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grève, puis à une e<strong>au</strong> peu pr<strong>of</strong>onde. Tout <strong>au</strong>tour de moi, la marée montante se portait à la rencontre des<br />
marais et des bancs de sable. L’horizon était dégagé à des kilomètres à la ronde. Or il n’y avait <strong>au</strong>cun<br />
signe nulle part de la dame en noir, ni d’un endroit où elle <strong>au</strong>rait pu se cacher.<br />
Qui avais-je vu, ou plutôt, quoi ? Et comment l’inconnue avait-elle pu disparaître ainsi ? C’étaient là<br />
<strong>au</strong>tant de questions que je résolus de ne pas me poser. M’efforçant <strong>au</strong> contraire de ne plus penser à <strong>ce</strong>tte<br />
rencontre, j’employai le peu d’énergie qu’il me restait encore à prendre la fuite, à m’éloigner le plus<br />
possible du cimetière, des ruines et de la femme. Je con<strong>ce</strong>ntrai toute mon attention sur ma course, guettant<br />
le bruit assourdi de mes foulées sur l’herbe et les halètements qui s’échappaient de ma bouche. À <strong>au</strong>cun<br />
moment je ne regardai en arrière.<br />
Lorsque, enfin, j’atteignis le manoir, j’étais trempé d’une sueur due <strong>au</strong>tant à l’effort physique qu’à<br />
l’intensité de mes émotions, et mes doigts tremblaient tellement quand je voulus attraper la clé que je la<br />
laissai tomber à deux reprises sur le perron avant de réussir à ouvrir la porte. Une fois à l’intérieur, je la<br />
claquai derrière moi. Le bruit se répercuta avec for<strong>ce</strong> dans la maison, puis, après que le dernier écho se<br />
fut estompé, le silen<strong>ce</strong> reprit ses droits – un silen<strong>ce</strong> absolu, dense, presque palpable. Durant de longues<br />
minutes, je demeurai immobile dans le sombre vestibule lambrissé. J’<strong>au</strong>rais voulu de la compagnie et je<br />
n’en avais pas, j’<strong>au</strong>rais voulu <strong>au</strong>ssi des lumières, de la chaleur, un remontant. J’avais désespérément<br />
besoin de réconfort, <strong>ce</strong>rtes, mais plus que tout j’avais besoin d’une explication. C’est étonnant de<br />
constater à quel point l’empire d’une for<strong>ce</strong> telle que la simple curiosité peut devenir puissant ; je ne m’en<br />
étais jamais douté jusque-là. En dépit de mon immense frayeur et du choc que je venais de re<strong>ce</strong>voir, je<br />
brûlais de découvrir qui était <strong>au</strong> juste la femme que j’avais vue, et je sentais bien que je ne trouverais pas<br />
le repos tant que je n’<strong>au</strong>rais pas percé <strong>ce</strong> mystère, même si, sur le moment, je n’avais pas eu le courage<br />
de mener mes investigations.<br />
Je ne croyais pas <strong>au</strong>x fantômes, ou du moins, je n’y avais jamais cru jusqu’à <strong>ce</strong> jour ; pour moi, comme<br />
pour la plupart des jeunes gens rationnels et sensés, toutes les histoires que l’on racontait à leur sujet<br />
n’étaient que des histoires, justement. Oh, je savais évidemment que <strong>ce</strong>rtaines personnes prétendaient<br />
posséder une intuition de <strong>ce</strong>s phénomènes plus développée que la normale, et que <strong>ce</strong>rtaines vieilles<br />
bâtisses étaient dites « hantées », mais j’<strong>au</strong>rais refusé d’admettre que <strong>ce</strong>s affirmations contenaient un fond<br />
de vérité même si j’avais eu une preuve sous les yeux. Or, des preuves, je n’en avais jamais eu. De plus,<br />
je trouvais tout à fait remarquable que les apparitions de revenants et <strong>au</strong>tres manifestations surnaturelles<br />
fussent toujours rapportées indirectement, par quelqu’un qui avait connu quelqu’un qui en avait entendu<br />
parler par quelqu’un qu’il connaissait !<br />
En attendant, là-bas près des marais, dans la pénombre si particulière qui régnait sur <strong>ce</strong> sanctuaire<br />
désolé, j’avais bel et bien vu une femme dont la silhouette était des plus tangibles, et en même temps – je<br />
n’en doutais plus, désormais – d’essen<strong>ce</strong> spectrale. Sa pâleur était fantomatique, son expression<br />
effrayante, elle portait des habits passés de mode, elle ne m’avait ni approché ni parlé. Mais <strong>ce</strong> qui se<br />
dégageait de sa présen<strong>ce</strong> figée et silencieuse, aperçue chaque fois près d’une tombe, s’était communiqué<br />
à moi avec une telle for<strong>ce</strong> que j’avais éprouvé une répulsion et une terreur indescriptibles. Sans compter<br />
qu’<strong>au</strong>cun être vivant, fait de chair et de sang, n’<strong>au</strong>rait pu apparaître et disparaître ainsi. Et pourtant…<br />
pourtant, contrairement à la façon dont je me représentais le « fantôme » traditionnel, il n’y avait rien<br />
chez elle de transparent ni de vaporeux ; elle était réelle, elle était là, je l’avais distinguée nettement,<br />
j’étais <strong>ce</strong>rtain que j’<strong>au</strong>rais pu l’aborder, lui adresser la parole, la toucher.<br />
Je ne croyais pas <strong>au</strong>x fantômes.<br />
Alors, quelle <strong>au</strong>tre explication pouvait-il y avoir ?<br />
Une horloge sonna dans les tréfonds obscurs de la bâtisse, m’arrachant à ma rêverie. Déterminé à me<br />
ressaisir, je chassai résolument de mon esprit la femme du cimetière pour me con<strong>ce</strong>ntrer sur le manoir où<br />
je venais de pénétrer.<br />
Du vestibule, je voyais un large escalier de chêne et, sur un côté, un passage qui devait mener à la