong>au</strong>tour de lui. « C’est pas commode d’accès,<br />

ici, vous tarderez pas à vous en aper<strong>ce</strong>voir. »<br />

À <strong>ce</strong>t instant seulement, je songeai à consulter ma montre : il n’était pas tout à fait deux heures du<br />

matin. La mer commençait à se retirer, révélant la Ch<strong>au</strong>ssée des Neuf Vies. J’avais dormi près de sept<br />

heures – quasiment une nuit normale –, mais je savais l’<strong>au</strong>be encore lointaine et je me sentais <strong>au</strong>ssi<br />

n<strong>au</strong>séeux, courbatu et las qu’un homme qui n’a pas réussi à trouver le sommeil. « Je… je ne pensais<br />

jamais que vous reviendriez <strong>au</strong>ssi tard, bredouillai-je. C’est vraiment très gentil à vous… »<br />

Quand Keckwick repoussa sa casquette pour pouvoir se gratter le front, je remarquai que son nez,<br />

comme presque tout le bas de son visage, était couvert de petites bosses – des pustules ou des verrues –<br />

et que sa pe<strong>au</strong> à la texture grumeleuse présentait une couleur rouge foncé. « Bah, je vous <strong>au</strong>rais pas laissé<br />

passer la nuit ici, dit-il enfin. Non, je vous <strong>au</strong>rais pas fait ça. »<br />

J’éprouvai une soudaine bouffée d’allégresse à l’idée de tenir avec lui <strong>ce</strong>tte conversation normale,<br />

d’échanger de banales considérations d’ordre pratique ; je me réjouissais sincèrement de sa présen<strong>ce</strong> – je<br />

crois même que jamais, de toute ma vie, la vue d’un de mes semblables ne m’avait comblé à <strong>ce</strong> point – et<br />

de <strong>ce</strong>lle du solide petit poney qui patientait tranquillement.<br />

Aussitôt après, <strong>ce</strong>pendant, les souvenirs affluèrent, et je balbutiai : « Que… que s’est-il passé ?<br />

Comment avez-vous pu arriver jusqu’ici ? Comment… comment vous êtes-vous dégagé ? » Puis mon<br />

cœur bondit dans ma poitrine en même temps que j’étais frappé par une révélation : <strong>ce</strong> n’étaient pas<br />

Keckwick et son poney qui s’étaient enlisés dans les sables mouvants ; non, bien sûr, c’était quelqu’un<br />

d’<strong>au</strong>tre, une personne accompagnée par un enfant, et maintenant tous deux avaient disparu. Ils étaient<br />

morts, les marais les avaient engloutis, les e<strong>au</strong>x s’étaient refermées sur eux, et plus rien, pas la moindre<br />

ride, pas la plus petite vaguelette, n’en troublait la surfa<strong>ce</strong> lisse et miroitante. Mais qui – qui ? – avait pu<br />

se risquer ainsi dans <strong>ce</strong>s lieux traîtres par une froide soirée de novembre, en plein brouillard et à l’heure<br />

de la marée montante, de surcroît avec un enfant ? Et pourquoi ? Où allaient <strong>ce</strong>s voyageurs, et d’où<br />

venaient-ils ? Le manoir était la seule habitation sur des kilomètres, s<strong>au</strong>f si j’avais vu juste <strong>au</strong> sujet de la

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!