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La Nostalgie de la folie

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LA NOSTALGIE DE LA FOLIE<br />

m'étaient chers et resteraient pour toujours dans ma<br />

mémoire, avaient été, et étaient souvent <strong>de</strong>s fous, <strong>de</strong>s<br />

aliénés, <strong>de</strong>s dingues, stricto senso, puisque les psychiatres les<br />

avaient appelés «ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s mentaux» et parfois pris en<br />

traitement.<br />

Elevés par le plus doux et le plus charmant <strong>de</strong>s grandspères,<br />

nous nous fichions bien, mon frère et moi, qu'il fût<br />

souvent ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, «fatigué» comme disait <strong>la</strong> famille. Lorsque<br />

nous marchions avec lui, dans <strong>la</strong> ville, nous formions un trio<br />

in<strong>de</strong>structible. Quelle fierté d'être ses copains privilégiés !<br />

Sans le vouloir il nous apprit, je crois, <strong>la</strong> vanité du mon<strong>de</strong> et<br />

<strong>la</strong> futilité <strong>de</strong>s gens, dont il <strong>de</strong>vait se sentir incompris et<br />

rejeté. Comme les fous, les enfants <strong>de</strong>vinent bien <strong>de</strong>s choses.<br />

Nous avions perçu que le chagrin et <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre<br />

grand-père, ses séjours aussi à <strong>La</strong> L., au bord du <strong>la</strong>c,<br />

cachaient un secret.<br />

En vacances, au pied du Jura, lorsque, l'après-midi<br />

finissant, l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> promena<strong>de</strong> avait sonné, grand-père se<br />

mettait au balcon <strong>de</strong> son bureau et <strong>la</strong>nçait un long et puissant<br />

sifflement, d'abord crescendo puis <strong>de</strong>crescendo, que nous<br />

entendions jusqu'au fond du jardin. Nous courions alors à sa<br />

rencontre. Nous allions, main dans <strong>la</strong> main, sur le chemin du<br />

bois <strong>de</strong> W., jusqu'au petit banc <strong>de</strong> pierre d'où l'on voyait<br />

toute <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s Alpes bernoises et vaudoises. Assis là, il<br />

nous racontait les montagnes et leur donnait un nom. Sur le<br />

chemin du retour, il aimait repérer et ramasser les vieux<br />

papiers pour les détruire dans <strong>de</strong> petits feux qui jalonnaient<br />

notre route. De temps à autre, il al<strong>la</strong>it vers un vieux chêne<br />

serti <strong>de</strong> lierre. Il sortait un couteau militaire <strong>de</strong> sa pochegousset<br />

et se mettait à sectionner, avec beaucoup d'efforts —<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>me était si petite — les grosses tiges ligneuses <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>nte au bas du tronc. Notre grand-père ne supportait pas<br />

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