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ch<strong>au</strong>ssée dans l’obscurité… Je m’arrêtai et guettai la lueur d’une lanterne – car il en avait sûrement<br />
apporté une –, tout en me demandant si je n’<strong>au</strong>rais pas intérêt à crier afin de signaler ma présen<strong>ce</strong>, pour<br />
éviter qu’il ne me précipitât dans le fossé <strong>au</strong> cas où il surgirait subitement devant moi.<br />
Puis je me rendis compte que le brouillard trompait l’ouïe <strong>au</strong>tant que la vue, car non seulement la<br />
carriole ne se rapprochait pas, mais elle semblait maintenant progresser sur ma droite, en plein dans les<br />
marais, et pas sur la ch<strong>au</strong>ssée derrière moi. Je tentai de me repérer à la direction du vent, pour<br />
m’aper<strong>ce</strong>voir qu’il n’y en avait pas. Au moment précis où je me retournais, les sons s’éloignèrent de<br />
nouve<strong>au</strong>. Abasourdi, je m’immobilisai en tendant l’oreille pour essayer de distinguer quelque chose à<br />
travers la brume. Ce que j’entendis ensuite me glaça et m’horrifia, même si je ne pouvais en déchiffrer le<br />
sens ou en expliquer la c<strong>au</strong>se. Le roulement de la carriole décrut encore avant de <strong>ce</strong>sser complètement,<br />
remplacé par un curieux mélange de clapotements, de bruits de succion et de jaillissements d’e<strong>au</strong>, <strong>au</strong>quel<br />
s’ajoutèrent bientôt les hennissements stridents d’un cheval paniqué, suivis par un <strong>au</strong>tre cri – un appel ou<br />
un sanglot terrifié, <strong>ce</strong> n’était pas facile à déterminer –, et je compris soudain, effaré, qu’il s’agissait d’un<br />
enfant, d’un jeune enfant. Je restai là, réduit à une impuissan<strong>ce</strong> totale par <strong>ce</strong>tte chape impénétrable qui me<br />
dissimulait et m’empêchait de voir les alentours, retenant à grand-peine des larmes de peur et de<br />
frustration, car je savais maintenant qu’il y avait à proximité une carriole en perdition transportant un<br />
petit passager, ainsi qu’un adulte – Keckwick, probablement. L’équipage avait d’une façon ou d’une <strong>au</strong>tre<br />
quitté la ch<strong>au</strong>ssée pour s’égarer dans les marais, où il se retrouvait pris <strong>au</strong> piège des sables mouvants et<br />
de la marée montante.<br />
Je me mis à hurler jusqu’<strong>au</strong> moment où je crus mes poumons sur le point d’éclater, puis je courus sur<br />
quelques mètres avant de m’arrêter net. À quoi bon m’obstiner, puisque je n’avais <strong>au</strong>cune visibilité ?<br />
Même si je m’engageais dans les marais, il n’y avait <strong>au</strong>cune chan<strong>ce</strong> pour que je parvinsse à rejoindre la<br />
carriole ou à aider ses occupants ; je ne ferais que risquer d’être englouti à mon tour. Par conséquent, il<br />
ne me restait qu’une solution : retourner <strong>au</strong> manoir, allumer le plus de lampes possible et me poster à une<br />
fenêtre pour tenter de faire des sign<strong>au</strong>x, comme depuis un bate<strong>au</strong>-phare, en espérant envers et contre tout<br />
que quelqu’un, quelque part dans la campagne environnante, finirait par les aper<strong>ce</strong>voir.<br />
Incapable de réprimer les frissons suscités par les pensées épouvantables qui se bousculaient dans mon<br />
esprit et les images terribles de <strong>ce</strong>s malheureux en train de se noyer lentement, j’en oubliai les craintes<br />
qui m’avaient assailli quelques minutes plus tôt et me con<strong>ce</strong>ntrai sur le moyen le plus rapide et le plus sûr<br />
de regagner la maison. L’e<strong>au</strong> venait désormais lécher les bords de la ch<strong>au</strong>ssée, mais je ne pouvais me fier<br />
qu’à mon ouïe, car, outre le brouillard toujours <strong>au</strong>ssi épais, la nuit était tombée dans l’intervalle. Je<br />
laissai échapper un hoquet de soulagement en sentant sous mes pieds d’abord l’herbe, et ensuite le<br />
gravier, tandis que je me dirigeais à tâtons vers la porte.<br />
Derrière moi, dans les marais, tout était redevenu tranquille et silencieux ; n’eussent été les<br />
mouvements de l’e<strong>au</strong>, j’<strong>au</strong>rais pu croire que la carriole n’avait jamais existé.<br />
À l’intérieur du vestibule enténébré, je me traînai jusqu’à une chaise sur laquelle je m’effondrai <strong>au</strong><br />
moment même où mes jambes se dérobaient. Je me cachai le visage derrière mes mains, puis, prenant la<br />
pleine mesure de <strong>ce</strong> qu’il venait de se passer, j’éclatai en sanglots.<br />
Je ne s<strong>au</strong>rais dire combien de temps je demeurai ainsi, <strong>au</strong> paroxysme du désespoir et de la peur. Enfin,<br />
je parvins à me ressaisir suffisamment pour me lever, arpenter la maison et allumer les lampes qui<br />
fonctionnaient encore. Je les laissai toutes éclairées derrière moi, malgré la faible lumière qu’elles<br />
dispensaient, sachant déjà presque nulles les chan<strong>ce</strong>s de repérer à travers la brume <strong>ce</strong>s quelques lueurs<br />
éparpillées çà et là – à supposer qu’il y eût dans les environs un observateur ou un voyageur sus<strong>ce</strong>ptible<br />
de les aper<strong>ce</strong>voir. Mais <strong>au</strong> moins j’avais fait quelque chose, la seule chose possible, et je me sentais un<br />
peu mieux. J’entrepris alors de fouiller placards, dessertes et buffets jusqu’<strong>au</strong> moment où, tout <strong>au</strong> fond<br />
d’un de <strong>ce</strong>s meubles, je découvris une bouteille de brandy – trente ans d’âge, toujours bouchée et s<strong>ce</strong>llée.<br />
Je l’ouvris, allai chercher un verre et le remplis <strong>au</strong>tant que je le jugeais raisonnable pour un homme en