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La Nostalgie de la folie

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LA MORT<br />

mort n'est ni un tabou, ni un effroi, mais une option<br />

constamment remise en jeu, une issue toujours envisagée.<br />

Les fous connaissent bien <strong>la</strong> mort. Ils <strong>la</strong> regar<strong>de</strong>nt dans les<br />

yeux, lui parlent et ont avec elle d'étranges ren<strong>de</strong>z-vous<br />

manques. Leurs récits m'avaient toujours stupéfié. En <strong>de</strong>venant<br />

psychiatre, j'ai sûrement pensé que j'al<strong>la</strong>is comprendre<br />

quelque chose à <strong>la</strong> mort choisie, celle que l'on se donne<br />

pour, comme le suggère Malraux, gagner en existence, en<br />

perdant tout. Dans ma famille, tout près, on s'était suicidé.<br />

Ce n'était pas compréhensible. Parler d'abord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort,<br />

pour reconnaître qu'elle est au centre du discours <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>folie</strong><br />

et pour lui rendre un mo<strong>de</strong>ste hommage, puisqu'elle m'a<br />

conduit vers <strong>la</strong> psychiatrie.<br />

Le mé<strong>de</strong>cin a <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort une expérience différente du<br />

psychiatre. A <strong>la</strong> Faculté, nous avions appris <strong>de</strong>s gestes et<br />

<strong>de</strong>s choses à faire pour <strong>la</strong> tenir à distance. Malgré ce<strong>la</strong>, elle<br />

nous rejoignait et souvent nous dépassait. Reconnaissant sa<br />

supériorité, nous quittions alors <strong>la</strong> chambre du ma<strong>la</strong><strong>de</strong>,<br />

vaincus, sans jamais l'avoir regardée en face, jusqu'au<br />

bout.<br />

<strong>La</strong> toute première fois, je n'ai même pas réalisé qu'elle<br />

était là. Jeune étudiant en mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> troisième année,<br />

j'apprenais à ausculter. Cette ma<strong>la</strong><strong>de</strong> avait un souffle au<br />

cœur qu'il fal<strong>la</strong>it reconnaître et i<strong>de</strong>ntifier. Notre aîné nous<br />

avait prévenu. <strong>La</strong> patiente âgée et diabétique était<br />

comateuse. Elle venait d'avoir une attaque d'apoplexie.<br />

C'était mon tour d'ausculter. Je promenais mon stéthoscope<br />

sur sa poitrine. Je n'entendais pas <strong>de</strong> souffle. A vrai dire, je<br />

n'entendais rien du tout. Je le dis au chef <strong>de</strong> clinique qui<br />

contrô<strong>la</strong>. Il s'avisa que <strong>la</strong> patiente venait <strong>de</strong> décé<strong>de</strong>r. Il me<br />

le dit et je restai tout ébranlé d'avoir assisté à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

quelqu'un, moment clé s'il en est un, sans même m'en être<br />

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